Burkina : 17 morts dans une "attaque terroriste" contre un restaurant à Ouagadougou (14.08.2017)
Bruno Jaffré : «Sankara continue d’inspirer beaucoup de monde au-delà du Burkina Faso» (24.07.2017)
Burkina : 17 morts dans une "attaque terroriste"
contre un restaurant à Ouagadougou (14.08.2017)
14 aoû 2017, 07h29
Des forces de l'ordre à Ouagadogou, le 13 août 2017, aux
abords du café-restaurant Istanbul cible d'une "attaque terroriste"
Une "attaque terroriste" a été menée dimanche
soir contre un café-restaurant à Ouagadougou, faisant au moins 17 morts et une
dizaine de blessés, a annoncé le gouvernement burkinabè.
Les forces spéciales ont lancé l'assaut contre les
assaillants retranchés.
"Aux environs de 21 heures, une attaque terroriste a
touché le restaurant Istanbul sur l'avenue Kwame Nkrumah à Ouagadougou", a
déclaré le gouvernement dans un communiqué. "Cette attaque a fait pour
l'instant 17 victimes dont les nationalités restent à préciser et huit
blessés", indique le communiqué. Le restaurant Istanbul est situé à
environ 200 mètres du café Cappuccino, qui avait été en janvier 2016 la cible
d'une attaque jihadiste sanglante, revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb
islamique (AQMI). Cette attaque avait fait 30 morts et 71 blessés, en majorité
des étrangers.
Les assaillants, dont le nombre n'est pas connu, "sont
confinés dans un étage de l'immeuble qu'ils ont attaqué", a déclaré le
ministre burkinabè de la communication Remis Dandjinou à la télévision
nationale, lors d'un flash d'information. "Les forces de défense et de
sécurité et l'unité d'élite de la gendarmerie sont en opération", a-t-il
dit.
- 'Des otages retenus'
Selon un officier de l'armée s'exprimant sous couvert
d'anonymat, "il y a des otages retenus au premier et au deuxième étages du
bâtiment de deux étages" qui abrite le café-restaurant se trouvant au
rez-de-chaussée. Selon un serveur du restaurant Istanbul, l'attaque a débuté
vers 21h30 heure locale (même heure GMT).
"Trois hommes sont arrivés à bord d'un véhicule 4x4
vers 21h30, sont descendus du véhicule et ont ouvert le feu sur les clients
assis sur la terrasse" de ce café fréquenté par une clientèle expatriée, a
indiqué ce serveur s'exprimant sous couvert d'anonymat. La police a évacué des
civils avant l'arrivée de l'armée et de la gendarmerie qui ont tout de suite
lancé l'assaut, et les tirs, nourris au départ, sont ensuite devenus
sporadiques, a rapporté un journaliste de l'AFP. "Actuellement nous sommes
débordés", a confié un chirurgien à l'AFP sous couvert d'anonymat.
"Nous avons reçu une dizaine de blessés, dont trois qui sont décédés. La
situation des autres blessés est très critique. Trois sont pris en charge
actuellement en bloc opératoire". "Nous avons évacué onze personnes
mais un (homme) est décédé dès notre arrivée à l'hôpital. Il s'agit d'un Turc.
Une dame a également succombé à ses blessures à l'hôpital", a déclaré un
ambulancier.
Le maire de Ouagadougou, Armand Béouindé, le ministre de la
Sécurité, Simon Compaoré, et le ministre de l'Energie, Alpha Omar Dissa, sont
arrivés sur les lieux de l'attaque. L'avenue s'est vidée de ses passants
immédiatement après l'attaque, seuls des véhicules des forces de sécurité et
des ambulances étaient visibles, selon le journaliste de l'AFP.
Le mode opératoire de cet attentat est similaire à celui du
15 janvier 2016. Un commando avait attaqué le café Cappuccino et plusieurs
autres établissements, l'hôtel Splendid, l'hôtel Yibi et le Taxi-Brousse,
situés sur l'avenue Kwame N'Krumah, comme le restaurant Istanbul. Frontalier du
Mali et du Niger, le Burkina Faso est le théâtre d'attaques jihadistes
régulières depuis 2015. En décembre 2016, une douzaine de soldats burkinabè
avaient été tués dans une attaque contre un détachement de l'armée basé dans le
nord du pays.
En octobre 2016, une précédente attaque avait fait six
morts, quatre militaires et deux civils. Plusieurs enlèvements ont aussi été
perpétrés, de Burkinabè comme d'étrangers. Un Australien et un Roumain, enlevés
en 2015, sont toujours captifs de groupes islamistes liés à Al-Qaida.
Le Burkina Faso, petit Etat sahélien d'Afrique de l'Ouest,
pauvre et enclavé, a réaffirmé le 18 juillet la nécessité de "lutter
contre le terrorisme" avec son voisin la Côte d'Ivoire, également touchée
par un attentat jihadiste en 2016.
Bruno Jaffré : «Sankara continue
d’inspirer beaucoup de monde au-delà du Burkina Faso» (24.07.2017)
Par Maria Malagardis — 24 juillet
2017 à 17:06 (mis à jour le 25 juillet 2017 à 18:35)
Des portraits de Sankara brandis
par des manifestants à Ouagadougou en 2014 en hommage aux victimes du
soulèvement d'octobre. Photo Joe Penney. Reuters
Un recueil de discours, publié
par Bruno Jaffré, est consacré à Thomas Sankara, ce leader qui n’aura pourtant
exercé le pouvoir que quatre ans avant d’être assassiné par son plus proche
compagnon, Blaise Campaoré. Retour sur un personnage hors normes, héros
tragique devenu légende. Une icône dont les idées infusent encore aujourd’hui.
Thomas Sankara reste un héros des
temps modernes. Une vie fulgurante, interrompue trop vite, puisqu’il meurt à 37
ans, trahi et assassiné par son frère d’armes et plus proche compagnon, Blaise
Compaoré. Mais les quatre années (1983-1987) pendant lesquelles il a dirigé
l’ex-Haute-Volta, rebaptisée à sa demande «Burkina Faso» («le pays des hommes
intègres»), marqueront la postérité. Immortel, Sankara ? Dans sa patrie, c’est
même une évidence : c’est son nom que scanderont les manifestants qui
descendront dans la rue pour renverser Compaoré en 2014. Mais la légende de Sankara
a vite dépassé les frontières de son pays natal : ses prises de positions sur
l’aliénation de l’Afrique, les relations aux institutions internationales, la
défense de l’environnement ou encore les droits des femmes restent d’actualité.
Des thèmes qu’on retrouve dans le recueil de discours le plus complet à ce
jour, publié par Bruno Jaffré, ingénieur de formation, considéré comme le
principal biographe de Thomas Sankara qu’il a eu la chance de rencontrer, et
dont il mesure l’aura historique dans une époque où les leaders charismatiques
ont tendance à se faire rares.
Comment peut-on expliquer la
fascination qu’exerce encore Sankara près de trente ans après sa mort, le 15
octobre 1987 ?
C’est vrai qu’il continue
d’inspirer beaucoup de monde, même au-delà du Burkina Faso, beaucoup d’artistes
notamment. Cette année au festival off d’Avignon, est présentée une pièce qui
lui est consacrée : Sank ou la patience des morts du dramaturge burkinabé
Aristide Tarnagda. Demeure aussi, bien sûr, cette relation très sentimentale
qui le lie à son peuple. Sankara était un homme modeste, qui a bousculé les
idées reçues, innovant dans tous les domaines, de l’économie à la culture. En
ce sens, il a été le dernier dirigeant révolutionnaire de l’Afrique
contemporaine. Et ce n’est pas un hasard si le seul «printemps africain» qui
ait réellement débouché sur le renversement d’un dictateur ces dernières années
a eu lieu au Burkina Faso en 2014. Le mot d’ordre de cette insurrection
populaire, c’était «la Patrie ou la Mort», le slogan de Sankara. Pourtant, dans
son pays, son nom était resté longtemps tabou après son assassinat. On
interdisait la diffusion de ses images, on cachait ses discours. Mais son
message s’est transmis aux générations suivantes, il est resté vivant dans la mémoire
des Burkinabés et c’est cette mémoire-là qui a rejailli lors de la chute du
régime Compaoré, c’est elle qui a donné la force aux manifestants de descendre
en masse dans la rue et d’affronter l’armée, laquelle va finalement déguerpir.
Il a inspiré les jeunes dans la rue au Burkina, mais il est aussi une légende
pour une partie de la jeunesse d’autres pays d’Afrique, voire française. Son
nom est connu de tous, même si on ne mesure pas toujours l’ampleur des réformes
qu’il a mises en œuvre. Et puis certains de ces discours sont diffusés sur
Internet. C’était un excellent orateur, un visionnaire précoce, il n’avait
pourtant que 33 ans lorsqu’il prend le pouvoir.
En quoi ses idées sont encore
pertinentes ?
Quand on relit son discours sur
la dette, totalement improvisé en 1987 à Addis-Abeba, on y retrouve les
problématiques qui s’imposent aujourd’hui à de nombreux pays européens, comme
la Grèce mais aussi la France. La dette n’est-elle pas aussi un instrument de
soumission ? Le discours de Sankara rejoint les arguments de ceux qui militent
pour remettre en cause la légitimité de ces dettes. Sankara, lui, a en outre
refusé de se soumettre au FMI, il a rejeté l’aide conditionnée à des réformes
dictées de l’extérieur. Il était anti-impérialiste, sans être dogmatique. Or,
la mondialisation, l’omniprésence et les diktats du FMI et de la Banque
mondiale restent des enjeux du monde actuel. Par ailleurs, Sankara, très
influencé par l’écologiste René Dumont, est certainement le premier dirigeant
politique à avoir dénoncé les responsabilités humaines dans la dégradation de
l’environnement. Mais il a eu aussi des paroles fortes sur l’émancipation des
femmes, sur le refus de l’aliénation culturelle qui ne signifiait pas rejet de
la culture dominante (l’usage du français en Afrique par exemple) mais la
valorisation d’une double culture. Préoccupé par la dépendance de son pays sur
le plan économique, il a aussi beaucoup fait pour transformer sur place le
coton, principale ressource du Burkina Faso. Incitant notamment les fonctionnaires
à porter le «Faso Dan Fani», cet habit traditionnel tissé par les femmes. Ce
costume est d’ailleurs revenu à la mode au Burkina depuis la chute de Compaoré
!
Mais il va finir assassiné…
A-t-il commis des erreurs qui l’ont mis en danger ?
Sa révolution a vite été
confrontée à des contradictions intérieures, les fonctionnaires lui en
voulaient parfois d’avoir baissé leur salaire et de les obliger à consommer
local. Il se fixait des objectifs, et il voulait aller vite. On a parfois
accusé les comités locaux qu’il a créés, les CDR, d’agir comme des milices. Ce
fut parfois vrai, il y a eu des débordements. Mais au départ, c’était un
instrument de mobilisation de la population. Et Sankara lui-même avait critiqué
ces dérives, avec beaucoup d’humour. Au fond, sa vraie faiblesse, c’était de
dire la vérité et de ne pas vouloir composer. La France n’a guère apprécié
qu’il appelle à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. La réussite économique
de ses réformes et sa lutte contre la corruption inquiétaient les pays voisins,
alliés de la France. Il s’est créé des ennemis, c’est certain.
En sait-on plus aujourd’hui sur
son assassinat ?
Il reste beaucoup de questions en
suspens, notamment sur le rôle des services français. La justice burkinabée a
adressé une demande de commission rogatoire et souhaite avoir accès aux
archives dont François Hollande avait pourtant promis l’ouverture. Depuis, ça
traîne, rien ne se passe. On verra dans quelle mesure Emmanuel Macron saura se
montrer plus moderne et acceptera de répondre aux questions de la justice
burkinabée.
Les mots d’un tribun
«Parler au nom de mon peuple» «Je ne suis ni un messie ni un
prophète. Je ne détiens aucune vérité. Ma seule ambition est une double
aspiration : premièrement pouvoir en langage simple, celui de l’évidence et de
la clarté, parler au nom de mon peuple, le peuple du Burkina Faso ;
deuxièmement, parvenir à exprimer aussi, à ma manière la parole du "grand
peuple des déshérités", ceux qui appartiennent à ce monde qu’on a
malicieusement baptisé tiers-monde. Et dire, même si je n’arrive pas à le faire
comprendre, les raisons que nous avons de nous révolter. Certes nous
encourageons l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide. Mais en général, la
politique d’assistance et d’aide n’a abouti qu’à nous désorganiser, à nous
asservir, à nous déresponsabiliser dans notre espace économique, politique et
culturel». (A l’ONU, à New York, le 4 octobre 1984).
«Le désert est à nos portes»
«Chacun de nous a compris que le désert avance, que le désert est déjà à nos
portes, que le désert est déjà au-dessus de nous, il ne lui reste plus qu’à
s’abattre sur nous. […]. C’est donc un crime contre les générations du Burkina
Faso, c’est-à-dire contre l’éternité même du Burkina Faso que de ne penser qu’à
soi, c’est-à-dire tout pour soi et le désert pour les générations à venir.»
(Ouagadougou, le 22 avril 1985).
Le français et «les langues des
autres» «Qui pourrait par vanité et mauvaise fierté s’encombrer de tournures
alambiquées pour dire en français, par exemple, les mots islam, baraka, quand
la langue arabe exprime mieux que nulle autre ces réalités ? Ou bien le mot
pianissimo, doucereuse expression musicale d’au-delà du Piémont ? Ou encore le
mot apartheid que la richesse shakespearienne exporte d’Albion sans perfidie vers
la France ? Refuser d’intégrer au français les langues des autres, c’est ériger
des barrières de chauvinisme culturel» (Message envoyé au sommet de la
francophonie, 17 février 1986).
L’oppression des femmes, «une
terrible réalité» «Un homme si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer : sa
femme. Lorsque nous parlons de l’ignoble système de l’apartheid, c’est vers les
Noirs exploités et opprimés que se tournent et notre pensée et notre émotion.
Mais nous oublions hélas, la femme noire qui subit son homme.» (Ouagadougou, 8
mars 1987)
La dette «ne peut pas être
remboursée «La dette sous sa forme actuelle, est une reconquête savamment
organisée de l’Afrique. […]. Faisant en sorte que chacun d’entre nous devienne
l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu
l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec
l’obligation de rembourser. […]. La dette ne peut pas être remboursée parce que
d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyez-en
sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyez-en sûrs
également. […]. Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons
pas de quoi payer.» (Discours à la tribune de l’Organisation de l’Union
africaine, à Addis-Abeba, Ethiopie, 29 juillet 1987).
Maria Malagardis
BRUNO JAFFRÉ THOMAS SANKARA, LA
LIBERTÉ CONTRE LE DESTIN Syllepse, 2017, 350 pp., 20 €