vendredi 5 mai 2017

Le djihadisme, nouvelle forme de colonialisme (François Adibi, 14.10.2015)

http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/le-djihadisme-nouvelle-forme-de-colonialisme-14-10-2015-5010_118.php

Ce que les colonialistes du XIXe siècle n'avaient pas osé imaginer, les djihadistes l'ont fait : démantèlement des États-nations, pillage de leurs richesses, destruction de leur culture et de leur identité, relégation des peuples dans le sous-développement. Au Moyen-Orient et dans une partie de l'Afrique, les populations sont ainsi massacrées et déplacées à cause de leurs appartenances religieuses ou ethniques. Cette régression unique dans l'histoire de l'humanité doit être dénoncée et ses mécanismes expliqués à l'opinion publique, estime François Adibi, président d'Altaïr think tank culture médias.
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Dans ses actes, le djihadisme répond aux critères exacts de la pratique du colonialisme : « La domination politique et l'exploitation économique du territoire annexé. » Ainsi, en Syrie comme en Libye, la destruction des États-nations où régnait un islam modéré a donné lieu à une invasion de combattants très souvent étrangers à ces territoires. Ils se sont emparés des richesses et des matières premières, ont démantelé les structures existantes pour mieux faire régner le chaos et la division propices à la domination des peuples colonisés.
Et quand les djihadistes n'arrivent pas à ces résultats, ils s'attaquent aux points forts des pays, ainsi qu’ils le font en Tunisie ou en Égypte : s'en prenant à l'industrie touristique, ils fragilisent leur économie globale, ce qui est le moyen le plus sûr de mettre en péril leur indépendance et leur intégrité.
À l'image de leurs prédécesseurs coloniaux occidentaux des XIXe et XXe siècle, leurs motivations sont d'acquérir des positions stratégiques et d'empêcher l'expansion imaginaire de puissances concurrentes. En les surpassant dans la barbarie et avec, en plus, la volonté de convertir, ils accompagnent la colonisation d'actes de violence et de massacres systématiques. Le philosophe Frantz Fanon (1925-1961), qui voyait dans la violence un élément central de la mise en place et du maintien par les Occidentaux du colonialisme en Afrique et en Asie, pourrait dire de même des djihadistes qui, en tous points et par ce qu'ils font, sont les soldats d'un nouveau colonialisme. Même si on ne peut réduire ce phénomène complexe à un ou deux facteurs, la mécanique coloniale en constitue l'épine dorsale.

Instrumentaliser la religion

Depuis quatorze siècles, l'islam, qui a porté une civilisation brillante, n'a connu aucun épisode totalitaire tel que nous le connaissons actuellement. Dans son essai d'histoire comparative Sous le croissant et sous la croix (Seuil, 2008), Mark R. Cohen, professeur au département d'études sur le Proche-Orient à l'université de Princeton (États-Unis), analyse pourquoi les relations judéo-musulmanes furent moins marquées par l'intolérance et la violence que les relations judéo-chrétiennes, et comment les juifs jouirent d'une plus grande sécurité dans le monde arabo-musulman que dans la chrétienté médiévale. Contrairement à une idée reçue, il n'y a pas eu d'antisémitisme en terre d'islam avant la fin du XIXe siècle. Dès lors que les États musulmans étaient stabilisés, ils ont toujours protégé les minorités religieuses.
Ainsi se pose la question centrale des causes de l'émergence du djihadisme en terre d'islam. Tous les groupes islamistes violents se réclament d'une même idéologie, matrice de toutes les autres : le wahhabisme, qui représente 1 % des musulmans dans le monde. Cette doctrine née au milieu du XVIIIe siècle sous l'impulsion d'Ibn Abd al-Wahhab n'invente rien, mais voue une haine à toutes les branches de l'islam classique, y compris sunnite. Elle est combattue en retour par l'ensemble des savants de l'islam. Comme toutes les sectes, elle utilise la religion pour asseoir un pouvoir. Elle n’est qu’une petite secte parmi des dizaines d'autres, mais elle rencontre alors une tribu, celle des al-Saoud, qui trouve en cette idéologie le moyen idéal de conquérir le pouvoir. Cette alliance du sabre et du goupillon tente à trois reprises de prendre le pouvoir et à chaque fois, elle est défaite.
Le wahhabisme ne doit son véritable essor qu'à l'Empire britannique, qui l'utilise d'abord pour protéger la route des Indes et ensuite pour contrer l'Empire ottoman. Ainsi, porté à bout de bras par les Britanniques, l'Arabie saoudite naît en 1932. En 1938, la découverte du pétrole amène les Américains à prendre le relais, avec la signature le 14 février 1945 du pacte du Quincy « pétrole contre protection » entre le roi Ibn Saoud et Franklin Roosevelt, pacte prévu pour 60 ans et dont les accords ont été renouvelés en 2005 par George W. Bush.

Le fondamentalisme pour étouffer le développement

Ainsi le fondamentalisme apparaît-il, dans les faits, comme un instrument efficace pour maintenir les peuples d'Orient dans la division, la régression et le sous-développement, et cela depuis près d'un siècle. En effet, qu'ont fait les États fondamentalistes pour leurs peuples ? Assis sur cette manne pétrolière, ont-ils créé des industries, construit des voitures, des avions, des centres de recherche, élaboré de nouvelles technologies, fait progresser la science et l'éducation, apporté le progrès, le développement et le bien-être à leurs citoyens ? La réponse est non, car hormis acheter des armes à l'Occident et faire profiter à une minorité des richesses de l'ensemble de ces nations, rien n'a été fait. C'est un échec absolu.
Tout au long du XXe siècle, l'islamisme constitue un instrument qui va servir à étouffer les tentatives de démocratisation et de développement des pays musulmans. Dès lors que des nationalismes laïcs et des mouvements d'indépendance apparaissent, ils sont opportunément contrés par les Frères musulmans ou les salafistes. L'Occident, qui a historiquement soutenu ces mouvements, porte en ce sens une coresponsabilité sur la géopolitique du chaos à laquelle on assiste en Orient. L'histoire récente montre de quelle manière les islamistes ont été utilisés contre les Soviétiques en Afghanistan. Les journalistes d'investigation commencent également à montrer comment les islamistes ont contribué à porter le chaos et la division dans des États souverains afin de répondre à des géostratégies de courte vue.
Les fondamentalistes, comme les colonialistes, utilisent une stratégie vieille comme le monde : dresser les ethnies les unes contre les autres, instrumentaliser la religion en la vidant de tout son sens, organiser la guerre de tous contre tous. Pour arriver à leurs fins, ils ont cultivé l'ignorance comme moyen de domination des masses, maintenu les peuples dans cet état, exporté à coups de milliards de dollars des doctrines qui n'ont aucun fondement théologique et dont le fil rouge est surtout de ne jamais rien remettre en question, utilisé à plein régime toutes les méthodes d'embrigadement et de manipulation des sectes. Enfin, il leur faut détruire toute trace de culture et d'histoire afin d'effacer l'identité, la mémoire collective et le patrimoine de ces pays. Car ils savent que ce patrimoine, par sa richesse et sa diversité, est le révélateur le plus éclatant de l'indigence du socle idéologique sur lequel repose le fondamentalisme.

Une manipulation infidèle à l'esprit de l'islam

Les doctrines liées à l'islamisme ne reposent sur rien, elles ne sont qu'une manipulation des textes et peuvent être réfutées en tous points. Par exemple, la charia en tant que loi islamique est une invention humaine du IXe siècle, elle n'existe pas dans le Coran. La seule fois où le mot charia apparaît dans le Coran, c'est pour décrire « la voie qui mène au point d'eau affleurant ». Le concept d'apostat n'existe pas plus dans l'islam de la première période et, à aucun moment, le Coran ne permet pour ce concept un châtiment humain. Quant à la lecture littéraliste, elle est elle-même une interprétation parmi tant d'autres, la plus pauvre intellectuellement.
En vérité, la grandeur de l'islam a été de produire une vaste hybridation interculturelle. C'est de ce métissage des cultures et des savoirs qu'est née une grande civilisation. Par leurs actes et leur idéologie, les fondamentalistes sont infidèles à l'esprit de l'islam en général, et à celui de la première période en particulier : ils ne sont ni dans la forme, ni dans le fond les petits-fils de Mahomet.
Le djihadisme n'est pas plus l'islam que la secte Moon n'est le christianisme. Mais ils ont le même mode de fonctionnement, ils instrumentalisent la religion pour mieux servir les intérêts de leurs maîtres.
L'islam a depuis quatorze siècles créé et bâti une civilisation. L'islamisme n'a fait que détruire, diviser et porter le discrédit sur les musulmans. Ne confondons pas la religion et l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Le wahhabisme est une dérive sectaire dont le but premier est de s'emparer du pouvoir, il est une idéologie totalitaire, violente et raciste dont la logique d'exclusion rejette tout ce qui ne lui ressemble pas ; son seul objet est de servir les intérêts de classes dirigeantes minoritaires en maintenant leurs peuples dans l'ignorance. C'est cette ignorance qui arme le fondamentalisme et qui nous aveugle également dans la recherche des causes et donc des solutions à apporter à ce fléau.

Pourtant les solutions existent

Tout d'abord, il faut sortir de cette idée simpliste que le djihadisme est une génération spontanée. Qui peut raisonnablement croire que 30 000 djihadistes peuvent tenir tête à l'ensemble de la planète ? Et qu'ils ont eux-mêmes tout organisé ? C'est l’inverse, et il faut être aveugle pour ne pas voir que ce mouvement idéologique est organisé, financé, armé et soutenu par des entités connues de tous les géostratèges. La première solution est de couper toutes les sources de financement et de soutien. La communauté internationale a les moyens d'investiguer et de sanctionner tous ceux qui parrainent ces mouvements. L'opinion publique occidentale a un rôle déterminant à jouer auprès de ses dirigeants dans cette première action. La deuxième action est de déconstruire point par point l'ensemble d'une rhétorique mensongère faite pour embrigader et manipuler la jeunesse. Ce contre-discours doit être popularisé dans toutes les couches de nos sociétés.
Le djihadiste, faux rebelle, démontre par ses actes qu'il n'est qu'un instrument de l'ordre rétrograde établi par ceux-là mêmes qu'il prétend dénoncer. Parallèlement, il faut défaire d'urgence le maillage et les réseaux qui permettent, dans de nombreux pays, de cultiver le terreau favorable à l'émergence du djihadisme. Quels que soient les noms qu'ils portent : djihadisme, salafisme, islamisme, wahhabisme ou fondamentalisme, ils ne sont que les différentes facettes d'une même réalité, un extrémisme contraire aux valeurs de l'islam et de l'humanité.

Et demain ?

Ne nous trompons pas, ce qui se passe au Moyen-Orient et en Afrique n'est pas un aléa de l'histoire, c'est le signe d'un affaissement dangereux de nos civilisations communes d'Orient et d'Occident. Aujourd'hui, les pays touchés sont ceux qui n'ont pas réussi leur transition démocratique et qui sont vulnérables aux phénomènes de globalisation. Mais demain, qu'en sera-t-il ? Il nous faut engager la bataille du savoir et de l'éducation, seule à même de mobiliser les opinions publiques. Comme tous les totalitarismes en « isme » qu'a connu le XXe siècle, le djihadisme est voué à disparaître devant le réveil et l'alliance des musulmans du monde et des opinions publiques occidentales. Le plus tôt sera le mieux, car il n'est de l'intérêt d'aucune nation de voir un chaos communicatif s'installer durablement.
*François Adibi est président d’Altaïr think tank culture médias.

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