INTERVIEW. Le préfet de police des
Bouches-du-Rhône, Olivier de Mazières, fait le point sur les nouveaux
lieux de radicalisation.
Propos recueillis par Nadjet Cherigui et Clément
Pétreault
Publié le 05/05/2019 à 15:00 | Le Point.fr
Vue aérienne de Marseille.
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FRANCE
Ancien directeur de l'état-major opérationnel de prévention
du terrorisme (EMOPT), Olivier de Mazières est aujourd'hui préfet de police des
Bouches-du-Rhône. Intégrisme religieux, radicalisation et repli communautaire
n'ont aucun secret pour ce haut fonctionnaire qui donne lui-même des formations
sur les valeurs républicaines. L'un des enjeux du moment pour lui :
anticiper la reconfiguration de la menace terroriste, notamment dans les
milieux associatifs et sportifs… En effet, ces îlots de libertés peuvent faire
l'objet d'un entrisme religieux ou communautaire, parfois même radical. À Marseille, il a, par exemple,
fait fermer une salle de sport dans le 3e arrondissement. Il explique au Point les
enjeux de la surveillance de la radicalité.
Le Point : À quel moment s'est-on rendu compte que
le sport pouvait être vecteur de radicalisation violente ?
Olivier de Mazières : Nous avons constaté
que de nombreux individus repérés comme radicalisés pratiquaient aussi des
sports de combat. Il faut aussi observer le profil sportif des auteurs
d'attentats depuis mars 2012. Tous pratiquaient des sports comme la boxe,
le MMA, le free fight ou le
judo à un niveau intense, voire parfois de compétition. C'est là qu'on a
compris qu'il y avait un sujet de sécurité.
Lire la suite : https://www.lepoint.fr/societe/certaines-salles-de-sport-se-communautarisent-progressivement-05-05-2019-2310936_23.php
On a attiré mon attention dès 2015, alors que je prenais mes fonctions à l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme. J'ai travaillé sur ces sujets avec l'Uclat après l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier. Nous avons analysé des fichiers des services de renseignements et remarqué que certains individus montraient des signes de risques aggravants comme les pratiques sportives, de tir ou de pilotage d'aéronef. Certaines salles de sport se communautarisent progressivement. On commence par repérer des signaux faibles. Par exemple, dans une piscine, des femmes vont demander des créneaux horaires pour ne pas avoir à se baigner avec des hommes ; dans certains clubs, on pratique la prière, on impose le ramadan et de nombreux interdits religieux ; les femmes pratiquent le sport les cheveux couverts, on fait un scandale à celui qui prend sa douche nu dans les vestiaires. Certains adeptes du judo refusent de s'incliner devant l'adversaire avant d'entrer sur le tatami, car on ne peut s'incliner que devant Allah, etc. Toutes ces étapes sont des signaux de communautarisation. À l'instar de ce que l'on constate dans les salles de prière, des individus peuvent prendre l'ascendant sur les autres, écarter ceux qui pensent différemment et, finalement, ils mettent en coupe réglée tout un club.
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On a attiré mon attention dès 2015, alors que je prenais mes fonctions à l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme. J'ai travaillé sur ces sujets avec l'Uclat après l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier. Nous avons analysé des fichiers des services de renseignements et remarqué que certains individus montraient des signes de risques aggravants comme les pratiques sportives, de tir ou de pilotage d'aéronef. Certaines salles de sport se communautarisent progressivement. On commence par repérer des signaux faibles. Par exemple, dans une piscine, des femmes vont demander des créneaux horaires pour ne pas avoir à se baigner avec des hommes ; dans certains clubs, on pratique la prière, on impose le ramadan et de nombreux interdits religieux ; les femmes pratiquent le sport les cheveux couverts, on fait un scandale à celui qui prend sa douche nu dans les vestiaires. Certains adeptes du judo refusent de s'incliner devant l'adversaire avant d'entrer sur le tatami, car on ne peut s'incliner que devant Allah, etc. Toutes ces étapes sont des signaux de communautarisation. À l'instar de ce que l'on constate dans les salles de prière, des individus peuvent prendre l'ascendant sur les autres, écarter ceux qui pensent différemment et, finalement, ils mettent en coupe réglée tout un club.
On a le sentiment que le prosélytisme religieux, en
particulier salafiste, se fait plus discret. Est-on en train d'assister à un
changement de stratégie de cette mouvance ?
Dans les mosquées radicalisées, les imams et prêcheurs
virulents ont appris à être plus discrets et les débordements qui existaient
auparavant ne sont plus aussi visibles. En tant que préfet, mon problème n'est
pas le salafisme, et je tiens à éviter de tomber dans le piège de la
stigmatisation. Ce qui guide l'action publique, c'est l'appel à la haine, à la
discrimination, à la violence, l'apologie du terrorisme ou, pire encore,
l'implication dans une association de malfaiteurs en vue d'une action terrorisme.
Contre cela, on a des textes qui sanctionnent.
Si l'intégrisme se fait plus discret,comment existe-t-il
concrètement sur le terrain ?
Le sujet de la clandestinité est, pour nous, un vaste sujet.
Nous avons fermé une salle de prière greffée à un local associatif qui était
devenu une mosquée... Dans ce cas de figure, c'est illégal et non clandestin. À
ma connaissance, il n'y a pas à Marseille de salle de prière cachée où on se
dissimule et on reste entre soi. En revanche, il existe des écoles clandestines.
On a récemment fermé une crèche et un établissement scolaire totalement
clandestins, non déclarés, dissimulés et gérés par une association. Sur ce
point, il y a un gros travail à mener pour traiter ce genre de clandestinité.
Nous avons besoin de travailler avec les services de renseignements et des
relais d'informations sur le terrain.
Lire aussi : Dans
la poudrière identitaire
À Marseille, le trafic de drogue est très présent. Quelle
porosité observez-vous entre deal et islamisme ?
Le trafic de stupéfiants génère énormément d'argent, mais
c'est précisément parce qu'il en génère qu'il n'est pas poreux avec
l'islamisme. Un imam qui vient dans un quartier organisé autour du trafic ne
sera pas bien accueilli par les dealers, qui feront tout pour préserver leur
business. Si l'islamisme est un obstacle au business, ils l'écarteront.Mais ne
me faites pas dire que le trafic est un rempart contre l'islamisme. Je combats
les deux.
Quels sont les moyens administratifs, judiciaires et
humains pour ces contrôles et surveillances ?
On a des « capteurs d'alerte ». Nous faisons un
gros travail de sensibilisation des travailleurs de terrain comme des
associations. Il nous faut des gens pour remonter des informations. Pour cela,
on explique quels sont les indicateurs de basculement dans la radicalisation et
surtout à quoi ça sert de nous les signaler. Depuis les attaques de 2015, on
forme des fonctionnaires de tous les services publics, comme l'Éducation
nationale avec qui nous travaillons en bonne intelligence. Dans le milieu privé
et associatif, c'est un peu plus compliqué, il faut franchir les défiances et
les craintes pour dépasser ce vieux traumatisme lié à la collaboration pendant
la guerre. Pour cela, on explique comment sont utilisés ces signalements :
il s'agit avant tout d'éviter les attaques, les victimes, et de protéger les
jeunes adultes contre ce qu'ils risquent de faire. Nous luttons aussi contre
les amalgames pour protéger les 99 % de musulmans qui veulent vivre
normalement.
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