samedi 21 avril 2018

Immigration en Europe : le cri d'alarme de Douglas Murray (20.04.2018)

Immigration en Europe : le cri d'alarme de Douglas Murray, le Zemmour britannique (20.04.2018)

Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 20/04/2018 à 11h23 | Publié le 20/04/2018 à 07h15

ENTRETIEN EXCLUSIF - Dans son dernier essai, L'Étrange suicide de l'Europe, qui est resté près de vingt semaines dans le top 10 des meilleures ventes du Sunday Times, il décrit les conséquences mortifères de l'immigration incontrôlée dans une Europe en voie de désintégration. À l'occasion de la parution de l'édition française de son best-seller, Douglas Murray nous a accordé un entretien exclusif.

Votre livre L'Etrange suicide de l'Europe a été un énorme succès mondial. Comment l'expliquez-vous?

Selon moi, les gens voient partout les mêmes choses et s'inquiètent des mêmes phénomènes. Pourtant, leurs préoccupations et leurs questions les plus légitimes sont systématiquement réprimées. Mais, chaque fois que quelqu'un expose (en l'étayant de preuves solides) ce qu'un grand nombre de personnes pensent, ses propos finissent toujours par résonner.

Vous avez été surpris par la façon dont les politiques ont reçu votre livre. En aparté, ils n'ont pas hésité à accepter vos conclusions.

Depuis toujours, il y a la réalité et ce qui peut être politiquement exprimable. J'ai parlé avec des fonctionnaires français, comme avec beaucoup d'autres sur tout le continent, et ce sont ceux qui m'ont dit en privé les choses les plus accablantes sur l'immigration, l'intégration et la sécurité. Ils connaissent les problèmes auxquels nous sommes tous confrontés. Pourtant, en public, ils disent autre chose. Pourquoi? Parce que, pour relever le défi auquel nous sommes tous confrontés, il faudra admettre que plusieurs générations de décideurs politiques à travers l'Europe ont commis des erreurs historiques ou ont été totalement incompétentes.

«La plupart des ­Européens souhaitent sans ambiguïté que les migrations de masse s'arrêtent ou diminuent beaucoup.»

Le plus simple, pour les politiques, est toujours de remettre cette question à plus tard, de mettre un terme à la discussion et de persécuter les gens parce qu'ils ont dit la vérité. Mais ce n'est pas une bonne stratégie à long terme. Le statu quo pourra tenir encore un cycle électoral ou deux. Mais pas plus.

Vous avez exprimé des préoccupations au sujet des associations antiracistes. Peut-on parler de dérive de l'antiracisme?

Ce qui m'inquiète, c'est que les «antiracistes» sont le plus souvent des racistes. C'est le même phénomène pour les soi-disant «antifascistes», qui sont presque toujours profondément fascistes. Il y a des moments où l'antifascisme et l'antiracisme sont nécessaires. Mais, ces derniers temps, les groupes qui se qualifient ainsi sont coupables de ce que le philosophe politique Kenneth Minogue a appelé «syndrome de saint George à la retraite». Après avoir tué un dragon, ils errent autour de la terre à la recherche d'autres dragons à tuer, jusqu'à ce qu'ils finissent, délirant, par donner des coups d'épée dans l'air. La plupart des Européens souhaitent sans ambiguïté que les migrations de masse s'arrêtent ou diminuent beaucoup. Pourtant, tous les groupes «antiracistes» disent que ce point de vue est raciste. C'est une erreur historique. Si l'on abuse de mots comme «raciste» et «nazi», la probabilité est très forte que ces mots ne soient plus d'aucune utilité le jour où l'on pourrait en avoir réellement besoin. La question que je pose aux «antiracistes» est celle-ci: un citoyen français ou britannique qui voit son quartier et sa société changer radicalement peut-il ressentir de la tristesse à ce sujet ou exprimer une opposition sans être qualifié de raciste? Si la réponse est «non», alors nous sommes vraiment très mal partis.

Cette dérive a-t-elle abouti au scandale de Telford, ces milliers de viols collectifs commis par des gangs pakistanais?

Telford est seulement le dernier cas. Des gangs de violeurs ont été découverts à Rotherham, Rochdale, dans l'Oxfordshire et plusieurs autres endroits au Royaume-Uni. Ce sont presque toujours des groupes d'hommes pakistanais (rejoints parfois par des Nord-Africains) qui ciblent des jeunes filles blanches vulnérables, souvent mineures, en tout cas extérieures à leur communauté. Mille cinq cents jeunes filles ont été violées dans une seule ville anglaise. Il y a des causes locales, tribales et religieuses spécifiques, liées en partie à la «culture de la honte» pakistanaise. La Grande-Bretagne a gardé le silence à ce sujet pendant des années. Pour une part à cause de cette sorte de politesse lâche qui existe partout, mais qui est particulièrement répandue chez nous. Mais aussi parce que ces horreurs ont toutes les caractéristiques d'un odieux crime raciste, et que personne ne voulait que cela se sache. Une classe entière de fonctionnaires locaux, de policiers et de politiciens a échoué.

«Dans certains quartiers du centre de Paris et de Londres, tout peut sembler fonctionner. Mais, si l'on va juste un peu plus loin, à Saint-Denis ou à Tower Hamlets, c'est objectivement un désastre.»

Jeremy Corbyn, le chef de l'opposition, a parfois été accusé d'être complaisant envers l'islamisme et l'antisémitisme…

Oubliez le mot «parfois» : «toujours» est celui que vous recherchez. Mr Corbyn voudrait nous faire croire que, ayant passé sa vie à patauger dans les égouts, il n'a jamais remarqué la puanteur. Je n'y crois pas. Que l'homme qui a passé sa vie à absoudre les islamistes ait toujours couvert les pires antisémites… ce doit être une pure coïncidence. Non, Mr Corbyn constitue un vrai problème. Le fait que, en 2018, nous ayons un Parti travailliste taraudé par l'antisémitisme devrait être une source de profonde honte nationale.

Selon vous, la montée de l'islamisme est la conséquence de la faillite des politiques migratoires européennes. La majorité des immigrants ne réussissent-ils pas à s'intégrer? C'est ce que tendrait à prouver l'élection de Sadiq Khan comme maire de Londres…

Je suis fier que Londres puisse élire quelqu'un comme Sadiq Khan. Il n'est pas un maire particulièrement compétent, mais il aide à démontrer que la discrimination mise en avant par les communautés musulmanes est un mensonge raconté par de mauvais acteurs. En ce qui concerne l'intégration au sens large, cela dépend de l'endroit où vous regardez. Dans certains quartiers du centre de Paris et de Londres, tout peut sembler fonctionner. Mais, si l'on va juste un peu plus loin, à Saint-Denis ou à Tower Hamlets, c'est objectivement un désastre.

La vague d'attentats qui a frappé l'Angleterre en 2017 n'a-t-elle pas sonné le réveil de la classe politique?

J'ai abandonné cet espoir. Après les attentats du London Bridge, l'année dernière, Theresa May a dit «trop, c'est trop», mais cela ne voulait rien dire. Qu'a-t-elle fait depuis? Ils se contentent tous de vagues dispositifs bureaucratiques pour résoudre un problème bien plus profond. Sur la base de critères purement juridiques, au moins l'un des attaquants du London Bridge n'aurait jamais dû se trouver au Royaume-Uni. Le kamikaze du Manchester Arena n'aurait jamais dû se trouver au Royaume-Uni. Le jeune homme qui a déposé une bombe dans le métro de Londres en septembre dernier n'aurait jamais dû se trouver au Royaume-Uni. On aurait pu penser que ces questions auraient fait partie des sujets à traiter. Mais non. Une autre attaque se produit et les politiciens disent: «Les entreprises de technologie doivent faire plus pour détecter les contenus extrémistes en ligne.» Il s'agit là d'une question importante, à coup sûr, mais cela signifie qu'il y a des aspects du problème terroriste qui peuvent être abordés et des questions beaucoup plus vastes auxquelles il ne faut même pas faire allusion.

«Nous avons glissé vers une conception étrange, où nous supposons que le reste du monde restera le reste du monde, mais où l'Europe deviendra les Nations unies»

Nos sociétés ont toujours eu des problèmes de sécurité. Mais le terrorisme islamiste est un problème importé, et importé sous la responsabilité directe de nos politiciens.

Vous écrivez que l'opinion publique a très bien compris que «ce qui se cache derrière le terrorisme est une menace encore plus grande». Qu'entendez-vous par là?

La question centrale à laquelle nous devons penser est la suivante: à qui s'adresse l'Europe? Est-ce une maison potentielle pour le monde entier? Ou simplement pour celui qui y fait sa vie? Si oui, où est la maison des peuples d'Europe? Nous avons glissé vers une conception étrange, où nous supposons que le reste du monde restera le reste du monde, mais où l'Europe deviendra les Nations unies. Cette manière de penser préside aux décisions de nos responsables, contre les souhaits constamment exprimés par les peuples européens. A long terme, je pense que ce changement total, cette fragmentation, cette ghettoïsation de notre continent constituent une menace existentielle bien plus grande que le terrorisme.

Vous adoptez un ton particulièrement véhément au sujet de la Suède, pourtant souvent citée en exemple. Pourquoi?

Parce que, en dehors de l'Allemagne, aucun pays en Europe n'a accepté autant de migrants ces dernières années que la Suède. Et personne n'a autant de problèmes. Il n'y a rien à faire pour les Suédois. Plus personne n'a une classe politique aussi ridiculement timide, autocensurée et volontairement aveugle. J'ai fait le tour des banlieues et j'ai vu des quartiers désormais envahis par les crimes, les gangs, les viols et les attaques à la grenade. Presque tous les journalistes sont là pour suivre la ligne du parti et régurgiter les mêmes mensonges. Ils semblent penser que leur travail est de maintenir les mauvaises nouvelles le plus loin possible du public. Donc, comme en Allemagne, le public doit apprendre à lire les nouvelles selon un dispositif de décodage interne, comme on le faisait sous le communisme. Ainsi, lorsqu'un viol est signalé, par exemple, si le nom de l'agresseur n'est pas mentionné, tout le monde sait qu'il s'agit d'un migrant.

Plus largement, vous expliquez la mort de l'Europe par une certaine forme de haine de soi…

Nous n'avons pas eu un beau XXe siècle en Europe, et n'importe qui aurait besoin de temps pour s'en remettre. Personnellement, je suis pour une autocritique robuste, mais je descends du bus quand il est conduit par des gens qui veulent s'anéantir. J'aime l'Europe, et je pense que nous sommes - tout bien considéré - très chanceux. Nous avons produit une culture exceptionnelle et des droits que le monde n'a jamais connus. On me demande parfois si je suis patriote. Selon moi, c'est une mauvaise question. Je ne pense pas aux choses en ces termes. Ce que je ressens, c'est de la gratitude. Je suis reconnaissant pour ce dont nous avons hérité et je sens que je dois le conserver et essayer de le transmettre. Pourtant, des gouvernements aux universités et au-delà, nous sommes dirigés par des gens qui ne veulent pas transmettre ce qui est bon, mais le remplacer.

Certains pensent que la renaissance de l'Europe passera nécessairement par un renouveau du christianisme. Mais l'Eglise est très favorable à l'accueil des migrants…

Il est certain que nous ne pourrons pas conserver ce que nous avons en nous querellant sur nos racines. Et prétendre que le christianisme n'est pas au cœur de ce qui fait de nous l'Europe, c'est faire preuve d'une terrible

«Si la classe politique ne répond pas aux préoccupations des peuples, les extrémistes finiront par l'emporter.»

ignorance. Mais vous avez raison - le comportement de l'Eglise (et pas seulement l'Eglise de Rome, mais aussi les Eglises protestantes d'Europe du Nord) pendant toute cette crise a été très problématique. Certains (en particulier les Eglises protestantes) ont globalement remplacé la croyance en Dieu par la croyance en un activisme social d'extrême gauche. Le Pape a une position qui est insoutenable. Pourtant, je comprends pourquoi il le dit. Et peut-être qu'il remplit l'un des rôles de l'Eglise en le disant. Mais il doit être contredit par les responsables politiques et d'autres, qui doivent dire très clairement: «Nous souhaitons sauver le monde entier. Mais le fait est que nous ne pouvons pas. Et, si nous continuons, non seulement nous ne sauverons jamais Mogadiscio, mais nous pourrions commencer à lui ressembler.»

Diriez-vous que les «populismes» vont aggraver la situation ou, au contraire, qu'ils font partie de la solution?

Les courants politiques dominants continueront à souffrir jusqu'à ce qu'ils s'attaquent enfin aux préoccupations légitimes des peuples européens. Si la classe politique ne répond pas aux préoccupations des peuples, les extrémistes finiront par l'emporter. Comment un citoyen européen peut-il exprimer ses inquiétudes quant à la direction que prend sa société? Quelle que soit sa manière, et surtout s'il n'a pas un doctorat, on le traitera de raciste et de xénophobe. Et, s'il vote pour le «mauvais» parti, il sera rejeté comme «populiste». Pourtant, le vrai problème est clair: plusieurs générations de dirigeants politiques ont fondamentalement modifié nos sociétés sans le consentement et même contre le souhait des peuples. N'est-il pas temps de commencer à y faire face et à y remédier plutôt que d'inventer de nouvelles façons d'insulter le peuple?

Que révèle la troisième victoire consécutive d'Orbán?

Beaucoup de gens critiquent Viktor Orbán. Pourtant, la question est très simple: qui avait raison en 2015? Orbán ou Merkel? Cette dernière a été punie par son électorat et a maintenant l'AfD comme principal parti d'opposition. Le refus d'Orbán de souscrire à l'effondrement des frontières européennes et à la suspension de toutes les règles migratoires était, entre autres, le reflet des souhaits de l'immense majorité du peuple hongrois. C'est une arrogance extraordinaire que les politiciens et les commentateurs à travers l'Europe se permettent de réprimander Orbán, lui qui fait la volonté de son peuple. J'ai vu il y a quelques semaines une photo de lui en train de lire l'édition hongroise de mon livre. On m'a dit que cela pourrait dissuader votre Président de lire l'édition française. J'espère que non!

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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Douglas Murray : «Le rejet de l'immigration a été la raison principale du Brexit» (22.06.2017)


Mis à jour le 22/06/2017 à 20h40 | Publié le 22/06/2017 à 19h03
INTERVIEW - Écrivain et journaliste britannique, il publie L'Étrange Mort de l'Europe *, un pamphlet sur l'immigration, actuellement en tête des ventes au Royaume-Uni. Un an après le vote sur la sortie de l'Europe, il revient sur les raisons du « Leave ».

LE FIGARO. - Dans votre dernier ouvrage, intitulé L'Étrange Mort de l'Europe, vous dites que l'immigration massive et débridée provoque le suicide de notre continent. Pensez-vous que le rejet de cette immigration a été la principale cause du vote en faveur du Brexit il y a un an?

Douglas MURRAY. - Absolument. C'était l'une des raisons majeures, sinon la principale, pour laquelle les Britanniques ont voté «Leave». La libre circulation des personnes au sein de l'Europe a beaucoup d'avantages pour les Européens. Mais cette libre circulation, combinée avec la décision d'Angela Merkel (et consorts) d'ouvrir les frontières du Vieux Continent au monde entier, est une idée dangereuse. Je pense qu'il est inconséquent de continuer de s'attacher à des personnes et des organisations qui prennent d'aussi mauvaises décisions: nous sommes largement capables de le faire par nous-mêmes! Alors oui, je pense que le Brexit s'explique par un fort refus de la part des Britanniques de continuer de placer leur avenir, leur politique migratoire et leur sécurité dans les mains de tels irresponsables.

Pensez-vous que fermer les frontières ou quitter l'UE soit la bonne solution pour bloquer l'immigration? N'est-il pas trop tard?

«Le plus urgent est de ralentir massivement ces flux incontrôlables de migrants et de faire de notre mieux pour intégrer ceux qui sont déjà là»

À ce jour, il est déjà très tard. Peut-être trop. Mais si les frontières extérieures de l'Europe sont rétablies et qu'une régulation efficace de l'immigration est mise en place (j'évoque pour cela plusieurs idées dans mon livre), alors nous pourrions faire ce qui doit être fait, et les choses iraient au moins un peu mieux. Le plus urgent est de ralentir massivement ces flux incontrôlables de migrants et de faire de notre mieux pour intégrer ceux qui sont déjà là. Mais ce sera le travail (peut-être déjà voué à l'échec) des générations à venir.

Concernant les frontières, ce qui est arrivé en novembre 2015 à Paris devrait avoir rappelé à tous que la mise en place d'un système efficace de frontières intérieures et extérieures sur notre continent ne constitue pas une paranoïa identitaire mais le point de départ élémentaire pour une politique de sécurité responsable. Seuls des idéologues comme Juncker refusent que notre continent soit autorisé à se défendre lui-même et font de l'existence de frontières une position extrémiste, alors qu'il s'agit de la plus élémentaire base de la politique.

Le Royaume-Uni est une nation insulaire, vous ne faites pas partie de l'espace Schengen et vous continuez cependant à subir de violentes attaques. Les frontières peuvent-elles réellement protéger les populations?

«Si l'on décidait de mettre davantage de barrières aux frontières, on n'aurait peut-être pas besoin d'en ériger autant au cœur de notre capitale, autour des monuments»

Gérer ses frontières pour une île telle que la nôtre est effectivement plus simple, et ne pas rejoindre Schengen était une sage décision. Et pourtant, c'est vrai, nos frontières demeurent poreuses. Quoi qu'il en soit, le rétablissement des frontières ne saurait être l'unique solution. Une politique migratoire raisonnable et une stratégie d'intégration efficace sont tout aussi nécessaires. Mais les frontières ont leur importance. Comme l'a récemment fait remarquer Mark Steyn, chaque pont ou bâtiment important de Londres est désormais protégé par des barrières métalliques infranchissables pour les véhicules. Si l'on décidait de mettre davantage de barrières aux frontières, on n'aurait peut-être pas besoin d'en ériger autant au cœur de notre capitale, autour des monuments.

Vous prophétisez la mort de l'Europe telle que nous l'avons connue jusqu'ici .Avez-vous encore de l'espoir?

Je pense que nous avons mis une sacrée pagaille. Quiconque souhaite entrer en Europe, entre sans conditions. Nous avons essayé de faire du foyer des Européens le foyer du monde entier. C'est une délicate attention pour le monde, mais ça laisse les peuples d'Europe sans repères, dans un territoire qui risque d'être profondément divisé et de devenir dangereux dans les années à venir. L'immigration a bien sûr ses bons côtés, mais en accueillant le monde entier, on accueille aussi les problèmes du monde entier. L'avenir nous dira quelles seront les conséquences de ces choix en matière d'immigration.

En France, après les attaques terroristes, certains intellectuels ont vanté le modèle multiculturaliste et attribué l'échec de l'intégration à la laïcité à la française. On constate cependant l'échec du multiculturalisme au Royaume-Uni. Quelle est alors la bonne solution?

Depuis quelques années, on a pu constater un fascinant échec des «modèles». Certains ont dit durant plusieurs décennies que le «modèle français» était la solution. Ensuite, on a loué le «modèle britannique», mais nous avons subi des émeutes et des attaques. Le «modèle suédois» a eu son heure de gloire, maintenant achevée. Le problème n'est pas dans les légères différences dans les réponses apportées. Le problème, c'est le problème! C'est le simple fait qu'il est inconséquent de faire entrer sans conditions des millions de personnes de cultures très différentes sur notre territoire. Je pense que la France a admirablement et courageusement géré cette période (un élément que je soulève souvent face à des audiences anglophones et pas seulement pour Le Figaro). Il est possible que l'islam soit un morceau que l'Europe ne puisse digérer. Mais alors, c'est l'islam qui est en cause et non l'Europe.

Un an après le Brexit, comment qualifieriez-vous l'atmosphère au Royaume-Uni? Le patriotisme est-il plus fort que jamais ou y a-t-il au contraire une forme de déprime nationale?

Le pays était très divisé juste après le vote, il y avait une forme d'état de choc. Et puis nous nous sommes faits à l'idée. Mais, ensuite, le pari de Theresa May de lancer les négociations du Brexit sans majorité, s'est révélé être un véritable hara-kiri et nous sommes aujourd'hui dans une situation indescriptible. Je pense que la plupart des gens espèrent encore un renversement de situation rapide. Il est probable que nous devenions désormais coutumiers du fait…

Texte traduit par Vianney Passot

*The Strange Death of Europe: Immigration, Identity, Islam, Bloomsbury Continuum, 2017.

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Nicolas Baverez : «Au Royaume-Uni, les ravages du populisme» (11.06.2017)

Nicolas Baverez. - Crédits photo : ERIC GARAULT/Le Figaro Magazine


Publié le 11/06/2017 à 17h14

CHRONIQUE - Theresa May, en décidant d'organiser par surprise des élections anticipées, a délibérément ignoré les leçons des récents scrutins qui témoignent de la volatilité de l'opinion et de la révolte des citoyens.
Les démagogues font d'autant mieux leurs affaires qu'ils ont jeté leur pays dans la discorde», soulignait Ésope. Mais les populistes eux-mêmes ne sont pas épargnés par les chocs en retour que suscitent leurs promesses irréelles et les passions qu'ils déchaînent. Ainsi, tout comme David Cameron, Theresa May s'est carbonisée en jouant avec le feu. Le premier a déclenché le Brexit en voulant reprendre le contrôle du Parti conservateur. La seconde qui comptait profiter de la faiblesse de l'opposition pour fonder un leadership fort et stable se retrouve avec une légitimité effondrée et une majorité très relative qui dépend des unionistes d'Irlande du Nord.

May sort du scrutin pour ce qu'elle est : un leader faible sans projet ni programme cohérents.

May, en décidant d'organiser par surprise des élections anticipées, a délibérément ignoré les leçons des récents scrutins dans les pays développés qui témoignent de la volatilité de l'opinion et de la révolte des citoyens. Elle s'est trompée de campagne en se concentrant sur le Brexit que les Britanniques considèrent comme acquis et en négligeant les questions liées aux revenus, aux retraites et à la sécurité. Elle a estimé qu'elle avait élection gagnée en refusant de participer au débat télévisé et en limitant les réunions publiques. Elle a développé un populisme anglican et un conservatisme rouge et brun, mêlant l'étatisme, la critique de l'économie de marché et la dénonciation de l'immigration, qui a fait le jeu de l'extrémisme de Jeremy Corbyn. Celui-ci, en dépit d'un programme radical associant renationalisations, envol des dépenses publiques et des impôts, indifférence pour la sécurité et les libertés publiques, a ainsi été plébiscité par jeunes et salariés.

Ces élections sont un banc d'essai du populisme dont elles démontrent les ravages. May sort du scrutin pour ce qu'elle est: un leader faible sans projet ni programme cohérents. Les contradictions du conservatisme rouge apparaissent: choix du grand large tout en restaurant les frontières et en réduisant l'immigration des deux tiers, dumping fiscal et social tout en renforçant l'État-providence, choix d'un Brexit dur tout en s'enfermant dans le déni sur ses conséquences, alignement sur les États-Unis au moment où leur leadership s'effondre, rupture avec l'Europe au moment où elle se relance. La fragilité du leadership de May et de sa majorité relative réduit fortement la possibilité d'un accord sur le Brexit d'ici à 2019.

La violence du retournement est inouïe, témoignant de la puissance dévastatrice des passions politiques.

L'évolution du Royaume-Uni souligne la fragilité des démocraties face au populisme qui constitue la pire des menaces pour la liberté. La violence du retournement est inouïe, témoignant de la puissance dévastatrice des passions politiques. Au début de 2016, le Royaume-Uni connaissait une réussite exceptionnelle. La croissance évoluait entre 2,5 et 2,8 % par an. Le plein-emploi était rétabli. La forte réduction du déficit public laissait envisager le retour à l'équilibre budgétaire pour 2020. La domination écrasante de la City sur la finance européenne allait de pair avec le dynamisme retrouvé de l'industrie, de l'immobilier et du tourisme. Dix-huit mois ont suffi pour annihiler les acquis de 17 années de redressement. La croissance a chuté pour se limiter à 1 % en 2018 contre 1,8 % dans la zone euro et 2 % en Allemagne. L'inflation tend vers 3 % par an, laminant les salaires réels. La dévaluation de plus de 15 % de la livre a stimulé dans un premier temps l'économie mais au prix de l'amputation des patrimoines et des revenus. Les entreprises s'apprêtent à être coupées de leurs marchés et à voir détruites les chaînes de valeur intégrées avec le continent. Capitaux internationaux, talents et cerveaux commencent à se détourner. Le Royaume-Uni se découvre vulnérable face à la terreur djihadiste qui n'a aucun lien avec l'immigration européenne et vis-à-vis de laquelle la coordination des stratégies de sécurité avec celle de l'Europe est impérative.

Dix-huit mois ont suffi pour annihiler les acquis de 17 années de redressement.
Le Royaume-Uni tourne le dos à tout ce qui a permis sa modernisation depuis 1979: économie de marché, concurrence, société ouverte, sur fond de séquelles du krach de 2008, de polarisation sociale et territoriale, de perte de confiance dans les institutions et la classe politique, de haine des élites. L'embardée populiste refait du Royaume-Uni une île que les passions nationalistes et xénophobes coupent de l'Union comme du monde du XXIe siècle. Elle a pour résultat paradoxal de ressouder l'Union européenne et de faire prendre conscience à ses citoyens de l'ampleur des acquis de l'intégration du continent. Face à la faillite politique et morale du monde anglo-saxon, c'est à l'Europe de combattre le fléau populiste et de reprendre le flambeau de la liberté.

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