dimanche 8 décembre 2019

Le désastre de l'école

Fab@52Fabienne
Lorsqu'en 1980, un inspecteur, pendant l'année de stage, nous a dit qu'il ne fallait plus faire de cours de grammaire, trop ennuyeux, mais seulement des "flashes", j'ai compris. On me demandait de ne plus faire ce pour quoi j'avais choisi ce métier : transmettre ce que je savais.

Eirwen Terra Corsa : 
Allemand au lycée début 1990 en Flandre : de la grammaire à n'en plus finir + vocabulaire.
Cours d'allemand en France 2019 : enseignement "ludique" quasi plus de grammaire. Les enfants ont du mal à construire des phrases.


Michea cite dans son livre L'Enseignement de l'ignorance une anecdote qui montre parfaitement que cette destruction de l'enseignement dans les pays occidentaux est voulu et planifié au plus haut niveau.

en septembre 1995, - sous l'égide de la fondation Gorbatchev - « cinq cents hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premier plan (29) », constituant à leurs propres yeux l'élite du monde, durent se réunir à l'Hôtel Fairmont de San Francisco pour confronter leurs vues sur le destin de la nouvelle civilisation. Étant donné son objet, ce forum était naturellement placé sous le signe de l'efficacité la plus stricte : « Des règles rigoureuses forcent tous les participants à oublier la rhétorique. Les conférenciers disposent tout juste de cinq minutes pour introduire un sujet : aucune intervention lors des débats ne doit durer plus de deux minutes (30) ». Ces principes de travail une fois définis, l'assemblée commença par reconnaître - comme une évidence qui ne mérite pas d'être discutée - que « dans le siècle à venir, deux-dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale ». Sur des bases aussi franches, le principal problème politique que le système capitaliste allait devoir affronter au cours des prochaines décennies put donc être formulé dans toute sa rigueur : comment serait-il possible, pour l'élite mondiale, de maintenir la gouvernabilité des quatre-vingts pour cent d'humanité surnuméraire, dont l'inutilité a été programmée par la logique libérale ! 



  La solution qui, au terme du débat, s'imposa, comme la plus raisonnable, fut celle proposée par Zbigniew Brzezinski (31) sous le nom de tittytainment. Par ce mot-valise (32), il s'agissait tout simplement de définir un « cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète ». Cette analyse, cynique et méprisante (33), a évidemment l'avantage de définir, avec toute la clarté souhaitable, le cahier des charges que les élites mondiales assignent à l'école du XXIème siècle. C'est pourquoi il est possible, en se fondant sur elle, de déduire, avec un risque limité d'erreur, les formes a priori de toute réforme qui serait destinée à reconfigurer l'appareil éducatif selon les seuls intérêts politiques et financiers du Capital. Prêtons-nous un instant à ce jeu.



   Tout d'abord, il est évident qu'un tel système devra conserver un secteur d'excellence, destiné à former, au plus haut niveau, les différentes élites scientifiques, techniciennes et managériales qui seront de plus en plus nécessaires à mesure que la guerre économique mondiale deviendra plus dure et plus impitoyable.  Ces pôles d'excellence - aux conditions d'accès forcément très sélectives devront continuer à transmettre de façon sérieuse (c'est-à-dire probablement, quant à l'essentiel, sur le modèle de l'école classique (34) non seulement des savoirs sophistiqués et créatifs, mais également (quelles que soient, ici ou là, les réticences positivistes de tel ou tel défenseur du système) ce minimum de culture et d'esprit critique sans lequel l'acquisition et la maîtrise effective de ces savoirs n'ont aucun sens ni, surtout, aucune utilité véritable.



  Pour les compétences techniques moyennes - celles dont la Commission européenne estime qu'elles ont « une demi-vie de dix ans, le capital intellectuel se dépréciant de 7 % par an, tout en s'accompagnant d'une réduction correspondante de l'efficacité de la main d'œuvre (35) » - le problème est assez différent. Il s'agit, en somme, de savoirs jetables - aussi jetables que les humains qui en sont le support provisoire - dans la mesure où, s'appuyant sur des compétences plus routinières, et adaptés à un contexte technologique précis, ils cessent d'être opérationnels sitôt que ce contexte est lui-même dépassé. Or, depuis la révolution informatique, ce sont là des propriétés qui, d'un point de vue capitaliste, ne présentent plus que des avantages. Un savoir utilitaire et de nature essentiellement algorithmique - c'est-à-dire qui ne fait pas appel de façon décisive à l'autonomie et à la créativité de ceux qui l'utilisent - est en effet un savoir qui, à la limite (36), peut désormais être appris seul, c'est-à-dire chez soi, sur un ordinateur et avec le didacticiel correspondant. En généralisant, pour les compétences intermédiaires, la pratique de l'enseignement multimédia à distance, la classe dominante pourra donc faire d'une pierre deux coups. D'un côté, les grandes firmes (Olivetti, Philips, Siemens, Ericsson etc.) seront appelées à « vendre leurs produits sur le marché de l'enseignement continu que régissent les lois de l'offre et de la demande (37) ». De l'autre, des dizaines de milliers d'enseignants (et on sait que leur financement représente la part principale des dépenses de l'éducation nationale) deviendront parfaitement inutiles et pourront donc être licenciés, ce qui permettra aux Etats d'investir la masse salariale économisée dans des opérations plus profitables pour les grandes firmes internationales.



   Restent enfin, bien sûr, les plus nombreux, ceux qui sont destinés par le système à demeurer inemployés (ou à être employés de façon précaire et flexible, par exemple dans les différents emplois MacDo) en partie parce que, selon les termes choisis de l'OCDE (38), « ils ne constitueront jamais un marché rentable » et que leur « exclusion de la société s'accentuera à mesure que d'autres vont continuer à progresser ». C'est là que le tittytainment devra trouver son terrain d'élection. Il est clair, en effet, que la transmission coûteuse de savoirs réels - et, a fortiori, critiques -, tout comme l'apprentissage des comportements civiques élémentaires ou même, tout simplement, l'encouragement à la droiture et à l'honnêteté, n'offrent ici aucun intérêt pour le système, et peuvent même représenter, dans certaines circonstances politiques, une menace pour sa sécurité. C'est évidemment pour cette école du grand nombre que l'ignorance devra être enseignée de toutes les façons concevables. Or c'est là une activité qui ne va pas de soi (39), et pour laquelle les enseignants traditionnels ont jusqu'ici, malgré certains progrès, été assez mal formés. L'enseignement de l'ignorance impliquera donc nécessairement qu'on rééduque ces derniers, c'est-à-dire qu'on les oblige à « travailler autrement », sous le despotisme éclairé d'une armée puissante et bien organisée d'experts en « sciences de l'éducation ». La tâche fondamentale de ces experts sera, bien entendu, de définir et d'imposer (par tous les moyens dont dispose une institution hiérarchisée pour s'assurer la soumission de ceux qui en dépendent) les conditions pédagogiques et matérielles de ce que Debord appelait la « dissolution de la logique (40) » : autrement dit « la perte de la possibilité de reconnaître instantanément ce qui est important et ce qui est mineur ou hors de la question ; ce qui est incompatible ou, inversement, pourrait bien être complémentaire; tout ce qu'implique telle conséquence et ce que, du même coup, elle interdit ». Un élève ainsi dressé, ajoute Debord, se trouvera placé « d'entrée de jeu, au service de l'ordre établi, alors que son intention a pu être complètement contraire à ce résultat. Il saura pour l'essentiel le langage du spectacle, car c'est le seul qui lui est familier : celui dans lequel on lui a appris à parler. Il voudra sans doute se montrer ennemi de sa rhétorique : mais il emploiera sa syntaxe (41) ».



Le déclin de l’école et comment y remédier

Notre système d'éducation autrefois nous était envié dans le monde entier. On peut dire que des années 1880 aux années 1960 il n’a pas trop changé.

C’était le meilleur du monde. C’était un modèle dans le monde entier.

Mais il a été complètement détruit et c’est peut-être même pour cela qu’il a été détruit.

Bien sûr, ce déclin s’est fait très progressivement depuis les années 1940, tellement progressivement que le système était encore dans un relativement bon état dans les années 1980, il restait encore suffisamment performant pour que la majorité du public ne tique pas trop, c’était toujours un des meilleurs du monde.

Cependant, il faut savoir que ce déclin avait bel et bien commencé et depuis longtemps, je vous l’ai dit, dès les années 1940, on a des premiers signes comme la fermeture des écoles primaires supérieures par le régime de Vichy.

Certains lanceurs d’alerte sonnaient l’alarme dès les années 70 et encore plus dans les années 80 : Jacqueline de Romilly, Jean-Claude Milner…

La Fabrique du Crétin de Brighelli date de 2005, mais il ne faut absolument pas considérer que c’était le premier à critiquer la baisse de niveau, il n’était à l’époque que le dernier en date d’une très très longue série d’ouvrages chroniquant le désastre de l’éducation nationale.

Et aujourd’hui, la situation de l’éducation nationale a encore empiré.

Les compétences en français, en mathématiques et en sciences des Français telles que mesurées par les tests internationaux - pourtant pas très exigeants - ne cessent de baisser par rapport aux autres pays.

À l’intérieur de la France, sans comparer aux autres pays, les mesures effectuées tous les dix ans avec les mêmes exercices montrent qu’en français et en maths, c’est la chute libre.

Le nombre d’illettrés augmente, le nombre de personnes ayant des problèmes de compréhension de lecture augmente.

Le nombre de personnes ne sachant pas formuler un raisonnement un peu complexe, ni même construire de simples phrases syntaxiquement correctes augmente.

Il devient de plus en plus difficile aux gens de manier leur langue avec aisance et précision, de se rappeler - s’ils les ont jamais appris - les faits fondamentaux de l'histoire de leur pays, de faire des déductions logiques, de comprendre des textes écrits autres que rudimentaires.

La guerre a été déclarée sur nos esprits, sur nos cerveaux.
C’est un génocide intellectuel du peuple français.
Et ce génocide est généralisé à tout le monde occidental, il ne faut pas croire que c’est propre à la France.

Que faire pour nos enfants, nos petits-enfants, nos neveux, nos nièces ?
Conseils pratiques

1) Approfondir la connaissance de l’histoire du système éducatif
Je vous invite déjà à approfondir ce sujet en allant lire quelques articles sur les blogs Manuels anciens ou école : références.
Plus on maîtrise la connaissance des causes d’un phénomène, plus facilement on peut l’enrayer.
Vous trouverez toute une liste d’articles, de sites, d’auteurs qui traitent de ce sujet de la crise de l’école, de l’éducation avec des analyses approfondies des causes, soit du système en général, soit matière par matière.
Alors il y a des centaines d’articles sur le sujet, il n’y a que l’embarras du choix.

2) Limiter drastiquement la télé, les écrans, les jeux vidéos
Se renseigner sur les dangers de la télévision, des écrans. Lire les bouquins de Michel Desmurget : soit TV Lobotomie soit La Fabrique du crétin digital, soit les deux.
Agir sur la fréquentation des enfants de votre enfant. Le moins de dessins animés, télé, jeux vidéos possibles. Quand il a un certain âge, il faut qu’il se modère lui-même.
Hyperactivité, violence, obésité, baisse du QI, baisse de la mémoire, baisse de l’attention, c’est une cata.

3) Maîtriser l’alimentation, le sommeil
Sommeil : évidemment, il faut que les enfants se couchent tôt pour être en forme physique et mentale.
Alimentation : Dans une émission récente sur Cnews avec Zemmour, il est question des colorants, exhausteurs de goûts, additifs alimentaires qui détraque la santé physique et émotionnelle des enfants en les rendant hyperactifs.  Renseignez-vous sur ce sujet.

4) Utilisez les bonnes méthodes pédagogiques
La bonne méthode est la méthode directe ou méthode explicite. Rendez-vous sur le site Formapex pour des compléments d’information.
Pour la mémoire, la mémorisation, l’apprentissage, deux livres à lire (vous avez des résumés sur internet) :
Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école
Mets-toi ça dans la tête
Ce n’est pas seulement pour les enfants, ça peut aider n’importe qui à améliorer son apprentissage et son intelligence, mais aussi à enseigner aux autres.
Pour la maternelle, l’ouvrage La maternelle du XXIe siècle de Catherine Huby.

5) Utilisez les bons manuels :
Pour la lecture au CP, choisissez un manuel alphabétique plus connu sous le nom de méthode syllabique.
Pour tout le reste du primaire, utilisez soit les manuels de la Librairie des écoles, soit les manuels du GRIP.
Ils sont inspirés des manuels anciens, sont les plus efficaces.
Vous avez aussi des manuels à imprimer sur le blog Bienvenue chez les p’tits de Catherine Huby.
Pour l’école à la maison, je vous conseille le blog Grandir près du châtaignier.

Ou alors procurez-vous de bons manuels anciens ou enfin imprimez les manuels anciens.
Il y a des centaines de manuels anciens que vous pouvez retrouver sur le blog Manuels anciens.
Prenez plutôt ceux des années 50 – 60, jusqu’en 68-69, c’est-à-dire avant les grandes réformes du primaire.

Ils sont plus agréables que des bouquins des années 20 ou 30, mais ne sont pas encore atteints par la baisse de niveau qui suivra la réforme du français, la réforme des maths, la réforme des matières d’éveil du début des années 70.

Ce blog permet de reconstruire la meilleure école du monde en quelques années, il sera utile après la Libération.

6) Choisissez les bons établissements, les bonnes carrières
Réputation de l’établissement, importance de l’immigration afro-musulmane : plus il y a d’immigration afro-musulmane, plus le QI moyen est bas, plus la violence et l’insécurité sont importants.

Pour le choix des métiers, les bonnes écoles à choisir, renseignez-vous. Il faut réussir à conjugueur l’amour de l’enfant pour ces matières ou ce métier avec votre budget mais aussi avec le marché du travail dans ce secteur.


Démocratisation et baisse de niveau

« Oui, mais il y a eu démocratisation, oui, mais avant, beaucoup quittaient l’école à 13 ans, oui mais avant tous les enfants n’allaient pas jusqu’au bac. »
A cela, il faut répondre :
Des milliers et des milliers de bacheliers obtiennent le bac qui font 5 fautes par ligne, qui font des phrases qui ne veulent rien dire, qui ne savent pas construire un raisonnement et n’auraient même pas été présentés au certificat d’études, alors obtenir le certif n’en parlons pas.
Ce diplôme du bac n’avait plus aucune valeur en soi, il ne garde de valeur que relative. Ce qui compte c’est l’établissement où l’on a fait sa scolarité et les notes que l’on obtient dans cet établissement. Les directeurs de classes préparatoires le savent très bien.
Un élève qui a 12 au lycée Henri IV a un meilleur niveau qu’un élève qui a 16 à tel lycée d’Aubervilliers, d’Evry de Bobigny.

Il est bien évident que l'école d'antan était très sélective, ce qui ne veut absolument pas dire que le niveau scolaire des enfants des classes sociales défavorisées était mauvais, mais seulement que la sélection était très élitiste (très peu accédaient au Lycée).
Mais notre "démocratisation" ne change absolument rien à la reproduction des classes privilégiées, la sélection se faisant simplement beaucoup plus tard, après le Baccalauréat.
Cette reproduction des classes privilégiées est même 25 fois plus importante qu’avant l’école démocratique des années 60, qui a pris son réel essor dans les années 68-72 avec des réformes du français, des maths.
Il n'y a plus que 1% de fils d'ouvriers qui intègrent l'École Polytechnique alors qu'en 1950 il y en avait 25%.

La seule vraie différence importante entre hier et aujourd'hui est donc que les enfants des classes défavorisées ne reçoivent JAMAIS un enseignement digne de ce nom.

Le niveau a baissé, c’est une évidence : comparez les programmes des années 60 (juste avant les réformes mortifères) et ceux d’aujourd’hui, comparez les manuels des années 60 et ceux d’aujourd’hui, comparez les cahiers des élèves des années 60 ou avant et ceux d’aujourd’hui.

A partir de là, il faut bien conclure que notre école moderne, plus "démocratique", refuse de mener les enfants d'aujourd'hui à un niveau scolaire simplement décent, sans que la sélection cesse pour autant, quoiqu'elle soit plus difficile à déceler car moins officielle, moins institutionnelle.
Or, dans un pays dont la devise est "Liberté, Egalité, Fraternité", on serait en droit d'exiger que l'école fasse en sorte que tous les enfants sachent lire et écrire, calculer et réfléchir à partir de connaissances solides, ce qui n'est plus du tout le cas aujourd'hui.


Michea, L’enseignement de l’ignorance
Le mouvement qui, depuis trente ans, transforme l'Ecole dans un sens toujours identique, peut maintenant être saisi dans sa triste vérité historique. Sous la double invocation d'une « démocratisation de l'enseignement » - ici un mensonge absolu (27)- et de la « nécessaire adaptation au monde moderne » (ici une demi-vérité), ce qui se met effectivement en place, à travers toutes ces réformes également mauvaises, c'est l'Ecole du Capitalisme total, c'est-à-dire l'une des bases logistiques décisives à partir desquelles les plus grandes firmes transnationales, - une fois achevé, dans ses grandes lignes, le processus de leur restructuration pourront conduire avec toute l'efficacité voulue la guerre économique mondiale du XXIe siècle.

   Si l'on conserve le moindre doute à ce sujet, ou si l'on trouve ces propos exagérés, il suffit - conformément aux recommandations de Machiavel - de se placer un instant au point de vue de l'ennemi et de se demander ce qu'il est condamné à vouloir étant donné ce qu'il est. Ce travail de vérification est heureusement simplifié, du fait que les seigneurs de guerre des Royaumes combattants de l'économie mondiale, avec toutes leurs armées de légistes et de lettrés, sont en permanence contraints de se réunir afin de coordonner leurs stratégies rivales et de veiller à ce que jamais elles ne mettent en péril ce qu'ils appellent si bien la gouvernabilité de ce monde. De là, un certain nombre de rapports, documents, comptes rendus, notes d'information, memoranda ou tout simplement témoignages qui, s'ils ne parviennent généralement jamais à la connaissance du grand public, demeurent encore, du moins pour l'instant, en partie accessibles aux esprits curieux et aux enquêteurs obstinés (28)


   C'est ainsi, par exemple, qu'en septembre 1995, - sous l'égide de la fondation Gorbatchev - « cinq cents hommes politiques, leaders économiques et scientifiques de premier plan (29) », constituant à leurs propres yeux l'élite du monde, durent se réunir à l'Hôtel Fairmont de San Francisco pour confronter leurs vues sur le destin de la nouvelle civilisation. Étant donné son objet, ce forum était naturellement placé sous le signe de l'efficacité la plus stricte : « Des règles rigoureuses forcent tous les participants à oublier la rhétorique. Les conférenciers disposent tout juste de cinq minutes pour introduire un sujet : aucune intervention lors des débats ne doit durer plus de deux minutes (30) ». Ces principes de travail une fois définis, l'assemblée commença par reconnaître - comme une évidence qui ne mérite pas d'être discutée - que « dans le siècle à venir, deux-dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale ». Sur des bases aussi franches, le principal problème politique que le système capitaliste allait devoir affronter au cours des prochaines décennies put donc être formulé dans toute sa rigueur : comment serait-il possible, pour l'élite mondiale, de maintenir la gouvernabilité des quatre-vingts pour cent d'humanité surnuméraire, dont l'inutilité a été programmée par la logique libérale ! 

  La solution qui, au terme du débat, s'imposa, comme la plus raisonnable, fut celle proposée par Zbigniew Brzezinski (31) sous le nom de tittytainment. Par ce mot-valise (32), il s'agissait tout simplement de définir un « cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète ». Cette analyse, cynique et méprisante (33), a évidemment l'avantage de définir, avec toute la clarté souhaitable, le cahier des charges que les élites mondiales assignent à l'école du XXIème siècle. C'est pourquoi il est possible, en se fondant sur elle, de déduire, avec un risque limité d'erreur, les formes a priori de toute réforme qui serait destinée à reconfigurer l'appareil éducatif selon les seuls intérêts politiques et financiers du Capital. Prêtons-nous un instant à ce jeu.

   Tout d'abord, il est évident qu'un tel système devra conserver un secteur d'excellence, destiné à former, au plus haut niveau, les différentes élites scientifiques, techniciennes et managériales qui seront de plus en plus nécessaires à mesure que la guerre économique mondiale deviendra plus dure et plus impitoyable.  Ces pôles d'excellence - aux conditions d'accès forcément très sélectives devront continuer à transmettre de façon sérieuse (c'est-à-dire probablement, quant à l'essentiel, sur le modèle de l'école classique (34) non seulement des savoirs sophistiqués et créatifs, mais également (quelles que soient, ici ou là, les réticences positivistes de tel ou tel défenseur du système) ce minimum de culture et d'esprit critique sans lequel l'acquisition et la maîtrise effective de ces savoirs n'ont aucun sens ni, surtout, aucune utilité véritable.

  Pour les compétences techniques moyennes - celles dont la Commission européenne estime qu'elles ont « une demi-vie de dix ans, le capital intellectuel se dépréciant de 7 % par an, tout en s'accompagnant d'une réduction correspondante de l'efficacité de la main d'œuvre (35) » - le problème est assez différent. Il s'agit, en somme, de savoirs jetables - aussi jetables que les humains qui en sont le support provisoire - dans la mesure où, s'appuyant sur des compétences plus routinières, et adaptés à un contexte technologique précis, ils cessent d'être opérationnels sitôt que ce contexte est lui-même dépassé. Or, depuis la révolution informatique, ce sont là des propriétés qui, d'un point de vue capitaliste, ne présentent plus que des avantages. Un savoir utilitaire et de nature essentiellement algorithmique - c'est-à-dire qui ne fait pas appel de façon décisive à l'autonomie et à la créativité de ceux qui l'utilisent - est en effet un savoir qui, à la limite (36), peut désormais être appris seul, c'est-à-dire chez soi, sur un ordinateur et avec le didacticiel correspondant. En généralisant, pour les compétences intermédiaires, la pratique de l'enseignement multimédia à distance, la classe dominante pourra donc faire d'une pierre deux coups. D'un côté, les grandes firmes (Olivetti, Philips, Siemens, Ericsson etc.) seront appelées à « vendre leurs produits sur le marché de l'enseignement continu que régissent les lois de l'offre et de la demande (37) ». De l'autre, des dizaines de milliers d'enseignants (et on sait que leur financement représente la part principale des dépenses de l'éducation nationale) deviendront parfaitement inutiles et pourront donc être licenciés, ce qui permettra aux Etats d'investir la masse salariale économisée dans des opérations plus profitables pour les grandes firmes internationales.

   Restent enfin, bien sûr, les plus nombreux, ceux qui sont destinés par le système à demeurer inemployés (ou à être employés de façon précaire et flexible, par exemple dans les différents emplois MacDo) en partie parce que, selon les termes choisis de l'OCDE (38), « ils ne constitueront jamais un marché rentable » et que leur « exclusion de la société s'accentuera à mesure que d'autres vont continuer à progresser ». C'est là que le tittytainment devra trouver son terrain d'élection. Il est clair, en effet, que la transmission coûteuse de savoirs réels - et, a fortiori, critiques -, tout comme l'apprentissage des comportements civiques élémentaires ou même, tout simplement, l'encouragement à la droiture et à l'honnêteté, n'offrent ici aucun intérêt pour le système, et peuvent même représenter, dans certaines circonstances politiques, une menace pour sa sécurité. C'est évidemment pour cette école du grand nombre que l'ignorance devra être enseignée de toutes les façons concevables. Or c'est là une activité qui ne va pas de soi (39), et pour laquelle les enseignants traditionnels ont jusqu'ici, malgré certains progrès, été assez mal formés. L'enseignement de l'ignorance impliquera donc nécessairement qu'on rééduque ces derniers, c'est-à-dire qu'on les oblige à « travailler autrement », sous le despotisme éclairé d'une armée puissante et bien organisée d'experts en « sciences de l'éducation ». La tâche fondamentale de ces experts sera, bien entendu, de définir et d'imposer (par tous les moyens dont dispose une institution hiérarchisée pour s'assurer la soumission de ceux qui en dépendent) les conditions pédagogiques et matérielles de ce que Debord appelait la « dissolution de la logique (40) » : autrement dit « la perte de la possibilité de reconnaître instantanément ce qui est important et ce qui est mineur ou hors de la question ; ce qui est incompatible ou, inversement, pourrait bien être complémentaire; tout ce qu'implique telle conséquence et ce que, du même coup, elle interdit ». Un élève ainsi dressé, ajoute Debord, se trouvera placé « d'entrée de jeu, au service de l'ordre établi, alors que son intention a pu être complètement contraire à ce résultat. Il saura pour l'essentiel le langage du spectacle, car c'est le seul qui lui est familier : celui dans lequel on lui a appris à parler. Il voudra sans doute se montrer ennemi de sa rhétorique : mais il emploiera sa syntaxe (41) ».

  Quant à l'élimination de toute "common decency", c'est-à-dire à la nécessité de transformer l'élève en consommateur incivil et, au besoin, violent, c'est une tâche qui pose infiniment moins de problèmes. Il suffit ici d'interdire toute instruction civique effective et de la remplacer par une forme quelconque d'éducation citoyenne (42), bouillie conceptuelle d'autant plus facile à répandre qu'elle ne fera, en somme, que redoubler le discours dominant des médias et du showbiz; on pourra de la sorte fabriquer en série des consommateurs de droit, intolérants, procéduriers et politiquement corrects, qui seront, par là même, aisément manipulables tout en présentant l'avantage non négligeable de pouvoir enrichir à l'occasion, selon l'exemple américain, les grands cabinets d'avocats.

   Naturellement, les objectifs ainsi assignés à ce qui restera de l'Ecole publique supposent, à plus ou moins long terme, une double transformation décisive. D'une part celle des enseignants, qui devront abandonner leur statut actuel de sujets supposés savoir afin d'endosser celui d'animateurs de différentes activités d'éveil ou transversales, de sorties pédagogiques ou de forums de discussion (conçus, cela va de soi, sur le modèle des talk-shows télévisés); animateurs qui seront préposés, par ailleurs, afin d'en rentabiliser l'usage, à diverses tâches matérielles ou d'accompagnement psychologique. D'autre part, celle de l'Ecole en lieu de vie, démocratique et joyeux, à la fois garderie citoyenne - dont l'animation des fêtes (anniversaire de l'abolition de l'esclavage, naissance de Victor Hugo, Halloween...) pourra avec profit être confiée aux associations de parents les plus désireuses de s'impliquer - et espace libéralement ouvert à tous les représentants de la cité (militants associatifs, militaires en retraite, chefs d'entreprise, jongleurs ou cracheurs de feu, etc.) comme à toutes les marchandises technologiques ou culturelles que les grandes firmes, devenues désormais partenaires explicites de « l'acte éducatif», jugeront excellent de vendre aux différents participants. Je pense qu'on aura également l'idée de placer, à l'entrée de ce grand parc d'attractions scolaires, quelques dispositifs électroniques très simples, chargés de détecter l'éventuelle présence d'objets métalliques.

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