lundi 2 décembre 2019

Michel Onfray : le FLN a diabolisé la France depuis 50 ans avec la complicité des politiques français


Michel Onfray de retour de la Réunion :

Je me demandais alors: pourquoi l’islam ne pose t-il ici aucun problème ? Pour quelles raisons montre-t-il même la voie de ce que pourrait être, non pas un accommodement raisonnable, une terrible expression pour une plus terrible chose encore, mais un compagnonnage républicain?


 Le Coran d’ici, je parle de la Réunion, est pourtant le même que celui des banlieues françaises: un même texte disant les mêmes choses peut donc être lu de façons diamétralement opposées. Les uns y trouvent matière à justifier qu’un évêque puisse décorer un imam de la Légion d’honneur à Saint-Denis de la Réunion, et c’est heureux,  pendant que les autres y revendiquent de quoi légitimer l’égorgement du vieux père Hamel dans son église normande de Saint-Etienne-du-Rouvray, et c’est terrible!

L’islam réunionnais procède historiquement d’une émigration indienne -de la province du Gujarat pour être plus précis. Une seconde vague est venue plus tard des Comores et de Mayotte. Or, l’islam c’est le Coran, ce sont les hadiths du Prophète, ce sont les enseignements donnés par la vie de Mahomet, bien sûr.

Mais c’est aussi, en dehors de ce contexte purement religieux, une affaire d’histoire, en l’occurrence, une affaire d’histoires vécues par les musulmans ou leurs ancêtres dans les pays dont ils sont venus. Il n’y eut aucun contentieux historique entre le Gujarat et l’empire colonial français, il n’y en a aucun entre les descendants des gujaratis installés à Saint-Denis et le pouvoir administratif français. Tout se passe donc très bien car il n’existe pas de passé qui soit un passif.

En revanche, on ne peut pas en dire autant avec l’islam en métropole. Car il se montre majoritairement maghrébin et, de ce fait, entaché d’un passé pensé comme un passif. Ce passé c’est bien évidemment celui de la guerre d’Algérie dont j’ai pu m’apercevoir, lors d’un voyage que je fis à Alger puis à Tipasa sur les traces d’Albert Camus en 2012, qu’il était savamment entretenu comme un présent polémique par le pouvoir en place.

Il suffisait de regarder les informations télévisées en langue française pour se rendre compte, avec sidération, que les choses étaient présentées comme si la guerre n’était pas terminée depuis un demi siècle! Le discours tenu par le pouvoir sur la France et les Français relevait de la plus pure propagande du FLN des années 50! Un demi-siècle d’indépendance nationale n’avait pas suffi au pays pour qu’il se rende compte que le colonialisme était terminé, la colonisation abolie, la guerre finie, la domination passée d’actualité et les soldats du contingent français rentrés chez eux, dont beaucoup dans un cercueil …

On peut imaginer que les jeunes descendants des Algériens venus travailler en France il y a une ou deux générations, privés de références historiques et nourris aux discours hystériques des télévisions relayées par les paraboles, sinon gavés par certains imams radicaux incultes, puissent penser la France comme un pays qui, de toute éternité, s’avère celui du colonialisme.

Il est vrai que les gouvernements français font assaut de révérence à ces références hystériques. Soit par électoralisme, soit en vertu du cynisme d’une realpolitik qui fait échanger du pétrole et du gaz contre le maintient de cette mythologie utile au pays pour qu’il gouverne non pas selon l’ordre de la raison mais selon celui des fictions et des légendes. Or, cette mythologie est peut-être utile au pouvoir en place en Algérie, mais il est d’une dangerosité mortelle pour la France qui passe pour une éternelle traînée marquée par l’infamie du temps colonial. Il y a peu, Emmanuel Macron répandait ce genre de poudre lui aussi sans retenue. Il est vrai qu’il était en campagne présidentielle, il y avait des voix à gagner à gauche et dans les banlieues …

Si la télévision du pouvoir algérien avait eu raison de présenter la France comme le pays avec lequel le FLN (le parti toujours au pouvoir, faut-il le rappeler?) se trouve toujours en guerre, pourquoi dès lors le chef de ce parti, je veux parler du président Bouteflika, se faisait-il soigner en catimini depuis des années dans les hôpitaux militaires français -Invalides et Val-de-Grâce en l’occurrence? Imagine-t-on le général de Gaulle soignant un cancer dans un hôpital du Berlin national-socialiste en 1943? Cinquante années ne suffisent-elles pas pour construire en Algérie des hôpitaux dans lesquels le chef de l’Etat pourrait-être soigné correctement? L’argent de la manne pétrolière le permettrait, pourquoi dès lors n’y en a-t-il pas? La faute au colonialisme français de 1830?

On comprend, dans cette configuration de guerre civile entretenue de part et d’autre de la méditerranée, de quelle manière l’islam peut devenir un enjeu majeur pour continuer à mener cette guerre pourtant finie. Car cette religion fut utilisée en son temps par le FLN pour justifier et légitimer sa lutte contre l’Etat et le gouvernement français -notoirement catholique. Le 1er novembre 1954, dans son Appel au peuple Algérien, le FLN invite à "La restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques".

Depuis les accords d’Evian, en 1962, pour qui l’aurait oublié, la guerre est terminée, la France a quitté l’Algérie et l’Algérie est devenue un pays indépendant. C’est même un pays qui totalise à cette heure un demi-siècle d’indépendance. Qu’a-t-il fait de ces cinq décennies? C’est une question à laquelle les algériens doivent répondre.

Ces temps-ci, le grand peuple algérien descend dans la rue pour demander des comptes à ce pouvoir qui a exploité jusqu’à la corde une image de la France qui n’est plus d’actualité depuis bien longtemps mais que nos gouvernants entretiennent pourtant depuis des décennies de façon mortifère pour le pays dont ils président aux destinées. Bravo à ce peuple pour son Harak! Qu’en France on active la même logique!

Le cynisme des gouvernants a instrumentalisé l’islam: celui du FLN combattant pour l’indépendance dès 1954; celui du FLN parvenu au pouvoir dont la Charte nationale algérienne qui sert de base à la rédaction de la constitution de 1976 qui précise dans son article 19 que l’islam fournit la morale du pays; celui du FLN depuis 1962 jusqu’à ce jour. Mais c’est aussi celui des gouvernements français depuis l’après de Gaulle, car ils n’ont cessé de remplir le calice qu’ils font boire au peuple français jusqu’à la lie.

L’islam, on le voit, se trouve au centre d’un contentieux entretenu par les pouvoirs en place contre les peuples, le peuple algérien et le peuple français. C’est cet islam-là, politicard, qu’il faut déconstruire.

Michel Onfray

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