samedi 7 avril 2018

Olivier Galland, Anne Muxel, La Tentation radicale, 2018

Jeunes musulmans: les « discriminations » n’expliquent pas la « radicalisation » (15.05.2018)
Le discours excusiste se heurte à l'étude des sociologues Galland et Muxel

 - 15 mai 2018
Le rappeur Médine Zaouiche prétend que les musulmans sont systématiquement victimes de disciminations. Ici lors d'un concert à Paris, mai 2017. SIPA. 00816698_000001

L’étude des sociologues Olivier Galland et Anne Muxel révèle, entre autres, que la grosse minorité de jeunes musulmans qui cède aux sirènes de l’absolutisme religieux ne souffre pas d’inégalités sociales criantes. Mais le rejet des valeurs dominantes ne se borne pas aux frontières de l’islam. Souvent complotiste, toujours individualiste, la génération Z a de quoi inquiéter. 


L’affaire est entendue. Pour les Lyssenko de la sociologie, si une minorité non négligeable (28 %1) des Français musulmans préfère la charia aux lois républicaines, c’est qu’ils sont quotidiennement discriminés. Poussé à ses extrémités, ce raisonnement expliquerait la spirale criminelle dans laquelle sont tombés Mohammed Merah, les frères Kouachi, Abdelhamid Abaaoud et les innombrables membres du bataillon français de Daech.

Soupçonnés d’islamophobie

Élémentaire… mais faux ! Répondant à un appel d’offres lancé par le CNRS après les attentats de novembre 2015, alors qu’il apparaissait qu’on ne savait rien de la sécession d’une partie de la jeunesse, une vaste enquête des sociologues Olivier Galland et Anne Muxel menée auprès d’un échantillon de lycéens fait voler en éclats la vulgate pseudo-marxiste. Synthétisés dans La Tentation radicale (PUF, 2018), les résultats de cette étude obtenus à l’aide de questionnaires anonymes sont on ne peut plus clairs : non seulement « près d’un tiers des musulmans [interrogés] adhèrent à l’absolutisme religieux contre 6 % des chrétiens », mais la radicalisation religieuse ne dépend pas (ou très peu) de facteurs socio-économiques. Au contraire, le discours excusiste se heurte à une triste réalité : la proportion de musulmans « absolutistes » (c’est-à-dire empreints d’une vision à la fois intégriste, expansionniste et politique de l’islam) ne croîtrait pas en fonction du niveau d’exclusion. D’après l’enquête, l’un des moteurs de la radicalisation religieuse serait plutôt un sentiment de discrimination qui s’appuie moins sur des faits objectifs qu’un ressenti éminemment subjectif.


On comprend aisément le scandale provoqué par Galland et Muxel. Sitôt leur livre publié, les procès d’intention ont fusé. Certains mandarins ont critiqué le biais cognitif introduit selon eux par la méthode d’investigation. Certes, le duo de chercheurs commanditaires a volontairement choisi un panel de 6 828 élèves de 2de majoritairement issus des zones d’éducation prioritaire afin de surreprésenter les musulmans et les classes sociales les moins favorisées. Âgés de 14 à 16 ans, les lycéens interrogés étaient néanmoins de toutes origines sociales, ethniques et religieuses. Se défiant de tout a priori islamophobe, Galland et Muxel expliquent leur biais par leur volonté d’analyser les ressorts de la radicalisation religieuse, du reste rarissime chez les chrétiens de l’Hexagone. « Aux États-Unis, on serait tombés sur le phénomène des créationnistes chrétiens », plaident-ils.

Génération « Je crois ce que je ne vois pas »

S’ils mettent en évidence un problème spécifique aux jeunes musulmans, les deux universitaires annoncent en sus toute une série de mauvaises nouvelles. Ils dressent le portrait d’une génération sensible aux sirènes de la violence et du complotisme. Bien au-delà des seuls musulmans (qui sont tout de même 20 % à déclarer qu’il est parfois acceptable de combattre les armes à la main pour sa religion !), une majorité des sondés (!) voit la main de la CIA derrière les attentats du 11 septembre 2001. En outre, ils sont 24 %, toutes religions confondues, à ne pas condamner totalement le massacre de Charlie Hebdo, tandis que plus de sept lycéens sur dix croient que les médias ont dissimulé des éléments sur les attentats de janvier 2015.

Cette litanie de chiffres manifeste un rejet radical des valeurs jusqu’ici majoritaires de notre société. De Mai 68 et de la France qui en est issue, la majorité des jeunes n’a retenu que le culte de l’individu, jetant aux orties la liberté d’expression, le droit au blasphème et à la dérision. Comme le confirment les entretiens post-enquête réalisés par les sociologues au sein des lycées consultés, c’est au nom du sacro-saint « respect » dû aux croyants qu’une bonne partie des lycéens se disent choqués par les caricatures de Mahomet. Railler une religion serait tout aussi malséant que de se moquer des handicapés. Aux yeux de la « génération j’ai le droit » (Barbara Lefebvre), la foi serait un élément constitutif de l’individu, à respecter au même titre que le droit de manger hallal ou vegan à la cantine. Sauf qu’une conception aussi étriquée du respect, primant sur la liberté, voire sur le droit à la vie des caricaturistes, a de quoi déprimer. Saisie par le choc des images, la génération Y conteste et déconstruit sans rien savoir, bricolant sur le net une post-vérité conspirationniste.

Allô Coran bobo…

Avec des taux de croyance et de pratique si élevés qu’ils en confinent à la bigoterie, les lycéens musulmans se distinguent nettement de leurs condisciples chrétiens, athées ou agnostiques. À telle enseigne qu’Olivier Galland discerne une ligne culturelle de partage des eaux entre jeunes musulmans et non musulmans. Quoique ces deux groupes adhèrent aux carabistouilles conspis, leur degré de religiosité les sépare. Signe de la contre-réforme à l’œuvre dans l’islam mondial, la plupart de ses jeunes adeptes français donnent raison au Coran contre le sens commun, préférant une lecture islamique de la science à une lecture scientifique du texte sacré. Cette tendance au « concordisme » (Faouzia Charfi) prétendant que le Coran annonce les découvertes scientifiques modernes a été initiée par les salafistes de la fin du xixe siècle qui entendaient arracher le monopole du progrès technologique à l’Occident. Un gros siècle plus tard, une bonne partie des jeunes musulmans français, aussi sceptique face aux médias que dogmatique devant le Coran, reprend le flambeau, non sans montrer une inquiétante acceptation de la violence. Là se joue l’un des points nodaux de la radicalisation religieuse, étant démontré que la « socialisation à la violence est un facteur prédictif très très fort de la tolérance à la violence religieuse ». Bref, qui tolère les violences contre la police sera plus enclin à approuver les actes terroristes.

Cependant, Olivier Galland et Anne Muxel ne lisent pas dans le marc de café. Ils laissent entières des questions aussi épineuses que le passage à l’acte terroriste. À ce stade, soulevons la question que tout le monde se pose : ces résultats peuvent-ils être extrapolés à l’échelle de la France entière ? Peut-être. C’est en tout cas ce que suggère en grande partie leur étude comparative auprès d’un panel représentatif de jeunes de 15 à 17 ans. On pourrait gloser à l’infini sur les défauts d’une telle entreprise, dont l’un des péchés mignons est d’accréditer la notion fourre-tout de « radicalité politique ». Tantôt avec pertinence – lorsqu’est pris en compte le rapport à la violence –, tantôt avec des partis pris discutables – l’échiquier politique de leurs questionnaires faisant de la tiède Marine Le Pen l’incarnation de la droite la plus extrême.

Cette entreprise a l’immense mérite de tirer la sonnette d’alarme au sujet d’une génération déboussolée. Déchirés par leurs aspirations contradictoires, contraints d’arbitrer entre individualisme et demande d’ordre, nos jeunes ne savent plus où ils habitent. Et des entrepreneurs salafistes leur offrent un nom et une adresse.



A propos
Le 18 novembre 2015, le président du CNRS a lancé à la communauté scientifique un appel à propositions « sur tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences, et ouvrant la voie à des solutions nouvelles – sociales, techniques, numériques. » Plus de 60 projets de recherche ont été retenus (lire à ce sujet l’éditorial de Sandra Laugier). Ce blog a pour objectif de présenter certains de ces travaux en cours.
A la une
Une vaste enquête sur la radicalité chez les lycéens
20.03.2017, par Fabien Trécourt



Les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland ont dévoilé ce matin les premiers résultats d’une étude qu’ils coordonnent auprès de plus de 7 000 lycéens pour mieux comprendre les facteurs d’adhésion des jeunes à la radicalité politique et religieuse.
Vous avez présenté ce matin à la presse les premiers résultats de votre étude sur les jeunes et la radicalité, dont vous aviez déjà donné un aperçu pour la radio du CNRS. En quoi consiste-t-elle ?
Olivier Galland1 : Notre travail s’inscrit dans le cadre de l’appel à projets du président du CNRS sur le terrorisme et les attentats, pour aider les pouvoirs publics à mieux comprendre un ensemble de phénomènes associés à ces événements. Plusieurs travaux se sont penchés sur le processus de radicalisation individuelle : des chercheurs comme Gilles Kepel, Farhad Khosrokhavar ou encore Olivier Roy ont mené des entretiens avec des jeunes radicalisés et analysé leurs parcours. Ces recherches sont passionnantes, mais ne portent que sur des échantillons très limités. Nous avons souhaité développer une approche quantitative, ciblant la jeunesse lycéenne scolarisée en classe de seconde, en diffusant un questionnaire auprès de 7 000 élèves issus de quatre académies – Lille, Créteil, Dijon et Aix-Marseille – et 21 lycées. Il s’agit d’une enquête exploratoire sur la thématique de la radicalité en matière de politique et de religion, jusqu’alors peu couverte par les enquêtes sociologiques classiques sur la jeunesse.

Anne Muxel2 : Étant donné l’importance et le caractère relativement inédit du sujet, notre dispositif d’enquête est rigoureux et diversifié. Trois types d’enquêtes ont été réalisés sur une période de six mois (octobre 2016 - mars 2017) : une enquête quantitative auto-administrée par questionnaire auprès d’un large échantillon de classes de seconde (7 000 lycéens interrogés), une enquête quantitative « témoin » réalisée en ligne par l’institut Opinion Way auprès d’un échantillon représentatif de jeunes âgés de 14 à 16 ans (1 800 jeunes ont été interrogés), et une enquête qualitative comportant des entretiens individuels et des entretiens collectifs réalisés avec des jeunes lycéens des classes de seconde. Mais il ne s’agit pas d’une étude sur le processus de radicalisation. C’est très important de le souligner. Elle ne permet pas de repérer des jeunes radicalisés ou en voie de l’être, mais elle cherche à mesurer le degré d’adhésion à la radicalité au sein de la jeunesse. Cette mesure ne peut aboutir à une lecture binaire de la radicalité car elle fait apparaître toute une gamme d’attitudes allant du rejet de toute forme d’extrémisme, de déviance ou de violence à l’acceptabilité de la violence terroriste. Certains jeunes peuvent comprendre ce type d’action violente et radicale sans y adhérer, d’autres peuvent être séduits par des idées radicales sans jamais passer à l’acte, etc. Il est important d’analyser ces résultats en termes de degrés, et non de façon dichotomique.

Comment définissez-vous la radicalité ?
A. M.  : Pour nous, la radicalité suppose un ensemble d’attitudes ou d’actes marquant la volonté d’une rupture avec le système politique, social, économique, et plus largement avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société. Elle atteint son point le plus extrême lorsqu’elle s’accompagne d’une justification de l’usage de la violence. Nos questions allaient donc de la simple tolérance à l’égard de la triche lors d’un examen jusqu’au fait de prendre les armes pour faire triompher ses idées. Encore une fois, il faut garder à l’esprit que c’est une approche en termes de degrés. Dans le domaine politique par exemple, nous interprétons comme radical le fait de voter pour des partis hors système ou extrémistes, de participer à des actions protestataires comme les grèves ou les manifestations, ou encore de vouloir changer radicalement la société par une action révolutionnaire. Cela ne signifie pas qu’un jeune soit prêt à passer à l’acte, à affronter lui-même directement les forces de l’ordre, à porter atteinte aux biens ou personnes, dans le cadre d’une contestation globale ou d’une stratégie politique de renversement du système.

Manifestation de lycéens et d’étudiants contre la loi travail, à Paris le 31 mars 2016. Selon les chercheurs, l’action de manifester appartient au registre de la radicalité politique, laquelle couvrirait un large éventail de degrés.
© Hugo AYMAR/ HAYTHAM-REA
O. G. : De la même façon, lorsque nous nous sommes intéressés à la question de la radicalité religieuse, nous avons défini celle-ci comme un ensemble d’options pouvant déboucher sur le fondamentalisme, soit une conception littérale et absolue de la religion, devant s’imposer à l’ensemble de la société et marquée notamment par un clair refus d’une séparation entre le religieux et le politique. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un jeune pense plus ou moins cela qu’il recourt systématiquement à la violence. On peut être fondamentaliste ou avoir une conception absolutiste de la religion tout en refusant de partir en guerre contre les autres religions, ou toutes formes culturelles, sociales ou économiques s’opposant à l’instauration d’un régime politique fondé sur les préceptes religieux. Si l’on suit les travaux du sociologue Farhad Khosrokhavar cependant, le terrorisme islamiste témoigne d’une conjonction entre ces deux formes de radicalité : une conception fondamentaliste de la religion d’une part, une légitimation de l’usage de la violence d’autre part ; lorsque ces deux facteurs sont réunis, le risque de radicalisation serait élevé. Cela fait partie des hypothèses que nous avons voulu explorer même si nous n’avions pas les moyens de mesurer le fondamentalisme stricto sensu, puisque notre enquête porte sur l’ensemble de la jeunesse lycéenne. Nous avons néanmoins une mesure de l’absolutisme religieux et de la tolérance à la violence et à la déviance.

Quelles hypothèses avez-vous voulu vérifier pour expliquer l’entrée dans la radicalité ?
O. G. : Si l’on schématise, trois grandes théories sont présentes dans le champ sociologique. La première, centrée sur la radicalité religieuse, et plus précisément sur la lecture radicale de l’islam proposée par certains courants, cherche la genèse de la radicalité au cœur de l’interprétation religieuse elle-même : la dynamique « salafiste » dont parle Gilles Kepel. La seconde est une interprétation en termes de frustration et de victimisation. C’est l’idée que des individus victimes de formes d’exclusion et de discrimination, n’ayant pas les moyens de se réaliser socialement et de s’exprimer politiquement, seraient davantage tentés par des formes de radicalité politique ou religieuse. Farhad Khosrokhavar envisage en ce sens que la délinquance pourrait être une porte d’entrée vers le terrorisme. La troisième explication valorise la dimension identitaire et psychologique. Dans ce cas, les mécanismes économiques et sociaux seraient secondaires ; le principal facteur d’entrée serait un malaise identitaire rendant un individu propice aux identifications radicales ou manichéennes. Les travaux du politologue Olivier Roy ou du psychanalyste Fethi Benslama ont ainsi insisté sur l’identification des jeunes djihadistes à l’Oumma musulmane, pour résoudre des conflits liés à la fragilité de leur sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Ces trois types d’interprétation ne sont d’ailleurs pas exclusifs les uns des autres.

A. M.  : Les travaux sur les engagements politiques extrémistes, ainsi que plusieurs études sur l’attrait du Front national dans la jeunesse, ont établi des mécanismes psychologiques similaires. Disposant d’un large échantillon, nous pouvons travailler sur des segments spécifiques de la jeunesse. C’est le grand intérêt de cette étude. Nous pouvons mener des analyses fines au sein de notre population lycéenne permettant d’identifier les facteurs contextuels, sociaux, culturels, économiques, scolaires mais aussi personnels, qui peuvent être associés aux différents degrés d’adhésion à la radicalité. Par exemple, en explorant les effets du genre : les garçons sont-ils davantage séduits que les filles par la radicalité, ou l’inverse ? Notre échantillon nous permet également de comparer les jeunes qui éprouvent des conflits au sein de leur cercle familial et ceux qui n’en ont aucun, ceux qui se sentent exclus de la société et ceux qui s’y trouvent plutôt bien intégrés, etc. Ces informations sont d’autant plus intéressantes que l’hypothèse d’une rupture avec un environnement jugé anxiogène – familial, scolaire, social… – est régulièrement avancée pour expliquer l’adhésion d’un jeune à des idées ou des comportements radicaux. De la même façon, l’idée que le décrochage scolaire ou que l’angoisse face à l’avenir est un facteur explicatif peut être vérifiée, en comparant le degré d’adhésion des jeunes selon qu’ils sont ou non dans ce cas de figure.

Cette enquête est-elle représentative de la jeunesse française ?
A. M.  : Non, car pour répondre à l’objet de cette recherche, dans le cadre particulier de l’appel à projets du CNRS « Attentats-recherche », et pour répondre aux conditions d’une enquête nécessairement exploratoire à ce stade, nous avons choisi de surreprésenter certaines catégories dans notre échantillon en introduisant des critères de sélection des établissements scolaires : lycées situés en ZUS, où sont scolarisés une plus forte proportion de jeunes issus des catégories populaires ou issus de l’immigration, et où l’on compte en plus grand nombre des jeunes de confession musulmane. Il nous paraissait essentiel d’avoir une information plus riche sur ces segments de la population, dans la mesure où plusieurs interprétations – socio-économique, culturelle ou religieuse – s’opposent pour expliquer la radicalisation qui, lorsqu’elle est extrême, peut conduire au terrorisme que l’on a connu en 2015. Ces biais rendent notre panel très différent de la jeunesse française en général, mais sa diversité et sa taille permettent de vérifier à notre échelle si des variables économiques, culturelles, religieuses sont associées à une adhésion plus ou moins grande à des idées radicales.

O. G. : Nous avons pris des précautions pour conserver une certaine diversité de profil : lycées de centre-ville, de banlieues, et proches de zones rurales, filières générales et professionnelles, mixité de filles et de garçons, etc. Néanmoins, si nous avions enquêté sur l’ensemble de la jeunesse française, notre échantillon aurait comporté 6 à 7 % % de jeunes issus de zones urbaines sensibles et peut-être 3 % de musulmans, ce qui n’aurait pas permis de faire des traitements statistiques fins sur des segments spécifiques de la population jeune. Notre échantillon comporte environ 16 % de jeunes en ZUS et 25 % – soit 1 750 jeunes – de confession musulmane.

Hall d’un lycée technique. L’enquête coordonnée par Anne Muxel et Olivier Galland a été réalisée entre octobre 2016 et mars 2017 auprès de 7 000 lycéens de seconde, dans 21 établissements en France. Un échantillon de grande ampleur mais qui n'est pas représentatif de la jeunesse française car les chercheurs ont choisi de surreprésenter certaines catégories. ©Frédéric MAIGROT/REA
Avez-vous constaté des particularités de votre échantillon par rapport à l’ensemble de la jeunesse française ?
O. G. : C’est une jeunesse très particulière, et pas forcément là où on l’attend, lorsqu’on la compare à l’enquête-témoin réalisée par Opinion Way. Si l’on ne note pas de différences flagrantes en ce qui concerne leur perception de l’école, celle de leur avenir professionnel, leurs attitudes et leur proximité vis-à-vis de leurs familles, en revanche sur le plan de la tolérance à la déviance et à la violence, il existe des écarts significatifs. Les jeunes de notre échantillon font preuve d’une tolérance plus forte à l’égard des comportements déviants comme « conduire sans permis » par exemple, ou le fait de « dealer un peu de haschich ». D’autre part, ces élèves témoignent globalement d’une adhésion plus forte à la radicalité. Participer à des actions violentes pour ses idées ou même se sacrifier pour une cause est davantage admis, et une plus grande proportion d’entre eux déclare être éventuellement prête à affronter les forces de l’ordre ou d’autres manifestants. Enfin, et ça n’est pas négligeable, les principes de la laïcité sont en moyenne rejetés par deux fois plus d’élèves que dans l’ensemble de la jeunesse.

Quels principaux facteurs de radicalité avez-vous pu identifier ?
O. G. : Nous avons constaté dans notre étude un effet religieux qui est, on ne peut le nier, présent chez les jeunes musulmans de notre échantillon. D’une part, ils sont trois fois plus nombreux que les autres à défendre une vision absolutiste de la religion – en considérant à la fois qu’il y a « une seule vraie religion » et que la religion explique mieux la création du monde que la science. 11 % des jeunes de notre échantillon sont sur cette ligne, un chiffre qui triple pour ceux de confession musulmane. D’autre part, quand on combine le degré d’adhésion à cet absolutisme religieux et la tolérance à l’égard de la déviance ou de la violence, on retrouve le même facteur multiplicatif : 4 % des jeunes de toutes confessions défendent une vision absolutiste de la religion tout en adhérant à des idées radicales, alors que ce chiffre est de 12 % chez les jeunes musulmans de notre échantillon. On notera qu’il s’agit d’une très petite proportion en définitive, l’absolutisme radical est très loin d’être majoritaire chez les musulmans ! Néanmoins, cette tendance est de fait plus marquée dans ce segment de notre échantillon. Lorsque l’on fait varier d’autres facteurs, comme la situation socio-économique ou la filière d’étude, cela ne change quasiment pas le résultat. Notons cependant que les garçons sont plus concernés que les filles (deux fois plus environ).

A. M.  : Ce qui nous a également frappés, c’est l’importance de la socialisation religieuse dans le cercle familial parmi les jeunes musulmans. L’hypothèse d’une rupture avec un milieu athée ou mécréant, ou celle d’une religion qui serait un prétexte lorsqu’on se radicalise pour d’autres raisons, ne sont pas probantes. Ces jeunes ont au contraire bénéficié d’une éducation religieuse importante, occupant une place quotidienne dans leur vie et dans leur foyer. La phase qualitative qui est en cours nous permettra d’affiner les interprétations des liens possibles entre un fort engagement dans l’islam et le degré d’adhésion à des idées plus ou moins radicales. Notre enquête montre que ce lien existe, mais il reste à en produire une interprétation solide. Si l’on voulait être complet sur la question de la radicalité religieuse, l’idéal aurait été d’enquêter aussi dans des lycées privés juifs ou catholiques. Mais nous n’en avions pas les moyens. D’autre part, ces formes de radicalité, qui existent certainement, n’ont ni l’ampleur ni les conséquences de celle qui est liée à l’islam.

Quel est l’impact des facteurs économiques ou sociaux ?
O. G. : Une explication purement économique ne nous paraît pas validée. L’idée d’une « génération sacrifiée » qui serait du même coup tentée par la radicalité se heurte au sentiment de relative bonne intégration de ces populations. Lorsqu’on les compare avec l’enquête témoin réalisée par Opinion Way, ils ne paraissent ni plus ni moins confiants en l’avenir que l’ensemble de la jeunesse française, et croient tout autant en leurs capacités de poursuivre des études après le bac et de trouver un emploi satisfaisant. En revanche, le sentiment d’être discriminé est deux fois plus marqué dans notre échantillon, notamment chez les jeunes de confession musulmane ou d’origine étrangère. Nous devons envisager que les facteurs religieux se conjuguent avec des questions identitaires, mêlées à des sentiments de victimisation et de discrimination, pour expliquer l’adhésion à la radicalité. Notre constat est donc nuancé, et nous sommes loin d’avoir épuisé les leçons que nous pouvons tirer de cette enquête. Les entretiens individuels nous permettront de mieux discerner ce qui relève de la religion stricto sensu et ce qui relève d’un sentiment de victimisation ou d’un malaise identitaire.

A. M.  : Néanmoins, le fait est que la prise en compte des sentiments de discrimination ne diminue qu’à la marge l’effet religieux. Dans notre échantillon, les jeunes musulmans qui se sentent discriminés adhèrent certes plus souvent à des idées radicales que ceux qui ne se sentent pas discriminés. Or, qu’ils soient discriminés ou non, ils sont toujours plus nombreux que les autres jeunes à adhérer à ces idées. Mais ces constats restent effectivement à affiner et à nuancer, d’autant que nous nous heurtons à plusieurs paradoxes. Par exemple, le degré de pratique religieuse est certes plus marqué chez les jeunes musulmans, y compris ceux adhérant à des idées absolutistes ou radicales, mais plus de la moitié de ces derniers ont une pratique religieuse plutôt épisodique et peu structurée. Leur rapport aux normes sociales et au libéralisme culturel est également ambivalent. D’un côté, le rejet de la laïcité ou de l’homosexualité est beaucoup plus marqué chez les musulmans que dans les autres religions. En revanche, l’égalité homme-femme n’est pas loin de faire consensus pour les jeunes de toutes confessions. Les variables que nous avons ciblées grâce à cette enquête restent pour une large part à interpréter.

Une salle de classe dans un lycée. L’enquête relève chez la majorité des jeunes interrogés (14-16 ans) un faible intérêt pour la politique et une posture de défiance vis-à-vis du « système ».
©DURAND FLORENCE/SIPA

Quelle est leur perception de l’extrémisme politique et du terrorisme ?
O. G. : Nous avons tenté d’évaluer leur sensibilité aux attentats de Charlie Hebdo et à ceux du Bataclan, en leur demandant notamment s’ils comprenaient qu’on se livre à des tels actes et s’ils les condamnaient. Là encore, nous sommes obligés de constater de fortes disparités en fonction de la religion : les jeunes musulmans de notre échantillon sont moins enclins à condamner les auteurs et plus nombreux à se déclarer « peu sensibles » à ces événements. Par ailleurs, nous avons pu constater que cet état d’esprit était beaucoup plus marqué chez les jeunes témoignant d’un haut degré d’adhésion à l’absolutisme religieux, quelle que soit la confession, mais il est vrai que, dans notre échantillon, le degré d’absolutisme est nettement plus élevé chez les jeunes musulmans. Nos données ne nous permettent pas, néanmoins, de faire un lien direct entre le fondamentalisme musulman et le fait de comprendre les attentats ou d’y être indifférent, car cela nous aurait obligés à poser des questions plus spécifiques sur l’islamisme. Il était important que notre questionnaire reste perçu comme une enquête générale sur les valeurs, la religion et la citoyenneté, sans que nous ne fassions de différences évidentes entre les élèves selon leur confession. Sur tous ces points, nous attendons beaucoup de l’exploitation des entretiens qualitatifs et des « focus groups » menés avec les lycées pour avancer dans l’interprétation.

A. M.  : Notre échantillon est marqué par une plus forte radicalité politique que dans l’enquête-témoin d’Opinion Way : affronter les forces de l’ordre, d’autres manifestants ou dégrader des biens matériels est mieux accepté que dans l’ensemble de la jeunesse. En revanche, le degré de politisation des jeunes lycéens interrogés est assez similaire : la majorité des jeunes de cet âge témoigne d’un faible intérêt pour la politique, d’une posture de défiance généralisée vis-à-vis du « système », qui se traduit souvent par un positionnement « ni droite ni gauche ». À cet âge, on peut observer une réelle distance vis-à-vis de la politique institutionnelle. Mais on retrouve dans notre enquête des phénomènes bien connus qui caractérisent la socialisation politique des jeunes générations : une défiance politique qui se combine à une certaine propension à la protestation. En tant que tel, l’extrémisme politique ne concerne qu’une minorité de jeunes. Mais l’on repère bien dans cette génération un certain nombre de dispositions à la contestation de la société et de ses institutions. Celle-ci peut se porter dans les urnes comme dans des formes de mobilisation collective. La radicalité politique est une composante de la politisation actuelle des jeunes, mais elle ne débouche pas nécessairement sur une acceptation de la violence politique.

Quelle suite allez-vous donner à ces travaux ?

A. M.  : Nous envisageons certaines pistes d’analyse comme la pénétration des discours complotistes, la confiance dans les médias, les relations intrafamiliales, les relations avec les forces de police, ou encore la question des jeunes convertis. Le questionnaire de notre étude est riche et nous disposons d’un corpus de données nous permettant de mener des analyses fines sur plusieurs aspects de la vie des jeunes, de leurs attitudes comme de leurs comportements, en lien avec la question de la radicalité. L’ensemble des résultats sera publié dans un ouvrage collectif sur lequel nous sommes en train de travailler.

O. G. : Par ailleurs, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises dans cet entretien, nous attendons beaucoup de l’exploitation de la phase qualitative de notre enquête. Mettre en lumière des relations entre variables est un pas important dans la compréhension de l’adhésion à la radicalité politique et religieuse – et cette exploration quantitative est un travail inédit dans le champ des sciences sociales en France aujourd’hui. C’est là un point fort de notre démarche. Mais ce n’est pas toujours suffisant, car les liens mis en évidence restent à interpréter au sein d’un ensemble d’hypothèses et de cadres explicatifs complexes et parfois concurrents. Les entretiens et les « focus groups » fourniront un matériau précieux pour les vérifier, les infirmer ou les départager.

L’enquête « Les jeunes et la radicalité religieuse et politique » a été réalisée avec le concours du CNRS et le soutien de l’Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire(Injep), du ministère de la Culture et de la Communication, du ministère de l’Éducation nationale, de la CAF et de la Fondation Jean-Jaurès. Elle est coordonnée par Olivier Galland (Gemass, CNRS/Univ. Paris 4) et Anne Muxel (Cévipof, CNRS/Sciences po), avec Vincent Cicchelli (Gemass), Alexandra Frénod (Gemass), Laurent Lardeux (Injep), Jean-François Mignot (Gemass) et Sylvie Octobre (ministère de la Culture et de la Communication).

Notes

  • 1.Olivier Galland est directeur de recherche au CNRS. Ce sociologue est spécialiste de la jeunesse et des âges de la vie. Il travaille notamment sur les valeurs (morales, politiques…) et les inégalités en fonction des générations. Après un doctorat en économie à l’université Paris-Dauphine, il obtient l’habilitation à diriger des recherches en sociologie à l’IEP de Paris. Il est aujourd’hui directeur du Gemass, Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne (CNRS/Université Paris-Sorbonne). Il a notamment participé à l’ouvrage Une jeunesse différente ? Les valeurs des jeunes Français depuis 30 ans, sous la direction de Bernard Roudet (La documentation française, 2014) et s’apprête à publier une Sociologie des inégalités (Armand Colin).
  • 2.Anne Muxel est directrice de recherche au CNRS. Cette sociologue est spécialiste des attitudes et comportements politiques, de la transmission intergénérationelle et de la constitution de la mémoire. Après un doctorat en sociologie sur les phénomènes de socialisation familiale, elle a obtenu son Habilitation à diriger des recherches en sociologie et en science politique à l’IEP de Paris. Aujourd’hui chercheuse en sciences politiques au Cévipof (CNRS/Sciences Po), elle a notamment étudié le rapport des jeunes à la politique, tant dans un cadre national que comparatif au niveau européen. Elle a notamment dirigé Temps et politique : les recompositions de l’identité (Presses de Sciences Po, 2016) et a publié Avoir 20 ans en politique : les enfants du désenchantement (Seuil, 2010). Elle a également analysé pour sa partie française « Génération What », une grande enquête sur la jeunesse européenne menée en 2016.




Ce que "La Tentation radicale" nous apprend sur la radicalisation religieuse des jeunes musulmans en France (05.04.2018)
Une vaste enquête sociologique publiée cette semaine se penche sur l'épineux sujet de la radicalisation des jeunes français. Pour le politologue Gérard Grunberg, les critiques qu'elle suscite ne sont pas justifiées. 
LA NEWSLETTER ACTU

Gérard Grunberg, auteur de cet article, est directeur de recherche émérite au CNRS. La version originale de cet article a été publiée sur le site Telos, dont franceinfo est partenaire.

L'ouvrage publié sous la direction d'Olivier Galland et Anne Muxel sur la tentation radicale (La Tentation radicale. Enquête sur les lycéens, éd. PUF, avril 2018), réalisé à partir d'une grande enquête sur les lycéens, constitue à l'évidence un jalon de première importance dans l'étude du phénomène de la radicalisation des jeunes en France. Il apporte en effet de nombreuses réponses aux questions que nous nous posons sur l'ampleur et les causes de cette radicalisation. La richesse de l'ouvrage nous oblige à nous focaliser ici sur l'un des thèmes majeurs traités, le phénomène de la radicalisation religieuse, étudié plus spécialement par Olivier Galland.
Une radicalisation religieuse dans un milieu religieux
Pour Olivier Galland, "la montée de la religiosité chez les jeunes musulmans semble être un phénomène de grande ampleur". Selon lui, le rôle fondamental de l'idéologie salafiste dans le processus de radicalisation, relevé par Gilles Kepel, est réel. Il s'agit bien d'une radicalisation de l'islam dans les jeunes générations de musulmans. N'ayant pas assez d'indicateurs pour étudier l'ensemble du phénomène de la montée du fondamentalisme religieux dans ces générations, il se limite à un indicateur d'absolutisme religieux construit à partir des deux opinions selon lesquelles "l'islam est la seule vraie religion" et "la religion a raison contre la science pour expliquer la création du monde". 75% des jeunes musulmans des lycées partagent entièrement ou plutôt la première opinion et 81% la seconde. Cette radicalisation religieuse ne constitue pas une rupture générationnelle avec les parents. Ces jeunes déclarent en effet avoir été élevés religieusement et ne font pas état de conflits avec leurs parents à propos de la religion. Il s'agit donc d'une radicalisation religieuse dans un milieu lui-même religieux.
La comparaison avec les élèves affiliés à d'autres religions ou sans religion montre clairement la spécificité des jeunes musulmans du point de vue de l'importance de la foi religieuse dans leur vie personnelle, leur forte pratique religieuse et leur attachement au respect des comportements et interdits religieux. Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS
"Ces jeunes, écrit Olivier Galland, se situent bien dans un univers culturel et normatif très éloigné de la jeunesse majoritaire et très éloigné des valeurs centrales de la société." "Leur radicalisation religieuse, ajoute-t-il, est associée à un ensemble de valeurs qui font sens et qui sont largement en décalage avec celles qui dominent dans la société française."
Ils rejettent ainsi le libéralisme culturel qui est au contraire en progrès dans l'ensemble de la jeunesse française et plus largement occidentale. Leur anti-relativisme radical en matière religieuse et leur attachement à la domination des croyances religieuses sur les croyances séculières et la rationalité scientifique les isolent dans la société française, leur profil idéologique se démarquant ainsi très nettement de celui des autres jeunes. Il s'agit donc d'un phénomène de résistance de plus en plus radicale au mouvement de sécularisation dans lequel les sociétés occidentales sont engagées.
Un fossé croissant entre les jeunes musulmans et les autres lycéens
Il est particulièrement intéressant de remarquer que le rapport à la religion n'oppose pas les lycéens éloignés de la religion (près de la moitié de l'échantillon) à ceux qui ont une religion, quelle qu'elle soit, mais les jeunes musulmans aux autres lycéens, qu'ils aient ou non des croyances religieuses. Ainsi, 23% des chrétiens seulement estiment que leur religion est la seule vraie religion contre 75% des jeunes musulmans. Et sur la question de savoir qui détient la vérité à propos de la création du monde, tandis que 81% des jeunes musulmans optent pour la religion c'est seulement le fait de 27% des chrétiens, plus proches ici des sans-religion (5%). Un fort absolutisme religieux se manifeste ainsi chez 32% des jeunes musulmans et chez 6% seulement des jeunes chrétiens. Ces derniers sont beaucoup plus proches des sans-religion que des musulmans.
Se confirme ainsi que le mouvement de sécularisation religieuse est essentiellement un phénomène qui concerne la civilisation chrétienne dans son ensemble. Le fossé entre les jeunes musulmans et les autres jeunes est donc d'autant plus large que les premiers opèrent un mouvement en sens inverse de l'évolution des seconds dans leur rapport à la religion. Galland situe ici sa réflexion dans la suite de celle d'Hugues Lagrange, selon lequel les musulmans inversent la tendance au déclin des pratiques religieuses lié au mouvement de sécularisation de nos sociétés.
Galland met également en cause l'importance des "facteurs socio-économiques que beaucoup de travaux présentent comme une détermination évidente de la radicalisation". Ils "n'interviennent absolument pas comme facteurs prédictifs de l'absolutisme religieux ou de la justification de la violence religieuse", montre-t-il.
Une tolérance à l'égard de la violence religieuse
L'auteur s'interroge ensuite sur le phénomène de la violence religieuse ("il est acceptable de combattre les armes à la main pour sa religion") et de sa double relation avec d'une part la tolérance à "la violence-déviance" d'un côté et avec leur degré d'absolutisme religieux de l'autre, combinant ces deux variables pour construire son indicateur.
Notons d'abord que sur cet indicateur de tolérance à la violence-déviance 26% de l'ensemble des lycéens de l'échantillon occupent les positions les plus élevées. Les jeunes musulmans y sont surreprésentés (35%). La question est alors de savoir quelle est la part respective de la tolérance à la violence et de l'absolutisme religieux dans l'acceptation de la violence religieuse. La variable de tolérance à la violence-déviance joue le rôle principal dans l'acceptation de la violence religieuse. Chez les lycéens qui partagent cette tolérance sans être des absolutistes religieux, 19% acceptent la violence religieuse. Chez eux s'effectue donc un passage direct de la tolérance à la violence-déviance à l'acceptation de la violence religieuse sans que l'absolutisme religieux joue un rôle significatif dans cette acceptation. Mais, comme le montre Olivier Galland, c'est la combinaison de cette tolérance et de l'absolutisme religieux qui prédispose le plus massivement les jeunes à accepter la violence religieuse (42%). Or ce groupe est composé presque exclusivement de jeunes musulmans puisque l'absolutisme religieux, tel qu'il est mesuré, est quasiment absent chez les chrétiens et, bien sûr, totalement absent chez les sans religion. Ajoutons qu'il s'agit essentiellement de garçons, les filles n'exprimant aucune tolérance à la violence-déviance.
Une enquête sociologique, pas idéologique 
Cette riche recherche confirme donc les résultats obtenus par d'autres enquêtes : la radicalisation religieuse des jeunes musulmans est un phénomène de grande ampleur dont il est crucial de prendre conscience d'autant que, comme nous l'avons dit, il se développe à rebours du phénomène général de sécularisation de notre société.
Cette enquête constitue donc un apport important de la recherche sociologique. Or, curieusement, Patrick Simon, chercheur à l'Ined, dans sa critique parue dans le Monde du 4 avril, accuse les auteurs de "construire un dossier à charge contre l'islam en cherchant à séparer la religion des conditions sociales de son appropriation et de ses expressions". Accusation étrange de la part d'un chercheur en sciences sociales ! Il critique, en particulier, l'indicateur d'absolutisme religieux qui, selon lui, "s'applique essentiellement aux musulmans"
Or, dans une société en voie de sécularisation où, comme l'enquête le montre, les jeunes musulmans adhérent massivement à une conception anti-relativiste de la religion et rejettent tout aussi massivement une approche scientifique de l'explication de la création du monde, il était au contraire capital d'utiliser des indicateurs permettant à ces jeunes d'exprimer la spécificité de leur rapport à la religion. Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS
Cela s'appelle la sociologie. En outre, on pourrait ajouter que s'il y avait eu en France des "créationnistes" protestants, cet indicateur aurait certainement très bien fonctionné pour eux également. Le fait est simplement qu'ils ne sont pas présents en France…
Si une analyse scientifique de ce type de phénomènes est rejetée comme constituant un dossier "à charge contre l'islam", c'est que Patrick Simon mélange science et idéologie. La sociologie entend mettre en lumière les phénomènes sociaux. L'idéologie préfère parfois les cacher. C'est toute la différence !
A LIRE AUSSI

Y a-t-il une tentation radicale chez certains jeunes ? (6.04.2018)
On pose la question à l’occasion de la sortie du livre "La Tentation radicale" codirigé par Anne Muxel et Olivier Galland, deux sociologues qui ont mené une enquête pour le CNRS auprès de plusieurs milliers de lycéens.
Anne Muxel et Olivier Galland ont réalisé une enquête auprès de jeunes, l' objectif étant de  comprendre pourquoi il y a eu des incidents dans certains établissements lors des minutes de silence après les attaques contre Charlie Hebdo et le Bataclan…
La question de l’information est cruciale dans ce domaine, le complotisme peut faire des ravages. C’est d’ailleurs pour cela que France Inter a lancé il y a trois ans l’opération « Interclass ». La responsable de ce dispositif, Emmanuelle Daviet est avec nous également pour nous expliquer quelle réponse nous avons essayé d’apporter à ce défi, ici à France Inter.
Et puis on n’oublie pas l’actualité la plus récente :  les occupations d’université qui se multiplient, les groupes identitaires qui refont surface parmi la jeunesse dans certaines villes, sans oublier les occupants de la ZAD de Notre Dame des Landes qui pourraient être expulsés de manière imminente. La tentation radicale chez les jeunes, c’est notre sujet ce soir sur France Inter…  
Posez vos questions sur cette enquête qui mérite d’être détaillée et expliquée, que ce soit sur la méthode employée ou les questions posées…Car dans ce domaine, les polémiques ne sont jamais loin.

François d'Orcival : «Quand l'islam s'impose au lycée» (05.04.2018)
Par François d'Orcival
Publié le 05/04/2018 à 18h01
CHRONIQUE - Au lycée, la radicalité est le produit d'une idéologie, le fondamentalisme religieux.
«Les lycéens musulmans sont nettement plus portés que les autres à adhérer à des idées absolutistes en matière religieuse. Ils justifient aussi plus souvent la violence religieuse.» Cela se disait depuis longtemps et notamment chez les premiers concernés, les enseignants - mais on les soupçonnait d'exagération. Cette fois, l'affirmation est le résultat d'une enquête approfondie conduite par deux directeurs de recherche au CNRS, Olivier Galland et Anne Muxel*. Aussitôt après les attentats de 2015, ceux-ci ont voulu mesurer le degré de «radicalité» existant chez les jeunes. Ils ont constitué un échantillon large, 7000 élèves de seconde dans 23 lycées de quatre académies (Lille, Créteil, Dijon, Aix-Marseille), sans négliger centres-villes et zones rurales avec, parmi eux, 1753 lycéens de confession musulmane. Un travail scientifique qui a exigé près deux ans de travail. Ce qu'ils montrent démolit les excuses répétées de la «radicalité»: celle-ci, disent-ils, n'est le fruit ni d'un contexte économique ou social ni de discriminations. En revanche, elle est bien le produit d'une idéologie, le fondamentalisme religieux, quel que soit le contexte. Les enquêteurs observent des «tendances radicales d'une ampleur et d'un caractère sans commune mesure dans l'islam.» Pour un lycéen musulman, son identité première, celle par laquelle il se définit, n'est pas la France mais sa religion, transmise par le père encore plus que par la mère. Pour 80 % de ces lycéens, «c'est la religion qui dit la vérité, c'est tout», et une lycéenne explique que «l'islam, c'est la religion que tout le monde devrait suivre».
«Complotisme»
Plus la pratique religieuse est élevée, plus fort est l'absolutisme (l'intégrisme), et plus déterminée la justification de la violence («Les journalistes de Charlie Hebdo l'ont bien cherché»). A l'idéologie radicale, souligne l'enquête, correspond l'adhésion aux thèses «complotistes» (principales sources de l'antisémitisme): 64 % des jeunes musulmans sont imprégnés de «complotisme». Les mêmes sont ceux qui accordent le moins de crédit à l'information des médias, et lui préfèrent les «nouvelles alternatives» diffusées sur internet. Ainsi, radicalité religieuse et radicalité politique se combinent pour fabriquer l'explosion de la violence. C'est au lycée que se prépare le mélange…
* La Tentation radicale, Puf, 460 p., 22 €.
La rédaction vous conseille :

La radicalité en question (07.04.2018)
07/04/2018
Cette semaine comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : "La Tentation radicale", d'Anne Muxel et Olivier Galland, PUF et "Histoire des révoltes panafricaines", de C.L.R James, éditions Amsterdam.
Le général Toussaint Louverture (XIXe siècle)• Crédits : Wikimédia Commons
On va bien sûr parler de l’essai qui a fait débat cette semaine, La Tentation Radicale : Enquête auprès des jeunes, dirigé par Olivier Galland et Anne Muxel et publiée aux Presses universitaires de France. Pour une approche quantitative qui conclut à un « effet islam » spécifique en matière de radicalisation. Puis en seconde partie, on va remonter dans le temps à l’occasion de la traduction d’un texte inédit de 1939, Histoire des révoltes panafricaines, paru aux Éditions Amsterdam. L’auteur, C.L.R James, est un des penseurs les plus importants, mais méconnu en France, de la question noire… un livre qui reste d’une brûlante actualité. 
Anne Muxel et Olivier Galland - La Tentation radicale : enquête auprès des jeunes
Anne Muxel et Olivier Galland, sociologues, sont tous les deux chercheurs aux CNRS, spécialistes de la jeunesse.
C’est un travail qui a profité de l’appel à projet lancé, on s’en souvient, par le président du CNRS Alain Fuchs à la suite des attentats de 2015 sur, je cite, « tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences ». Dans leur introduction, Anne  Muxel et Olivier Galland exposent leur projet : réaliser la première enquête de grande ampleur sur les jeunes et la radicalité. Pour ça ils mettent en place une méthode quantitative en sélectionnant un panel de quelques 7000 lycéens dans les régions de Lille, Paris, Dijon et Marseille… ils soumettent à tous les lycéens un questionnaire puis les rencontrent individuellement ou par petit groupe pour une approche plus qualitative. 
Partant du principe que les phénomènes de radicalisation se trouvent plus volontiers dans les classes populaires et chez les jeunes musulmans, leur panel est ouvertement et volontairement surreprésenté dans cette catégorie de la population. Un sondage mené auprès d’un échantillon témoin, plus représentatif, doit venir apporter un élément de comparaison. Les questions portent sur les valeurs, la politique, la religion, l’attachement à la nation ou encore le rapport à la science, à l’éducation ou aux théories du complot.
Voilà résumé la méthodologie, nous allons  y revenir tout de suite car elle fait débat. Mais pour être complet il faut tout de même dire quel est le résultat mis en avant par Anne Muxel et Olivier Galland : l’existence aujourd’hui de ce qu’ils ont appelé un « effet islam », une sensibilité plus grande des jeunes musulmans aux idées radicales et absolutistes.
Deuxième temps de l’émission on change d’époque et de sujet… mais pas complètement de thème car il est aussi question de radicalité.
C.L.R James - Histoire des révoltes panafricaines
C’est un livre qui paraît aux éditions Amsterdam, déjà sorti il y a pile 80 ans, en 1938… Il a été repris en 1969 avec un nouvel épilogue. Il fallait en effet prendre en compte les indépendances africaines et le mouvement civique aux États-Unis… notamment le rôle joué par Martin Luther King assassiné en avril 1968. On en a beaucoup parlé sur France Culture à l’occasion d’une journée spéciale jeudi dernier. Je dis qu’il fallait rajouter ces épisodes à l’analyse que produit C. L. R. James, car il s’emploie à rompre avec la thèse dominante à son époque, et qui reste aujourd’hui influente dans les esprits, selon laquelle les populations noires ont subi passivement l’exploitation dont ils ont été victimes. 
Quelques mots sur C.L.R. James, peut connu en France mais très important dans l’émergence d’une pensée panafricaine. Il est né à Trinidad au tournant du XXe siècle et se considère lui-même comme un véritable intellectuel britannique. Militant marxiste, James est proche de leader comme Jomo Kenyatta qui deviendra premier président du Kenya, de Julius Nyerere qui dirigera la Tanzanie mais aussi de figures comme Marcus Garvey, pour qui il n’a pas que des mots tendres… Tout son travail est d’ailleurs tourné vers cette articulation entre le rôle des masses et celle des dirigeants.
Histoire des révoltes panafricaines paraît la même année qu’un autre ouvrage, plus connu, intitulé Les Jacobins Noirs dans lequel James revenait sur la figure de Toussaint Louverture et sur Saint Domingue pendant la Révolution Française. On a là plutôt une sorte de panel à travers les continents et les époques… pour constituer les opprimés en sujets historiques.
L'instant critique 
Sonya Faure nous propose une bande dessinée "Alt-life"parue aux éditions du Lombard , avec un scénario de Thomas Cadène, le dessin de Joseph Falzon, les couleurs de Marie Galopin. L'histoire : Josiane et René vivent à moitié dans le réel, à moitié dans le virtuel. Fuyant un monde à l'agonie, ils se portent volontaires pour la plus définitive des expériences : être les pionniers d'un nouveau monde, 100% virtuel, sans retour possible. Joseph Confavreux nous entraîne lui au cinéma pour un documentaire de Dominique Marchais "Nul homme n'est une île". Une histoire en Europe des nouvelles révoltes, une vision qui milite pour une nouvelle façon de penser.
BIBLIOGRAPHIE



Radicalité des jeunes musulmans : Le Monde change son titre, mais trop tard, Google est passé par là (04.04.2018)




Nos journalocrates doivent souvent se sentir le postérieur entre deux chaises. Leur exercice est celui d’un équilibriste : faire correspondre leur conception du monde à une réalité tangible, et enfermer les avides lecteurs dans leur vision étroite des rapports humains. Bien souvent, c’est la seconde qui est privilégiée face à la première.
Ainsi, Le Monde, traitant d’une étude menée par deux sociologues qui pointe du doigt la monstruosité de cette idéologie conquérante qu’on appelle l’islam, avait en premier lieu intitulé son article : « L’inquiétante radicalité des jeunes musulmans ».
Avant de se rétracter et d’opter finalement pour un timide « L’inquiétante radicalité d’une minorité de jeunes ».
Malheureusement pour nos objecteurs de conscience, le mal a déjà été enregistré sur les serveurs du web, et l’url, ainsi que les moteurs de recherche, le retracent toujours :
Hormis ce petit rafistolage, nos théoriciens du vivre-ensemble n’ont rien trouvé qui puisse avaliser leurs thèses lénifiantes d’un islam se pliant doucement mais sûrement à la modernité et à la République. L’ouvrage d’Olivier Galland et Anne Muxel (La Tentation radicale. Enquête auprès des lycéens, broché, 2018) rapporte les propos de nombre d’élèves interrogés : les victimes de Charlie hebdo « l’ont bien cherché » ou « ont provoqué » l’attaque des frères Kouachi.
Le Monde doit déduire malgré lui que l’« enquête inédite auprès de 7 000 lycéens, qui conclut à un « effet islam », dans l’adhésion de certains jeunes Français aux idées radicales et absolutistes. »
Etonnant, non ? Plus fort que l’effet Kiss cool, il y aurait donc un « effet islam ». Et, si le bonbon créé en 1988 par Kréma laisse effectivement un goût de fraîcheur, celui créé par Mahomet nous laisse plutôt, lui, une odeur de cadavres.
C’est d’autant plus inquiétant que, si « effet islam » il y a, il faut s’attendre à des relents encore plus dévastateurs pour les années à venir. Rappelons que la publicité de la célèbre confiserie a rapidement évolué en « double effet Kisscool » puis en « Kisscool, c’est frais mais c’est pas grave ».
Je vous laisse décliner ce slogan à l’envi pour la future campagne du produit islamique récemment importé dans notre pays. Me concernant, je vais sortir un peu, car j’ai finalement besoin d’un peu d’air frais, moi aussi.
Et pour les nostalgiques :

La "tentation radicale" de jeunes musulmans en France est minoritaire, mais "préoccupante" (04.04.2018)
04/04/18 à 14:48 - Mise à jour à 14:48
Source: Afp
La majorité des jeunes musulmans en France ne sont pas tentés par la radicalité, mais une "minorité préoccupante" peut être encline à l'absolutisme religieux, explique la politologue Anne Muxel, co-auteure d'une enquête d'une ampleur inédite sur les lycéens français.

Jeunes musulmans en pleine lecture du Coran, Paris, 2012 © Reuters
Dans La tentation radicale (éditions PUF), qu'elle publie mercredi en France avec le sociologue Olivier Galland, cette directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS) analyse les résultats d'une étude originale menée auprès de 7.000 lycéens, de toutes origines et confessions, interrogés à l'automne 2016. Propos recueillis par Benoît Fauchet.
Selon votre enquête, 32% des lycéens ayant déclaré être de religion musulmane "adhèrent à des idées religieuses absolutistes", contre 6% des chrétiens et 14% des fidèles d'autres cultes. Qu'entend-on par là, et quelles conclusions en tirer?
Notre mesure de l'absolutisme religieux recouvre des personnes qui considèrent qu'il n'y a qu'une seule vraie religion et qui mettent en avant la religion, plutôt que la science, dans la création du monde. Cet absolutisme religieux ne débouche pas forcément sur la violence, laquelle peut s'exprimer du reste sans absolutisme religieux. A noter que ceux qui sont "tolérants à la violence", donc qui présentent un indicateur élevé de radicalité religieuse, sont plus souvent des garçons (16,5% des garçons musulmans le sont selon cette étude, NDLR) que des filles (8,7%).
On peut être rassuré par le fait que la majorité des jeunes musulmans ne sont pas concernés par cette tentation radicale. Mais il y a une minorité préoccupante qui peut être réceptive à des idées radicales. Cela incite bien sûr les pouvoirs publics et l'Éducation nationale à apporter des réponses.
Il faut manier tous ces chiffres avec beaucoup de précaution, faire très attention au risque d'instrumentalisation. Notre étude ne porte pas seulement sur les jeunes musulmans mais fait valoir les écarts d'attitudes et d'opinions que l'on peut observer entre les différents segments de la jeunesse.
Comment les jeunes ont-ils réagi aux attentats de 2015 (à Paris, contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher en janvier, puis la salle de spectacles Le Bataclan en novembre), après lesquels ce chantier scientifique a été mené?
Nous avons différencié les attaques contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher de l'attentat contre le Bataclan, en relevant qu'il n'y avait pas le même type de sensibilité et de réactions à ces divers événements. Bien évidemment, une grande partie des jeunes condamne les attaques terroristes quelles qu'elles soient (68% des lycéens pour celles de janvier, 79% concernant celles de novembre). Mais pour Charlie Hebdo, un maître-mot est mis en évidence, celui de respect - de la différence, de la religion de l'autre, de l'islam - qui peut prendre le pas, en tout cas pour certains jeunes, sur le droit à la liberté d'expression de journalistes satiriques.
Quand l'universitaire Olivier Roy évoquait une "islamisation de la radicalité" aux ressorts nihilistes, son confrère Gilles Kepel défendait la thèse d'une "radicalisation de l'islam", une "dynamique salafiste" au moteur plus clairement religieux, dont votre enquête semble aussi prendre le parti.
Vouloir opposer l'un à l'autre, c'est s'empêcher de voir l'ensemble d'un phénomène multidimensionnel. Il est vrai que nos résultats vont dans le sens du facteur religieux. On montre aussi l'importance du sentiment de discrimination ou du niveau d'intégration scolaire, des leviers qui restent toujours derrière le facteur religieux, mais qui sont là.
A présent, il faudrait une enquête approfondie ne portant que sur les jeunes musulmans pour disposer de données valides statistiquement sur la façon dont ils vivent, interprètent leur religion dans toutes ses implications pratiques, par rapport à la laïcité française et aux valeurs de la République. Nos résultats donnent envie d'aller plus loin pour mieux comprendre la vision de ces jeunes.

Une minorité de jeunes musulmans en France radicaux « préoccupante » – étude (5.04.2018)
"La tentation radicale", d''Anne Muxel et Olivier Galland est une étude menée auprès de 7 000 lycéens, de toutes origines et confessions
Par AFP5 avril 2018, 15:12  1
Des gendarmes déployés à la mosquée de Poitiers suite à l'attaque de cette mosquée, le 12 janvier 2015. Illustration. (Crédit : Guillaume Souvant/AFP)
La majorité des jeunes musulmans en France ne sont pas tentés par la radicalité, mais une « minorité préoccupante » peut être encline à l’absolutisme religieux, explique à l’AFP la politologue Anne Muxel, co-auteure d’une enquête d’une ampleur inédite sur les lycéens français.
Dans La tentation radicale (éditions PUF), qu’elle a publié mercredi en France avec le sociologue Olivier Galland, cette directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS) analyse les résultats d’une étude originale menée auprès de 7 000 lycéens, de toutes origines et confessions, interrogés à l’automne 2016.
Selon votre enquête, 32 % des lycéens ayant déclaré être de religion musulmane « adhèrent à des idées religieuses absolutistes », contre 6 % des chrétiens et 14 % des fidèles d’autres cultes. Qu’entend-on par là, et quelles conclusions en tirer ?
Notre mesure de l’absolutisme religieux recouvre des personnes qui considèrent qu’il n’y a qu’une seule vraie religion et qui mettent en avant la religion, plutôt que la science, dans la création du monde. Cet absolutisme religieux ne débouche pas forcément sur la violence, laquelle peut s’exprimer du reste sans absolutisme religieux.
A noter que ceux qui sont « tolérants à la violence », donc qui présentent un indicateur élevé de radicalité religieuse, sont plus souvent des garçons (16,5 % des garçons musulmans le sont selon cette étude, NDLR) que des filles (8,7 %).
On peut être rassuré par le fait que la majorité des jeunes musulmans ne sont pas concernés par cette tentation radicale. Mais il y a une minorité préoccupante qui peut être réceptive à des idées radicales. Cela incite bien sûr les pouvoirs publics et l’Éducation nationale à apporter des réponses.
Il faut manier tous ces chiffres avec beaucoup de précaution, faire très attention au risque d’instrumentalisation. Notre étude ne porte pas seulement sur les jeunes musulmans mais fait valoir les écarts d’attitudes et d’opinions que l’on peut observer entre les différents segments de la jeunesse.
Comment les jeunes ont-ils réagi aux attentats de 2015 (à Paris, contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher en janvier, puis la salle de spectacles Le Bataclan en novembre), après lesquels ce chantier scientifique a été mené?

Une gerbe déposée pour commémorer les victimes de l’attentat djihadiste contre le magazine satirique français Charlie Hebdo photographié près des bureaux du journal à Paris, le 7 janvier 2018, au troisième anniversaire de la tuerie (Crédit : AFP PHOTO / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT)
Nous avons différencié les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de l’attentat contre le Bataclan, en relevant qu’il n’y avait pas le même type de sensibilité et de réactions à ces divers événements. Bien évidemment, une grande partie des jeunes condamne les attaques terroristes quelles qu’elles soient (68% des lycéens pour celles de janvier, 79% concernant celles de novembre). Mais pour Charlie Hebdo, un maître-mot est mis en évidence, celui de respect – de la différence, de la religion de l’autre, de l’islam – qui peut prendre le pas, en tout cas pour certains jeunes, sur le droit à la liberté d’expression de journalistes satiriques.
Quand l’universitaire Olivier Roy évoquait une « islamisation de la radicalité » aux ressorts nihilistes, son confrère Gilles Kepel défendait la thèse d’une « radicalisation de l’islam », une « dynamique salafiste » au moteur plus clairement religieux, dont votre enquête semble aussi prendre le parti.
Vouloir opposer l’un à l’autre, c’est s’empêcher de voir l’ensemble d’un phénomène multidimensionnel. Il est vrai que nos résultats vont dans le sens du facteur religieux.
On montre aussi l’importance du sentiment de discrimination ou du niveau d’intégration scolaire, des leviers qui restent toujours derrière le facteur religieux, mais qui sont là.
A présent, il faudrait une enquête approfondie ne portant que sur les jeunes musulmans pour disposer de données valides statistiquement sur la façon dont ils vivent, interprètent leur religion dans toutes ses implications pratiques, par rapport à la laïcité française et aux valeurs de la République. Nos résultats donnent envie d’aller plus loin pour mieux comprendre la vision de ces jeunes.

« “Charlie Hebdo”, ils l’ont un peu cherché »... (04.04.2018)
4 Avril 2018 , Rédigé par Le MondePublié dans #Education#Politique
EXTRAIT
« Le Monde » publie des extraits de « La Tentation radicale. Enquête auprès des lycéens », d’Olivier Galland et Anne Muxel.
Les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland sont les auteurs d’une enquête inédite sur la radicalité chez les jeunes menée auprès de 7 000 lycéens. Les conclusions de leur travail révèlent « un clivage culturel entre les jeunes musulmans et les non-musulmans ».
Face aux attentats
Extraits. « L’enquête qualitative nous a permis de recueillir les propos des lycéens et de mieux connaître la diversité de leurs réactions face aux attentats. Plusieurs thèmes récurrents sont apparus, notamment lorsque nous leur avons proposé de comparer les attentats de novembre 2015 et ceux de janvier 2015. Un élève indique : “Moi, pour moi, c’est pareil parce que dans les deux, il y a eu des morts, dans les deux, il y a eu des victimes. Et une victime, quoiqu’elle ait fait, ça reste une victime.” Pour un autre, “il y a eu plus de morts pour… le Bataclan que pour Charlie Hebdo. Donc c’est pour ça que c’est plus choquant.” Mais l’expression qui, dans la bouche des élèves, est revenue le plus souvent est que, par contraste avec les victimes des attentats de novembre, les dessinateurs deCharlie Hebdo “l’ont cherché” ou “ont provoqué”. Par ces expressions, les élèves semblent pouvoir soutenir au moins deux thèses distinctes.
Comme l’indiquent les extraits ci-dessous (…), les lycéens évoquent une différence objective entre certaines des victimes de janvier et celles de novembre : seuls les dessinateurs ont délibérément entrepris une action – la publication de dessins de Mahomet – dont ils savaient qu’elle pourrait les mettre en danger. Ces élèves semblent dire : si aucun attentat n’est acceptable, celui contre Charlie Hebdo semble cibler des victimes contre lesquelles on peut concevoir un grief spécifique, alors que ceux de novembre prennent pour cible des victimes choisies au hasard.
Extrait 1, académie de Dijon
Lycéen : Charlie Hebdo, ils l’ont un peu… enfin, ils l’ont un peu cherché. Enfin, ils n’ont pas cherché l’attentat, mais ils ont un peu provoqué. Alors que le Bataclan, ils…
Lycéenne A : Oui, ils étaient tranquilles eux.
Lycéenne B : Oui, Charlie Hebdo, il y avait une… genre une petite raison… enfin, genre, il y avait une raison pourquoi ça a pas plu. Le Bataclan… il y avait rien.
Lycéenne A : Ils étaient tranquilles, là.
Lycéen : Comme si ils venaient là et ils nous tuaient tous. On n’a rien fait.
Extrait 2, académie de Créteil
Lycéenne A : En fait, la différence c’est… Pour moi, c’est déjà… Le 13 novembre, bah, c’était un attentat vraiment. Et… Alors que dans Charlie Hebdo, ils ont un peu cherché.
Lycéenne B : Là, ils continuent en plus, là.
Lycéenne A : Voilà. C’est ça la différence. Charlie Hebdo, ils ont cherché, alors que le 13 novembre, ils l’ont pas cherché. C’était vraiment un attentat.
Extrait 3, académie d’Aix-Marseille
Lycéen : Ben, c’est pas pareil, parce que Charlie Hebdo, ils ont provoqué. (…)Alors que au Bataclan, il y avait… enfin, c’est pas… ils ont rien demandé, les gens.
(...)
Suite et fin en cliquant ci-dessous

« La radicalité religieuse concerne principalement les jeunes de confession musulmane » (03.04.2018)
Le retour à la religion des musulmans est à contre-courant de la forte sécularisation des autres jeunes, expliquent les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland.
LE MONDE | 03.04.2018 à 05h00 • Mis à jour le 03.04.2018 à 11h21 | Propos recueillis par Violaine Morin
Abonnez vous à partir de 1 € Réagir Ajouter
Partager (1 080)Tweeter
image: http://img.lemde.fr/2018/04/02/0/1/524/348/534/0/60/0/a847b24_15927-shvb3b.nyzo.jpg

Les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland, auteurs d’une enquête inédite sur la radicalité chez les jeunes menée auprès de 7 000 lycéens, reviennent sur leur démarche et les conclusions de leur travail qui révèle « un clivage culturel entre les jeunes musulmans et les non-musulmans ».
Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à la radicalité, et quelle définition en donnez-vous ?
Anne Muxel La radicalité peut tenter la jeunesse dans toute sa diversité. Certains phénomènes en sont visibles : violence contre les forces de l’ordre, blocage de lycées, extrémisme électoral, sans oublier la question du djihad. Telle que nous la définissons, la radicalité est constituée par un ensemble d’attitudes et d’actes exprimant a minima une protestation et pouvant aller jusqu’à la contestation frontale du système politique ainsi que des normes sociales et culturelles dominantes. Elle peut être arrimée à une idéologie, à une religion, ou ni à l’une ni à l’autre ; elle peut mener à un passage à l’acte violent dans certains cas.
Quelle est l’ampleur du phénomène ?
Olivier Galland Nous avons pris en compte trois types de radicalité : religieuse, politique et culturelle. Pour donner un ordre de grandeur, la radicalité religieuse concerne principalement les jeunes de confession musulmane. La radicalité politique touche un spectre plus large, notamment au travers de la diffusion d’une culture protestataire, et la radicalité culturelle, notamment dans le rapport à l’information, et la séduction pour les thèses du complot, concerne beaucoup de jeunes.
Votre enquête révèle l’existence d’une « radicalité du quotidien », non seulement sur des questions religieuses mais aussi sur des questions de mœurs. Comment l’expliquer ?
O. G. Cette enquête révèle en effet un clivage culturel entre les jeunes musulmans et les non-musulmans. Les musulmans...

Radicalisation politique et religieuse: une enquête auprès de 7000 lycéens français inquiète (04.04.2018)
 04/04/2018 à 08h36
Jean-Jacques Bourdin recevait Anne Muxel, directrice de recherche au centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), qui a mené l'enquête La Tentation radicale.
C'est une étude qui ne manquera pas de faire réagir. Dans La tentation radicale, les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland ont mené une grande enquête auprès de 7.000 lycéens pour mieux comprendre leur rapport avec l'actualité et notamment la radicalité.
Parmi les adolescents interrogés, 1750 sont musulmans. "Cette enquête s'inscrit dans l'appel par le président du CNRS après les attentats du Bataclan, le 13 novembre 2015, pour solliciter des travaux, pour comprendre ce qu'il est train de se passer. Nous avons proposé, avec Olivier Galland, de faire un travail sur le halo de radicalité qui peut exister aujourd'hui, dans la jeunesse française et notamment sur des segments où d'habitude, il est difficile de travailler. C'est pour cela que nous avons considéré qu'il fallait un échantillon de jeunes musulmans" a expliqué Anne Muxel sur RMC. 
Un quart des lycéens ne condamnent pas "totalement" les attentats 
L'enseignement réalisé grâce aux questionnaires distribués et des débats organisés dans des lycées de quatre académies est sans appel: un quart des personnes interrogées ne condamnent pas totalement les attentats contre Charlie Hebdo et le Bataclan.
Sélectionné pour vous
"Ceux qui ne disent pas qu'ils condamnent totalement représente environ un quart des lycéens. Pour se justifier, ils mettent en avant la question du respect, et tout particulièrement contre Charlie Hebdo, de la différence, de la religion. Et ce qui est intéressant, c'est qu'ici, la notion de respect prend le pas sur la liberté d'expression" remarque Anne Muxel. Ainsi, selon l'étude, 80% des lycéens interrogés considèrent qu'on ne peut pas se moquer des religions. "Cette valeur de respect prend le pas et organise bon nombre de leur attitude face à des faits de société, de leur valeur" analyse la sociologue avant d'indiquer que cette "radicalité de rupture concerne un à deux lycéens sur 10". 
Autre chiffre inquiétant: "20% des ados déclarent acceptable de se battre armes à la main pour défendre leur religion" selon cette enquête. "La radicalité n'est pas que l'apanage des jeunes lycéens musulmans" rappelle toutefois la sociologue face à Jean-Jacques Bourdin.

« “La Tentation radicale” construit un dossier à charge contre l’islam »
Dans une tribune au « Monde », le socio-démographe Patrick Simon estime que l’enquête dirigée par Olivier Galland et Anne Muxel minore les discriminations dont sont victimes certains lycéens.
LE MONDE | 03.04.2018 à 09h34 • Mis à jour le 03.04.2018 à 11h30 | Par Patrick Simon (Directeur de recherche à l’Ined)
Abonnez vous à partir de 1 € Réagir Ajouter
Partager (459)Tweeter
image: http://img.lemde.fr/2018/04/02/431/0/526/349/534/0/60/0/a847b24_15927-shvb3b.nyzo.jpg
La radicalisation religieuse est au cœur des débats politiques. Les départs de candidats au djihad en Syrie et en Irak, et surtout les attaques terroristes qui se répètent, ont dramatisé une question à laquelle les sciences sociales apportent des réponses contradictoires : selon quels processus de jeunes Français se réclamant de l’islam en sont-ils arrivés à tuer au nom de leurs idées ? Les mécanismes qui déterminent l’entrée dans l’action violente à fondement religieux restent difficiles à démêler.
L’ouvrage La Tentation radicale, dirigé par Olivier Galland et Anne Muxel, tente d’apporter des éléments de réponse. A partir d’une enquête quantitative menée auprès de lycéens de 15 à 17 ans et d’entretiens individuels et collectifs, il cherche à mesurer l’impact des idées radicales et les facteurs de leur appropriation.
Les lycéens interrogés viennent d’établissements pour partie avec une nette surreprésentation d’élèves d’origine immigrée (Maghrébins et Sub-Sahariens), aussi ne faut-il pas chercher dans leurs analyses une représentativité des attitudes, opinions et valeurs des lycéens dans la France de 2016, mais un éclairage sur des logiques présidant à la radicalité. Pour ce faire, les auteurs construisent des indicateurs à partir de variables d’opinion.
Parmi les indicateurs construits, c’est celui d’« absolutisme religieux » qui sert principalement à analyser les inclinations à la radicalité religieuse dans le chapitre rédigé par Olivier Galland. Sa conclusion est sans appel : l’enquête valide « l’effet très net de l’appartenance à l’islam sur l’adhésion à des idées absolutistes en matière religieuse, comme sur la justification de la guerre religieuse ».
Indicateur équivoque
Qu’est-ce que « l’effet islam », qui détermine ainsi des orientations – et non pas des comportements – sinon radicales et violentes, du moins relativement sectaires et compréhensives à l’égard de la violence religieuse ? Pour Olivier...
Enquête inédite sur la « tentation radicale » des lycéens (03.04.2018)
Flore Thomasset , le 03/04/2018 à 17h04
Mis à jour le 04/04/2018 à 11h10
Deux sociologues publient une étude inédite sur la « tentation radicale » chez les lycéens, qu’elle soit religieuse, politique ou culturelle.
Elle montre notamment un « effet spécifique » de la confession musulmane sur la radicalité religieuse.
L’enquête révèle des écarts importants et « significatifs » entre les élèves se déclarant musulmans et les autres. / Gilles Bassignac/Divergence

Lancée dans la foulée des attentats du 13 novembre 2015, l’enquête que publient ce jour-là politologue Anne Muxel et le sociologue Olivier Galland est intéressante à au moins trois égards.
D’abord, par l’importance de l’échantillon enquêté : près de 7 000 lycéens ont été interrogés. Ensuite par son objet, puisqu’elle étudie non pas la radicalisation ou le passage à l’acte violent, mais, de façon plus générale, « le degré d’attractivité des idées radicales, religieuses et politiques, sur la jeunesse », explique Anne Muxel. Il s’agit d’objectiver « le degré d’acceptation et de justification » des comportements radicaux, c’est-à-dire des comportements en « rupture avec le système politique, économique, social et culturel, les normes et mœurs en vigueur ».
À lire aussi

Des écarts importants et « significatifs »
Elle l’est enfin par ses résultats, notamment ceux portant sur la radicalité religieuse et la justification de la violence qu’elle peut entraîner. L’enquête révèle en effet des écarts importants et « significatifs » entre les élèves se déclarant musulmans et les autres. Ainsi, 81 % des lycéens musulmans estiment que c’est « plutôt la religion qui a raison sur la question de la création du monde », alors qu’ils ne sont que 27 % parmi les chrétiens et 35 % des jeunes d’autres religions. De même, 35 % des musulmans considèrent qu’il y a « une seule vraie religion », alors qu’ils ne sont que 10 % des chrétiens à le penser. Concernant la violence, 20 % des musulmans déclarent acceptable, dans certains cas, de « combattre les armes à la main pour sa religion », contre 9 % pour les chrétiens et 13 % pour les autres religions.
À lire aussi


Analysant ces résultats, les chercheurs montrent, et c’est aussi inédit que sensible, qu’il y a un « effet spécifique de la confession musulmane » à la fois sur l’absolutisme religieux et sur la justification de la violence au nom de la religion. « Comparés aux chrétiens, les musulmans que nous avons interrogés sont cinq fois plus souvent absolutistes et deux fois plus souvent prêts à justifier la violence religieuse, écrivent les auteurs. Cet effet n’est en rien affecté par la prise en compte des variables socio-économiques. »
Seules deux variables viennent moduler l’effet de la religion, sans en effacer l’aspect spécifique : le sentiment de discrimination accroît l’absolutisme religieux chez les garçons ; la tolérance à la violence de façon générale renforce l’adhésion à la violence religieuse. « Ces trois facteurs combinés peuvent expliquer l’adhésion à la radicalité religieuse et violente », analyse Anne Muxel.
« La radicalité est bien installée dans notre jeunesse »
Outre la radicalité religieuse, l’enquête livre aussi des conclusions édifiantes concernant le regard des élèves sur les attentats de 2015 – un quart ne condamnent pas totalement les auteurs des attentats –, leur rapport à la protestation politique ou encore leur adhésion massive aux théories du complot. « La radicalité est bien installée dans notre jeunesse, même si elle est loin d’y être majoritaire », concluent les auteurs.
Inédite par son ampleur, cette étude comporte néanmoins des limites. À commencer par l’échantillon, volontairement biaisé : « Nous avons sélectionné des régions où des comportements radicaux avaient été relevés et dans ces régions, nous avons choisi des quartiers sensibles, assume Olivier Galland. Le but n’était pas d’avoir une vision extrapolable de la radicalité. Les écarts statistiques que l’on révèle sur notre échantillon nous semblent néanmoins significatifs. »
À lire aussi

Le public enquêté est par ailleurs très jeune, ce qui peut expliquer la radicalité (ou l’immaturité ?) de certaines réponses. Cette jeunesse peut aussi expliquer, au moins en partie, le faible impact du sentiment de discrimination et des conditions socio-économiques sur les réponses, ces jeunes n’ayant pas été confrontés au marché du travail, au chômage, etc.
Enfin, au-delà de la radicalité religieuse et violente, les auteurs pointent globalement une « montée de la religiosité » chez les jeunes musulmans, un phénomène de « grande ampleur » mais dont ils n’expliquent ni les ressorts, ni les conséquences dans la vie de ces jeunes. « Lancer une recherche approfondie sur les lycéens musulmans et leur rapport spécifique à la religion serait une très bonne chose », relève Anne Muxel.
––––––––––––––-
Un échantillon non représentatif
6 814 lycéens scolarisés en classe de 2nde ont été interrogés dans une vingtaine de lycées de quatre régions. Un échantillon « socialement diversifié », mais qui « surreprésente les jeunes d’origine étrangère et de milieu populaire », précisent les auteurs. 52 % des interrogés sont des garçons, 58 % sont nés en France de parents français, 24 % se déclarent chrétiens, 26 % musulmans.
Flore Thomasset

France: la profondeur de "la tentation radicale" (05.04.2018)
05.04.2018 par Bernard Litzler
Une enquête menée auprès de 7000 lycéens français révèle la profondeur de “la tentation radicale” auprès d’une minorité de jeunes. L’adhésion de certains adolescents aux idées absolutistes est mise en lumière par les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland.
La prise d’otages de Trèbes, près de Carcassonne, et la mort héroïque du gendarme Arnaud Beltrame, fin mars 2018, a confronté la France, une fois encore, à la mouvance islamiste extrémiste. Dans ce contexte, la parution de l’enquête du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) La tentation radicale (PUF, 464 pages) apporte des éclairages nouveaux sur la propension d’une minorité de jeunes à adhérer aux idées radicales.
Mené dans quatre territoires à dominante urbaine (Lille, région parisienne, Aix-Marseille et Dijon), le travail de sondage réalisé auprès de 7000 lycéens de 14 à 16 ans révèle un pays miné par des courants violents. Mais la tentation vers la radicalité, auscultée par les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland, n’a pas uniquement un visage religieux.
Trois types de radicalité
“Nous avons pris en compte trois types de radicalité: religieuse, politique et culturelle, explique Olivier Galland dans Le Monde du 4 avril 2018. La radicalité religieuse concerne principalement les jeunes de confession musulmane. La radicalité politique touche un spectre plus large, notamment au travers de la diffusion d’une culture protestataire, et la radicalité culturelle, notamment dans le rapport à l’information et les théories du complot, concerne beaucoup de jeunes”.
Cependant l’enquête met en lumière un constat, souvent établi: une minorité de jeunes adhèrent à un absolutisme religieux. Cependant, cet état n’est pas linéaire. La volonté de rupture, surtout de nature religieuse, tient certes aux croyances mais aussi au quartier d’origine, au rapport avec les forces de l’ordre, à l’acculturation de la violence.
Se moquer de la religion
Les réponses aux questions des enquêteurs valent le détour. Ainsi lorsqu’on interroge des lycéens sur la différence entre l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 et celui contre le Bataclan en novembre 2015, les jeunes répondent souvent: “Charlie Hebdo, ils l’ont un peu cherché…”. Par contre les victimes de la salle de concert parisienne étaient choisies au hasard.
Il est ainsi reproché aux dessinateurs de Charlie d’avoir manqué de respect aux religions en publiant les caricatures du Prophète. “Se moquer de la religion, c’est comme si on s’attaquait à nous, à notre personnalité”, dit un des jeunes. Car l’irrévérence envers la religion porte atteinte à l’estime de soi des croyants.
Ce grief du manque de respect peut entraîner chez certains jeunes un réflexe de rupture, notamment lorsque le niveau d’intégration scolaire est faible.
Jeunes tiraillés
Pourtant les adolescents interrogés sont tiraillés, comme tous les jeunes de leur âge, par des questions plus profondes: le rapport au savoir et à l’information, ainsi que l’intégration dans la société. L’enquête sur la radicalisation d’une minorité de jeunes est ainsi tempérée dans ses conclusions. Car tous les radicalisés ne passent pas à la violence et tous les jeunes violents n’ont pas forcément un soubassement croyant. D’où la question posée dans Le Monde par Patrick Simon, directeur de l’Institut national d’études démographiques: “Radicalisation programmée de l’islam ou islamisation opportuniste de la radicalité?”. Pour le spécialiste, l’étude d’Anne Muxel et Olivier Galland n’aide pas à trancher entre les deux thèses.
Radicalisation de l’islam ou islamisation de la criminalité ?
La tentation radicale n’apporte en effet pas de réponse au débat qui agite la France: quelle est l’origine de la violence meurtrière qui a frappé le pays, de Charlie Hebdo au Bataclan et à Nice?
De fait, les réponses sont complexes. Depuis quelques mois, deux universitaires, Gilles Keppel et Olivier Roy, s’y distinguent, en s’opposant. Avec des explications antinomiques…
Pour Gilles Keppel, chercheur à Sciences-Po, l’émergence d’une frange islamiste violente (les frères Kouachi, Mohamed Merah) est en lien avec l’islam salafiste qui sévit dans les banlieues. A l’inverse, pour Olivier Roy, qui travaille à l’Institut universitaire européen à Florence (Italie), “il ne s’agit pas de la radicalisation de l’islam, mais de l’islamisation de la radicalité“. La violence apparue en France serait davantage l’expression de la “révolte générationnelle” de jeunes laissés pour compte que d’une islamisation rampante.
L’enquête d’Anne Muxel et Olivier Galland renvoie ces thèses dos à dos. En effet, il y a bien un malaise chez les lycéens musulmans interrogés, nourri par leurs expériences de stigmatisation ou de rapports délicats avec la police. Mais le sentiment de marginalisation est autant social que le résultat d’un travail de conquête de l’islamisme combattant. (cath.ch/ag/bl)

Une étude du CNRS observe une inquiétante tentation pour la radicalité chez les lycéens musulmans (03.04.2018)
Publié le 03/04/2018 à 11:05

Après deux ans d'enquête auprès de 7.000 lycéens issus en grande partie de quartiers populaires, les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland rendent leurs conclusions dans "La Tentation radicale". La radicalité, qu'elle soit religieuse, politique ou culturelle, atteint des proportions inquiétantes, notamment chez les jeunes musulmans.
Les lycéens de France sont-ils tentés par la violence et la radicalité religieuse ? C'est la question que se sont posée les sociologues du CNRS Anne Muxel et Olivier Galland, au lendemain des attentats de novembre 2015. Les chercheurs publient leurs travaux ce mercredi 4 avril aux Presses universitaires de France (PUF), dans un ouvrage intitulé La Tentation radicale. Et leurs conclusions sont plutôt inquiétantes.
L'échantillon choisi n'est volontairement pas représentatif : les questionnaires ont été adressés à 7.000 jeunes de 14 à 16 ans, fréquentant des régions où des "manifestations de radicalité" (émeutes, bagarres avec la police, blocages de lycées) ont eu lieu : quartiers nord de Marseille, région lilloise, ville de Créteil en banlieue parisienne... l'académie de Dijon a été ajoutée pour apporter de la diversité à l'étude. Reste que celle-ci a interrogé 39% de jeunes scolarisés dans des lycées populaires, et 26% de musulmans, bien davantage donc que dans l'ensemble de la population lycéenne. Le but avoué de l'enquête était en effet d'analyser la prégnance des idées radicales chez les jeunes issus de milieux modestes et de confession musulmane. Les auteurs ont défini la radicalité par "un ensemble d'attitudes et d'actes exprimant a minima une protestation et pouvant aller jusqu'à la contestation frontale du système politique ainsi que des normes sociales et culturelles dominantes". Des idées qui peuvent s'exprimer de manière religieuse, politique ou culturelle, et dans certains cas mener à la violence.

"Combattre les armes à la main pour sa religion"
Certains résultats interpellent : si 11% des adolescents interrogés pensent qu'il y a "une seule vraie religion" et que celle-ci "a raison contre la science", ce chiffre passe à 32% chez les musulmans, dont 81% estiment que "c'est plutôt la religion qui a raison sur la question de la création du monde". Un décalage également constaté en ce qui concerne la tolérance à la violence : pour 25% des jeunes de l'étude, il est acceptable de voler un scooter, de dealer de la drogue ou d'affronter la police... c'est le cas pour un tiers des jeunes musulmans. D'après Anne Muxel et Olivier Galland, ceci s'explique par le fait que les lycéens de confession musulmane habitent souvent dans des quartiers sensibles où la violence est devenue banale.

Le cocktail le plus explosif est constitué par les lycéens qui sont à la fois tolérants envers la violence et radicaux dans leur vision religieuse : parmi ceux-là, 70% ne condamnent pas les auteurs des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Des extraits de l'enquête publiés par Le Monde font état de nombreux témoignages de lycéens qui estiment que les journalistes de Charlie "l'ont cherché" ou "un peu provoqué", en contraste par rapport aux victimes du Bataclan. Autres chiffres pour le moins alarmants : 10% des lycéens estiment qu'il peut être acceptable de "combattre les armes à la main pour sa religion", et ils sont 20% parmi les jeunes de confession musulmane interrogés. En parallèle, la religion de ces derniers les amène à tenir des positions pour le moins rigoristes : l'homosexualité n'est pas "une façon comme une autre de vivre sa sexualité" pour 64% d'entre eux, et 69% sont hostiles à l'interdiction de porter le voile à l'école.

Un "effet islam prépondérant"
Pour expliquer ces données, Anne Muxel et Olivier Galland évoquent plusieurs facteurs qui se cumulent et s'associent : les éléments économiques, évidemment, ces jeunes vivant dans des conditions sociales bien plus dures que la majorité de la population ; un sentiment de discrimination, deux fois plus fort chez les jeunes musulmans ; mais également un phénomène spécifique à l'islam. "Les musulmans reviennent fortement à une pratique religieuse, à l'inverse d'un mouvement de forte sécularisation des autres jeunes", note Olivier Galland dans un entretien au Monde. Il existe selon les sociologues un "effet islam prépondérant" d'adhésion à la radicalité religieuse, qui peut se conjuguer avec un attrait pour la violence. 

La tentation radicale : les lycéens sont-ils concernés ?

Une enquête choc s'inquiète de la radicalisation des jeunes (03.04.2018)
Écrit par deux sociologues, Anne Muxel et Olivier Galland, le livre "La tentation radicale" étudie la radicalisation d'une partie des lycéens français. Et plus particulièrement celle des jeunes musulmans.
Ruptures
Publié le 3 Avril 2018
image: http://www.atlantico.fr/sites/atlantico.fr/files/styles/une/public/images/2016/02/lycee.jpg

Menée sur un groupe de plus de 7000 lycéens résidant dans des zones où des "manifestations de radicalité" ont été observées, La tentation radicale de Anne Muxel et Olivier Galland tire la sonnette d'alarme. Près de 40% des jeunes étudiés sont scolarisés dans des établissements populaires.
Aujourd'hui, on observe avec effroi que 1/ des lycéens interrogés ne condamnent "pas totalement" les attentats contre Charlie Hebdo et le Bataclan. Tout aussi inquiétant, que 80% d'entre eux à considèrent qu'on ne peut pas se moquer des religions.
C'est cela que les deux sociologues responsables de cette enquête longue de trois ans nomment "la tentation radicale". Les quatre zones étudiées, en région lilloise, en Ile-de-France, à côté de Dijon et à côté d'Aix-en-Provence montrent une vraie prévalence des idées radicales, tout particulièrement chez les jeunes musulmans (26% de la population étudiée), mais pas uniquement. 
Et les chiffres abondent en ce sens :  68% de l'ensemble des lycéens pensent que les médias n'ont pas tout dit sur les attentats de 2015. 1/3 trouve "acceptable dans certains cas de participer à une action violente pour défendre ses idées".
La question de l'islamisme est clairement visible : 20% des jeunes musulmans interrogés trouvent normal de se battre pour sa religion. 81% considèrent que "c'est plutôt la religion qui a raison sur la question de la création du monde". Pour Olivier Galland, tout est lié : "L’acceptation de la violence dans la vie sociale joue un rôle dans l’adhésion à la violence religieuse" affirme-t-il dans Le Monde


Jeune et musulman, donc radical ?
Par Sonya Faure et Thibaut Sardier — 4 avril 2018 à 18:56
En 2011, dans le Lycée de la nouvelle chance (LNC) à Villeurbanne.En 2011, dans le Lycée de la nouvelle chance (LNC) à Villeurbanne. Photo Bruno Amsellem. Divergence

Dans la «Tentation radicale», vaste enquête sur l’attrait des extrémismes dans la jeunesse, des sociologues montrent que les pratiquants de l’islam sont plus radicaux et plus en rupture avec les valeurs de la société. Un essai qui fait déjà polémique.
  •  
 Jeune et musulman, donc radical ? (04.04.2018)
Et si la sociologie s’était trompée ? Et si, en privilégiant l’hypothèse de la discrimination et de l’abandon social dont seraient victimes certains Français issus de l’immigration, elle avait négligé d’autres facteurs, culturels ou religieux, plus déterminants pour expliquer la tendance de certains jeunes à la violence ou à la radicalité ? L’hypothèse est défendue dans la Tentation radicale (PUF) par les chercheurs Anne Muxel et Olivier Galland. Publié ce mercredi, l’ouvrage est le fruit d’une enquête d’ampleur menée auprès de 7 000 lycéens, dont la méthodologie fait déjà débat.
A LIRE AUSSI
L'interview du sociologue Olivier Galland par Sonya Faure et Thibaut Sardier
Toutes religions confondues, un tiers des jeunes interrogés estiment qu’il est normal de «participer à une action violente pour défendre ses idées». Près d’un tiers ne s’est pas senti concerné par la minute de silence en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo.Sept sur dix pensent que les médias n’ont pas dit toute la vérité sur le sujet. A l’heure de la défiance généralisée à l’égard des institutions, «une minorité significative de ces jeunes est concernée par des idées radicales, et, pour certains, par l’idée que la radicalité violente peut trouver une justification», concluent les auteurs.
Menée durant trois ans dans 23 lycées des académies de Lille, Créteil, Aix-Marseille et Dijon, cette étude statistique repose avant tout sur des données quantitatives, complétées par quelques dizaines d’entretiens. Les jeunes, âgés de 15 à 17 ans, ont répondu à un QCM portant sur leur lien avec la religion, leur appartenance politique, leur regard sur des délits plus ou moins graves (conduite sans permis, violences contre la police…), leur manière de s’informer. L’objectif n’était pas d’expliquer le passage à l’acte d’une petite minorité tombant dans le terrorisme. Mais de cerner un état d’esprit plus général, un «halo de radicalité», une multitude d’actes ou de postures montrant la tentation de rompre avec le «système politique, économique, social et culturel, et, plus largement, avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société». Une formulation très large, peut-être trop, qui regroupe conduite sans permis, vote contestataire et tentation jihadiste.
D’un chapitre à l’autre, le livre cherche à étudier les facettes de ce phénomène : de la «radicalité informationnelle» liée à l’attrait du complotisme chez les jeunes, à la radicalité politique «protestataire», qui pourrait être la «nouvelle norme de politisation » des lycéens, selon la politiste Anne Muxel.
Mais dans la Tentation radicale, c’est la radicalité religieuse qui écrase le reste. Sans doute en raison du contexte dans lequel est née l’enquête. Au lendemain des attentats de novembre 2015(1), le président du CNRS, Alain Fuchs, lance un appel à projet pour encourager les chercheurs à creuser «tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences». Beaucoup sont alors réticents. «Certains dénonçaient un "affichage politique", raconte le sociologue Olivier Galland. Ce n’était pas notre avis.»
Surreprésentation
Olivier Galland et Anne Muxel proposent alors un protocole d’enquête reposant sur une hypothèse affirmée dès les premières pages mais peu discutée : «La radicalité religieuse est présente dans toutes les religions, mais aujourd’hui, ses manifestations les plus évidentes sont associées à une certaine conception de l’islam.» Pour vérifier ce prérequis, les auteurs constituent un échantillon d’enquête qui surreprésente les lycées populaires de zones urbaines sensibles (ZUS) et les jeunes musulmans, à hauteur d’un quart des enquêtés (on estime que les musulmans représentent 7 % de la population française), soit à égalité avec les chrétiens, contre 40 % de personnes sans religion. Les juifs représentent 1 % de l’ensemble.
Avec ce panel significatif mais non représentatif de la population française, un premier résultat saute aux yeux : les jeunes musulmans se distinguent très nettement par leurs valeurs, leur conception de la citoyenneté ou de la religion. Les auteurs observent dans tous les lycées de l’enquête un «effet islam». Celui-ci expliquerait la plus grande radicalité idéologique des lycéens musulmans (souvent considérés par les auteurs, sans nuances, comme un ensemble homogène), tout comme leur soutien aux actes violents - religieux ou non - qu’on retrouve davantage chez eux que chez les chrétiens ou les athées. Ce facteur culturel prime sur tous les autres paramètres testés, tant les résultats scolaires de l’élève que la situation économique des parents ou le sentiment de discrimination. «La radicalité religieuse ne semble pas être principalement la fille de l’exclusion socio-économique, et sa racine spécifiquement religieuse semble forte», concluent les auteurs. Mais, en concentrant leur enquête dans les ZUS, les chercheurs ne se sont-ils pas privés des classes moyennes musulmanes, qui, les premières, fuient ces lycées ségrégués ?
Les lycéens musulmans interrogés sont ainsi profondément marqués par l’«absolutisme religieux» qui consiste à penser que leur religion est la seule à détenir la vérité, et qu’elle explique mieux la création du monde que la science. Dans les lycées de l’étude, les musulmans sont 5,4 fois plus absolutistes que les chrétiens. Ils se distinguent aussi par leur «antilibéralisme culturel», appréhendé par deux questions : l’homosexualité est-elle «une façon comme une autre de vivre sa sexualité ?» ; «Le rôle principal des femmes est-il de s’occuper de la maison et des enfants ?» Conclusion sans appel des auteurs : «Le mouvement de sécularisation qui a gagné les sociétés européennes, et tout particulièrement la France, ne semble pas les avoir touchés.» Parmi les jeunes qui ne se sont pas sentis concernés par la minute de silence, parmi ceux qui sont attirés par les thèses complotistes, les musulmans sont encore, proportionnellement, plus présents. Et si les auteurs notent, enseignement important, que la tolérance à la violence religieuse s’explique davantage par la tolérance à la violence en général que par sa religion, ils indiquent que les musulmans valident malgré tout plus que les autres l’idée de «combattre les armes à la main pour sa religion».
Offensive
Ces conclusions remettent en cause tout un courant de la sociologie française pour laquelle le profil économique et social des individus est l’une des principales clés d’explication de leurs comportements. La Tentation radicale est ainsi la dernière salve d’une offensive qui divise violemment la discipline depuis quelques années, et plus encore depuis la sortie en octobre dernier du livre le Danger sociologique (PUF) d’Etienne Géhin et Gérald Bronner - ce dernier étant justement à «l’initiative scientifique» du livre de Galland et Muxel. En novembre, un dossier de la revue le Débat (Gallimard) auquel participaient Bronner, Galland, mais aussi Dominique Schnapper, relançait la critique. La discipline serait devenue nocive : trop idéologique, pas assez scientifique, victimaire, elle chercherait à excuser plus qu’à expliquer.«Il est urgent de faire front face aux innombrables avatars de la sociologie critique qui gangrènent notre discipline, dans une dérive potentiellement suicidaire», concluait Nathalie Heinich dans le Débat.
Cette conception est loin de faire l’unanimité, comme en témoignent les réactions de plusieurs sociologues visés par la polémique, interrogés par Libération. «Les résultats d’Olivier Galland reviennent à dire que quelque chose d’intrinsèque à l’islam mènerait à la radicalité, voire à la violence», commente le démographe de l’Ined Patrick Simon, qui a codirigé la grande enquête «Trajectoire et Origine», menée en 2008-2009, sur la diversité des populations en France. «Il fait de "l’orientalisme" : à travers ses questions, il crée un univers exotique où les lycéens musulmans se distingueraient des autres. Certes, il est atterrant que des jeunes préfèrent croire la religion plutôt que la science. Mais est-ce le meilleur indicateur de rupture avec le monde social ?» poursuit Simon.
Exemple : pour mesurer l’adhésion au principe de laïcité, Galland s’appuie sur deux questions : les jeunes sont-ils favorables aux menus de substitution dans les cantines et au port du voile à l’école ? Deux sujets qui concernent avant tout, au quotidien, les musulmans. Olivier Galland nuance : «Sur les cantines, la question est neutre. En revanche, celle sur le voile ne l’est pas et nous l’avons regrettée. Nous l’avons peu utilisée dans nos statistiques.»
«Subjectivité»
Auteur de plusieurs livres sur la radicalisation (le Nouveau Jihad en Occident, Robert Laffont, mars), Farhad Khosrokhavar pointe aussi les limites des enquêtes par questionnaire. «Les lycéens ont coché des cases, et ce travail manque cruellement d’une dimension anthropologique. Des discussions avec ces jeunes auraient sans doute amené des enseignements différents. Pour comprendre, il faut pénétrer leur subjectivité», insiste le sociologue, directeur d’études à l’EHESS. «L’étude montre que 20 % à 30 % des musulmans sont fondamentalistes, d’autres enquêtes françaises et européennes l’ont déjà établi. Mais ici, les chercheurs, non spécialistes des religions, n’ont pas vu que ces jeunes peuvent instrumentaliser leur appartenance religieuse, l’utiliser comme une provocation, pour contrer leur sentiment d’humiliation. "L’effet islam", en soi, ne veut rien dire si on ne décrypte pas ce que signifie le fait de se dire musulman. Il ne s’agit pas d’"excuser les jeunes", mais de contextualiser.»
Jeune, radicalisé, musulman. Des chercheurs en ont fait une catégorie d’étude. Mercredi matin sur France Inter, Guillaume Peltier, vice-président de Les Républicains, en faisait déjà un cheval de bataille.
(1) Et non pas immédiatement après ceux de janvier 2015, comme indiqué par erreur dans une précédente version.

Les chiffres chocs de l’étude
- D’après l’analyse menée sous la direction d’Anne Muxel et Olivier Galland auprès de 7 000 lycéens de 15 à 17 ans : 32% des musulmans sont «absolutistes» en matière de religion, contre 6% des chrétiens, 14% des fidèles d’autres religions, 1% des sans-religion, 11% du total des enquêtés.
- Un tiers des jeunes interrogés estiment qu’il est normal de «participer à une action violente pour défendre ses idées». 20% des musulmans déclarent «acceptable dans certains cas, dans la société actuelle» de «combattre les armes à la main pour sa religion», contre 9% des chrétiens et 6,5% des sans-religion.
- Un quart des lycéens ne condamnent pas totalement les auteurs des attentats de janvier 2015 (45% des musulmans). Les lycéens les plus tolérants à la violence en général ont 6 fois plus de chances que ceux qui la soutiennent le moins de justifier la guerre religieuse.
- 81% des musulmans choisissent la religion contre la science pour expliquer la création du monde contre 27% des chrétiens.
La Tentation radicale (PUF) par Anne Muxel et Olivier Galland


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

sauvergarder sitamnesty

https://web.archive.org/web/20190507024549/https://sitamnesty.wordpress.com/europe-2083/ https://web.archive.org/web/20190828001705/https...