vendredi 15 février 2019

Fillon-Ferrand : Deux poids-deux mesures


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FIGAROVOX/CHRONIQUE - Gilles-William Goldnadel dénonce dans sa chronique le deux poids, deux mesures de la justice dans le traitement de l'affaire Fillon et du cas de Richard Ferrand.

Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Il est président de l'association France-Israël. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.

Le futur débat parlementaire sur la moralisation de la vie publique ne contribue pas spécialement à me donner le moral.


La transparence à tout prix peut avoir un coût exorbitant et l'on ne conduit pas les affaires de l'État sous l'emprise de la moraline.

Les temps sont schizophrènes. La société française voudrait être gouvernée par des saints laïques, alors qu'elle est avant tout gouvernée par la religion de l'argent et du plaisir à tout prix.

Les députés d'aujourd'hui sont ses enfants gâtés autant que détestés.

Des millions de Français transgressent la loi en toute bonne conscience. Ils fument du cannabis sur une telle échelle que le nouveau gouvernement va tirer les conséquences de l'impuissance d'État, ils piratent sans état d'âme les oeuvres artistiques. La gratte dans les grands magasins est monnaie courante et ne donne pas lieu systématiquement à poursuite. Certains citoyens, au nom de la citoyenneté universelle, revendiquent fièrement, de voir les lois migratoires impunément violées. D'excellents films consistent à raconter avec empathie l'histoire de sympathiques escrocs ou de voleurs imaginatifs. Une bonne partie de la jeunesse regarde avec fascination des clips de gangsta' rap. Une secrétaire d'État fraîchement nommée, Marlène Schiappa, donnait il y a peu des conseils pour frauder la sécurité sociale.




Et l'on voudrait en même temps le personnel politique contemporain exemplaire de rigueur dans l'observance de la légalité…

Ensuite et surtout, par instinct comme par empirisme, j'ai grande méfiance dans les discours ou les lois morales.

La même méfiance que m'inspirent les donneurs de leçons de morale que je n'ai pas commandée.

Il est connu que ceux qui parlent beaucoup d'amour ne sont pas forcément ce qui le font le mieux.

Il en est de même de ceux qui n'ont que la morale à la bouche. Ceux-là sont les plus louches. Leur discours leur vaut souvent quittance.

Il existe d'ores et déjà un arsenal légal habile à réprimer les corrompus de tout acabit. Il suffit que le parquet compétent, quand il est avisé d'un fait éventuellement illégal, le veuille examiner.

À ce stade, mon lecteur sagace a déjà compris que je vais évoquer l'affaire Richard Ferrand.

Compte tenu de ce qui précède, en temps normal, l'avocat que je suis aurait plaidé vigoureusement la patience judiciaire qui s'accorde bien mal avec l'impatience médiatique.

Mais les temps ne sont pas normaux. Ils sont exceptionnellement malsains.

D'abord, parce que, ainsi que je l'ai écrit dans ces mêmes colonnes, la campagne présidentielle aura été préemptée de manière littéralement scandaleuse par l'attitude du Parquet National Financier qui, avec une rapidité inouïe et exceptionnelle, se sera saisi de l'affaire Fillon sur la seule base d'un article du Canard Enchaîné.

On connaît la suite et peu importe de savoir si l'insigne maladresse à se défendre du candidat aussitôt mis en examen lui aura été ou non définitivement fatale.

Une véritable escroquerie idéologique au débat de fond aura été commise qui aura focalisé sur un médiocre cas Pénélope en esquivant opportunément les questions sociétales qui reviennent aujourd'hui au galop, mais après le Grand prix.

Dès lors, il faudrait aux victimes escroquées une grandeur d'âme digne de la béatification pour accepter de passer noblement l'éponge ou d'être frappées d'amnésie alors qu'une nouvelle course de trotteurs s'engage.

En tant qu'avocat, j'écris en conscience que lorsque le parquet de Brest refuse de se saisir du cas Richard Ferrand, ensuite des révélations circonstanciées du Canard Enchaîné, il commet une grave injustice à l'égard non seulement de François Fillon, mais encore des électeurs Français.

Ainsi, le précédent calamiteux, a fortiori en période électorale, du Parquet National Financier entraîne des calamités judiciaires en série.

Peu importe, qu'il s'agisse d'argent public ou d'argent privé, le montage financier tout à fait extravagant incriminé dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne pose des questions légales, au regard des Codes pénal et de la mutualité, toutes aussi sérieuses que n'en posaient les contrats de Pénélope Fillon.

L'esprit le plus confiant a du mal à se persuader que M. Ferrand pouvait ignorer qu'au moment de la signature du bail, la SCI de sa compagne n'était pas encore enregistrée.
D'autre part, la proximité des protagonistes, le caractère ou non réellement moins disant du loyer, la prise en charge insolite par les mutuelles du montant important des travaux, l'obtention sans coup férir des crédits bancaires, posent de graves questions, notamment dans le cadre très exigeant de la jurisprudence en matière de prise illégale d'intérêts.

Enfin, mon confrère et ami Rémi-Pierre Drai, avocat des Républicains, a bien voulu m'écrire qu'il avait déposé le signalement à Brest à 14h30 et que le procureur de ce tribunal avait publié un communiqué à 17h dans lequel il refusait de se saisir de l'affaire concernant ce très proche du nouveau Président de la République.

Autrement dit, le Parquet National Financier aura été aussi prompt à se saisir du cas Fillon que le parquet brestois à refuser le cas Ferrand…

Ah ça, quelle injustice de critiquer la lenteur de notre justice!

Je reviens, pour terminer, sur ce discours moral qui tue la vraie morale.

Richard Ferrand, député, avait octroyé à son fils un contrat d'assistant parlementaire, a priori légal.

Richard Ferrand, bras gauche d'Emmanuel Macron, avec un talent oratoire maîtrisé et indiscutable, avait eu, durant la campagne, des mots très sévères sur cette pratique très courante mais dont on ignorait qu'il l'avait pratiquée.

Comme l'amour, il vaut mieux que la morale se pratique dans la discrétion et sans vantardise.

Question de sincérité comme d'efficacité.

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Editorial. Alors que Richard Ferrand balaie d'un revers de la main les accusations portées contre lui, le silence du Garde des Sceaux devient pesant. 


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Beaucoup de choses ont déjà changé depuis l’entrée en fonctions d’Emmanuel Macron. En revanche, et c’est une caractéristique de la gauche au pouvoir, nous assistons toujours au triste « deux poids deux mesures ». Ce lundi, où François Fillon était entendu une nouvelle fois par les juges, un avocat brestois a fait des révélations accablantes sur le montage immobilier qui a permis à Richard Ferrand et à sa compagne de se constituer un patrimoine de près de 600.000 euros.

Désormais il n’est plus permis, hélas, de douter du rôle personnel joué par le nouveau Ministre de la cohésion des Territoires dans ce montage destiné à s’enrichir en dormant. Mais le parquet financier n’a rien trouvé à y redire, de même que celui de Brest. Quant au Garde des Sceaux, qui a lui-même procédé à quelques dangereuses cachotteries, il reste d’un silence prudent. Voilà qui donne une curieuse idée de ce que sera la future moralisation de la vie politique…

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Voir aussi Quand Fillon fait bosser sa femme c’est un scandale, quand Ferrand emploie son fils à 8500€ c’est normal
http://lagauchematuer.fr/2017/05/27/quand-fillon-fait-bosser-sa-femme-cest-un-scandale-quand-ferrand-emploie-son-fils-a-8500e-cest-normal/



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«La rapidité avec laquelle l'affaire Fillon a été traitée au début est stupéfiante»


«La rapidité avec laquelle l'affaire Fillon a été traitée au début est stupéfiante»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans un livre qui vise à faire toute la lumière sur «l'affaire Fillon», des révélations du Canard enchaîné à l'élimination de l'ex-candidat, Hervé Lehman dénonce la connivence entre le pouvoir judiciaire et l'exécutif.


Hervé Lehman est ancien juge d'instruction et avocat au barreau de Paris. Il vient de publier Le Procès Fillon (éd. du Cerf, 2018).

FIGAROVOX.- Un an après l'élimination de François Fillon au second tour de la présidentielle, l'affaire semble au point mort. Comment expliquez-vous cette lenteur après la rapidité de sa mise en examen?
Hervé LEHMAN.- Le rythme actuel de la procédure visant François Fillon est normal, c'est-à-dire conforme à la durée habituelle des procédures d'instruction. Ce qui est stupéfiant, c'est la rapidité avec laquelle l'affaire a été traitée au début, comme si on avait voulu éliminer le principal candidat de l'opposition. Comme il était procéduralement impossible de faire comparaitre François Fillon devant un tribunal dans les quelques mois de l'élection présidentielle, on a choisi d'ouvrir une instruction qui permettait sa mise en examen, cette pré-condamnation des présumés innocents.
À peine l'instruction ouverte, les juges d'instruction ont été désignés; à peine désignés ils ont convoqué, après avoir étudié le dossier pendant le week-end, François et Penelope Fillon pour les mettre en examen. Où était l'urgence? L'affaire remontait à plusieurs années… Certains disent: oui, mais si François Fillon avait été élu, il aurait bénéficié de l'immunité présidentielle pendant son quinquennat et l'affaire aurait été bloquée. Si c'est bien le raisonnement suivi par les juges, cela signifierait qu'ils avaient conscience que la mise en examen allait empêcher François Fillon d'être élu. C'est cette interférence du judiciaire dans le processus électoral qui pose un problème.
L'ancien directeur du FBI, James Comey, vient d'écrire dans son livre qu'il avait eu conscience de nuire à la campagne d'Hillary Clinton en relançant publiquement son enquête quelques jours avant l'élection. Les magistrats en charge de l'affaire Fillon ont-ils pu ne pas avoir conscience qu'ils interféraient dans le rendez-vous démocratique majeur qu'est l'élection présidentielle?
Le Parquet national financier était-il légitime dans cette affaire?
Le parquet national financier a été créé pour lutter contre «la grande délinquance financière». La loi lui donne compétence pour les affaires de détournement de fonds publics «d'une grande complexité». L'affaire de l'emploi de Penelope Fillon est d'une grande simplicité. On n'a pas créé un parquet national financier pour vérifier l'emploi du temps d'une assistante parlementaire de la Sarthe. Si le parquet national financier s'est saisi, précipitamment (le jour même de la sortie de l'article du Canard enchaîné), en raison de la dimension politique de l'affaire, alors ce n'est plus un parquet national financier, mais un parquet national politique.
Cette saisine est d'autant moins compréhensible que, pour les affaires apparues à la même époque, la soirée à Las Vegas d'Emmanuel Macron organisée par Business France qui était dirigée par Muriel Penicaud, l'affaire des assistants parlementaires du Modem de François Bayrou, l'affaire mettant en cause Richard Ferrand, le parquet national financier ne s'est pas saisi, alors même que les deux premières sont plus complexes que le cas de Penelope Fillon.

Ce n'est plus un parquet national financier, mais un parquet national politique.

Il n'y a pas d'explication officielle satisfaisante à ce mystère. Interrogé par La Voix du Nord, le procureur de la République financier a répondu: «je n'ai pas de sens politique».
François Fillon n'a-t-il pas lui-même commis un certain nombre d'erreurs? À commencer par se mettre entre les mains des juges…
Il est évidemment plus facile de commenter après coup, que d'agir dans la tourmente. Mais il est certain que François Fillon a sous-estimé la virulence de l'offensive judiciaire dont il faisait l'objet. Pour qui avait analysé les conditions de la création du parquet national financier et la fermeté de son action dans les affaires mettant en cause la droite, en particulier Nicolas Sarkozy et son entourage, il était évident que ce parquet créé par François Hollande ne se saisissait pas de cette affaire avec une extrême rapidité dans le but de blanchir François Fillon avant l'élection présidentielle. En proclamant dans un premier temps qu'il lui faisait confiance, François Fillon a fait preuve de naïveté.
Il en a été de même lorsqu'il a déclaré qu'il se retirerait de l'élection présidentielle s'il était mis en examen, parce qu'il était convaincu, à tort, que ce n'était techniquement pas possible. On pourrait dire qu'il a alors donné le mode d'emploi à ses adversaires judiciaires.
Après avoir sous-estimé l'offensive judiciaire, François Fillon a surjoué, tardivement, l'indignation en criant au complot et au cabinet noir. Ce n'était plus audible, après ce qu'il avait précédemment dit.
L'ancien Premier ministre a évoqué un cabinet noir. Croyez-vous à cette théorie du complot?
Il n'y a pas de cabinet noir, et pas de complot. Les choses sont plus subtiles que cela. Il y a une chaîne de magistrats, dont la plupart ont été nommés par François Hollande et Christiane Taubira, dont plusieurs ont été aux cabinets de Lionel Jospin ou de Ségolène Royal, dont certains ont été militants ou sont proches du Syndicat de la magistrature. Évidemment, ces magistrats n'ont pas une sensibilité proche de François Fillon ou de Sens commun. Ils ont agi selon leur conscience et leurs convictions.
Comment le juge d'instruction est-il nommé?
Lorsque le juge Tournaire a été désigné comme juge d'instruction principal, la presse a dit: c'est «le juge de fer, François Fillon va passer un sale moment». Mais personne ne s'est interrogé sur la raison pour laquelle c'est ce juge qui s'est trouvé en charge de l'affaire Fillon. Le juge d'instruction n'est pas tiré au sort, il est désigné par le président du tribunal de grande instance. Évidemment, la désignation ne se fait pas au hasard ; elle ne se fait pas non plus sur des critères objectifs et pré-établis. Elle résulte d'un choix non justifié et non motivé.
Il doit donc être constaté qu'a été choisi pour l'affaire mettant en cause le candidat de l'opposition à l'élection présidentielle un juge qui est réputé pour traiter les politiques comme les délinquants de droit commun, qui était déjà en charge d'affaires mettant en cause Nicolas Sarkozy, qu'il a mis sur écoutes téléphoniques pendant huit mois et qu'il vient alors de renvoyer devant le tribunal correctionnel pour l'affaire Bygmalion contre l'avis de son collègue co-saisi. Le même juge qui mettra en garde à vue Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, en mars dernier, puis Vincent Bolloré en avril. Ici encore, faut-il croire que le choix a été fait en l'absence de tout «sens politique»?
Diriez-vous comme Napoléon Ier que «le juge d'instruction est l'homme le plus puissant de France»?
La procédure d'instruction est archaïque. Elle est très lourde, très lente, et dépend entièrement de la qualité du juge d'instruction saisi.

Le mis en examen est juridiquement présumé innocent, il est médiatiquement et socialement présumé coupable.

Nos grands voisins, l'Allemagne et l'Italie, y ont renoncé ; la plupart des pays démocratiques n'ont pas de juge d'instruction et ont un système clair dans lequel, entre le procureur qui enquête et accuse et la défense, il y a un juge qui ne fait que juger. Comme le dit Robert Badinter, le juge d'instruction est mi-Maigret mi-Salomon, mi-policier mi-juge. C'est une fonction schizophrénique.
La commission Delmas-Marty, mise en place par François Mitterrand et la commission Léger, désignée par Nicolas Sarkozy, de sensibilités différentes et à vingt ans d'écart, sont arrivées à la même conclusion: il faut abandonner la procédure d'instruction. Mais c'est un tabou: dès qu'un projet voit le jour, les conservatismes, notamment syndicaux, crient à la mort de la démocratie et le projet est enterré pour vingt ans. Le prétexte est que le parquet n'est pas indépendant et qu'il pourrait manipuler les affaires politiques. Pour 1 % des affaires, dites politiquement sensibles, on maintient un système qui marche mal pour les autres 99 %. Surtout, il est possible de mettre en place des garde-fous pour les affaires politiques. Et on voit avec l'affaire Fillon que l'existence du juge d'instruction n'est pas une garantie contre des dérives dans les affaires politiques.
Si l'on maintient la procédure d'instruction, il faut à tout le moins supprimer la mise en examen qui est un fléau judiciaire. Le mis en examen est juridiquement présumé innocent, il est médiatiquement et socialement présumé coupable. Chaque année, environ dix mille personnes mises en examen sont finalement déclarées innocentes, mais restent aux yeux de tous suspectes parce que le sceau d'infamie de la mise en examen est indélébile. Techniquement, la mise en examen n'est pas nécessaire ; pour les mis en examen qui seront reconnus innocents des années plus tard, elle produit des effets catastrophiques.
Dans votre livre, vous rappelez que le syndicat de magistrature, à l'origine du mur des cons, est né en 1968 et que son texte fondateur est la harangue de Baudot: que cela signifie-t-il?
Oui, c'est cette harangue en effet, qui proclame: «Soyez partiaux… Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l'enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l'ouvrier contre le patron, pour l'écrasé contre la compagnie d'assurances de l'écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice».
«Soyez partiaux», c'est une injonction terrible parce que c'est l'opposé même de la notion de justice, le contraire du droit à un tribunal impartial affirmé par la Convention européenne des droits de l'homme. Lorsque l'on entend dire que la harangue de Baudot est un texte ancien, qui remonte à plus de quarante ans et serait «prescrit», on doit bien constater qu'il a gardé un écho chez certains magistrats, heureusement fort minoritaires. Qui trouvait-on sur le mur des cons affiché crânement au siège du Syndicat de la magistrature et «enrichi» au fur et à mesure par les magistrats qui s'y rendaient? Des politiciens de droite, bien sûr, mais aussi deux pères de jeunes filles violées et assassinées. Les cons, ce sont les victimes!
L'immense majorité des magistrats sont impartiaux et insensibles aux influences politiques. Une minorité reste dans l'esprit de la harangue de Baudot. Il vaut mieux ne pas passer devant eux quand on est un politicien de droite ou un chef d'entreprise.

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