Jair
Bolsonaro, un antisystème aux portes du pouvoir
Par Michel
Leclercq
Publié le 26/10/2018 à 19h33
Publié le 26/10/2018 à 19h33
PORTRAIT - L'homme
de 63 ans a occupé la scène depuis des années par ses propos homophobes,
misogynes ou racistes, sa défense de la dictature militaire et des
tortionnaires. Mais ses coups de menton cachent des convictions beaucoup moins
fermes.
Encore amaigri après
l'attentat qui a failli lui coûter la vie six semaines plus tôt,
Jair Bolsonaro n'a rien perdu de sa virulence. Face à la foule de ses partisans
massés sur l'avenida Paulista, le 21 octobre à Sao Paulo, le grand favori
du second
tour de la présidentielle dimanche apparaît sur un écran géant, en
direct depuis sa maison de Rio. Le candidat d'extrême droite leur promet la
victoire, menace d'exil ou de prison les «rouges» partisans de son rival
Fernando Haddad, le candidat du Parti des travailleurs de Lula. À
l'ex-président, incarcéré pour corruption, il promet qu'il «va pourrir en
prison» et qu'il sera bientôt rejoint par son dauphin. Des propos d'une rare
violence à l'encontre d'opposants politiques.
Jair Messiah
Bolsonaro, 63 ans, a occupé la scène depuis des années par ses propos
homophobes, misogynes ou racistes, sa
défense de la dictature militaire et des tortionnaires. Ce qui l'a
souvent fait comparer à un «Donald Trump tropical» ou même au président
philippin Rodrigo Duterte. On devine sa colonne vertébrale: les valeurs
chrétiennes, la loi et l'ordre, l'admiration pour la force. Mais ses coups de
menton cachent des convictions beaucoup moins fermes. Il agite en permanence le
danger communiste mais a fait l'éloge d'Hugo Chavez en 1999, «un espoir pour
l'Amérique latine» ; nationaliste opposé aux privatisations, il est devenu
un chantre du libéralisme ; défenseur de la famille, il a été marié trois
fois ; catholique, il a été baptisé dans les eaux du Jourdain par un
pasteur évangélique.
«Au lieu d'argumenter, il polémique. C'est ainsi qu'il a
gagné sa notoriété, un espace dans les médias et le surnom de “Mito” (Mythe)
parmi ses partisans.»
Le journaliste
Clovis Saint-Clair
Pour le journaliste
Clovis Saint-Clair, auteur du livre Bolsonaro, la posture populiste
du capitaine de réserve est une «stratégie de communication» rodée depuis longtemps.
«Au lieu d'argumenter, il polémique. C'est ainsi qu'il a gagné sa notoriété, un
espace dans les médias et le surnom de “Mito” (Mythe) parmi ses partisans.»
Né en 1955, à
Campinas, dans l'État de Sao Paulo, Jair Messiah Bolsonaro a grandi, avec ses
cinq frères et sœurs, à Eldorado, une petite ville pauvre de la Vallée de
Ribeira, dans le sud-est du Brésil. Ses parents, d'origine italienne, menaient
une vie modeste et son père exerçait la profession de dentiste, sans en avoir
le diplôme. C'est là qu'en 1970 son destin s'est dessiné. À l'époque, l'armée
traquait dans cette région reculée le capitaine déserteur Carlos Lamarca qui
commandait un groupe de guérilla. L'adolescent s'est offert pour guider les
militaires dans la vallée dont il connaissait tous les recoins. En échange, un
soldat lui a remis un bulletin d'inscription à l'école des cadets. «Il disait à
tout le monde, tout le temps, qu'il allait partir d'Eldorado et s'enrôler dans
l'armée», a raconté une habitante, Dona Narcissa, au journal El Pais. Après les
cadets, il a poursuivi sa formation à l'Académie militaire des Aiguilles
noires. Grand et athlétique, il y a obtenu un brevet d'officier parachutiste.
Le capitaine
Bolsonaro, alors en garnison à Rio de Janeiro, a fait parler de lui pour la première
fois en 1986. Indigné par la solde modeste des hommes du rang, il a
publiquement exposé ses revendications dans une lettre à l'hebdomadaire Veja.
Cela lui a valu 15 jours d'arrêt. Pour un plus grand retentissement, il a
ensuite projeté de faire exploser des petites bombes artisanales dans des
casernes. La conspiration, maladroite, fut vite éventée. Traduit devant une
cour militaire, il fut relaxé faute de preuves. Ses supérieurs ont cependant eu
un jugement sévère sur l'officier insubordonné. «On a toujours refusé qu'il
dirige les officiers subalternes, tant en raison de la manière agressive dont
il traitait ses camarades que par le manque de logique, de raisonnement et
d'équilibre de ses arguments», a dit le colonel Carlos Alfredo Pellegrino au journal
Folha de Sao Paulo.
Difficultés pour argumenter
Sa sortie de l'armée
en 1988 fut ainsi plus notable que ses dix-sept années sous l'uniforme.
Celles-ci ont toutefois fortement marqué sa vision de la société et sa pensée
politique. À commencer par sa nostalgie du régime des généraux de 1964 à 1985.
Des années qui pour Jair Bolsonaro, alors adolescent, furent «20 ans
d'ordre et de progrès». Plus tard, il dira que «l'erreur de la dictature fut de
torturer et de ne pas tuer». Selon lui, «il aurait fallu fusiller quelque
30.000 corrompus». Lors de la destitution en 2016 de la présidente Dilma
Rousseff, une ancienne guérillera torturée sous la dictature, il dédiera son
vote à la mémoire de son tortionnaire, le colonel Carlos Alberto Brilhante
Ustra. Les Mémoires du colonel sont d'ailleurs le livre de
chevet de Bolsonaro, selon Clovis Saint-Clair. Son adhésion aux valeurs
traditionnelles, sa défense d'un État fort et interventionniste dans l'économie
ont aussi été modelées par ses années de caserne.
Quand il a troqué
l'uniforme pour le costume de conseiller municipal de Rio, il a pu compter sur
un solide réseau d'amitié parmi ses anciens compagnons. C'est ainsi que, deux
ans plus tard, il a été élu député de Rio à sa première tentative. Il fera sept
mandats successifs à Brasilia au sein de neuf partis différents, une pratique
courante au Brésil. Malgré sa longévité, son œuvre législative a l'épaisseur
d'une feuille de papier. En 27 ans de vie parlementaire, seules deux de
ses propositions de loi ont vu le jour. Piètre orateur, il n'a jamais pesé dans
l'hémicycle et n'a jamais fait partie de l'establishment. Cette discrétion fait
aujourd'hui sa force et lui permet d'apparaître comme un homme neuf face à une
classe politique corrompue.
Sa notoriété, il la
doit à
ses coups d'éclat, ses provocations, ses violentes attaques personnelles dans
et en dehors de l'hémicycle qui lui ont valu de multiples poursuites et
quelques condamnations. Il a ainsi été mis en examen pour avoir lancé à une
députée de gauche qu'elle «ne méritait pas d'être violée» parce qu'elle était
«très moche». Il assure qu'il serait «incapable d'aimer un fils homosexuel» et
qu'il préférerait que son fils «meure dans un accident plutôt que de le voir
avec un moustachu». Il dénigre Noirs, Indiens et minorités et a proposé de
faciliter la stérilisation des pauvres pour réduire la misère. «J'ai des
préjugés et j'en suis fier», a-t-il même claironné en 2011. Peu importent ses
excès pour ses partisans séduits par le «parler vrai» du candidat populiste.
«L'exacerbation du
discours, le fait d'amener toujours le débat vers l'émotionnel répond à deux
objectifs. Le premier, c'est de toucher le cœur des personnes pour que le
discours soit plus persuasif ; le second, c'est d'écarter un débat plus
rationnel parce qu'il a des difficultés pour argumenter», a expliqué Clovis
Saint-Clair. Jair Bolsonaro a ainsi refusé de débattre entre les deux tours
avec Fernando Haddad, privant le pays d'une confrontation d'idées. Lors d'un
déjeuner avec des ambassadeurs occidentaux, le candidat a été incapable
d'exposer ses idées de gouvernement, a rapporté un diplomate européen. Les
diplomates sont restés perplexes.
Marié trois fois,
son dernier enfant est une fille, le fruit, a-t-il dit, d'une «petite
faiblesse» lors de la procréation. Il a surtout quatre fils dont les trois
premiers sont aussi des élus et qu'il appelle selon le code militaire 01, 02,
03. Ils forment avec lui un clan soudé qui a décidé de tout dans la campagne.
Ils suivent ses pas. L'un d'eux, Eduardo, a évoqué dans une vidéo la
possibilité de fermer la Cour suprême. Pour cela, il suffirait «d'un soldat et
d'un caporal», a-t-il lancé, ravivant les craintes d'une présidence
autoritaire.
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Paris
appuie l'offensive contre les dernières poches de Daech
Dans la moyenne vallée de l'Euphrate, autour de Hadjine
des opérations ont été lancées le 10 septembre.
L'offensive pour réduire les dernières poches tenues par
Daech en Syrie se poursuit avec l'appui du dispositif français. C'est notamment
le cas dans la moyenne vallée de l'Euphrate, autour de Hadjine où les
opérations ont été lancées le 10 septembre. Depuis le territoire
irakien, les
trois canons Caesar- d'une portée de 40 kilomètres - de la task force
Wagram soutiennent l'engagement des forces démocratiques syriennes (FDS) contre
les djihadistes. Des tirs «d'éclairement, de harcèlement et de destruction» ont
été réalisés - 17 missions du 17 au 23 octobre -, selon le point de
situation hebdomadaire du ministère des Armées. Les frappes aériennes, menées
par des avions décollant de la base provisoire H5, en Jordanie, se poursuivent
- elles ont été au nombre de huit la semaine dernière en appui des FDS au nord
d'Abou Kamal, en Syrie.
Traque globale
Hors de la zone de l'opération tricolore «Chammal» - qui
elle-même s'insère dans le dispositif international «Inherent Resolve» -, les
Français n'interviennent officiellement pas au sol. Diverses sources sur place
confirment néanmoins la présence en opération d'éléments des forces spéciales
(FS) françaises, sur lesquelles le ministère des Armées ne communique pas.
Selon ces sources, les missions des FS comportent notamment
la recherche d'identification ADN de djihadistes français, dans le cadre
d'une traque globale contre ceux qui pourraient être tentés de revenir en
France. Selon une bonne source, le nombre de «revenants» aurait fortement
chuté, beaucoup de ces djihadistes français ayant été tués ou préférant de ne
pas tenter de regagner l'Hexagone. Entre les combats de Mossoul en Irak et de
Raqqa, la «capitale» de Daech en Syrie, toutes deux reprises l'an dernier, la
moitié seraient morts, soit environ 200 sur 400. Certains auraient été signalés
dans le Sinaï, en Libye et en Afghanistan. De source militaire française, la France
est convaincue de l'inéluctable reprise à court terme de l'autre poche
de résistance djihadiste, celle d'Idlib. Les efforts en ce sens sont
activement menés par le régime de Bachar el-Assad, la Russie et l'Iran avec la
Turquie, sur le mode des tractations qui prévalurent naguère - et toutes choses
égales par ailleurs - avec Israël concernant le sort de l'Armée du Liban Sud,
en 2000.
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les djihadistes font capoter l'accord
Reste que, côté français comme parmi les autres membres
de la coalition, la conviction prévaut que Daech ne sera pas éliminée après la
perte de son emprise territoriale - mais risque fort de passer d'un statut
«visible» à la clandestinité. Tenir le terrain sera nécessaire, mais cette
tâche devrait logiquement être dévolue aux forces locales. Présente au Levant à
travers des missions de renseignement, de formation - 9000 militaires irakiens
en ont bénéficié depuis 2015 - et d'appui aux combattants, la France entend, le
moment venu, réduire son «empreinte», au profit notamment de l'Otan, qui,
espère-t-on à Paris, jouerait un rôle stabilisateur en Irak. Des perspectives
autrement plus problématiques en Syrie, tant une «solution politique inclusive»
semble improbable à ce stade.
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Gaza : la
photo d'un Palestinien comparée à une œuvre de Delacroix
Par Blandine
Le Cain
Mis à jour le 26/10/2018 à 20h34 | Publié le 26/10/2018 à 16h43
Mis à jour le 26/10/2018 à 20h34 | Publié le 26/10/2018 à 16h43
EN IMAGES - Le cliché
d'un Palestinien brandissant un drapeau en même temps qu'il jette des pierres
lors d'affrontements avec l'armée israélienne à Gaza est devenu viral. Beaucoup
ont souligné la rime visuelle du cliché avec l'œuvre iconique La
Liberté guidant le peuple, d'Eugène Delacroix.
La scène captée est
devenue habituelle: des heurts
entre des Palestiniens et des soldats israéliens à la frontière de la bande de
Gaza. Mais le cliché, saisissant, a attiré les regards. Il a été saisi
par le photographe Mustafa Hassouna, de l'agence turque Anadolu, lors
d'affrontements lundi à Beit Lahiya, et montre un Palestinien en train d'armer
son lance-pierre, d'une main, tandis qu'il brandit un drapeau palestinien de
l'autre.
La photo, diffusée par l'agence Getty Images, est devenue
virale au cours de la semaine. Une enseignante dans une université à Londres
Laleh Khalili, a partagé l'image mardi soir, le lendemain de sa prise. Jeudi,
ce message avait été partagé plus de 30.000 fois et aimé plus de 80.000
fois, relève la BBC. Vendredi, il a atteint plus de 46.000
retweets et plus de 120.000 mentions «J'aime»:
Les centaines de
milliers de partages s'expliquent sans doute en partie par le mouvement et la
symbolique du cliché. Mais aussi parce que sa construction et le geste qu'elles
montrent rappellent une œuvre d'art devenue iconique: le tableau La
Liberté guidant le peuple, d'Eugène Delacroix.
La Liberté guidant
le peuple a été achevé
en 1830 par Eugène Delacroix, et représente une scène d'affrontements à Paris
lors des Trois Glorieuses. - Crédits photo : Wikimedia Commons
Nous avons choisi,
comme de nombreux internautes et médias, de placer les deux photos côté-à-côte,
pour souligner la symétrie visuelle des deux scènes. «Lorsqu'un Michel-Ange
avec un appareil photo saisit David contre Goliath en pleine action», a
commenté un responsable d'un groupe d'action américain en faveur des droits des
Palestiniens.
Le Palestinien photographié «surpris» de ces partages
La chaîne Al-Jazeera a identifié le jeune homme
photographié torse nu comme Aed Abu Amro, un Palestinien âgé de 20 ans. «J'ai
été surpris que la photo devienne virale», a-t-il raconté à la chaîne arabe. Il
explique participer à ces manifestations chaque semaine, «parfois davantage».
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«Je ne savais même
pas qu'il y avait un photographe près de moi», assure-t-il. Il précise qu'il
s'est habitué à brandir ce drapeau à chaque manifestation, d'une main, lançant
des pierres de l'autre. Il ajoute être souvent raillé par les autres
manifestants pour cette raison. «Si je suis tué, je veux être enveloppé dans ce
même drapeau», conclut-il, affirmant participer à ces rassemblements pour
défendre sa «dignité» et celle «de la génération future».
D'autres photos
diffusées par les agences AFP et AP montrent ce même manifestant, probablement
presque au même moment, sous d'autres angles. On le distingue ainsi dans une
position similaire, flou à l'arrière-plan, sur cette photo:
Des manifestants
affrontent l'armée israélienne, lundi 22 octobre dans la bande de Gaza.-
Crédits photo : Khalil Hamra/AP
On reconnaît
également sa silhouette et le vêtement rose qu'il porte sur les hanches sur ces
deux autres clichés de l'AFP qui donnent à voir les fumées des heurts.
Le même manifestant
est photographié le 22 octobre lors des affrontements. - Crédits photo :
MAHMUD HAMS/AFP
- Crédits photo :
MAHMUD HAMS/AFP
Si la plupart des
internautes ont souligné les qualités esthétiques de la photo de Mustafa
Hassouna et que des commentaires positifs ont accompagné ces partages, des
critiques se sont également exprimées vis-à-vis de l'acte violent immortalisé
par le cliché. Certains commentateurs ont également pointé une «propagande» par
l'image.
Depuis le 30 mars,
les abords de la frontière avec Israël sont le théâtre d'une vaste mobilisation
contre le blocus imposé depuis plus de dix ans à la bande de Gaza. Les
Palestiniens réclament aussi le droit de revenir sur les terres dont ils ont
été chassés ou qu'ils ont fuies à la création d'Israël en 1948. Plus de 200
Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens depuis le début de ces
manifestations, la plupart le long de la frontière, et d'autres dans des
frappes de chars ou de l'aviation israéliennes. Un soldat israélien a également
été tué.
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Syrie :
l'invite d'Erdogan aux Européens
En invitant samedi à Istanbul Angela Merkel et Emmanuel
Macron, le président turc veut sortir de son tête-à-tête avec Vladimir Poutine.
À Istanbul
Samedi, Recep Tayyip Erdogan s'installera à la table du
sommet d'Istanbul sur la Syrie en estimant, à peu de chose près, avoir rempli
sa part du contrat à Idlib. Dans cette province du Nord-Ouest syrien, dernière
zone contrôlée par des groupes opposés à Bachar el-Assad, le président turc et
son homologue russe, Vladimir Poutine, supervisent depuis mi-septembre
l'établissement d'une zone tampon de 15 à 20 km de large. Le contrat,
scellé à Sotchi, prévoyait le retrait de toutes les armes lourdes aux mains des
opposants avant le 10 octobre et le départ de ces derniers avant le
15 octobre. Ankara, appui des rebelles modérés, avait accepté de
convaincre les djihadistes du groupe Hayat Tahrir al-Cham, issus de l'ex-branche
locale d'al-Qaida.
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Le président Recep Tayyip Erdogan a salué vendredi une
«victoire de la diplomatie». «Depuis que (l'accord) a été signé, nous n'avons
plus de problème à Idlib», a assuré le chef de l'État. «À ce jour, une grande
partie des armes lourdes ont été retirées de la région. Une grande partie des
(combattants) radicaux se sont aussi retirés et les violations du cessez-le-feu
ont baissé de 90 %. Nous le voyons, et nos amis russes le disent», s'était
félicité mercredi son ministre de la Défense, Hulusi Akar.
La Turquie, comme la France, veut profiter du sommet
d'Istanbul pour «trouver des solutions politiques, a poursuivi Hulusi Akar. Les
étapes pour y parvenir sont claires: d'abord une nouvelle Constitution pour la
Syrie, ensuite des élections et le départ d'el-Assad, qui n'a pas hésité à tuer
son propre peuple».
La question kurde
Le ministre de la Défense, qui était chef d'état-major
lorsque la Turquie a lancé ses deux incursions militaires dans le nord de la
Syrie (Djarabulus en août 2016 contre Daech, Afrine en janvier 2018 contre les forces kurdes),
ne s'est pas appesanti sur l'attitude de son pays si des djihadistes
s'obstinaient à maintenir leur présence à Idlib. «Une intervention militaire
limitée de la Turquie serait envisageable, car leur présence comporterait des
risques à la fois sur le terrain mais aussi en Turquie, où les plus radicaux
d'entre eux pourraient tenter des attaques», estime Sinan Ülgen, directeur du
Centre d'études sur les affaires économiques et diplomatiques (Edam) à
Istanbul. Leur maintien placerait aussi Ankara en difficulté vis-à-vis de
Moscou, qui a certes accordé un délai à l'accord de Sotchi, mais n'atténue pas ses
pressions sur son partenaire turc.
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met en garde la Turquie contre les risques d'une «opération d'invasion» de la
Syrie
Outre que le processus politique voulu par Ankara, Paris
et Berlin manque encore d'un engagement ferme de la part de Moscou, des
désaccords risquent d'émerger sur le comité constitutionnel appelé à doter la
Syrie d'une nouvelle Loi fondamentale. Lors du sommet de samedi, Recep Tayyip
Erdogan rappellera à ses interlocuteurs - au président français, Emmanuel
Macron, en particulier - son refus catégorique d'accorder aux Kurdes du Parti
de l'union démocratique (PYD, groupe terroriste pour Ankara) un rôle dans la
Syrie de demain.
«Il en va de l'intérêt national de la Turquie que ses
partenaires occidentaux commencent à s'intéresser de plus près à la Syrie car
l'Iran et la Russie ne sont pas des partenaires naturels pour Ankara»
Sinan Ülgen, ancien diplomate
Interrogé mercredi sur le souhait de certains États
d'inclure le PYD dans ce processus politique, le chef de la diplomatie turque,
Mevlüt Çavusoglu, confiait ainsi n'avoir «pas entendu de telle proposition de
la part de l'Allemagne, contrairement à la France et aux États-Unis. La Russie
aussi a fini par voir que le PYD était un groupe terroriste», a expliqué le
ministre turc.
Reste qu'en invitant Emmanuel Macron et Angela Merkel à
le rejoindre à Istanbul pour un sommet sur la Syrie aux côtés de Vladimir Poutine,
Recep Tayyip Erdogan agit avant tout dans l'intérêt de son pays. «Il en va de
l'intérêt national de la Turquie que ses partenaires occidentaux commencent à
s'intéresser de plus près à la Syrie car, finalement, l'Iran et la Russie ne
sont pas des partenaires naturels pour Ankara», observe l'ancien diplomate
Sinan Ülgen, en référence au processus d'Astana, qui voit depuis l'année
dernière Turcs, Russes et Iraniens se réunir régulièrement sur le dossier
syrien, sans les Occidentaux. «On voit bien les limites, pour la Turquie, d'un
accord politique avec la Russie d'un côté et l'Iran de l'autre», ajoute Sinan
Ülgen. Ce sommet est donc un moyen de permettre à la France et à l'Allemagne de
revenir dans le jeu syrien, de sorte que la Turquie ne se retrouve pas isolée.
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La guerre
secrète de la modération dans le paiement en ligne
ENQUÊTE - Aux États-Unis et en France, des militants font
pression sur les prestataires de paiement en ligne, comme Paypal et les sites
de financement participatif, pour supprimer des comptes liés à l'extrême
droite. Le sujet embarrasse les entreprises concernées, peu habituées aux
enjeux de modération sur Internet.
Alex Jones est en colère. Le créateur du site
conspirationniste Infowars, figure de proue de l'«alt-right», un mouvement
américain d'extrême droite, a récemment été banni de la majorité des grands
réseaux sociaux. YouTube, Facebook et Twitter ont supprimé ses comptes pour
«comportement abusif» et incitation à la haine. Mais aucun bannissement n'a
rendu Alex Jones plus furieux que celui de PayPal. Fin septembre, l'entreprise
américaine, qui propose des solutions afin de faciliter les transactions en
ligne, avait annoncé la résiliation de son contrat avec Infowars et son
créateur. Le 2 octobre, Alex Jones a annoncé qu'il portait
plainte contre PayPal. «Il est bien connu que les entreprises de
technologie, notamment dans la Silicon Valley, discriminent les organisations
et les individus conservateurs», a affirmé l'Américain, connu notamment pour sa
négation de l'existence de la tuerie de l'école primaire de Sandy Hook. Il
utilisait PayPal pour vendre des produits dérivés et des compléments
alimentaires.
Une pression mondiale
Les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook sont
régulièrement critiqués pour leur mauvaise modération de la haine et du
harcèlement en ligne. On sait moins que d'autres entreprises sont confrontées à
des enjeux similaires. C'est le cas des sociétés spécialisées dans le paiement
en ligne, comme PayPal, Stripe, ou le financement participatif, type Patreon ou
Tipeee. Toutes sont très populaires auprès des internautes: grâce à elles, il
suffit de quelques clics pour lancer sa boutique en ligne, ou réaliser une
collecte de fonds, bien plus simplement qu'en passant par une banque ou
d'autres acteurs classiques du paiement. Mais militants et internautes font de
plus en plus pression sur ces entreprises. En cause, certains de leurs clients
associés à l'«alt-right», le suprématisme blanc, des mouvements anti-islam ou
anti-immigration. À l'instar d'Alex Jones, de nombreuses organisations ou personnalités
proches de l'extrême droite américaine ont vu leurs comptes suspendus chez des
sites comme PayPal, Stripe, Apple Pay, GoFundMe, Patreon ou YouCaring. Le
phénomène a aussi atteint la France.
Pour expliquer ces suspensions, ces sites invoquent à chaque
fois une atteinte à leurs conditions d'utilisation, qui punissent les appels à
la violence et la haine en ligne. Stripe indique ainsi au Figaro que,
«comme indiqué dans nos conditions d'utilisation, notre service ne peut pas
être utilisé par les entreprises ou les associations qui incitent à la violence
envers les individus ou les groupes, sur la base de leur origine, de leur
religion, de leur handicap, de leur genre, de leur orientation sexuelle, ou
d'une caractéristique immuable de leur identité». Même discours chez PayPal,
qui «s'engage à s'assurer que notre plateforme ne soit pas utilisée pour
inciter à la haine ou à l'intolérance discriminatoire.»
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France veut des règles plus strictes sur la modération des contenus haineux en
ligne
Aux États-Unis, les lois sur la liberté d'expression sont
très souples, et ne contraignent pas spécialement ces sociétés. En France, la
loi interdit l'expression du racisme, de l'antisémitisme, la négation de crimes
contre l'humanité ou diverses incitations à la haine et la violence. Des sites
comme Twitter ou Facebook y sont considérés comme des hébergeurs: cela
signifie qu'ils sont obligés de retirer les contenus illégaux qui leur sont
signalés par les autorités ou leurs utilisateurs. La situation est
différente pour les sites de paiement en ligne. Ils n'ont aucune obligation de
modération des propos de leurs utilisateurs. En revanche, leur but est d'éviter
l'utilisation frauduleuse de leurs services, notamment dans le cadre du
blanchiment d'argent ou du financement d'opérations terroristes. Mais la lutte
contre la haine en ligne peut aussi, potentiellement, faire partie de leurs
responsabilités. «L'incitation à la haine est une activité illicite en France.
Or, le fait de fournir un service à ces sites pourrait donner lieu à une
accusation de complicité ou de recel d'activité illicite», estime Valérie
Aumage, avocate associée du Cabinet Taylor Wessing. Les conditions
d'utilisation deviennent alors des protections juridiques, qui peuvent être
invoquées pour annuler des contrats en cas de problème potentiel.
Pression médiatique
La pression médiatique est un autre élément essentiel dans
ces décisions de modération. Aux États-Unis, plusieurs associations se sont
mobilisées sur le sujet. L'organisation Color of Change a mis en place un site baptisé «Bloodmoney» (l'argent du sang),
dénonçant les sociétés de paiement ayant des contrats avec des entités faisant
la promotion du suprématisme blanc. Sont concernés aussi bien les plateformes
d'e-commerce (Amazon), les émetteurs de cartes bancaires (Mastercard, Visa), ou
les sites de paiement en ligne (Stripe, PayPal).
La campagne de l'association américaine Color Of Change,
qui vise les sites de paiement en ligne, des banques et les émetteurs de cartes
bancaires qui travaillent avec des organisations faisant la promotion du
suprématisme blanc.
En France aussi, une association, baptisée Le Mouvement, a
fait pression sur différents prestataires de Génération Identitaire, une
organisation d'extrême droite dont le but est de «lutter contre l'islamisation
et l'immigration massive» (d'après leur site officiel), dont des
militants ont
déjà été condamnés par la justice. Récemment, plusieurs d'entre eux ont
été mis en examen pour violences en réunion après
avoir envahi le siège de l'ONG SOS Méditerranée. Après une campagne de
plusieurs mois, le Mouvement a finalement obtenu la suppression des comptes
Stripe et HiPay (une entreprise française) de Génération Identitaire, utilisés
pour recueillir des dons et vendre des produits dérivés. «Nous avons été
inspirés par une opération en Autriche, menée par les associations Aufstehn et
SumOfUs, qui a donné lieu à la suppression d'une campagne de crowdfunding des
Identitaires pour financer un navire et empêcher le secours des réfugiés en
mer», raconte Elliot Lepers, directeur exécutif du Mouvement. «Ça nous semblait
être une bonne technique pour leur mettre un coup d'arrêt, en s'attaquant à
leur infrastructure.» De la même manière, les comptes PayPal et Stripe
d'Égalité et Réconciliation ont été récemment suspendus, suite à une nouvelle
campagne, plus discrète, du Mouvement. Ce site est la vitrine d'Alain
Soral, condamné
à plusieurs reprises pour propos antisémites.
Contacté par le Figaro, le porte-parole de
Génération Identitaire, Romain Espino relativise l'impact financier de cette
opération. Le budget de son organisation provient majoritairement de levées de
fonds plus classiques. «Le problème avec la clôture de nos comptes sur les
sites de paiement en ligne, c'est qu'on touche à nos moyens de contact avec la
population», explique-t-il. Génération Identitaire a aussi perdu ses comptes
sur PayPal et Leetchi, un site de financement participatif. Le compte personnel
de Romain Espino sur Tipeee a été clôturé. Aujourd'hui, Génération Identitaire
n'a pas d'autre choix que de proposer sur son site Internet de faire des dons
en chèques ou d'utiliser des cryptomonnaies, comme Bitcoin ou Ethereum. Une
option proposée par de plus en plus de plateformes liées à l'extrême droite.
Opacité des choix
Malgré ces quelques cas médiatisés, les choix de modération
des entreprises de paiement restent opaques. Dieudonné, déjà condamné à
plusieurs reprises pour propos haineux, utilise par exemple toujours PayPal et
HiPay sur son site et sa boutique officielle, a constaté Le Figaro.
Boris Le Lay, militant d'extrême droite, utilise aussi Stripe sur son blog
personnel, alors qu'il a fait l'objet de nombreuses condamnations pour
diffamation, injures et apologie de crime. L'homme est, par ailleurs, fiché S.
De son côté, le site français de financement participatif Tipeee a fait
l'objet, en juin, d'une enquête du site Numerama sur son
utilisation par des blogueurs ou des Youtubeurs faisant la promotion de
théories conspirationnistes ou haineuses. Ses règles interdisent clairement les
contenus «malveillants, inappropriés, irrespectueux, diffamatoires, injurieux,
xénophobes et racistes.»
«Les questions politiques sont très loin de nos
considérations quotidiennes et sincèrement, nous avons le sentiment que ça
n'est pas notre sujet», explique Milena Cazade, chef de projet chez le site de
financement participatif Tipeee, dans un mail envoyé au Figaro.
Ces ambiguïtés rappellent celles d'autres entreprises du
Web. Avant Stripe, PayPal ou les sites de financement participatif, les réseaux
sociaux ont eux aussi couru après une prétendue «neutralité». Ils ont longtemps
affirmé qu'ils n'étaient que des plateformes techniques permettant d'échanger
et de publier des contenus. Facebook affirme toujours aujourd'hui qu'il
ne veut pas être un «arbitre de la vérité», malgré le poids de ses
responsabilités, dans la lutte contre la haine et la désinformation, et la
pression politique. Les entreprises de paiement en ligne aussi se retrouvent à
chercher leur équilibre. Elles ne veulent pas être associées à des initiatives
haineuses et racistes, mais elles veulent aussi éviter les accusations de
discrimination politique, afin de ne pas subir de boycott ou de perdre de
potentiels clients. Entre la morale, le droit, les affaires et l'image, les
entreprises de paiement doivent pourtant faire un choix.
La rédaction vous conseille :
Journaliste pour la rubrique high-tech & web.
Sur Twitter : @LucieRonfaut
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Les
vérités cachées de la guerre d'Algérie, par Jean Sévillia
GRAND ENTRETIEN - Dans un ouvrage exemplaire, Les
Vérités cachées de la guerre d'Algérie (Fayard), l'historien du Figaro
Magazine restitue méticuleusement et dans toute leur complexité les
événements qui se sont déroulés entre 1954 et 1962. Réfutant une vision
manichéenne et «historiquement correcte» du conflit, il en souligne aussi les
enjeux contemporains.
En 2017, durant la campagne présidentielle, Macron avait
parlé de «crime contre l'humanité» à propos de la colonisation en Algérie…
Dans l'imaginaire contemporain, le crime contre l'humanité
est lié au nazisme. Qualifier
sous ce terme cent trente-deux ans de souveraineté française sur
l'Algérie est une accusation insignifiante, tant elle est
excessive. L'histoire est faite de nuances, de complexité. La formule employée
par Emmanuel Macron revenait à porter une condamnation globale, historiquement
insoutenable, politiquement scandaleuse et moralement insultante pour les
ex-Français d'Algérie et les musulmans qui avaient coopéré avec la France. On
ne gagne rien à se haïr soi-même. La présence française en Algérie a été un
temps d'histoire partagée. Il faut regarder ce temps avec des yeux adultes, en
sachant faire la part des réussites et des échecs de l'Algérie française.
Reconnaissez-vous tout de même que la France était une
puissance occupante et le peuple algérien un peuple occupé?
Attention à la chronologie. Lors de la conquête, il n'existe
pas de peuple algérien: l'Algérie, création française, rassemble des peuples et
des tribus qui n'ont pas d'unité politique. Même l'émir Abdelkader n'est pas
suivi par tous les autochtones dans sa résistance aux Français. La conquête,
menée par une armée française qui a appliqué en Algérie les méthodes pratiquées
par les armées révolutionnaires et napoléoniennes, notamment en Espagne en
1808, a été une guerre dure, qui fera 250.000 à 300 .00 morts chez les
indigènes, et autour de 100.000 morts chez les Français. La guerre
d'indépendance menée par le FLN, de 1954 à 1962, sera également une guerre
terriblement cruelle, avec 250.000 à 300.000 morts toutes catégories et tous camps
confondus. Mais entre ces deux périodes, il y a eu le long entre-deux de
l'Algérie française. Une société coloniale, marquée par des inégalités de
statut qui nous choquent rétrospectivement mais qui choquaient bien peu à
l'époque, et marquée moins par le racisme que par le paternalisme. Mais un
Français d'Algérie né en 1930, cent ans après la conquête, et dont la famille
vit là depuis quatre générations, ne se perçoit pas comme un occupant: il est
chez lui en Algérie.
Iriez-vous jusqu'à parler des effets bénéfiques de la
colonisation française en Algérie?
L'Algérie sous souveraineté française était évidemment une
société imparfaite, une société duale avec une minorité européenne possédant
tous les droits de la nationalité et de la citoyenneté, et une immense majorité
arabo-musulmane possédant la nationalité française mais longtemps privée des
droits complets de la citoyenneté, en partie pour des raisons culturelles et
religieuses résultant du statut personnel de droit coranique auqueltenaient les
autochtones. Dans cette société, la majorité de la population, moins bien
représentée politiquement, avait le sentiment de ne pas accéder aux manettes du
pouvoir. Pour autant, ce n'était nullement une société d'apartheid. Dans un
cadre indubitablement inégalitaire, hérité de la conquête et de la
colonisation, la France a accompli une œuvre immense. Encore aujourd'hui,
l'Algérie bénéficie d'infrastructures léguées par la France.
Pourquoi avoir écrit maintenant une histoire de la guerre
d'Algérie?
«Les Vérités cachées de la guerre d'Algérie», de Jean
Sévillia, Fayard, 416 p., 23 €. - Crédits photo : ,
J'en ai éprouvé le besoin, dans la lignée de mes travaux sur
ce que j'ai appelé «l'historiquement correct», parce que nous sommes à un
tournant générationnel. Ceux qui ont vécu la guerre d'Algérie disparaissent peu
à peu, tandis que les jeunes générations connaissent mal cette période, ou en
ont la vision biaisée diffusée par l'historiographie qui domine dans
l'enseignement secondaire ou supérieur, comme par le conformisme médiatique. Il
existe une énorme production autour de la guerre d'Algérie. De 2010 à 2014, par
exemple, on recense plus d'un millier de livres, brochures, numéros spéciaux de
revues et magazines en langue française sur le sujet. De quoi s'y perdre. J'ai
donc voulu écrire, à l'attention du grand public, un livre de synthèse sur les
événements qui se sont déroulés entre 1954 et 1962, mais surtout un
livre débarrassé des préjugés idéologiques qui pèsent sur cette phase
douloureuse de notre passé récent. Cette histoire entre en résonance avec de
nombreux problèmes de la société française de 2018: la question de
l'intégration, de l'identité culturelle des musulmans français, du lien social
dans une société multiethnique, de l'islamisme, du terrorisme, etc. Il s'agit
d'une page d'histoire aux accents profondément actuels.
Votre livre s'intitule Les vérités cachées de la
guerre d'Algérie. Quelles sont ces vérités cachées?
En histoire, le péché majeur est l'anachronisme: juger le
passé à partir des critères d'aujourd'hui. Or, l'entreprise coloniale
occidentale, spécialement la colonisation française, est désormais condamnée
par principe: la doxa politique et culturelle regarde l'œuvre coloniale comme
une agression à l'égard des peuples colonisés, la reléguant au rang des erreurs
de l'histoire. De manière corollaire, l'opinion estime que les peuples
colonisés devaient fatalement accéder à l'indépendance. Par parenthèse, je le
pense aussi parce que toutes les conditions avaient été réunies pour que les
pays colonisés s'emparent à leur tour du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, une invention des Occidentaux.
«Sur le plan strictement militaire, ce conflit était
pratiquement gagné vers 1960. Mais il ne l'était pas sur le plan politique.»
Jean Sévillia
Dans le cas de l'Algérie, la question est de savoir si cet
accès à l'indépendance n'aurait pas pu s'effectuer à travers un processus
pacifique étalé sur dix ou quinze ans, avec le maintien sur place de la
communauté française. J'aborde évidemment le sujet dans mon livre. Cependant,
la majorité des Français, de nos jours, estiment que la guerre menée en Algérie
par la France était illégitime, puisqu'elle ne faisait que retarder le cours de
l'histoire et empêcher l'émergence d'un Etat dont la naissance était
inéluctable. Or, c'est un anachronisme: on oublie que l'idée de l'indépendance
de l'Algérie n'apparaît dans le débat politique français que très tard, en
1959-1960, après l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle. Pendant les années
1955 à 1958, même à gauche, la tendance était de chercher à réformer l'Algérie,
à la moderniser, à la rigueur à lui accorder une autonomie accrue, mais pas
l'indépendance. Cette perspective violait le dogme de l'unité du territoire
national, dès lors que l'Algérie était constituée de départements
français. Le
général de Gaullea liquidé ce dossier sans faire de sentiments, et il
en porte la responsabilité. Mais, même si de Gaulle n'avait pas été là, même si
la Ve République n'avait pas été instituée, je ne vois pas comment la
IVe République se serait sortie de l'affaire algérienne. Mais expliquer
l'histoire suppose de respecter la chronologie. Les militaires français qui ont
fait la guerre en Algérie ont longtemps cru qu'ils allaient la gagner. Et
d'ailleurs, sur le plan strictement militaire, ce conflit était pratiquement
gagné vers 1960. Mais il ne l'était pas sur le plan politique. Or, la guerre
d'Algérie était en réalité une guerre politique.
Certains faits sont-ils occultés?
Ils sont d'abord déformés, et même mythifiés, et c'est
pourquoi il convient d'examiner, dans l'ordre chronologique, tous les points
chauds de la guerre d'Algérie: l'antécédent de l'émeute déclenchée à Sétif le
8 mai 1945 et de sa répression, l'insurrection du Constantinois en
août 1955, la bataille d'Alger en 1957, le putsch des généraux en 1961,
l'OAS, la réalité de la manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre
1961, les accords d'Evian, l'exode des pieds-noirs, le massacre des
harkis, etc. Mais, dans mon livre, j'aborde aussi des pages de la guerre
d'Algériequi sont méconnues ou de facto occultées. Par exemple, l'affrontement
sanglant, en Algérie comme en métropole, entre le FLN et son concurrent du
Mouvement national algérien (MNA). Ou les vagues de purges au sein du FLN. Ou
le facteur religieux: à l'extérieur, en effet, le FLN parlait droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes, libération de la tutelle coloniale, droits de l'homme.
Mais, dans l'Algérie profonde, ses recruteurs n'hésitaient pas à recourir au
discours du djihad: un appel à chasser les infidèles, aussi bien les chrétiens
que les juifs. Cette dimension a été minimisée, voire totalement ignorée, à
l'époque, par la gauche anticolonialiste. Il est de même méconnu que les
musulmans engagés aux côtés de l'armée française ont toujours été plus nombreux
que les militants indépendantistes.
Vous dénoncez une histoire en noir et blanc…
Nous subissons aujourd'hui une histoire manichéenne.
Celle-ci instruit à charge contre les méthodes employées par l'armée française
en Algérie - problème que je ne nie pas, puisque je lui consacre un chapitre
entier de mon livre - mais en oubliant que les militaires français ont affronté
un mouvement terroriste: de
«On dénonce la torture par l'armée française, jamais les
attentats commis par le FLN»
1954 à 1962, le FLN a systématiquement pratiqué la terreur
contre les musulmans pro-Français et contre les Européens d'Algérie. Or cette réalité
est totalement occultée: on dénonce la torture par l'armée française, jamais
les attentats commis par le FLN. De même, l'action sociale, scolaire, sanitaire
et médicale conduite par les militaires français, notamment au sein des
sections administratives spécialisées (SAS), mérite d'être soulignée, même si
les regroupements de population sont sujets à débat. Lorsqu'on fait de
l'histoire, on doit tout mettre sur la table.
Le chef de l'Etat a reconnu que le militant communiste
Maurice Audin avait été tué par l'armée française en 1957…
Sur un plan factuel, il est acquis que Maurice Audin est
mort à la suite d'un interrogatoire poussé mené par l'armée française, sans que
l'on puisse en déterminer les circonstances exactes. Mais ce drame ne peut être
isolé de son contexte, dont Emmanuel Macron n'a dit mot: l'offensive terroriste
du FLN qui a fait des centaines de victimes civiles innocentes à Alger,
conduisant le gouvernement, alors dirigé par le socialiste Guy Mollet, à
confier les pouvoirs de police aux parachutistes. Afin de démanteler les
réseaux terroristes, des interrogatoires sous contrainte ont été menés. C'est
infiniment regrettable mais ceux qui s'en indignent rétrospectivement seraient
plus crédibles s'ils s'indignaient au même degré des crimes commis par les
poseurs de bombes. Proclamer, au nom de l'Etat, que Maurice Audin a été torturé
et tué par l'armée française aboutit, dans l'esprit du public qui ne connaît
rien à cette histoire, à considérer tous les militaires français qui ont servi
en Algérie comme des tortionnaires. Comme si toute l'armée française avait
torturé, comme si l'armée française n'avait fait que torturer, et comme si
l'armée française avait été la seule à torturer. Pendant la guerre d'Algérie,
des musulmans fidèles à la France ainsi que des Européens ont été torturés par
le FLN, de même que des militants FLN ou du MNA ont été torturés par leurs
propres frères parce qu'ils étaient considérés comme des traîtres, ou de même
encore que des militants d'Algérie française, en 1962, ont été torturés par les
forces de l'ordre. Si l'on étudie les violences illégales commises pendant la
guerre d'Algérie, il faut les étudier toutes.
Emmanuel Macron, en même temps, a tenu à embrasser la
cause des harkis …
Cette cause a commencé à émerger dans les années 1990, après
un silence de trente ans. Il y a eu une vraie prise de conscience dont il faut
se féliciter car l'abandon des harkis par la France est une tache affreuse dans
notre histoire. Emmanuel Macron a bien fait de prendre des initiatives dans ce
sens, mais il est vrai qu'il s'inscrivait là dans la continuité de ses
prédécesseurs, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Ce sont
malheureusement des gestes qui viennent très tard. Ils devraient par ailleurs
sortir du registre purement compassionnel et s'accompagner d'explications
historiques. Il faut comprendre et expliquer pourquoi des musulmans se sont
engagés au côté de l'armée française durant la guerre d'Algérie. L'histoire des
harkis ne se résume pas au drame de leur élimination finale. Si nous allons au
fond de ce travail historique, nous remettrons en cause une certaine version
lénifiante de ces événements. On oublie aujourd'hui que certains harkis étaient
eux-mêmes initialement favorables à une forme d'autonomie ou d'indépendance de
l'Algérie. Ce qui les a conduits à s'engager auprès de l'armée française, c'est
l'horreur suscitée par les crimes du FLN. Il ne faut rappeler que
l'organisation indépendantiste n'a cessé de revendiquer cette arme: «Pour être
admis dans les rangs de l'ALN, écrit Krim Belkacem en 1960, il faut abattre un
colonialiste ou un traitre notoire ; l'attentat est le stage accompli par tout
candidat à l'ALN». Par sa violence, le FLN a retourné des Algériens musulmans
contre lui.
Vous êtes particulièrement sévère avec le général de
Gaulle...
De Gaulle est arrivé au pouvoir, en 1958, grâce au coup
d'Etat mené à Alger le 13 mai et en s'appuyant sur les forces Algérie
française. Tout laisse penser, néanmoins, que son intention était dès le départ
de donner l'indépendance à l'Algérie. Il y a donc eu, de sa part, une forme de
machiavélisme. Or le machiavélisme peut être pardonnable lorsqu'il n'y a pas de
sang versé, mais la guerre d'Algérie s'est terminée dans un bain de sang. Il y
a le drame des pieds-noirs, celui des harkis. Pour autant, je ne pense pas que
de Gaulle voulait d'emblée remettre
«Tout laisse penser que l'intention de De Gaulle était,
dès le départ, de donner l'indépendance à l'Algérie. Il y a donc eu, de sa
part, une forme de machiavélisme.»
l'Algérie au FLN. Il a cherché - en vain - d'autres
interlocuteurs, échafaudant des plans divers et parfois contradictoires. Le
problème est que le Général était pressé, et ne voyait pas de solution pour en
sortir. À partir du moment où il déclenche le processus conduisant à
l'autodétermination de l'Algérie, en 1959, tout va s'accélérer et il va céder
peu à peu à toutes les exigences du FLN. Les accords d'Evian offriront quelques
garanties théoriques pour les Français d'Algérie, mais elles seront toutes
violées dans les mois qui suivront l'indépendance. Quant aux harkis, ils seront
sacrifiés sans états d'âme. L'ambition du général de Gaulle pour la France - en
faire une puissance moderne capable de tenir tête aux superpuissances - était
admirable, et je suis particulièrement sensible, personnellement, à ses
discours tenus en Amérique latine en 1964 ou au Canada en 1967 («Vive le Québec
libre»). Mais ce n'est pas verser dans l'antigaullisme primaire de constater
que la politique algérienne du général de Gaulle n'a pas grandi son personnage,
au contraire.
Comment expliquez-vous que le contentieux franco-algérien
perdure à propos de cette guerre?
Depuis 1962, le FLN instrumentalise ce passé, d'abord sur le
plan des chiffres. La guerre d'Algérie, tous camps confondus, a fait entre
250 000 et 300 000 morts. Cela est considérable, mais ne
correspond pas au million et demi de victimes algériennes dont parle la
propagande de l'Etat FLN. Les dirigeants algériens invoquent les crimes commis
par l'armée française, mais on attend encore, de leur part, une autocritique
concernant la violence qu'ils ont employée à l'époque, notamment à l'encontre
des harkis que le gouvernement français avait abandonnés. Alors que neuf
Algériens sur dix n'ont pas connu la guerre d'indépendance, les plus jeunes
restent éduqués dans cette idéologie victimaire.
Les rapatriés ont-ils une vision plus objective de leur
histoire?
J'ai beaucoup de sympathie pour les Français d'Algérie, mais
il est évident qu'ils ont du mal à avoir un jugement distancié sur leur propre
histoire: il y a eu trop de sang, trop de souffrances. On ne peut le leur
reprocher: ils ont subi un sort abominable et sont orphelins d'un pays qui
n'existe plus. Un regard objectif d'historien amène à constater un phénomène
analogue de l'autre côté. Les maquisards du FLN ont employé des moyens que je
condamne, mais ils étaient des combattants courageux. Nous ne parviendrons
peut-être à écrire une histoire totalement raisonnée de la guerre d'Algérie que
le jour où tous ceux qui l'ont vécue auront disparu. Encore faut-il que l'Etat
algérien, accédant à la maturité, cesse de brandir une contre-histoire.
En France, cette question pèse-t-elle aussi sur les
jeunes Franco-Algériens?
Les jeunes Franco-Algériens, pour la plupart, sont également
baignés dans cet univers mental. Ils vivent avec l'idée que la France aurait
commis des crimes à l'égard de leurs grands-parents, ce qui est un frein
puissant à l'intégration: comment aimer un pays dont on pense qu'il a martyrisé
sa famille? Cette question va jusqu'à nourrir le terrorisme, beaucoup
d'islamistes étant persuadés de venger leurs aïeux lorsqu'ils mènent le djihad
contre la France. C'est pourquoi la transmission de la vérité historique sur la
guerre d'Algérie, dans toutes ses nuances et toute sa complexité, est un enjeu
civique. La réconciliation avec l'Allemagne était acquise quinze ans après
1945, en dépit de deux guerres mondiales et d'un passif beaucoup plus lourd du
fait des crimes nazis. Pourquoi ne parvenons-nous pas à faire la paix avec
l'Algérie? Les Algériens ne sont pas des victimes éternelles envers lesquelles
nous aurions une dette inextinguible. Le statut de victime, pas plus que celui
de bourreau, n'est héréditaire. Faisons la part des responsabilités de chacun à
travers un travail historique juste, et passons à autre chose. Nous n'allons
quand même pas refaire la guerre d'Algérie pendant cent ans!
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre
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