dimanche 28 octobre 2018

Islamisme et politique 28.10.2018











































































































































































































































Jair Bolsonaro, un antisystème aux portes du pouvoir
Par Michel Leclercq
Publié le 26/10/2018 à 19h33
PORTRAIT - L'homme de 63 ans a occupé la scène depuis des années par ses propos homophobes, misogynes ou racistes, sa défense de la dictature mili­taire et des tortionnaires. Mais ses coups de menton cachent des convictions beaucoup moins fermes.
Encore amaigri après l'attentat qui a failli lui coûter la vie six semaines plus tôt, Jair Bolsonaro n'a rien perdu de sa virulence. Face à la foule de ses partisans massés sur l'avenida Paulista, le 21 octobre à Sao Paulo, le grand favori du second tour de la présidentielle dimanche apparaît sur un écran géant, en direct depuis sa maison de Rio. Le candidat d'extrême droite leur promet la victoire, menace d'exil ou de prison les «rouges» partisans de son rival Fernando Haddad, le candidat du Parti des travailleurs de Lula. À l'ex-président, incarcéré pour corruption, il promet qu'il «va pourrir en prison» et qu'il sera bientôt rejoint par son dauphin. Des propos d'une rare violence à l'encontre d'opposants politiques.
Jair Messiah Bolsonaro, 63 ans, a occupé la scène depuis des années par ses propos homophobes, misogynes ou racistes, sa défense de la dictature militaire et des tortionnaires. Ce qui l'a souvent fait comparer à un «Donald Trump tropical» ou même au président philippin Rodrigo Duterte. On devine sa colonne vertébrale: les valeurs chrétiennes, la loi et l'ordre, l'admiration pour la force. Mais ses coups de menton cachent des convictions beaucoup moins fermes. Il agite en permanence le danger communiste mais a fait l'éloge d'Hugo Chavez en 1999, «un espoir pour l'Amérique latine» ; nationaliste opposé aux privatisations, il est devenu un chantre du libéralisme ; défenseur de la famille, il a été marié trois fois ; catholique, il a été baptisé dans les eaux du Jourdain par un pasteur évangélique.
«Au lieu d'argu­menter, il polémique. C'est ainsi qu'il a gagné sa notoriété, un espace dans les médias et le surnom de “Mito” (Mythe) parmi ses partisans.»
Le journaliste Clovis Saint-Clair
Pour le journaliste Clovis Saint-Clair, auteur du livre Bolsonaro, la posture populiste du capitaine de réserve est une «stratégie de communication» rodée depuis longtemps. «Au lieu d'argumenter, il polémique. C'est ainsi qu'il a gagné sa notoriété, un espace dans les médias et le surnom de “Mito” (Mythe) parmi ses partisans.»
Né en 1955, à Campinas, dans l'État de Sao Paulo, Jair Messiah Bolsonaro a grandi, avec ses cinq frères et sœurs, à Eldorado, une petite ville pauvre de la Vallée de Ribeira, dans le sud-est du Brésil. Ses parents, d'origine italienne, menaient une vie modeste et son père exerçait la profession de dentiste, sans en avoir le diplôme. C'est là qu'en 1970 son destin s'est dessiné. À l'époque, l'armée traquait dans cette région reculée le capitaine déserteur Carlos Lamarca qui commandait un groupe de guérilla. L'adolescent s'est offert pour guider les militaires dans la vallée dont il connaissait tous les recoins. En échange, un soldat lui a remis un bulletin d'inscription à l'école des cadets. «Il disait à tout le monde, tout le temps, qu'il allait partir d'Eldorado et s'enrôler dans l'armée», a raconté une habitante, Dona Narcissa, au journal El Pais. Après les cadets, il a poursuivi sa formation à l'Académie militaire des Aiguilles noires. Grand et athlétique, il y a obtenu un brevet d'officier parachutiste.
Le capitaine Bolsonaro, alors en garnison à Rio de Janeiro, a fait parler de lui pour la première fois en 1986. Indigné par la solde modeste des hommes du rang, il a publiquement exposé ses revendications dans une lettre à l'hebdomadaire Veja. Cela lui a valu 15 jours d'arrêt. Pour un plus grand retentissement, il a ensuite projeté de faire exploser des petites bombes artisanales dans des casernes. La conspiration, maladroite, fut vite éventée. Traduit devant une cour militaire, il fut relaxé faute de preuves. Ses supérieurs ont cependant eu un jugement sévère sur l'officier insubordonné. «On a toujours refusé qu'il dirige les officiers subalternes, tant en raison de la manière agressive dont il traitait ses camarades que par le manque de logique, de raisonnement et d'équilibre de ses arguments», a dit le colonel Carlos Alfredo Pellegrino au journal Folha de Sao Paulo.
Difficultés pour argumenter
Sa sortie de l'armée en 1988 fut ainsi plus notable que ses dix-sept années sous l'uniforme. Celles-ci ont toutefois fortement marqué sa vision de la société et sa pensée politique. À commencer par sa nostalgie du régime des généraux de 1964 à 1985. Des années qui pour Jair Bolsonaro, alors adolescent, furent «20 ans d'ordre et de progrès». Plus tard, il dira que «l'erreur de la dictature fut de torturer et de ne pas tuer». Selon lui, «il aurait fallu fusiller quelque 30.000 corrompus». Lors de la destitution en 2016 de la présidente Dilma Rousseff, une ancienne guérillera torturée sous la dictature, il dédiera son vote à la mémoire de son tortionnaire, le colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra. Les Mémoires du colonel sont d'ailleurs le livre de chevet de Bolsonaro, selon Clovis Saint-Clair. Son adhésion aux valeurs traditionnelles, sa défense d'un État fort et interventionniste dans l'économie ont aussi été modelées par ses années de caserne.
Quand il a troqué l'uniforme pour le costume de conseiller municipal de Rio, il a pu compter sur un solide réseau d'amitié parmi ses anciens compagnons. C'est ainsi que, deux ans plus tard, il a été élu député de Rio à sa première tentative. Il fera sept mandats successifs à Brasilia au sein de neuf partis différents, une pratique courante au Brésil. Malgré sa longévité, son œuvre législative a l'épaisseur d'une feuille de papier. En 27 ans de vie parlementaire, seules deux de ses propositions de loi ont vu le jour. Piètre orateur, il n'a jamais pesé dans l'hémicycle et n'a jamais fait partie de l'establishment. Cette discrétion fait aujourd'hui sa force et lui permet d'apparaître comme un homme neuf face à une classe politique corrompue.
Sa notoriété, il la doit à ses coups d'éclat, ses provocations, ses violentes attaques personnelles dans et en dehors de l'hémicycle qui lui ont valu de multiples poursuites et quelques condamnations. Il a ainsi été mis en examen pour avoir lancé à une députée de gauche qu'elle «ne méritait pas d'être violée» parce qu'elle était «très moche». Il assure qu'il serait «incapable d'aimer un fils homosexuel» et qu'il préférerait que son fils «meure dans un accident plutôt que de le voir avec un moustachu». Il dénigre Noirs, Indiens et minorités et a proposé de faciliter la stérilisation des pauvres pour réduire la misère. «J'ai des préjugés et j'en suis fier», a-t-il même claironné en 2011. Peu importent ses excès pour ses partisans séduits par le «parler vrai» du candidat populiste.
«L'exacerbation du discours, le fait d'amener toujours le débat vers l'émotionnel répond à deux objectifs. Le premier, c'est de toucher le cœur des personnes pour que le discours soit plus persuasif ; le second, c'est d'écarter un débat plus rationnel parce qu'il a des difficultés pour argumenter», a expliqué Clovis Saint-Clair. Jair Bolsonaro a ainsi refusé de débattre entre les deux tours avec Fernando Haddad, privant le pays d'une confrontation d'idées. Lors d'un déjeuner avec des ambassadeurs occidentaux, le candidat a été incapable d'exposer ses idées de gouvernement, a rapporté un diplomate européen. Les diplomates sont restés perplexes.
Marié trois fois, son dernier enfant est une fille, le fruit, a-t-il dit, d'une «petite faiblesse» lors de la procréation. Il a surtout quatre fils dont les trois premiers sont aussi des élus et qu'il appelle selon le code militaire 01, 02, 03. Ils forment avec lui un clan soudé qui a décidé de tout dans la campagne. Ils suivent ses pas. L'un d'eux, Eduardo, a évoqué dans une vidéo la possibilité de fermer la Cour suprême. Pour cela, il suffirait «d'un soldat et d'un caporal», a-t-il lancé, ravivant les craintes d'une présidence autoritaire.
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Paris appuie l'offensive contre les dernières poches de Daech
Par Alain Barluet
Publié le 26/10/2018 à 19h36
Dans la moyenne vallée de l'Euphrate, autour de Hadjine des opérations ont été lancées le 10 septembre.
L'offensive pour réduire les dernières poches tenues par Daech en Syrie se poursuit avec l'appui du dispositif français. C'est notamment le cas dans la moyenne vallée de l'Euphrate, autour de Hadjine où les opérations ont été lancées le 10 septembre. Depuis le territoire irakien, les trois canons Caesar- d'une portée de 40 kilomètres - de la task force Wagram soutiennent l'engagement des forces démocratiques syriennes (FDS) contre les djihadistes. Des tirs «d'éclairement, de harcèlement et de destruction» ont été réalisés - 17 missions du 17 au 23 octobre -, selon le point de situation hebdomadaire du ministère des Armées. Les frappes aériennes, menées par des avions décollant de la base provisoire H5, en Jordanie, se poursuivent - elles ont été au nombre de huit la semaine dernière en appui des FDS au nord d'Abou Kamal, en Syrie.
Traque globale
Hors de la zone de l'opération tricolore «Chammal» - qui elle-même s'insère dans le dispositif international «Inherent Resolve» -, les Français n'interviennent officiellement pas au sol. Diverses sources sur place confirment néanmoins la présence en opération d'éléments des forces spéciales (FS) françaises, sur lesquelles le ministère des Armées ne communique pas. Selon ces sources, les missions des FS comportent notamment la recherche d'identification ADN de djihadistes français, dans le cadre d'une traque globale contre ceux qui pourraient être tentés de revenir en France. Selon une bonne source, le nombre de «revenants» aurait fortement chuté, beaucoup de ces djihadistes français ayant été tués ou préférant de ne pas tenter de regagner l'Hexagone. Entre les combats de Mossoul en Irak et de Raqqa, la «capitale» de Daech en Syrie, toutes deux reprises l'an dernier, la moitié seraient morts, soit environ 200 sur 400. Certains auraient été signalés dans le Sinaï, en Libye et en Afghanistan. De source militaire française, la France est convaincue de l'inéluctable reprise à court terme de l'autre poche de résistance djihadiste, celle d'Idlib. Les efforts en ce sens sont activement menés par le régime de Bachar el-Assad, la Russie et l'Iran avec la Turquie, sur le mode des tractations qui prévalurent naguère - et toutes choses égales par ailleurs - avec Israël concernant le sort de l'Armée du Liban Sud, en 2000.
Reste que, côté français comme parmi les autres membres de la coalition, la conviction prévaut que Daech ne sera pas éliminée après la perte de son emprise territoriale - mais risque fort de passer d'un statut «visible» à la clandestinité. Tenir le terrain sera nécessaire, mais cette tâche devrait logiquement être dévolue aux forces locales. Présente au Levant à travers des missions de renseignement, de formation - 9000 militaires irakiens en ont bénéficié depuis 2015 - et d'appui aux combattants, la France entend, le moment venu, réduire son «empreinte», au profit notamment de l'Otan, qui, espère-t-on à Paris, jouerait un rôle stabilisateur en Irak. Des perspectives autrement plus problématiques en Syrie, tant une «solution politique inclusive» semble improbable à ce stade.
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Gaza : la photo d'un Palestinien comparée à une œuvre de Delacroix
Par Blandine Le Cain
Mis à jour le 26/10/2018 à 20h34 | Publié le 26/10/2018 à 16h43
EN IMAGES - Le cliché d'un Palestinien brandissant un drapeau en même temps qu'il jette des pierres lors d'affrontements avec l'armée israélienne à Gaza est devenu viral. Beaucoup ont souligné la rime visuelle du cliché avec l'œuvre iconique La Liberté guidant le peuple, d'Eugène Delacroix.
La scène captée est devenue habituelle: des heurts entre des Palestiniens et des soldats israéliens à la frontière de la bande de Gaza. Mais le cliché, saisissant, a attiré les regards. Il a été saisi par le photographe Mustafa Hassouna, de l'agence turque Anadolu, lors d'affrontements lundi à Beit Lahiya, et montre un Palestinien en train d'armer son lance-pierre, d'une main, tandis qu'il brandit un drapeau palestinien de l'autre.
La photo, diffusée par l'agence Getty Images, est devenue virale au cours de la semaine. Une enseignante dans une université à Londres Laleh Khalili, a partagé l'image mardi soir, le lendemain de sa prise. Jeudi, ce message avait été partagé plus de 30.000 fois et aimé plus de 80.000 fois, relève la BBC. Vendredi, il a atteint plus de 46.000 retweets et plus de 120.000 mentions «J'aime»:
Les centaines de milliers de partages s'expliquent sans doute en partie par le mouvement et la symbolique du cliché. Mais aussi parce que sa construction et le geste qu'elles montrent rappellent une œuvre d'art devenue iconique: le tableau La Liberté guidant le peuple, d'Eugène Delacroix.

La Liberté guidant le peuple a été achevé en 1830 par Eugène Delacroix, et représente une scène d'affrontements à Paris lors des Trois Glorieuses. - Crédits photo : Wikimedia Commons
Nous avons choisi, comme de nombreux internautes et médias, de placer les deux photos côté-à-côte, pour souligner la symétrie visuelle des deux scènes. «Lorsqu'un Michel-Ange avec un appareil photo saisit David contre Goliath en pleine action», a commenté un responsable d'un groupe d'action américain en faveur des droits des Palestiniens.
Le Palestinien photographié «surpris» de ces partages
La chaîne Al-Jazeera a identifié le jeune homme photographié torse nu comme Aed Abu Amro, un Palestinien âgé de 20 ans. «J'ai été surpris que la photo devienne virale», a-t-il raconté à la chaîne arabe. Il explique participer à ces manifestations chaque semaine, «parfois davantage».
«Je ne savais même pas qu'il y avait un photographe près de moi», assure-t-il. Il précise qu'il s'est habitué à brandir ce drapeau à chaque manifestation, d'une main, lançant des pierres de l'autre. Il ajoute être souvent raillé par les autres manifestants pour cette raison. «Si je suis tué, je veux être enveloppé dans ce même drapeau», conclut-il, affirmant participer à ces rassemblements pour défendre sa «dignité» et celle «de la génération future».
D'autres photos diffusées par les agences AFP et AP montrent ce même manifestant, probablement presque au même moment, sous d'autres angles. On le distingue ainsi dans une position similaire, flou à l'arrière-plan, sur cette photo:
Des manifestants affrontent l'armée israélienne, lundi 22 octobre dans la bande de Gaza.- Crédits photo : Khalil Hamra/AP
On reconnaît également sa silhouette et le vêtement rose qu'il porte sur les hanches sur ces deux autres clichés de l'AFP qui donnent à voir les fumées des heurts.

Le même manifestant est photographié le 22 octobre lors des affrontements. - Crédits photo : MAHMUD HAMS/AFP

- Crédits photo : MAHMUD HAMS/AFP
Si la plupart des internautes ont souligné les qualités esthétiques de la photo de Mustafa Hassouna et que des commentaires positifs ont accompagné ces partages, des critiques se sont également exprimées vis-à-vis de l'acte violent immortalisé par le cliché. Certains commentateurs ont également pointé une «propagande» par l'image.
Depuis le 30 mars, les abords de la frontière avec Israël sont le théâtre d'une vaste mobilisation contre le blocus imposé depuis plus de dix ans à la bande de Gaza. Les Palestiniens réclament aussi le droit de revenir sur les terres dont ils ont été chassés ou qu'ils ont fuies à la création d'Israël en 1948. Plus de 200 Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens depuis le début de ces manifestations, la plupart le long de la frontière, et d'autres dans des frappes de chars ou de l'aviation israéliennes. Un soldat israélien a également été tué.
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Syrie : l'invite d'Erdogan aux Européens
Par Anne Andlauer
Mis à jour le 26/10/2018 à 18h08 | Publié le 26/10/2018 à 17h18
En invitant samedi à Istanbul Angela Merkel et Emmanuel Macron, le président turc veut sortir de son tête-à-tête avec Vladimir Poutine.
À Istanbul
Samedi, Recep Tayyip Erdogan s'installera à la table du sommet d'Istanbul sur la Syrie en estimant, à peu de chose près, avoir rempli sa part du contrat à Idlib. Dans cette province du Nord-Ouest syrien, dernière zone contrôlée par des groupes opposés à Bachar el-Assad, le président turc et son homologue russe, Vladimir Poutine, supervisent depuis mi-septembre l'établissement d'une zone tampon de 15 à 20 km de large. Le contrat, scellé à Sotchi, prévoyait le retrait de toutes les armes lourdes aux mains des opposants avant le 10 octobre et le départ de ces derniers avant le 15 octobre. Ankara, appui des rebelles modérés, avait accepté de convaincre les djihadistes du groupe Hayat Tahrir al-Cham, issus de l'ex-branche locale d'al-Qaida.
Le président Recep Tayyip Erdogan a salué vendredi une «victoire de la diplomatie». «Depuis que (l'accord) a été signé, nous n'avons plus de problème à Idlib», a assuré le chef de l'État. «À ce jour, une grande partie des armes lourdes ont été retirées de la région. Une grande partie des (combattants) radicaux se sont aussi retirés et les violations du cessez-le-feu ont baissé de 90 %. Nous le voyons, et nos amis russes le disent», s'était félicité mercredi son ministre de la Défense, Hulusi Akar.
La Turquie, comme la France, veut profiter du sommet d'Istanbul pour «trouver des solutions politiques, a poursuivi Hulusi Akar. Les étapes pour y parvenir sont claires: d'abord une nouvelle Constitution pour la Syrie, ensuite des élections et le départ d'el-Assad, qui n'a pas hésité à tuer son propre peuple».
La question kurde
Le ministre de la Défense, qui était chef d'état-major lorsque la Turquie a lancé ses deux incursions militaires dans le nord de la Syrie (Djarabulus en août 2016 contre Daech, Afrine en janvier 2018 contre les forces kurdes), ne s'est pas appesanti sur l'attitude de son pays si des djihadistes s'obstinaient à maintenir leur présence à Idlib. «Une intervention militaire limitée de la Turquie serait envisageable, car leur présence comporterait des risques à la fois sur le terrain mais aussi en Turquie, où les plus radicaux d'entre eux pourraient tenter des attaques», estime Sinan Ülgen, directeur du Centre d'études sur les affaires économiques et diplomatiques (Edam) à Istanbul. Leur maintien placerait aussi Ankara en difficulté vis-à-vis de Moscou, qui a certes accordé un délai à l'accord de Sotchi, mais n'atténue pas ses pressions sur son partenaire turc.
Outre que le processus politique voulu par Ankara, Paris et Berlin manque encore d'un engagement ferme de la part de Moscou, des désaccords risquent d'émerger sur le comité constitutionnel appelé à doter la Syrie d'une nouvelle Loi fondamentale. Lors du sommet de samedi, Recep Tayyip Erdogan rappellera à ses interlocuteurs - au président français, Emmanuel Macron, en particulier - son refus catégorique d'accorder aux Kurdes du Parti de l'union démocratique (PYD, groupe terroriste pour Ankara) un rôle dans la Syrie de demain.
«Il en va de l'intérêt national de la Turquie que ses partenaires occidentaux commencent à s'intéresser de plus près à la Syrie car l'Iran et la Russie ne sont pas des partenaires naturels pour Ankara»
Sinan ­Ülgen, ancien diplomate
Interrogé mercredi sur le souhait de certains États d'inclure le PYD dans ce processus politique, le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Çavusoglu, confiait ainsi n'avoir «pas entendu de telle proposition de la part de l'Allemagne, contrairement à la France et aux États-Unis. La Russie aussi a fini par voir que le PYD était un groupe terroriste», a expliqué le ministre turc.
Reste qu'en invitant Emmanuel Macron et Angela Merkel à le rejoindre à Istanbul pour un sommet sur la Syrie aux côtés de Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan agit avant tout dans l'intérêt de son pays. «Il en va de l'intérêt national de la Turquie que ses partenaires occidentaux commencent à s'intéresser de plus près à la Syrie car, finalement, l'Iran et la Russie ne sont pas des partenaires naturels pour Ankara», observe l'ancien diplomate Sinan Ülgen, en référence au processus d'Astana, qui voit depuis l'année dernière Turcs, Russes et Iraniens se réunir régulièrement sur le dossier syrien, sans les Occidentaux. «On voit bien les limites, pour la Turquie, d'un accord politique avec la Russie d'un côté et l'Iran de l'autre», ajoute Sinan Ülgen. Ce sommet est donc un moyen de permettre à la France et à l'Allemagne de revenir dans le jeu syrien, de sorte que la Turquie ne se retrouve pas isolée.
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La guerre secrète de la modération dans le paiement en ligne
Par Lucie Ronfaut
Mis à jour le 25/10/2018 à 13h03 | Publié le 25/10/2018 à 12h09
ENQUÊTE - Aux États-Unis et en France, des militants font pression sur les prestataires de paiement en ligne, comme Paypal et les sites de financement participatif, pour supprimer des comptes liés à l'extrême droite. Le sujet embarrasse les entreprises concernées, peu habituées aux enjeux de modération sur Internet.
Alex Jones est en colère. Le créateur du site conspirationniste Infowars, figure de proue de l'«alt-right», un mouvement américain d'extrême droite, a récemment été banni de la majorité des grands réseaux sociaux. YouTube, Facebook et Twitter ont supprimé ses comptes pour «comportement abusif» et incitation à la haine. Mais aucun bannissement n'a rendu Alex Jones plus furieux que celui de PayPal. Fin septembre, l'entreprise américaine, qui propose des solutions afin de faciliter les transactions en ligne, avait annoncé la résiliation de son contrat avec Infowars et son créateur. Le 2 octobre, Alex Jones a annoncé qu'il portait plainte contre PayPal. «Il est bien connu que les entreprises de technologie, notamment dans la Silicon Valley, discriminent les organisations et les individus conservateurs», a affirmé l'Américain, connu notamment pour sa négation de l'existence de la tuerie de l'école primaire de Sandy Hook. Il utilisait PayPal pour vendre des produits dérivés et des compléments alimentaires.
Une pression mondiale
Les réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook sont régulièrement critiqués pour leur mauvaise modération de la haine et du harcèlement en ligne. On sait moins que d'autres entreprises sont confrontées à des enjeux similaires. C'est le cas des sociétés spécialisées dans le paiement en ligne, comme PayPal, Stripe, ou le financement participatif, type Patreon ou Tipeee. Toutes sont très populaires auprès des internautes: grâce à elles, il suffit de quelques clics pour lancer sa boutique en ligne, ou réaliser une collecte de fonds, bien plus simplement qu'en passant par une banque ou d'autres acteurs classiques du paiement. Mais militants et internautes font de plus en plus pression sur ces entreprises. En cause, certains de leurs clients associés à l'«alt-right», le suprématisme blanc, des mouvements anti-islam ou anti-immigration. À l'instar d'Alex Jones, de nombreuses organisations ou personnalités proches de l'extrême droite américaine ont vu leurs comptes suspendus chez des sites comme PayPal, Stripe, Apple Pay, GoFundMe, Patreon ou YouCaring. Le phénomène a aussi atteint la France.
Pour expliquer ces suspensions, ces sites invoquent à chaque fois une atteinte à leurs conditions d'utilisation, qui punissent les appels à la violence et la haine en ligne. Stripe indique ainsi au Figaro que, «comme indiqué dans nos conditions d'utilisation, notre service ne peut pas être utilisé par les entreprises ou les associations qui incitent à la violence envers les individus ou les groupes, sur la base de leur origine, de leur religion, de leur handicap, de leur genre, de leur orientation sexuelle, ou d'une caractéristique immuable de leur identité». Même discours chez PayPal, qui «s'engage à s'assurer que notre plateforme ne soit pas utilisée pour inciter à la haine ou à l'intolérance discriminatoire.»
Aux États-Unis, les lois sur la liberté d'expression sont très souples, et ne contraignent pas spécialement ces sociétés. En France, la loi interdit l'expression du racisme, de l'antisémitisme, la négation de crimes contre l'humanité ou diverses incitations à la haine et la violence. Des sites comme Twitter ou Facebook y sont considérés comme des hébergeurs: cela signifie qu'ils sont obligés de retirer les contenus illégaux qui leur sont signalés par les autorités ou leurs utilisateurs. La situation est différente pour les sites de paiement en ligne. Ils n'ont aucune obligation de modération des propos de leurs utilisateurs. En revanche, leur but est d'éviter l'utilisation frauduleuse de leurs services, notamment dans le cadre du blanchiment d'argent ou du financement d'opérations terroristes. Mais la lutte contre la haine en ligne peut aussi, potentiellement, faire partie de leurs responsabilités. «L'incitation à la haine est une activité illicite en France. Or, le fait de fournir un service à ces sites pourrait donner lieu à une accusation de complicité ou de recel d'activité illicite», estime Valérie Aumage, avocate associée du Cabinet Taylor Wessing. Les conditions d'utilisation deviennent alors des protections juridiques, qui peuvent être invoquées pour annuler des contrats en cas de problème potentiel.
Pression médiatique
La pression médiatique est un autre élément essentiel dans ces décisions de modération. Aux États-Unis, plusieurs associations se sont mobilisées sur le sujet. L'organisation Color of Change a mis en place un site baptisé «Bloodmoney» (l'argent du sang), dénonçant les sociétés de paiement ayant des contrats avec des entités faisant la promotion du suprématisme blanc. Sont concernés aussi bien les plateformes d'e-commerce (Amazon), les émetteurs de cartes bancaires (Mastercard, Visa), ou les sites de paiement en ligne (Stripe, PayPal).
La campagne de l'association américaine Color Of Change, qui vise les sites de paiement en ligne, des banques et les émetteurs de cartes bancaires qui travaillent avec des organisations faisant la promotion du suprématisme blanc.
En France aussi, une association, baptisée Le Mouvement, a fait pression sur différents prestataires de Génération Identitaire, une organisation d'extrême droite dont le but est de «lutter contre l'islamisation et l'immigration massive» (d'après leur site officiel), dont des militants ont déjà été condamnés par la justice. Récemment, plusieurs d'entre eux ont été mis en examen pour violences en réunion après avoir envahi le siège de l'ONG SOS Méditerranée. Après une campagne de plusieurs mois, le Mouvement a finalement obtenu la suppression des comptes Stripe et HiPay (une entreprise française) de Génération Identitaire, utilisés pour recueillir des dons et vendre des produits dérivés. «Nous avons été inspirés par une opération en Autriche, menée par les associations Aufstehn et SumOfUs, qui a donné lieu à la suppression d'une campagne de crowdfunding des Identitaires pour financer un navire et empêcher le secours des réfugiés en mer», raconte Elliot Lepers, directeur exécutif du Mouvement. «Ça nous semblait être une bonne technique pour leur mettre un coup d'arrêt, en s'attaquant à leur infrastructure.» De la même manière, les comptes PayPal et Stripe d'Égalité et Réconciliation ont été récemment suspendus, suite à une nouvelle campagne, plus discrète, du Mouvement. Ce site est la vitrine d'Alain Soral, condamné à plusieurs reprises pour propos antisémites.
Contacté par le Figaro, le porte-parole de Génération Identitaire, Romain Espino relativise l'impact financier de cette opération. Le budget de son organisation provient majoritairement de levées de fonds plus classiques. «Le problème avec la clôture de nos comptes sur les sites de paiement en ligne, c'est qu'on touche à nos moyens de contact avec la population», explique-t-il. Génération Identitaire a aussi perdu ses comptes sur PayPal et Leetchi, un site de financement participatif. Le compte personnel de Romain Espino sur Tipeee a été clôturé. Aujourd'hui, Génération Identitaire n'a pas d'autre choix que de proposer sur son site Internet de faire des dons en chèques ou d'utiliser des cryptomonnaies, comme Bitcoin ou Ethereum. Une option proposée par de plus en plus de plateformes liées à l'extrême droite.
Opacité des choix
Malgré ces quelques cas médiatisés, les choix de modération des entreprises de paiement restent opaques. Dieudonné, déjà condamné à plusieurs reprises pour propos haineux, utilise par exemple toujours PayPal et HiPay sur son site et sa boutique officielle, a constaté Le Figaro. Boris Le Lay, militant d'extrême droite, utilise aussi Stripe sur son blog personnel, alors qu'il a fait l'objet de nombreuses condamnations pour diffamation, injures et apologie de crime. L'homme est, par ailleurs, fiché S. De son côté, le site français de financement participatif Tipeee a fait l'objet, en juin, d'une enquête du site Numerama sur son utilisation par des blogueurs ou des Youtubeurs faisant la promotion de théories conspirationnistes ou haineuses. Ses règles interdisent clairement les contenus «malveillants, inappropriés, irrespectueux, diffamatoires, injurieux, xénophobes et racistes.»
«Les questions politiques sont très loin de nos considérations quotidiennes et sincèrement, nous avons le sentiment que ça n'est pas notre sujet», explique Milena Cazade, chef de projet chez le site de financement participatif Tipeee, dans un mail envoyé au Figaro.
Ces ambiguïtés rappellent celles d'autres entreprises du Web. Avant Stripe, PayPal ou les sites de financement participatif, les réseaux sociaux ont eux aussi couru après une prétendue «neutralité». Ils ont longtemps affirmé qu'ils n'étaient que des plateformes techniques permettant d'échanger et de publier des contenus. Facebook affirme toujours aujourd'hui qu'il ne veut pas être un «arbitre de la vérité», malgré le poids de ses responsabilités, dans la lutte contre la haine et la désinformation, et la pression politique. Les entreprises de paiement en ligne aussi se retrouvent à chercher leur équilibre. Elles ne veulent pas être associées à des initiatives haineuses et racistes, mais elles veulent aussi éviter les accusations de discrimination politique, afin de ne pas subir de boycott ou de perdre de potentiels clients. Entre la morale, le droit, les affaires et l'image, les entreprises de paiement doivent pourtant faire un choix.
La rédaction vous conseille :
Journaliste pour la rubrique high-tech & web.
Sur Twitter : @LucieRonfaut
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Les vérités cachées de la guerre d'Algérie, par Jean Sévillia

Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 26/10/2018 à 21h34 | Publié le 26/10/2018 à 08h00
GRAND ENTRETIEN - Dans un ouvrage exemplaire, Les Vérités cachées de la guerre d'Algérie (Fayard), l'historien du Figaro Magazine restitue méticuleusement et dans toute leur complexité les événements qui se sont déroulés entre 1954 et 1962. Réfutant une vision manichéenne et «historiquement correcte» du conflit, il en souligne aussi les enjeux contemporains.
En 2017, durant la campagne présidentielle, Macron avait parlé de «crime contre l'humanité» à propos de la colonisation en Algérie…
Dans l'imaginaire contemporain, le crime contre l'humanité est lié au nazisme. Qualifier sous ce terme cent trente-deux ans de souveraineté française sur l'Algérie est une accusation insignifiante, tant elle est excessive. L'histoire est faite de nuances, de complexité. La formule employée par Emmanuel Macron revenait à porter une condamnation globale, historiquement insoutenable, politiquement scandaleuse et moralement insultante pour les ex-Français d'Algérie et les musulmans qui avaient coopéré avec la France. On ne gagne rien à se haïr soi-même. La présence française en Algérie a été un temps d'histoire partagée. Il faut regarder ce temps avec des yeux adultes, en sachant faire la part des réussites et des échecs de l'Algérie française.
Reconnaissez-vous tout de même que la France était une puissance occupante et le peuple algérien un peuple occupé?
Attention à la chronologie. Lors de la conquête, il n'existe pas de peuple algérien: l'Algérie, création française, rassemble des peuples et des tribus qui n'ont pas d'unité politique. Même l'émir Abdelkader n'est pas suivi par tous les autochtones dans sa résistance aux Français. La conquête, menée par une armée française qui a appliqué en Algérie les méthodes pratiquées par les armées révolutionnaires et napoléoniennes, notamment en Espagne en 1808, a été une guerre dure, qui fera 250.000 à 300 .00 morts chez les indigènes, et autour de 100.000 morts chez les Français. La guerre d'indépendance menée par le FLN, de 1954 à 1962, sera également une guerre terriblement cruelle, avec 250.000 à 300.000 morts toutes catégories et tous camps confondus. Mais entre ces deux périodes, il y a eu le long entre-deux de l'Algérie française. Une société coloniale, marquée par des inégalités de statut qui nous choquent rétrospectivement mais qui choquaient bien peu à l'époque, et marquée moins par le racisme que par le paternalisme. Mais un Français d'Algérie né en 1930, cent ans après la conquête, et dont la famille vit là depuis quatre générations, ne se perçoit pas comme un occupant: il est chez lui en Algérie.
Iriez-vous jusqu'à parler des effets bénéfiques de la colonisation française en Algérie?
L'Algérie sous souveraineté française était évidemment une société imparfaite, une société duale avec une minorité européenne possédant tous les droits de la nationalité et de la citoyenneté, et une immense majorité arabo-musulmane possédant la nationalité française mais longtemps privée des droits complets de la citoyenneté, en partie pour des raisons culturelles et religieuses résultant du statut personnel de droit coranique auqueltenaient les autochtones. Dans cette société, la majorité de la population, moins bien représentée politiquement, avait le sentiment de ne pas accéder aux manettes du pouvoir. Pour autant, ce n'était nullement une société d'apartheid. Dans un cadre indubitablement inégalitaire, hérité de la conquête et de la colonisation, la France a accompli une œuvre immense. Encore aujourd'hui, l'Algérie bénéficie d'infrastructures léguées par la France.
Pourquoi avoir écrit maintenant une histoire de la guerre d'Algérie?

«Les Vérités cachées de la guerre d'Algérie», de Jean Sévillia, Fayard, 416 p., 23 €. - Crédits photo : ,
J'en ai éprouvé le besoin, dans la lignée de mes travaux sur ce que j'ai appelé «l'historiquement correct», parce que nous sommes à un tournant générationnel. Ceux qui ont vécu la guerre d'Algérie disparaissent peu à peu, tandis que les jeunes générations connaissent mal cette période, ou en ont la vision biaisée diffusée par l'historiographie qui domine dans l'enseignement secondaire ou supérieur, comme par le conformisme médiatique. Il existe une énorme production autour de la guerre d'Algérie. De 2010 à 2014, par exemple, on recense plus d'un millier de livres, brochures, numéros spéciaux de revues et magazines en langue française sur le sujet. De quoi s'y perdre. J'ai donc voulu écrire, à l'attention du grand public, un livre de synthèse sur les événements qui se sont déroulés entre 1954 et 1962, mais surtout un livre débarrassé des préjugés idéologiques qui pèsent sur cette phase douloureuse de notre passé récent. Cette histoire entre en résonance avec de nombreux problèmes de la société française de 2018: la question de l'intégration, de l'identité culturelle des musulmans français, du lien social dans une société multiethnique, de l'islamisme, du terrorisme, etc. Il s'agit d'une page d'histoire aux accents profondément actuels.
Votre livre s'intitule Les vérités cachées de la guerre d'Algérie. Quelles sont ces vérités cachées?
En histoire, le péché majeur est l'anachronisme: juger le passé à partir des critères d'aujourd'hui. Or, l'entreprise coloniale occidentale, spécialement la colonisation française, est désormais condamnée par principe: la doxa politique et culturelle regarde l'œuvre coloniale comme une agression à l'égard des peuples colonisés, la reléguant au rang des erreurs de l'histoire. De manière corollaire, l'opinion estime que les peuples colonisés devaient fatalement accéder à l'indépendance. Par parenthèse, je le pense aussi parce que toutes les conditions avaient été réunies pour que les pays colonisés s'emparent à leur tour du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, une invention des Occidentaux.
«Sur le plan strictement militaire, ce conflit était pratiquement gagné vers 1960. Mais il ne l'était pas sur le plan politique.»
Jean Sévillia
Dans le cas de l'Algérie, la question est de savoir si cet accès à l'indépendance n'aurait pas pu s'effectuer à travers un processus pacifique étalé sur dix ou quinze ans, avec le maintien sur place de la communauté française. J'aborde évidemment le sujet dans mon livre. Cependant, la majorité des Français, de nos jours, estiment que la guerre menée en Algérie par la France était illégitime, puisqu'elle ne faisait que retarder le cours de l'histoire et empêcher l'émergence d'un Etat dont la naissance était inéluctable. Or, c'est un anachronisme: on oublie que l'idée de l'indépendance de l'Algérie n'apparaît dans le débat politique français que très tard, en 1959-1960, après l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle. Pendant les années 1955 à 1958, même à gauche, la tendance était de chercher à réformer l'Algérie, à la moderniser, à la rigueur à lui accorder une autonomie accrue, mais pas l'indépendance. Cette perspective violait le dogme de l'unité du territoire national, dès lors que l'Algérie était constituée de départements français. Le général de Gaullea liquidé ce dossier sans faire de sentiments, et il en porte la responsabilité. Mais, même si de Gaulle n'avait pas été là, même si la Ve République n'avait pas été instituée, je ne vois pas comment la IVe République se serait sortie de l'affaire algérienne. Mais expliquer l'histoire suppose de respecter la chronologie. Les militaires français qui ont fait la guerre en Algérie ont longtemps cru qu'ils allaient la gagner. Et d'ailleurs, sur le plan strictement militaire, ce conflit était pratiquement gagné vers 1960. Mais il ne l'était pas sur le plan politique. Or, la guerre d'Algérie était en réalité une guerre politique.
Certains faits sont-ils occultés?
Ils sont d'abord déformés, et même mythifiés, et c'est pourquoi il convient d'examiner, dans l'ordre chronologique, tous les points chauds de la guerre d'Algérie: l'antécédent de l'émeute déclenchée à Sétif le 8 mai 1945 et de sa répression, l'insurrection du Constantinois en août 1955, la bataille d'Alger en 1957, le putsch des généraux en 1961, l'OAS, la réalité de la manifestation des Algériens à Paris le 17 octobre 1961, les accords d'Evian, l'exode des pieds-noirs, le massacre des harkis, etc. Mais, dans mon livre, j'aborde aussi des pages de la guerre d'Algériequi sont méconnues ou de facto occultées. Par exemple, l'affrontement sanglant, en Algérie comme en métropole, entre le FLN et son concurrent du Mouvement national algérien (MNA). Ou les vagues de purges au sein du FLN. Ou le facteur religieux: à l'extérieur, en effet, le FLN parlait droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, libération de la tutelle coloniale, droits de l'homme. Mais, dans l'Algérie profonde, ses recruteurs n'hésitaient pas à recourir au discours du djihad: un appel à chasser les infidèles, aussi bien les chrétiens que les juifs. Cette dimension a été minimisée, voire totalement ignorée, à l'époque, par la gauche anticolonialiste. Il est de même méconnu que les musulmans engagés aux côtés de l'armée française ont toujours été plus nombreux que les militants indépendantistes.
Vous dénoncez une histoire en noir et blanc…
Nous subissons aujourd'hui une histoire manichéenne. Celle-ci instruit à charge contre les méthodes employées par l'armée française en Algérie - problème que je ne nie pas, puisque je lui consacre un chapitre entier de mon livre - mais en oubliant que les militaires français ont affronté un mouvement terroriste: de
«On dénonce la torture par l'armée française, jamais les attentats commis par le FLN»
1954 à 1962, le FLN a systématiquement pratiqué la terreur contre les musulmans pro-Français et contre les Européens d'Algérie. Or cette réalité est totalement occultée: on dénonce la torture par l'armée française, jamais les attentats commis par le FLN. De même, l'action sociale, scolaire, sanitaire et médicale conduite par les militaires français, notamment au sein des sections administratives spécialisées (SAS), mérite d'être soulignée, même si les regroupements de population sont sujets à débat. Lorsqu'on fait de l'histoire, on doit tout mettre sur la table.
Le chef de l'Etat a reconnu que le militant communiste Maurice Audin avait été tué par l'armée française en 1957…
Sur un plan factuel, il est acquis que Maurice Audin est mort à la suite d'un interrogatoire poussé mené par l'armée française, sans que l'on puisse en déterminer les circonstances exactes. Mais ce drame ne peut être isolé de son contexte, dont Emmanuel Macron n'a dit mot: l'offensive terroriste du FLN qui a fait des centaines de victimes civiles innocentes à Alger, conduisant le gouvernement, alors dirigé par le socialiste Guy Mollet, à confier les pouvoirs de police aux parachutistes. Afin de démanteler les réseaux terroristes, des interrogatoires sous contrainte ont été menés. C'est infiniment regrettable mais ceux qui s'en indignent rétrospectivement seraient plus crédibles s'ils s'indignaient au même degré des crimes commis par les poseurs de bombes. Proclamer, au nom de l'Etat, que Maurice Audin a été torturé et tué par l'armée française aboutit, dans l'esprit du public qui ne connaît rien à cette histoire, à considérer tous les militaires français qui ont servi en Algérie comme des tortionnaires. Comme si toute l'armée française avait torturé, comme si l'armée française n'avait fait que torturer, et comme si l'armée française avait été la seule à torturer. Pendant la guerre d'Algérie, des musulmans fidèles à la France ainsi que des Européens ont été torturés par le FLN, de même que des militants FLN ou du MNA ont été torturés par leurs propres frères parce qu'ils étaient considérés comme des traîtres, ou de même encore que des militants d'Algérie française, en 1962, ont été torturés par les forces de l'ordre. Si l'on étudie les violences illégales commises pendant la guerre d'Algérie, il faut les étudier toutes.
Emmanuel Macron, en même temps, a tenu à embrasser la cause des harkis …
Cette cause a commencé à émerger dans les années 1990, après un silence de trente ans. Il y a eu une vraie prise de conscience dont il faut se féliciter car l'abandon des harkis par la France est une tache affreuse dans notre histoire. Emmanuel Macron a bien fait de prendre des initiatives dans ce sens, mais il est vrai qu'il s'inscrivait là dans la continuité de ses prédécesseurs, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Ce sont malheureusement des gestes qui viennent très tard. Ils devraient par ailleurs sortir du registre purement compassionnel et s'accompagner d'explications historiques. Il faut comprendre et expliquer pourquoi des musulmans se sont engagés au côté de l'armée française durant la guerre d'Algérie. L'histoire des harkis ne se résume pas au drame de leur élimination finale. Si nous allons au fond de ce travail historique, nous remettrons en cause une certaine version lénifiante de ces événements. On oublie aujourd'hui que certains harkis étaient eux-mêmes initialement favorables à une forme d'autonomie ou d'indépendance de l'Algérie. Ce qui les a conduits à s'engager auprès de l'armée française, c'est l'horreur suscitée par les crimes du FLN. Il ne faut rappeler que l'organisation indépendantiste n'a cessé de revendiquer cette arme: «Pour être admis dans les rangs de l'ALN, écrit Krim Belkacem en 1960, il faut abattre un colonialiste ou un traitre notoire ; l'attentat est le stage accompli par tout candidat à l'ALN». Par sa violence, le FLN a retourné des Algériens musulmans contre lui.
Vous êtes particulièrement sévère avec le général de Gaulle...
De Gaulle est arrivé au pouvoir, en 1958, grâce au coup d'Etat mené à Alger le 13 mai et en s'appuyant sur les forces Algérie française. Tout laisse penser, néanmoins, que son intention était dès le départ de donner l'indépendance à l'Algérie. Il y a donc eu, de sa part, une forme de machiavélisme. Or le machiavélisme peut être pardonnable lorsqu'il n'y a pas de sang versé, mais la guerre d'Algérie s'est terminée dans un bain de sang. Il y a le drame des pieds-noirs, celui des harkis. Pour autant, je ne pense pas que de Gaulle voulait d'emblée remettre
«Tout laisse penser que l'intention de De Gaulle était, dès le départ, de donner l'indépendance à l'Algérie. Il y a donc eu, de sa part, une forme de machiavélisme.»
l'Algérie au FLN. Il a cherché - en vain - d'autres interlocuteurs, échafaudant des plans divers et parfois contradictoires. Le problème est que le Général était pressé, et ne voyait pas de solution pour en sortir. À partir du moment où il déclenche le processus conduisant à l'autodétermination de l'Algérie, en 1959, tout va s'accélérer et il va céder peu à peu à toutes les exigences du FLN. Les accords d'Evian offriront quelques garanties théoriques pour les Français d'Algérie, mais elles seront toutes violées dans les mois qui suivront l'indépendance. Quant aux harkis, ils seront sacrifiés sans états d'âme. L'ambition du général de Gaulle pour la France - en faire une puissance moderne capable de tenir tête aux superpuissances - était admirable, et je suis particulièrement sensible, personnellement, à ses discours tenus en Amérique latine en 1964 ou au Canada en 1967 («Vive le Québec libre»). Mais ce n'est pas verser dans l'antigaullisme primaire de constater que la politique algérienne du général de Gaulle n'a pas grandi son personnage, au contraire.
Comment expliquez-vous que le contentieux franco-algérien perdure à propos de cette guerre?
Depuis 1962, le FLN instrumentalise ce passé, d'abord sur le plan des chiffres. La guerre d'Algérie, tous camps confondus, a fait entre 250 000 et 300 000 morts. Cela est considérable, mais ne correspond pas au million et demi de victimes algériennes dont parle la propagande de l'Etat FLN. Les dirigeants algériens invoquent les crimes commis par l'armée française, mais on attend encore, de leur part, une autocritique concernant la violence qu'ils ont employée à l'époque, notamment à l'encontre des harkis que le gouvernement français avait abandonnés. Alors que neuf Algériens sur dix n'ont pas connu la guerre d'indépendance, les plus jeunes restent éduqués dans cette idéologie victimaire.
Les rapatriés ont-ils une vision plus objective de leur histoire?
J'ai beaucoup de sympathie pour les Français d'Algérie, mais il est évident qu'ils ont du mal à avoir un jugement distancié sur leur propre histoire: il y a eu trop de sang, trop de souffrances. On ne peut le leur reprocher: ils ont subi un sort abominable et sont orphelins d'un pays qui n'existe plus. Un regard objectif d'historien amène à constater un phénomène analogue de l'autre côté. Les maquisards du FLN ont employé des moyens que je condamne, mais ils étaient des combattants courageux. Nous ne parviendrons peut-être à écrire une histoire totalement raisonnée de la guerre d'Algérie que le jour où tous ceux qui l'ont vécue auront disparu. Encore faut-il que l'Etat algérien, accédant à la maturité, cesse de brandir une contre-histoire.
En France, cette question pèse-t-elle aussi sur les jeunes Franco-Algériens?
Les jeunes Franco-Algériens, pour la plupart, sont également baignés dans cet univers mental. Ils vivent avec l'idée que la France aurait commis des crimes à l'égard de leurs grands-parents, ce qui est un frein puissant à l'intégration: comment aimer un pays dont on pense qu'il a martyrisé sa famille? Cette question va jusqu'à nourrir le terrorisme, beaucoup d'islamistes étant persuadés de venger leurs aïeux lorsqu'ils mènent le djihad contre la France. C'est pourquoi la transmission de la vérité historique sur la guerre d'Algérie, dans toutes ses nuances et toute sa complexité, est un enjeu civique. La réconciliation avec l'Allemagne était acquise quinze ans après 1945, en dépit de deux guerres mondiales et d'un passif beaucoup plus lourd du fait des crimes nazis. Pourquoi ne parvenons-nous pas à faire la paix avec l'Algérie? Les Algériens ne sont pas des victimes éternelles envers lesquelles nous aurions une dette inextinguible. Le statut de victime, pas plus que celui de bourreau, n'est héréditaire. Faisons la part des responsabilités de chacun à travers un travail historique juste, et passons à autre chose. Nous n'allons quand même pas refaire la guerre d'Algérie pendant cent ans!
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