lundi 29 octobre 2018

Le politiquement correct totalitaire en France




































































































































































































































Délit de blasphème : «La CEDH n'est pas Charlie !»
Par Paul Sugy
Mis à jour le 26/10/2018 à 16h52 | Publié le 26/10/2018 à 16h38
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Selon le docteur en droit Grégor Puppinck, en confirmant jeudi la condamnation d'une Autrichienne qui avait évoqué en public la «pédophilie» de Mahomet, la CEDH reconnaît l'existence d'un délit de blasphème.


- Crédits photo : Editions du Cerf
Grégor Puppinck est docteur en droit et directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ). Il est membre du panel d'experts de l'OSCE sur la liberté de conscience et de religion. Il est l'auteur d'une étude sur l'objection de conscience et les droits de l'homme, publiée aux éditions du CNRS en 2016. Prochain livre à paraître: Les droits de l'homme dénaturé (Le Cerf, novembre 2018).

Les faits. En Autriche, lors d'une conférence organisée au sein du FPÖ et intitulée «connaissance élémentaire de l'islam», la conférencière et responsable du FPÖ a été condamnée pour avoir dit, à propos du mariage de Mahomet avec une fillette de 6 ans et de sa consommation sexuelle à l'âge de 9 ans: «Comment appelons-nous cela, si ce n'est de la pédophilie?». Elle voulait notamment alerter sur la pratique du mariage des mineurs dans l'islam, suivant l'exemple de Mahomet. Alors qu'elle a contesté en 2012 cette condamnation devant la Cour européenne des droits de l'homme, cette dernière a confirmé la décision des juges autrichiens dans un arrêt rendu public jeudi 25 octobre. L'ECLJ est intervenu dans cette affaire pour défendre la plaignante.
FIGAROVOX.- La Cour européenne des droits de l'homme vient de confirmer la condamnation d'une Autrichienne qui avait évoqué lors d'un meeting la «pédophilie» de Mahomet. Sur quel motif s'appuie cette condamnation?
Grégor PUPPINCK.- Le seul véritable motif de cette décision est la peur des musulmans. La Cour le dit expressément: les autorités autrichiennes ont eu raison de condamner ces propos pour préserver la «paix religieuse» et la «tolérance mutuelle» dans la société autrichienne. Selon la Cour, les États auraient à présent, et c'est nouveau, «l'obligation d'assurer la coexistence pacifique de toutes les religions et de ceux n'appartenant à aucune religion, en garantissant la tolérance mutuelle».
La Cour développe plusieurs arguments à l'appui de sa conclusion.
D'abord, elle juge l'intention même de la conférencière, et la condamne en estimant qu'elle n'a pas tant cherché à informer le public qu'à «dénigrer»Mahomet et à démontrer «qu'il n'est pas digne d'être vénéré», et par suite à inciter à la violence. Ainsi, dénigrer Mahomet n'est pas protégé par la liberté d'expression: il ne faudrait en parler qu'avec respect et des bonnes intentions!
La Cour a jugé ensuite - de façon incroyable - que ces propos n'étaient pas l'expression d'un fait mais d'un jugement de valeur personnel et hostile, car la conférencière n'aurait pas resitué les faits dans leur contexte historique, ni précisé que la première épouse de Mahomet était bien plus âgée que lui. Dès lors, elle aurait «généralisé» la pédophilie de Mahomet de façon malveillante. Pour la Cour, alors, la conférencière était de mauvaise foi, et c'est «légitimement» que les musulmans auraient pu se sentir «offensés» par ces propos et que les juridictions autrichiennes les ont condamnés.
Cette décision est grave à mes yeux. D'abord parce qu'elle se résigne à l'intolérance et même à la violence des musulmans face à la critique, et qu'elle renonce à défendre fermement la liberté d'expression sur l'islam. En fait, c'est la violence même des musulmans qui justifierait et exigerait que leurs croyances soient davantage protégées contre les critiques.
Plus profondément, cette décision est aussi très grave car elle fait primer les objectifs de «tolérance mutuelle» et de «coexistence pacifique» sur la liberté de pensée et d'expression en matière religieuse. Elle permet de museler la critique de l'islam au nom du vivre-ensemble. Cela va à rebours de la modernité occidentale qui exige au contraire de soumettre l'islam à la critique historique, sans peur de bousculer les croyances de ses adeptes et même de provoquer des tensions.
La décision rendue par la CEDH aurait justifié la condamnation des caricatures de Charlie Hebdo.
Mais pour estimer et protéger le débat critique et la controverse, il faut encore croire en la vérité et en la vertu. Ce n'est malheureusement pas le cas de cette décision qui est purement relativiste. Faire de la tolérance et de la coexistence des valeurs et des objectifs en soi est une abdication de l'esprit. La société européenne ne doit pas renoncer à être fondée sur la justice et la vertu qui sont, par définition, intransigeantes.
Ultimement, la logique de la coexistence et du vivre-ensemble repose sur le dogme absurde de l'égalité des religions. Pour ma part, je suis convaincu qu'il est urgent de détruire ce dogme, de critiquer et de comparer les religions par rapport à leur contribution au bien de l'humanité. Quant à la liberté d'expression, je pense que seule la diffusion d'obscénités gratuitement offensantes et inutiles au débat ainsi que les propos incitant à la violence immédiate peuvent être restreints. Tout autre propos - surtout lorsqu'il s'appuie sur des faits réels - devrait être protégé au titre de la liberté d'expression.
La décision rendue par la CEDH aurait justifié la condamnation des caricatures de Charlie Hebdo, mais aussi de Voltaire, Ernest Renan ou encore Auguste Comte. La Cour européenne des droits de l'homme n'est pas vraiment Charlie...
N'est-il pas étonnant de voir la CEDH maintenir un «délit de blasphème» alors même que, partout en Europe, il tend à disparaître? Les Irlandais s'apprêtent par exemple à le retirer de leur Constitution.
Oui, il est vrai que depuis 2009, les instances internationales et européennes se sont toutes déclarées en faveur de l'abolition du délit de blasphème. C'est pourquoi il a été retiré du droit local alsacien en 2016, et que les Irlandais s'apprêtent à faire de même prochainement. Cette décision de Strasbourg va donc à contre-courant.
La Cour a adopté une position inverse en accordant sa protection à des blasphèmes contre la religion chrétienne.
En fait, cette tendance est une réaction de défense face à l'offensive menée à l'ONU par l'Organisation de la Conférence Islamique pour créer en droit international un délit de blasphème sous l'appellation de «diffamation de l'islam». Il y a donc eu un conflit en droit international entre les conceptions musulmane et occidentale de la liberté d'expression en matière religieuse. La Cour, dans cette affaire, a opté pour la conception musulmane… conforme à la charia.
En somme, la CEDH défend ceux qui blasphèment contre le christianisme, mais condamne ceux qui blasphèment contre l'islam...
Force est de constater que dans deux jugements récents, la Cour a adopté une position inverse en accordant sa protection à des blasphèmes contre la religion chrétienne. Il ne s'agissait pas, dans ces affaires, de débat historique, mais de simples publicités commerciales et d'activisme politique.
Il y a d'abord eu l'affaire des publicités représentant le Christ et la Vierge Marie comme des junkys tatoués et lascifs. La Cour de Strasbourg n'a pas admis la condamnation de ces publicités, alors même qu'elles choquaient gratuitement, dans un seul objectif commercial. Elle a condamné la Lituanie.
Il y a ensuite eu l'affaire des «Pussy Riot», ce fameux groupe d'agitatrices punk qui avait été lourdement condamné en Russie pour avoir organisé un concert sauvage dans le chœur de la Cathédrale orthodoxe de Moscou. Ici encore, la CEDH a protégé leur liberté d'expression, reconnaissant tout au plus qu'une réaction au manquement à des règles ordinaires de conduite dans un lieu de culte aurait pu être justifiée.
On peine à s'expliquer la divergence d'approches de la Cour entre ces différentes affaires.
Ailleurs dans le monde, une jeune femme, Asia Bibi, a été condamnée à mort pour blasphème. Que font les défenseurs des droits de l'homme?
L'ECLJ dispose d'un bureau au Pakistan qui y défend courageusement les nombreux chrétiens persécutés, tels qu'Asia Bibi. Face à l'islam, nous avons aussi besoin en Europe de défenseurs courageux des droits de l'homme. Ce n'est pas le signal que donne la Cour européenne avec cette décision... J'espère que cette affaire sera rejugée, en appel, devant la Grande Chambre de la Cour européenne, et que celle-ci saura alors faire preuve du courage qu'exigent les circonstances actuelles.
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Charlie Hebdo, c'est "le droit au blasphème" (Malka)
 Flash Eco

Par LeFigaro.fr avec AFP
Mis à jour le 12/01/2015 à 12h10 | Publié le 12/01/2015 à 11h35

Le prochain numéro de Charlie Hebdo mercredi comportera "évidemment" des dessins sur Mahomet et des moqueries sur les politiques et les religions, a dit aujourd'hui sur France Info l'avocat de l'hebdomadaire, Richard Malka.

"On ne cédera rien", "l'état d'esprit 'Je suis Charlie'" cela veut dire aussi le "droit au blasphème", a-t-il déclaré.

Le travail sur le numéro en préparation, qui sera imprimé à un million d'exemplaires et "traduit en 16 langues", a déclaré l'urgentiste-chroniqueur Patrick Pelloux, également au micro de France Info.

"C'est compliqué, car il faut gérer l'avenir, les enterrements qui ont lieu toute cette semaine, mais ça avance, ce sera bouclé ce soir", a affirmé de son côté maître Malka.

Éric Zemmour : «De quoi l'affaire Mélenchon est-elle le nom ?»
Par Eric Zemmour
Mis à jour le 26/10/2018 à 19h06 | Publié le 26/10/2018 à 07h00
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Le vrai-faux opposant au pouvoir ne s'attendait pas à ce que son adversaire de convenance, Emmanuel Macron, le traite en ennemi.
Il y a la forme et le fond. Il y a la colère et les raisons de la colère. A force de s'appesantir complaisamment sur les outrances spectaculaires de Jean-LucMélenchon, on en oublie d'évoquer les faits qui les ont motivées. A force de disserter sur la psychologie du personnage et les conséquences tactiques de son attitude, on occulte - volontairement ou pas - la discussion autour de la légitimité de l'intervention judiciaire qui a provoqué ces réactions. A force de se parer des atours de la sacro-sainte «indépendance» de la justice, on ne rappelle pas que celle-ci n'est qu'un moyen au service d'une fin supérieure qui est l'impartialité.
A force de répéter en boucle que les magistrats n'ont pas d'ordre à recevoir du pouvoir, on fait semblant de ne pas voir que l'ampleur d'une telle opération de perquisition, les moyens de police mis en œuvre, la décision prise par le parquet, sont tels qu'on ne peut imaginer que le supérieur hiérarchique du parquet, le ministre de la Justice, n'en ait pas été informé. Et on imagine encore moins que Mme Belloubet n'ait pas prévenu l'Elysée…
On peut analyser la colère de Mélenchon comme celle du coupable pris en faute. L'avenir nous le dira. On peut aussi y voir la mise en œuvre d'une stratégie populiste de dénonciation des «élites» par le candidat autoproclamé du «peuple». On peut enfin la comprendre comme la colère non feinte du vrai-faux opposant au pouvoir qui ne s'attendait pas à ce que son adversaire de convenance, Emmanuel Macron, le traite en ennemi.
L'erreur cardinale de Mélenchon est bien là et non dans sa colère: lorsque ses adversaires politiques - Sarkozy, Fillon, Marine le Pen - furent touchés par la machine judiciaire, il a hurlé avec les loups qui hurlent aujourd'hui à sa perte.
Mélenchon n'a pas voulu analyser que cette soumission du politique au judiciaire (et au médiatique) venait de loin
Il n'a pas dénoncé le «putsch médiatico-judiciaire» à l'œuvre lorsque François Fillon a perdu l'élection présidentielle par une mise en examen prévisible. Il n'a pas alors condamné la collusion entre magistrats et médias pour fausser le résultat du scrutin. Il n'a pas compris - ou pas voulu comprendre - que des connivences sociologiques, idéologiques, politiques, entre juges, journalistes, hauts fonctionnaires et pouvoir hollando-macronien rendaient désormais inutiles les formelles courroies de transmission d'antan.
Il n'a pas voulu analyser que cette soumission du politique au judiciaire (et au médiatique) venait de loin. D'abord, dans l'érection de normes et de principes édictés par le Conseil constitutionnel et les cours européennes, au nom des droits de l'homme, qui corsètent l'action des gouvernements. Ensuite, dans le cadre du financement des partis par l'Etat, lorsque les juges se permettent d'apprécier l'opportunité de telle ou telle dépense électorale, ou de l'usage d'assistants parlementaires, foulant aux pieds les principes de liberté politique et de séparation des pouvoirs. Détruisant peu à peu cette République dont Mélenchon aime tant à célébrer la gloire éternelle.
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Journaliste, chroniqueur
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«Le multiculturalisme tue toute identité commune enracinée dans une histoire»
Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 11/04/2016 à 08h18 | Publié le 11/04/2016 à 08h14
Figure de la vie intellectuelle québécoise, le sociologue Mathieu Bock-Côté dépeint avec précision, rigueur et bonheur d'expression les sources, les manifestations et les ultimes conséquences du bouleversement majeur qui affecte notre monde.
Un nouvel esprit public
Contrairement à ce qu'on laisse souvent croire, le radicalisme des années 1960-1970 n'est pas disparu au moment du passage à la maturité de ceux qui s'étaient lancés dans une des nombreuses luttes ouvertes par le gauchisme: tout au contraire, il a profondément transformé la culture politique et la dynamique idéologique des sociétés occidentales. On pourrait reprendre l'hypothèse de Philippe Raynaud: si la gauche radicale n'est pas reconnue comme telle, c'est en bonne partie parce qu'elle est parvenue à imposer ses catégories dans la vie publique. (…) Notre monde, loin d'être sous-idéologisé, est «suridéologisé», mais nous n'en sommes plus conscients, tellement l'idéologie dominante est si écrasante qu'on ne voit plus qu'elle. (…) Les institutions restent à peu près les mêmes et, au premier regard, les démocraties occidentales écrivent leur histoire à l'encre de la continuité. Il n'en demeure pas moins qu'en s'investissant d'une toute nouvelle philosophie, elles ont transformé en profondeur leur vocation. 
L'idée fixe de la domination
Foucault prend le relais de Marx comme inspirateur de la gauche radicale. (…) La domination serait partout, surtout où on ne la voit pas: elle serait présente dans les rapports les plus intimes entre les êtres, elle serait constitutive de la culture. (…) Toute autorité devient une domination illégitime à déconstruire. (…) Ce qui se dessine déjà, c'est la figure de l'individu auto-référentiel, hors-sol, délivré de tout rapport de filiation, et ne se reconnaissant aucune dette à l'endroit de l'héritage qu'il a reçu et de la communauté politique qu'il habite. (…) Le mouvement des «immigrés», celui des «femmes», celui des «homosexuels», celui des «prisonniers», celui des «psychiatrisés» - tous ces mouvements qui, en eux-mêmes, ont peu de choses en commun, sont appelés à féconder l'action politique, pour la décentrer des institutions prédominantes et ouvrir le domaine public à l'expression d'une diversité inédite de formes de vie, le point culminant de cette théorisation de l'émancipation se retrouvant dans les «queer studies». (…) De la lutte des classes périmée, on passera à un nouveau modèle susceptible d'articuler les luttes sociales: la politique des identités. Les classes populaires ont déserté la guerre révolutionnaire? Le peuple n'est plus à gauche? On se fabriquera une série de petits peuples de substitution. 
L'obsession du respect
On réduira plus souvent qu'autrement la contestation à autant de propos haineux, cette catégorie en venant à s'étendre progressivement à toute défense significative des valeurs traditionnelles ou nationales
La théorie de la reconnaissance vient ici fonder la légitimité de l'action thérapeutique d'un État devant travailler à rehausser l'estime de soi de ceux qui l'habitent. (…) À terme, il faudra créer la culture commune la moins offensante possible envers les minorités, ce qui impliquera souvent, comme on le voit de plus en plus depuis le début des années 1990, de multiplier les «speech codes» et de criminaliser les propos offensants, dans la mesure où la liberté d'expression ne devrait pas tolérer l'expression de propos en contradiction avec les formes contemporaines du vivre-ensemble. On connaît les origines du politiquement correct, qui se trouve dans les campus américains marqués par l'héritage des radical sixties. (…) Le politiquement correct se présente ainsi comme une forme de discipline morale de la parole publique dans une société reconnaissant par exemple le droit de ne pas être offensé, le droit aussi de ne pas voir transgressés ses symboles identitaires les plus fondamentaux. On pourrait parler d'une reformulation postmoderne de la censure. Il faut ainsi assurer une surveillance rigoureuse aussi bien des discours militants que de l'humour, pour s'assurer qu'ils n'expriment aucune contestation de la nouvelle orthodoxie de la reconnaissance. On réduira plus souvent qu'autrement la contestation à autant de propos haineux, cette catégorie en venant à s'étendre progressivement à toute défense significative des valeurs traditionnelles ou nationales. (…) Il faudrait donc, pour éviter de blesser les nouveaux venus, dissoudre la culture dans une forme d'indétermination historique, la nation se réduisant désormais à un pacte juridique. 
Épurer passé et musées
C'est désormais un rituel, ou presque: d'une nation à l'autre, on exhume du passé des figures illustres ou oubliées pour les soumettre à un procès implacable: ils n'anticiperaient pas la société présente, ils ne se seraient pas pliés à l'avance aux valeurs que nous chérissons. Ils témoigneraient même d'un autre rapport au monde, qui nous est absolument incompréhensible. (…) C'est ce qu'appelle généralement la repentance, qui a partout la cote, qu'il s'agisse de renoncer à célébrer Austerlitz en France, d'accuser de sexisme le mouvement patriote du XIXe siècle au Bas-Canada ou de déboulonner les statues qui, à Londres, rappellent trop la mémoire de l'Empire britannique. C'est la passion morbide de la commémoration négative: nous ne tolérons plus dans l'imaginaire collectif des hommes qui, d'une manière ou d'une autre, contredisent le présent et laissent croire que l'humanité a pu vivre autrement, en vénérant d'autres dieux ou d'autres valeurs. (…) Dans sa formulation la plus grossière et la plus caricaturale, l'historiographie victimaire finit toujours par désigner à la vindicte publique l'homme blanc hétérosexuel, coupable d'une société qu'il aurait construit à son avantage exclusif. (…)

«Le Multiculturalisme comme religion politique»
L'histoire ne serait valable qu'à la manière d'une pédagogie pour l'avenir, le passé étant filtré à partir d'un présentisme intransigeant criminalisant les formes sociales et culturelles traditionnelles qui ne seraient pas compatibles avec les nouvelles exigences de l'émancipation. La mémoire est devenue un enjeu de politique publique dans la perspective d'une dénationalisation de la conscience historique, les gouvernements devant construire publiquement une mémoire «inclusive», susceptible d'assurer leur visibilité historique aux groupes marginalisés. C'est ainsi que les mois consacrés aux minorités se multiplient et que les musées sont invités à exposer une nouvelle vision de l'histoire, ayant pleinement intériorisé l'impératif diversitaire. Theodore Dalrymple a montré comment en Grande-Bretagne au début des années 2000, on a cherché à rendre le financement des musées conditionnel à leur capacité à attirer une clientèle provenant des minorités ethniques et culturelles. (…) Évidemment, on tenait pour acquis qu'il serait pour cela nécessaire de transformer le contenu et la présentation des expositions pour les amener à participer à la reconstruction multiculturelle de l'imaginaire et de l'identité britannique. La mise en scène de la culpabilité occidentale est au programme. 
L'État rééducateur
Les classes populaires «nationales» sont désormais classées parmi les populations «ennemies», ou à tout le moins, parmi les classes dominantes et désormais appelées à sacrifier une partie de leur bien-être pour les nouveaux peuples marginaux dévoilés par la sociologie antidiscriminatoire. (…) Il faut non seulement déprendre l'emprise de la majorité sur les minorités: il faut réformer la majorité pour l'amener à consentir à ce nouveau monde où elle ne sera plus qu'une communauté. La majorité doit vouloir la fin de ses privilèges, elle doit désirer ardemment s'en déprendre, s'en délivrer. (…) Il faut transformer les attitudes devant la diversité: la majorité doit s'enthousiasmer du fait qu'elle deviendra une minorité, elle doit aimer le multiculturalisme. (…) Ce n'est pas le moindre paradoxe de la culture libertaire qui a pris forme avec les radical sixties qu'elle ne peut se diffuser qu'à travers une reconstruction autoritaire de la société. 
Les droits contre la démocratie
La démocratie représentative semble périmée car elle ne sait plus trop quel peuple elle doit représenter. L'identité du peuple n'étant plus présupposée, son existence même étant remise en question, il n'est plus possible de penser l'espace public sous une forme unitaire, où les individus appartenant à une même communauté historico-politique se diviseraient ensuite selon des lignes essentiellement idéologiques. (…) Si la souveraineté populaire n'est pas officiellement abolie, évidemment, elle est désormais réduite à une portion minimale du pouvoir politique et n'est plus investie d'aucune charge existentielle. Le pouvoir démocratique est condamné à l'impuissance. Un constitutionnalisme approprié à la société pluraliste sera appelé à exercer une souveraineté surplombante sur le corps social pour justement piloter sa transformation égalitariste dans le langage du droit. Les groupes marginalisés, les minorités sont appelés à faire valoir leurs droits contre les pratiques sociales qui limiteraient leur émancipation, le droit devenant un recours prioritaire à mobiliser contre la souveraineté populaire, assimilée plus souvent qu'autrement à une tyrannie de la majorité, la gauche multiculturelle voyant justement dans les droits humains un instrument privilégié pour piloter à l'abri des controverses politiques classiques l'avancement des revendications minoritaires. 
Le Canada, un laboratoire
On le sait, le multiculturalisme est une doctrine d'État au Canada, mais il faut voir à quel point cette mutation identitaire a été portée par la classe intellectuelle qui a reconnu justement dans sa reconstruction diversitaire la marque distinctive de l'identité canadienne. Sans abuser d'un langage paradoxal, on pourrait dire que le Canada trouverait son identité propre dans le fait de ne pas avoir d'identité nationale distinctive, John Ibbitson allant même jusqu'à affirmer que le génie propre à l'identité canadienne serait justement de n'être porteuse d'aucune signification historique particulière, ce qui faciliterait son appropriation par les immigrés qui n'auraient aucunement à se départir de leurs appartenances culturelles préalables pour devenir canadiens. En fait, le Canada se serait reconstitué et refondé sur une dissociation radicale entre la communauté politique et son expérience historique, et c'est justement cette prétention à se fonder sur une utopie plutôt que sur une mémoire qui en ferait un paradis diversitaire à nul autre pareil parmi les sociétés contemporaines. Selon la formule de John Ibbitson, les pays qui ont le moins d'histoire seraient aujourd'hui ceux qui ont le plus d'avenir. 
*Le Multiculturalisme comme religion politique, de Mathieu Bock-Côté, éditions du Cerf, 368 p., 24€, en librairie le 15 avril.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 11/04/2016. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Mathieu Bock-Côté

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Dominique Lecourt : «Le politiquement correct favorise le retour de toutes les violences»

Par Alexis Feertchak
Publié le 21/10/2016 à 17h26
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Le philosophe Dominique Lecourt, élève de Canguilhem et d'Althusser, a accordé un entretien fleuve au FigaroVox. Le directeur de l'Institut Diderot dénonce un politiquement correct qui, par le droit, passe dangereusement des mots aux choses.


Dominique Lecourt est un philosophe français, ancien élève de Georges Canguilhem et Louis Althusser. Professeur émérite des Universités, président d'honneur des Presses Universitaires de France (PUF), ancien recteur d'Académie, il est directeur général de l'Institut Diderot depuis 2012. Auteur de plus d'une trentaine d'ouvrages et de plusieurs grands dictionnaires, il a dernièrement publié L'Égoïsme. Faut-il vraiment penser aux autres? (éd. Autrement, 2015).

FIGAROVOX. - Récemment adoptée au Sénat, la loi Egalité et citoyenneté, qui contient une série de … 217 mesures pour la jeunesse, la mixité sociale ou contre les discriminations sociales, vante l'«égalité réelle». Imposer l'égalité réelle, n'est-ce pas prendre le risque d'une suspension excessive des libertés individuelles, de prolonger le politiquement correct des mots aux choses?
Dominique LECOURT. - Cette loi représente jusqu'à la caricature une conception de l'idée de démocratie qui s'est imposée dans notre pays depuis une trentaine d'années. C'est un grand bazar qui rassemble dans un désordre tragi-comique les interdits énoncés dont on attend aujourd'hui qu'ils règlent les mœurs. Prenons l'exemple de l'interdiction de la fessée comme outil éducatif et la condamnation qui frappe l'usage de paroles considérées comme blessantes parce que supposées contraires aux idéaux dogmatiques du «vivre ensemble». Il s'agit à mon sens du point d'orgue de cette frénésie normative, trop en vogue aujourd'hui, dont le caractère autoritaire fait l'objet d'une dénégation permanente de la part des intellectuels et des médias qui la répande. Par une grande hypocrisie, on annonce un progrès de la liberté de chacun au moment même où l'on prépare méticuleusement sa régression. Des mots aux choses, la distance ne saurait être abolie que par la contrainte. Cette conception débouche sur une pratique autoritaire du pouvoir politique. L'intimidation est son ressort principal. Voyez désormais le recours permanent aux tribunaux… Il ne manque pas d'associations qui se soient spécialisées dans ce type de chantage. Le trouble est profond. La suspicion systématique détruit la confiance indispensable à la vie en société!
La suspicion systématique détruit la confiance indispensable à la vie en société !
Permettez que je vous donne un exemple. À l'Université, en France, nous en étions depuis 1968 à la chasse aux tabous, au nom du fameux «il est interdit d'interdire». Nous sacrifions au culte des briseurs de tabous. Chaque victoire était célébrée par une presse de plus en plus libertaire. Rappelez-vous Libération, première époque. Retrouvez quelques exemplaires «vintage» du journal Le Monde qui mettait à chaque fois le poids de sa réputation dans la bataille lorsqu'il s'agissait d'attaquer la conception «bourgeoise» de la famille ou de l'éducation. Aujourd'hui, les rédactions de ces quotidiens s'étrangleraient, sans doute, de rage en relisant les articles d'époque portant sur cette même conception de la famille. Les mêmes quotidiens se sont battus pour faire admettre le «mariage pour tous». Quel renversement! La logique aurait voulu qu'ils se prononcent contre toutes formes de mariage, y compris pour les individus de même sexe…
De l'autre côté de l'Atlantique, au début des années 1980, on s'appliquait au contraire à formuler de nouveaux interdits.
De l'autre côté de l'Atlantique, lorsque je suis arrivé à l'Université de Boston, au début des années 1980, on s'appliquait au contraire à formuler de nouveaux interdits. La tyrannie s'exerçait sur le langage dans une grande partie du milieu académique, spécialement dans le domaine des sciences humaines (de la psychologie à la philosophie en passant par l'économie). Rapidement, cette tyrannie, au-delà des milieux académiques, a submergé toute la vie sociale. Dix ans plus tard, cette vague atteignit la France violemment. Le début du raz-de-marée. Et un tsunami ne fait jamais déborder un vase, il le brise… Très vite, on a vu les personnels administratifs et enseignants des universités modifier leurs comportements, spécialement en présence de l'autre sexe. Plus personne ne ferme désormais la porte de son bureau pour recevoir un étudiant, au sens… générique du terme. Comme si, chaque enseignant, chaque membre du personnel enseignant ou administratif devait être considéré comme un violeur potentiel!
Paradoxalement, la chasse aux tabous se révèle nocive pour la liberté de penser. Elle produit des êtres craintifs, ennemis du risque. Cette nouvelle génération «précautionneuse» souffre de pudibonderie.
La chasse aux tabous se révèle nocive pour la liberté de penser. Elle produit des êtres craintifs, ennemis du risque. Cette nouvelle génération «précautionneuse » souffre de pudibonderie.
Ne confondons pas systématiquement inégalité et injustice. Au risque de choquer, je rappelle qu'il existe des inégalités qui ne sont nullement identifiables à des injustices. Prenons l'exemple des salaires. Le fait qu'une rémunération pour un travail soit indexée sur le mérite ne représente pas toujours une injustice, sauf, bien évidemment pour ceux qui ne reconnaissent pas la valeur du mérite… Prenons, cette fois-ci, l'exemple de mes collègues de l'Éducation nationale. Est-ce que l'ancienneté doit prévaloir sur la qualité du travail pour tout avancement, comme aujourd'hui? Le résultat n'est pas brillant…
Au nom de l'égalité réelle, nous assistons à l'alliance spectaculaire entre la technocratie et le moralisme sous prétexte de faire le bonheur de tous malgré eux.
Avant d'être reprise par les marxistes, l'expression «politiquement correct» a été lancée par la Cour suprême des Etats-Unis dès 1793. Jean-Claude Michéa considère d'ailleurs que le politiquement correct est le «triomphe de la juridification des relations humaines» contre lacommon decency défendue par Orwell. De quoi cette «juridification» serait-elle le signe?
Au nom de l'égalité réelle, nous assistons à l'alliance spectaculaire entre la technocratie et le moralisme sous prétexte de faire le bonheur de tous malgré eux.
Le mot de «juridification» désigne une construction correspondant à la standardisation des relations humaines. Est-ce le signe d'un progrès dans la liberté? C'est plutôt, à mes yeux, un symptôme liberticide. Prenons un exemple d'où le ridicule n'est pas absent. Savez-vous qu'il faudrait éviter d'utiliser le mot «violer» dans l'expression «violer une loi» compte tenu de la résonance offensante que peut avoir le mot? Une tenue correcte est exigée du langage spécialement en matière de race, de culture et de religion. Le mot honni de «race» figure toujours dans la Constitution, malgré la logique de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. Sur cette loi, il y aurait beaucoup à dire. Paul Ricœur, Pierre Vidal-Naquet, Robert Badinter et beaucoup d'autres en ont amorcé le commentaire critique. Les minorités se sont emparées du politiquement correct. Raymond Boudon avait raison. Il s'agit d'un instrument de conquête du pouvoir, non par des majorités conformistes, mais par des minorités actives bien organisées qui répandent leur conformisme propre. Souvent de tonalité religieuse. Face au séisme de l'affaire du licenciement d'une salariée portant un foulard islamique, Elisabeth Badinter a eu le courage et la force de défendre la direction de la crèche Baby-Loup, même si elle en a payé le prix. Cette crèche imposait une neutralité et le respect de la laïcité à son personnel.
Assisterions-nous, aujourd'hui, à la mort annoncée de l'euphémisation du monde, du règne des périphrases, des circonlocutions, à celles de toutes pratiques qui relèvent du contrôle social exercé par et sur le langage?
Venue de la gauche des campus, la critique du politiquement correct s'est retournée durant les années 1980. Bien avant Éric Zemmour en France, pour ne citer que lui, les milieux conservateurs aux États-Unis n'ont pas manqué de se moquer du langage tarabiscoté employé par souci, d'ailleurs illusoire, de préserver et de défendre les minorités. Ils ont montré qu'il s'agit d'une censure ou d'une auto-censure à peine déguisée.
Je vous rappelle la formule clé de Glucksmann qui relève de la plus pure intimidation : «théoriser, c'est terroriser».
Les années 1976-1978 marquent un tournant dans l'histoire de la philosophie, chez nous, en France. Les philosophes ont alors pris la posture du spectateur des événements et du «reporteur d'idées». Ils se sont déclarés «journalistes transcendantaux», pour reprendre l'expression de Maurice Clavel. Ils prétendaient s'élever au-dessus de la contingence du présent. J'ai déjà raconté comment j'ai vu Michel Foucault lui-même y céder un moment, fasciné par «la révolution du non-pouvoir» de l'ayatollah Khomeini... André Glucksmann poussa plus loin que les autres la logique de ce retrait. Dans Les Maîtres penseurs, il dénonce toute tentative de penser le monde afin de le transformer comme comportant une menace sournoise de totalitarisme, c'est-à-dire la ruine totale de la liberté. Vous n'avez peut-être pas en tête ses écrits. Je vous rappelle donc sa formule clé qui relève de la plus pure intimidation: «théoriser, c'est terroriser».
Résumons. Les philosophes n'auraient plus désormais qu'à faire écho aux événements sur le mode du jugement moral prononcé dans l'urgence. Vous n'aurez pas de mal à mettre un nom sur le plus célèbre de nos philosophes-chefs de guerre…
Le destin du politiquement correct nous montre qu'il s'agit plus profondément d'une rhétorique de dissuasion.
La philosophie dans les médias relèverait désormais du commentaire et de l'exhortation. Vous connaissez la petite musique: «Le monde va mal», «mais il irait peut-être plus mal encore si vous essayiez de le transformer». On nous a donc conseillé au nom de la philosophie de nous consoler et d'être heureux de notre petit bonheur d'Occidentaux. Le destin du politiquement correct nous montre qu'il s'agit plus profondément d'une rhétorique de dissuasion. Cette logique de démobilisation collective s'est traduite par un dénigrement perpétuel d'une certaine pensée française. Celle que paradoxalement, l'Amérique n'en finit pas de fêter sous l'appellation de French theory. Les Foucault, Derrida, Bourdieu, Lacan ou Barthes… Aujourd'hui dans nos universités, notamment dans les sciences humaines, on ne trouve plus guère que des sous-produits de recherche américains. Voyez les études sur le «genre» ou «gender studies»! Un bien bel exemple de politiquement correct…
Philippe Muray parlait de la «cage aux phobes» pour qualifier tous les interdits langagiers que le politiquement correct imposerait. Diriez-vous que le politiquement correct prospère encore ou finit par s'éroder sous le coup des critiques?
Ce discours de consolation ou d'exhortation tel qu'il a été pratiqué pour un temps avec succès n'avait de réel impact que par la crise qui grondait à l'horizon.
Aujourd'hui, par temps de mondialisation ou de globalisation, la doxa européenne cherche à protéger son niveau et son style de vie.
Aujourd'hui, par temps de mondialisation ou de globalisation, la doxa européenne cherche à protéger son niveau et son style de vie. Voyez les mouvements populistes dans les pays du Nord de l'Europe et en Allemagne même.
Une page se tourne. La violence du langage s'exerce sans plus se dissimuler. Elle ne fait plus vraiment rire. Si l'on tue encore aujourd'hui au nom de Dieu, sur les pavés de nos grandes villes, c'est en grande partie la faute du politiquement correct.
Si l'on tue encore aujourd'hui au nom de Dieu, sur les pavés de nos grandes villes, c'est en grande partie la faute du politiquement correct.
Mon ami André Comte-Sponville juge que l'avenir du politiquement correct, c'est la voie ouverte au populisme sous la forme la plus violente. Je le rejoins. Le temps de la consolation et de l'exhortation est révolu…
La force du politiquement correct tient à ce qu'il fait illusion. Il semble «s'éroder» alors même qu'il prospère. Porteur d'interdits, il se nourrit des dénonciations qui les visent. Un néo-puritanisme linguistique correspond à un moralisme radical. Il encaisse à ce jour sans difficulté les critiques dont il est la cible, mais il n'est pas exclu que l'exaspération qu'il suscite se transforme un jour en une franche colère qui signera sa défaite. Pensez à la victoire à la présidentielle de mai 2016 de Rodrigo Duterte aux Philippines ; il ferait passer Donald Trump pour le plus courtois des hommes (politiques).
Le modèle républicain traditionnel ne reconnaît pas l'existence de différentes communautés, mais seulement celle du peuple français. Le politiquement correct qui est l'arme de beaucoup de minorités sert-il le communautarisme et le multi-culturalisme?
Avec l'idée du modèle républicain, nous touchons à ce que j'appellerai le malentendu fondamental de la politique moderne en France.
Avec l'idée du modèle républicain, nous touchons à ce que j'appellerai le malentendu fondamental de la politique moderne en France. À la source de toutes les incompréhensions qui règnent entre le monde libéral anglo-saxon et nous-mêmes… On entend dire depuis plusieurs années que les valeurs de la République sont en danger, mais on ne dit pas exactement ce qu'elles sont. Elles seraient menacées par un parti dont on ne prononce pas le nom, mais qui est pourtant légal, et si j'en crois les sondages, le premier parti de France. Chacun s'accorde à chercher dans les discours du Front national, puisque c'est de lui qu'il s'agit, les «dérapages» dont il se rendrait responsable. C'est un mot-clé du politiquement correct. Un moyen d'intimidation qui laisse penser qu'il existerait une pensée unique, une voie droite par rapport à laquelle nous devrions tous être jugés. C'est prendre le risque d'un retournement violent.
Il est probablement possible de poser différemment la question sur le communautarisme, dans son fond idéologique. J'entends pas là que la pratique gestionnaire de la politique suscite, par réaction, dans un régime technocratique, une demande d'absolu que la politique ne peut ni ne veut satisfaire. Cette demande se trouve du coup canalisée, contre le système politique en vigueur, par tous ceux qui savent s'en saisir à leurs fins.
La pratique gestionnaire de la politique suscite, par réaction, dans un régime technocratique, une demande politique d'absolu.
Dès lors que le pouvoir politique n'assume plus d'autre idéal que l'efficacité du fonctionnement de l'État (et de l'économie), les passions qui s'attachent chez tout être humain à «l'être ensemble» ne trouvent plus à s'épancher que dans le rassemblement en communautés. Et la haine alors s'écoule, porteuse de mort, de «communauté» à «communauté». Voilà pourquoi la démocratie que nous évoquons si volontiers se trouve réellement en danger.
Comment sortir de ce cercle? Peut-être en nous souvenant de ce qui se disait, sourdement, dans le mot de laïcité. Il ne s'agit pas d'un idéal philosophique, ni seulement d'un ensemble d'institutions et de lois qu'il s'agirait de «défendre». Elle aura d'abord été, la reconnaissance de la politique comme domaine d'idéaux et de valeurs librement assumés par des citoyens détenteurs à égalité de la souveraineté. Oui, dans une République, en régime démocratique, il y a non seulement nécessité vitale de séparer l'État et les religions, mais aussi de maintenir vivante l'idéalité des visées de la politique et le désir de renouveler sans cesse par un effort collectif de réflexion critique où chacun engage la part de soi qui appartient aux autres. Est-ce suffisant? Non. Car cette idéalité elle-même peut-être mise au service d'une fusion, d'une «communion», mortifère des citoyens avec le pouvoir d'État comme on l'a vu dans les régimes totalitaires (URSS, Allemagne nazie etc.). Il faut donc restituer tout son tranchant à la grande intuition qui nous vient de la Révolution française: il n'est, dans un tel régime nul autre principe valable de rassemblement des citoyens que celui de la «liberté». La liberté s'adressant par la bouche du pouvoir politique à tous les citoyens les vise comme individus. Elle prend donc appui sur l'infini des désirs de chacun, tout en l'invitant à n'en réaliser que la part qui peut se composer avec celle qu'y prennent nécessairement les autres. Passions et réflexion rationnelle se trouvent ainsi solidement couplées, l'une relançant perpétuellement l'autre ; et inversement. Ce principe permet de conjurer les deux risques majeurs et conjoints que court la démocratie si elle veut s'arracher à son sommeil technocratique: la fusion totalitaire dans le rassemblement autour d'idéaux politiques, prenant, sous forme d'absolu, la place de Dieu, et la sacralisation des hiérarchies sociales établies.
Faudrait-il plutôt prôner celle d'«assimilation» ? Sans doute, si nous voulons surmonter les difficultés liées à l'usage dévoyé, par certains, du terme d'«intégration».
Le 17 septembre 2014, alors qu'il n'avait pas encore dévoilé les grandes lignes de son projet pour 2017, Alain Juppé défendait à l'Institut Diderot une position résolument anti-communautariste mettant en valeur l'idéal du «bien commun» comme mouvement dynamique de l'identité de la Nation dont nous avons reçu l'héritage. On discute depuis ardemment de l'idée d'«intégration» qu'il avançait: l'«identité heureuse». Cette idée, sous sa plume, se veut respectueuse des différences et particulièrement des différences religieuses.
Faudrait-il plutôt prôner celle d' «assimilation»? Sans doute, si nous voulons surmonter les difficultés liées à l'usage dévoyé, par certains, du terme d'«intégration», faudrait-il forger un mot composé tel qu'«intégration/assimilation»?
De nombreux intellectuels médiatisés comme Michel Onfray ou Alain Finkielkraut sont accusés de faire le jeu du Front national, voire d'en être des «alliés objectifs». Est-il devenu impossible d'exercer de façon sereine la charge d'intellectuel dans le débat public?
Le débat, désormais, c'est la foire d'empoigne. Il s'agit de savoir qui va parler le plus fort.
C'est le risque de la médiatisation. Mon maître Georges Canguilhem y était tout à fait hostile. Aujourd'hui, réseaux sociaux aidant, on doit s'attendre à se trouver pris dans des batailles dont on peut regretter la hargne. Le débat, désormais, c'est la foire d'empoigne. Il s'agit de savoir qui va parler le plus fort. De là pourtant à remettre en usage la formule des «alliés objectifs» dont a abusé le Parti communiste en son temps… Il ne s'agit que d'une technique rhétorique destinée à disqualifier l'interlocuteur. Ce n'est pas une façon sereine de débattre, et très injuste à l'égard d'Alain Finkielkraut et même de Michel Onfray.
L'universitaire, aujourd'hui, est prêt à se soumettre à tous les conformismes, chacun rivalisant avec chacun pour être le premier à penser et agir comme tout le monde… On pense, ici encore, aux études sur le «genre», au phénomène des «gender studies»… Le problème, c'est leurs répercussions concrètes dans l'Éducation nationale, sur les élèves et les parents… Quant à l'emprise du système médiatique sur les intellectuels, elle va croissante…
A terme, le politiquement correct ne risque-t-il pas d'encourager les partis politiques les plus outranciers et in fine de libérer la violence du langage?
Face à Trump, Madame Clinton apparaît comme l'incarnation même du politiquement correct. Et lui, comme celle de l'incorrection grossière.
Si l'on parle de la violence du langage en politique, on ne peut aujourd'hui contourner le «cas» Trump. Face à lui, Madame Clinton apparaît comme l'incarnation même du politiquement correct. Et lui, comme celle de l'incorrection grossière. Mais, on voit que les questions politiques graves qui se posent aux Etats-Unis dépassent de loin les aspects rhétoriques de la campagne. La violence du langage peut se traduire dans les deux registres extrémistes opposés.
Les sociétés démocratiques, avides d'égalité, ont refusé à leurs citoyens le soutien d'une hiérarchie qui leur garantirait un lien stable avec leurs concitoyens. Les individus, livrés à eux-mêmes, isolés, ont perdu le sentiment chaleureux de la continuité entre générations. Alexis de Tocqueville avait vu juste lorsqu'il écrivait que «l'aristocratie avait fait de tous les citoyens une longue chaîne qui remontait du paysan au roi ; la démocratie brise la chaîne et met chaque anneau à part». La démocratie ramène ainsi chaque individu vers lui seul et «menace de le renfermer tout entier dans la solitude de son propre cœur». C'est l'équation même de l'individualisme démocratique. Cet individualisme a triomphé sur la base du démantèlement de la figure classique de l'ego. L'individu se trouve maintenant désingularisé. Il a perdu son histoire propre, ce qui faisait sa valeur à ses yeux. Chaque citoyen se révèle disposé à s'isoler de la masse de ses semblables, ce qui incite chacun à créer une petite société à son usage, abandonnant la grande société à elle-même. Voilà pourquoi les sociétés démocratiques suscitent le conformisme de citoyens soumis à la mécanique de l'individualisme de masse. Et cet individualisme-là se nourrit d'égoïsme - de compétition et d'indifférence. Il s'épanouit dans le narcissisme.
Avec l'ensemble des questions que pose le déploiement du politiquement correct, la pensée s'est installée dans un exercice réflexif périlleux qui décide du sens que nous devrions accorder à nos existences. Allons-nous adapter notre vie aux exigences d'autrui? Allons-nous demander à autrui de s'adapter à nos exigences propres? Nous nous trouvons à la croisée des chemins.
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Bock-Côté : «La France fait un pas de plus vers le politiquement correct à l'américaine»
Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 31/07/2017 à 10h36 | Publié le 30/07/2017 à 19h21
ENTRETIEN - Mathieu Bock-Côté voit dans un amendement adopté mardi dernier par l'Assemblée une étape supplémentaire vers un multiculturalisme d'inspiration nord-américaine funeste pour la liberté d'expression. Il nous met en garde contre une « dérive orwellienne » qu'il constate déjà dans son propre pays.
C'est le plus Français des intellectuels québécois. Mathieu Bock-Côté scrute avec un mélange d'admiration et de crainte notre pays. Et s'interroge sur son devenir. La France va-t-elle conserver sa culture du débat? Rester la patrie des paroles et des idées dissidentes? Ou va-t-elle se soumettre à ce que le sociologue appelle le «nouveau régime diversitaire». Nouveau régime marqué par un politiquement correct tatillon qui, selon lui, imposerait une police du langage et de la pensée.
LE FIGARO - Les députés LREM ont voté un amendement à l'article 1 duprojet de loi de moralisation de la vie politique prévoyant une «peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité» en cas de manquement à la probité. La probité impliquerait «les faits de discrimination, injure ou diffamation publique, provocation à la haine raciale, sexiste ou à raison de l'orientation sexuelle» précise l'amendement. Que cela vous inspire-t-il?
Mathieu BOCK-CÔTÉ - Vous me permettrez et me pardonnerez d'être franc: j'en suis effaré. Et je pèse mes mots. Évidemment, tout le monde s'entend pour condamner le racisme, le sexisme ou l'homophobie. J'ajouterais que nos sociétés sont particulièrement tolérantes et ont beaucoup moins de choses à se reprocher qu'on veut bien le croire. Mais le problème apparait rapidement: c'est celui de la définition. À quoi réfèrent ces concepts? Nous sommes devant une tentative peut-être sans précédent d'exclure non seulement du champ de la légitimité politique, mais même de la simple légalité, des discours et des idées entrant en contradiction avec l'idéologie dominante. Il faut inscrire cet amendement dans un contexte plus large pour comprendre sa signification: nous sommes devant une offensive idéologique bien plus brutale qu'il n'y paraît.
«On l'aura compris, on accuse de racisme ceux qui ne se plient pas à l'idéologie diversitaire.»
Mathieu BOCK-CÔTÉ
Prenons l'exemple du racisme. On a vu à quel point, depuis quelques années, on a amalgamé le racisme et la défense de la nation. Pour la gauche diversitaire et ceux qui se soumettent à ses prescriptions idéologiques, un patriotisme historique et enraciné n'était rien d'autre qu'une forme de racisme maquillé et sophistiqué. Ceux qui voulaient contenir l'immigration massive étaient accusés de racisme. Ceux qui affirmaient qu'il y avait un lien entre l'immigration et l'insécurité étaient aussi accusés de racisme. De même pour ceux qui confessaient l'angoisse d'une dissolution de la patrie. Cette assimilation du souci de l'identité nationale à une forme de racisme est une des tendances lourdes de l'histoire idéologique des dernières décennies. On l'aura compris, on accuse de racisme ceux qui ne se plient pas à l'idéologie diversitaire. Quelle sort sera réservé à ceux qui avouent, de manière articulée ou maladroite, de telles inquiétudes?
Prenons l'exemple du débat sur le mariage pour tous aussi. Il ne s'agit pas de revenir sur le fond du débat mais sur la manière dont il a été mené. Pour une partie importante des partisans du mariage homosexuel, ceux qui s'y opposaient, fondamentalement, étaient homophobes. Ils n'imaginaient pas d'autres motifs à leur engagement. Comme toujours, chez les progressistes, il y a les intolérants et les vertueux. Deux philosophies ne s'affrontaient pas: il y a avait d'un côté l'ombre, et de l'autre la lumière. Doit-on comprendre que dans l'esprit de nos nouveaux croisés de la vertu idéologique, ceux qui ont défilé avec la Manif pour tous devraient être frappés d'inéligibilité? Posons la question autrement: faudra-t-il simplement proscrire juridiquement le conservatisme moral et social de la vie politique?
Prenons aussi le cas de la théorie du genre et de ses dérivés, comme l'idéologie transgenre, qui prétend abolir la référence au masculin et au féminin dans la vie publique, et qui émerge un peu partout dans le monde occidental. C'est pour plier à ses injonctions, par exemple, que le métro de Londres cessera de dire Ladies and Gentleman pour se tourner vers un fade «hello everyone». Celui qui s'oppose frontalement - ou même subtilement - à cette idéologie peut être accusé à n'importe que moment de sexisme ou de transphobie, comme c'est déjà le cas en Amérique du nord. Faudra-t-il aussi interdire la vie politique à ceux qui en seront un jour reconnus coupables? Faudra-t-il criminaliser tôt ou tard ceux qui continuent de croire que la nature humaine est sexuée?
«Cet amendement crée un climat d'intimidation idéologique grave, il marque une étape de plus dans l'étouffement idéologique du débat public.»
Ce n'est pas d'hier qu'on assiste à une pathologisation du conservatisme, réduit à une série de phobies ou de passions mauvaises. Il est depuis longtemps frappé d'un soupçon d'illégitimité. Il y a une forme de fondamentalisme de la modernité qui ne tolère pas tout ce qui relève de l'imaginaire de la finitude et de l'altérité. Ce n'est pas d'hier non plus qu'on assiste à sa diabolisation: on le présente comme une force régressive contenant le mouvement naturel de la modernité vers l'émancipation. D'une certaine manière, maintenant, on entend le pénaliser. On l'exclura pour de bon de la cité. C'est une forme d'ostracisme postmoderne. Disons l'essentiel: cet amendement crée un climat d'intimidation idéologique grave, il marque une étape de plus dans l'étouffement idéologique du débat public. Et ne doutons pas du zèle des lobbies victimaires qui patrouillent l'espace public pour distribuer des contraventions idéologiques. On me dira que l'amendement ne va pas jusque-là: je répondrai qu'il va dans cette direction.
À mon avis, derrière cet amendement, il y a la grande peur idéologique des progressistes ces dernières années. Ils croyaient avoir perdu la bataille des idées. Ils croyaient la France submergée par une vague conservatrice réactionnaire qu'ils assimilaient justement à une montée du racisme, de la xénophobie, du sexisme et de l'homophobie. Ils se sont dit: plus jamais ça. Ils veulent reprendre le contrôle du débat public en traduisant dans le langage de l'intolérance la philosophie qui contredit la leur. Il s'agit désormais de verrouiller juridiquement l'espace public contre les mal-pensants.
LE FIGARO. - En France, le racisme n'est pas une opinion, mais un délit...
Mathieu BOCK-COTÉ. - Ce qu'il faut savoir, c'est que la sociologie antiraciste ne cesse d'étendre sa définition du racisme. Elle instrumentalise le concept noble de l'antiracisme à des fins qui ne le sont pas.
J'en donne deux exemples.
Pour elle, ou du moins, ceux qui s'opposent à la discrimination positive se rendraient coupables, sans nécessairement s'en rendre compte, de racisme universaliste, qui écraserait la différence et la diversité. Traduisons: le républicanisme est raciste sans le savoir, et ceux qui la soutiennent endossent, sans nécessairement s'en rendre compte, toutefois, un système raciste. Ils participeraient à la perpétuation d'une forme de racisme systémique.
Inversement, ceux qui soutiendraient qu'une communauté culturelle ou une religion particulière s'intègre moins bien que d'autres à la nation seront accusés de racisme différentialiste car ils essentialiseraient ainsi les communautés et hiérarchiseraient implicitement ou explicitement entre les différentes cultures et civilisation. Ainsi, une analyse sur la question ne sera pas jugée selon sa pertinence, mais disqualifiée parce qu'elle est à l'avance assimilée au racisme.
Je note, soit dit en passant, que les seuls militants décomplexés en faveur de la ségrégation raciale se retrouvent dans l'extrême-gauche anticoloniale, qui la réhabilite dans sa défense des espaces non-mixtes, comme si elle devenait légitime lorsqu'elle concerne les minorités victimaires. Mais ce racisme, apparemment, est respectable et trouve à gauche ses défenseurs militants …
Nous avons assisté, en quelques décennies, à une extension exceptionnelle du domaine du racisme: il faut le faire refluer et cesser les amalgames. En gros, soit vous êtes favorable au multiculturalisme dans une de ses variantes, soit vous êtes raciste. Multiculturalisme ou barbarie? On nous permettra de refuser cette alternative. Et de la refuser vigoureusement.
Il y a aujourd'hui une tâche d'hygiène mentale: il faut définir tous ces mots qui occupent une place immense dans la vie publique et surtout, savoir résister à ceux qui les utilisent pour faire régner un nouvel ordre moral dont ils se veulent les gardiens passionnés et policiers. Il faut se méfier de ceux qui traquent les arrière-pensées et qui surtout, rêvent de vous inculper pour crime-pensée.
LE FIGARO. - Cela rappelle-t-il le politiquement correct nord-américain? En quoi?
«Populiste, réactionnaire, extrême-droite: les termes sont nombreux pour désigner à la vindicte publique une personnalité insoumise au nouvel ordre moral.»
Mathieu Bock-Coté
Mathieu BOCK-COTÉ. - Le politiquement correct n'est plus une spécificité nord-américaine depuis longtemps. Mais pour peu qu'on le définisse comme un dispositif inhibiteur qui sert à proscrire socialement la critique de l'idéologie diversitaire, on constatera qu'il s'impose à la manière d'un nouvel ordre moral, et qu'on trouve à son service bien des fanatiques. Ils se comportent comme des policiers du langage: ils traquent les mots qui témoigneraient d'une persistance de l'ancien monde, d'avant la révélation diversitaire. Ceux qui n'embrassent pas l'idéologie diversitaire doivent savoir qu'il y aura un fort prix à payer pour entrer en dissidence. On les traitera comme des proscrits, comme des parias. On leur collera une sale étiquette dont ils ne pourront plus se départir. Populiste, réactionnaire, extrême-droite: les termes sont nombreux pour désigner à la vindicte publique une personnalité insoumise au nouvel ordre moral. Dès lors, celui qui se présente dans la vie publique avec cette étiquette est disqualifié à l'avance: il s'agit d'une mise en garde adressée à l'ensemble de ses concitoyens pour leur rappeler de se méfier ce se personnage. C'est un infréquentable: on ne l'invitera, à la rigueur, que pour servir de repoussoir. On lui donnera la parole peut-être mais ce sera pour dire qu'il dissimule ses vraies pensées en multipliant les ruses de langage. Alors nos contemporains se taisent. Ils comprennent que s'ils veulent faire carrière dans l'université, dans les médias ou en politique, ils ont intérêt à se taire et à faire les bonnes prières publiques et à ne pas aborder certaines questions. La diversité est une richesse, et ceux qui bémoliseront cette affirmation n'auront tout simplement plus droit de cité. En France, le politiquement correct a pour fonction de disqualifier moralement ceux qui ne célèbrent pas globalement ce qu'on pourrait appeler la société néo-soixante huitarde. Avec cet amendement, le pays fait un pas de plus vers le politiquement correct en le codifiant juridiquement, ou si on préfère, en le judiciarisant: désormais, il modèlera explicitement le droit.
La liberté d'expression est pourtant un droit sacré aux États-Unis protégé par la constitution? Qu'en est-il au Canada?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Nous sommes à front renversé. Pour le dire rapidement, la liberté d'expression est juridiquement bien balisée chez nous mais la vie publique est écrasée par une forme de consensus idéologique diversitaire qui rend impossible des débats semblables à ceux qu'on trouve en France. Autrement dit, le contrôle de la parole dissidente s'exerce chez nous moins par le droit que par le contrôle social. Un politicien qui, clairement, s'opposerait au multiculturalisme, par ailleurs inscrit dans la constitution canadienne, verrait sa carrière exploser. On a le droit de dire bien des choses, mais personne ne dit rien - il faut néanmoins tenir compte de l'exception québécoise, où la parole publique est plus libre, du moins en ce qui concerne la question identitaire. Je note, cela dit, que ces dernières années, on a assisté à des tentatives pour judiciariser le politiquement correct. Inversement, en France, la liberté d'expression est soumise à mille contraintes qui me semblent insensées mais la culture du débat demeure vive, ce qui n'est pas surprenant dans la mesure où elle est inscrite dans l'histoire du pays et dans la psychologie collective.
Comment ce «politiquement correct» est-il né? Quels sont les conséquences sur le débat public?
Mathieu BOCK-COTÉ. - C'est un des résultats de la mutation de la gauche radicale engagée dans la suite des Radical Sixties. Il s'institutionnalisera vraiment dans les années 1980, dans l'université américaine. On connait l'histoire de la conversion de la gauche radicale, passée du socialisme au multiculturalisme et des enjeux économiques aux enjeux sociétaux. La lutte des classes s'effaçait devant la guerre culturelle, et la bataille pour la maîtrise du langage deviendra vitale, ce qui n'est pas surprenant pour peu qu'on se souvienne des réflexions d'Orwell sur la novlangue. Celui qui maîtrise le langage maîtrisera la conscience collective et certains sentiments deviendront tout simplement inexprimables à force d'être censurés.
Mais revenons à l'histoire du politiquement correct: dans les universités nord-américaines, on a voulu s'ouvrir aux paroles minoritaires, ce qui impliquait, dans l'esprit de la gauche radicale, de déboulonner les grandes figures de la civilisation occidentale, rassemblées dans la détestable catégorie des hommes blancs morts. Autrement dit, la culture n'était plus la culture, mais un savoir assurant l'hégémonie des dominants sur les dominés: on a voulu constituer des contre-savoirs idéologiques propre aux groupes dominés ou marginalisés. C'est une logique bien bourdieusienne. Les humanités ont été le terrain inaugural de cette bataille. Ce serait maintenant le tour historique des minorités (et plus exactement, de ceux qui prétendent parler en leur nom, cette nuance est essentielle) et ce sont elles qui devraient définir, à partir de leur ressenti, les frontières du dicible dans la vie publique. Ce sont elles qui devraient définir ce qu'elles perçoivent comme du «racisme», du «sexisme», de «l'homophobie». Et on devrait tous se soumettre à cette nouvelle morale. On invite même le «majoritaire» à se taire au nom de la décence élémentaire. On demeure ici dans la logique du postmarxisme: les nouvelles minorités identitaires sorties des marges de la civilisation occidentales sont censées incarner un nouveau sujet révolutionnaire diversifié.
Mais on a oublié qu'il peut y avoir un intégrisme victimaire et un fanatisme minoritaire, qui a versé dans la haine décomplexée de l'homme blanc, jugé salaud universel de l'histoire du monde. La société occidentale est soumise à un procès idéologique qui jamais, ne s'arrête. Je vous le disais tout juste: ces notions ne cessent de s'étendre et tout ce qui relève de la société d'avant la révélation diversitaire finira dans les déchets du monde d'hier, dont il ne doit plus rester de traces. Et il est de plus en plus difficile de tenir tête à ce délire. À tout le moins, cela exigera beaucoup de courage civique.
Et en ce moment, l'université nord-américaine, qui demeure la fabrique institutionnelle du politiquement correct, est rendue très loin dans ce délire: on connait le concept de l'appropriation culturelle qui consiste à proscrire les croisements culturels dans la mesure où ils permettraient à l'homme blanc de piller les symboles culturels des minorités-victimes. On chantait hier le métissage, on vante désormais l'intégrité ethnique des minorités victimaires. On veut aussi y multiplier les safe spaces, qui permettent aux minorités victimaires de transformer l'université en un espace imperméabilisé contre les discours qui entrent en contradiction avec leur vision du monde. C'est sur cette base que des lobbies prétendant justement représenter les minorités-victimes en ont appelé, à plusieurs reprises, à censurer tel discours ou tel événement. Pour ces lobbies, la liberté d'expression ne mérite pas trop d'éloges car elle serait instrumentalisée au service des forces sociales dominantes. Ils n'y reconnaissent aucune valeur en soi et croient nécessaire de transgresser les exigences de la civilité libérale, qui permettaient à différentes perspectives de s'affronter pacifiquement à travers le débat démocratique. Ces lobbies sont animés par une logique de guerre civile.
Ce qui est terrible, c'est que la logique du politiquement correct contamine l'ensemble du débat public. Elle vient de l'extrême-gauche mais en vient à redéfinir plus globalement les termes du débat politique. Tous en viennent à se soumettre peu à peu à ses exigences. Le politiquement correct entraine un appauvrissement effrayant de la vie intellectuelle et politique. Les thèmes interdits se multiplient: la démocratie se vide des enjeux essentiels qui devraient être soumis à la souveraineté populaire dans la mesure où on ne veut voir derrière elle que la tyrannie de la majorité. On psychiatrise de grands pans de la population en l'accusant de mille phobies. On présente le peuple comme une masse intoxiquée par de vilains préjugés et stéréotypes: il faudrait conséquemment le rééduquer pour le purger de la part du vieux monde qui agirait encore en lui.
On trouve de plus en plus de spécialistes du procès idéologique. Ils patrouillent l'espace public à la recherche de dérapages - ce terme est parlant dans la mesure où il nous dit que la délibération publique doit se faire dans un couloir bien balisé et qu'il n'est pas permis d'en sortir.
J'ajouterais une chose: les gardiens du politiquement correct ne se contentent pas d'un ralliement modéré aux thèses qu'ils avancent: ils exigent de l'enthousiasme. Il faut manifester de manière ostentatoire son adhésion au nouveau régime diversitaire en parlant son langage. Bien des journalistes militants se posent aussi en inquisiteur: ils veulent faire avouer aux hommes politiques ou aux intellectuels leurs mauvaises pensées. Ils les testent sur le sujet du jour en cherchant la faute, en voulant provoquer la déclaration qui fera scandale. Ils veulent prouver qu'au fond d'eux-mêmes, ce sont d'horribles réactionnaires.
LE FIGARO. - Est-il le corollaire du multiculturalisme?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Le multiculturalisme est traversé par une forte tentation autoritaire - pour ne pas dire plus. Il est contesté - plus personne ne croit sérieusement qu'il dispose d'une adhésion populaire. Il doit alors faire taire ses contradicteurs. Il le fait en les diabolisant. Ceux qui rapportent les mauvaises nouvelles à son sujet sont accusés de propager la haine. Une information qui ne corrobore pas les récits lénifiants sur le vivre-ensemble sera traitée au mieux comme un fait divers ne méritant pas une attention significative, au pire comme un fait indésirable qui révélerait surtout la psychologie régressive de celui qui en témoigne. D'ailleurs, on le voit avec les poursuites à répétition contre Éric Zemmour: on pensera ce qu'on voudra de ses idées, mais ce qui est certain, c'est qu'il est poursuivi pour ce qu'on appellera des crimes idéologiques. Il ne voit pas le monde comme on voudrait qu'il le voit alors on travaille fort à le faire tomber. Et on se dit qu'une fois qu'on sera débarrassé de ce personnage, plus personne ne viendra troubler la description idyllique de la société diversitaire. On veut faire un exemple avec lui. Je note par ailleurs que Zemmour n'est pas seul dans cette situation: Georges Bensoussan et Pascal Bruckner ont aussi goûté aux charmes de la persécution juridique. J'en oublie. Il s'agissait d'odieux procès.
Mais on peut aussi vouloir aller plus loin. Au Québec, en 2008, une universitaire bien en vue proposait au gouvernement de donner à certaines autorités devant réguler la vie médiatique le pouvoir de suspendre pour un temps la publication de journaux proposant une représentation négative de la diversité.
Tout cela pour dire que le multiculturalisme, pour se maintenir, doit diaboliser et maintenant pénaliser ceux qui en font le procès.
Mais il faut voir que le multiculturalisme ne fait pas bon ménage avec la liberté d'expression, dans la mesure où la cohabitation entre différentes communautés présuppose une forme de censure généralisée où chacun s'interdit de juger des traditions et coutumes des autres. On appelle cela le vivre-ensemble: c'est une fraude grossière. On le voit quand certaines communautés veulent faire inscrire dans le droit leur conception du blasphème ou du moins, quand elles veulent obliger l'ensemble de la société à respecter leurs interdits moraux, comme on a pu le voir dans l'affaire des caricatures. Je dis certaines communautés: il faudrait parler, plus exactement, des radicaux qui prennent en otage une communauté en prétendant parler en son nom.
Le génie propre de la modernité, c'est le droit d'examiner et de remettre en question n'importe quelle croyance, sans avoir à se soumettre à ses gardiens qui voudraient nous obliger à la respecter. Ce sont les croyants qui doivent accepter que des gens ne croient pas la même chose qu'eux et se donnent le droit de moquer leurs convictions les plus profondes, sans que cette querelle ne dégénère dans la violence. On nous demande de respecter la sensibilité des uns et des autres, comme s'il existait un droit de ne pas être vexé et un droit de veto accordé à chaque communauté pour qu'elle puisse définir la manière dont on se la représente.
LE FIGARO. - Ce type de disposition peut-il être également utilisé par les islamistes pour interdire toute critique de l'islam?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Naturellement. C'est tout le sens de la querelle de l'islamophobie: il s'agit de transformer en pathologie haineuse et socialement toxique la simple critique d'une religion ou le simple constat de sa très difficile inscription dans les paramètres politiques et culturels de la civilisation occidentale.
Les islamistes excellent dans le retournement de la logique des droits de l'homme contre le monde occidental pour faire avancer des revendications ethnoreligieuses. De la même manière, ils sauront user de ces nouvelles dispositions pour présenter comme autant de propos haineux les discours qui cherchent à contenir et refouler leur influence, notamment en critiquant la stratégie de l'exhibitionnisme identitaire fondée en bonne partie sur la promotion du voile islamique dans l'espace public. On cherchera à faire passer toute critique un tant soit peu musclée de l'islamisme pour une forme de haine raciale ou religieuse méritant sanction juridique et politique. Soit dit en passant, en 2015-2016, le Québec est passé bien près d'adopter une loi qui aurait entrainé une pénalisation de la critique des religions en général et de l'islam en particulier. Elle était portée par une institution paragouvernementale officiellement vouée à la défense et la promotion des droits de la personne. On voit à quel point aujourd'hui, cette mouvance s'est retournée contre les idéaux qu'elle prétend servir.
«Mais l'islamisme n'est pas l'islam, me direz-vous ? C'est vrai. Mais il devrait être permis de critiquer aussi l'islam, à la fois dans son noyau théologique et dans ses différentes variétés culturelles, tout comme il est possible de critiquer n'importe quelle autre religion.»
Mathieu Bock-Coté
Mais l'islamisme n'est pas l'islam, me direz-vous? C'est vrai. Mais il devrait être permis de critiquer aussi l'islam, à la fois dans son noyau théologique et dans ses différentes variétés culturelles, tout comme il est possible de critiquer n'importe quelle autre religion. À ce que j'en sais, la critique abrasive, la moquerie, l'humour, la polémique, appartiennent aussi au registre de la liberté d'expression en démocratie libérale. Il est à craindre que dans une société de plus en plus patrouillée médiatiquement par la bien-pensance progressiste, la critique de l'islam devienne tout simplement inimaginable.

Le multiculturalisme comme religion politique de Mathieu Bock-Côté, Éditions du Cerf, 2016, 367 p., 24 €
On en revient à l'essentiel: la restauration de la démocratie libérale passe aujourd'hui par la restauration d'une liberté d'expression maximale, qui ne serait plus tenue sous la tutelle et la surveillance des lobbies qui participent à l'univers du politiquement correct. L'amendement dont nous parlons propose exactement le contraire. C'est très inquiétant.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 31/07/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Mark Lilla/Laurent Bouvet: «La France résistera-t-elle au multiculturalisme américain ?»
Par Alexandre Devecchio et Eléonore de NoüelMis à jour le 19/10/2018 à 11h37 | Publié le 19/10/2018 à 05h00
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Dans son dernier livre, La Gauche identitaire (Stock), l'universitaire américain Mark Lilla met en garde la gauche française contre le piège de la politique des minorités qui a causé la perte du Parti démocrate américain. L'essayiste et professeur de science politique Laurent Bouvet dénonce, lui aussi, depuis plusieurs années, cette dérive communautariste. Dialogue entre penseurs venus des deux rives de l'Atlantique.
Mark Lilla, vous avez déclaré que votre livre est un avertissement à la gauche française. Pourquoi?
Mark Lilla - La gauche américaine a démissionné de sa responsabilité de faire de la politique. Son but est désormais exclusivement - ou presque - culturel. J'appelle cela le tournant identitaire: les efforts de la gauche sont orientés vers la reconnaissance des individus en tant que tels. Le social et la lutte contre l'ultralibéralisme ne sont plus sa priorité. Elle s'adonne à ce que j'appelle la «pseudo-politique». Je crois qu'il est donc temps que la gauche renouvelle sa pensée et la logique de son action, et j'aimerais éviter à la France les apories que notre gauche a connues.
«Aux États-Unis, la volonté de dialogue avec ses populations a disparu à gauche et elle a logiquement payé le prix»
Mark Lilla
Laurent Bouvet - Nous assistons à cela aussi en France, l'émergence de ce que Marc appelle la gauche «des campus». Une gauche présente dans les universités, et aussi à l'extrême gauche. On peut filer la comparaison entre nos deux pays en remarquant qu'en France, comme aux États-Unis, cette gauche a gagné toutes les tendances de la gauche: le Parti socialiste, les Verts, etc. Ainsi, la lutte pour la reconnaissance des droits individuels et des discriminations envers les minorités a pris le dessus sur tous les autres enjeux.
Est-ce la cause profonde de l'échec d'Hillary Clinton?
Mark Lilla - J'ai écrit un article très controversé à ce sujet dans le New York Times qui expliquait que, pour comprendre cette défaite, il fallait remonter trente ans en arrière. Ce n'est donc pas de la faute exclusive d'Hillary Clinton. La responsabilité en incombe justement à cette pseudo-politique identitaire qui n'a pas su parler au grand centre des États-Unis, ce vaste pays républicain ; dans certains États, il n'existe même plus de bureau politique démocrate. La volonté de dialogue avec ses populations a disparu à gauche et elle a logiquement payé le prix. Il est très - trop - facile de se convaincre que ces gens-là sont des racistes ou des fous religieux. Ce raisonnement n'est qu'une façon pour les démocrates de justifier leur paresse.
Cela fait-il penser à cette France périphérique, mise en évidence par Christophe Guilluy, qui vote Le Pen?
Laurent Bouvet - Oui, il y a là une analogie frappante, mais qui ne concerne pas que la France ou les États-Unis. Cette déconnexion entre une élite mondialisée, au vote progressiste, aux convictions sécularisées, et les habitants des petites villes, au vote beaucoup plus conservateur sur les valeurs, plus inquiet sur les questions économiques, sociales et culturelles, se retrouve plus largement dans toute l'Europe, et même au-delà désormais. Ce qui est spécifique aux États-Unis, c'est cette scission entre deux types de populations, qui semble irrémédiable. Les côtes très peuplées semblent en tout point opposées au centre du pays, comme s'il y avait deux Amériques.
«Il y a une proportion importante des jeunes de moins de 25 ans qui se considèrent d'abord comme musulmans, et ensuite seulement comme français.»
Laurent Bouvet
Nos modèles culturels diffèrent-ils également?
Laurent Bouvet - Oui, notre équation identitaire est assez différente, et elle laisse encore une large part à la question de l'intégration. Le problème que nous devons relever, ce sont ces citoyens qui sont parfois français depuis deux ou trois générations mais qui ne sont toujours pas intégrés. Dans ce contexte, toute une partie de l'islam s'est érigée en opérateur identitaire de différenciation par rapport à l'ensemble national. Il y a une proportion importante des jeunes de moins de 25 ans qui se considèrent d'abord comme musulmans, et ensuite seulement comme français, mais de façon très distante et souvent purement instrumentale. Cette question n'existe pas sous cette forme aux États-Unis. Leur question identitaire fondamentale est celle de la population noire, population présente depuis le début de la formation du pays.
Ainsi, nous pouvons comparer nos deux pays sans oublier ces deux points d'irréductibilité que sont la présence de l'islam comme deuxième religion pour la France et la question noire pour les États-Unis.
C'est précisément ce qui empêche, à mon sens, notre gauche identitaire française de bien analyser la situation du pays puisqu'elle importe des grilles d'analyse américaines des campus. On le voit très bien dans le domaine des sciences sociales. Les tenants de l'application de grilles d'analyse américaines à la situation française se trompent lourdement, et de plus refusent souvent tout débat, considérant qu'ils sont «les progressistes», la seule vraie gauche… Par exemple, cette distinction entre racisés et non-racisés n'a en France aucun sens, tout simplement parce que l'expérience des Noirs français et des Noirs américains n'est comparable ni historiquement ni sociologiquement.
Le Parti démocrate a-t-il tiré les leçons de sa défaite?
Mark Lilla -En réalité, oui, un petit peu au moins. Par nature, je ne suis pas très optimiste mais,depuis la victoire de Trump, de nombreux citoyens ont décidé de s'engager auprès des démocrates. Ces personnes ont des origines très variées (Blancs, Noirs, Indiens, etc.) mais, dans leur campagne, ils ne mentionnent jamais leur identité et préfèrent parler des problèmes locaux ou de Trump. Il y a l'exemple de cette candidate démocrate transgenre qui s'est présentée contre un républicain et qui n'a jamais fait référence à son identité sexuelle - bien qu'elle porte un foulard LGBT autour du cou. C'est son adversaire qui a évoqué son orientation, et la femme a gagné.
«Les tenants de l'application de grilles d'analyse américaines à la situation française se trompent lourdement.»
Laurent Bouvet
Ce qui m'intéresse dans cette prise de conscience qu'il faut mettre de la distance par rapport aux revendications identitaires, c'est qu'elle vienne «du bas», des militants de terrain et non des cadres du parti. L'élite du Parti démocrate, qui est peu nombreuse et se trouve principalement à Hollywood ou dans les universités, n'a pas de goût pour cette politique de la base où il faut aller rencontrer son voisin, discuter avec lui.
La gauche française a subi, elle aussi, une défaite historique lors de la dernière élection…
Laurent Bouvet - La gauche française n'a pas encore tiré les leçons de sa défaite de 2017. Cette défaite n'était pas seulement «historique» ou conjoncturelle, comme cela a pu se produire en 1993, c'est une défaite qui vient de loin, que l'on pouvait anticiper. Je dirais une défaite architectonique, c'est-à-dire une défaite qui tient de l'épuisement idéologique profond de la gauche. Hors la France insoumise, qui doit beaucoup au sens politique et au talent de Mélenchon, il n'y a plus de force politique digne de ce nom aujourd'hui à gauche en France. La décomposition doit pourtant encore se poursuivre avant une renaissance éventuelle.
Macron, qui parle de «mâles blancs», n'est-il pas lui-même en voie de communautarisation?
Laurent Bouvet - Macron a été élu en partie par des gens de gauche déçus du précédent quinquennat et qui voulaient continuer de croire qu'un réformisme était possible - tout comme cette frange avait mis ses espoirs dans Dominique Strauss-Kahn ou Michel Rocard. Le problème, c'est que l'on comprend que cette politique-là est assez proche d'une politique libérale de droite ou de centre-droit classique. Le deuxième point consiste à reconnaître que, sur le plan culturel et identitaire, Macron est un libéral de gauche. Autrement dit, un homme politique acquis au multiculturalisme, c'est-à-dire écartant d'emblée l'idée d'un commun qui transcende les différences individuelles et identitaires autrement que par l'échange, le marché ou des communautés d'affinité identitaire. Macron défend certes une forme de verticalité régalienne très française, mais elle est en permanence parasitée et relativisée par une forme d'horizontalité culturelle, par exemple dans sa reconnaissance appuyée des communautés religieuses. Historiquement, la colonne vertébrale du commun français, c'est le lien entre le régalien et le populaire, le haut et le bas. Or, si Macron a parfaitement compris la politique par le haut, il ne parvient pas à relier son action et sa vision du pays, au bas, au populaire. Il est à craindre que ce soit en raison d'une conviction fondamentale de sa part: le peuple ne serait qu'un agglomérat d'individus, au sens libéral du terme, et de groupes plus ou moins constitués autour d'identités particulières. Ce en quoi il ne se distingue pas des élites qui gouvernent l'État et dominent la société depuis des décennies. On a vu, par exemple, le Président s'intéresser beaucoup à l'histoire mais sans jamais réussir à nous montrer comment cette histoire qu'il exalte si souvent a fait le peuple français dans sa spécificité.
«Macron défend certes une forme de verticalité régalienne très française, mais elle est en permanence parasitée et relativisée par une forme d'horizontalité culturelle»
Laurent Bouvet
Mark Lilla - Vos explications m'évoquent cette boutade célèbre de Bertolt Brecht: «Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple.» C'est ce qui se passe aussi aux États-Unis avec les élites de gauche. On peut très bien se pavaner dans les grandes sociétés, faire de la discrimination positive, mais ce n'est pas cela le plus dur. Ce qui demande un effort, c'est d'écouter le peuple et ensuite de proposer un programme. Par exemple, je suis intrigué par mes étudiants (de gauche). L'été, ils partent construire des maisons au Nicaragua, aider les femmes en Palestine. Mais jamais l'idée ne leur vient à l'esprit de partir dans l'Iowa, à Détroit ou dans tout autre endroit sinistré des États-Unis. Ils se sont construit un imaginaire romantique de l'Autre. À l'inverse, ces zones américaines sinistrées sont perçues comme infernales, extrêmement dangereuses, «une jungle remplie de tigres et de serpents». Finalement, la chose la plus dure pour eux serait d'aller dans un petit café perdu du Wisconsin et de parler avec les locaux. Nous avons parlé de la polarisation géographique des classes. Nous assistons aussi à une reproduction sociale des élites - pour emprunter l'expression bourdieusienne - très rapide. Et donc, cette nouvelle élite a perdu la mémoire de ses ancêtres, cet imaginaire des travailleurs ouvriers. Il n'y a pas de mémoire sociale pour cette élite. Il n'y a que les deux côtes. La polarisation est donc bien réelle, au point que certains citoyens déménagent des côtes pour rejoindre des États républicains afin de vivre au milieu de gens qui pensent comme eux. Je crois que ce réflexe identitaire est très dangereux pour la démocratie.
#MeToo a-t-il créé un élan émancipateur ou, au contraire, enferme-t-il le féminisme dans une logique identitaire?
Mark Lilla - Il faut comprendre le phénomène #MeToo dans un contexte large. Il constitue une étape dans la démocratisation, c'est-à-dire dans l'extension de la logique démocratique. Il s'agissait de comprendre que les femmes faisaient partie du monde du travail autant que les hommes, et qu'elles avaient droit au même traitement. Il faut réécrire des règles de comportement. Quelle ironie après les années 1960 et leur aspiration à mettre fin à tous les tabous! Mais, ce qui est à craindre dans ce mouvement, c'est peut-être l'esprit de vengeance incontrôlé. Et l'absence de présomption d'innocence. Il y a le cas d'une revue dont tous les exemplaires ont été détruits parce qu'un homme accusé d'agressions sexuelles avait écrit dedans. Un maccarthysme inquiétant a frappé la société américaine. J'ai beau défendre le fond de #MeToo, je détesterai toujours les moyens staliniens.
Laurent Bouvet, avez-vous été surpris que le mouvement #MeToo ait eu un écho si important en France? Est-ce lié à une américanisation de la société française?
Laurent Bouvet - Je trouve l'ampleur de l'écho saisissante. Cela étant, la France a aussi produit des réactions opposées, comme la tribune cosignée notamment par Catherine Deneuve ou le livre d'Eugénie Bastié. Ces textes ont voulu montrer que les rapports hommes-femmes en France ne sont pas exactement régis par les mêmes normes qu'aux États-Unis. La notion de galanterie y est ainsi présentée en opposition au puritanisme américain. Donc, si américanisation il y a, elle est à nuancer. J'ai été en revanche surpris par le degré d'américanisation du féminisme français plus que par celui de la société. Il y a une véritable américanisation des élites: langage, concepts, manières de voir… Ce qui est drôle et paradoxal, c'est que ces élites acquises à l'américanisme sociologique et culturel sont souvent aussi les premières à critiquer l'Oncle Sam pour sa politique étrangère, et plus largement pour son néolibéralisme économique! 

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Ivan Rioufol : «En finir avec l'omerta qui abrutit la France !»
Par Ivan Rioufol
Publié le 25/10/2018 à 19h50
CHRONIQUE - Par paresse ou militantisme, les médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Encore aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter les euphémismes.
La presse est chatouilleuse: elle aime faire la leçon mais déteste en recevoir. Certes, les insanités déversées ces jours-ci par Jean-Luc Mélenchon sur les dos de Radio France et Mediapart ont dévoilé sa fièvre stalinienne. Ces outrances contre des journalistes, coupables d'avoir mis le nez dans le financement de La France insoumise, ont justifié la réplique solidaire, lundi, des sociétés de journalistes, dont celle du Figaro. Reste que les procès en superficialité, voyeurisme ou conformisme, instruits contre les médias, ne sont pas tous infondés. Nombreux sont ceux qui concourent au décervelage de l'opinion. Deux confrères du Monde, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, débarquent comme les carabiniers, ces jours-ci, pour décrire, dans un livre salué par la caste, l'islamisation de la Seine-Saint-Denis. Or cela fait plus de vingt ans que ce basculement a été identifié par quelques-uns. Mais ceux-là, à en croire Lhomme et Davet, n'étaient pas crédibles: ils faisaient de l'idéologie, tandis que les deux compères feraient du journalisme. Quand la presse se laisse ainsi aller à l'arrogance, elle montre son ridicule.
L'idéologie est bien l'écueil du journalisme. Mais, en l'espèce, c'est elle qui a incité les sentencieux limiers du Monde à ignorer la portée des révélations des premiers lanceurs d'alerte. Dès les années 90, le journaliste du PointChristian Jelen, disparu depuis, avait tout dit de la France éclatée, des casseurs de la République, de la guerre des rues. En 2002, les auteurs desTerritoires perdus de la Républiquesonnaient à leur tour le tocsin. Votre serviteur a apporté son lot, avec d'autres encore. Cependant, parce qu'il ne fallait pas montrer les banlieues du doigt, ni stigmatiser des minorités, ni discriminer l'immigration, ni contrarier l'islam, ni faire le jeu du FN, une omerta a été avalisée par les autruches à carte de presse. Ceux qui ont refusé cette chape de plomb ont, tous, été marginalisés et caricaturés en fascistes et en racistes. Encore aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter ses euphémismes, comme le faisait le lecteur de l'Est sous la censure soviétique: un «jeune», une «cité sensible», une «voiture folle», un «déséquilibré», un «migrant» sont des mots flous jetés comme des voiles pudiques.
La violence à l'école et la perte d'autorité des enseignants font partie de ces sujets qui s'observent à l'œil nu depuis des décennies, sans avoir pu percer le mur du déni. «Menacer un professeur est inacceptable», a tweeté samedi soir le président de la République. Sa réaction a répondu à la diffusion d'une vidéo montrant un grand gaillard noir, élève d'un lycée de Créteil (Val-de-Marne), en train de pointer un revolver à billes sur la tempe d'une enseignante passive. «Nous allons rétablir l'ordre», a également tonné Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale. Reste que si cette scène n'avait pas été diffusée sur les réseaux sociaux, rien n'aurait été montré de ce qu'endurent des enseignants de certains établissements. Leur parole se libérerait-elle enfin des silences imposés par le politiquement correct? C'est ce que semble indiquer le succès que rencontre auprès des professeurs le hashtag #Pasdevague. Les enseignants y déplorent, sous prétexte de bienveillance, la lâcheté des hiérarchies.
Les réalités le prouvent: par paresse ou militantisme, les médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Le discours dominant persiste à occulter tout ce qui peut abîmer l'image des minorités protégées, surtout quand elles se laissent aller à la violence, au racisme, à l'antisémitisme, à l'homophobie, au sexisme. Actuellement, les mouvements LGBT s'indignent d'agressions physiques contre certains couples homosexuels. Mais les dénonciateurs restent évasifs sur le profil des brutes. Mardi, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, s'est inquiétée de la «recrudescence» des actes antisémites dans des établissements de l'enseignement supérieur, sans en dire davantage. Or, sachant que le moindre indice suffirait pour dénoncer l'extrême droite, il est loisible d'en conclure que les réflexes pavloviens ne suffisent plus pour désigner les coupables rêvés. Le courage de la vérité est l'impératif qui s'impose à ceux qui s'estiment avoir été bernés par un discours aseptisé. Le conformisme et ses œillères se révèlent être les ennemis de l'intelligence.
Écouter la sagesse collective
Les partis politiques sont les victimes de l'infantilisation des discours. Ce petit monde roupille sur des idées dépassées. Elles sont de moins en moins comprises par la société civile: elle n'a jamais rencontré l'univers cotonneux du vivre-ensemble. Les plus lucides des militants commencent, comme à La République en marche, à prendre conscience du vide qu'il leur faut remplir. Tous ont à s'extraire des idées fausses colportées depuis trente ans. L'audience que rencontre #Pasdevague n'est autre que le besoin des gens de témoigner sans interdits de ce qu'ils vivent dans le monde réel. L'Internet offre cette liberté. La macrocrature a raison de craindre cette glasnost: elle annonce le bouleversement du jeu politique, confisqué aux mains des professionnels, des technocrates, des experts. Les Français en colère ne se laisseront plus museler. Actuellement, des automobilistes, assommés de taxes, se mobilisent sur le Net pour manifester le 17 novembre.
Ce réveil de la société civile est une aubaine. L'utilisation du Web a réussi à déstabiliser les citadelles médiatiques, souvent contraintes de suivre les révélations des réseaux sociaux. Donald Trump, honni des médias, a construit sa stratégie en s'appuyant sur cette démocratie directe. La mise en valeur de cette intelligence collective, qui alimente Google et Wikipédia, reste une perspective politique à exploiter. Émile Servan-Schreiber a parié depuis longtemps sur ce bon sens collectif qu'il utilise dans les marchés prédictifs. Il invite à aller plus loin (1) afin de rendre plus intelligentes nos démocraties fatiguées. L'auteur écrit: «Les responsables politiques pourraient interroger systématiquement la sagesse collective des Français, via un marché prédictif moyen.» Il propose la mise en place d'un ministère des pronostics. L'heure est venue, pour le peuple raisonnable, de reprendre son destin en main.
La Commission européenne, qui a rejeté mercredi le projet de budget de l'Italie pour 2019, n'entend visiblement rien de l'aspiration des peuples à leur souveraineté. Le dogmatisme dont Bruxelles fait preuve accélère sa séparation d'avec la démocratie.
(1) Supercollectif, Fayard.

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Goldnadel : face au racisme anti-blanc, le « déni aveugle » des médias
Par Gilles William Goldnadel
Mis à jour le 01/10/2018 à 12h20 | Publié le 01/10/2018 à 12h13
FIGAROVOX/TRIBUNE - Gilles-William Goldnadel, réagissant au clip raciste incitant au meurtre des blancs, s'en prend aux médias qui selon lui refusent de voir dans cet événement une inquiétante montée de la haine raciale.

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.

Je professe depuis longtemps l'idée, médiatiquement ingrate, que le racisme anti blanc-pour le nommer crûment- incarne la zone noire d'une idéologie encore dominante et qui se caractérise précisément par sa pathologie anti-occidentale.
L'affaire du rappeur raciste et noir appelant en chantant à massacrer les enfants blancs jusque dans leurs crèches, m'a servi cette semaine sur un plateau des provisions, surabondantes jusqu'à m'étouffer, pour établir ma thèse.
Les Décodeurs du Monde m'ont en effet fait le reproche personnaliséd'avoir donné une publicité injustifiée à ce qui n'était que l'œuvre artistique isolé d'un rappeur méconnu.
Je reconnais ici m'être posé la question, pour y répondre immédiatement, qu'il convenait de faire savoir massivement jusqu'à quels excès de haine confinait désormais cette détestation croissante de l'homme blanc occidental.
Loin en réalité d'être un acte isolé, notamment dans le monde des rappeurs bénéficiant jusqu'alors d'une indulgence judiciaire idéologisée, ce sadisme chromatique en chanson n'est jamais qu'un degré de plus sur l'échelle de la détestation du blanc. Comme l'a remarqué Alexandre Devecchio, avant lui, Booba s'était proposé d'enc.. la France avec de l'huile et Médine de crucifier les laïcs sur quelque Golgotha fantasmatique.
Surtout, le reproche anti-publicitaire, émanant de ceux, soudainement pris d'une crise de pudeur de violette, qui auront passé leur vie à traquer les signes parfois les plus discutables du racisme occidental, ne peut pas être pris autrement que comme une tentative de diversion au moins inconsciente.
Ce sont en effet les mêmes qui donnent une publicité massive à la pose d'une tête de porc devant une mosquée par un inconnu encore plus inconnu qu'un rappeur dont on connaît le patronyme, ce sont eux qui, tels des chiens truffiers, traquent avec gourmandise un salut nazi par un inconnu dans une manifestation populiste, ce sont eux qui prétendent avoir aperçu un allemand inconnu courser un migrant inconnu dans une ville peu connue.
Dans le même temps, le responsable des Décodeurs du Monde, Samuel Laurent, comparait l'artiste de rap raciste, aux chansons insolentes de Georges Brassens.
Dans le même temps, le journal Le Monde aura publié un article sur un père inconnu donc on connaît désormais le patronyme et qui aurait, paraît-il, été gagné par la haine après avoir perdu son fils dans l'attentat du Bataclan.
Dans le même temps, le responsable des Décodeurs du même journal, Samuel Laurent, comparait sur la Cinq l'artiste de rap raciste, aux chansons insolentes de Georges Brassens.
Le fait que celui-ci, loin de plaider le délire hallucinatoire, légitimait ses propos par les thèses de Malcom X et le racisme blanc, ne lui posait problème. Un peu comme si je chantonnais une ritournelle, aidé de mon harmonica, proposant d'empoisonner les enfants d'aujourd'hui de Germanie, histoire de me revancher d'Hitler et de sa compagnie.
Décidément, je fus bien inspiré de faire connaître publiquement non seulement jusqu'où menait la haine du blanc, mais encore jusqu'à quelles ressources de l'imagination débridée conduisait le désir idéologique effréné de vouloir la nier.
Je gagerais que si quelques rockers identitaires aux visages pâles s'étaient proposés en chantant d'occire quelques musulmans ou encore quelques juifs, la compréhension de leur liberté artistique se serait faite plus raisonnable.
En réalité, ce déni aveugle du racisme anti- blanc qui va jusqu'à extrémiser vers la droite ou dans la fâcheuse sphère ceux qui le dénoncent, est à ranger dans la même catégorie idéologique que ceux qui taxaient d'islamophobes et de racistes les malheureux qui prétendaient il y a 10 ans qu'il existait un antisémitisme islamique qui allait grandissant.
On a vu que les élites politiques françaises ont été largement contaminées par cet aveuglement médiatique qui
Les élites politiques françaises ont été contaminées par un aveuglement médiatique
aura tout entrepris pour empêcher la résistance nécessaire à un phénomène désormais criminel, peut-être irrépressible.
Sur le fond, ce crescendo de haine des bas-fonds de la société n'a rien d'étonnant dès lors où, précisément, certaines élites mondaines se plaisent à user d'une liberté de ton exclusivement à l'encontre des blancs, qu'ils n'oseraient jamais utiliser-ils ne le pourraient d'ailleurs pas sans être légitimement morigénés- à l'égard d'une autre catégorie ethnique.
C'est ainsi que l'on aura laissé organiser des camps racisés, de fait interdits aux blancs, sans que l'antiracisme professionnel aujourd'hui idéologiquement dévoyé ne fasse entendre sa voix soudainement très discrète.
C'est ainsi que la présidente de France Télévision, soutenue par sa ministre de tutelle à la Culture a appelé publiquement à ce qu'il y ait moins de blancs à la télévision publique.
C'est ainsi encore et surtout que le président d'une république qui s'interdit constitutionnellement la moindre distinction par la couleur de peau, aura trouvé progressiste de contester la possibilité qu'un mâle blanc puisse être encore légitime à donner son opinion sur la manière de gérer les banlieues.
Est-il possible pour l'insoutenable légèreté politique et médiatique de comprendre que la sensibilité et même la susceptibilité n'ont pas de couleur?
Car ce racisme anti-blanc occasionné par un racialisme obsessionnel et victimaire, médiatiquement publicisé de manière gratifiante, aura réussi l'exploit affligeant de faire en sorte que le blanc réapprenne sa couleur oubliée par bonheur.
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Gilles William Goldnadel


Goldnadel : face au racisme anti-blanc, le « déni aveugle » des médias
Par Gilles William Goldnadel
Mis à jour le 01/10/2018 à 12h20 | Publié le 01/10/2018 à 12h13
FIGAROVOX/TRIBUNE - Gilles-William Goldnadel, réagissant au clip raciste incitant au meurtre des blancs, s'en prend aux médias qui selon lui refusent de voir dans cet événement une inquiétante montée de la haine raciale.

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.

Je professe depuis longtemps l'idée, médiatiquement ingrate, que le racisme anti blanc-pour le nommer crûment- incarne la zone noire d'une idéologie encore dominante et qui se caractérise précisément par sa pathologie anti-occidentale.
L'affaire du rappeur raciste et noir appelant en chantant à massacrer les enfants blancs jusque dans leurs crèches, m'a servi cette semaine sur un plateau des provisions, surabondantes jusqu'à m'étouffer, pour établir ma thèse.
Les Décodeurs du Monde m'ont en effet fait le reproche personnaliséd'avoir donné une publicité injustifiée à ce qui n'était que l'œuvre artistique isolé d'un rappeur méconnu.
Je reconnais ici m'être posé la question, pour y répondre immédiatement, qu'il convenait de faire savoir massivement jusqu'à quels excès de haine confinait désormais cette détestation croissante de l'homme blanc occidental.
Loin en réalité d'être un acte isolé, notamment dans le monde des rappeurs bénéficiant jusqu'alors d'une indulgence judiciaire idéologisée, ce sadisme chromatique en chanson n'est jamais qu'un degré de plus sur l'échelle de la détestation du blanc. Comme l'a remarqué Alexandre Devecchio, avant lui, Booba s'était proposé d'enc.. la France avec de l'huile et Médine de crucifier les laïcs sur quelque Golgotha fantasmatique.
Surtout, le reproche anti-publicitaire, émanant de ceux, soudainement pris d'une crise de pudeur de violette, qui auront passé leur vie à traquer les signes parfois les plus discutables du racisme occidental, ne peut pas être pris autrement que comme une tentative de diversion au moins inconsciente.
Ce sont en effet les mêmes qui donnent une publicité massive à la pose d'une tête de porc devant une mosquée par un inconnu encore plus inconnu qu'un rappeur dont on connaît le patronyme, ce sont eux qui, tels des chiens truffiers, traquent avec gourmandise un salut nazi par un inconnu dans une manifestation populiste, ce sont eux qui prétendent avoir aperçu un allemand inconnu courser un migrant inconnu dans une ville peu connue.
Dans le même temps, le responsable des Décodeurs du Monde, Samuel Laurent, comparait l'artiste de rap raciste, aux chansons insolentes de Georges Brassens.
Dans le même temps, le journal Le Monde aura publié un article sur un père inconnu donc on connaît désormais le patronyme et qui aurait, paraît-il, été gagné par la haine après avoir perdu son fils dans l'attentat du Bataclan.
Dans le même temps, le responsable des Décodeurs du même journal, Samuel Laurent, comparait sur la Cinq l'artiste de rap raciste, aux chansons insolentes de Georges Brassens.
Le fait que celui-ci, loin de plaider le délire hallucinatoire, légitimait ses propos par les thèses de Malcom X et le racisme blanc, ne lui posait problème. Un peu comme si je chantonnais une ritournelle, aidé de mon harmonica, proposant d'empoisonner les enfants d'aujourd'hui de Germanie, histoire de me revancher d'Hitler et de sa compagnie.
Décidément, je fus bien inspiré de faire connaître publiquement non seulement jusqu'où menait la haine du blanc, mais encore jusqu'à quelles ressources de l'imagination débridée conduisait le désir idéologique effréné de vouloir la nier.
Je gagerais que si quelques rockers identitaires aux visages pâles s'étaient proposés en chantant d'occire quelques musulmans ou encore quelques juifs, la compréhension de leur liberté artistique se serait faite plus raisonnable.
En réalité, ce déni aveugle du racisme anti- blanc qui va jusqu'à extrémiser vers la droite ou dans la fâcheuse sphère ceux qui le dénoncent, est à ranger dans la même catégorie idéologique que ceux qui taxaient d'islamophobes et de racistes les malheureux qui prétendaient il y a 10 ans qu'il existait un antisémitisme islamique qui allait grandissant.
On a vu que les élites politiques françaises ont été largement contaminées par cet aveuglement médiatique qui
Les élites politiques françaises ont été contaminées par un aveuglement médiatique
aura tout entrepris pour empêcher la résistance nécessaire à un phénomène désormais criminel, peut-être irrépressible.
Sur le fond, ce crescendo de haine des bas-fonds de la société n'a rien d'étonnant dès lors où, précisément, certaines élites mondaines se plaisent à user d'une liberté de ton exclusivement à l'encontre des blancs, qu'ils n'oseraient jamais utiliser-ils ne le pourraient d'ailleurs pas sans être légitimement morigénés- à l'égard d'une autre catégorie ethnique.
C'est ainsi que l'on aura laissé organiser des camps racisés, de fait interdits aux blancs, sans que l'antiracisme professionnel aujourd'hui idéologiquement dévoyé ne fasse entendre sa voix soudainement très discrète.
C'est ainsi que la présidente de France Télévision, soutenue par sa ministre de tutelle à la Culture a appelé publiquement à ce qu'il y ait moins de blancs à la télévision publique.
C'est ainsi encore et surtout que le président d'une république qui s'interdit constitutionnellement la moindre distinction par la couleur de peau, aura trouvé progressiste de contester la possibilité qu'un mâle blanc puisse être encore légitime à donner son opinion sur la manière de gérer les banlieues.
Est-il possible pour l'insoutenable légèreté politique et médiatique de comprendre que la sensibilité et même la susceptibilité n'ont pas de couleur?
Car ce racisme anti-blanc occasionné par un racialisme obsessionnel et victimaire, médiatiquement publicisé de manière gratifiante, aura réussi l'exploit affligeant de faire en sorte que le blanc réapprenne sa couleur oubliée par bonheur.
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Gilles William Goldnadel


La CEDH contre la liberté de conscience des maires
Par Grégor Puppinck
Publié le 18/10/2018 à 15h44
FIGAROVOX/TRIBUNE - La Cour européenne des droits de l'homme a jugé irrecevable la requête introduite en 2015 par des maires refusant de célébrer les « mariages pour tous ». Grégor Puppinck regrette que les juges, pourtant prompts à s'emparer des requêtes concernant la GPA, ne se soucient pas davantage de défendre la liberté de conscience.


- Crédits photo : Editions du Cerf
Grégor Puppinck est docteur en droit et directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ). Il est membre du panel d'experts de l'OSCE sur la liberté de conscience et de religion. Il est l'auteur d'une étude surl'objection de conscience et les droits de l'homme, publiée aux éditions du CNRS en 2016. Prochain livre à paraître: Les droits de l'homme dénaturé, Le Cerf, novembre 2018.

Un simple courrier, signé par un seul juge et sans justification: c'est ainsi que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a déclaré irrecevablela requête introduite en 2015 par 146 maires et adjoints au maire refusant de célébrer des mariages entre personnes de même sexe. La presse a d'ailleurs été informée de cette décision avant même les requérants, ce qui montre bien le caractère politique de la décision en elle-même.
Ces maires ne prétendaient pourtant pas empêcher de tels mariages dans leur commune, ils demandaient seulement à ne pas être contraints de les célébrer eux-mêmes, sachant que tout élu municipal, et même le préfet, peut célébrer les mariages. C'est donc leur conviction elle-même quant à la nature du mariage qui est condamnée.
Ce jugement expéditif et arbitraire est d'autant plus révoltant que plus de 20 000 élus municipaux français, dont de nombreux maires, se sont déclarés opposés à la célébration de mariages entre personnes de même sexe. Ils n'ont plus qu'à démissionner ou à attendre d'être condamnés à des peines pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Ils sont ainsi jetés en pâture aux associations LGBT qui pourront les poursuivre en justice et leur faire payer, au sens propre, leurs convictions.
Certes, dans une précédente affaire de 2013, la CEDH avait déjà validé le licenciement pour faute d'une employée de mairie en raison de son désir de ne pas être affectée à la célébration des unions civiles homosexuelles. Mais la Cour avait néanmoins admis que la conviction de cette femme bénéficie de la protection accordée par la Convention européenne des droits de l'homme à la liberté de conscience et de religion et que «l'État a l'obligation positive d'assurer le respect de ce droit».
La CEDH ne s'embarrasse plus d'une telle précaution dans ce cas et rejette le recours sans autre forme de procès.
Les « nouveaux droits » progressistes entrent en collision avec les droits naturels.
Les décisions adoptées par «juge unique» sont les moins importantes car manifestement irrecevables aux yeux de la Cour. Elles sont en fait préparées par de simples juristes et signées «à la chaîne» par un juge qui, bien souvent, n'a pas même le temps de lire le dossier. Elles ne sont pas publiées et tombent dans l'oubli.
A contrario, la Cour accorde un traitement prioritaire aux affaires soutenues par les ONG et militants LGBT. En mars 2018, une requête d'un couple ayant eu recours à une mère porteuse à l'étranger a été communiquée au gouvernement français seulement 27 jours après son introduction. Ce délai exceptionnel témoigne du deux poids, deux mesures dont certains juges font preuve sur les questions de société.
La Cour est d'ailleurs incohérente avec sa propre jurisprudence. Elle avait déjà accepté de juger, parfois même en Grande Chambre, des affaires d'objection de conscience à la chasse, à l'inscription à la sécurité sociale, au paiement de l'impôt et même au fait, pour un détenu, de devoir se raser. On ne saurait prétendre que l'affaire des maires soit insignifiante, alors même que les cours suprêmes des États-Unis puis du Royaume-Uni viennent de rendre coup sur coup des décisions retentissantes donnant raison à des artisans pâtissiers refusant de fabriquer des gâteaux de mariage pour des couples d'hommes!
L'affaire des maires est évidemment de première importance, et le choix de la Cour ne peut pas s'expliquer autrement que par la volonté de la minimiser. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que cela arrive. Les cas sont innombrables de médecins, infirmières, employés, fonctionnaires, sages-femmes, magistrats, pharmaciens, chercheurs, enseignants qui ont été licenciés, voire condamnés pénalement, pour avoir critiqué ou refusé d'accomplir des pratiques jugées autrefois immorales et interdites. Certains ont saisi la Cour européenne: ils s'appellent Ferrin-Calamita, Ladele, Pichon, Sajous, McFarlane, Diez, Grimmark, Steen, etc. Mais à ce jour, aucun d'entre eux n'a eu gain de cause. La Cour européenne a ainsi rejeté, parfois même sans examen approfondi, la requête d'un magistrat espagnol destitué et condamné pour avoir tardé à confier un enfant pour adoption à un couple de femmes, celle d'un médecin en grave dépression ne supportant plus de devoir pratiquer des diagnostics prénatals eugéniques, celle d'un conseiller matrimonial licencié après s'être déclaré incapable de conseiller sexuellement les couples homosexuels, etc. Combien de vies professionnelles détruites!
Combien de vies professionnelles détruites !
À titre d'illustration, en 2014, la Cour a rejeté, sans fournir d'explication, le recours de 305 familles espagnoles condamnées pour avoir refusé de soumettre leurs enfants à un cours de «citoyenneté» imposé par le gouvernement Zapatero à toutes les écoles, parce qu'elles le jugeaient indécent et idéologique. Plus de 50 000 familles avaient alors objecté avec le soutien des évêques catholiques! Elles aussi furent condamnées au nom de la «tolérance» et du «vivre ensemble» par une idéologie qui ne supporte pas la contradiction.
En fait, le progressisme s'avère intrinsèquement répressif et s'est d'ailleurs toujours présenté comme tel, comme marchant sur les cadavres des attardés du «progrès de la conscience humaine». Depuis qu'il a retrouvé quelque vigueur en faisant des réformes «sociétales» son nouvel horizon, le progressisme révèle de nouveau son intransigeance et actualise le mot d'ordre de la Terreur: «Pas de liberté pour les ennemis de la liberté».
Les «nouveaux droits» progressistes entrent en effet en collision avec les droits naturels: le droit à l'enfant se heurte aux droits de l'enfant, le droit à l'avortement ou au suicide assisté se heurte au droit à la vie, le droit au «mariage pour tous» se heurte à la liberté de conscience. Du point de vue progressiste, plus un droit est antinaturel, c'est-à-dire contraire à la nature humaine, plus il est perçu comme une haute manifestation de la liberté de l'homme, et plus il est élevé dans la nouvelle hiérarchie des droits. Inversement, les droits simplement naturels - respect de la vie, de la conscience, des droits parentaux, d'être élevé par ses parents - sont rabaissés, moins protégés car ils découleraient d'une conception plus «primitive» de l'homme.
Cette nouvelle décision de la CEDH ouvre la porte à des condamnations en série d'élus municipaux à l'instigation de militants de la cause LGBT. Le seul motif donné par la Cour à l'appui de sa décision serait que les élus agissent au nom de l'Etat, comme officier d'état civil, et non pas comme «particulier». On ne voit toutefois pas en quoi cela annihilerait leur conscience. C'est ce même argument qui est utilisé dans toutes les dictatures pour mettre au pas l'administration, et c'est contre lui que la liberté de conscience a été réaffirmée après-guerre.
Le progressisme s'avère intrinsèquement répressif.
La liberté de conscience est le fondement de toute liberté et de toute véritable démocratie, surtout lorsqu'il s'agit de la conscience des élus. Plus que jamais, il est choquant de voir cette instance oser se définir elle-même comme «La Conscience de l'Europe» ; l'unique conscience conviendrait mieux aujourd'hui. Et quel triste paradoxe de voir cette Cour, qui se prétend pourtant gardienne du pluralisme, contribuer ainsi - avec toute la force du droit - à l'imposition des nouveaux dogmes de la bien-pensance.
Par cette nouvelle décision, des juges de la Cour confondent, une fois encore, les droits de l'homme avec l'idéologie libérale-libertaire, et laissent l'État l'imposer par la force. Jamais les rédacteurs de la Convention européenne n'auraient eu l'indécence d'imaginer un seul instant que leur texte puisse un jour servir à imposer de telles iniquités. L'idéologisation des droits de l'homme est devenue aujourd'hui, et c'est terrible de devoir le dire, la principale menace qui pèse sur la Cour elle-même. Elle est aussi la principale cause de sa critique, légitime et nécessaire.
Il faut être un idéologue forcené pour ne pas voir que cette direction conduit tout droit à la catastrophe. La prochaine remise en cause de la Cour pourrait survenir dès le 25 novembre prochain, à l'issue de la votation par laquelle le peuple Suisse est invité à instaurer la primauté de sa constitution sur les jugements de la Cour de Strasbourg, comme le fit la Douma Russe en 2015.
Quel gâchis!
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Grégor Puppinck

Quelle place pour la liberté de conscience dans les sociétés libérales ?
Par Paul Sugy
Mis à jour le 06/06/2018 à 18h01 | Publié le 06/06/2018 à 17h36
FIGAROVOX/ENTRETIEN - La Cour suprême des États-Unis a donné raison au pâtissier ayant refusé de préparer un gâteau pour un mariage homosexuel. Grégor Puppinck decrypte cet arrêt et considère que la liberté de conscience est la «roue de secours» d'une société libérale.

Grégor Puppinck est docteur en droit et directeur du European Centre for Law and Justice (ECLJ). Il est membre du panel d'experts de l'OSCE sur la liberté de conscience et de religion. Il est l'auteur d'une étude sur l'objection de conscience et les droits de l'homme, publiée aux éditions du CNRS en 2016.

FIGAROVOX.- Quelles sont les conséquences de la décision rendue lundi par la Cour suprême des États-Unis?
Grégor PUPPINCK.- Même lorsque l'on connaît l'importance du «wedding cake» dans un mariage américain, cette affaire a l'air d'une plaisanterie insolite! Préparer un gâteau pour la fête d'un «mariage homosexuel» n'est qu'une coopération très éloignée à ce mariage. Un artisan-pâtissier a pourtant refusé de créer ce gâteau, en invoquant le respect de sa liberté d'expression et de ses convictions morales et religieuses. Le couple d'hommes l'a traîné pendant six années devant les tribunaux pour cette raison.
En réalité, ce combat juridique est révélateur des difficultés causées par le pluralisme croissant des sociétés occidentales où les «nouveaux droits» se heurtent aux anciens. Il est difficile de faire coexister les militants LGBT et les personnes qui estiment que l'homosexualité est peccamineuse. La Cour suprême a donné raison au pâtissier, en affirmant la protection des «objections religieuses et philosophiques au mariage gay». C'est donc une victoire pour la liberté de conscience.
Cependant, cette décision a une portée limitée, car les juges américains ont tranché sur un aspect secondaire de l'affaire, estimant que les autorités du Colorado avaient fait preuve d'une «animosité évidente et inadmissible» à l'encontre de la foi chrétienne du pâtissier, dont les convictions ont été traitées de «rhétorique méprisable».
Vous œuvrez depuis plusieurs années à défendre le droit à l'objection de conscience à la CEDH. Pensez-vous que la décision américaine puisse influencer le juge européen?
La Cour suprême a en effet une forte influence sur la CEDH. Les grandes juridictions internationales essaient donc d'être à l'unisson. Elles communiquent entre elles, de manière informelle, pour éviter de se contredire sur un même sujet.
Face au mariage homosexuel, c'est peut-être même la CEDH qui a influencé la Cour suprême, en reconnaissant dès 2013 le principe du droit à l'objection de conscience. Dans les prochains mois ou années, la CEDH et le Comité des droits de l'homme des Nations unies vont se prononcer sur le cas de maires français qui contestent le caractère absolu de l'obligation qui leur est faite de célébrer des mariages entre personnes de même sexe. Contrairement au pâtissier américain, ces élus participent directement au mariage, la justification de leur objection est donc plus solide.
Nous ne sommes pas des défenseurs inconscients de ce droit, mais cherchons à le définir strictement pour mieux le défendre. Nous avons travaillé auprès de la CEDH sur des cas d'objection au service militaire, à la chasse, à l'avortement ou encore aux vaccins.
Vous défendez aussi la liberté de conscience des pharmaciens...
Un pharmacien français a récemment été condamné pour avoir refusé de délivrer un stérilet à une militante du Planning familial venue pour le tester. Il nous a demandé de l'aider et déposera bientôt une requête à la CEDH. Nous estimons que la sanction qu'il a subie n'était pas nécessaire, et a donc violé sa liberté de conscience.
La loi française reconnaît le droit à l'objection de conscience à toutes les professions médicales, sauf aux pharmaciens.
Son cas est loin d'être isolé: nous diffuserons à l'occasion de la requête de nombreux témoignages de pharmaciens français ayant été licenciés ou contraints d'abandonner l'exercice de leur profession par fidélité à leurs convictions. Une jeune fille nous a expliqué s'être réorientée après six années d'études, pour éviter la violation de sa conscience: «parce que la pilule du lendemain [...] va empêcher la nidation, je me dis que je ne peux pas empêcher [un] petit être de vivre ; je vais participer, en vendant la pilule du lendemain à l'interruption de sa vie, donc en conscience je ne peux pas». Toutes ses collègues qui ne voulaient pas vendre la pilule du lendemain sont parties, précise-t-elle, «parce qu'en pratique ce n'est pas possible».
Nous dénonçons en outre l'incohérence de la loi française qui reconnaît le droit à l'objection de conscience à toutes les professions médicales sauf aux pharmaciens, alors même qu'ils sont aujourd'hui en première ligne dans la délivrance de produits abortifs, et demain peut-être euthanasiques. Comme nous l'a expliqué une femme pharmacien, cela révèle un réel mépris de cette profession: «vous êtes là juste pour vendre les boîtes, vous vous taisez et vous faites ce que l'on vous dit». Or, les pharmaciens doivent avoir un rôle de soignants et de conseil: «certaines filles sont venues me remercier en me disant: «le fait que vous ayez refusé la vente m'a permis de voir les choses autrement et de mûrir ma décision».
En quoi consiste exactement la reconnaissance d'un droit à l'objection de conscience? Cela signifie-t-il que les membres de certaines communautés peuvent échapper au droit commun, ou du moins à certaines règles, au nom de leur conscience? La conscience individuelle peut-elle être au-dessus des lois?
La reconnaissance du droit à l'objection de conscience est récente, elle accompagne le développement de la société libérale et sa déconnexion du droit de la morale. Avant, l'objection de conscience était conçue seulement comme un devoir de résister à des ordres gravement injustes. C'est ainsi que la CEDH a validé la condamnation de fonctionnaires soviétiques pour avoir exécuté de tels ordres. Dans ces affaires, la Cour de Strasbourg, à la suite des procès de Nuremberg, a clairement reconnu que la conscience personnelle est toujours au-dessus des lois positives: elle doit les juger, et éventuellement refuser de s'y conformer.
S'il est possible de faire coexister deux moralités au sein d'une société libérale et pluraliste, cela ne l'est pas au sein d'une même personne.
Il en va différemment des sociétés libérales où l'affirmation du principe de tolérance fait coexister deux niveaux de moralité - un public et un privé, conduisant d'une part la société à dépénaliser des pratiques «immorales» privées, et d'autre part les individus à tolérer socialement des pratiques qu'ils réprouvent à titre privé. Or, si cette tolérance est indolore pour la majorité des citoyens, elle ne l'est pas pour la minorité concernée directement par la réalisation de la pratique en cause ; car, pour prendre un exemple, c'est une chose de tolérer l'euthanasie, c'en est une autre de devoir la pratiquer soi-même. S'il est possible de faire coexister deux moralités au sein d'une société libérale et pluraliste, cela ne l'est pas au sein d'une même personne.
Ainsi, la liberté que la société libérale accorde aux individus à l'égard de pratiques moralement débattues et qui ont souvent été longtemps prohibées ne peut être équitable que si elle garantit à ceux qui les réprouvent moralement le droit de ne pas être contraint d'y concourir. La clause de conscience garantit précisément ce droit, elle est un mécanisme par lequel la société libérale organise la coexistence des deux niveaux de moralité ; elle évite la «dictature de la majorité» et que la tolérance devienne elle-même intolérante en condamnant des citoyens coincés par leur situation professionnelle entre les deux niveaux de moralité.
Mais quand même... ne craignez-vous que la liberté de conscience puisse servir d'arme politique pour renforcer le communautarisme, notamment religieux?
Ce risque existe. Plus encore, le pluralisme croissant de la société révèle que le droit à l'objection de conscience, comme notion libérale imprégnée de relativisme et de subjectivisme, est en fait impraticable. Il est à redouter que, submergés de diverses revendications d'objections, les juges n'en viennent à les refuser toutes au nom de l'égalité devant la loi positive, réduisant alors à néant la garantie de la liberté de conscience et de religion. Une clarification de la notion d'objection de conscience s'impose donc, non pas pour étendre son champ d'application au point de la rendre indéfendable, mais au contraire pour mieux la définir afin que le droit à l'objection puisse être garanti dans une juste mesure. C'est l'objet de mon étude publiée en 2016 que de dégager des critères pour extraire la liberté de conscience du relativisme libéral et sauver ainsi ce droit, car la conscience reste l'ultime témoin de la justice.
Une objection strictement religieuse ne peut prétendre être juste.
Un premier critère tient à la définition même de l'objection, mais est généralement ignoré. Il repose sur la distinction entre l'action et l'abstention. L'objection de conscience ne concerne que la situation dans laquelle une personne est contrainte d'accomplir un acte que sa conscience proscrit (un mal), et non pas celle où une personne est empêchée d'accomplir un acte que sa conscience prescrit (un bien). Cette distinction est essentielle. Ainsi, on ne peut pas invoquer le droit à l'objection contre le fait d'être empêché de porter la burqa, mais seulement contre celui d'être forcé de la porter. Cette distinction repose sur la dissymétrie entre le bien et le mal, puisque faire le bien est une question de proportion - cela doit être modulé selon les circonstances -, tandis qu'éviter le mal est une question de principe, quelles que soient les circonstances. Le cas où une personne est empêchée de réaliser tout ou partie d'un bien que sa conscience prescrit (le cas d'Antigone) relève du régime ordinaire de la limitation de la manifestation des convictions.
Le second critère réside dans la distinction entre la foi et la raison, entre religion et morale, et par suite entre les objections, selon qu'elles sont fondées sur une conviction religieuse ou morale. La différence entre objection morale et religieuse consiste en ce que la première peut prétendre être objectivement juste: sa revendication porte sur la justice. Par exemple, il est injuste de tuer un être innocent... À l'inverse, une objection strictement religieuse ne peut prétendre être juste, par exemple, travailler durant le sabbat n'est pas injuste en soi, c'est impie. La revendication d'une objection religieuse porte alors non pas sur la justice, mais sur la liberté de la personne de se conformer à ses convictions religieuses. Il en résulte que refuser de faire droit à une objection religieuse n'est pas nécessairement une injustice. Différemment, face à une véritable objection morale, les autorités ne peuvent la méconnaître sans commettre une injustice. La difficulté consiste bien sûr à reconnaître une véritable objection morale. En pratique, une telle objection se reconnaît en ce qu'elle vise le respect d'une liberté ou d'un droit fondamental et qu'elle s'oppose à un ordre qui y déroge. C'est le cas notamment de l'avortement ou de l'euthanasie dont la pratique n'est possible que par dérogation au respect de la vie. Un critère complémentaire, kantien, consiste à se demander si l'objection en cause est universalisable.
Finalement, l'objection de conscience nous rappelle que la justice est située au-delà du droit positif et c'est bien là toute la difficulté. Sa pratique est un signal d'alerte pour toute la société. Si de nombreuses personnes refusent de pratiquer un acte, les autorités publiques ne devraient pas chercher à les y forcer, mais plutôt s'interroger sur les causes de ce refus, car ce n'est pas la loi, mais bien la conscience personnelle qui est l'ultime juge et témoin de la justice.
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Blasphème et sexe en une : l'esprit Charlie Hebdo est toujours là !
Par Claire. Courbet
Mis à jour le 31/03/2015 à 17h39 | Publié le 14/01/2015 à 20h11
Les sémiologues et spécialistes des médias, Dominique Wolton et Jean-Didier Urbain, ont analysé pour Le Figaro la couverture du journal satirique sorti ce matin. Pour eux, elle ne déroge pas à la ligne éditoriale de son titre.
«Un numéro normal», voilà ce que souhaitait Gérard Biard, rédacteur en chef deCharlie Hebdo pour le «journal des survivants». La couverture est une représentation de Mahomet. Selon Dominique Wolton, sociologue des médias, trois buts s'en dégagent. Le premier vise à «montrer l'attachement et la fidélité aux valeurs qui ont fait Charlie Hebdo, notamment le droit à la caricature des prophètes».
Le second vise à décrédibiliser les auteurs des massacres perpétrés disaient-ils, au nom de l'islam. En représentant Mahomet comme défenseur de la liberté de la presse et de la liberté d'expression grâce au panneau qu'il tient dans ses mains, «les fanatiques et les terroristes sont désavoués». Enfin, le dernier élément majeur de la caricature est un «clin d'œil fait aux trois religions monothéistes» (Christianisme, Islam, Judaïsme) en utilisant l'expression «Tout est pardonné». Une des valeurs communes de ces trois religions, le pardon, est détourné et intégré dans un contexte laïc.
Malgré la caricature de Mahomet qui divise habituellement les Français, tous ont fait la queue dans l'espoir d'obtenir l'un des précieux exemplaires. Et pourtant. «Plus de Charlie Hebdo». Le panneau a envahi peu à peu les points presse et les kiosques à journaux. Si cette nouvelle n'est pas surprenante, la vitesse avec laquelle tous les numéros se sont écoulés l'est. À 10h04, l'information tombait. «Tous les Charlie Hebdo distribués ont été vendus». La représentation du prophète qui divisait hier, est aujourd'hui majoritairement défendue parce qu'elle s'inscrit dans le symbole qu'est devenu Charlie: celui de la liberté d'expression.
C'est ce qu'explique le sociologue: «Le message délivré est propre à Charlie Hebdo. Empreint de convictions et de l'esprit voltairien défendu lors des récentes manifestations ce dimanche, qui dit halte à la religion, qui dicte sa loi dans le contexte politique, qui soutient l'école laïque, qui revendique la liberté d'expression et qui dit non à la censure. Je pense que la caricature sera bien reçue.»
Pour Dominique Wolton, Charlie divise par ses propos, mais rassemble dans ses engagements: «Même si tout le monde ne partage pas les valeurs de Charlie Hebdo, le magazine représente le droit à la liberté d'expression dans son ensemble». Il développe cette idée en racontant sa véritable histoire: «Charlie Hebdo n'a jamais été un journal très apprécié, il a toujours divisé, ce n'était pas un journal très populaire. Malgré cela il y a eu 4 millions de personnes dans la rue. Un mouvement de solidarité que n'aurait jamais soulevé un autre journal. Le journal appartenait certes à une opinion minoritaire mais ce qu'il y a de plus marginal devient symbolique pour toute la liberté d'expression. Il n'y a pas de hiérarchie dans la liberté d'expression.»
Cette liberté va également être protégée par les imams. «J'ai aussi entendu plusieurs imams qui disent qu'en tant qu'hommes religieux, ils interdisent à leurs fidèles de représenter Mahomet, mais ils ne veulent pas l'interdire aux personnes qui n'appartiennent pas à leur confession». Et ce, au nom de la liberté d'expression. Dans le domaine religieux, le blasphème est interdit, mais dans le contexte laïc et de défense de la liberté d'expression, il n'a pas à être interdit à leurs yeux.

Un imam australien pose avec la couverture de Charlie Hebdo. Il défend la liberté d'expression. - Crédits photo : Anthrax
Pour le sémiologue Jean-Didier Urbain, l'espritCharlie n'est pas mort, bien au contraire. En témoigne, le phallus caché en une. «On connaît depuis longtemps les astuces des caricaturistes et des peintres qui produisent une image dans l'image, cette seconde image ne se lit qu'au prix d'une certaine manœuvre ou manipulation. Par exemple le fait de retourner l'image. Ici ce n'est plus la tête du prophète qui apparaît à l'envers mais un phallus, le turban étant l'équivalent des testicules et le visage allongé du poète devient une verge.» Coïncidence? Maladresse? Il en doute.
«C'est une sorte de pied-de-nez caché, cela peut être involontaire mais ici cela m'étonnerait, c'est tellement l'esprit de Charlie! Ça fait partie de son message profond: dénoncer des interdits, ce qui a rapport à la sexualité par exemple. Le rôle de Charlie étant un rôle iconoclaste: représenter des choses interdites en plus de casser des images. Montrer qu'une image en cache une autre, faire une critique, une satire…»
La caricature étant déjà provoquante par rapport à certaines représentations religieuses, le lecteur non aguerri n'y a pas cherché pas une seconde lecture. Voilà de quoi l'initier à Charlie! Malgré tout, la couverture affiche également un message de paix en utilisant massivement la couleur verte. «Si c'est la couleur de l'identité arabe, c'est aussi celle de la nature, de la fertilité, de l'espérance. Cela participe à la volonté consensuelle de l'image: nous sommes tous unis sur le même front d'espérance».
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