Délit de
blasphème : «La CEDH n'est pas Charlie !»
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Selon le docteur en droit Grégor
Puppinck, en confirmant jeudi la condamnation d'une Autrichienne qui avait
évoqué en public la «pédophilie» de Mahomet, la CEDH reconnaît l'existence d'un
délit de blasphème.
- Crédits photo : Editions du Cerf
Grégor Puppinck est docteur en droit et directeur du
Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ). Il est membre du panel
d'experts de l'OSCE sur la liberté de conscience et de religion. Il est
l'auteur d'une étude
sur l'objection de conscience et les droits de l'homme, publiée aux
éditions du CNRS en 2016. Prochain livre à paraître: Les
droits de l'homme dénaturé (Le Cerf, novembre 2018).
Les faits. En Autriche, lors d'une conférence
organisée au sein du FPÖ et intitulée «connaissance élémentaire de l'islam», la
conférencière et responsable du FPÖ a été condamnée pour avoir dit, à propos du
mariage de Mahomet avec une fillette de 6 ans et de sa consommation sexuelle à
l'âge de 9 ans: «Comment appelons-nous cela, si ce n'est de la
pédophilie?». Elle voulait notamment alerter sur la pratique du
mariage des mineurs dans l'islam, suivant l'exemple de Mahomet. Alors qu'elle a
contesté en 2012 cette condamnation devant la Cour européenne des droits de
l'homme, cette dernière a confirmé la décision des juges autrichiens dans un
arrêt rendu public jeudi 25 octobre. L'ECLJ est intervenu dans cette affaire
pour défendre la plaignante.
FIGAROVOX.- La Cour européenne des droits de l'homme
vient de confirmer la condamnation d'une Autrichienne qui avait évoqué lors
d'un meeting la «pédophilie» de Mahomet. Sur quel motif s'appuie cette
condamnation?
Grégor PUPPINCK.- Le seul véritable motif de
cette décision est la peur des musulmans. La Cour le dit expressément: les
autorités autrichiennes ont eu raison de condamner ces propos pour préserver
la «paix religieuse» et la «tolérance mutuelle» dans
la société autrichienne. Selon la Cour, les États auraient à présent, et c'est
nouveau, «l'obligation d'assurer la coexistence pacifique de toutes les
religions et de ceux n'appartenant à aucune religion, en garantissant la
tolérance mutuelle».
La Cour développe plusieurs arguments à l'appui de sa
conclusion.
D'abord, elle juge l'intention même de la conférencière, et
la condamne en estimant qu'elle n'a pas tant cherché à informer le public
qu'à «dénigrer»Mahomet et à démontrer «qu'il n'est pas
digne d'être vénéré», et par suite à inciter à la violence. Ainsi, dénigrer
Mahomet n'est pas protégé par la liberté d'expression: il ne faudrait en parler
qu'avec respect et des bonnes intentions!
La Cour a jugé ensuite - de façon incroyable - que ces
propos n'étaient pas l'expression d'un fait mais d'un jugement de valeur
personnel et hostile, car la conférencière n'aurait pas resitué les faits dans
leur contexte historique, ni précisé que la première épouse de Mahomet était
bien plus âgée que lui. Dès lors, elle aurait «généralisé» la
pédophilie de Mahomet de façon malveillante. Pour la Cour, alors, la
conférencière était de mauvaise foi, et c'est «légitimement» que
les musulmans auraient pu se sentir «offensés» par ces propos
et que les juridictions autrichiennes les ont condamnés.
» LIRE AUSSI - Interdiction
de la burqa: bras de fer entre l'ONU et la CEDH
Cette décision est grave à mes yeux. D'abord parce qu'elle
se résigne à l'intolérance et même à la violence des musulmans face à la
critique, et qu'elle renonce à défendre fermement la liberté d'expression sur
l'islam. En fait, c'est la violence même des musulmans qui justifierait et
exigerait que leurs croyances soient davantage protégées contre les critiques.
Plus profondément, cette décision est aussi très grave car
elle fait primer les objectifs de «tolérance mutuelle» et
de «coexistence pacifique» sur la liberté de pensée et
d'expression en matière religieuse. Elle permet de museler la critique de
l'islam au nom du vivre-ensemble. Cela va à rebours de la modernité occidentale
qui exige au contraire de soumettre l'islam à la critique historique, sans peur
de bousculer les croyances de ses adeptes et même de provoquer des tensions.
La décision rendue par la CEDH aurait justifié la
condamnation des caricatures de Charlie Hebdo.
Mais pour estimer et protéger le débat critique et la
controverse, il faut encore croire en la vérité et en la vertu. Ce n'est
malheureusement pas le cas de cette décision qui est purement relativiste.
Faire de la tolérance et de la coexistence des valeurs et des objectifs en soi
est une abdication de l'esprit. La société européenne ne doit pas renoncer à
être fondée sur la justice et la vertu qui sont, par définition,
intransigeantes.
Ultimement, la logique de la coexistence et du
vivre-ensemble repose sur le dogme absurde de l'égalité des religions. Pour ma
part, je suis convaincu qu'il est urgent de détruire ce dogme, de critiquer et
de comparer les religions par rapport à leur contribution au bien de
l'humanité. Quant à la liberté d'expression, je pense que seule la diffusion
d'obscénités gratuitement offensantes et inutiles au débat ainsi que les propos
incitant à la violence immédiate peuvent être restreints. Tout autre propos -
surtout lorsqu'il s'appuie sur des faits réels - devrait être protégé au titre
de la liberté d'expression.
La décision rendue par la CEDH aurait justifié la
condamnation des caricatures de Charlie Hebdo, mais aussi de Voltaire, Ernest
Renan ou encore Auguste Comte. La Cour européenne des droits de l'homme n'est
pas vraiment Charlie...
N'est-il pas étonnant de voir la CEDH maintenir un «délit
de blasphème» alors même que, partout en Europe, il tend à disparaître? Les
Irlandais s'apprêtent par exemple à le retirer de leur Constitution.
Oui, il est vrai que depuis 2009, les instances
internationales et européennes se sont toutes déclarées en faveur de l'abolition
du délit de blasphème. C'est pourquoi il a été retiré du droit local alsacien
en 2016, et que les Irlandais s'apprêtent à faire de même prochainement. Cette
décision de Strasbourg va donc à contre-courant.
La Cour a adopté une position inverse en accordant sa
protection à des blasphèmes contre la religion chrétienne.
En fait, cette tendance est une réaction de défense face à
l'offensive menée à l'ONU par l'Organisation de la Conférence Islamique pour
créer en droit international un délit de blasphème sous l'appellation de
«diffamation de l'islam». Il y a donc eu un conflit en droit international
entre les conceptions musulmane et occidentale de la liberté d'expression en
matière religieuse. La Cour, dans cette affaire, a opté pour la conception musulmane…
conforme à la charia.
En somme, la CEDH défend ceux qui blasphèment contre le
christianisme, mais condamne ceux qui blasphèment contre l'islam...
Force est de constater que dans deux jugements récents, la
Cour a adopté une position inverse en accordant sa protection à des blasphèmes
contre la religion chrétienne. Il ne s'agissait pas, dans ces affaires, de
débat historique, mais de simples publicités commerciales et d'activisme
politique.
Il y a d'abord eu l'affaire des publicités représentant le
Christ et la Vierge Marie comme des junkys tatoués et lascifs. La Cour de
Strasbourg n'a pas admis la condamnation de ces publicités, alors même
qu'elles choquaient gratuitement, dans un seul objectif commercial. Elle a
condamné la Lituanie.
Il y a ensuite eu l'affaire des «Pussy Riot», ce fameux
groupe d'agitatrices punk qui avait été lourdement condamné en Russie pour
avoir organisé un concert sauvage dans le chœur de la Cathédrale orthodoxe de
Moscou. Ici encore, la
CEDH a protégé leur liberté d'expression, reconnaissant tout au plus
qu'une réaction au manquement à des règles ordinaires de conduite dans un lieu
de culte aurait pu être justifiée.
On peine à s'expliquer la divergence d'approches de la Cour
entre ces différentes affaires.
Ailleurs dans le monde, une jeune femme, Asia Bibi, a été
condamnée à mort pour blasphème. Que font les défenseurs des droits de l'homme?
L'ECLJ dispose d'un bureau au Pakistan qui y défend
courageusement les nombreux chrétiens persécutés, tels qu'Asia Bibi. Face à
l'islam, nous avons aussi besoin en Europe de défenseurs courageux des droits
de l'homme. Ce n'est pas le signal que donne la Cour européenne avec cette
décision... J'espère que cette affaire sera rejugée, en appel, devant la Grande
Chambre de la Cour européenne, et que celle-ci saura alors faire preuve du
courage qu'exigent les circonstances actuelles.
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Charlie Hebdo, c'est "le droit
au blasphème" (Malka)
Flash Eco
Par LeFigaro.fr avec AFP
Mis à jour le 12/01/2015 à 12h10 | Publié le 12/01/2015 à
11h35
Le prochain numéro de Charlie Hebdo mercredi comportera
"évidemment" des dessins sur Mahomet et des moqueries sur les
politiques et les religions, a dit aujourd'hui sur France Info l'avocat de
l'hebdomadaire, Richard Malka.
"On ne cédera rien", "l'état d'esprit 'Je
suis Charlie'" cela veut dire aussi le "droit au blasphème",
a-t-il déclaré.
Le travail sur le numéro en préparation, qui sera imprimé à
un million d'exemplaires et "traduit en 16 langues", a déclaré
l'urgentiste-chroniqueur Patrick Pelloux, également au micro de France Info.
"C'est compliqué, car il faut gérer l'avenir, les
enterrements qui ont lieu toute cette semaine, mais ça avance, ce sera bouclé
ce soir", a affirmé de son côté maître Malka.
Éric
Zemmour : «De quoi l'affaire Mélenchon est-elle le nom ?»
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Le vrai-faux opposant au pouvoir ne
s'attendait pas à ce que son adversaire de convenance, Emmanuel Macron, le
traite en ennemi.
Il y a la forme et le fond. Il y a la colère et les raisons
de la colère. A force de s'appesantir complaisamment sur les
outrances spectaculaires de Jean-LucMélenchon,
on en oublie d'évoquer les faits qui les ont motivées. A force de disserter sur
la psychologie du personnage et les conséquences tactiques de son attitude, on
occulte - volontairement ou pas - la discussion autour de la
légitimité de l'intervention judiciaire qui a provoqué ces réactions. A force
de se parer des atours de la sacro-sainte «indépendance» de la justice, on ne
rappelle pas que celle-ci n'est qu'un moyen au service d'une fin supérieure qui
est l'impartialité.
A force de répéter en boucle que les magistrats n'ont pas
d'ordre à recevoir du pouvoir, on fait semblant de ne pas voir que l'ampleur
d'une telle opération de perquisition, les moyens de police mis en œuvre, la
décision prise par le parquet, sont tels qu'on ne peut imaginer que le
supérieur hiérarchique du parquet, le ministre de la Justice, n'en
ait pas été informé. Et on imagine encore moins que Mme Belloubet n'ait
pas prévenu l'Elysée…
On peut analyser la colère de Mélenchon comme celle du
coupable pris en faute. L'avenir nous le dira. On peut aussi y voir la mise en
œuvre d'une stratégie populiste de dénonciation des «élites» par le candidat
autoproclamé du «peuple». On peut enfin la comprendre comme la colère non
feinte du vrai-faux opposant au pouvoir qui ne s'attendait pas à ce que son
adversaire de convenance, Emmanuel Macron, le traite en ennemi.
L'erreur cardinale de Mélenchon est bien là et non dans sa
colère: lorsque ses adversaires politiques - Sarkozy, Fillon, Marine le Pen -
furent touchés par la machine judiciaire, il a hurlé avec les loups qui hurlent
aujourd'hui à sa perte.
Mélenchon n'a pas voulu analyser que cette soumission du
politique au judiciaire (et au médiatique) venait de loin
Il n'a pas dénoncé le «putsch médiatico-judiciaire» à
l'œuvre lorsque François Fillon a perdu l'élection présidentielle par une mise
en examen prévisible. Il n'a pas alors condamné la collusion entre magistrats
et médias pour fausser le résultat du scrutin. Il n'a pas compris - ou pas
voulu comprendre - que des connivences sociologiques, idéologiques,
politiques, entre juges, journalistes, hauts fonctionnaires et pouvoir
hollando-macronien rendaient désormais inutiles les formelles courroies de
transmission d'antan.
Il n'a pas voulu analyser que cette soumission du politique
au judiciaire (et au médiatique) venait de loin. D'abord, dans l'érection de
normes et de principes édictés par le Conseil constitutionnel et les cours
européennes, au nom des droits de l'homme, qui corsètent l'action des
gouvernements. Ensuite, dans le cadre du financement des partis par l'Etat,
lorsque les juges se permettent d'apprécier l'opportunité de telle ou telle
dépense électorale, ou de l'usage d'assistants parlementaires, foulant aux
pieds les principes de liberté politique et de séparation des pouvoirs.
Détruisant peu à peu cette République dont Mélenchon aime tant à célébrer la
gloire éternelle.
Éric
Zemmour : "Jean-Luc Mélenchon n'a pas toujours dénoncé la soumission du
politique au judiciaire" - Regarder sur Figaro Live
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«Le
multiculturalisme tue toute identité commune enracinée dans une histoire»
Figure de la vie intellectuelle québécoise, le sociologue
Mathieu Bock-Côté dépeint avec précision, rigueur et bonheur d'expression les
sources, les manifestations et les ultimes conséquences du bouleversement
majeur qui affecte notre monde.
Un nouvel esprit public
Contrairement à ce qu'on laisse souvent croire, le
radicalisme des années 1960-1970 n'est pas disparu au moment du passage à la
maturité de ceux qui s'étaient lancés dans une des nombreuses luttes ouvertes
par le gauchisme: tout au contraire, il a profondément transformé la culture
politique et la dynamique idéologique des sociétés occidentales. On pourrait
reprendre l'hypothèse de Philippe Raynaud: si la gauche radicale n'est pas
reconnue comme telle, c'est en bonne partie parce qu'elle est parvenue à
imposer ses catégories dans la vie publique. (…) Notre monde, loin d'être
sous-idéologisé, est «suridéologisé», mais nous n'en sommes plus conscients,
tellement l'idéologie dominante est si écrasante qu'on ne voit plus qu'elle.
(…) Les institutions restent à peu près les mêmes et, au premier regard, les
démocraties occidentales écrivent leur histoire à l'encre de la continuité. Il
n'en demeure pas moins qu'en s'investissant d'une toute nouvelle philosophie,
elles ont transformé en profondeur leur vocation.
L'idée fixe de la domination
Foucault prend le relais de Marx comme inspirateur de la
gauche radicale. (…) La domination serait partout, surtout où on ne la voit
pas: elle serait présente dans les rapports les plus intimes entre les êtres,
elle serait constitutive de la culture. (…) Toute autorité devient une
domination illégitime à déconstruire. (…) Ce qui se dessine déjà, c'est la
figure de l'individu auto-référentiel, hors-sol, délivré de tout rapport de
filiation, et ne se reconnaissant aucune dette à l'endroit de l'héritage qu'il
a reçu et de la communauté politique qu'il habite. (…) Le mouvement des
«immigrés», celui des «femmes», celui des «homosexuels», celui des
«prisonniers», celui des «psychiatrisés» - tous ces mouvements qui, en
eux-mêmes, ont peu de choses en commun, sont appelés à féconder l'action
politique, pour la décentrer des institutions prédominantes et ouvrir le
domaine public à l'expression d'une diversité inédite de formes de vie, le
point culminant de cette théorisation de l'émancipation se retrouvant dans les
«queer studies». (…) De la lutte des classes périmée, on passera à un nouveau
modèle susceptible d'articuler les luttes sociales: la politique des
identités. Les
classes populaires ont déserté la guerre révolutionnaire? Le
peuple n'est plus à gauche? On se fabriquera une série de petits peuples de
substitution.
L'obsession du respect
On réduira plus souvent qu'autrement la contestation à
autant de propos haineux, cette catégorie en venant à s'étendre progressivement
à toute défense significative des valeurs traditionnelles ou nationales
La théorie de la reconnaissance vient ici fonder la
légitimité de l'action thérapeutique d'un État devant travailler à rehausser
l'estime de soi de ceux qui l'habitent. (…) À terme, il faudra créer
la culture commune la moins offensante possible envers les minorités,
ce qui impliquera souvent, comme on le voit de plus en plus depuis le début des
années 1990, de multiplier les «speech codes» et de criminaliser les propos
offensants, dans la mesure où la liberté d'expression ne devrait pas tolérer
l'expression de propos en contradiction avec les formes contemporaines du
vivre-ensemble. On connaît les origines du politiquement correct, qui se trouve
dans les campus américains marqués par l'héritage des radical sixties.
(…) Le politiquement correct se présente ainsi comme une forme de discipline
morale de la parole publique dans une société reconnaissant par exemple le
droit de ne pas être offensé, le droit aussi de ne pas voir transgressés ses
symboles identitaires les plus fondamentaux. On pourrait parler d'une
reformulation postmoderne de la censure. Il faut ainsi assurer une surveillance
rigoureuse aussi bien des discours militants que de l'humour, pour s'assurer
qu'ils n'expriment aucune contestation de la nouvelle orthodoxie de la
reconnaissance. On réduira plus souvent qu'autrement la contestation à autant
de propos haineux, cette catégorie en venant à s'étendre progressivement à
toute défense significative des valeurs traditionnelles ou nationales. (…) Il
faudrait donc, pour éviter de blesser les nouveaux venus, dissoudre la culture
dans une forme d'indétermination historique, la nation se réduisant désormais à
un pacte juridique.
Épurer passé et musées
C'est désormais un rituel, ou presque: d'une nation à
l'autre, on exhume du passé des figures illustres ou oubliées pour les
soumettre à un procès implacable: ils n'anticiperaient pas la société présente,
ils ne se seraient pas pliés à l'avance aux valeurs que nous chérissons. Ils
témoigneraient même d'un autre rapport au monde, qui nous est absolument
incompréhensible. (…) C'est ce qu'appelle généralement la repentance, qui a
partout la cote, qu'il s'agisse de renoncer à célébrer Austerlitz en France, d'accuser
de sexisme le mouvement patriote du XIXe siècle au Bas-Canada ou de
déboulonner les statues qui, à Londres, rappellent trop la mémoire de l'Empire
britannique. C'est la passion morbide de la commémoration négative: nous ne
tolérons plus dans l'imaginaire collectif des hommes qui, d'une manière ou
d'une autre, contredisent le présent et laissent croire que l'humanité a pu
vivre autrement, en vénérant d'autres dieux ou d'autres valeurs. (…) Dans sa
formulation la plus grossière et la plus caricaturale, l'historiographie
victimaire finit toujours par désigner à la vindicte publique l'homme blanc
hétérosexuel, coupable d'une société qu'il aurait construit à son avantage
exclusif. (…)
«Le Multiculturalisme comme religion politique»
L'histoire ne serait valable qu'à la manière d'une pédagogie
pour l'avenir, le passé étant filtré à partir d'un présentisme intransigeant
criminalisant les formes sociales et culturelles traditionnelles qui ne
seraient pas compatibles avec les nouvelles exigences de l'émancipation. La
mémoire est devenue un enjeu de politique publique dans la perspective d'une
dénationalisation de la conscience historique, les gouvernements devant
construire publiquement une mémoire «inclusive», susceptible d'assurer leur
visibilité historique aux groupes marginalisés. C'est ainsi que les mois
consacrés aux minorités se multiplient et que les musées sont invités à exposer
une nouvelle vision de l'histoire, ayant pleinement intériorisé l'impératif
diversitaire. Theodore Dalrymple a montré comment en Grande-Bretagne au début
des années 2000, on a cherché à rendre le financement des musées conditionnel à
leur capacité à attirer une clientèle provenant des minorités ethniques et
culturelles. (…) Évidemment, on tenait pour acquis qu'il serait pour cela nécessaire
de transformer le contenu et la présentation des expositions pour les amener à
participer à la reconstruction multiculturelle de l'imaginaire et de l'identité
britannique. La mise en scène de la culpabilité occidentale est au
programme.
L'État rééducateur
Les classes populaires «nationales» sont désormais classées
parmi les populations «ennemies», ou à tout le moins, parmi les classes
dominantes et désormais appelées à sacrifier une partie de leur bien-être pour
les nouveaux peuples marginaux dévoilés par la sociologie antidiscriminatoire.
(…) Il faut non seulement déprendre l'emprise de la majorité sur les minorités:
il faut réformer la majorité pour l'amener à consentir à ce nouveau monde où
elle ne sera plus qu'une communauté. La majorité doit vouloir la fin de ses
privilèges, elle doit désirer ardemment s'en déprendre, s'en délivrer. (…) Il
faut transformer les attitudes devant la diversité: la majorité doit
s'enthousiasmer du fait qu'elle deviendra une minorité, elle doit aimer le
multiculturalisme. (…) Ce n'est pas le moindre paradoxe de la culture
libertaire qui a pris forme avec les radical sixties qu'elle
ne peut se diffuser qu'à travers une reconstruction autoritaire de la
société.
Les droits contre la démocratie
La démocratie représentative semble périmée car elle
ne sait plus trop quel peuple elle doit représenter. L'identité du
peuple n'étant plus présupposée, son existence même étant remise en question,
il n'est plus possible de penser l'espace public sous une forme unitaire, où
les individus appartenant à une même communauté historico-politique se diviseraient
ensuite selon des lignes essentiellement idéologiques. (…) Si la souveraineté
populaire n'est pas officiellement abolie, évidemment, elle est désormais
réduite à une portion minimale du pouvoir politique et n'est plus investie
d'aucune charge existentielle. Le pouvoir démocratique est condamné à
l'impuissance. Un constitutionnalisme approprié à la société pluraliste sera
appelé à exercer une souveraineté surplombante sur le corps social pour
justement piloter sa transformation égalitariste dans le langage du droit. Les
groupes marginalisés, les minorités sont appelés à faire valoir leurs droits
contre les pratiques sociales qui limiteraient leur émancipation, le droit
devenant un recours prioritaire à mobiliser contre la souveraineté populaire,
assimilée plus souvent qu'autrement à une tyrannie de la majorité, la gauche
multiculturelle voyant justement dans les droits humains un instrument
privilégié pour piloter à l'abri des controverses politiques classiques
l'avancement des revendications minoritaires.
Le Canada, un laboratoire
On le sait, le multiculturalisme est une doctrine d'État au
Canada, mais il faut voir à quel point cette mutation identitaire a été portée
par la classe intellectuelle qui a reconnu justement dans sa reconstruction
diversitaire la marque distinctive de l'identité canadienne. Sans abuser d'un
langage paradoxal, on pourrait dire que le Canada trouverait son identité
propre dans le fait de ne pas avoir d'identité nationale distinctive, John
Ibbitson allant même jusqu'à affirmer que le génie propre à l'identité
canadienne serait justement de n'être porteuse d'aucune signification
historique particulière, ce qui faciliterait son appropriation par les immigrés
qui n'auraient aucunement à se départir de leurs appartenances culturelles préalables
pour devenir canadiens. En fait, le Canada se serait reconstitué et refondé sur
une dissociation radicale entre la communauté politique et son expérience
historique, et c'est justement cette prétention à se fonder sur une utopie
plutôt que sur une mémoire qui en ferait un paradis diversitaire à nul autre
pareil parmi les sociétés contemporaines. Selon la formule de John Ibbitson,
les pays qui ont le moins d'histoire seraient aujourd'hui ceux qui ont le plus
d'avenir.
*Le Multiculturalisme comme religion politique, de
Mathieu Bock-Côté, éditions du Cerf, 368 p., 24€, en librairie le 15 avril.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du
11/04/2016. Accédez
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Lecourt : «Le politiquement correct favorise le retour de toutes les violences»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Le philosophe Dominique Lecourt,
élève de Canguilhem et d'Althusser, a accordé un entretien fleuve au FigaroVox.
Le directeur de l'Institut Diderot dénonce un politiquement correct qui, par le
droit, passe dangereusement des mots aux choses.
Dominique Lecourt est un philosophe français, ancien
élève de Georges Canguilhem et Louis Althusser. Professeur émérite des
Universités, président d'honneur des Presses Universitaires de France (PUF),
ancien recteur d'Académie, il est directeur général de l'Institut Diderot
depuis 2012. Auteur de plus d'une trentaine d'ouvrages et de plusieurs grands
dictionnaires, il a dernièrement publié L'Égoïsme. Faut-il vraiment penser aux autres? (éd.
Autrement, 2015).
FIGAROVOX. - Récemment adoptée au Sénat, la loi Egalité
et citoyenneté, qui contient une série de … 217 mesures pour la jeunesse, la
mixité sociale ou contre les discriminations sociales, vante l'«égalité
réelle». Imposer l'égalité réelle, n'est-ce pas prendre le risque d'une
suspension excessive des libertés individuelles, de prolonger le politiquement
correct des mots aux choses?
Dominique LECOURT. - Cette loi représente
jusqu'à la caricature une conception de l'idée de démocratie qui s'est imposée
dans notre pays depuis une trentaine d'années. C'est un grand bazar qui
rassemble dans un désordre tragi-comique les interdits énoncés dont on attend
aujourd'hui qu'ils règlent les mœurs. Prenons l'exemple de l'interdiction de la
fessée comme outil éducatif et la condamnation qui frappe l'usage de paroles
considérées comme blessantes parce que supposées contraires aux idéaux
dogmatiques du «vivre ensemble». Il s'agit à mon sens du point d'orgue de cette
frénésie normative, trop en vogue aujourd'hui, dont le caractère autoritaire
fait l'objet d'une dénégation permanente de la part des intellectuels et des
médias qui la répande. Par une grande hypocrisie, on annonce un progrès de la
liberté de chacun au moment même où l'on prépare méticuleusement sa régression.
Des mots aux choses, la distance ne saurait être abolie que par la contrainte.
Cette conception débouche sur une pratique autoritaire du pouvoir politique.
L'intimidation est son ressort principal. Voyez désormais le recours permanent
aux tribunaux… Il ne manque pas d'associations qui se soient spécialisées dans
ce type de chantage. Le trouble est profond. La suspicion systématique détruit
la confiance indispensable à la vie en société!
La suspicion systématique détruit la confiance
indispensable à la vie en société !
Permettez que je vous donne un exemple. À l'Université, en
France, nous en étions depuis 1968 à la chasse aux tabous, au nom du fameux «il
est interdit d'interdire». Nous sacrifions au culte des briseurs de tabous.
Chaque victoire était célébrée par une presse de plus en plus libertaire.
Rappelez-vous Libération, première époque. Retrouvez quelques exemplaires
«vintage» du journal Le Monde qui mettait à chaque fois le
poids de sa réputation dans la bataille lorsqu'il s'agissait d'attaquer la
conception «bourgeoise» de la famille ou de l'éducation. Aujourd'hui, les
rédactions de ces quotidiens s'étrangleraient, sans doute, de rage en relisant
les articles d'époque portant sur cette même conception de la famille. Les
mêmes quotidiens se sont battus pour faire admettre le «mariage pour tous».
Quel renversement! La logique aurait voulu qu'ils se prononcent contre toutes
formes de mariage, y compris pour les individus de même sexe…
De l'autre côté de l'Atlantique, au début des années
1980, on s'appliquait au contraire à formuler de nouveaux interdits.
De l'autre côté de l'Atlantique, lorsque je suis arrivé à
l'Université de Boston, au début des années 1980, on s'appliquait au contraire
à formuler de nouveaux interdits. La tyrannie s'exerçait sur le langage dans
une grande partie du milieu académique, spécialement dans le domaine des
sciences humaines (de la psychologie à la philosophie en passant par
l'économie). Rapidement, cette tyrannie, au-delà des milieux académiques, a
submergé toute la vie sociale. Dix ans plus tard, cette vague atteignit la
France violemment. Le début du raz-de-marée. Et un tsunami ne fait jamais
déborder un vase, il le brise… Très vite, on a vu les personnels administratifs
et enseignants des universités modifier leurs comportements, spécialement en
présence de l'autre sexe. Plus personne ne ferme désormais la porte de son
bureau pour recevoir un étudiant, au sens… générique du terme. Comme si, chaque
enseignant, chaque membre du personnel enseignant ou administratif devait être
considéré comme un violeur potentiel!
Paradoxalement, la chasse aux tabous se révèle nocive pour
la liberté de penser. Elle produit des êtres craintifs, ennemis du risque.
Cette nouvelle génération «précautionneuse» souffre de pudibonderie.
La chasse aux tabous se révèle nocive pour la liberté de
penser. Elle produit des êtres craintifs, ennemis du risque. Cette nouvelle
génération «précautionneuse » souffre de pudibonderie.
Ne confondons pas systématiquement inégalité et injustice.
Au risque de choquer, je rappelle qu'il existe des inégalités qui ne sont
nullement identifiables à des injustices. Prenons l'exemple des salaires. Le
fait qu'une rémunération pour un travail soit indexée sur le mérite ne
représente pas toujours une injustice, sauf, bien évidemment pour ceux qui ne
reconnaissent pas la valeur du mérite… Prenons, cette fois-ci, l'exemple de mes
collègues de l'Éducation nationale. Est-ce que l'ancienneté doit prévaloir sur
la qualité du travail pour tout avancement, comme aujourd'hui? Le résultat
n'est pas brillant…
Au nom de l'égalité réelle, nous assistons à l'alliance
spectaculaire entre la technocratie et le moralisme sous prétexte de faire le
bonheur de tous malgré eux.
Avant d'être reprise par les marxistes, l'expression
«politiquement correct» a été lancée par la Cour suprême des Etats-Unis dès
1793. Jean-Claude Michéa considère d'ailleurs que le politiquement correct est
le «triomphe de la juridification des relations humaines» contre lacommon
decency défendue par Orwell. De quoi cette «juridification»
serait-elle le signe?
Au nom de l'égalité réelle, nous assistons à l'alliance
spectaculaire entre la technocratie et le moralisme sous prétexte de faire le
bonheur de tous malgré eux.
Le mot de «juridification» désigne une construction
correspondant à la standardisation des relations humaines. Est-ce le signe d'un
progrès dans la liberté? C'est plutôt, à mes yeux, un symptôme liberticide.
Prenons un exemple d'où le ridicule n'est pas absent. Savez-vous qu'il faudrait
éviter d'utiliser le mot «violer» dans l'expression «violer une loi» compte
tenu de la résonance offensante que peut avoir le mot? Une tenue correcte est
exigée du langage spécialement en matière de race, de culture et de religion.
Le mot honni de «race» figure toujours dans la Constitution, malgré la logique
de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste,
antisémite ou xénophobe. Sur cette loi, il y aurait beaucoup à dire. Paul
Ricœur, Pierre Vidal-Naquet, Robert Badinter et beaucoup d'autres en ont amorcé
le commentaire critique. Les minorités se sont emparées du politiquement
correct. Raymond Boudon avait raison. Il s'agit d'un instrument de conquête du
pouvoir, non par des majorités conformistes, mais par des minorités actives
bien organisées qui répandent leur conformisme propre. Souvent de tonalité
religieuse. Face au séisme de l'affaire du licenciement d'une salariée portant
un foulard islamique, Elisabeth Badinter a eu le courage et la force de
défendre la direction de la crèche Baby-Loup, même si elle en a payé le prix.
Cette crèche imposait une neutralité et le respect de la laïcité à son
personnel.
Assisterions-nous, aujourd'hui, à la mort annoncée de
l'euphémisation du monde, du règne des périphrases, des circonlocutions, à
celles de toutes pratiques qui relèvent du contrôle social exercé par et sur le
langage?
Venue de la gauche des campus, la critique du politiquement
correct s'est retournée durant les années 1980. Bien avant Éric Zemmour en
France, pour ne citer que lui, les milieux conservateurs aux États-Unis n'ont
pas manqué de se moquer du langage tarabiscoté employé par souci, d'ailleurs
illusoire, de préserver et de défendre les minorités. Ils ont montré qu'il
s'agit d'une censure ou d'une auto-censure à peine déguisée.
Je vous rappelle la formule clé de Glucksmann qui relève
de la plus pure intimidation : «théoriser, c'est terroriser».
Les années 1976-1978 marquent un tournant dans l'histoire de
la philosophie, chez nous, en France. Les philosophes ont alors pris la posture
du spectateur des événements et du «reporteur d'idées». Ils se sont déclarés
«journalistes transcendantaux», pour reprendre l'expression de Maurice Clavel.
Ils prétendaient s'élever au-dessus de la contingence du présent. J'ai déjà
raconté comment j'ai vu Michel Foucault lui-même y céder un moment, fasciné par
«la révolution du non-pouvoir» de l'ayatollah Khomeini... André Glucksmann
poussa plus loin que les autres la logique de ce retrait. Dans Les
Maîtres penseurs, il dénonce toute tentative de penser le monde afin de le
transformer comme comportant une menace sournoise de totalitarisme,
c'est-à-dire la ruine totale de la liberté. Vous n'avez peut-être pas en tête
ses écrits. Je vous rappelle donc sa formule clé qui relève de la plus pure
intimidation: «théoriser, c'est terroriser».
Résumons. Les philosophes n'auraient plus désormais qu'à
faire écho aux événements sur le mode du jugement moral prononcé dans
l'urgence. Vous n'aurez pas de mal à mettre un nom sur le plus célèbre de nos
philosophes-chefs de guerre…
Le destin du politiquement correct nous montre qu'il
s'agit plus profondément d'une rhétorique de dissuasion.
La philosophie dans les médias relèverait désormais du
commentaire et de l'exhortation. Vous connaissez la petite musique: «Le monde
va mal», «mais il irait peut-être plus mal encore si vous essayiez de le
transformer». On nous a donc conseillé au nom de la philosophie de nous
consoler et d'être heureux de notre petit bonheur d'Occidentaux. Le destin du
politiquement correct nous montre qu'il s'agit plus profondément d'une
rhétorique de dissuasion. Cette logique de démobilisation collective s'est
traduite par un dénigrement perpétuel d'une certaine pensée française. Celle
que paradoxalement, l'Amérique n'en finit pas de fêter sous l'appellation
de French theory. Les Foucault, Derrida, Bourdieu, Lacan ou
Barthes… Aujourd'hui dans nos universités, notamment dans les sciences
humaines, on ne trouve plus guère que des sous-produits de recherche
américains. Voyez les études sur le «genre» ou «gender studies»! Un bien
bel exemple de politiquement correct…
Philippe Muray parlait de la «cage aux phobes» pour
qualifier tous les interdits langagiers que le politiquement correct
imposerait. Diriez-vous que le politiquement correct prospère encore ou finit
par s'éroder sous le coup des critiques?
Ce discours de consolation ou d'exhortation tel qu'il a été
pratiqué pour un temps avec succès n'avait de réel impact que par la crise qui
grondait à l'horizon.
Aujourd'hui, par temps de mondialisation ou de
globalisation, la doxa européenne cherche à protéger son niveau et son style de
vie.
Aujourd'hui, par temps de mondialisation ou de globalisation,
la doxa européenne cherche à protéger son niveau et son style de vie. Voyez les
mouvements populistes dans les pays du Nord de l'Europe et en Allemagne même.
Une page se tourne. La violence du langage s'exerce sans
plus se dissimuler. Elle ne fait plus vraiment rire. Si l'on tue encore
aujourd'hui au nom de Dieu, sur les pavés de nos grandes villes, c'est en
grande partie la faute du politiquement correct.
Si l'on tue encore aujourd'hui au nom de Dieu, sur les
pavés de nos grandes villes, c'est en grande partie la faute du politiquement
correct.
Mon ami André Comte-Sponville juge que l'avenir du
politiquement correct, c'est la voie ouverte au populisme sous la forme la plus
violente. Je le rejoins. Le temps de la consolation et de l'exhortation est
révolu…
La force du politiquement correct tient à ce qu'il fait
illusion. Il semble «s'éroder» alors même qu'il prospère. Porteur d'interdits,
il se nourrit des dénonciations qui les visent. Un néo-puritanisme linguistique
correspond à un moralisme radical. Il encaisse à ce jour sans difficulté les
critiques dont il est la cible, mais il n'est pas exclu que l'exaspération
qu'il suscite se transforme un jour en une franche colère qui signera sa
défaite. Pensez à la victoire à la présidentielle de mai 2016 de Rodrigo
Duterte aux Philippines ; il ferait passer Donald Trump pour le plus courtois
des hommes (politiques).
Le modèle républicain traditionnel ne reconnaît pas
l'existence de différentes communautés, mais seulement celle du peuple
français. Le politiquement correct qui est l'arme de beaucoup de minorités
sert-il le communautarisme et le multi-culturalisme?
Avec l'idée du modèle républicain, nous touchons à ce que
j'appellerai le malentendu fondamental de la politique moderne en France.
Avec l'idée du modèle républicain, nous touchons à ce que
j'appellerai le malentendu fondamental de la politique moderne en France. À la
source de toutes les incompréhensions qui règnent entre le monde libéral
anglo-saxon et nous-mêmes… On entend dire depuis plusieurs années que les
valeurs de la République sont en danger, mais on ne dit pas exactement ce
qu'elles sont. Elles seraient menacées par un parti dont on ne prononce pas le
nom, mais qui est pourtant légal, et si j'en crois les sondages, le premier
parti de France. Chacun s'accorde à chercher dans les discours du Front
national, puisque c'est de lui qu'il s'agit, les «dérapages» dont il se
rendrait responsable. C'est un mot-clé du politiquement correct. Un moyen
d'intimidation qui laisse penser qu'il existerait une pensée unique, une voie
droite par rapport à laquelle nous devrions tous être jugés. C'est prendre le
risque d'un retournement violent.
Il est probablement possible de poser différemment la
question sur le communautarisme, dans son fond idéologique. J'entends pas là
que la pratique gestionnaire de la politique suscite, par réaction, dans un
régime technocratique, une demande d'absolu que la politique ne peut ni ne veut
satisfaire. Cette demande se trouve du coup canalisée, contre le système
politique en vigueur, par tous ceux qui savent s'en saisir à leurs fins.
La pratique gestionnaire de la politique suscite, par
réaction, dans un régime technocratique, une demande politique d'absolu.
Dès lors que le pouvoir politique n'assume plus d'autre
idéal que l'efficacité du fonctionnement de l'État (et de l'économie), les
passions qui s'attachent chez tout être humain à «l'être ensemble» ne trouvent
plus à s'épancher que dans le rassemblement en communautés. Et la haine alors
s'écoule, porteuse de mort, de «communauté» à «communauté». Voilà pourquoi la
démocratie que nous évoquons si volontiers se trouve réellement en danger.
Comment sortir de ce cercle? Peut-être en nous souvenant de
ce qui se disait, sourdement, dans le mot de laïcité. Il ne s'agit pas d'un
idéal philosophique, ni seulement d'un ensemble d'institutions et de lois qu'il
s'agirait de «défendre». Elle aura d'abord été, la reconnaissance de la
politique comme domaine d'idéaux et de valeurs librement assumés par des
citoyens détenteurs à égalité de la souveraineté. Oui, dans une République, en
régime démocratique, il y a non seulement nécessité vitale de séparer l'État et
les religions, mais aussi de maintenir vivante l'idéalité des visées de la
politique et le désir de renouveler sans cesse par un effort collectif de
réflexion critique où chacun engage la part de soi qui appartient aux autres.
Est-ce suffisant? Non. Car cette idéalité elle-même peut-être mise au service
d'une fusion, d'une «communion», mortifère des citoyens avec le pouvoir d'État
comme on l'a vu dans les régimes totalitaires (URSS, Allemagne nazie etc.). Il
faut donc restituer tout son tranchant à la grande intuition qui nous vient de
la Révolution française: il n'est, dans un tel régime nul autre principe
valable de rassemblement des citoyens que celui de la «liberté». La liberté
s'adressant par la bouche du pouvoir politique à tous les citoyens les vise
comme individus. Elle prend donc appui sur l'infini des désirs de chacun, tout
en l'invitant à n'en réaliser que la part qui peut se composer avec celle qu'y
prennent nécessairement les autres. Passions et réflexion rationnelle se
trouvent ainsi solidement couplées, l'une relançant perpétuellement l'autre ;
et inversement. Ce principe permet de conjurer les deux risques majeurs et conjoints
que court la démocratie si elle veut s'arracher à son sommeil technocratique:
la fusion totalitaire dans le rassemblement autour d'idéaux politiques,
prenant, sous forme d'absolu, la place de Dieu, et la sacralisation des
hiérarchies sociales établies.
Faudrait-il plutôt prôner celle d'«assimilation» ?
Sans doute, si nous voulons surmonter les difficultés liées à l'usage dévoyé,
par certains, du terme d'«intégration».
Le 17 septembre 2014, alors qu'il n'avait pas encore dévoilé
les grandes lignes de son projet pour 2017, Alain Juppé défendait à l'Institut
Diderot une position résolument anti-communautariste mettant en valeur l'idéal
du «bien commun» comme mouvement dynamique de l'identité de la Nation dont nous
avons reçu l'héritage. On discute depuis ardemment de l'idée d'«intégration»
qu'il avançait: l'«identité heureuse». Cette idée, sous sa plume, se veut
respectueuse des différences et particulièrement des différences religieuses.
Faudrait-il plutôt prôner celle d' «assimilation»? Sans
doute, si nous voulons surmonter les difficultés liées à l'usage dévoyé, par
certains, du terme d'«intégration», faudrait-il forger un mot composé tel
qu'«intégration/assimilation»?
De nombreux intellectuels médiatisés comme Michel Onfray
ou Alain Finkielkraut sont accusés de faire le jeu du Front national, voire
d'en être des «alliés objectifs». Est-il devenu impossible d'exercer de façon
sereine la charge d'intellectuel dans le débat public?
Le débat, désormais, c'est la foire d'empoigne. Il s'agit
de savoir qui va parler le plus fort.
C'est le risque de la médiatisation. Mon maître Georges
Canguilhem y était tout à fait hostile. Aujourd'hui, réseaux sociaux aidant, on
doit s'attendre à se trouver pris dans des batailles dont on peut regretter la
hargne. Le débat, désormais, c'est la foire d'empoigne. Il s'agit de savoir qui
va parler le plus fort. De là pourtant à remettre en usage la formule des
«alliés objectifs» dont a abusé le Parti communiste en son temps… Il ne s'agit
que d'une technique rhétorique destinée à disqualifier l'interlocuteur. Ce
n'est pas une façon sereine de débattre, et très injuste à l'égard d'Alain
Finkielkraut et même de Michel Onfray.
L'universitaire, aujourd'hui, est prêt à se soumettre à tous
les conformismes, chacun rivalisant avec chacun pour être le premier à penser
et agir comme tout le monde… On pense, ici encore, aux études sur le «genre»,
au phénomène des «gender studies»… Le problème, c'est leurs
répercussions concrètes dans l'Éducation nationale, sur les élèves et les
parents… Quant à l'emprise du système médiatique sur les intellectuels, elle va
croissante…
A terme, le politiquement correct ne risque-t-il pas
d'encourager les partis politiques les plus outranciers et in fine de
libérer la violence du langage?
Face à Trump, Madame Clinton apparaît comme l'incarnation
même du politiquement correct. Et lui, comme celle de l'incorrection grossière.
Si l'on parle de la violence du langage en politique, on ne
peut aujourd'hui contourner le «cas» Trump. Face à lui, Madame Clinton apparaît
comme l'incarnation même du politiquement correct. Et lui, comme celle de
l'incorrection grossière. Mais, on voit que les questions politiques graves qui
se posent aux Etats-Unis dépassent de loin les aspects rhétoriques de la
campagne. La violence du langage peut se traduire dans les deux registres
extrémistes opposés.
Les sociétés démocratiques, avides d'égalité, ont refusé à
leurs citoyens le soutien d'une hiérarchie qui leur garantirait un lien stable
avec leurs concitoyens. Les individus, livrés à eux-mêmes, isolés, ont perdu le
sentiment chaleureux de la continuité entre générations. Alexis de Tocqueville
avait vu juste lorsqu'il écrivait que «l'aristocratie avait fait de tous les
citoyens une longue chaîne qui remontait du paysan au roi ; la démocratie brise
la chaîne et met chaque anneau à part». La démocratie ramène ainsi chaque
individu vers lui seul et «menace de le renfermer tout entier dans la
solitude de son propre cœur». C'est l'équation même de l'individualisme
démocratique. Cet individualisme a triomphé sur la base du démantèlement de la
figure classique de l'ego. L'individu se trouve maintenant désingularisé. Il a
perdu son histoire propre, ce qui faisait sa valeur à ses yeux. Chaque citoyen
se révèle disposé à s'isoler de la masse de ses semblables, ce qui incite
chacun à créer une petite société à son usage, abandonnant la grande société à
elle-même. Voilà pourquoi les sociétés démocratiques suscitent le conformisme
de citoyens soumis à la mécanique de l'individualisme de masse. Et cet individualisme-là
se nourrit d'égoïsme - de compétition et d'indifférence. Il s'épanouit dans le
narcissisme.
Avec l'ensemble des questions que pose le déploiement du
politiquement correct, la pensée s'est installée dans un exercice réflexif
périlleux qui décide du sens que nous devrions accorder à nos existences.
Allons-nous adapter notre vie aux exigences d'autrui? Allons-nous demander à
autrui de s'adapter à nos exigences propres? Nous nous trouvons à la croisée
des chemins.
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debout»
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«La France fait un pas de plus vers le politiquement correct à l'américaine»
ENTRETIEN - Mathieu Bock-Côté voit dans un amendement adopté
mardi dernier par l'Assemblée une étape supplémentaire vers
un multiculturalisme d'inspiration nord-américaine funeste pour la liberté
d'expression. Il nous met en garde contre une « dérive
orwellienne » qu'il constate déjà dans son propre pays.
C'est le plus Français des intellectuels québécois. Mathieu
Bock-Côté scrute avec un mélange d'admiration et de crainte notre pays.
Et s'interroge sur son devenir. La France va-t-elle conserver
sa culture du débat? Rester la patrie des paroles et des idées
dissidentes? Ou va-t-elle se soumettre à ce que le sociologue appelle
le «nouveau régime diversitaire». Nouveau régime marqué par un
politiquement correct tatillon qui, selon lui, imposerait une police du langage
et de la pensée.
LE FIGARO - Les députés LREM ont voté un amendement à
l'article 1 duprojet
de loi de moralisation de la vie politique prévoyant une «peine
complémentaire obligatoire d'inéligibilité» en cas de manquement à la probité.
La probité impliquerait «les faits de discrimination, injure ou diffamation
publique, provocation à la haine raciale, sexiste ou à raison de l'orientation
sexuelle» précise l'amendement. Que cela vous inspire-t-il?
Mathieu BOCK-CÔTÉ - Vous me permettrez et me
pardonnerez d'être franc: j'en suis effaré. Et je pèse mes mots. Évidemment,
tout le monde s'entend pour condamner le racisme, le sexisme ou l'homophobie.
J'ajouterais que nos sociétés sont particulièrement tolérantes et ont beaucoup
moins de choses à se reprocher qu'on veut bien le croire. Mais le problème
apparait rapidement: c'est celui de la définition. À quoi réfèrent ces
concepts? Nous sommes devant une tentative peut-être sans précédent d'exclure
non seulement du champ de la légitimité politique, mais même de la simple
légalité, des discours et des idées entrant en contradiction avec l'idéologie
dominante. Il faut inscrire cet amendement dans un contexte plus large pour
comprendre sa signification: nous sommes devant une offensive idéologique bien
plus brutale qu'il n'y paraît.
«On l'aura compris, on accuse de racisme ceux qui ne se
plient pas à l'idéologie diversitaire.»
Mathieu BOCK-CÔTÉ
Prenons l'exemple du racisme. On a vu à quel point, depuis
quelques années, on a amalgamé le racisme et la défense de la nation. Pour la
gauche diversitaire et ceux qui se soumettent à ses prescriptions idéologiques,
un patriotisme historique et enraciné n'était rien d'autre qu'une forme de
racisme maquillé et sophistiqué. Ceux qui voulaient contenir l'immigration
massive étaient accusés de racisme. Ceux qui affirmaient qu'il y avait un lien
entre l'immigration et l'insécurité étaient aussi accusés de racisme. De même
pour ceux qui confessaient l'angoisse d'une dissolution de la patrie. Cette
assimilation du souci de l'identité nationale à une forme de racisme est une
des tendances lourdes de l'histoire idéologique des dernières décennies. On
l'aura compris, on accuse de racisme ceux qui ne se plient pas à l'idéologie
diversitaire. Quelle sort sera réservé à ceux qui avouent, de manière articulée
ou maladroite, de telles inquiétudes?
Prenons l'exemple du débat sur le mariage pour tous aussi.
Il ne s'agit pas de revenir sur le fond du débat mais sur la manière dont il a
été mené. Pour une partie importante des partisans du mariage homosexuel, ceux
qui s'y opposaient, fondamentalement, étaient homophobes. Ils n'imaginaient pas
d'autres motifs à leur engagement. Comme toujours, chez les progressistes, il y
a les intolérants et les vertueux. Deux philosophies ne s'affrontaient pas: il
y a avait d'un côté l'ombre, et de l'autre la lumière. Doit-on comprendre que
dans l'esprit de nos nouveaux croisés de la vertu idéologique, ceux qui ont
défilé avec la
Manif pour tous devraient être frappés d'inéligibilité? Posons la
question autrement: faudra-t-il simplement proscrire juridiquement le
conservatisme moral et social de la vie politique?
Prenons aussi le cas de la théorie du genre et de ses
dérivés, comme l'idéologie transgenre, qui prétend abolir la référence au
masculin et au féminin dans la vie publique, et qui émerge un peu partout dans
le monde occidental. C'est pour plier à ses injonctions, par exemple, que le
métro de Londres cessera de dire Ladies and Gentleman pour se tourner vers un
fade «hello everyone». Celui qui s'oppose frontalement - ou même subtilement -
à cette idéologie peut être accusé à n'importe que moment de sexisme ou de
transphobie, comme c'est déjà le cas en Amérique du nord. Faudra-t-il aussi
interdire la vie politique à ceux qui en seront un jour reconnus coupables?
Faudra-t-il criminaliser tôt ou tard ceux qui continuent de croire que la
nature humaine est sexuée?
«Cet amendement crée un climat d'intimidation idéologique
grave, il marque une étape de plus dans l'étouffement idéologique du débat
public.»
Ce n'est pas d'hier qu'on assiste à une pathologisation du
conservatisme, réduit à une série de phobies ou de passions mauvaises. Il est
depuis longtemps frappé d'un soupçon d'illégitimité. Il y a une forme de
fondamentalisme de la modernité qui ne tolère pas tout ce qui relève de
l'imaginaire de la finitude et de l'altérité. Ce n'est pas d'hier non plus
qu'on assiste à sa diabolisation: on le présente comme une force régressive
contenant le mouvement naturel de la modernité vers l'émancipation. D'une
certaine manière, maintenant, on entend le pénaliser. On l'exclura pour de bon
de la cité. C'est une forme d'ostracisme postmoderne. Disons l'essentiel: cet
amendement crée un climat d'intimidation idéologique grave, il marque une étape
de plus dans l'étouffement idéologique du débat public. Et ne doutons pas du
zèle des lobbies victimaires qui patrouillent l'espace public pour distribuer
des contraventions idéologiques. On me dira que l'amendement ne va pas
jusque-là: je répondrai qu'il va dans cette direction.
À mon avis, derrière cet amendement, il y a la grande peur
idéologique des progressistes ces dernières années. Ils croyaient avoir perdu
la bataille des idées. Ils croyaient la France submergée par une vague
conservatrice réactionnaire qu'ils assimilaient justement à une montée du
racisme, de la xénophobie, du sexisme et de l'homophobie. Ils se sont dit: plus
jamais ça. Ils veulent reprendre le contrôle du débat public en traduisant dans
le langage de l'intolérance la philosophie qui contredit la leur. Il s'agit
désormais de verrouiller juridiquement l'espace public contre les mal-pensants.
LE FIGARO. - En France, le racisme n'est pas une opinion,
mais un délit...
Mathieu BOCK-COTÉ. - Ce qu'il faut savoir, c'est
que la sociologie antiraciste ne cesse d'étendre sa définition du racisme. Elle
instrumentalise le concept noble de l'antiracisme à des fins qui ne le sont
pas.
J'en donne deux exemples.
Pour elle, ou du moins, ceux qui s'opposent à la
discrimination positive se rendraient coupables, sans nécessairement s'en
rendre compte, de racisme universaliste, qui écraserait la différence et la
diversité. Traduisons: le républicanisme est raciste sans le savoir, et ceux
qui la soutiennent endossent, sans nécessairement s'en rendre compte,
toutefois, un système raciste. Ils participeraient à la perpétuation d'une
forme de racisme systémique.
Inversement, ceux qui soutiendraient qu'une communauté
culturelle ou une religion particulière s'intègre moins bien que d'autres à la
nation seront accusés de racisme différentialiste car ils essentialiseraient
ainsi les communautés et hiérarchiseraient implicitement ou explicitement entre
les différentes cultures et civilisation. Ainsi, une analyse sur la question ne
sera pas jugée selon sa pertinence, mais disqualifiée parce qu'elle est à
l'avance assimilée au racisme.
Je note, soit dit en passant, que les seuls militants
décomplexés en faveur de la ségrégation raciale se retrouvent dans
l'extrême-gauche anticoloniale, qui la réhabilite dans sa défense des espaces
non-mixtes, comme si elle devenait légitime lorsqu'elle concerne les minorités
victimaires. Mais ce racisme, apparemment, est respectable et trouve à gauche
ses défenseurs militants …
Nous avons assisté, en quelques décennies, à une extension
exceptionnelle du domaine du racisme: il faut le faire refluer et cesser les
amalgames. En gros, soit vous êtes favorable au multiculturalisme dans une de
ses variantes, soit vous êtes raciste. Multiculturalisme ou barbarie? On nous
permettra de refuser cette alternative. Et de la refuser vigoureusement.
Il y a aujourd'hui une tâche d'hygiène mentale: il faut
définir tous ces mots qui occupent une place immense dans la vie publique et
surtout, savoir résister à ceux qui les utilisent pour faire régner un nouvel
ordre moral dont ils se veulent les gardiens passionnés et policiers. Il faut
se méfier de ceux qui traquent les arrière-pensées et qui surtout, rêvent de
vous inculper pour crime-pensée.
LE FIGARO. - Cela rappelle-t-il le politiquement correct
nord-américain? En quoi?
«Populiste, réactionnaire, extrême-droite: les termes
sont nombreux pour désigner à la vindicte publique une personnalité insoumise
au nouvel ordre moral.»
Mathieu Bock-Coté
Mathieu BOCK-COTÉ. - Le politiquement correct
n'est plus une spécificité nord-américaine depuis longtemps. Mais pour peu
qu'on le définisse comme un dispositif inhibiteur qui sert à proscrire
socialement la critique de l'idéologie diversitaire, on constatera qu'il s'impose
à la manière d'un nouvel ordre moral, et qu'on trouve à son service bien des
fanatiques. Ils se comportent comme des policiers du langage: ils traquent les
mots qui témoigneraient d'une persistance de l'ancien monde, d'avant la
révélation diversitaire. Ceux qui n'embrassent pas l'idéologie diversitaire
doivent savoir qu'il y aura un fort prix à payer pour entrer en dissidence. On
les traitera comme des proscrits, comme des parias. On leur collera une sale
étiquette dont ils ne pourront plus se départir. Populiste, réactionnaire,
extrême-droite: les termes sont nombreux pour désigner à la vindicte publique
une personnalité insoumise au nouvel ordre moral. Dès lors, celui qui se
présente dans la vie publique avec cette étiquette est disqualifié à l'avance:
il s'agit d'une mise en garde adressée à l'ensemble de ses concitoyens pour
leur rappeler de se méfier ce se personnage. C'est un infréquentable: on ne
l'invitera, à la rigueur, que pour servir de repoussoir. On lui donnera la
parole peut-être mais ce sera pour dire qu'il dissimule ses vraies pensées en
multipliant les ruses de langage. Alors nos contemporains se taisent. Ils
comprennent que s'ils veulent faire carrière dans l'université, dans les médias
ou en politique, ils ont intérêt à se taire et à faire les bonnes prières
publiques et à ne pas aborder certaines questions. La diversité est une
richesse, et ceux qui bémoliseront cette affirmation n'auront tout simplement
plus droit de cité. En France, le politiquement correct a pour fonction de
disqualifier moralement ceux qui ne célèbrent pas globalement ce qu'on pourrait
appeler la société néo-soixante huitarde. Avec cet amendement, le pays fait un
pas de plus vers le politiquement correct en le codifiant juridiquement, ou si
on préfère, en le judiciarisant: désormais, il modèlera explicitement le droit.
La liberté d'expression est pourtant un droit sacré aux
États-Unis protégé par la constitution? Qu'en est-il au Canada?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Nous sommes à front
renversé. Pour le dire rapidement, la liberté d'expression est juridiquement
bien balisée chez nous mais la vie publique est écrasée par une forme de
consensus idéologique diversitaire qui rend impossible des débats semblables à
ceux qu'on trouve en France. Autrement dit, le contrôle de la parole dissidente
s'exerce chez nous moins par le droit que par le contrôle social. Un politicien
qui, clairement, s'opposerait au multiculturalisme, par ailleurs inscrit dans
la constitution canadienne, verrait sa carrière exploser. On a le droit de dire
bien des choses, mais personne ne dit rien - il faut néanmoins tenir compte de
l'exception québécoise, où la parole publique est plus libre, du moins en ce
qui concerne la question identitaire. Je note, cela dit, que ces dernières
années, on a assisté à des tentatives pour judiciariser le politiquement
correct. Inversement, en France, la liberté d'expression est soumise à mille
contraintes qui me semblent insensées mais la culture du débat demeure vive, ce
qui n'est pas surprenant dans la mesure où elle est inscrite dans l'histoire du
pays et dans la psychologie collective.
Comment ce «politiquement correct» est-il né? Quels sont
les conséquences sur le débat public?
Mathieu BOCK-COTÉ. - C'est un des résultats de
la mutation de la gauche radicale engagée dans la suite des Radical Sixties. Il
s'institutionnalisera vraiment dans les années 1980, dans l'université
américaine. On connait l'histoire de la conversion de la gauche radicale,
passée du socialisme au multiculturalisme et des enjeux économiques aux enjeux
sociétaux. La lutte des classes s'effaçait devant la guerre culturelle, et la
bataille pour la maîtrise du langage deviendra vitale, ce qui n'est pas
surprenant pour peu qu'on se souvienne des réflexions d'Orwell sur la
novlangue. Celui qui maîtrise le langage maîtrisera la conscience collective et
certains sentiments deviendront tout simplement inexprimables à force d'être
censurés.
Mais revenons à l'histoire du politiquement correct: dans
les universités nord-américaines, on a voulu s'ouvrir aux paroles minoritaires,
ce qui impliquait, dans l'esprit de la gauche radicale, de déboulonner les
grandes figures de la civilisation occidentale, rassemblées dans la détestable
catégorie des hommes blancs morts. Autrement dit, la culture n'était plus la
culture, mais un savoir assurant l'hégémonie des dominants sur les dominés: on
a voulu constituer des contre-savoirs idéologiques propre aux groupes dominés
ou marginalisés. C'est une logique bien bourdieusienne. Les humanités ont été
le terrain inaugural de cette bataille. Ce serait maintenant le tour historique
des minorités (et plus exactement, de ceux qui prétendent parler en leur nom,
cette nuance est essentielle) et ce sont elles qui devraient définir, à partir
de leur ressenti, les frontières du dicible dans la vie publique. Ce sont elles
qui devraient définir ce qu'elles perçoivent comme du «racisme», du «sexisme»,
de «l'homophobie». Et on devrait tous se soumettre à cette nouvelle morale. On
invite même le «majoritaire» à se taire au nom de la décence élémentaire. On demeure
ici dans la logique du postmarxisme: les nouvelles minorités identitaires
sorties des marges de la civilisation occidentales sont censées incarner un
nouveau sujet révolutionnaire diversifié.
Mais on a oublié qu'il peut y avoir un intégrisme victimaire
et un fanatisme minoritaire, qui a versé dans la haine décomplexée de l'homme
blanc, jugé salaud universel de l'histoire du monde. La société occidentale est
soumise à un procès idéologique qui jamais, ne s'arrête. Je vous le disais tout
juste: ces notions ne cessent de s'étendre et tout ce qui relève de la société
d'avant la révélation diversitaire finira dans les déchets du monde d'hier,
dont il ne doit plus rester de traces. Et il est de plus en plus difficile de
tenir tête à ce délire. À tout le moins, cela exigera beaucoup de courage
civique.
Et en ce moment, l'université nord-américaine, qui demeure
la fabrique institutionnelle du politiquement correct, est rendue très loin
dans ce délire: on connait le concept de l'appropriation culturelle qui consiste
à proscrire les croisements culturels dans la mesure où ils permettraient à
l'homme blanc de piller les symboles culturels des minorités-victimes. On
chantait hier le métissage, on vante désormais l'intégrité ethnique des
minorités victimaires. On veut aussi y multiplier les safe spaces, qui
permettent aux minorités victimaires de transformer l'université en un espace
imperméabilisé contre les discours qui entrent en contradiction avec leur
vision du monde. C'est sur cette base que des lobbies prétendant justement
représenter les minorités-victimes en ont appelé, à plusieurs reprises, à
censurer tel discours ou tel événement. Pour ces lobbies, la liberté
d'expression ne mérite pas trop d'éloges car elle serait instrumentalisée au
service des forces sociales dominantes. Ils n'y reconnaissent aucune valeur en
soi et croient nécessaire de transgresser les exigences de la civilité
libérale, qui permettaient à différentes perspectives de s'affronter
pacifiquement à travers le débat démocratique. Ces lobbies sont animés par une
logique de guerre civile.
Ce qui est terrible, c'est que la logique du politiquement
correct contamine l'ensemble du débat public. Elle vient de l'extrême-gauche
mais en vient à redéfinir plus globalement les termes du débat politique. Tous
en viennent à se soumettre peu à peu à ses exigences. Le politiquement correct
entraine un appauvrissement effrayant de la vie intellectuelle et politique.
Les thèmes interdits se multiplient: la démocratie se vide des enjeux
essentiels qui devraient être soumis à la souveraineté populaire dans la mesure
où on ne veut voir derrière elle que la tyrannie de la majorité. On
psychiatrise de grands pans de la population en l'accusant de mille phobies. On
présente le peuple comme une masse intoxiquée par de vilains préjugés et
stéréotypes: il faudrait conséquemment le rééduquer pour le purger de la part
du vieux monde qui agirait encore en lui.
On trouve de plus en plus de spécialistes du procès
idéologique. Ils patrouillent l'espace public à la recherche de dérapages - ce
terme est parlant dans la mesure où il nous dit que la délibération publique
doit se faire dans un couloir bien balisé et qu'il n'est pas permis d'en
sortir.
J'ajouterais une chose: les gardiens du politiquement
correct ne se contentent pas d'un ralliement modéré aux thèses qu'ils avancent:
ils exigent de l'enthousiasme. Il faut manifester de manière ostentatoire son
adhésion au nouveau régime diversitaire en parlant son langage. Bien des
journalistes militants se posent aussi en inquisiteur: ils veulent faire avouer
aux hommes politiques ou aux intellectuels leurs mauvaises pensées. Ils les
testent sur le sujet du jour en cherchant la faute, en voulant provoquer la
déclaration qui fera scandale. Ils veulent prouver qu'au fond d'eux-mêmes, ce sont
d'horribles réactionnaires.
LE FIGARO. - Est-il le corollaire du multiculturalisme?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Le multiculturalisme est
traversé par une forte tentation autoritaire - pour ne pas dire plus. Il est
contesté - plus personne ne croit sérieusement qu'il dispose d'une adhésion
populaire. Il doit alors faire taire ses contradicteurs. Il le fait en les
diabolisant. Ceux qui rapportent les mauvaises nouvelles à son sujet sont
accusés de propager la haine. Une information qui ne corrobore pas les récits
lénifiants sur le vivre-ensemble sera traitée au mieux comme un fait divers ne
méritant pas une attention significative, au pire comme un fait indésirable qui
révélerait surtout la psychologie régressive de celui qui en témoigne.
D'ailleurs, on le voit avec les poursuites à répétition contre Éric
Zemmour: on pensera ce qu'on voudra de ses idées, mais ce qui est
certain, c'est qu'il est poursuivi pour ce qu'on appellera des crimes
idéologiques. Il ne voit pas le monde comme on voudrait qu'il le voit alors on
travaille fort à le faire tomber. Et on se dit qu'une fois qu'on sera
débarrassé de ce personnage, plus personne ne viendra troubler la description
idyllique de la société diversitaire. On veut faire un exemple avec lui. Je
note par ailleurs que Zemmour n'est pas seul dans cette situation: Georges
Bensoussan et Pascal Bruckner ont aussi goûté aux charmes de la persécution
juridique. J'en oublie. Il s'agissait d'odieux procès.
Mais on peut aussi vouloir aller plus loin. Au Québec, en
2008, une universitaire bien en vue proposait au gouvernement de donner à
certaines autorités devant réguler la vie médiatique le pouvoir de suspendre
pour un temps la publication de journaux proposant une représentation négative
de la diversité.
Tout cela pour dire que le multiculturalisme, pour se
maintenir, doit diaboliser et maintenant pénaliser ceux qui en font le procès.
Mais il faut voir que le multiculturalisme ne fait pas bon
ménage avec la liberté d'expression, dans la mesure où la cohabitation entre
différentes communautés présuppose une forme de censure généralisée où chacun
s'interdit de juger des traditions et coutumes des autres. On appelle cela le
vivre-ensemble: c'est une fraude grossière. On le voit quand certaines
communautés veulent faire inscrire dans le droit leur conception du blasphème
ou du moins, quand elles veulent obliger l'ensemble de la société à respecter
leurs interdits moraux, comme on a pu le voir dans l'affaire des caricatures.
Je dis certaines communautés: il faudrait parler, plus exactement, des radicaux
qui prennent en otage une communauté en prétendant parler en son nom.
Le génie propre de la modernité, c'est le droit d'examiner
et de remettre en question n'importe quelle croyance, sans avoir à se soumettre
à ses gardiens qui voudraient nous obliger à la respecter. Ce sont les croyants
qui doivent accepter que des gens ne croient pas la même chose qu'eux et se
donnent le droit de moquer leurs convictions les plus profondes, sans que cette
querelle ne dégénère dans la violence. On nous demande de respecter la
sensibilité des uns et des autres, comme s'il existait un droit de ne pas être
vexé et un droit de veto accordé à chaque communauté pour qu'elle puisse
définir la manière dont on se la représente.
LE FIGARO. - Ce type de disposition peut-il être
également utilisé par les islamistes pour interdire toute critique de l'islam?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Naturellement. C'est tout
le sens de la querelle de l'islamophobie: il s'agit de transformer en
pathologie haineuse et socialement toxique la simple critique d'une religion ou
le simple constat de sa très difficile inscription dans les paramètres politiques
et culturels de la civilisation occidentale.
Les islamistes excellent dans le retournement de la logique
des droits de l'homme contre le monde occidental pour faire avancer des
revendications ethnoreligieuses. De la même manière, ils sauront user de ces
nouvelles dispositions pour présenter comme autant de propos haineux les
discours qui cherchent à contenir et refouler leur influence, notamment en
critiquant la stratégie de l'exhibitionnisme identitaire fondée en bonne partie
sur la promotion du voile islamique dans l'espace public. On cherchera à faire
passer toute critique un tant soit peu musclée de l'islamisme pour une forme de
haine raciale ou religieuse méritant sanction juridique et politique. Soit dit
en passant, en 2015-2016, le Québec est passé bien près d'adopter une loi qui
aurait entrainé une pénalisation de la critique des religions en général et de
l'islam en particulier. Elle était portée par une institution
paragouvernementale officiellement vouée à la défense et la promotion des droits
de la personne. On voit à quel point aujourd'hui, cette mouvance s'est
retournée contre les idéaux qu'elle prétend servir.
«Mais l'islamisme n'est pas l'islam, me direz-vous ?
C'est vrai. Mais il devrait être permis de critiquer aussi l'islam, à la fois
dans son noyau théologique et dans ses différentes variétés culturelles, tout
comme il est possible de critiquer n'importe quelle autre religion.»
Mathieu Bock-Coté
Mais l'islamisme n'est pas l'islam, me direz-vous? C'est
vrai. Mais il devrait être permis de critiquer aussi l'islam, à la fois dans
son noyau théologique et dans ses différentes variétés culturelles, tout comme
il est possible de critiquer n'importe quelle autre religion. À ce que j'en
sais, la critique abrasive, la moquerie, l'humour, la polémique, appartiennent
aussi au registre de la liberté d'expression en démocratie libérale. Il est à
craindre que dans une société de plus en plus patrouillée médiatiquement par la
bien-pensance progressiste, la critique de l'islam devienne tout simplement
inimaginable.
Le multiculturalisme comme religion politique de
Mathieu Bock-Côté, Éditions du Cerf, 2016, 367 p., 24 €
On en revient à l'essentiel: la restauration de la
démocratie libérale passe aujourd'hui par la restauration d'une liberté
d'expression maximale, qui ne serait plus tenue sous la tutelle et la surveillance
des lobbies qui participent à l'univers du politiquement correct. L'amendement
dont nous parlons propose exactement le contraire. C'est très inquiétant.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du
31/07/2017. Accédez
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Mark
Lilla/Laurent Bouvet: «La France résistera-t-elle au multiculturalisme américain ?»
Par Alexandre
Devecchio et Eléonore
de NoüelMis à jour le 19/10/2018 à 11h37 | Publié le 19/10/2018 à
05h00
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Dans son dernier livre, La
Gauche identitaire (Stock), l'universitaire américain Mark Lilla met
en garde la gauche française contre le piège de la politique des minorités qui
a causé la perte du Parti démocrate américain. L'essayiste et professeur de
science politique Laurent Bouvet dénonce, lui aussi, depuis plusieurs années,
cette dérive communautariste. Dialogue entre penseurs venus des deux rives de
l'Atlantique.
Mark Lilla, vous avez déclaré que votre livre est un
avertissement à la gauche française. Pourquoi?
Mark Lilla - La gauche américaine a
démissionné de sa responsabilité de faire de la politique. Son but est
désormais exclusivement - ou presque - culturel. J'appelle cela le tournant
identitaire: les efforts de la gauche sont orientés vers la reconnaissance des
individus en tant que tels. Le social et la lutte contre l'ultralibéralisme ne
sont plus sa priorité. Elle s'adonne à ce que j'appelle la «pseudo-politique».
Je crois qu'il est donc temps que la gauche renouvelle sa pensée et la logique
de son action, et j'aimerais éviter à la France les apories que notre gauche a
connues.
«Aux États-Unis, la volonté de dialogue avec ses
populations a disparu à gauche et elle a logiquement payé le prix»
Mark Lilla
Laurent Bouvet - Nous assistons à cela aussi en
France, l'émergence de ce que Marc appelle la gauche «des campus». Une gauche
présente dans les universités, et aussi à l'extrême gauche. On peut filer la
comparaison entre nos deux pays en remarquant qu'en France, comme aux États-Unis,
cette gauche a gagné toutes les tendances de la gauche: le Parti socialiste,
les Verts, etc. Ainsi, la lutte pour la reconnaissance des droits
individuels et des discriminations envers les minorités a pris le dessus sur
tous les autres enjeux.
Est-ce la cause profonde de l'échec d'Hillary Clinton?
Mark Lilla - J'ai écrit un article très
controversé à ce sujet dans le New York Times qui expliquait
que, pour comprendre cette défaite, il fallait remonter trente ans en arrière.
Ce n'est donc pas de la faute exclusive d'Hillary Clinton. La responsabilité en
incombe justement à cette pseudo-politique identitaire qui n'a pas su parler au
grand centre des États-Unis, ce vaste pays républicain ; dans certains
États, il n'existe même plus de bureau politique démocrate. La volonté de
dialogue avec ses populations a disparu à gauche et elle a logiquement payé le
prix. Il est très - trop - facile de se convaincre que ces gens-là sont des
racistes ou des fous religieux. Ce raisonnement n'est qu'une façon pour les démocrates
de justifier leur paresse.
Cela fait-il penser à cette France périphérique, mise en
évidence par Christophe Guilluy, qui vote Le Pen?
Laurent Bouvet - Oui, il y a là une analogie
frappante, mais qui ne concerne pas que la France ou les États-Unis. Cette
déconnexion entre une élite mondialisée, au vote progressiste, aux convictions
sécularisées, et les habitants des petites villes, au vote beaucoup plus
conservateur sur les valeurs, plus inquiet sur les questions économiques,
sociales et culturelles, se retrouve plus largement dans toute l'Europe, et
même au-delà désormais. Ce qui est spécifique aux États-Unis, c'est cette
scission entre deux types de populations, qui semble irrémédiable. Les côtes
très peuplées semblent en tout point opposées au centre du pays, comme s'il y
avait deux Amériques.
«Il y a une proportion importante des jeunes de moins de
25 ans qui se considèrent d'abord comme musulmans, et ensuite seulement
comme français.»
Laurent Bouvet
Nos modèles culturels diffèrent-ils également?
Laurent Bouvet - Oui, notre équation identitaire
est assez différente, et elle laisse encore une large part à la question de
l'intégration. Le problème que nous devons relever, ce sont ces citoyens qui
sont parfois français depuis deux ou trois générations mais qui ne sont
toujours pas intégrés. Dans ce contexte, toute une partie de l'islam s'est
érigée en opérateur identitaire de différenciation par rapport à l'ensemble
national. Il y a une proportion importante des jeunes de moins de 25 ans
qui se considèrent d'abord comme musulmans, et ensuite seulement comme
français, mais de façon très distante et souvent purement instrumentale. Cette
question n'existe pas sous cette forme aux États-Unis. Leur question
identitaire fondamentale est celle de la population noire, population présente
depuis le début de la formation du pays.
Ainsi, nous pouvons comparer nos deux pays sans oublier ces
deux points d'irréductibilité que sont la présence de l'islam comme deuxième
religion pour la France et la question noire pour les États-Unis.
C'est précisément ce qui empêche, à mon sens, notre gauche
identitaire française de bien analyser la situation du pays puisqu'elle importe
des grilles d'analyse américaines des campus. On le voit très bien dans le
domaine des sciences sociales. Les tenants de l'application de grilles
d'analyse américaines à la situation française se trompent lourdement, et de
plus refusent souvent tout débat, considérant qu'ils sont «les progressistes»,
la seule vraie gauche… Par exemple, cette distinction entre racisés et
non-racisés n'a en France aucun sens, tout simplement parce que l'expérience
des Noirs français et des Noirs américains n'est comparable ni historiquement
ni sociologiquement.
» LIRE AUSSI - Macron-Trump,
le choc de deux visions du monde
Le Parti démocrate a-t-il tiré les leçons de sa défaite?
Mark Lilla -En réalité, oui, un petit peu au moins.
Par nature, je ne suis pas très optimiste mais,depuis la victoire de Trump, de
nombreux citoyens ont décidé de s'engager auprès des démocrates. Ces personnes
ont des origines très variées (Blancs, Noirs, Indiens, etc.) mais, dans
leur campagne, ils ne mentionnent jamais leur identité et préfèrent parler des
problèmes locaux ou de Trump. Il y a l'exemple de cette candidate démocrate
transgenre qui s'est présentée contre un républicain et qui n'a jamais fait
référence à son identité sexuelle - bien qu'elle porte un foulard LGBT autour
du cou. C'est son adversaire qui a évoqué son orientation, et la femme a gagné.
«Les tenants de l'application de grilles d'analyse
américaines à la situation française se trompent lourdement.»
Laurent Bouvet
Ce qui m'intéresse dans cette prise de conscience qu'il faut
mettre de la distance par rapport aux revendications identitaires, c'est
qu'elle vienne «du bas», des militants de terrain et non des cadres du parti.
L'élite du Parti démocrate, qui est peu nombreuse et se trouve principalement à
Hollywood ou dans les universités, n'a pas de goût pour cette politique de la
base où il faut aller rencontrer son voisin, discuter avec lui.
La gauche française a subi, elle aussi, une défaite
historique lors de la dernière élection…
Laurent Bouvet - La gauche française n'a pas
encore tiré les leçons de sa défaite de 2017. Cette défaite n'était pas
seulement «historique» ou conjoncturelle, comme cela a pu se produire en 1993,
c'est une défaite qui vient de loin, que l'on pouvait anticiper. Je dirais une
défaite architectonique, c'est-à-dire une défaite qui tient de l'épuisement
idéologique profond de la gauche. Hors la France insoumise, qui doit beaucoup
au sens politique et au talent de Mélenchon, il n'y a plus de force politique
digne de ce nom aujourd'hui à gauche en France. La décomposition doit pourtant
encore se poursuivre avant une renaissance éventuelle.
Macron, qui parle de «mâles blancs», n'est-il pas
lui-même en voie de communautarisation?
Laurent Bouvet - Macron a été élu en partie par
des gens de gauche déçus du précédent quinquennat et qui voulaient continuer de
croire qu'un réformisme était possible - tout comme cette frange avait mis ses
espoirs dans Dominique Strauss-Kahn ou Michel Rocard. Le problème, c'est que
l'on comprend que cette politique-là est assez proche d'une politique libérale
de droite ou de centre-droit classique. Le deuxième point consiste à
reconnaître que, sur le plan culturel et identitaire, Macron est un libéral de
gauche. Autrement dit, un homme politique acquis au multiculturalisme,
c'est-à-dire écartant d'emblée l'idée d'un commun qui transcende les
différences individuelles et identitaires autrement que par l'échange, le
marché ou des communautés d'affinité identitaire. Macron défend certes une
forme de verticalité régalienne très française, mais elle est en permanence
parasitée et relativisée par une forme d'horizontalité culturelle, par exemple
dans sa reconnaissance appuyée des communautés religieuses. Historiquement, la
colonne vertébrale du commun français, c'est le lien entre le régalien et le
populaire, le haut et le bas. Or, si Macron a parfaitement compris la politique
par le haut, il ne parvient pas à relier son action et sa vision du pays, au
bas, au populaire. Il est à craindre que ce soit en raison d'une conviction
fondamentale de sa part: le peuple ne serait qu'un agglomérat d'individus, au
sens libéral du terme, et de groupes plus ou moins constitués autour
d'identités particulières. Ce en quoi il ne se distingue pas des élites qui
gouvernent l'État et dominent la société depuis des décennies. On a vu, par
exemple, le Président s'intéresser beaucoup à l'histoire mais sans jamais
réussir à nous montrer comment cette histoire qu'il exalte si souvent a fait le
peuple français dans sa spécificité.
«Macron défend certes une forme de verticalité régalienne
très française, mais elle est en permanence parasitée et relativisée par une
forme d'horizontalité culturelle»
Laurent Bouvet
Mark Lilla - Vos explications m'évoquent cette
boutade célèbre de Bertolt Brecht: «Puisque le peuple vote contre le
gouvernement, il faut dissoudre le peuple.» C'est ce qui se passe aussi aux
États-Unis avec les élites de gauche. On peut très bien se pavaner dans les
grandes sociétés, faire de la discrimination positive, mais ce n'est pas cela
le plus dur. Ce qui demande un effort, c'est d'écouter le peuple et ensuite de
proposer un programme. Par exemple, je suis intrigué par mes étudiants (de
gauche). L'été, ils partent construire des maisons au Nicaragua, aider les
femmes en Palestine. Mais jamais l'idée ne leur vient à l'esprit de partir dans
l'Iowa, à Détroit ou dans tout autre endroit sinistré des États-Unis. Ils se
sont construit un imaginaire romantique de l'Autre. À l'inverse, ces zones
américaines sinistrées sont perçues comme infernales, extrêmement dangereuses,
«une jungle remplie de tigres et de serpents». Finalement, la chose la plus
dure pour eux serait d'aller dans un petit café perdu du Wisconsin et de parler
avec les locaux. Nous avons parlé de la polarisation géographique des classes.
Nous assistons aussi à une reproduction sociale des élites - pour emprunter
l'expression bourdieusienne - très rapide. Et donc, cette nouvelle élite a
perdu la mémoire de ses ancêtres, cet imaginaire des travailleurs ouvriers. Il
n'y a pas de mémoire sociale pour cette élite. Il n'y a que les deux côtes. La
polarisation est donc bien réelle, au point que certains citoyens déménagent
des côtes pour rejoindre des États républicains afin de vivre au milieu de gens
qui pensent comme eux. Je crois que ce réflexe identitaire est très dangereux
pour la démocratie.
#MeToo a-t-il créé un élan émancipateur ou, au contraire,
enferme-t-il le féminisme dans une logique identitaire?
Mark Lilla - Il faut comprendre le phénomène #MeToo
dans un contexte large. Il constitue une étape dans la démocratisation,
c'est-à-dire dans l'extension de la logique démocratique. Il s'agissait de
comprendre que les femmes faisaient partie du monde du travail autant que les
hommes, et qu'elles avaient droit au même traitement. Il faut réécrire des
règles de comportement. Quelle ironie après les années 1960 et leur aspiration
à mettre fin à tous les tabous! Mais, ce qui est à craindre dans ce mouvement,
c'est peut-être l'esprit de vengeance incontrôlé. Et l'absence de présomption
d'innocence. Il y a le cas d'une revue dont tous les exemplaires ont été
détruits parce qu'un homme accusé d'agressions sexuelles avait écrit dedans. Un
maccarthysme inquiétant a frappé la société américaine. J'ai beau défendre le
fond de #MeToo, je détesterai toujours les moyens staliniens.
Laurent Bouvet, avez-vous été surpris que le mouvement
#MeToo ait eu un écho si important en France? Est-ce lié à une américanisation
de la société française?
Laurent Bouvet - Je trouve l'ampleur de
l'écho saisissante. Cela étant, la France a aussi produit des réactions
opposées, comme la tribune cosignée notamment par Catherine Deneuve ou le livre
d'Eugénie Bastié. Ces textes ont voulu montrer que les rapports hommes-femmes
en France ne sont pas exactement régis par les mêmes normes qu'aux États-Unis.
La notion de galanterie y est ainsi présentée en opposition au puritanisme
américain. Donc, si américanisation il y a, elle est à nuancer. J'ai été en
revanche surpris par le degré d'américanisation du féminisme français plus que
par celui de la société. Il y a une véritable américanisation des élites:
langage, concepts, manières de voir… Ce qui est drôle et paradoxal, c'est que
ces élites acquises à l'américanisme sociologique et culturel sont souvent
aussi les premières à critiquer l'Oncle Sam pour sa politique étrangère, et
plus largement pour son néolibéralisme économique!
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre
sur Twitter : @AlexDevecchio
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CHRONIQUE - Par paresse ou militantisme, les médias se sont
majoritairement faits complices des mensonges des dénégationnistes. Encore
aujourd'hui, le langage médiatique oblige le public à décrypter les
euphémismes.
La presse est chatouilleuse: elle aime faire la leçon mais
déteste en recevoir. Certes, les insanités déversées ces jours-ci par Jean-Luc
Mélenchon sur les dos de Radio
France et Mediapart ont dévoilé sa fièvre stalinienne. Ces
outrances contre des journalistes, coupables d'avoir mis le nez dans le
financement de La France insoumise, ont justifié la réplique solidaire, lundi,
des sociétés de journalistes, dont celle du Figaro. Reste que les
procès en superficialité, voyeurisme ou conformisme, instruits contre les
médias, ne sont pas tous infondés. Nombreux sont ceux qui concourent au
décervelage de l'opinion. Deux confrères du Monde, Fabrice Lhomme
et Gérard Davet, débarquent comme les carabiniers, ces jours-ci, pour décrire,
dans un livre salué par la caste, l'islamisation
de la Seine-Saint-Denis. Or cela fait plus de vingt ans que ce
basculement a été identifié par quelques-uns. Mais ceux-là, à en croire Lhomme
et Davet, n'étaient pas crédibles: ils faisaient de l'idéologie, tandis que les
deux compères feraient du journalisme. Quand la presse se laisse ainsi aller à
l'arrogance, elle montre son ridicule.
L'idéologie est bien l'écueil du journalisme. Mais, en
l'espèce, c'est elle qui a incité les sentencieux limiers du Monde à
ignorer la portée des révélations des premiers lanceurs d'alerte. Dès les
années 90, le journaliste du PointChristian Jelen, disparu depuis,
avait tout dit de la France éclatée, des casseurs de la République, de la
guerre des rues. En 2002, les auteurs desTerritoires perdus de la Républiquesonnaient
à leur tour le tocsin. Votre serviteur a apporté son lot, avec d'autres encore.
Cependant, parce qu'il ne fallait pas montrer les banlieues du doigt, ni
stigmatiser des minorités, ni discriminer l'immigration, ni contrarier l'islam,
ni faire le jeu du FN, une omerta a été avalisée par les autruches à carte de
presse. Ceux qui ont refusé cette chape de plomb ont, tous, été marginalisés et
caricaturés en fascistes et en racistes. Encore aujourd'hui, le langage
médiatique oblige le public à décrypter ses euphémismes, comme le faisait le
lecteur de l'Est sous la censure soviétique: un «jeune», une «cité sensible»,
une «voiture folle», un «déséquilibré», un «migrant» sont des mots flous jetés
comme des voiles pudiques.
La violence
à l'école et la perte d'autorité des enseignants font partie de
ces sujets qui s'observent à l'œil nu depuis des décennies, sans avoir pu
percer le mur du déni. «Menacer un professeur est inacceptable», a tweeté
samedi soir le président de la République. Sa réaction a répondu à la diffusion
d'une vidéo montrant un grand gaillard noir, élève d'un lycée de Créteil
(Val-de-Marne), en
train de pointer un revolver à billes sur la tempe d'une
enseignante passive. «Nous allons rétablir l'ordre», a également tonné
Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale. Reste que si cette
scène n'avait pas été diffusée sur les réseaux sociaux, rien n'aurait été
montré de ce qu'endurent des enseignants de certains établissements. Leur
parole se libérerait-elle enfin des silences imposés par le politiquement
correct? C'est ce que semble indiquer le succès que rencontre auprès des
professeurs le
hashtag #Pasdevague. Les enseignants y déplorent, sous prétexte de
bienveillance, la lâcheté des hiérarchies.
Les réalités le prouvent: par paresse ou militantisme, les
médias se sont majoritairement faits complices des mensonges des
dénégationnistes. Le discours dominant persiste à occulter tout ce qui peut
abîmer l'image des minorités protégées, surtout quand elles se laissent aller à
la violence, au racisme, à l'antisémitisme, à l'homophobie, au sexisme.
Actuellement, les mouvements LGBT s'indignent d'agressions physiques contre
certains couples homosexuels. Mais les dénonciateurs restent évasifs sur le
profil des brutes. Mardi, Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement
supérieur, s'est inquiétée de la
«recrudescence» des actes antisémites dans des établissements de
l'enseignement supérieur, sans en dire davantage. Or, sachant que le moindre
indice suffirait pour dénoncer l'extrême droite, il est loisible d'en conclure
que les réflexes pavloviens ne suffisent plus pour désigner les coupables
rêvés. Le courage de la vérité est l'impératif qui s'impose à ceux qui
s'estiment avoir été bernés par un discours aseptisé. Le conformisme et ses
œillères se révèlent être les ennemis de l'intelligence.
Écouter la sagesse collective
Les partis politiques sont les victimes de l'infantilisation
des discours. Ce petit monde roupille sur des idées dépassées. Elles sont de
moins en moins comprises par la société civile: elle n'a jamais rencontré
l'univers cotonneux du vivre-ensemble. Les plus lucides des militants
commencent, comme à La République en marche, à prendre conscience du vide qu'il
leur faut remplir. Tous ont à s'extraire des idées fausses colportées depuis
trente ans. L'audience que rencontre #Pasdevague n'est autre que le besoin des
gens de témoigner sans interdits de ce qu'ils vivent dans le monde réel.
L'Internet offre cette liberté. La macrocrature a raison de craindre cette
glasnost: elle annonce le bouleversement du jeu politique, confisqué aux mains
des professionnels, des technocrates, des experts. Les Français en colère ne se
laisseront plus museler. Actuellement, des automobilistes, assommés de taxes,
se mobilisent sur le Net pour manifester le 17 novembre.
Ce réveil de la société civile est une aubaine.
L'utilisation du Web a réussi à déstabiliser les citadelles médiatiques,
souvent contraintes de suivre les révélations des réseaux sociaux. Donald
Trump, honni des médias, a construit sa stratégie en s'appuyant sur cette
démocratie directe. La mise en valeur de cette intelligence collective, qui
alimente Google et Wikipédia, reste une perspective politique à exploiter.
Émile Servan-Schreiber a parié depuis longtemps sur ce bon sens collectif qu'il
utilise dans les marchés prédictifs. Il invite à aller plus loin (1) afin de
rendre plus intelligentes nos démocraties fatiguées. L'auteur écrit: «Les
responsables politiques pourraient interroger systématiquement la sagesse
collective des Français, via un marché prédictif moyen.» Il propose la mise en
place d'un ministère des pronostics. L'heure est venue, pour le peuple
raisonnable, de reprendre son destin en main.
La Commission européenne, qui
a rejeté mercredi le projet de budget de l'Italie pour 2019, n'entend
visiblement rien de l'aspiration des peuples à leur souveraineté. Le dogmatisme
dont Bruxelles fait preuve accélère sa séparation d'avec la démocratie.
(1) Supercollectif, Fayard.
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Goldnadel
: face au racisme anti-blanc, le « déni aveugle » des médias
FIGAROVOX/TRIBUNE - Gilles-William Goldnadel, réagissant au
clip raciste incitant au meurtre des blancs, s'en prend aux médias qui selon
lui refusent de voir dans cet événement une inquiétante montée de la haine
raciale.
Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Toutes
les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.
Je professe depuis longtemps l'idée, médiatiquement ingrate,
que le racisme anti blanc-pour le nommer crûment- incarne la zone noire d'une
idéologie encore dominante et qui se caractérise précisément par sa pathologie
anti-occidentale.
L'affaire du rappeur raciste et noir appelant en chantant à
massacrer les enfants blancs jusque dans leurs crèches, m'a servi cette semaine
sur un plateau des provisions, surabondantes jusqu'à m'étouffer, pour établir
ma thèse.
Les
Décodeurs du Monde m'ont en effet fait le reproche personnaliséd'avoir
donné une publicité injustifiée à ce qui n'était que l'œuvre artistique isolé
d'un rappeur méconnu.
Je reconnais ici m'être posé la question, pour y répondre
immédiatement, qu'il convenait de faire savoir massivement jusqu'à quels excès
de haine confinait désormais cette détestation croissante de l'homme blanc
occidental.
Loin en réalité d'être un acte isolé, notamment dans le
monde des rappeurs bénéficiant jusqu'alors d'une indulgence judiciaire
idéologisée, ce sadisme chromatique en chanson n'est jamais qu'un degré de plus
sur l'échelle de la détestation du blanc. Comme l'a remarqué Alexandre
Devecchio, avant lui, Booba s'était proposé d'enc.. la France avec de l'huile
et Médine de crucifier les laïcs sur quelque Golgotha fantasmatique.
Surtout, le reproche anti-publicitaire, émanant de ceux,
soudainement pris d'une crise de pudeur de violette, qui auront passé leur vie
à traquer les signes parfois les plus discutables du racisme occidental, ne
peut pas être pris autrement que comme une tentative de diversion au moins
inconsciente.
Ce sont en effet les mêmes qui donnent une publicité massive
à la pose d'une tête de porc devant une mosquée par un inconnu encore plus
inconnu qu'un rappeur dont on connaît le patronyme, ce sont eux qui, tels des
chiens truffiers, traquent avec gourmandise un salut nazi par un inconnu dans
une manifestation populiste, ce sont eux qui prétendent avoir aperçu un
allemand inconnu courser un migrant inconnu dans une ville peu connue.
Dans le même temps, le responsable des Décodeurs du
Monde, Samuel Laurent, comparait l'artiste de rap raciste, aux chansons
insolentes de Georges Brassens.
Dans le même temps, le journal Le Monde aura publié un
article sur un père inconnu donc on connaît désormais le patronyme et qui
aurait, paraît-il, été gagné par la haine après avoir perdu son fils dans
l'attentat du Bataclan.
Dans le même temps, le responsable des Décodeurs du même
journal, Samuel Laurent, comparait sur la Cinq l'artiste de rap raciste, aux
chansons insolentes de Georges Brassens.
Le fait que celui-ci, loin de plaider le délire
hallucinatoire, légitimait ses propos par les thèses de Malcom X et le racisme
blanc, ne lui posait problème. Un peu comme si je chantonnais une ritournelle,
aidé de mon harmonica, proposant d'empoisonner les enfants d'aujourd'hui de
Germanie, histoire de me revancher d'Hitler et de sa compagnie.
Décidément, je fus bien inspiré de faire connaître
publiquement non seulement jusqu'où menait la haine du blanc, mais encore
jusqu'à quelles ressources de l'imagination débridée conduisait le désir
idéologique effréné de vouloir la nier.
Je gagerais que si quelques rockers identitaires aux visages
pâles s'étaient proposés en chantant d'occire quelques musulmans ou encore
quelques juifs, la compréhension de leur liberté artistique se serait faite
plus raisonnable.
En réalité, ce déni aveugle du racisme anti- blanc qui va
jusqu'à extrémiser vers la droite ou dans la fâcheuse sphère ceux qui le
dénoncent, est à ranger dans la même catégorie idéologique que ceux qui
taxaient d'islamophobes et de racistes les malheureux qui prétendaient il y a
10 ans qu'il existait un antisémitisme islamique qui allait grandissant.
On a vu que les élites politiques françaises ont été
largement contaminées par cet aveuglement médiatique qui
Les élites politiques françaises ont été contaminées par
un aveuglement médiatique
aura tout entrepris pour empêcher la résistance nécessaire à
un phénomène désormais criminel, peut-être irrépressible.
Sur le fond, ce crescendo de haine des bas-fonds de la
société n'a rien d'étonnant dès lors où, précisément, certaines élites
mondaines se plaisent à user d'une liberté de ton exclusivement à l'encontre
des blancs, qu'ils n'oseraient jamais utiliser-ils ne le pourraient d'ailleurs
pas sans être légitimement morigénés- à l'égard d'une autre catégorie ethnique.
C'est ainsi que l'on aura laissé organiser des camps
racisés, de fait interdits aux blancs, sans que l'antiracisme professionnel
aujourd'hui idéologiquement dévoyé ne fasse entendre sa voix soudainement très
discrète.
C'est ainsi que la présidente de France Télévision, soutenue
par sa ministre de tutelle à la Culture a appelé publiquement à ce qu'il y ait
moins de blancs à la télévision publique.
C'est ainsi encore et surtout que le président d'une
république qui s'interdit constitutionnellement la moindre distinction par la
couleur de peau, aura trouvé progressiste de contester la possibilité qu'un
mâle blanc puisse être encore légitime à donner son opinion sur la manière de
gérer les banlieues.
Est-il possible pour l'insoutenable légèreté politique et
médiatique de comprendre que la sensibilité et même la susceptibilité n'ont pas
de couleur?
Car ce racisme anti-blanc occasionné par un racialisme
obsessionnel et victimaire, médiatiquement publicisé de manière gratifiante,
aura réussi l'exploit affligeant de faire en sorte que le blanc réapprenne sa
couleur oubliée par bonheur.
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Pina: «Le clip de Nick Conrad illustre la montée de la haine raciale en
France»
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«Le politiquement correct se radicalise au rythme où la société
diversitaire se décompose»
Gilles William Goldnadel
Goldnadel
: face au racisme anti-blanc, le « déni aveugle » des médias
FIGAROVOX/TRIBUNE - Gilles-William Goldnadel, réagissant au
clip raciste incitant au meurtre des blancs, s'en prend aux médias qui selon
lui refusent de voir dans cet événement une inquiétante montée de la haine
raciale.
Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Toutes
les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.
Je professe depuis longtemps l'idée, médiatiquement ingrate,
que le racisme anti blanc-pour le nommer crûment- incarne la zone noire d'une
idéologie encore dominante et qui se caractérise précisément par sa pathologie
anti-occidentale.
L'affaire du rappeur raciste et noir appelant en chantant à
massacrer les enfants blancs jusque dans leurs crèches, m'a servi cette semaine
sur un plateau des provisions, surabondantes jusqu'à m'étouffer, pour établir
ma thèse.
Les
Décodeurs du Monde m'ont en effet fait le reproche personnaliséd'avoir
donné une publicité injustifiée à ce qui n'était que l'œuvre artistique isolé
d'un rappeur méconnu.
Je reconnais ici m'être posé la question, pour y répondre
immédiatement, qu'il convenait de faire savoir massivement jusqu'à quels excès
de haine confinait désormais cette détestation croissante de l'homme blanc
occidental.
Loin en réalité d'être un acte isolé, notamment dans le
monde des rappeurs bénéficiant jusqu'alors d'une indulgence judiciaire
idéologisée, ce sadisme chromatique en chanson n'est jamais qu'un degré de plus
sur l'échelle de la détestation du blanc. Comme l'a remarqué Alexandre
Devecchio, avant lui, Booba s'était proposé d'enc.. la France avec de l'huile
et Médine de crucifier les laïcs sur quelque Golgotha fantasmatique.
Surtout, le reproche anti-publicitaire, émanant de ceux,
soudainement pris d'une crise de pudeur de violette, qui auront passé leur vie
à traquer les signes parfois les plus discutables du racisme occidental, ne peut
pas être pris autrement que comme une tentative de diversion au moins
inconsciente.
Ce sont en effet les mêmes qui donnent une publicité massive
à la pose d'une tête de porc devant une mosquée par un inconnu encore plus
inconnu qu'un rappeur dont on connaît le patronyme, ce sont eux qui, tels des
chiens truffiers, traquent avec gourmandise un salut nazi par un inconnu dans
une manifestation populiste, ce sont eux qui prétendent avoir aperçu un
allemand inconnu courser un migrant inconnu dans une ville peu connue.
Dans le même temps, le responsable des Décodeurs du
Monde, Samuel Laurent, comparait l'artiste de rap raciste, aux chansons
insolentes de Georges Brassens.
Dans le même temps, le journal Le Monde aura publié un
article sur un père inconnu donc on connaît désormais le patronyme et qui
aurait, paraît-il, été gagné par la haine après avoir perdu son fils dans
l'attentat du Bataclan.
Dans le même temps, le responsable des Décodeurs du même
journal, Samuel Laurent, comparait sur la Cinq l'artiste de rap raciste, aux
chansons insolentes de Georges Brassens.
Le fait que celui-ci, loin de plaider le délire
hallucinatoire, légitimait ses propos par les thèses de Malcom X et le racisme
blanc, ne lui posait problème. Un peu comme si je chantonnais une ritournelle,
aidé de mon harmonica, proposant d'empoisonner les enfants d'aujourd'hui de
Germanie, histoire de me revancher d'Hitler et de sa compagnie.
Décidément, je fus bien inspiré de faire connaître
publiquement non seulement jusqu'où menait la haine du blanc, mais encore
jusqu'à quelles ressources de l'imagination débridée conduisait le désir
idéologique effréné de vouloir la nier.
Je gagerais que si quelques rockers identitaires aux visages
pâles s'étaient proposés en chantant d'occire quelques musulmans ou encore
quelques juifs, la compréhension de leur liberté artistique se serait faite
plus raisonnable.
En réalité, ce déni aveugle du racisme anti- blanc qui va
jusqu'à extrémiser vers la droite ou dans la fâcheuse sphère ceux qui le
dénoncent, est à ranger dans la même catégorie idéologique que ceux qui
taxaient d'islamophobes et de racistes les malheureux qui prétendaient il y a
10 ans qu'il existait un antisémitisme islamique qui allait grandissant.
On a vu que les élites politiques françaises ont été largement
contaminées par cet aveuglement médiatique qui
Les élites politiques françaises ont été contaminées par
un aveuglement médiatique
aura tout entrepris pour empêcher la résistance nécessaire à
un phénomène désormais criminel, peut-être irrépressible.
Sur le fond, ce crescendo de haine des bas-fonds de la
société n'a rien d'étonnant dès lors où, précisément, certaines élites
mondaines se plaisent à user d'une liberté de ton exclusivement à l'encontre
des blancs, qu'ils n'oseraient jamais utiliser-ils ne le pourraient d'ailleurs
pas sans être légitimement morigénés- à l'égard d'une autre catégorie ethnique.
C'est ainsi que l'on aura laissé organiser des camps
racisés, de fait interdits aux blancs, sans que l'antiracisme professionnel
aujourd'hui idéologiquement dévoyé ne fasse entendre sa voix soudainement très
discrète.
C'est ainsi que la présidente de France Télévision, soutenue
par sa ministre de tutelle à la Culture a appelé publiquement à ce qu'il y ait
moins de blancs à la télévision publique.
C'est ainsi encore et surtout que le président d'une
république qui s'interdit constitutionnellement la moindre distinction par la
couleur de peau, aura trouvé progressiste de contester la possibilité qu'un
mâle blanc puisse être encore légitime à donner son opinion sur la manière de
gérer les banlieues.
Est-il possible pour l'insoutenable légèreté politique et
médiatique de comprendre que la sensibilité et même la susceptibilité n'ont pas
de couleur?
Car ce racisme anti-blanc occasionné par un racialisme
obsessionnel et victimaire, médiatiquement publicisé de manière gratifiante,
aura réussi l'exploit affligeant de faire en sorte que le blanc réapprenne sa
couleur oubliée par bonheur.
La rédaction vous conseille :
- Céline
Pina: «Le clip de Nick Conrad illustre la montée de la haine raciale en
France»
- «Pendez
les Blancs!»: un clip de rap suscite un tollé et déclenche une enquête
- Comment
le racialisme indigéniste gangrène l'Université
- Bock-Côté:
«Le politiquement correct se radicalise au rythme où la société
diversitaire se décompose»
Gilles William Goldnadel
La CEDH
contre la liberté de conscience des maires
FIGAROVOX/TRIBUNE - La Cour européenne des droits de l'homme
a jugé irrecevable la requête introduite en 2015 par des maires refusant de
célébrer les « mariages pour tous ». Grégor Puppinck regrette que les juges,
pourtant prompts à s'emparer des requêtes concernant la GPA, ne se soucient pas
davantage de défendre la liberté de conscience.
- Crédits photo : Editions du Cerf
Grégor Puppinck est docteur en droit et directeur du
Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ). Il est membre du panel
d'experts de l'OSCE sur la liberté de conscience et de religion. Il est
l'auteur d'une étude surl'objection
de conscience et les droits de l'homme, publiée aux éditions du CNRS en
2016. Prochain livre à paraître: Les
droits de l'homme dénaturé, Le Cerf, novembre 2018.
Un simple courrier, signé par un seul juge et sans
justification: c'est
ainsi que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a déclaré irrecevablela
requête introduite en 2015 par 146 maires et adjoints au maire refusant de
célébrer des mariages entre personnes de même sexe. La presse a d'ailleurs été
informée de cette décision avant même les requérants, ce qui montre bien le
caractère politique de la décision en elle-même.
Ces maires ne prétendaient pourtant pas empêcher de tels
mariages dans leur commune, ils demandaient seulement à ne pas être contraints
de les célébrer eux-mêmes, sachant que tout élu municipal, et même le préfet,
peut célébrer les mariages. C'est donc leur conviction elle-même quant à la
nature du mariage qui est condamnée.
Ce jugement expéditif et arbitraire est d'autant plus
révoltant que plus de 20 000 élus municipaux français, dont de nombreux maires,
se sont déclarés opposés à la célébration de mariages entre personnes de même
sexe. Ils n'ont plus qu'à démissionner ou à attendre d'être condamnés à des
peines pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros
d'amende. Ils sont ainsi jetés en pâture aux associations LGBT qui pourront les
poursuivre en justice et leur faire payer, au sens propre, leurs convictions.
Certes, dans une précédente affaire de 2013, la CEDH avait
déjà validé le licenciement pour faute d'une employée de mairie en raison de
son désir de ne pas être affectée à la célébration des unions civiles
homosexuelles. Mais la Cour avait néanmoins admis que la conviction de cette
femme bénéficie de la protection accordée par la Convention européenne des
droits de l'homme à la liberté de conscience et de religion et que «l'État a
l'obligation positive d'assurer le respect de ce droit».
La CEDH ne s'embarrasse plus d'une telle précaution dans ce
cas et rejette le recours sans autre forme de procès.
Les « nouveaux droits » progressistes entrent en
collision avec les droits naturels.
Les décisions adoptées par «juge unique» sont les moins
importantes car manifestement irrecevables aux yeux de la Cour. Elles sont en
fait préparées par de simples juristes et signées «à la chaîne» par un juge
qui, bien souvent, n'a pas même le temps de lire le dossier. Elles ne sont pas
publiées et tombent dans l'oubli.
A contrario, la Cour accorde un traitement prioritaire aux
affaires soutenues par les ONG et militants LGBT. En mars 2018, une requête
d'un couple ayant eu recours à une mère porteuse à l'étranger a été communiquée
au gouvernement français seulement 27 jours après son introduction. Ce délai
exceptionnel témoigne du deux poids, deux mesures dont certains juges font
preuve sur les questions de société.
La Cour est d'ailleurs incohérente avec sa propre
jurisprudence. Elle avait déjà accepté de juger, parfois même en Grande
Chambre, des affaires d'objection de conscience à la chasse, à l'inscription à
la sécurité sociale, au paiement de l'impôt et même au fait, pour un détenu, de
devoir se raser. On ne saurait prétendre que l'affaire des maires soit
insignifiante, alors même que les cours suprêmes des États-Unis puis du
Royaume-Uni viennent de rendre coup sur coup des décisions retentissantes
donnant raison à des artisans pâtissiers refusant de fabriquer des gâteaux de
mariage pour des couples d'hommes!
L'affaire des maires est évidemment de première importance,
et le choix de la Cour ne peut pas s'expliquer autrement que par la volonté de
la minimiser. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que cela arrive. Les cas
sont innombrables de médecins, infirmières, employés, fonctionnaires,
sages-femmes, magistrats, pharmaciens, chercheurs, enseignants qui ont été
licenciés, voire condamnés pénalement, pour avoir critiqué ou refusé
d'accomplir des pratiques jugées autrefois immorales et interdites. Certains
ont saisi la Cour européenne: ils s'appellent Ferrin-Calamita, Ladele, Pichon,
Sajous, McFarlane, Diez, Grimmark, Steen, etc. Mais à ce jour, aucun d'entre
eux n'a eu gain de cause. La Cour européenne a ainsi rejeté, parfois même sans
examen approfondi, la requête d'un magistrat espagnol destitué et condamné pour
avoir tardé à confier un enfant pour adoption à un couple de femmes, celle d'un
médecin en grave dépression ne supportant plus de devoir pratiquer des
diagnostics prénatals eugéniques, celle d'un conseiller matrimonial licencié
après s'être déclaré incapable de conseiller sexuellement les couples homosexuels,
etc. Combien de vies professionnelles détruites!
Combien de vies professionnelles détruites !
À titre d'illustration, en 2014, la Cour a rejeté, sans
fournir d'explication, le recours de 305 familles espagnoles condamnées pour
avoir refusé de soumettre leurs enfants à un cours de «citoyenneté» imposé par
le gouvernement Zapatero à toutes les écoles, parce qu'elles le jugeaient
indécent et idéologique. Plus de 50 000 familles avaient alors objecté avec le
soutien des évêques catholiques! Elles aussi furent condamnées au nom de la
«tolérance» et du «vivre ensemble» par une idéologie qui ne supporte pas la
contradiction.
En fait, le progressisme s'avère intrinsèquement répressif
et s'est d'ailleurs toujours présenté comme tel, comme marchant sur les cadavres
des attardés du «progrès de la conscience humaine». Depuis qu'il a retrouvé
quelque vigueur en faisant des réformes «sociétales» son nouvel horizon, le
progressisme révèle de nouveau son intransigeance et actualise le mot d'ordre
de la Terreur: «Pas de liberté pour les ennemis de la liberté».
Les «nouveaux droits» progressistes entrent en effet en
collision avec les droits naturels: le droit à l'enfant se heurte aux droits de
l'enfant, le droit à l'avortement ou au suicide assisté se heurte au droit à la
vie, le droit au «mariage pour tous» se heurte à la liberté de conscience. Du
point de vue progressiste, plus un droit est antinaturel, c'est-à-dire
contraire à la nature humaine, plus il est perçu comme une haute manifestation
de la liberté de l'homme, et plus il est élevé dans la nouvelle hiérarchie des
droits. Inversement, les droits simplement naturels - respect de la vie, de la
conscience, des droits parentaux, d'être élevé par ses parents - sont
rabaissés, moins protégés car ils découleraient d'une conception plus
«primitive» de l'homme.
Cette nouvelle décision de la CEDH ouvre la porte à des
condamnations en série d'élus municipaux à l'instigation de militants de la
cause LGBT. Le seul motif donné par la Cour à l'appui de sa décision serait que
les élus agissent au nom de l'Etat, comme officier d'état civil, et non pas
comme «particulier». On ne voit toutefois pas en quoi cela annihilerait leur
conscience. C'est ce même argument qui est utilisé dans toutes les dictatures
pour mettre au pas l'administration, et c'est contre lui que la liberté de
conscience a été réaffirmée après-guerre.
Le progressisme s'avère intrinsèquement répressif.
La liberté de conscience est le fondement de toute liberté
et de toute véritable démocratie, surtout lorsqu'il s'agit de la conscience des
élus. Plus que jamais, il est choquant de voir cette instance oser se définir
elle-même comme «La Conscience de l'Europe» ; l'unique conscience conviendrait
mieux aujourd'hui. Et quel triste paradoxe de voir cette Cour, qui se prétend
pourtant gardienne du pluralisme, contribuer ainsi - avec toute la force du
droit - à l'imposition des nouveaux dogmes de la bien-pensance.
Par cette nouvelle décision, des juges de la Cour
confondent, une fois encore, les droits de l'homme avec l'idéologie
libérale-libertaire, et laissent l'État l'imposer par la force. Jamais les
rédacteurs de la Convention européenne n'auraient eu l'indécence d'imaginer un
seul instant que leur texte puisse un jour servir à imposer de telles
iniquités. L'idéologisation des droits de l'homme est devenue aujourd'hui, et
c'est terrible de devoir le dire, la principale menace qui pèse sur la Cour
elle-même. Elle est aussi la principale cause de sa critique, légitime et
nécessaire.
Il faut être un idéologue forcené pour ne pas voir que cette
direction conduit tout droit à la catastrophe. La prochaine remise en cause de
la Cour pourrait survenir dès le 25 novembre prochain, à l'issue de la votation
par laquelle le peuple Suisse est invité à instaurer la primauté de sa constitution
sur les jugements de la Cour de Strasbourg, comme le fit la Douma Russe en
2015.
Quel gâchis!
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place pour la liberté de conscience dans les sociétés libérales?
Grégor Puppinck
Quelle
place pour la liberté de conscience dans les sociétés libérales ?
FIGAROVOX/ENTRETIEN - La Cour suprême des États-Unis a donné
raison au pâtissier ayant refusé de préparer un gâteau pour un mariage
homosexuel. Grégor Puppinck decrypte cet arrêt et considère que la liberté de
conscience est la «roue de secours» d'une société libérale.
Grégor Puppinck est docteur en droit et directeur
du European Centre for Law and Justice
(ECLJ). Il est membre du panel d'experts de l'OSCE sur la liberté de
conscience et de religion. Il est l'auteur d'une étude sur l'objection
de conscience et les droits de l'homme, publiée aux éditions du CNRS en
2016.
FIGAROVOX.- Quelles sont les conséquences de la décision
rendue lundi par la Cour suprême des États-Unis?
Grégor PUPPINCK.- Même lorsque l'on connaît
l'importance du «wedding cake» dans un mariage américain, cette affaire a l'air
d'une plaisanterie insolite! Préparer un gâteau pour la fête d'un «mariage
homosexuel» n'est qu'une coopération très éloignée à ce mariage. Un artisan-pâtissier
a pourtant refusé de créer ce gâteau, en invoquant le respect de sa liberté
d'expression et de ses convictions morales et religieuses. Le couple d'hommes
l'a traîné pendant six années devant les tribunaux pour cette raison.
En réalité, ce combat juridique est révélateur des
difficultés causées par le pluralisme croissant des sociétés occidentales où
les «nouveaux droits» se heurtent aux anciens. Il est difficile de faire
coexister les militants LGBT et les personnes qui estiment que l'homosexualité
est peccamineuse. La Cour suprême a donné raison au pâtissier, en affirmant la
protection des «objections religieuses et philosophiques au mariage gay». C'est
donc une victoire pour la liberté de conscience.
Cependant, cette décision a une portée limitée, car les
juges américains ont tranché sur un aspect secondaire de l'affaire, estimant
que les autorités du Colorado avaient fait preuve d'une «animosité évidente et
inadmissible» à l'encontre de la foi chrétienne du pâtissier, dont les
convictions ont été traitées de «rhétorique méprisable».
Vous œuvrez depuis plusieurs années à défendre le droit à
l'objection de conscience à la CEDH. Pensez-vous que la décision américaine
puisse influencer le juge européen?
La Cour suprême a en effet une forte influence sur la CEDH.
Les grandes juridictions internationales essaient donc d'être à l'unisson.
Elles communiquent entre elles, de manière informelle, pour éviter de se
contredire sur un même sujet.
Face au mariage homosexuel, c'est peut-être même la CEDH qui
a influencé la Cour suprême, en reconnaissant dès 2013 le principe du droit à
l'objection de conscience. Dans les prochains mois ou années, la CEDH et le
Comité des droits de l'homme des Nations unies vont se prononcer sur le cas de
maires français qui contestent le caractère absolu de l'obligation qui leur est
faite de célébrer des mariages entre personnes de même sexe. Contrairement au
pâtissier américain, ces élus participent directement au mariage, la
justification de leur objection est donc plus solide.
Nous ne sommes pas des défenseurs inconscients de ce droit,
mais cherchons à le définir strictement pour mieux le défendre. Nous avons
travaillé auprès de la CEDH sur des cas d'objection au service militaire, à la
chasse, à l'avortement ou encore aux vaccins.
Vous défendez aussi la liberté de conscience des
pharmaciens...
Un pharmacien français a récemment été condamné pour avoir
refusé de délivrer un stérilet à une militante du Planning familial venue pour
le tester. Il nous a demandé de l'aider et déposera bientôt une requête à la
CEDH. Nous estimons que la sanction qu'il a subie n'était pas nécessaire, et a
donc violé sa liberté de conscience.
La loi française reconnaît le droit à l'objection de
conscience à toutes les professions médicales, sauf aux pharmaciens.
Son cas est loin d'être isolé: nous diffuserons à l'occasion
de la requête de nombreux témoignages de pharmaciens français ayant été
licenciés ou contraints d'abandonner l'exercice de leur profession par fidélité
à leurs convictions. Une jeune fille nous a expliqué s'être réorientée après
six années d'études, pour éviter la violation de sa conscience: «parce que la
pilule du lendemain [...] va empêcher la nidation, je me dis que je ne peux pas
empêcher [un] petit être de vivre ; je vais participer, en vendant la pilule du
lendemain à l'interruption de sa vie, donc en conscience je ne peux pas».
Toutes ses collègues qui ne voulaient pas vendre la pilule du lendemain sont
parties, précise-t-elle, «parce qu'en pratique ce n'est pas possible».
Nous dénonçons en outre l'incohérence de la loi française
qui reconnaît le droit à l'objection de conscience à toutes les professions
médicales sauf aux pharmaciens, alors même qu'ils sont aujourd'hui en première
ligne dans la délivrance de produits abortifs, et demain peut-être
euthanasiques. Comme nous l'a expliqué une femme pharmacien, cela révèle un
réel mépris de cette profession: «vous êtes là juste pour vendre les boîtes,
vous vous taisez et vous faites ce que l'on vous dit». Or, les pharmaciens
doivent avoir un rôle de soignants et de conseil: «certaines filles sont venues
me remercier en me disant: «le fait que vous ayez refusé la vente m'a permis de
voir les choses autrement et de mûrir ma décision».
En quoi consiste exactement la reconnaissance d'un droit
à l'objection de conscience? Cela signifie-t-il que les membres de certaines
communautés peuvent échapper au droit commun, ou du moins à certaines règles,
au nom de leur conscience? La conscience individuelle peut-elle être au-dessus
des lois?
La reconnaissance du droit à l'objection de conscience est
récente, elle accompagne le développement de la société libérale et sa
déconnexion du droit de la morale. Avant, l'objection de conscience était
conçue seulement comme un devoir de résister à des ordres gravement injustes.
C'est ainsi que la CEDH a validé la condamnation de fonctionnaires soviétiques
pour avoir exécuté de tels ordres. Dans ces affaires, la Cour de Strasbourg, à
la suite des procès de Nuremberg, a clairement reconnu que la conscience personnelle
est toujours au-dessus des lois positives: elle doit les juger, et
éventuellement refuser de s'y conformer.
S'il est possible de faire coexister deux moralités au
sein d'une société libérale et pluraliste, cela ne l'est pas au sein d'une même
personne.
Il en va différemment des sociétés libérales où
l'affirmation du principe de tolérance fait coexister deux niveaux de moralité
- un public et un privé, conduisant d'une part la société à dépénaliser des
pratiques «immorales» privées, et d'autre part les individus à tolérer
socialement des pratiques qu'ils réprouvent à titre privé. Or, si cette
tolérance est indolore pour la majorité des citoyens, elle ne l'est pas pour la
minorité concernée directement par la réalisation de la pratique en cause ;
car, pour prendre un exemple, c'est une chose de tolérer l'euthanasie, c'en est
une autre de devoir la pratiquer soi-même. S'il est possible de faire coexister
deux moralités au sein d'une société libérale et pluraliste, cela ne l'est pas
au sein d'une même personne.
Ainsi, la liberté que la société libérale accorde aux
individus à l'égard de pratiques moralement débattues et qui ont souvent été
longtemps prohibées ne peut être équitable que si elle garantit à ceux qui les
réprouvent moralement le droit de ne pas être contraint d'y concourir. La
clause de conscience garantit précisément ce droit, elle est un mécanisme par
lequel la société libérale organise la coexistence des deux niveaux de moralité
; elle évite la «dictature de la majorité» et que la tolérance devienne
elle-même intolérante en condamnant des citoyens coincés par leur situation
professionnelle entre les deux niveaux de moralité.
Mais quand même... ne craignez-vous que la liberté de
conscience puisse servir d'arme politique pour renforcer le communautarisme,
notamment religieux?
Ce risque existe. Plus encore, le pluralisme croissant de la
société révèle que le droit à l'objection de conscience, comme notion libérale
imprégnée de relativisme et de subjectivisme, est en fait impraticable. Il est
à redouter que, submergés de diverses revendications d'objections, les juges
n'en viennent à les refuser toutes au nom de l'égalité devant la loi positive,
réduisant alors à néant la garantie de la liberté de conscience et de religion.
Une clarification de la notion d'objection de conscience s'impose donc, non pas
pour étendre son champ d'application au point de la rendre indéfendable, mais
au contraire pour mieux la définir afin que le droit à l'objection puisse être
garanti dans une juste mesure. C'est l'objet de mon étude publiée en 2016 que
de dégager des critères pour extraire la liberté de conscience du relativisme
libéral et sauver ainsi ce droit, car la conscience reste l'ultime témoin de la
justice.
Une objection strictement religieuse ne peut prétendre
être juste.
Un premier critère tient à la définition même de
l'objection, mais est généralement ignoré. Il repose sur la distinction entre
l'action et l'abstention. L'objection de conscience ne concerne que la
situation dans laquelle une personne est contrainte d'accomplir un acte que sa
conscience proscrit (un mal), et non pas celle où une personne est empêchée
d'accomplir un acte que sa conscience prescrit (un bien). Cette distinction est
essentielle. Ainsi, on ne peut pas invoquer le droit à l'objection contre le
fait d'être empêché de porter la burqa, mais seulement contre celui d'être
forcé de la porter. Cette distinction repose sur la dissymétrie entre le bien
et le mal, puisque faire le bien est une question de proportion - cela doit
être modulé selon les circonstances -, tandis qu'éviter le mal est une question
de principe, quelles que soient les circonstances. Le cas où une personne est
empêchée de réaliser tout ou partie d'un bien que sa conscience prescrit (le
cas d'Antigone) relève du régime ordinaire de la limitation de la manifestation
des convictions.
Le second critère réside dans la distinction entre la foi et
la raison, entre religion et morale, et par suite entre les objections, selon
qu'elles sont fondées sur une conviction religieuse ou morale. La différence
entre objection morale et religieuse consiste en ce que la première peut
prétendre être objectivement juste: sa revendication porte sur la justice. Par
exemple, il est injuste de tuer un être innocent... À l'inverse, une objection
strictement religieuse ne peut prétendre être juste, par exemple, travailler
durant le sabbat n'est pas injuste en soi, c'est impie. La revendication d'une
objection religieuse porte alors non pas sur la justice, mais sur la liberté de
la personne de se conformer à ses convictions religieuses. Il en résulte que
refuser de faire droit à une objection religieuse n'est pas nécessairement une
injustice. Différemment, face à une véritable objection morale, les autorités
ne peuvent la méconnaître sans commettre une injustice. La difficulté consiste
bien sûr à reconnaître une véritable objection morale. En pratique, une telle
objection se reconnaît en ce qu'elle vise le respect d'une liberté ou d'un
droit fondamental et qu'elle s'oppose à un ordre qui y déroge. C'est le cas
notamment de l'avortement ou de l'euthanasie dont la pratique n'est possible
que par dérogation au respect de la vie. Un critère complémentaire, kantien,
consiste à se demander si l'objection en cause est universalisable.
Finalement, l'objection de conscience nous rappelle que la
justice est située au-delà du droit positif et c'est bien là toute la
difficulté. Sa pratique est un signal d'alerte pour toute la société. Si de
nombreuses personnes refusent de pratiquer un acte, les autorités publiques ne
devraient pas chercher à les y forcer, mais plutôt s'interroger sur les causes
de ce refus, car ce n'est pas la loi, mais bien la conscience personnelle qui
est l'ultime juge et témoin de la justice.
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Blasphème
et sexe en une : l'esprit Charlie Hebdo est toujours là !
Les sémiologues et spécialistes des médias, Dominique Wolton
et Jean-Didier Urbain, ont analysé pour Le Figaro la
couverture du journal satirique sorti ce matin. Pour eux, elle ne déroge pas à
la ligne éditoriale de son titre.
«Un numéro normal», voilà ce que souhaitait Gérard Biard,
rédacteur en chef deCharlie
Hebdo pour le «journal des survivants». La couverture est une
représentation de Mahomet. Selon Dominique Wolton, sociologue des médias, trois
buts s'en dégagent. Le premier vise à «montrer l'attachement et la fidélité aux
valeurs qui ont fait Charlie Hebdo, notamment le droit à la
caricature des prophètes».
Le second vise à décrédibiliser les auteurs des massacres
perpétrés disaient-ils, au nom de l'islam. En représentant Mahomet comme
défenseur de la liberté de la presse et de la liberté d'expression grâce au
panneau qu'il tient dans ses mains, «les fanatiques et les terroristes sont
désavoués». Enfin, le dernier élément majeur de la caricature est un «clin d'œil
fait aux trois religions monothéistes» (Christianisme, Islam, Judaïsme) en
utilisant l'expression «Tout est pardonné». Une des valeurs communes de ces
trois religions, le pardon, est détourné et intégré dans un contexte laïc.
Malgré la caricature de Mahomet qui divise habituellement
les Français, tous ont fait la queue dans l'espoir d'obtenir l'un des précieux
exemplaires. Et pourtant. «Plus de Charlie Hebdo». Le panneau a
envahi peu à peu les points presse et les kiosques à journaux. Si cette
nouvelle n'est pas surprenante, la vitesse avec laquelle tous les numéros se
sont écoulés l'est. À 10h04, l'information tombait. «Tous les Charlie Hebdo distribués ont été
vendus». La représentation du prophète qui divisait hier, est
aujourd'hui majoritairement défendue parce qu'elle s'inscrit dans le symbole
qu'est devenu Charlie: celui de la liberté d'expression.
C'est ce qu'explique le sociologue: «Le message délivré est
propre à Charlie Hebdo. Empreint de convictions et de l'esprit
voltairien défendu lors des récentes manifestations ce dimanche, qui dit halte
à la religion, qui dicte sa loi dans le contexte politique, qui soutient
l'école laïque, qui revendique la liberté d'expression et qui dit non à la
censure. Je pense que la caricature sera bien reçue.»
Pour Dominique Wolton, Charlie divise par
ses propos, mais rassemble dans ses engagements: «Même si tout le monde ne
partage pas les valeurs de Charlie Hebdo, le magazine représente le
droit à la liberté d'expression dans son ensemble». Il développe cette idée en
racontant sa véritable histoire: «Charlie Hebdo n'a jamais été un
journal très apprécié, il a toujours divisé, ce n'était pas un journal très
populaire. Malgré cela il y a eu 4 millions de personnes dans la rue. Un mouvement de
solidarité que n'aurait jamais soulevé un autre journal. Le journal appartenait
certes à une opinion minoritaire mais ce qu'il y a de plus marginal devient
symbolique pour toute la liberté d'expression. Il n'y a pas de hiérarchie dans
la liberté d'expression.»
Cette liberté va également être protégée par les imams. «J'ai aussi entendu
plusieurs imams qui disent qu'en tant qu'hommes religieux, ils interdisent à
leurs fidèles de représenter Mahomet, mais ils ne veulent pas l'interdire aux
personnes qui n'appartiennent pas à leur confession». Et ce, au nom de la
liberté d'expression. Dans le domaine religieux, le blasphème est interdit,
mais dans le contexte laïc et de défense de la liberté d'expression, il n'a pas
à être interdit à leurs yeux.
Un imam australien pose avec la couverture de Charlie Hebdo.
Il défend la liberté d'expression. - Crédits photo : Anthrax
Pour le sémiologue Jean-Didier Urbain, l'espritCharlie n'est
pas mort, bien au contraire. En témoigne, le phallus caché en une. «On connaît
depuis longtemps les astuces des caricaturistes et des peintres qui produisent
une image dans l'image, cette seconde image ne se lit qu'au prix d'une certaine
manœuvre ou manipulation. Par exemple le fait de retourner l'image. Ici ce
n'est plus la tête du prophète qui apparaît à l'envers mais un phallus, le
turban étant l'équivalent des testicules et le visage allongé du poète devient
une verge.» Coïncidence? Maladresse? Il en doute.
«C'est une sorte de pied-de-nez caché, cela peut être
involontaire mais ici cela m'étonnerait, c'est tellement l'esprit de Charlie!
Ça fait partie de son message profond: dénoncer des interdits, ce qui a rapport
à la sexualité par exemple. Le rôle de Charlie étant un rôle
iconoclaste: représenter des choses interdites en plus de casser des images.
Montrer qu'une image en cache une autre, faire une critique, une satire…»
La caricature étant déjà provoquante par rapport à certaines
représentations religieuses, le lecteur non aguerri n'y a pas cherché pas une
seconde lecture. Voilà de quoi l'initier à Charlie! Malgré tout, la
couverture affiche également un message de paix en utilisant massivement la
couleur verte. «Si c'est la couleur de l'identité arabe, c'est aussi celle de
la nature, de la fertilité, de l'espérance. Cela participe à la volonté
consensuelle de l'image: nous sommes tous unis sur le même front d'espérance».
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