Deux
Amériques se déchirent dans un climat de guerre civile
SUR LES ROUTES DE PENNSYLVANIE (1/6) - Si
politiquement le centre existe encore aux États-Unis, il reste silencieux ou
débordé par la polarisation qui gagne.
«On se croirait entre chiites et sunnites !», déclare
l'ancien gouverneur de la Pennsylvanie, Tom Ridge, 73 ans, quand on l'interroge
sur la fracture béante de l'Amérique. Nous sommes dans ses bureaux de l'avenue
Connecticut à Washington, où cet ancien secrétaire à la Sécurité intérieure de
George W. Bush, un grand bonhomme à l'accent chantant de son état natal, a
installé le quartier général de son groupe de consulting. «Nous avons souvent
été divisés. Mais la fracture actuelle du pays me paraît être la plus profonde
que j'ai jamais connue. Tout est devenu complètement idéologique et polarisé»,
dit Ridge, républicain de la vieille école, qui n'a voté ni pour Hillary ni
pour Trump,
et qui n'hésite pas à pointer du doigt la responsabilité du président, «qui
gagne en insultant tout le monde». «Il faut évidemment aussi mesurer
l'importance des réseaux sociaux qui enferment les électeurs et les partis dans
des tribus qui ne se parlent plus», ajoute-t-il.
Washington est une arène politique, où se joue depuis
deux ans une gigantesque empoignade
Ridge n'a pas tort. Washington est une arène politique, où
se joue depuis deux ans une gigantesque empoignade: d'un côté, les pro-Trump,
qui défendent corps et âme «leur président», transformant l'autre camp et les
médias libéraux en «ennemis du peuple». Et de l'autre, les anti-Trump, qui
haïssent le chef de l'État et le redoutent jusqu'à l'obsession, ne rêvant que
de sa chute, depuis le premier jour. D'un côté, les Rouges du Parti républicain
et les conservateurs qui, après s'être divisés sur son cas pendant la campagne,
ont serré les rangs autour de lui. De l'autre, les Bleus du Parti démocrate,
qui n'ont jamais vraiment accepté son élection et caressent toutes sortes de
scénarios de destitution, d'un impeachment provoqué par une supposée collusion
avec la Russie, au rêve illusoire d'une mise à l'écart brandie par son cabinet,
au titre du 25e amendement «pour incapacité à gouverner». D'un côté, CNN et
MSNBC, chaînes libérales qui consacrent la majeure partie de leurs éditions à
dénoncer les «mensonges de Trump», ses écarts verbaux, sa «santé mentale» - privilégiant
une couverture systématiquement à charge de sa présidence. Et de l'autre, Fox
News, chaîne conservatrice qui orchestre une défense et illustration du
président totalement partisane, 24 heures sur 24.
»
LIRE AUSSI - «La nouvelle guerre civile»: plongée dans l'Amérique déchirée par
l'élection de Trump
Si le centre existe encore au pays de George Washington et
d'Abraham Lincoln, il reste silencieux ou débordé par la polarisation qui
gagne. Depuis le psychodrame théâtral, qui a vu le juge conservateur Brett
Kavanaugh, pressenti pour rejoindre la Cour suprême, défendre avec une passion
agressive son honneur et son siège lors d'une audition du Sénat où il a été
accusé sans preuves d'avoir attaqué sexuellement le docteur Christine Ford,
alors qu'elle n'avait que 15 ans, et lui 17, le climat s'est considérablement
détérioré dans la capitale des États-Unis, et au-delà. «La Cour est le grand
perdant», note Tom Ridge préoccupé. Kavanaugh comme Ford ont de plus été les
cibles de multiples menaces de mort. La sénatrice républicaine du Maine, Susan
Collins, est régulièrement harcelée par des foules de féministes radicales en
colère pour avoir fait basculer le vote en faveur du juge. Chef de la minorité
démocrate à la Chambre, Nancy Pelosi a été, elle aussi, récemment bousculée par
des activistes de droite agressifs. À ces incidents s'ajoutent au quotidien les
noms d'oiseaux et les accusations qui fusent du compte Twitter présidentiel
comme de celui de ses ennemis politiques, alimentant une sorte de ping-pong
verbal délétère sur les réseaux sociaux. «Cela devient schizophrénique, comme
deux réalités séparées», commente le chercheur français Benjamin Haddad. Le
professeur Joshua Mitchell constate aussi «une multiplication des théories du
complot qui montrent le pourrissement du processus politique». L'Amérique
serait-elle en train de glisser vers une nouvelle «guerre civile» américaine?
Des années de luttes féroces
«Aujourd'hui, les politiciens ne pensent qu'à gagner, pas à
gouverner. Il y avait beaucoup plus de civilité de mon temps», insiste Tom
Ridge, ancien militaire décoré pendant la guerre du Vietnam avant d'être élu
six fois à la Chambre, puis deux fois gouverneur. «Ma génération née juste
après 1945 avait le sentiment de servir des causes plus larges que les
individus», poursuit-il, nostalgique. «J'ai été très compétitif en politique.
Mais renoncer au compromis, c'est renoncer à gouverner», avertit Ridge,
rappelant que la création des États-Unis fut le fruit d'un laborieux compromis.
Au bout du fil, où nous le joignons à New York, le démocrate Ed Rendell, un
autre ex-gouverneur légendaire du même État, se dit lui aussi horrifié par «le
vitriol» qui a envahi la politique. «Nous avons abandonné toute civilité dans
le processus électoral, ce qui signifie qu'il sera impossible de revenir à la
civilité quand il s'agira de gouverner», explique-t-il.
«Les deux Amériques ne sont même plus d'accord pour être
en désaccord»
Jeff Gedmin, directeur de la rédaction de The American
Interest
Pour sûr, les divisions de l'Amérique ne datent pas d'hier.
Les années 1960 et 70 déchirèrent l'Amérique sur la question des droits
civiques puis de la guerre du Vietnam, suscitant des centaines d'attentats
terroristes intérieurs et l'assassinat du président Kennedy. Les années Reagan,
Clinton et Bush furent aussi traversées de luttes féroces. Mais alors que les élections
de mi-mandat se profilent, et que le
pays a été secoué par l'épisode des colis piégés envoyés aux Obama et aux
Clinton, puis dévasté par l'effroyable attaque perpétrée contre une
synagogue à Pittsburgh, beaucoup d'observateurs voient en Trump l'homme qui a
rompu les digues et réveillé les démons des margesde l'extrême-droite.«Cela avait
commencé avant, mais il a porté la violence verbale à son apogée. Ce qu'il a
dit sur les individus moyen-orientaux qui seraient présents dans la caravane de
migrants est un mensonge inacceptable», déclare Ed Rendell. La présidente du
German Marshall Fund, Karen Donfried, une démocrate, estime que «c'est la
première fois qu'un président divise le pays aussi délibérément». «Son discours
est corrosif, les garde-fous sont érodés.» Une accusation à laquelle les
conservateurs répondent que c'est la radicalisation d'une gauche transformée en
«meute» qui force le président à contre-attaquer en permanence. «Ils ne sont
toujours pas remis de sa victoire», confie un lobbyiste républicain. Il dit
aussi que la presse libérale dominant ne «lui a jamais accordé le bénéfice du
doute». «Il y a indéniablement une détérioration de la culture politique, avec
Trump, et au-delà de Trump», estime Jeff Gedmin, directeur de la rédaction
de The American Interest, effaré de constater que «les deux
Amériques ne sont même plus d'accord pour être en désaccord».«Les gens brisent
leurs amitiés… J'ai récemment vu une jeune femme de 30 ans expliquer qu'elle ne
s'assoirait jamais avec les électeurs de Trump pour “raisons éthiques”. Est-ce
OK?» «Avant, on se contentait de vaincre son adversaire, maintenant on veut le
détruire», dit Gedmin. Harvey Mansfield, professeur de science politique à
Harvard, estime que les libéraux ont oublié que «la moitié du pays ne pense
tout simplement pas comme eux».
Le professeur de théorie politique Joshua Mitchell
s'inquiète de la disparition d'une conversation contradictoire, jugeant, avec
Tocqueville, que «le tyran pardonnera aux citoyens de ne pas l'aimer, à
condition qu'ils ne s'aiment pas». Les réseaux sociaux lui paraissent être un
lourd facteur aggravant. Mais il juge que le spectre d'une «nouvelle guerre
civile» américaine plane, à cause du caractère «religieux» de la bataille en
cours. «La cassure n'est pas seulement entre républicains et démocrates sur des
programmes. Elle oppose un camp conservateur qui estime que son héritage - la
nation, la famille, les traditions - est essentiel à un camp progressiste qui
pense que tout ce dont nous avons hérité doit être rejeté, au fur et à mesure
que se déploie l'arc de l'Histoire vers un monde sans frontières, sans nation,
sans sexuation, dans lequel le mâle blanc et chrétien est nécessairement
coupable», dit-il. «Aux yeux de ses adversaires, Trump est illégitime parce
qu'il représente l'Amérique silencieuse qui pense autrement, comme sous Nixon,
Reagan et Bush, mais ses partisans ne le lâcheront jamais même s'il les embarrasse
ou les rend nerveux, car ils voient en lui l'homme qui mène un combat qu'ils
croyaient perdu», note Mitchell. «La légitimité n'est plus l'élection
démocratique, mais une catégorie morale voire religieuse. C'est ce glissement
qui peut ouvrir la voie à la violence». Le professeur d'histoire antique
californien Victor David Hanson, très inquiet, parle carrément d'un
«éloignement des partis» rappelant «la période précédant le début de la guerre
civile de 1861». «Les leçons de la guerre civile américaine montrent… qu'il
n'est pas nécessaire d'avoir de claires majorités pour déchirer un pays,
écrit-il. Il suffit que des minorités zélées et combattantes parfois minuscules
créent l'escalade de la tension.»
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 29/10/2018.
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Barcelone:
descente massive de policiers chez les narcotrafiquants
Par Le Figaro.fr avec AFP - Mis à jour le 29/10/2018 à 14h00
| Publié le 29/10/2018 à 13h58
Plus de 800 policiers espagnols ont arrêté aujourd'hui près
de 30 suspects en perquisitionnant des appartements squattés par des
trafiquants de drogue au coeur de Barcelone, dans des quartiers devenus
dangereux pour les habitants comme pour les touristes. Le bilan de 30
arrestations est encore provisoire, a précisé la police catalane sur son compte
twitter.
850 policiers, appuyés par un hélicoptère, ont été mobilisés
pour mener une quarantaine de perquisitions dans des logements vides
reconvertis en lieux de vente et de consommation d'héroïne et d'autres
stupéfiants. Plusieurs rues des quartiers du Barri Gotic et du Raval, dans le
centre de la métropole catalane, ont été bloquées par des camions de police,
alors que des officiers armés et masqués montaient la garde, a constaté un
journaliste de l'AFP.
Les policiers sont sortis des immeubles les bras chargés de
cartons, sous les yeux des voisins et des touristes qui n'ont pas hésité à
immortaliser la scène en prenant des photos. Les résidents de ces deux
quartiers prisés des touristes se plaignent depuis des années de l'utilisation
d'appartements inoccupés, devenus propriétés des banques et des fonds
d'investissement après la crise immobilière de 2008, par les narcotrafiquants.
Selon les habitants, la multiplication de ces squats,
baptisés "narcopisos" (appartements de narcos), a engendré une hausse
des vols à l'encontre des touristes et des commerces. Ces vols seraient commis
par des addicts en quête de fonds pour s'alimenter en stupéfiants. Les
résidents se plaignent également d'un climat de violence quotidien à cause des
tensions entre les différents groupes de dealers. Le mois dernier, une vidéo
prise dans le quartier du Raval avait fait les gros titres: elle montrait un
jeune homme menaçant avec une imposante machette un autre, tombé à terre.
Manuel Valls, ancien premier ministre français et candidat à la mairie de
Barcelone, a fait de la lutte contre le crime son cheval de bataille.
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Essonne :
appel à «la purge» contre les policiers, le ministre de l'Intérieur saisi
Plusieurs messages appelant à la purge des forces de l'ordre
circulent sur les réseaux sociaux. Les attaques doivent avoir lieu lors de la
nuit d'Halloween, le 31 octobre. Le syndicat de police Unité SGP a saisi le
ministre de l'Intérieur.
Dimanche soir, aux alentours de 20h30, des policiers ont été
attirés dans un véritable «guet-apens». Les pompiers et les forces de l'ordre
sont intervenus dans le quartier de Nacelles, à Corbeil-Essonnes (91), pour
l'incendie de trois véhicules au cocktail Molotov. Sur place, les équipes ont
été prises à partie par une trentaine d'individus, confirme au Figaro Olivier
Michelet, secrétaire départemental du syndicat de police Unité SGP 91. Les
voitures des fonctionnaires ont notamment été caillassées. Deux personnes ont
pu être interpellées et placées en garde à vue.
Le matin même, d'après les informations du Parisien confirmées
au Figaro, les forces de l'ordre ont empêché le tournage d'un clip
de rap dans le quartier des Tarterêts, à Corbeil-Essonne. «La mairie avait
refusé le tournage à l'oral et par écrit à cause des propos jugés violents. Dès
qu'on ne leur donne par ce qu'ils veulent, ils finissent par le retourner
contre les bâtiments publics ou les forces de sécurité», s'énerve Olivier
Michelet.
Une «purge» des policiers le 31 octobre
Pour le représentant Unité SGP 91, cette attaque est «liée à
l'appel à la purge des policiers qui circule depuis plusieurs jours sur les
réseaux sociaux». D'abord divulguées sur Snapchat, les «règles de la purge de
Corbeil-Essonnes» ont largement été partagées sur Twitter et Facebook. «Il
s'agit clairement d'atteintes aux forces de l'ordre et de sécurité très
ciblées», déplore Olivier Michelet.
Le message le plus courant, mal orthographié, détaille en
sept points comment s'en prendre aux policiers. «Habillez-vous en noir avec
masque si possible», conseille l'auteur. «Toutes les armes sont autorisées
(...) Brûlez tout ce que vous voyez: voitures, poubelles etc», est-il précisé
avant d'ordonner que «les forces de l'ordre [soient] attaquées au mortier, feux
d'artifices, pétards et pierres». Dans le texte, les auteurs annoncent que la
purge «commencera dans tous les quartiers à partir de 20h00» le mercredi 31
octobre, la nuit d'Halloween.
Le message qui a le plus été partagé appelle à se saisir de
«toutes les armes» pour «attaquer les forces de l'ordre». - Crédits photo
: Captures d'écran snapchat
Cette violence «dépasse largement l'Essonne, précise le
directeur départemental de la sécurité publique du département, Jean-François
Papineau au Parisien.
Nous recevons une grande vigilance sur l'ensemble du territoire relevant de la
compétence de la Police nationale».
Les règles ont été partagées sur un autre compte Snapchat
qui s'adresse cette fois «aux gens du 93 Seine-Saint-Denis». Celui-ci demande
aux femmes de ne pas participer et le dixième point somme de «ne pas faire de
victime» et de «penser aux parents et à la famille» des personnes qui seront
prises à partie.
Un autre message encourage tous les départements
d'Île-de-France (75, 77, 78, 91, 92, 93, 94 et 95) ainsi que «tous les mecs de
Paname» à suivre le mouvement dès 22 heures mercredi soir.
Le mouvement s'est étendu à tous les départements
d'Ile-de-France et tous les arrondissements de Paris. - Crédits photo :
Capture d'écran instagram
La volonté de s'en prendre aux policiers a également atteint
la ville de Grenoble. Dans l'appel, la purge donne l'impression d'être
organisée par quartier. «Échirolles, fontaine etc (...) toutes les zones et les
quartiers montent une équipe. Quand deux équipes se croisent, obliger de
s'affronter (sic)», donne pour consigne l'auteur. Sur Twitter, un
jeune homme disant être à l'origine de tous ces appels a assuré lundi qu'il ne
s'agissait que d'une «simple blague».
Les quartiers de la ville de Grenoble ont décidé de suivre
le mouvement de violence. - Crédits photo : Capture d'écran
Si les attaques envers les policiers sont régulières, «c'est
la première fois qu'un appel à la violence prend une ampleur nationale»,
s'inquiète Olivier Michelet, qui déplore le manque d'au moins «200 effectifs
pour assurer sereinement la mission de sécurité publique». Le secrétaire
départemental d'Unité SGP espère que l'appel à la purge «restera lettre morte»
mais, en attendant, le syndicat a saisi le ministre de l'Intérieur, Christophe
Castaner afin qu'une plainte soit déposée à l'encontre des auteurs toujours non
identifiés. Olivier Michelet souhaite, quant à lui, que les responsables
«reçoivent une réponse pénale très forte».
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