vendredi 16 février 2018

Islamisme et politique 13.02.2018


Abus sexuels: Médecins sans frontières a identifié 24 cas dans ses rangs en 2017 (14.02.2018)
En 2050, 85% des francophones pourraient se trouver en Afrique (14.02.2018)
Pierre Vermeren : «Comment Blanquer peut redresser l'école» (13.02.2018)
La hausse inquiétante des violences «gratuites» en France (13.02.2018)
«La France doit soutenir les Kurdes de Syrie» (14.02.2018)
«Big Data pourrait devenir Big Brother» (14.02.2018)

Charles Jaigu : «“Inutile”, le nouveau nom de l'inégalité» (14.02.2018)
Éric Zemmour : «L'éternel féminin, impossible à dépasser» (14.02.2018)
Israël : les quatre affaires qui menacent Benyamin Nétanyahou (14.02.2018)
Un Britannique poursuivi pour terrorisme après avoir combattu Daech en Syrie (14.02.2018)
Derrière la paix de Mossoul, les fantômes d'une ville en ruine (12.02.2018)
Des «paras» formés à la fouille de charniers en zone de guerre (12.02.2018)
Dans le Liberia de George Weah, des bourreaux en liberté (08.02.2018)
Orelsan sera-t-il privé de ses victoires de la musique pour misogynie ? (14.02.2018)
Brexit : Boris Johnson met en garde contre une « trahison » (14.02.2018)
Comment la France se prépare à une cyberattaque (14.02.2018)
« C'est grâce au Coran que je suis devenu athée » (03.01.2018)
Souleimane - Les dictateurs ont trop besoin d'Allah (14.02.2018)
Marcela Iacub : « On censure un nouveau féminisme » (13.02.2018)
À Dakar, l'islam du milieu hausse le ton (26.04.2017)
"Charlie Hebdo" et l'Afrique - Souleymane Bachir Diagne : "Les vrais martyrs" (11.01.2015)

Abus sexuels: Médecins sans frontières a identifié 24 cas dans ses rangs en 2017 (14.02.2018)

Par Virginie Vandeville
Mis à jour le 14/02/2018 à 18h40 | Publié le 14/02/2018 à 17h45
L'organisation non gouvernementale a fait cette annonce, ce mercredi, dans le sillage du scandale Oxfam, autre géant de l'humanitaire visé par des accusations de viols lors de missions en Afrique.
L'ONG Médecins sans frontières (MSF) a annoncé, ce mercredi, avoir été confrontée à vingt-quatre cas de harcèlement ou d'abus sexuels en 2017 au sein de son organisation. Sur 146 plaintes ou alertes reçues par la direction de l'organisation, quarante cas ont été identifiés comme des cas d'abus ou de harcèlement au terme d'une investigation interne.
«Sur ces quarante cas, vingt-quatre étaient des cas de harcèlement ou d'abus sexuel», a déclaré MSF dans un communiqué. «Sur ces 24 cas, 19 personnes ont été licenciées. Dans les autres cas, les employés ont été sanctionnés par des mesures disciplinaires ou des suspensions» précise l'association médicale humanitaire, qui compte 40.000 employés permanents dans le monde. L'association assure être «consciente que les abus en son sein sont sous-rapportés».
«Ce n'est pas facile de révéler ces choses, mais nous le devons» a déclaré sur Twitter, Avril Benoît, la directrice de la communication de l'ONG. «Nous travaillons dur en interne pour sensibiliser davantage et favoriser les signalements», a-t-elle ajouté. Une volonté de MSF réitérée dans son communiqué: «MSF respecte toujours la décision de la victime de porter l'affaire ou non devant la justice. Dans le cas d'abus sexuel sur mineurs, la politique de MSF est de signaler le cas aux autorités judiciaires compétentes en fonction de l'intérêt supérieur de l'enfant et des procédures légales en vigueur», assure la direction de l'organisation.
Ces révélations interviennent dans le sillage du scandale Oxfam après les révélations, mardi, d'Helen Evans, une ancienne collaboratrice. Plusieurs employés de l'association de lutte contre les injustices et la pauvreté, implantée dans plus de 90 pays, sont accusés de viols au cours de missions au Soudan du Sud, mais aussi d'abus sexuels au Liberia. Des appels à des prostituées ont également été signalés à Haïti et au Tchad.

La rédaction vous conseille :
Ses derniers articles


En 2050, 85% des francophones pourraient se trouver en Afrique (14.02.2018)
Par Alexis Feertchak et Service InfographieMis à jour le 14/02/2018 à 09h24 | Publié le 14/02/2018 à 06h00
INFOGRAPHIE - Une conférence sur la francophonie et le plurilinguisme se tient, mercredi et jeudi, à la Cité internationale universitaire de Paris dans la perspective du «grand plan» qu'Emmanuel Macron doit annoncer le 20 mars. L'occasion pour Le Figaro de revenir sur les chiffres de la francophonie, aujourd'hui et demain.
La francophonie a le vent en poupe. Dans l'attente du «grand plan national pour la langue française», que le président de la République présentera le 20 mars prochain lors de la Journée internationale de la francophonie, une conférence sur la francophonie et le plurilinguisme dans le monde est organisée, mercredi et jeudi, à la Cité internationale universitaire de Paris. En carte et en graphique, Le Figaro dresse, à cette occasion, un état des lieux de la francophonie dans le monde.
L'idée en vogue à l'Elysée est de «déringardiser» la francophonie, tout en faisant prendre conscience aux Français que leur langue ne se limite pas aux frontières de l'Hexagone et qu'il s'agit d'un atout essentiel dans la mondialisation. «Il y a bien longtemps que la langue française n'est plus uniquement française. Elle est autant, voire davantage africaine», avait déclaré fin novembre, dans son discours de Ouagadougou, Emmanuel Macron, aidé sur le sujet de la francophonie par l'écrivain franco-marocaine Leïla Slimani, prix Goncourt en 2016.
Les chiffres de l'Organisation internationale de la francophonie, bien qu'anciens puisque datant de 2014, sont éloquents. Le nombre de francophones - personnes pouvant tenir une conversation en français - était déjà, il y a trois ans, plus élevé en Afrique (près de 150 millions) qu'en Europe (un peu moins de 100 millions). Une tendance qui devrait s'alourdir rapidement dans les prochaines décennies. L'OIF estime qu'en 2050, l'Afrique pourrait rassembler près de 85% des francophones (contre 12% pour l'Europe), le nombre total de francophones dans le monde pouvant passer, entre-temps, de 274 à 700 millions, faisant du français la deuxième langue parlée dans le monde, non loin du mandarin. Parmi l'ensemble des francophones, 212 millions d'entre eux en feraient aujourd'hui un usage quotidien.
Si les tendances démographiques à l'intérieur de «l'espace francophone mondial» sont l'un des facteurs essentiels pour anticiper l'avenir de la francophonie, un second est «l'évolution des comportements linguistiques des populations susceptibles de l'utiliser», rappelle néanmoins l'OIF. L'organisation rassemblant 54 États d'en conclure avec prudence: «Pour que ces prévisions se confirment, il sera nécessaire que des mesures fortes et efficaces dans le domaine de l'enseignement permettent de relever substantiellement les niveaux d'éducation dans les pays d'Afrique francophone [et que] les pays de l'Afrique francophone et leurs populations accordent à la langue française une place importante dans le système d'éducation.»
La rédaction vous conseille :


Pierre Vermeren : «Comment Blanquer peut redresser l'école» (13.02.2018)
Par Pierre Vermeren
Mis à jour le 14/02/2018 à 08h53 | Publié le 13/02/2018 à 18h52
TRIBUNE - L'état des lieux de l'école est très préoccupant, mais ses maux ne sont pas incurables, selon l'universitaire.

- Crédits photo : Dessins Clairefond
Dans notre société de marché et de libre concurrence, il en est de l'école comme de la cuisine. Tout le monde connaît les vertus du régime méditerranéen, le plus sain du monde. Mais toute la société oriente la jeunesse - surtout populaire - vers un ersatz d'alimentation sursaturé en graisses et en sucres, la «junk-food» des pauvres de l'Amérique.
Le travail du sociologue Pierre Bourdieu sur la «reproduction» par l'école n'a été ni lu ni compris. Cet homme de science et de savoir a jadis dévoilé les mécanismes de sélection en vigueur dans les années 1950. Mais Bourdieu ne réclamait nullement qu'on abolisse les savoirs auxquels il a consacré l'essentiel de son activité, de ses publications, et vers lesquels il a orienté ses propres enfants et ses étudiants.
Au nom d'un bourdieusisme dévoyé, les classes populaires furent jugées collectivement inaptes à l'acquisition de savoirs complexes, y compris en sciences et en mathématiques, là justement où compte principalement l'intelligence, et non le capital culturel accumulé dans les familles bourgeoises.
Rejet de l'école des savoirs
En parodiant Bourdieu, on a surpassé le modèle que ce fils de paysan béarnais a décrit, mais auquel lui-même était très attaché, car il l'avait propulsé dans les sphères intellectuelles parisiennes: de la campagne béarnaise au Collège de France, en passant par la Rue d'Ulm et la Kabylie, il incarna l'Homo academicus (concept qu'il forgea), type de la méritocratie républicaine et qui n'interdit pas d'être lucide.
Le résultat fut le rejet de l'école des savoirs, surtout les plus fondamentaux, et de la transmission, réservant la réussite scolaire aux enfants de cadres et d'enseignants. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.
Par étapes depuis les années 1970, l'école a renoncé à instruire. «L'instruction publique», terme abandonné dans les années 1930, est vraiment devenue «l'Éducation nationale». La sphère privée de l'éducation, autrefois dévolue à la famille et à l'Église, a été investie par l'école pour éduquer, au sens de redresser (comme on «élève» un enfant) le peuple, en vertu d'une vieille tradition révolutionnaire. Mais elle a du même coup relégué l'instruction au second plan. Or sur le terrain éducatif, les parents s'estiment plus légitimes que l'institution, et la République ne peut plus compter sur le service militaire pour pallier les carences éducatives des hommes. L'école de la République, conçue par Jules Ferry pour que l'éducation soit soumise à l'examen critique de la connaissance et à l'autorité de la science, s'est départie de son rôle, en devenant une instance éducative parmi d'autres. De ce fait, les familles aisées et initiées, qui ont davantage les moyens de suppléer une instruction déficiente, ont plus facilement encore assuré la réussite de leurs enfants.
Un bon observatoire de la déconstruction du discours républicain
L'enseignement de l'histoire est un bon observatoire de la déconstruction du discours républicain, qui, après avoir été délégitimé, a été remplacé par une histoire «inclusive». Pour n'être pas moins idéologique, celle-ci a préféré l'indigence et la confusion aux connaissances fondamentales, socles d'un édifice que tout citoyen est libre ou non d'édifier sa vie durant. Entre la «politisation générale de l'histoire» relevée par Pierre Nora et la «réinterprétation de l'histoire globale ou nationale» par les «groupes minoritaires», le discours historique est «en miettes». L'historien François Dosse l'écrivait il y a trente ans, sans savoir que l'école en deviendrait le réceptacle.
Les implications de ce changement radical sont très concrètes. Le marché du livre d'histoire s'est effondré. La fonction de l'historien, qui a façonné la IIIe République, est noyée dans un marché concurrentiel: le journaliste, le témoin, la victime, le cinéaste, le juge, le législateur par ses lois mémorielles, l'internaute et maintenant le complotiste contribuent dans une grande confusion à l'écriture de l'histoire. Un symptôme en est l'abaissement de la culture historique des responsables politiques, et sa relégation au profit du droit et de l'économie, en particulier dans les instituts d'études politiques chargés de former nos dirigeants. Le discours historique, sur lequel s'est construite la République en place de la transcendance, a été fragilisé et discrédité. «Le roman national» (Pierre Nora) est devenu tabou, et ses usages dans la fabrique des citoyens ont été considérablement rabaissés.
À cela s'ajoutent les distorsions introduites par notre modernité technique et médiatique. L'école sanctuaire est devenue un mythe.
À cela s'ajoutent les distorsions introduites par notre modernité technique et médiatique. L'école sanctuaire est devenue un mythe. Seule au front pour fabriquer les citoyens, elle l'est dans un univers et une société devenus hostiles. Contentons-nous de quelques exemples: le bruit, érigé en norme permanente, quand l'école est accusée d'ennuyer les élèves ; l'appauvrissement linguistique, attesté par tant d'émissions pour jeunes, réduit tellement la palette langagière qu'un élève standard du secondaire est incapable de comprendre un roman de Balzac ou de Victor Hugo ; le mimétisme marchand, nourri par les médias, qui limite l'horizon mental des personnes peu ou mal éduquées. L'objectif des marchands n'est pas le citoyen, mais la constitution d'une classe de consommateurs apathiques. Seuls certains milieux bourgeois ou musulmans semblent capables de promouvoir des modèles éducatifs alternatifs. Dès lors, combien d'étudiants brillants essayent d'échapper au professorat?
Le plus étrange est que les élèves ont été déconsidérés et présentés en personnes faibles, en êtres sans ambition ni capacité, maltraités par les «dominants». L'Éducation nationale a réduit ses ambitions intellectuelles: orthographe, grammaire, chronologie, géographie physique, calcul mental et mathématiques ont été regardés comme des «violences culturelles et sociales». Malgré les incroyables découvertes sur le cerveau humain et la plasticité neuronale, les enfants n'auraient plus la capacité d'apprendre. Ce mépris
à l'égard des enfants des classes populaires a conduit à l'effondrement des compétences dévoilé par Pisa.
Dans le domaine de l'histoire, un bachelier ne connaît à peu près rien du XIXe siècle - qui fut pourtant notre laboratoire politique et républicain -, ni de la révolution ou de l'Empire, ni bien sûr du Moyen Âge et de la Monarchie, sauf qu'ils furent barbare pour l'un, et tyrannique pour l'autre. L'héritage culturel, artistique, religieux et linguistique de notre pays est ignoré. La bourgeoisie et l'aristocratie étant confondues, Stendhal, Balzac et la Révolution sont inintelligibles. Le XXe siècle est-il mieux loti? Les sociétés coloniales - notamment l'Algérie, qui fut française - sont totalement ignorées. La dégradation du niveau scolaire n'est toutefois pas inéluctable.
Point de science sans un accès clair et précis au langage
Comment redresser l'école? Il faut travailler sur la langue française, notre trésor commun et universel, son histoire, sa raison, sa richesse et ses arbitraires, et revenir à la littérature, notre deuxième (ou première) patrie, qui seule permet d'acquérir la langue et la formation du jugement. Au collège musulman de Fès, créé dans la médina en 1913, un an après le Protectorat, des élèves marocains, fils de notables musulmans, jouaient dès 1920 Phèdrede Racine en français dans le texte. Point de science d'ailleurs sans un accès clair et précis au langage. 
La littérature (la vraie, est-on tenté d'ajouter) a l'avantage de mettre en contact direct et intime avec les plus grands esprits, et d'arracher à la médiocrité ambiante.
L'autre impératif consiste à enseigner une histoire sélective et ambitieuse, orientée et volontariste: chronologique et simplifiée. La recherche historique semble inadaptée au stade de l'acquisition des fondements. En outre, enseigner l'espace (y compris la nature et le ciel), la géographie du local au global, en passant par le régional et le national, plutôt que l'enchevêtrement des collectivités locales aujourd'hui passé en revue, est le moyen de se situer dans le vaste monde. Aujourd'hui, un lycéen ignore presque tout de sa ville et de sa région. Récemment, des élèves de première à Bordeaux ne savaient pas placer sur une carte les grandes villes de France, même Bordeaux pour certains ; fleuves et montagnes ne sont pas localisés.
Délivrer une culture commune par l'acquisition d'un patrimoine littéraire, linguistique, historique, scientifique ambitieux et clair est aussi urgent que nécessaire. Seul un esprit construit et cultivé peut s'élever au général et à l'universel.
Pierre Vermeren est un ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé et docteur en histoire.Il est notamment l'auteur du Choc des décolonisations. De la guerre d'Algérie aux printemps arabes (Odile Jacob, 2015, 332 p., 23,90 €).

La rédaction vous conseille :


La hausse inquiétante des violences «gratuites» en France (13.02.2018)
Par Jean-Marc Leclerc
Publié le 13/02/2018 à 18h54
ENQUÊTE - 777 agressions de ce type sont déclarées chaque jour en France. Ces chiffres édifiants révélés par Le Figaro traduisent une impulsivité et une agressivité grandissantes dans la société, même dans les situations les plus banales.
À Meyzieu (Rhône), ce mois-ci, un collégien a été roué de coups par ses camarades lors d'un «jeu». Dans le même temps, sur Internet, une vidéo a fait scandale: on y voit un jeune en scooter traîner un chien vivant aux pattes ensanglantées, sous les rires de ses copains du quartier, à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Faut-il aussi parler de ces rencontres de football amateur qui se soldent par une agression physique par jour venue du public, de ce contrôleur SNCF menacé en plein service, le 1er février dernier, en gare de Méricourt (Yvelines), et qui a échappé au retour vengeur des contrevenants, le lendemain à Lens?
Que dire également de ce garde-pêche du Doubs, rossé par un agriculteur à qui il reprochait d'avoir fait de l'épandage de lisier nocif pour les rivières? De ce collège des quartiers nord (Marseille) où les professeurs ont exercé, le 16 janvier, leur droit de retrait après l'agression d'une enseignante par une élève de cinquième? La violence «ordinaire», en ce début d'année, s'illustre au rythme effarant des faits divers qui, mis bout à bout, dessinent un phénomène aux allures de dérive.
Banalisation du recours à la force
À l'heure de la «police de sécurité du quotidien», la hausse ininterrompue de ces atteintes plane comme une menace sur le plan de reconquête du ministère de l'Intérieur face à la délinquance. Ces faits d'agression ont dépassé en 2017 le record historique des 600.000 infractions déclarées en un an. Les violences «non crapuleuses» - c'est-à-dire toutes celles qui n'ont pas été commises dans le but de voler -, ont encore grimpé de + 3,24 %, passant de 274.737 infractions en 2016 à 283.631 en 2017… soit en moyenne 777 faits de violence «gratuite» par jour!
Elles traduisent indéniablement une dégradation du climat social. Et encore ne s'agit-il là que des faits déclarés à la police ou à la gendarmerie, puis transmis à la justice. Les enquêtes de «victimation» (réalisées auprès des victimes) attestent, quant à elles, que seule une minorité de ces infractions (20 % tout au plus) sont portées à la connaissance des autorités.
Des synthèses confidentielles tombent, jour après jour, sur le bureau de l'hôte de Beauvau. Elles ne reprennent que les événements les plus saillants et trahissent l'ampleur de la tâche qui attend Gérard Collomb, s'il veut infléchir la tendance. D'autant que, de toute part, remontent les échos d'une société où le recours à la force entre citoyens ou contre les institutions tend à se banaliser.
«L'uniforme n'est plus respecté et devient même la cible d'attaques prémé­ditées»
Philippe Capon, patron de l'Unsa-Police
«Les policiers le voient bien. Ils sont de plus en plus victimes d'une forme d'ensauvagement des comportements», déplore Patrice Ribeiro, le patron de Synergie-Officiers. Et le syndicaliste de rappeler les épisodes de Champigny-sur-Marne puis d'Argenteuil, où des policiers ont été gravement pris à partie et blessés, en ce début d'année. «L'uniforme n'est plus respecté et devient même la cible d'attaques préméditées», renchérit Philippe Capon, patron de l'Unsa-Police.
Un officier d'une brigade anticriminalité de la région parisienne évoque, dégoûté, ce qu'il considère comme une «nouvelle donne»: «Aujourd'hui, dit-il, même lorsque des pompiers viennent sauver des bébés, ils peuvent être callaissés, et nous devons alors les protéger contre ceux qu'ils viennent secourir!» Selon lui, «Quelque chose s'est brisé. On le voit lors des gardes à vue. Les délinquants les plus jeunes nous toisent et nous insultent désormais. Ils ne s'y risquaient pas trop avant…».
«Les individus sont plus impulsifs, ils acceptent moins l'autorité»
Pour Christophe Soullez, le directeur de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), les causes de cette violence quotidienne sont à rechercher dans «un monde sans doute plus anxiogène, avec des individus de plus en plus stressés, et une pression sociale et professionnelle plus forte aujourd'hui, donc davantage de tensions.» Mais la société de l'après-guerre, celle des aînés, n'a-t-elle pas aussi connu des sueurs et des angoisses? Les ghettos, les effets indésirables de la pression migratoire, l'affaiblissement de l'autorité parentale, la crise du système éducatif, l'insuffisance patente de la réponse pénale, bien d'autres explications de fond peuvent être avancées.
Ce criminologue évoque, en tout cas, des évolutions comportementales souvent décrites par les policiers de terrain: «Les individus sont moins tolérants aux remarques et manifestent une certaine impatience. Ils acceptent moins l'autorité. Ils sont plus impulsifs, et le passage à l'acte devient plus rapide», déclare-t-il. «Il ne faut pas négliger non plus l'effet de groupe qui favorise l'anonymat des auteurs d'infractions à la chaîne», estime-t-il. À l'entendre, le phénomène de bande nourrit la violence aussi sûrement que l'absence de sanction adaptée entretient l'impunité.

La rédaction vous conseille :


«La France doit soutenir les Kurdes de Syrie» (14.02.2018)

Par PASCAL BRUCKNER
Publié le 14/02/2018 à 18h35
TRIBUNE - L'invasion, par la Turquie, de la région kurde d'Afrine, dans le nord de la Syrie, appelle une réaction de la diplomatie française, plaident les auteurs Stéphane Breton, Pascal Bruckner, Gérard Chaliand, Patrice Franceschi, Bernard Kouchner et Sophie Mousset.
Le 21 janvier 2018, l'armée turque appuyée par des groupes djihadistesbien connus pour leurs crimes de guerre et leur ancienne allégeance à Daech a lancé une invasion nommée «Rameau d'olivier» contre la région kurde d'Afrine.
Limitrophe de la Turquie, située au nord-ouest de la Syrie, Afrine est une enclave de peuplement kurde très ancien d'une soixantaine de kilomètres de long, séparée du reste des Kurdes de Syrie par l'armée turque et les milices islamistes. C'est en raison de son isolement que la Turquie se jette d'abord sur elle, voulant peut-être régler le «problème kurde» comme elle a jadis réglé le «problème arménien». Elle prétend que la présence immémoriale des Kurdes menace son intégrité territoriale. Elle justifie l'invasion qu'elle vient de lancer contre ceux qu'elle appelle des «terroristes» - alors qu'ils se sont battus avec une détermination exemplaire contre les terroristes islamistes - par des considérations relatives à sa sécurité. La Turquie a parfaitement raison de vouloir défendre ses frontières, mais celles-ci n'ont jamais été menacées par les Kurdes de Syrie. Le régime turc inspiré des Frères musulmans craint moins les islamistes, auxquels il n'a cessé d'apporter de l'aide, qu'il ne déteste les Kurdes, nos alliés dans la guerre contre le terrorisme. La France perdrait les acquis de trois ans d'engagement dans la région si elle laissait l'invasion turco-islamiste réussir. Plusieurs raisons devraient l'en empêcher.
Les Kurdes de Syrie sont nos amis. Les abandonner après nous être battus avec eux contre les islamistes serait une faute morale impardonnable. Elle contredirait tout ce que la France représente. Nous le paierions un jour au prix fort. Il y a trois ans, lorsque le président de l'époque avait reçu les Kurdes de Syrie à l'Élysée après leur victoire à Kobané pour leur exprimer le soutien de la France, cela avait été très bien perçu par l'opinion. Les Français savent qui sont leurs alliés dans la guerre de Syrie et que l'enjeu n'est pas seulement local mais concerne aussi leur pays. Les Kurdes de Syrie sont aussi les vainqueurs des islamistes qui ont causé chez nous les pires attentats de notre histoire. La capitale de Daech en Syrie, d'où ces attentats avaient été lancés, a été prise par les Kurdes en octobre 2017.
Que se passera-t-il demain si on laisse les djihadistes gagner cette manche?
Maintenant que les combats font rage à Afrine, les Kurdes doivent dégarnir leur front contre Daech et cela n'est pas à notre avantage. L'invasion turque a des conséquences négatives sur la lutte contre le terrorisme et joue contre les intérêts occidentaux - auxquels la Turquie, pourtant membre de l'Otan, ne prête guère attention. Que se passera-t-il demain si on laisse les djihadistes gagner cette manche? Les exactions turco-islamistes à Afrine ne laissent présager rien de bon. Lorsque les jeunes combattantes kurdes au courage admirable sont capturées par les djihadistes, elles sont torturées, éventrées et leurs seins tranchés. Une telle barbarie est insoutenable. Nous serions comptables devant l'Histoire si nous laissions continuer cela.
Les Kurdes sont en outre nos seuls alliés dans la région et ont montré leur efficacité sur le terrain. Si nous les abandonnons, il n'y aura plus personne sur place pour nous aider à contenir toute nouvelle éruption terroriste dirigée contre nous.
L'invasion turco-islamiste va créer de surcroît de nouvelles tensions avec les réfugiés. Des dizaines de milliers de gens vont tenter d'échapper à la guerre. La Turquie prétend nous protéger d'un afflux de migrants en échange de notre silence, mais elle fait tout pour que leur nombre augmente. Enfin, les Kurdes de Syrie sont en train de bâtir une société démocratique respectueuse de pluralisme ethnique et confessionnel et de l'égalité entre les hommes et les femmes. Cela aura une influence profonde dans une région déchirée par la tyrannie. Notre pays devrait encourager ces efforts qui s'inspirent des valeurs politiques et de la liberté qu'il a toujours défendues.
La France s'honorerait de demander un cessez-le-feu à Afrine et le retrait de l'armée d'invasion. Elle doit le faire pour défendre ses intérêts et la paix dans la région.
Les signataires sont Stéphane Breton, Pascal Bruckner, Gérard Chaliand, Patrice Franceschi, Bernard Kouchner et Sophie Mousset.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 15/02/2018.
La rédaction vous conseille :


«Big Data pourrait devenir Big Brother» (14.02.2018)

Par Marie-Laetitia Bonavita
Publié le 14/02/2018 à 18h17
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Aucune dimension de nos vies n'échappe plus à la connaissance des géants d'Internet, s'inquiète le chef d'entreprise et essayiste Denis Olivennes.
LE FIGARO. - Faut-il craindre, à travers la révolution numérique, un monde de Big Brother?
Denis OLIVENNES. - Les bienfaits de la révolution numérique sont fantastiques. La consultation des sites, l'utilisation des applications, les achats sur Amazon, les messages sur Facebook, les objets connectés… Mais à côté de cette face de lumière, il y a l'ombre. Le traitement par des algorithmes puissants de milliards de données laissées sur Internet nous rend complètement transparents pour les plateformes. Celles-ci connaissent ce que nous mangeons et aimons, notre statut matrimonial, notre religion… Facebook, qui compte deux milliards d'utilisateurs, détient en moyenne 98 renseignements sur chacun d'entre eux. Et les recoupe pour nous «profiler». Alors oui, Big Data pourrait devenir Big Brother.
Comment la transparence s'est-elle transformée en tyrannie pour l'homme?
«Pour les Français, le jardin secret était une liberté. Pour les Américains, tout ce qui n'est pas montré est suspect.»
Notre civilisation européenne et plus encore française, a inventé, avec les Lumières, l'idéal de la transparence: en finir avec le secret du pouvoir monarchique et son arbitraire ; et, en même temps, inventer le droit à la vie privée pour protéger les citoyens. Cet équilibre est remis en cause par l'entrée en résonance de la révolution numérique et de l'idéologie de la transparence. Celle-ci nous vient des États-Unis. Chacun doit être nu devant Dieu et ses semblables. Pour les Français, le jardin secret était une liberté. Pour les Américains, tout ce qui n'est pas montré est suspect. Cette présomption générale de culpabilité atteint profondément notre civilisation française.
Que vous inspirent les affaires Hulot et Darmanin?
Oubliez un instant qu'il s'agit de deux ministres. Imaginez que ce soit vous. Car cela peut potentiellement arriver à chacun d'entre nous. De ce point de vue, la société numérique est puissamment égalitaire! On exhume une histoire vieille d'une vingtaine d'années qui a donné lieu à un classement sans suite et voilà que du jour au lendemain, vous êtes déféré devant le tribunal du buzz, sans avocat, sans procédure. Votre réputation est ruinée. C'est vrai, c'est faux, peu importe. Et sans droit à l'oubli, alors que, depuis la Rome antique, le droit à l'oubli est aussi un pilier de notre vie civilisée. Prenons un exemple très différent: la polémique suscitée par les propos de Mennel Ibtissem(candidate de l'émission «The Voice», accusée d'avoir tenu des propos complotistes et d'avoir fait l'apologie du terrorisme, NDLR). Cette jeune femme a manifestement écrit des choses tout à fait insupportables. Mais on est allé les chercher sur son compte privé Facebook, ce n'était pas public. Et elle s'est excusée. Si son repentir est sincère, alors, à tout péché miséricorde! Une société civilisée et humaine doit pouvoir effacer les fautes, notamment celles de ses enfants.
L'individu, en s'exposant sur les réseaux sociaux, ne se prend-il pas à son propre piège?
D'où le terme de «totalitarisme doux», employé par certains esprits pessimistes. Car nous ne sommes pas menacés par la dictature d'un hypothétique «Adolph Facebook» ou «Benito Google». C'est une maladie auto-immune de nos sociétés: c'est nous qui abdiquons une part de notre liberté. Nous l'acceptons parce que nous voyons d'abord les bienfaits de la révolution numérique, qui sont immenses. Nous sommes heureux que les données de notre montre connectée soient susceptibles de nous prévenir d'un AVC. Nous oublions que les mêmes données pourront être transmises à notre employeur ou à notre assureur et utilisées contre nous. La révolution numérique flatte aussi notre vanité, notre narcissisme, notre exhibitionnisme. Avec l'exposition de nos photos, de nos messages, de nos avis, c'est le sacre des ego. Enfin, il existe un voile d'ignorance: il y a beaucoup d'opacité sur nos données et leur usage. C'est pourquoi, Mathias Chichportich et moi, nous avons voulu décrire et analyser simplement tout cela. Et éveiller les consciences.
Face au pouvoir croissant des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), faut-il établir un droit de propriété des données personnelles?
Contrairement aux Américains, les Européens considèrent que les données personnelles ne peuvent être ni vendues, ni achetées, ni louées. D'où l'importance des règles de la protection définies par l'Union européenne et actuellement introduites dans le droit français. N'en exagérons cependant pas les effets. Il faut d'abord que le consommateur soit informé. Mais allons-nous vraiment lire toutes les pages de conditions d'utilisation? Et si nous refusons les conditions de Facebook, sommes-nous prêts à renoncer à ses services? Il faut par ailleurs que la protection des données fasse l'objet d'un contrôle. Mais le budget de la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) représente la moitié de celui du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel). Dans un univers mondialisé, des entreprises américaines vont avoir connaissance de nos données européennes. Depuis le 1er août 2016, il existe un bouclier de protection qui oblige ces entreprises américaines à respecter nos règles européennes. Mais comment le vérifier? La Révolution et le Consulat ont inventé le Code civil, la Belle Époque celui du travail, le XXe celui de l'environnement. Le XXIe siècle doit inventer celui du numérique, visant un progrès qui protège et non qui détruit. La France doit jouer un rôle moteur pour rendre compatibles innovation et liberté.
Pensez-vous qu'Emmanuel Macron a raison de vouloir combattre les «fake news»?
Oui. Simplement n'érigeons pas les tribunaux en censeurs. Responsabilisons les plateformes numériques pour qu'elles suppriment vite les contenus fautifs. Et accélérons les voies de recours des victimes de dénigrement ou de diffamation.
Les réseaux sociaux contribuent à transformer la démocratie en «vétocratie». Peut-on y remédier?
Nos concitoyens veulent être davantage associés aux processus de décision. Le numérique ouvre d'immenses possibilités nouvelles. Il ne s'agit pas d'une démocratie participative consistant à rassembler des communautés qui pensent la même chose. De nombreuses innovations, comme les sondages participatifs, ont pour objectif de partager avec les citoyens la complexité de certains enjeux de société, en remettant du temps long là où triomphe l'immédiateté, de la distance là où règne le court-circuit, un peu de raison là où il y a tant d'émotion. Contre la simplification de la démocratie d'opinion sur les réseaux sociaux, utilisons le numérique pour réhabiliter la délibération éclairée et le goût de la complexité.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 15/02/2018.
La rédaction vous conseille :
Ses derniers articles


Charles Jaigu : «“Inutile”, le nouveau nom de l'inégalité» (14.02.2018)
Par Charles Jaigu
Publié le 14/02/2018 à 17h58
LE TÊTE À TÊTE - L'économiste Pierre-Noël Giraud publie en poche une nouvelle version de L'Homme inutile. Il étudie une question centrale, l'exclusion du marché du travail, qui contribue à la montée des populismes.
L'homme inutile. Une économie politique du populisme, Pierre-Noël Giraud, Éditions Odile Jacob, 282 p., 9,99 €.
Entre le boulevard Saint-Michel et le jardin du Luxembourg, on glisse le long d'un immeuble que le piéton pourrait prendre pour une caserne. Il s'agit de l'École des mines, qui abrite la fine fleur des matheux. Et il arrive de plus en plus souvent que les matheux étudient aussi l'économie. Pierre-Noël Giraud, 68 ans, y a créé le premier laboratoire, en 1978. Dans son bureau au dernier étage avec vue sur les arbres, on comprend qu'il n'ait jamais voulu changer d'adresse. Giraud bouillonne de paradoxes et d'idées surprenantes. La principale est son intuition très précoce du lien entre mondialisation et une nouvelle forme d'inégalité dans le monde qu'il a baptisée «inutilité». C'est pour cela qu'il a remis sur le métier L'Homme inutile, livre qu'il publie aujourd'hui en collection de poche, deux ans après sa sortie.
Pierre-Noël Giraud ne porte pas sur ces sujets un regard moralisateur, et c'est sans doute ce qui a plu à Emmanuel Macron, qui l'avait cité parmi ses lectures de l'été 2016. Ce livre faisait déjà suite à celui dans lequel il prévoyait, dès les années 1990, que la mondialisation aurait un effet démultiplicateur sur les inégalités, non pas entre les pays, mais à l'intérieur des pays.
Giraud s'est d'abord intéressé à l'économie des ressources naturelles, avant d'observer les effets de la mondialisation à la fois sur la nature et sur la répartition du travail.
Aujourd'hui, nous y sommes - beaucoup moins en France, si on excepte le dernier centile, que dans les pays à fiscalité plus légère, comme les États-Unis. Sur ce point, il est conforté par les travaux d'un autre Français à la mode, Thomas Piketty, dont il apprécie d'ailleurs la collecte d'informations, mais dont il n'épouse pas le combat - perdu d'avance - en faveur d'un impôt mondial sur le capital. Giraud s'est d'abord intéressé à l'économie des ressources naturelles, avant d'observer les effets de la mondialisation à la fois sur la nature et sur la répartition du travail entre ce qu'il appelle les nomades (dont les talents peuvent s'employer partout), les sédentaires (dont les talents n'ont une valeur que locale) et les inutiles - qui ne servent plus à rien et coûtent à la société.
Sur le premier sujet, il garde un œil attentif, et il nous apprend par exemple, dans ce livre rempli de prédictions surprenantes, que nous «disposons de quatre fois plus de réserves de pétrole que ce dont nous pourrons nous servir». C'est tout le contraire de ce que nous pensions, mais ce n'est pas un encouragement à y recourir. Tel est son premier paradoxe: «Nous ne risquons pas de manquer de ressources épuisables (hydrocarbures, métaux précieux), mais nous risquons d'épuiser nos ressources renouvelables - mers, sols, forêts, par l'effet destructeur des activités humaines sur le réchauffement climatique et la biodiversité.» Le problème est moins l'extraction et la consommation d'énergie que la pollution et la «déchétisation» du monde. Cela crée des trappes de pauvreté localisées, «par manque de capital naturel renouvelable». Les premiers «inutiles» sont ceux qui doivent quitter leurs habitats et leurs sites de productions, car ils sont devenus inutilisables.
Qui sont les « inutiles » pour l'auteur ? Les chômeurs de longue durée, bien sûr, mais aussi les précaires qui stagnent de petit boulot en petit boulot.
Qui sont les «inutiles» pour l'auteur? Les chômeurs de longue durée, bien sûr, mais aussi les précaires qui stagnent de petit boulot en petit boulot. Leur inutilité est double: à l'égard d'autrui, à l'égard d'eux-mêmes. Ce sont des hommes «sans»,sans travail, sans avenir, sans passé et parfois sans famille. Ce sont aussi des hommes avec très peu, condamnés au «soutien familial». Dans tous les cas de figure, ils sont impuissants à améliorer leur sort. Ces «inutiles» sont une charge pour la société. Mais surtout, prévient Giraud, ils créent les conditions d'une dérive de la société, non pas vers la lutte des classes - elle n'est plus possible, car les plus riches sont nomades et insaisissables -, mais vers la guerre civile.
Le récit de Giraud est différent de celui, très à la mode, qui prophétise que les nouveaux «inutiles» ne serviront plus à rien car les machines accompliront les tâches qui étaient les leurs - du chauffeur au médecin, du militaire au compositeur de musique. Ils seront voués à ne rien faire, sinon consommer des drogues et jouer aux jeux de réalité virtuelle. Leur oisiveté sera forcée et aliénée au dieu algorithme qui administrera leur vie dans les moindres détails. Giraud ne croit pas en un tel récit. Les machines «resteront au service des hommes».
Il pense en revanche que l'inutilité est un effet collatéral de la mondialisation, qui a opéré un gigantesque rattrapage de niveau de vie pour les classes moyennes des pays émergents mais qui a laminé les classes moyennes des pays développés. L'inutilité se loge désormais au cœur des sociétés libérales, autant que dans les pays émergents. Ces nouveaux «inutiles» peuvent se mettre en mouvement par des migrations massives qui déstabiliseront des sociétés fragilisées parce qu'elles produisent aussi leurs «inutiles». Pour éviter ces «bombes populistes» à retardement, Giraud ne propose pas de retour au protectionnisme, dont Donald Trump a fait son offre politique de façade.
Anticipations chiffrées, de remèdes listés, de raccourcis brillants
Ce serait une parade dérisoire à ce stade d'avancement de la mondialisation des échanges, où tout objet ayant une valeur marchande a été fabriqué et traité par plusieurs pays. Il propose en revanche de revenir aux bonnes vieilles recettes du mercantilisme, où les échanges économiques obéissent non pas seulement aux lois pures et parfaites du marché, mais aux intérêts nationaux des pays producteurs. Pour cela, il raisonne à l'échelle européenne. «Il faut que l'Europe se comporte comme la Chine, elle en a les moyens avec 500 millions de consommateurs.» Giraud voudrait qu'on puisse imposer les firmes nomades en fonction du chiffre d'affaires qu'elles réalisent dans chaque zone économique. Un impôt qui servirait ensuite à sortir les «inutiles» de leurs trappes et leurs nasses.
Il faut s'accrocher, dans ce livre qui nous bombarde d'anticipations chiffrées, de remèdes listés, de raccourcis brillants. Trois problèmes lourds se combinent finalement: l'essor des migrations, les déprédations de la nature et la multiplication des «inutiles». Giraud estime que «la croissance de l'inutilité est une tendance lourde de ces trente dernières années, mais elle n'est pas irréversible». Ce n'est pas le cas d'une autre tendance lourde, la démographie, qui est peu susceptible d'inflexion dans le siècle qui vient et qui dictera les mouvements migratoires. «Dans quatre générations, il est à peu près sûr, avec un taux de fécondité de 1,4, que l'Allemagne comptera 20 millions d'habitants quand l'Afrique en comptera 4,5 milliards», écrit Giraud. Mais c'est l'inutilité qu'il faut traiter d'urgence, car elle est explosive à court terme. «Aujourd'hui, la coexistence de l'inutilité et des migrations crée une situation politique nouvelle et dangereuse.» Pour éviter le pire, Giraud en appelle aux Macron de ce monde pour désamorcer à temps la bombe à retardement du populisme des «inutiles».
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 15/02/2018.
La rédaction vous conseille :


Éric Zemmour : «L'éternel féminin, impossible à dépasser» (14.02.2018)
Par Eric Zemmour
Publié le 14/02/2018 à 17h38
CHRONIQUE - La révolution féministe annoncée au XVIIIe siècle par Choderlos de Laclos est en marche. Mais elle butte sur des invariants biologiques soulignés par Peggy Sastre et n'aura pas les résultats escomptés.
L'homme de l'année sera une femme. Ou plutôt: la femme. La femme adulée, la femme sacralisée, la femme déifiée. Tout assassinat d'une femme est désormais un «féminicide» (si les mots ont un sens, cela signifie qu'il équivaut à l'extermination des Juifs par les Allemands, des Arméniens par les Turcs ou des Tutsis par les Hutus). Une main virile sur un genou féminin est un«viol». Toute plaisanterie grivoise relève d'une «culture du viol». Tout homme est un porc à dénoncer et abattre. Toute femme à qui on refuse une augmentation ou une promotion subit une «discrimination genrée». Tout professeur de grammaire qui continue d'enseigner la règle «le masculin l'emporte sur le féminin» est un potentiel criminel, porc, violeur, nazi…
La révolution féminine est en marche. Et comme toute révolution, elle mangera ses enfants. Ce n'est pas Choderlos de Laclos qui nous démentira. En 1783, un an après avoir publié son chef-d'œuvre libertin, Les Liaisons dangereuses, il répond à la question de l'académie de Châlons sur le moyen de perfectionner l'éducation des femmes. Sa réponse est radicale: «Venez apprendre comment nées compagnes de l'homme, vous êtes devenues son esclave (…). Apprenez qu'on ne sort de l'esclavage que par une grande révolution (…). Parcourez l'univers connu, vous trouverez l'homme fort et tyran, la femme faible et esclave (…). Soit force, soit persuasion, la première qui céda, forgea les chaînes de tout un sexe.»
Laclos fait son Rousseau («l'homme est né libre, et partout il est dans les fers») comme Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe, fera son Marx, réinventant une lutte des classes à l'intérieur du foyer domestique. La cause des femmes paraît condamnée au recyclage d'idéologies de seconde main.
En opposant la «femme naturelle, libre, belle et forte», à la «femme pervertie par la société», Laclos se trompe, et son erreur préfigure celle de Beauvoir avec son célèbre: «On ne naît pas femme, on le devient.»
La réalité est qu'on devient femme parce qu'on est née femme
La réalité est qu'on devient femme parce qu'on est née femme. Autrement dit: «L'évolution biologique est l'assise de nos structures et de nos fonctionnements sociaux, qui sont eux-mêmes la source de nos représentations culturelles.» Le style de Peggy Sastre est bien moins élégant que celui de Laclos, mais le fond est bien plus pertinent. Notre auteur est docteur en philosophie des sciences. Cette spécialiste de Darwin avale goulûment des études statistiques de psychologie évolutionniste, comme d'autres se goinfrent de Nutella. Les résultats sont édifiants et aux antipodes des discours féministes. Ces études, multiples et fort sérieuses, nous dessinent une femme sentimentale en diable, «dépendante de l'amour» comme d'une drogue dure. Une étude américaine de la fin des années 1980 montre que les femmes de toutes les cultures attachent en moyenne plus d'importance que les hommes à un bon parti financier car c'est une garantie d'un meilleur potentiel d'investissement parental dans leurs futurs enfants. Et Peggy Sastre d'ajouter, moqueuse: «Le plus drôle, c'est d'observer que ce choix de partenaire gagne en conformisme à mesure que s'accroît le pouvoir féminin et non l'inverse (surtout chez les militantes de la cause des femmes). »
La fameuse « charge mentale », dernière dénonciation à la mode, n'est donc en rien le fruit pourri de la domination patriarcale, mais celui de la volonté obstinée des femmes.
Les coupables? Nos hormones: dopamine, ocytocine et sérotonine. Et les règles darwiniennes de l'évolution: les femmes doivent procréer et s'occuper de leurs enfants ; elles ont donc besoin d'un protecteur, qu'elles sélectionnent au mieux. «Tous les couples deviennent traditionnels dès qu'ils ont des enfants (…). Les hommes vont travailler plus pour gagner plus et les femmes vont voir dans la famille une de leurs priorités existentielles aux dépens de leur travail rémunéré.» Les hommes ont l'impression de perdre leur temps quand ils s'occupent du bébé ; les femmes ont l'impression de perdre leur temps quand elles ne s'en occupent pas. La fameuse «charge mentale», dernière dénonciation à la mode, n'est donc en rien le fruit pourri de la domination patriarcale, mais celui de la volonté obstinée des femmes.
Une utopie irréalisable
L'égalité indifférenciée est une utopie irréalisable parce que «si nos environnements ont beaucoup changé depuis trois cents ans, nos gènes sont quasiment identiques depuis trente mille».
Aussi, pas étonnant que 71,5 % des hommes acceptent de coucher avec une femme qui le leur demande de but en blanc, contre seulement 1,5 % des femmes quand cette même proposition sort de la bouche d'un homme. Tout ça pour ça!
Alors, pourquoi une telle opposition entre la réalité féminine et le discours féministe? Là aussi, notre auteur, après avoir endossé son armure d'études, ose transgresser un autre tabou: «Si environ 5,5 % de la population féminine générale n'est pas “exclusivement hétérosexuelle”, le pourcentage s'élève à près de 45 % chez les militantes féministes.»
Bien sûr, cette loi d'airain biologique ne signifie pas que chaque sexe soit enfermé dans son destin de toute éternité. On peut s'éloigner de la contrainte biologique.
Bien sûr, cette loi d'airain biologique ne signifie pas que chaque sexe soit enfermé dans son destin de toute éternité. On peut - et c'est le rôle de la civilisation depuis des millénaires - s'éloigner de la contrainte biologique. S'éloigner, se détacher, se libérer, mais pas s'opposer, pas s'arracher, pas la renier, pas la détruire. Car le contrecoup sera terrible. On le voit déjà, comme l'a très bien compris Peggy Sastre, avec cette contre-révolution sexuelle, produit d'un néopuritanisme féministe: «Le sexe féminin redevient un sanctuaire identitaire à protéger à tout prix puisqu'on nous raconte que la moindre intrusion - commençant pour certaines dès la parole, dès le regard - est susceptible de le ruiner. Et si nos sociétés désinvestissent symboliquement la perte de la virginité, c'est désormais le viol et l'agression sexuelle qui en deviennent les équivalents. Le rideau n'est pas près de tomber sur la tragédie de la dépendance féminine.»
Splendeurs et misères de la nature féminine. Même une spécialiste de Darwin ne peut s'empêcher de se révolter in fine contre la dictature des hormones et de l'évolution, sans comprendre - ou vouloir comprendre - que tout son livre démontre que sa révolte est vaine.
De l'Éducation des femmes, Choderlos de Laclos, préface de Geneviève Fraisse Éditions des Équateurs-Parallèles, 122 pages, 10 euros.
Comment l'amour empoisonne les femmes, Peggy Sastre, Éditions Anne Carrière, 143 pages, 18 euros.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 15/02/2018.
La rédaction vous conseille :


Israël : les quatre affaires qui menacent Benyamin Nétanyahou (14.02.2018)
Par Le figaro.fr
Publié le 14/02/2018 à 15h58
FOCUS - La police israélienne a recommandé au parquet d'inculper le premier ministre israélien pour deux affaires de corruption. Deux autres dossiers menacent des très proches de Benyamin Nétanyahou.
1000, 2000, 3000 et 4000. Ce sont les drôles de surnoms dont sont affublées quatre affaires mettant en cause le premier ministre israélien ou certains de ses très proches. Mardi, la police israélienne a recommandé au parquet d'inculper Benyamin Nétanyahou pour corruption, dans les deux premières. Pour le moment, l'homme à la tête du gouvernement depuis 2009 exclut de démissionner. Le point sur ces affaires qui empoisonnent la vie politique israélienne.
• Affaire 1000
L'affaire 1000 fait partie des deux dossiers qui ont conduit la police à émettre ses recommandations au parquet. Selon les enquêteurs, le premier ministre se serait rendu coupable de «délits de corruption, fraude et abus de confiance» bénéficiant, avec sa femme et son fils, de riches présents de la part de deux hommes fortunés, un Israélien vivant à Hollywood, Arnon Milchan, et un Australien, James Packer.
Le premier, producteur aux États-Unis, aurait régulièrement fourni au premier ministre des caisses de champagne et des cigares. Sa femme, Sara Nétanyahou, aurait, elle, reçu des bijoux. Benjamin Nétanyahou assure que ces présents ne sont pas autre chose que des cadeaux, dont le montant total s'élève à 1 million de shekels (environ 229.000 euros). Une version remise en cause par la police, qui aurait découvert des commandes précises de la part du couple Nétanyahou. En échange, le premier ministre israélien aurait fait passer une loi permettant aux israéliens vivant à l'étranger, ce qui est le cas d'Arnon Milchan, de bénéficier d'avantages fiscaux.
James Packer, milliardaire qui doit sa fortune aux casinos, est quant à lui accusé d'avoir fourni de luxueux voyages (hôtels et avions) au fils du premier ministre. Packer reconnaît avoir fait des cadeaux à «son ami» et avoir été «heureux de le faire» à sa demande ou à celle de sa femme. La police ne recommande cependant pas de le poursuivre, à l'inverse d'Arnon Milchan.
• Affaire 2000
Dans la seconde affaire, surnommée «2000», Benyamin Nétanyahou est mis en cause par la police pour les mêmes motifs. Dans ce cas, il s'agit d'un pacte passé avec Arnon Mozes, patron du quotidien Yedioth Aharonot. La police dispose d'un enregistrement des deux hommes, dans lequel le premier ministre évoque la possibilité de réduire l'influence d'un quotidien gratuit, Israel Hayom, rival du Yedioth Aharonot, par «la législation et d'autres moyens».
En échange, le quotidien, plus grand tirage d'Israël, dont la ligne est plutôt critique à l'égard de Benyamin Netanyahou, aurait traité plus favorablement le premier ministre dans ses colonnes. Pour sa défense, l'homme politique évoque une simple conversation non suivie d'effets. La police, elle, a également recommandé l'inculpation d'Arnon Moses pour corruption.
• Affaire 3000
L'affaire 3000 n'implique pas directement le premier ministre. Elle touche cependant certains de ses très proches sur un sujet particulièrement sensible en Israël: la sécurité du pays. Il est question cette fois d'une histoire de rétrocommissions versées sur un contrat d'armement passé en 2016 avec l'entreprise de chantiers naval allemande ThyssenKrupp. Montant de la commande: près de 2 milliards d'euros contre la construction de trois sous-marins à propulsion nucléaire. On soupçonne notamment David Shimron, cousin et avocat personnel de Benyamin Nétanyahou, travaillant également pour le groupe allemand en Israël, d'avoir touché des pots-de-vin pour aider l'entreprise à contourner l'appel d'offre.
• Affaire 4000
Le cas 4000 ne concerne pas non plus directement le chef du gouvernement. Il est cependant reproché à Benyamin Nétanyahou d'avoir passé sous silence ses liens avec un important actionnaire de l'entreprise de téléphonie nationale Bezeq, alors que le premier ministre gérait directement le portefeuille des Communications.
Des liens qui posent d'autant plus question que l'homme d'affaires se serait enrichi grâce aux informations fournies par un proche ami de Nétanyahou, Shlomo Filber, ancien président du comité central du Likoud (le parti du chef de gouvernement) et nommé directeur général du ministère des Communications peu après les élections de 2015.
La rédaction vous conseille :


Un Britannique poursuivi pour terrorisme après avoir combattu Daech en Syrie (14.02.2018)
Par Roland Gauron
Publié le 14/02/2018 à 06h00
James Matthews, 43 ans, était rentré au Royaume-Uni pour assister début février aux obsèques d'un compagnon d'armes, le Britannique Jac Holmes, tué en octobre dans les combats à Raqqa.
Il a passé ces dernières années à combattre en Syrie. De retour au Royaume-Uni, Le Britannique James Matthews, 43 ans, va aujourd'hui devoir rendre des comptes à la justice. L'intéressé doit comparaître ce mercredi devant le tribunal de Westminster à Londres où il devrait être mis en examen pour terrorisme. Seulement, l'ancien militaire ne combattait pas dans les rangs de l'État islamique mais contre les djihadistes, pour le compte des Kurdes des «Unités de protection du peuple» (YPG), principaux alliés de la coalition internationale en Syrie. Scotland Yard a expliqué la semaine dernière que l'intéressé serait officiellement accusé en vertu de la loi de 2006 sur le terrorisme pour «avoir fréquenté un ou plusieurs endroits en Irak et en Syrie où l'instruction ou la formation était fournie en vue de la préparation ou de la commission d'attaques terroristes.»
Originaire de Stoke-on-Trent, James Matthews était rentré au Royaume-Uni pour assister début février aux obsèques d'un compagnon d'armes, le Britannique Jac Holmes, tué en octobre dans les combats à Raqqa. Depuis 2015, plusieurs dizaines de Britanniques sont comme eux partis combattre l'État islamique auprès des forces kurdes. Au moins sept d'entre eux y ont laissé la vie. Le gouvernement britannique avait averti que quiconque prenait part à un conflit étranger s'exposait à des poursuites à son retour au Royaume-Uni. La législation sur le terrorisme leur interdit de s'engager dans la violence pour une cause politique ou idéologique. La menace était restée jusqu'ici lettre morte. Si plusieurs volontaires ont bien été interpellés et interrogés à leur retour outre-Manche, James Matthews est le premier d'entre eux à être poursuivi, selon la presse britannique.
Héros ou mercenaire?
Le visage de ce volontaire britannique était apparu en 2015 à la télévision dans un documentaire «The Brits battling ISIS» («Les Britanniques combattant Daech»). Cet ancien militaire, alors salué comme un «héros» sur les réseaux sociaux, expliquait les raisons qui l'avaient poussé à quitter sa vie de professeur d'anglais dans une école militaire saoudienne. «Ce qui m'a vraiment secoué, c'est une photo que j'ai vue sur Facebook d'un combattant de l'État islamique brandissant la tête coupée d'une femme», affirmait-il. Et d'ajouter: «Cela semblait être l'une des images les plus démoniaques que je n'ai jamais vues dans ma vie.» James Matthews avait signé en mars dernier une lettre ouverte des combattants britanniques de l'YPG appelant leurs compatriotes à ne pas céder à la haine après les attentats de Londres, rappelle The Telegraph.
Aujourd'hui, le retour de ces volontaires qui ont aidé à vaincre Daech embarrasse les pays occidentaux. En août dernier, le think-tank The Henry Jackson Society, basé à Londres, encourageait le gouvernement britannique à inclure le YPG dans la «Foreign Enlistment Act», législation britannique traitant du mercenariat. «Le fait est que le PKK et le YPG sont la même entité», expliquait l'auteur du rapport. «Loin de combattre le terrorisme, [les étrangers qui vont se battre pour les YPG en Syrie] aident une organisation terroriste interdite à vaincre une autre.» Selon Ankara, le YPG, allié de la coalition internationale sur le terrain, est considéré le bras armé du Parti de l'Union démocratique, la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Or cette dernière organisation est aussi considérée comme «terroriste» par l'Union européenne.
La rédaction vous conseille :

Ses derniers articles


Derrière la paix de Mossoul, les fantômes d'une ville en ruine (12.02.2018)
Par Emilienne Malfatto
Mis à jour le 12/02/2018 à 19h52 | Publié le 12/02/2018 à 19h32
REPORTAGE - Après trois ans de guerre contre le groupe djihadiste État islamique, les restes du califat sont partout, mais le quotidien reprend le dessus.
Mossoul ne sait pas sur quel pied danser. La ville hésite, d'un quartier à l'autre, d'une rive à l'autre. Eros ou Thanatos? Mort ou pulsion de vie? La catharsis ou l'oubli? Sept mois après la bataille de Mossoul - officiellement «terminée» en juillet 2017 - l'ancienne capitale du califat autoproclamé de l'organisation État islamique (EI) tient du puzzle.
Plusieurs réalités parallèles semblent cohabiter. Les restes du califat sont partout, mais le quotidien reprend le dessus. La vie maladroite, hésitante, mais bien présente. On discute cadavres autour d'un kebab. On échange des souvenirs du califat - souvent tragiques, parfois absurdes - au détour d'une conversation anodine. On se remémore le fouet en grillant une cigarette - ce qui aurait valu trente coups sous Daech. On rit presque, rétrospectivement, de ces trois années surréalistes qu'a vécues Mossoul.
C'est parfois simplement visuel. Les berges du Tigre, par exemple. Rive gauche, vers le Vieux Pont, le principal parc d'attractions de la ville a été rénové, déminé, et a rouvert ses portes au bord du fleuve. Des dizaines d'attractions, musique et barbe à papa. Des écoliers en semaine, des familles le week-end. La vie normale.
Juste en face, rive droite, un paysage désolé, dévasté, informe. La vieille ville. On distingue à peine l'ossature des maisons. Des gravats, des ruines, des cadavres, voilà ce qu'il reste du vieux Mossoul, de ses maisons à balcons ottomans, de ses mosquées et de ses cinémas.
Un équilibre précaire
Certains immeubles ont été détruits franchement - un obus en pleine façade ou une bombe larguée du ciel par un avion de la coalition. C'est béant, c'est dramatique, ça pend de partout. D'autres se sont affaissés sur un côté seulement. Il y a quelque chose de grotesque dans ces ruines, comme un soufflé raté.
Tout semble en équilibre précaire. Comme s'il suffisait d'une pichenette pour que tout finisse de s'écrouler… c'est peut-être le cas. Les piliers tordus, complètement arqués, qui continuent à soutenir un plafond: les armatures ont plié, mais pas rompu. Le béton s'est déformé avec. Des pans de toits sont devenus courbes, comme si les lois de la matière n'avaient plus cours ici.
Plus loin, des hommes portant bonnets et masques de chirurgien déblaient des gravats. Un travail de fourmi qui semble dérisoire: ces quartiers ne sont plus qu'un tas de décombres.
Il y a aussi l'absurde. Au beau milieu des ruines, une délicate terrasse vert pomme a survécu. Dans un bâtiment à moitié effondré, un ventilateur est resté accroché - trois pales pendent misérablement. Au milieu de la destruction, il y a le «stand» de thé qu'Abu Yahyia a monté: deux planches sur des tréteaux et une bouilloire noircie. Mais l'endroit existe, et ceux qui viennent fouiller les décombres s'y arrêtent. Abu Yahyia a tout perdu, mais il conserve un large sourire sur des dents cariées. Il insiste même pour offrir le thé - un éclat de vie au milieu de la destruction, à l'image de la ville.
Plus loin, des hommes portant bonnets et masques de chirurgien déblaient des gravats. Un travail de fourmi qui semble dérisoire: ces quartiers ne sont plus qu'un tas de décombres. Avec des cadavres dessous, ici et là. Nul ne sait exactement où, ni combien, ni qui ils sont exactement.
Selon une enquête de l'agence AP, entre 9000 et 11.000 civils ont été tués au cours des neuf mois de bataille, dans les combats et les bombardements. Des sources kurdes ont avancé le chiffre de 40.000. La coalition internationale menée par Washington admet, elle, un minimum de 817 civils tués «involontairement» depuis 2014 dans des raids en Irak et en Syrie.
Sur le terrain, on s'en tient à des suppositions et à une grande prudence lorsqu'on extrait des cadavres: ils sont peut-être piégés. Certains - les corps de djihadistes de l'EI - sont carrément laissés là, accessibles mais abandonnés.
D'autres - les civils - sont récupérés quotidiennement ou presque par les hommes de la défense civile. La récolte macabre est souvent stockée dans leur caserne, à Mossoul-Ouest. Une morgue improvisée: un couloir de béton nu, terriblement laid. Au sol, des formes couvertes de bâches blanc sale. Six cadavres. Demain ou après-demain, on les emportera dans un cimetière, tombes anonymes parmi des milliers d'autres. Et de nouveaux corps - hommes, femmes, enfants, vieillards - prendront leur place sous des bâches plastique dans un couloir de béton. Mossoul continue à livrer, comme à contrecœur, des morts.
Certains n'ont jamais quitté la ville, d'autres sont partis puis revenus. Ces derniers sont un peu les «non-initiés»
Même les quartiers restés debout ont un air convalescent. Des rues désertes dès qu'on s'éloigne des artères commerciales. Des graffitis de l'EI raturés sur les murs. Des palmiers qui s'agitent paresseusement dans le vent. Des oliviers sur des terre-pleins - sont-ils nouveaux ou ont-ils survécu à la bataille? Il n'y a personne à qui le demander - rien que les fantômes.
Et pourtant, il y a des gens derrière les portails étroitement clos, les portes verrouillées, les vitres réfléchissantes. Très prisées ici, elles ont été soigneusement remplacées après avoir été soufflées par les explosions.
Certains n'ont jamais quitté la ville, d'autres sont partis puis revenus. Ces derniers sont un peu les «non-initiés». Ils n'ont pas connu le califat de l'intérieur - ou si peu de temps. Ils ont dû poser des questions à leur retour, redécouvrir leur ville - ce qu'il en reste.
La première fois, Abu Abdallah a pleuré. La deuxième aussi. Et puis, il s'y est fait. Maintenant, il peut parcourir Mossoul les yeux secs. À son retour du Kurdistan, où il a passé en exil les trois années du califat, il a installé sa famille - quatre enfants, sa femme, sa belle-mère - dans un quartier du nord-est de la ville. Et les préoccupations quotidiennes ont vite repris le dessus. Comme les embouteillages, qui n'en finissent pas. Abu Abdallah patiente à l'entrée des stations-service - ironie pour un pays pétrolier: l'essence manque et un système de roulement en fonction des plaques minéralogiques a été mis en place dans la ville. Il patiente à l'entrée des ponts, endommagés pendant la bataille. Il patiente aussi aux dizaines de check points qui ponctuent la ville.
Police, police militaire, armée irakienne, milices chiites des Hachd al-Chaabi. Il y a le choix, avec une prédominance des miliciens - souvent de très jeunes hommes armés de kalachnikovs, reconnaissables à l'imagerie religieuse qui entoure leurs postes de contrôle. Drapeaux à l'image des imams Hussein, Ali ou Abbas, étoffes rouges, émeraude ou noires chatoyant sur le fond gris sable, presque monochrome, de la ville.
«À l'époque, il n'y avait pas toutes ces conneries de sunnite, chiite, chrétien ou yazidi.»
Abu Abdallah, sunnite
Les Hachd, comme on les appelle simplement ici, étaient craints au début de la bataille, précédés par une réputation d'exactions envers les sunnites, comme lors de la libération de Tikrit. «Ils se sont calmés et organisés», explique Abu Abdallah, qui est sunnite et assure ne pas craindre les Hachd. Des check-points, il en passe des dizaines par jour sans aucun problème, se contentant d'un mot aimable à l'égard des hommes armés qui lui répondent tout aussi poliment. Beaucoup ici expriment un désir très simple: vivre en paix. «On est tous Irakiens», rappelle un habitant chiite de Mossoul-Est. Certains évoquent même l'époque de Saddam Hussein - «avant que les Américains ne viennent tout chambouler» - avec regret. «À l'époque, il n'y avait pas toutes ces conneries de sunnite, chiite, chrétien ou yazidi», lâche Abu Abdallah. De mémoire générale, Mossoul a commencé à aller très mal à partir de 2005, quand le pays entier dégringolait dans une spirale mortifère. La violence - provenant notamment de groupes extrémistes plus ou moins affiliés à al-Qaida - a gangrené la ville pendant une dizaine d'années. En juin 2014, Daech n'a plus eu qu'à cueillir le fruit pourri.
Quel avenir pour Mossoul aujourd'hui?
Alors, quel avenir pour Mossoul aujourd'hui? Des initiatives apparaissent ici et là, un café-culture où il y a des livres, des filles et de la musique. Impensable sous le califat, et même avant, Mossoul étant une ville très conservatrice. Dans le quartier universitaire, sur fond de bâtiments administratifs détruits, les étudiants se pressent, les hommes sont habillés à la hipster, les femmes ne portent parfois qu'un simple hidjab.
Mais la ville reste globalement détruite, tout y est un défi et personne, ici, ne compte sur le gouvernement pour reconstruire.
Sur la dizaine de grands hôpitaux qui existaient avant la guerre, plus aucun ne fonctionne. Un lundi matin, la radio annonce en triomphe la mise en service du premier bloc opératoire de Mossoul libéré. «N'importe quoi», ricane tristement le directeur d'un centre de santé - qui s'exprime anonymement. «Avec l'électricité qui saute tout le temps, comment pourrait-on faire marcher un bloc opératoire?»
On doute des politiques, du gouvernement, des uns et des autres. Malgré les paroles apaisées et apaisantes, la méfiance reste proche. Des familles de combattants de l'EI habitent dans la ville. Un gradé des Hachd assure qu'«il ne faut faire confiance à personne ici». «On ignore l'opinion des familles sunnites de la ville, et on découvre régulièrement des armes cachées ici et là.» Difficile d'estimer la part de réalité dans ces propos. Un certain flou prévaut.
Dans le doute, la vieille ville est interdite d'accès dès la nuit tombée - des survivants de Daech se cacheraient dans les ruines. On entend parfois, le soir, des coups de feu ici et là. Mossoul est encore aux prises avec ses fantômes.

La rédaction vous conseille :


Des «paras» formés à la fouille de charniers en zone de guerre (12.02.2018)
Par Jean Chichizola
Mis à jour le 13/02/2018 à 13h37 | Publié le 12/02/2018 à 18h46
REPORTAGE - Sécurisation, études du terrain, déminage… À Montauban, le 17e régiment du génie parachutiste s'entraîne, avec l'aide d'un archéologue, à repérer et récupérer des corps enterrés. De la police technique et scientifique en terrain dangereux.
De notre envoyé spécial à Montauban
Armé du fusil d'assaut Heckler et Koch, le successeur allemand du Famas, un soldat, casqué et «légèrement» équipé (une bonne vingtaine de kilos quand même!), progresse sur un terrain de manœuvre du 17e régiment du génie parachutiste, en périphérie de Montauban (Tarn-et-Garonne). Un entraînement classique en ce jour d'hiver pluvieux. Mais quelques détails attirent l'attention. Le militaire porte à l'épaule un étrange insigne en forme de chauve-souris avec la mention «Fouille opérationnelle spécialisée». Il porte par ailleurs un étrange ustensile. Dans un vieux film de guerre, on parlerait de «poêle à frire» même si ce détecteur est visiblement à la pointe de la technologie. Unité d'élite, le «17» n'est en effet pas un régiment tout à fait comme les autres. Ce 16 janvier, un détachement (neuf hommes dont trois sous-officiers) de la section fouille opérationnelle spécialisée («FOS») est réuni pour un exercice de recherche de corps.
La fouille (à la recherche d'armes, d'explosifs, de documents, d'ennemis embusqués…), les hommes de la «FOS 17» connaissent: ils sont formés pour passer au crible un secteur donné mais aussi des personnes, des véhicules, des habitations, des routes ou encore des grottes (d'où la chauve-souris), des égouts ou autre cavité naturelle ou artificielle. En ce jour d'hiver, le «scénario» est des plus sombres: lors d'une mission de récupération de ressortissants dans un pays X, six militaires français ont été capturés et exécutés par des forces ennemies. Le commandement de la force multinationale déployée sur place a demandé aux troupes françaises d'appuyer les forces alliées locales dans la recherche et la récupération des corps, qui, selon certains renseignements, auraient été enfouis dans une fosse creusée par l'ennemi à l'aide d'une tractopelle. Dans la réalité, le «charnier» que la FOS doit découvrir et fouiller a été préparé fin octobre 2017 sur le terrain d'entraînement du régiment par deux sous-officiers à l'aide de restes animaux et de bidons (simulant l'espace occupé par les corps) recouverts de vêtements. Si les deux sous-officiers savent où se trouve approximativement la fosse, leurs hommes ont reçu une seule information: des corps de Français se trouveraient dans un secteur donné. Avec une précision essentielle: l'ennemi aurait piégé les voies d'accès et les abords du charnier.
Une expertise militaire et technique
L'exercice n'évoque bien sûr aucune zone d'opération ou aucun pays. Mais la leçon est limpide: si demain, la France devait être associée à des recherches de charnier et de corps dans une zone de guerre truffée de mines et de munitions non explosées, le 17e RGP serait prêt à apporter son expertise militaire et technique. Que ce soit en Afrique, dans les anciens fiefs de Daech en Irak ou en Syrie, ou ailleurs. De l'ex-Yougoslavie au Moyen-Orient,l'histoire récente a démontré l'importance de fouilles sécurisées et professionnelles pour appuyer notamment les enquêtes judiciaires nationales et internationales.
Les soldats peuvent préparer la fouille en retrouvant les limites d'une fosse, en veillant à ne pas dégrader toute trace d'indices et de preuves avant l'arrivée d'enquêteurs professionnels
«Pour une telle mission, les spécialistes du 17e RGP ont un triple avantage: ils peuvent assurer, en déminant, la sécurité dans l'approche des lieux de fouille et pendant les fouilles elles-mêmes. Ils peuvent aussi retrouver les preuves d'un crime, en repérant par exemple les traces des munitions utilisées par les bourreaux. Enfin, ils peuvent préparer la fouille en retrouvant les limites d'une fosse, en respectant les règles de l'art et en veillant à ne pas dégrader toute trace d'indices et de preuves avant l'arrivée d'enquêteurs professionnels. En quelque sorte, de la police technique et scientifique en zone de guerre.» Les pieds dans la boue, l'homme qui vient de prendre la parole est casqué et en treillis comme les autres. Toutefois point de chauve-souris à son épaule et, en guise d'arme, une sorte de petite bêche. Patrice Georges n'est pas un militaire mais un «pékin» archéologue, certes commandant de réserve de la gendarmerie nationale. Ce spécialiste de l'Institut national d'archéologie préventive (Inrap) est un fin connaisseur des pratiques funéraires, coauteurs d'articles aux titres révélateurs: «De corps en corps: traitement et devenir du cadavre», «La pratique de l'inhumation». Scientifique reconnu, Patrice Georges est aussi un esprit curieux, qualité qu'il partage avec les paras du génie, passionné par ce que les Anglo-Saxons appellent la «Forensic Archeology» appliquant aux enquêtes criminelles les méthodes de l'archéologie. Très pratiquée aux États-Unis, cette discipline a même donné des idées à certains scénaristes. En France, elle se développe peu à peu sous l'impulsion de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) et de spécialistes comme Patrice Georges. L'archéologue de l'Inrap et les paras du «17» se sont rencontrés sur le terrain dans le cadre d'enquêtes. Le premier est en effet expert auprès de la gendarmerie et de la cour d'appel de Toulouse et les militaires sont régulièrement «réquisitionnés» pour aider des services d'enquête.
Un échange interdisciplinaire
Début janvier, Philippe, sous-officier au régiment depuis 22 ans, était ainsi dans la région Paca sur les lieux d'un règlement de comptes. Les méthodes du «17», notamment dans la détection de métaux, ont permis la découverte de nouveaux éléments. À l'occasion, la «FOS» est aussi sollicitée par des services antiterroristes pour la recherche d'armes et d'explosifs. L'archéologue et les paras se croisent une première fois en 2014 autour d'une enquête sur un massacre perpétré par les nazis dans la région de Toulouse 70 ans plus tôt, puis en 2015 sur une affaire criminelle de droit commun. Ils commencent à discuter et conviennent d'un échange interdisciplinaire entre le «17», la gendarmerie et le scientifique sur le thème de la recherche de corps et de charnier en «opex» (opération extérieure). Dans un premier temps, Patrice Georges, soutenu par l'Inrap dans sa démarche, présente aux soldats l'histoire et les enjeux de ce type d'archéologie. Avec un premier exercice à la clé: fin 2016, Georges enterre des cadavres d'animaux sur un terrain des environs de Montauban. En décembre 2017, les soldats de la «Fouille opérationnelle spécialisée 17» se sont livrés sur les lieux à leur premier entraînement anthropologique et forensique.
On ne peut s'empêcher, tant est grand le danger, bien réel en opération, de songer à la formule militaire selon laquelle «il n'y a pas de bons sapeurs, il n'y a que de vieux sapeurs»
En ce 16 janvier, place donc au second exercice suivi, comme toujours d'un retex («retour d'expérience»). Dès les premiers mètres de progression vers la zone où se trouverait la fosse, une mine, factice pour l'exercice, est détectée. Au total, quatre mines antichars et une mine antipersonnel devront être neutralisées. Cette reconnaissance d'itinéraire se fait en mode accéléré mais elle dure quand même plusieurs heures ce qui laisse imaginer ce que cela pourrait être dans une zone de guerre. Arrivée sur zone, la FOS 17 installe un «Incident Control Point», un secteur sécurisé où l'on dépose le matériel et qui constitue l'unique point d'entrée et de sortie. Un sous-officier confie ensuite à des binômes de deux sapeurs la prospection avec leurs détecteurs d'une bande de 100 mètres de long et de quelques mètres de large. Dans ce «couloir», les deux soldats sont seuls au monde, comme ils le seraient sur le terrain, seuls pour détecter les mines ou autres engins explosifs grâce à leur maîtrise technique et à leur expérience. On ne peut s'empêcher, tant est grand le danger, théorique sous la pluie de janvier mais bien réel en opération, de songer à la formule militaire selon laquelle «il n'y a pas de bons sapeurs, il n'y a que de vieux sapeurs». Dans ses quartiers, le régiment honore plusieurs des siens morts notamment en Afghanistan. Après un long moment, le binôme Alpha 1 fait son rapport: une nouvelle mine a été découverte mais surtout des étuis ont été repérés grâce aux détecteurs capables de «discriminer» les métaux. La répartition de ces étuis permet d'émettre une hypothèse sur le lieu où se tenaient les tueurs et l'endroit où ont pu être ensevelies leurs victimes. L'archéologue forensique Patrice Georges procède alors à un sondage du sol à l'aide d'un pressiomètre dans le but de délimiter la fosse. Outil agricole à l'origine, le pressiomètre permet de mesurer la compacité du sol et s'enfonce aisément si la terre a été récemment remuée. La zone étant grossièrement repérée, il est alors temps de faire appel à un «engin du génie rapide d'appui et de protection (Egrap)». Un conducteur d'engin du régiment est à la manœuvre.
L'Egrap creuse lentement sur une profondeur de 30 à 50 centimètres de profondeur. Soudain, Patrice Georges attire l'attention des militaires. Rien ne semble visible mais l'archéologue, dans son élément, «lit» déjà le terrain: le mélange de terre noire et ocre, la différence d'aspect, la présence de végétaux à peine visible… Au milieu de ces militaires qui s'interpellent par leurs surnoms («La Crêpe», «Pimpin» ou «Jéjé»), Patrice Georges est au passage baptisé «Patoche» ou «commandant Patoche». Sous ses indications, se dessinent les limites d'une fosse de cinq mètres sur trois. Les fouilleurs en sont à présent convaincus: s'il y a bien des corps, ils ne doivent plus être loin. Quelques minutes plus tard, la pelle fait affleurer quelques restes. Arrêt immédiat de la fouille mécanique. Les soldats enfilent leurs combinaisons de police technique et scientifique et commencent à dégager délicatement les restes. Les «victimes» sont bien là, abattues par des tirs d'armes automatiques dont les étuis de 7,62 mm sont soigneusement récupérés. Conseillés par Patrice Georges, les soldats de la FOS 17 exhument et ramènent les corps de leurs compatriotes à la base en évitant de dégrader toute trace d'indices et de preuves. «Sapeur suis, para demeure», proclame la devise du «17». Entre enquête et archéologie forensique, le régiment vient de prouver qu'il a à présent une nouvelle corde à son arc.

La rédaction vous conseille :


Dans le Liberia de George Weah, des bourreaux en liberté (08.02.2018)
Par Tanguy Berthemet
Mis à jour le 09/02/2018 à 11h49 | Publié le 08/02/2018 à 19h30
REPORTAGE - Les fantômes de la guerre civile hantent le pays où George Weah vient d'être élu président, théâtre d'un conflit (1990-2003) qui a fait plus de 250.000 morts. La justice nationale n'a jamais jugé le moindre responsable des tueries. Ils vivent un quotidien paisible.
http://i.f1g.fr/media/figaro/200x274/2018/02/08/INF028c71b8-0cc9-11e8-a078-08d943ba6803-200x274.jpg
Envoyé spécial à Monrovia
La maison est pimpante, avec une longue véranda blanche. On y a posé quatre chaises pour prendre l'air de cette banlieue calme de Monrovia, la capitale du Liberia. Joshua Milton Blahyi, un grand jean baggy noir, y reçoit en ce dimanche avec ce sourire trop franc des gens qui cherchent à convaincre. Quelques heures auparavant, Joshua avait troqué son grand jean baggy noir pour sa tenue de «Bishop». Il prêchait la bonne parole dans son église de tôle et de parpaings nus qu'il a fondée, priant pour la paix, l'amour et la rédemption. Surtout la rédemption. Les années ont beau passer, empâtant la silhouette, Joshua n'est toujours pas un religieux, pas même un laïc comme les autres. Il demeure pour tous un milicien, le général «Butt Naked». Au souvenir de ce nom de guerre, sorti des années terribles de la guerre civile, l'homme ferme les yeux. «C'est vrai. Je fus aussi celui-là.»
Butt Naked n'était pas n'importe quel combattant, mais l'un des plus violents d'un conflit où pourtant la concurrence dans le domaine ne manquait pas. «Il était terrifiant, se souvient Emmanuel. Sa seule évocation suffisait à faire fuir les gens en abandonnant tout, même leurs enfants.» Joshua ne nie rien de ce pesant passé à la tête de sa milice, The Naked Based Commando, souvent composée d'enfants soldats. «J'ai commis des choses horribles, vraiment horribles.» En 2008, devant la Commission vérité et réconciliation (CVR), il a témoigné sans fard. «J'ai tué, violé et même organisé des sacrifices humains, y compris d'enfants.» Sa déposition, aux allures de confessions, sonne comme une abomination pour les civils et, pour les juristes, comme un catalogue parfaitement exhaustif des crimes de guerre répertoriés.
Les oreilles coupées du président Doe
En 1996, alors que la faction à laquelle il est associé subissait les assauts des combattants de Charles Taylor, alors président du Liberia, Butt Naked se bat en plein Monrovia, ravageant des quartiers entiers, des sexes d'hommes coupés dans les mains. Il reconnaît 20.000 morts, sur les quelque 250.000 engendrés par les douze années de guerre. «Ma culture, celle de l'ethnie Krahn, m'a enseigné cette violence, cette habitude de la domination du plus faible par le plus fort», dit-il. C'est lors de ce combat qu'il aurait, assure-t-il, «vu la lumière». «Le Christ m'est apparu, m'a dit de me repentir, alors que j'avais sur les mains le sang d'un enfant. J'ai obéi.» La vérité est sans doute plus prosaïque. Sa milice défaite, il a dû fuir et prendre le chemin du Ghana. Seule certitude, redevenu Joshua Milton Blahyi, il ne cesse depuis de battre sa coulpe, d'avouer ses fautes à l'église, dans des livres, des films. Dans le vide. Le général repentant n'a pas vu de juge et n'a pas passé un jour en prison. Il se dit prêt à affronter la justice, mais la justice ne semble pas le vouloir. Celui que la presse anglaise a surnommé «The Most Evil Man on Earth» n'est aux yeux des hommes coupable de rien.
«Au Liberia, la guerre, c'est du passé. La paix est là. Nous sommes dans une autre époque»
Prince Johnson, sénateur
Au Liberia, ce paradoxe n'étonne personne. Et surtout pas Prince Johnson. Le sémillant sénateur, barbe grisonnante, enchaîne les entretiens dans son bureau, extrayant un à un ses visiteurs d'une salle d'attente exiguë où s'empilent les quémandeurs des bonnes grâces du puissant élu. «Au Liberia, la guerre, c'est du passé. La paix est là. Nous sommes dans une autre époque», dit-il, dans ce qui ressemble fort à un plaidoyer pro domo.
Le sénateur Johnson ne s'est converti à la démocratie que sur le tard. Il reste au fond l'un des grands seigneurs de la guerre, adepte de la prise du pouvoir par les armes et de méthodes expéditives contre ses adversaires. Une vidéo de ce temps jadis, toujours visible sur YouTube, le poursuit comme un fantôme tenace. Elle date de 1990. On y voit un jeune Johnson, entouré de ses troupes, ordonner que l'on tranche les oreilles du dictateur déchu Samuel Doe en sirotant une bière fraîche. Le corps du président, supplicié et assassiné, sera retrouvé dans une brouette. L'évocation de ce film a tendance à agacer Prince Johnson. «Oui, je me suis battu, et après? Votre de Gaulle, George Washington et Mandela aussi ont été des combattants», lâche-t-il, sans le moindre remords apparent. Il revient, sans cesse, sur cette guerre, sur les massacres, nombreux et bien réels, commis par les soldats de Doe contre «(son) ethnie», sur le meurtre de «300 bébés, jetés dans des puits». «Ils criaient quand on les tuait. Doe n'a pas entendu. C'est pour cela qu'on lui a coupé les oreilles!» avoue-t-il sur le ton d'une étonnante banalité, sans un mot pour les milliers de civils morts des dérives de ses propres miliciens.
Le sénateur Johnson se pense intouchable. Les 10 % qu'il a récoltés lors du premier tour de la présidentielle à l'automne, et le soutien qu'il a ensuite apporté à George Weah, l'ex-star du football et président fraîchement élu, lui permettent de peser. «Weah ne reviendra pas sur ces histoires. Il a bien d'autres choses à faire.» Un optimisme qui n'est pas sans fondement. Le 24 janvier, lors de l'intronisation officielle du nouveau chef d'État, Prince était bien sur la tribune, au milieu des invités de marque aligné sur le stade… Samuel-Doe.
Derrière lui, à quelques fauteuils, se dessinait le visage d'un confrère sénateur, George Boley, un autre warlord embourgeoisé, autrefois son ennemi mortel. Les deux hommes ont un autre point commun: ils sont sur la petite liste de huit noms que la Commission vérité et réconciliation (CVR) avait recommandé de déférer devant la justice. Sans effet. Le Liberia semble englué dans une impunité sans fin, un pays où les tueurs d'hier sont restés les maîtres aujourd'hui.
«Weah représente une vraie chance pour qu'enfin le pays connaisse la justice»
Ancien journaliste et responsable de l'association Global Justice and Research Projet (GJRP)
Hassan Bility le sait mais ne s'y résout pas. «Weah représente une vraie chance pour qu'enfin le pays connaisse la justice», explique-t-il. Ancien journaliste, il lutte pour que les responsables des horreurs de la guerre rendent enfin des comptes. Avec son association, le Global Justice and Research Projet (GJRP), il collecte méticuleusement les preuves contre les uns et les autres, monte des dossiers depuis le Liberia. Une activité bien dangereuse. «Je reçois souvent des menaces», reconnaît-il. Son corps lui rappelle qu'il ne faut pas les prendre à la légère. Il porte les traces, les cicatrices des tortures subies en 2001 dans les geôles de Charles Taylor. Cela ne l'a pas arrêté, pas plus que son échec constant à faire juger qui que ce soit dans son pays. «Le rapport de CVR est pour l'instant enterré, mais rien ne dit qu'il doit le rester», souligne-t-il.
Seule la famille Taylor a payé
Pour lui, si le texte qui réclamait des poursuites est resté lettre morte depuis sa publication en 2009, c'est avant tout parce qu'il recommandait aussi de proscrire de toute activité politique une cinquantaine de personnalités, dont Ellen Johnson Sirleaf, alors présidente de la République. Il se raccroche à l'espoir que son départ du pouvoir va «tout changer». Et aussi aux victoires déjà glanées devant des cours étrangères.
D'abord contre Charles Taylor, condamné en 2012 par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone à 50 ans de prison, notamment pour crimes de guerre. Si Hassan Bility n'a assisté qu'en spectateur à la chute du dictateur, ce fut lui, en revanche, qui a présidé à celle de son fils, Chuckie Taylor, enquêtant des années durant. Longtemps chef des Anti-Terrorist Unit, surnommée les «Demon Forces», Chuckie, citoyen américain, purge une peine de 97 ans dans un pénitencier de Floride. Après le père et le fils, la GJRP a obtenu l'incarcération en juin dernier de la première épouse du despote, Agnes Reeves Taylor, par la justice britannique. Un an plutôt, ses investigations avaient conduit à l'arrestation à Philadelphie de Mohammed Jabbateh, alias «Jungle Jabbah», un chef de guerre. «On peut d'ailleurs se demander s'il est juste que seuls les Taylor paient, ou presque», sourit-il. D'autres condamnations, pense-t-il, devraient néanmoins suivre dans les mois qui viennent. Mais cela restera bien faible au regard des abominations commises. Et, encore une fois, ce sera à l'étranger, loin des victimes.
Un temps et une distance qui désespèrent le pasteur Duo. Dans la cour de l'église luthérienne Saint-Pierre, au centre de Monrovia, il fixe le sol marqué de deux larges étoiles de pierres blanches. Des symboles anodins qui cachent deux immenses fosses communes, 500 corps. Un cimetière largement oublié pour un massacre qui l'est tout autant. «Nos messes du souvenir ne rassemblent plus grand monde», reconnaît le pasteur. C'était à l'aube du 29 juillet 1990. La guerre en était à ses premiers mois. Les forces du président Doe, encerclées dans la capitale, sentaient la situation leur échapper. Les civils de l'ethnie Gio, accusés de soutenir les rebelles, étaient persécutés. «Ils s'étaient donc réfugiés ici pensant que Dieu les protégerait», glisse le pasteur, les yeux fermés. La tuerie a duré deux heures. «Ils ont abattu tout le monde. Vieillards, femmes, enfants, avec des balles et des machettes.» Quatre jours plus tard, 250 personnes, de la même ethnie, furent passées par les armes à l'hôpital JFK.
Le responsable de ces crimes contre l'humanité n'a jamais été formellement identifié. On soupçonne George Dweh, qui nie furieusement avec une morgue superbe. «Je mets au défi mes détracteurs d'apporter des preuves», a-t-il lancé devant la CVR. Le pasteur, lui, se contente de hausser les épaules. «Peut-être que c'est Dweh. Je ne sais pas. Je ne lui ai jamais demandé.» Ce ne serait pourtant pas bien difficile. La villa cossue de Dweh, ancien speaker de l'Assemblée nationale de transition, n'est qu'à quelques kilomètres de l'église Saint-Pierre.

La rédaction vous conseille :


Orelsan sera-t-il privé de ses victoires de la musique pour misogynie ? (14.02.2018)
Une pétition demande l'annulation des trois trophées obtenus le 9 février par le rappeur de 35 ans en raison d'anciens textes à caractère misogyne.
Modifié le 14/02/2018 à 13:14 - Publié le 14/02/2018 à 09:56 | Le Point.fr

L'artiste a déjà affronté la justice à plusieurs reprises en raison de ses textes polémiques.
© AFP/ THOMAS SAMSON
Orelsan se retrouve de nouveau face à son passé. Une pétition publiée sur le site Change.org demande l'annulation des trois victoires de la musique remportées par le rappeur de 35 ans vendredi dernier. Le texte de la pétition se base sur les paroles d'une ancienne chanson d'Orelsan, « Saint-Valentin », que l'auteur juge misogynes. Ce titre d'Orelsan fait partie de ceux qui l'ont fait connaître entre 2007 et 2008.
« Outre le fait que des artistes étaient 100 fois plus méritants sur le plan purement artistique, ce qui est beaucoup plus grave, et n'est pas acceptable, ce sont certains propos lus et entendus dans les chansons » d'Orelsan, déplore la personne qui écrit la pétition qui a récolté déjà près de 25 000 signatures. Le rappeur français a été sacré roi des 33es Victoires de la musique vendredi dernier en remportant les trophées d'artiste masculin, album de musiques urbaines et créations audiovisuelles.
Relaxé par la justice
Les paroles de « Saint-Valentin » ont suscité la polémique notamment en raison à une référence à la mort de l'actrice Marie Trintignant, sous les coups de Bertrand Cantat en 2003. Des paroles qui, selon la pétition, justifient le retrait des trophées d'Orelsan, qui, de son côté, se dit « féministe », pour lui « une question de bon sens ». « Nous appelons tous les mouvements défendant le droit des femmes, et toutes les associations des droits de l'homme, à s'insurger contre le résultat de cette soirée », explique le texte qui demande à la ministre de la Culture Françoise Nyssen d'intervenir. « Comment, dans une période comme celle que nous vivons, est-il seulement possible d'accepter ça ? » interroge la pétition, en référence à la libération de la parole à la suite du scandale Weinstein.
Ce n'est pas la première fois qu'Orelsan se retrouve vivement critiqué en raison de ses textes. Le rappeur de 35 ans a déjà eu affaire à la justice dans plusieurs procès l'ayant opposé à des associations féministes. En 2012, il avait été poursuivi, et relaxé, par l'association Ni putes ni soumises qui le mettait en cause pour les paroles de la chanson « Sale pute ». En février 2016, nouvelle relaxe en appel, mais cette fois-ci dans une affaire qui opposait l'artiste et huit de ses chansons à cinq collectifs féministes, dont Chiennes de garde. Il était accusé de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence » contre les femmes.

Brexit : Boris Johnson met en garde contre une « trahison » (14.02.2018)
Le ministre britannique des Affaires étrangères va livrer un discours offensif pour contrer les velléités des opposants au Brexit.
SOURCE AFP
Modifié le 14/02/2018 à 15:21 - Publié le 14/02/2018 à 14:35 | Le Point.fr

Face à la montée des critiques sur le Brexit, Boris Johnson entend garder le cap.
© AFP
Boris Johnson juge qu'il serait « intolérable et antidémocratique » de revenir en arrière sur la sortie de l'UE. « Je crains que certains ne soient de plus en plus déterminés à arrêter le Brexit. [...] Ce serait intolérable, antidémocratique, et cela rendrait impossible la conclusion d'accords commerciaux importants », doit dire le ministre dans un discours dont des extraits sont publiés par le tabloïd Sun. « Ce serait une erreur monumentale qui provoquerait un sentiment permanent et ineffaçable de trahison », soutient le ministre, assurant que « le Brexit est le grand projet de notre époque. »
Les Britanniques toujours divisés sur le Brexit
Ce discours doit être le premier d'une série d'interventions de membres du gouvernement, y compris sa chef Theresa May, qui doit exposer sa vision des futures relations avec l'UE après le Brexit, le 29 mars 2019. Alors que la société britannique reste profondément divisée sur le sujet et que le gouvernement peine à se mettre d'accord sur sa future relation avec l'UE, Boris Johnson, l'un des leaders du camp pro-Brexit, tend la main aux partisans du maintien dans l'Europe. « Il ne suffit pas de dire à ceux qui ont voté contre le Brexit : Vous avez perdu, c'est terminé, nous devons reconnaître que beaucoup d'entre eux sont animés par des sentiments nobles [...] et le désir de voir le Royaume-Uni réussir », explique-t-il.
Boris Johnson se pose en challenger de Theresa May dont il défie régulièrement l'autorité pour faire passer sa vision d'une rupture sans concession avec l'UE, accompagnée d'une sortie du marché unique et de l'union douanière. Il fait figure d'épouvantail pour les partisans du maintien du Royaume-Uni dans l'UE, qui l'accusent d'avoir mené une campagne mensongère avant le référendum du 23 juin 2016 qui a décidé le Brexit à 52 % des voix.


La colère des anti-Brexit
Le leader de la campagne anti-Brexit Open Britain, le député travailliste Chuka Umunna a d'ailleurs raillé le discours à venir du ministre, le qualifiant d'« hypocrisie de premier ordre ». « Boris Johnson n'est pas en mesure de sermonner sur les dangers ou une éventuelle trahison », estime-t-il. « Il s'est lui-même répandu en discours alarmistes sur le fait que la Turquie était sur le point de rejoindre l'UE, et il a trahi des millions de gens avec sa promesse de verser (grâce au Brexit) 350 millions de livres par semaine au NHS », le service de santé britannique, a-t-il réagi.
D'autres membres du gouvernement livreront leur vision du Brexit dans les deux prochaines semaines : le ministre du Brexit David Davis évoquera les futures normes commerciales, le ministre d'État David Lidington abordera la répartition des compétences avec les parlements régionaux, et le secrétaire d'État au Commerce international, Liam Fox, doit livrer la stratégie sur la signature de futurs accords commerciaux. Bruxelles attend impatiemment que Londres précise sa position en vue des négociations sur leur future relation commerciale. Les deux parties n'ont pas encore trouvé d'accord sur les modalités de la période de transition réclamée par Londres et qui doit commencer après le Brexit.

Comment la France se prépare à une cyberattaque (14.02.2018)
Un rapport gouvernemental passe en revue la stratégie française de cyberdéfense, un domaine dans lequel la France accuse encore du retard.
Publié le 14/02/2018 à 16:16 | Le Point.fr

Avec cette « revue stratégique », la France peaufine sa politique de défense dans le cybermonde. Photo d'illustration : laboratoires de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi).
© Marlene Awaad / IP3 / Marlene Awaad/IP3/ Marlene Awaad
La troisième guerre mondiale a commencé... sur Internet en 2004. Et elle est loin d'être terminée ! C'est ce qui ressort des échanges qui ont marqué la journée de présentation de la revue stratégique de cyberdéfense, le 12 février à Paris. Invité en juillet 2017 par le Premier ministre à produire un état des lieux de la cybermenace, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a rendu public lundi ce qui s'apparente à un « livre blanc ». Ce rapport, publié dans sa version définitive ce mercredi 14 février, trace les pistes à suivre pour améliorer le dispositif hexagonal de protection et de riposte face à une attaque informatique d'ampleur.
« Par rapport aux quatre autres pays qui partagent avec elle des responsabilités particulières (les États-Unis, la Russie, la Chine et le Royaume-Uni), la France accuse encore, en dépit d'un effort récemment accentué, un déficit en matière de sécurité numérique », affirme sans ambages ce document.
Des défenses à améliorer
« Dans un monde marqué par la multiplicité et l'imbrication des menaces – menaces de la force et de la faiblesse, expansion du terrorisme, risque de prolifération, attaques numériques –, la France doit constamment adapter et renforcer ses dispositifs de protection de façon systématique, hors de tout cloisonnement institutionnel et de toute approche sectorielle exclusive », explique Louis Gauthier, le patron du SGDSN.
Au terme d'une consultation de près de 200 experts français et étrangers représentant à la fois acteurs publics et privés présents dans le cybermonde, les auteurs de cette « revue stratégique » ont listé sept priorités :
  • la nécessaire amélioration   de la protection des systèmes d'information hexagonaux ;
  • le découragement   des attaques par une forme de dissuasion, s'appuyant sur la possibilité, pour les acteurs publics, de riposter ;
  • l'exercice plein et entier d'une souveraineté numérique française ;
  • le renforcement d'une réponse   pénale adaptée à la cybercriminalité ;
  • la promotion   d'une culture partagée de la sécurité informatique au sein des administrations et du monde de l'entreprise ;
  • la participation de la France au développement d'une Europe numérique sûre et inspirant la confiance ;
  • la multiplication des actions internationales visant à promouvoir une gouvernance collective et maîtrisée du   cyberespace.
Une menace protéiforme
Invité à présenter l'état des négociations internationales en la matière, David Martinon, ambassadeur pour la cyberdiplomatie et l'économie numérique, a rappelé qu'elles n'avaient pas avancé depuis l'été 2017. « Tout avait pourtant bien commencé », a-t-il précisé. « En 2013, un consensus se dessinait au sein du groupe d'experts gouvernementaux chargé d'établir les règles de comportement applicables dans le monde virtuel. Tout le monde semblait alors d'accord pour affirmer la pleine applicabilité de la charte des Nations unies dans le cyberespace », a évoqué le diplomate. « En 2015, des normes de comportement avaient commencé à être évoquées, mais le dernier round de négociations, l'été dernier, n'a pas permis d'aller plus loin », a expliqué David Martinon.
La sécurité nationale en jeu
Pour Bertrand Le Sellier de Chezelles, chef d'état-major du ComCyber (commandement de cyberdéfense), « 2016 et 2017, années riches en incidents informatiques, auront permis aux acteurs de prendre la mesure que les cybermenaces se sont durcies et engagent désormais la sécurité nationale ».
De son côté, Bruno Marescaux, sous-directeur de l'Agence nationale de la sécurité des services d'information (Anssi) a évoqué trois sujets de préoccupation majeurs : la multiplication des acteurs, la prolifération des outils offensifs, consécutive à une perte de contrôle d'une partie de l'arsenal américain dérobé par des hackers pendant l'été 2016, et le recours de plus en plus banal à des formes de mercenaires.
La peur des cybermecenaires
« La cybercrimnaité n'est que l'une des formes d'expression de cette menace. L'espionnage et la déstabilisation, notamment par le travail sur les opinions et les perceptions, constituent deux autres modalités d'attaque », a poursuivi l'expert de l'Anssi. Les experts de cette agence gouvernementale chargée de sécuriser, outre les services publics, les opérateurs d'importance vitale pour la nation envisagent, dans les mois à venir, la multiplication des actions de sabotage, notamment sous la forme d'attaques en déni de service mais aussi par le biais de malwares de plus en plus virulents.
« Nous savons désormais que ces attaques technologiques peuvent être létales. Des vies humaines sont potentiellement en danger », souligne une source militaire qui a assisté aux échanges. Face à la montée en puissance de groupes de hackers, surnommés « APT » (un signe américain correspondant au terme désignant une « menace persistante avancée » ou « Advanced Persistent Threat »), dont un faisceau d'indices indique qu'ils agissent pour le compte d'États étrangers – la Chine pour APT 1, la Russie pour APT 28 et APT 29... –, la France n'a d'autre choix que de muscler ses troupes spécialisées. La loi de programmation militaire prévoit ainsi le recrutement et la formation de plus de 1 000 soldats supplémentaires dédiés au cyber.
C'est pourquoi Guillaume Poupard, directeur général de l'Anssi, renforce continuellement les effectifs de son agence depuis deux ans. « Mais, dans le contexte actuel, nous devons, en parallèle, multiplier les partenariats entre États ainsi qu'entre acteurs publics et privés », déclare-t-il.
Concluant la journée, Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du Numérique, a indiqué que les opérateurs privés en télécommunications seraient davantage mis à contribution dans l'avenir. « Ils ont déjà une obligation de coopération judiciaire. Quand on maîtrise autant de tuyaux, on peut identifier des signaux qui doivent déclencher des alarmes, ce qui participe à augmenter la sécurité nationale. Un opérateur peut le faire sans regarder le contenu des communications », a-t-il affirmé.
Le SGDSN préconise également que le G20 et l'OCDE s'emparent du sujet cyber pour éviter tout risque d'escalade. « Car il ne faut pas oublier que le conflit à l'œuvre dans le cybermonde peut à tout moment dégénérer en conflit ouvert », glisse un haut gradé militaire qui redoute une surenchère si se généralise la pratique du « hack-back » (la riposte automatique à toute attaque informatique).
Pour approfondir, lire également Les États... unis contre la cybercriminalité


« C'est grâce au Coran que je suis devenu athée » (03.01.2018)
Auteur du « Petit Terroriste », dans lequel il raconte son enfance salafiste, Omar Youssef Souleimane défend la liberté de critiquer la religion. Entretien.
PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MAHLER ET CLÉMENT PÉTREAULT
Modifié le 04/01/2018 à 09:29 - Publié le 03/01/2018 à 11:07 | Le Point.fr

Répudié par ses parents, Omar Youssef Souleymane dit qu'il est désormais "un bâtard" : "Je considère cela comme un impôt pour la liberté. Il faut toujours payer quelque chose pour gagner sa liberté.", ajoute-t-il.
© Sébastien Leban pour Le Point.
Comme dans le célèbre poème de Paul Éluard qu'il vénère, Omar Youssef Souleimane a par le pouvoir d'un mot, « liberté », recommencé sa vie. Traqué par les services de renseignements syriens après avoir participé au Printemps arabe, ce jeune poète a fui Homs en 2012. Exilé, le trentenaire réside désormais en région parisienne. Alors qu'à son arrivée à l'aéroport Charles-de-Gaulle le réfugié ne savait que quelques mots en français – dont bien sûr le « liberté » d'Éluard –, il publie dans sa langue d'adoption Le Petit Terroriste(Flammarion). Un livre aussi bouleversant qu'hilarant, oscillant...


Souleimane - Les dictateurs ont trop besoin d'Allah (14.02.2018)
Le jeune écrivain Omar Youssef Souleimane décrit comment les dictateurs arabes défendent la vision d'un dieu vengeur pour asseoir leur pouvoir.
Publié le 14/02/2018 à 13:28 | Le Point.fr
Le 1er septembre 2017, Bachar el-Assad fête l'Aïd el-Kébir à la Mosquée de Qara, dans la banlieue de Damas. 
Le 1er septembre 2017, Bachar el-Assad fête l'Aïd el-Kébir à la Mosquée de Qara, dans la banlieue de Damas. 
© HANDOUT / SANA / AFP
Pour comprendre les dictateurs arabes, il faut connaître leur dieu, ses attributs et ses noms. Celui-ci, à l'image d'un chef de tribu qui contrôle toutes choses, a créé des esclaves pour bien sentir son importance, comme il le confirme dans le Coran : « Je n'ai créé les djinns et les hommes que pour qu'ils m'adorent » bien qu'il n'ait pas besoin d'eux ; « Ô hommes, vous êtes les indigents ayant besoin d'Allah, et c'est Allah, Lui qui se dispense de tout et est digne de louanges. » Ces hommes sont obligés de l'aimer et de le remercier sans cesse, car ils n'existent que grâce à lui.
Depuis toujours, Allah est seul, rien n'est à son image et personne ne partage son pouvoir. L'unicité divine est le mot le plus important dans l'islam, c'est l'axe central du texte coranique. Le but principal du message de Mohamed à l'adresse des Arabes était qu'ils abandonnent leurs dieux, afin de se rapprocher de lui. Allah pardonne toutes les fautes, sauf une : le polythéisme. « Certes Allah ne pardonne pas qu'on lui donne quelque associé. À part cela, il pardonne à qui Il veut. » C'est ce qu'on lit dans le Coran.


Griller en enfer
À cause d'une petite faute, Allah, s'il le souhaite, nous fait griller en enfer pour des dizaines d'années, Mohamed a dit : « L'homme dit un mot entraînant la Colère d'Allah, il le dit sans y prêter attention et il chute à cause de ce mot pendant soixante-dix automnes en Enfer. » Une autre personne peut aller au paradis juste pour avoir demandé le pardon d'Allah, en répétant ce que Mohamed disait chaque matin : « Ô Allah ! Tu es mon Seigneur. Il n'y a aucune divinité [digne d'être adorée] en dehors de toi. »
Allah a 99 noms, Ils résument sa personnalité, parmi eux : Le Puissant, Le Transcendant, Le Superbe, Celui qui avilit. Il attend les infidèles, prépare des plans et, au bon moment, Il se venge. Le Vengeur étant un de ses noms, c'est ce qui est le plus agréable aux dictateurs.
Même ses attributs physiques se retrouvent chez les tyrans : il est installé sur un trône dans les cieux, autour de lui, les archanges, ses serviteurs. Il a un visage, deux mains, deux yeux... Il aime ceux qui le louent, font la prière à la fin de la nuit, et implorent son aide.
Doute interdit
Il n'aime pas les gens qui doutent de l'islam, il faut qu'ils croient au miracle du Coran, et quand on demande en quoi consiste ce miracle, il répond : « Si vous avez un doute sur ce que Nous avons révélé à Notre Serviteur, tâchez donc de produire une sourate semblable et appelez vos témoins. » De quel défi parle-t-il ? Si quelqu'un écrit des phrases sur le même ton que le Coran, les imams déclarent qu'il n'a fait que l'imiter...
Beaucoup de politiciens arabes ne peuvent pas vivre sans cette divinité bizarre construite à leur image. Ensemble, sous la table, ils ont signé un traité pour torturer leurs peuples, ils n'existent que grâce à lui, et sans eux, ils disparaîtraient.

Jeune poète et romancier d'origine syrienne, Omar Youssef Souleimane est réfugié en France. Il a participé aux printemps arabes avant de fuir Damas, recherché par la police. Élevé durant son adolescence en Arabie saoudite par des parents salafistes, cet athée militant a rompu avec son pays, sa famille et sa religion. Auteur en cette rentrée du magnifique « Le Petit Terroriste » (Flammarion), l'exilé publie sur Le Point.fr des chroniques de sa découverte de la France (pays qui, dit-il, l'a « sauvé ») comme du monde qu'il a quitté.
Lire aussi notre interview

Marcela Iacub : « On censure un nouveau féminisme » (13.02.2018)
VIDÉO. Samedi, des groupes féministes ont tenté d'empêcher la tenue de journées d'étude sur les violences sexuelles, les qualifiant d'antiféministes…
PROPOS RECUEILLIS PAR LE POINT.FR
Modifié le 13/02/2018 à 11:54 - Publié le 13/02/2018 à 11:41 | Le Point.fr

Deux journées d'étude, intitulées « Du harcèlement sexuel au travail à #Balancetonporc », étaient organisées à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) vendredi 9 et samedi 10 février. Coorganisées par Marcela Iacub, elles faisaient intervenir certains grands noms de l'Université française comme l'historien et démographe Hervé Le Bras, ou encore la politologue connue pour ses recherches sur le droit des femmes Janine Mossuz-Lavau.
Alors que cet événement universitaire visait à débattre sur les principaux enjeux que portait le mouvement #Balancetonporc, les intervenants ont eu toutes les peines du monde à exprimer leurs analyses quand des collectifs féministes sont entrés dans l'amphithéâtre pour protester contre la tenue de ces journées d'étude. Marcela Iacub exprime ses inquiétudes sur la liberté d'expression qui s'applique (ou pas) sur ces questions sensibles.
Le Point.fr : Ces journées d'étude portaient sur le harcèlement sexuel au travail et #Balancetonporc. Comment vous est venue l'idée d'organiser cet événement ?
Marcela Iacub : Le mouvement #Balancetonporc a immédiatement fait beaucoup de bruit et a surpris par son ampleur. Travaillant depuis longtemps sur les violences sexuelles, j'ai décidé d'organiser un événement avec une journaliste et la directrice du programme d'études de genre d'une université américaine pour tenter d'analyser cette révolte. Pendant plusieurs mois, on a passé au crible les tweets pour tenter de comprendre ce que ce mouvement portait en lui. On a tout de suite eu le sentiment que #Balancetonporc était un phénomène tout à fait nouveau au regard des revendications féministes classiques et qu'il méritait que l'on s'attarde sur sa singularité.
On vous a reproché le contenu scientifique et intellectuel de ces journées d'étude. Quel était-il ?
On a invité des universitaires et quelques journalistes à analyser ce phénomène. Notre hypothèse de travail, c'était que les tweets révélaient tout d'abord une révolte des élites (dans le sens non connoté du terme) : ce sont au départ des femmes jeunes et diplômées qui ont dénoncé les violences, et le mouvement s'est ensuite répandu dans des catégories sociales plus diverses. Cette révolte ne visait pas forcément à judiciariser ces violences, à faire condamner les hommes, mais plutôt à dénoncer un système de domination sexuelle beaucoup plus profond que cela : une inégalité sexuelle structurelle. Or, une partie des femmes sont en train d'acquérir de plus en plus de pouvoir social et professionnel, notamment au sein des jeunes générations. Pour ces femmes, le harcèlement et les violences sexuelles sont tout à coup apparus comme totalement insupportables. Ça ne signifie pas que cette révolte soit cantonnée à l'élite. Au contraire, cela peut orienter les luttes féministes vers une autre direction que celle revendiquée par les groupes féministes traditionnels, qui insistent plus sur la misère des femmes que sur leur force.
Que vouliez-vous montrer lors de ces journées d'étude ?
Ceux que nous avons conviés à participer et l'EHESS ont répondu à notre demande avec enthousiasme. Or, au fur et à mesure que nous travaillions, nous avons constaté (notamment dans le traitement médiatique de #Balancetonporc) que beaucoup ont considéré que ce mouvement était l'accomplissement des luttes féministes menées depuis des années contre les violences sexuelles. Notre hypothèse de travail insistait au contraire sur le caractère totalement inédit de ce phénomène. Il sortait de cette dichotomie entre les féministes traditionnelles et les machistes.
Vous dites avoir subi de multiples pressions qui demandaient l'annulation de cet événement. De quelle nature ?
Cela s'est fait en plusieurs étapes. Tout d'abord, je dois mentionner le grand enthousiasme de la part de l'EHESS à la tenue de ces journées. Mais, une fois la liste des intervenants établie, on m'a demandé qu'un intervenant que j'avais choisi en raison de ses qualités professionnelles, de sa réputation scientifique internationale et de ses travaux statistiques sur l'entrée en puissance des femmes dans le monde du travail soit retiré. Cet homme a été accusé injustement il y a plus de quinze ans d'avoir harcelé une étudiante, plainte qui a abouti, au terme d'une longue enquête, à un non-lieu. Une accusation pour laquelle la presse elle-même s'était excusée. Ses travaux statistiques sur le nouveau poids des femmes dans le monde du travail étaient très éclairants. Malgré mes protestations face à la volonté d'évincer une personne blanchie par la justice, l'on m'a répondu que sa présence risquait d'offenser certaines personnes. Or j'ai résisté à ces pressions.
Le 3 février, un premier communiqué émanant d'un syndicat étudiant, faisant une lecture totalement erronée du texte de présentation des journées d'étude – les violences sexuelles « n'existeraient plus » selon nous –, et allant même jusqu'à m'accuser de faire l'apologie du viol, a demandé l'annulation de l'événement. Le 6 février, un second communiqué de presse émanant d'un autre collectif demandait également l'annulation de ces journées d'étude, qui relevaient, selon lui, d'une « propagande antiféministe ». Les accusations infondées contre cet universitaire étaient également relayées, omettant volontairement de mentionner le non-lieu qui a suivi l'enquête. Enfin, le 8 février, l'EHESS a supprimé l'annonce des journées d'étude de son site. Malgré nos demandes d'explication répétées, nous n'avons jamais reçu de réponse de la part de l'école.
Les intervenants à ces journées d'étude ont-ils été également dissuadés de venir participer ?
Oui. Heureusement, nous n'avons eu qu'un désistement de dernière minute à la suite de ces pressions. Tous les autres nous ont en revanche appuyés. Une des intervenantes, grande spécialiste de la question des femmes et des luttes contre les violences sexuelles depuis plus de 40 ans, a mentionné lors de son intervention avoir reçu de nombreux mails de collectifs expliquant que si elle participait à ces journées d'étude, alors elle cautionnait les violences sexuelles. Mais des pressions ont également été exercées sur tous les élèves de l'école qui ont reçu le communiqué du 6 février par mail.
Quelles sont les raisons de cette hostilité, selon vous ?
Tous les arguments avancés sont des prétextes. J'ai écrit plusieurs chroniques dans le journal Libération pour soutenir le mouvement #Balancetonporc, j'ai même publiquement condamné la « Tribune des 100 ». Je crois que les militants qui se sont opposés au colloque souhaitent foncièrement monopoliser l'espace de lutte pour les femmes. Malheureusement, les méthodes employées pour faire entendre leurs voix sont une atteinte grave à la démocratie. Ils ne sont pas pour une égalité entre les hommes et les femmes. Ils pensent que les femmes sont des êtres différents et que leur émancipation passe avant tout par des sanctions pénales et civiles appliquées contre les hommes. Pour eux, il n'y a pas d'autre horizon politique que la violence institutionnelle.
Qu'ils considèrent que leur vision du féminisme est la plus juste est bien leur droit, et je me battrai s'il le faut pour qu'ils aient le droit d'exprimer leurs idées. Mais, dans un pays démocratique, nous avons un devoir d'entendre toutes les voix, y compris celles qui défendent les femmes d'une autre manière. C'est d'ailleurs ce qui existe très pacifiquement aux États-Unis : deux féminismes coexistent et sont aussi respectables que respectés. Or, samedi, quand nous leur avons signifié qu'ils n'avaient pas le monopole de la lutte des femmes, l'un d'entre eux a répondu : « Si. » On cherche à censurer un nouveau féminisme.
Avez-vous pu engager un dialogue avec les manifestants ?
Le premier jour, une dizaine de militants étaient présents dans le hall, distribuant des tracts. Nous avons pu discuter avec eux de manière plus sereine puisqu'ils n'étaient pas munis de sifflets. Nous leur avons plusieurs fois proposé de rentrer dans l'amphithéâtre et de participer aux discussions. Ils ont refusé. Nous leur avons proposé de prendre la parole. Ils ont refusé.



Samedi, ce fut beaucoup plus violent. Une trentaine de manifestants ont voulu empêcher la tenue de la dernière table ronde, à coups de sifflets ou de cris. Ils ont débranché le rétroprojecteur, arraché un micro... Et l'une de ces manifestants s'est penchée vers une professeur de 75 ans, reconnue comme une fervente défenseuse de la cause des femmes, pour lui mimer un cunnilingus... Malgré cela, nous avons maintes fois renouvelé cette invitation à discuter, à confronter leurs idées. En vain.
On vous a accusé de faire de la « propagande antiféministe ». Comprenez-vous cette accusation ?
Absolument pas. Toutes les interventions ont souligné la nécessité de dénoncer les violences sexuelles. La question qui était posée, c'est comment on obtient l'égalité sexuelle entre les hommes et les femmes. Le tout judiciaire et les condamnations sont-ils le seul remède ? Il y a eu des débats sur cette question entre les intervenants qui n'étaient d'ailleurs pas tous d'accord. Tout cela se base sur des fake news. M'accuser de faire l'apologie des violences sexuelles quand j'en ai moi-même été victime, et alors que je travaille sur ces questions depuis plus de 15 ans, c'est proprement absurde. On m'a aussi reproché un article que j'avais coécrit en 2003 sur l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff). J'y expliquais que 50 % des femmes étaient soit au foyer, soit travaillaient à mi-temps, et que, selon moi, l'égalité entre les hommes et les femmes devait d'abord passer par l'indépendance financière. C'est elle qui les protégerait contre bien des violences, qu'elles soient physiques ou psychologiques, qui adviennent quand elles n'ont pas d'argent pour quitter leurs compagnons. Je ne suis d'ailleurs pas la seule à avoir pointé cette réalité. Critiquer l'insuffisance de l'enquête a été considéré comme une apologie de la violence faite aux femmes ! C'est ainsi qu'on dénature complètement les idées d'autres défenseurs de la cause des femmes, que l'on assimile à des ennemis politiques. S'il est besoin de le rappeler, je l'affirme haut et fort : je suis profondément féministe !

À Dakar, l'islam du milieu hausse le ton (26.04.2017)
REPORTAGE. Alors que salafistes et djihadistes brouillent le message de l'islam, les soufis ont levé le bouclier en organisant leur premier forum social.
PAR GILBERT FAYE, À DAKAR
Publié le 26/04/2017 à 15:19 | Le Point Afrique

Chérif Sidi Brahim Tidjani a été le commissaire de ce premier forum social soufi. © DR
Comment relever les défis qui se présentent à l'islam en ce début de XXIe siècle marqué par la violence religieuse des musulmans rigoristes lancés dans un djihad, une guerre sainte, qui n'arrête pas de faire des victimes de tous bords sur tous les continents ? La question est de taille, mais ne rebute pas les soufis, tenants d'un courant de pensée fait de tolérance. Certains diraient d'un islam du juste milieu. À cet effet, ils ont organisé à Dakar du 15 au 17 avril le premier forum social soufi en même temps que la IXe édition du colloque international de la Tidjaniyya, tenu au Sénégal – entre Dakar, Gorée, Tivaouane et Kaolack. L'occasion a ainsi été mise à profit par les participants, chefs religieux et intellectuels, pour plaider en faveur d'une plus grande implication des confréries soufies dans la société, une démarche qui intervient alors qu'un nouveau khalife général des Tidianes vient de prendre en main les destinées de la communauté tidiane sénégalaise largement abreuvée aux sources de la Tidjaniyya, celles de Si Ahmed Tijani, dont le mausolée se trouve dans la médina de Fès, première capitale du Maroc. « Dans un contexte où le monde change de façon globale, il est important de créer un événement qui réunit non seulement les familles de notre confrérie, la Tidjaniyya, mais aussi la plupart des confréries soufies. Ce qui ne se limite pas au seul Sénégal, mais s'étend bien au-delà », a déclaré au Soleil Chérif Sidi Brahim Tidjani, le commissaire général du forum et cinquième descendant de Chérif Cheikh Ahmed Tidjani, fondateur de la confrérie Tidiane.
Le soufisme au service de la société
Le thème retenu pour l'occasion, « vers un engagement soufi au service de la société », se voulait explicite. À dessein. « Nous cherchons à pousser les associations et les chefs religieux à servir la société et à devenir un levier de développement dans les pays où ils vivent », a rappelé Chérif Sidi Brahim Tidjani, avant de préciser : « être soufi, c'est s'impliquer pleinement dans la société, l'environnement qui nous entoure. Ce n'est pas rester dans une mosquée à prier, même si c'est la base. » « C'est aussi rechercher des réponses aux préoccupations quotidiennes des populations », avance un participant au forum. « Notre croyance n'est pas hors-sol. Elle est ancrée dans une réalité humaine », ajoute-t-il.
Cet événement se déroule à un moment pivot où l'islam en Afrique – la religion de 35 % des habitants du continent – est confronté à de nombreux défis. En particulier la pénétration de courants plus rigoristes venus du Moyen-Orient, moins ancrés dans les traditions et cultures locales. Par endroit, ces courants peuvent revêtir des formes extrêmes et servir de justification à l'existence de groupes terroristes. C'est le cas notamment d'Aqmi (Al-Qaïda pour le Maghreb islamique) dans la bande sahélo-sahélienne, de Boko Haram au nord du Nigeria et aux alentours du lac Tchad ou encore des shebabs en Somalie.
Contrer les courants rigoristes et les idéologies extrémistes 
Concurrencé, le soufisme cherche à reprendre la main et à occuper, hors les murs des mosquées, un terrain social qu'il a eu tendance à délaisser. Ce forum a donc sonné comme un appel à la mobilisation, alors que les défis à relever ne manquent pas en ce début de XXIe siècle. « Lutter contre l'intolérance et l'extrémisme religieux, garantir le vivre ensemble entre communautés musulmanes et avec les non-musulmans sont autant de défis à l'heure où la mondialisation rend les sociétés de plus en plus diverses et poreuses à des influences multiples. Dans cette perspective, le soufisme peut clairement être une réponse pour autant que les confréries s'impliquent davantage dans ce qui fait la vie quotidienne des populations », avance un participant. Un point de vue partagé par le jeune secrétaire général du Cercle des soufis, Dieylani Guèye. « Les idées qui cautionnent les actes de barbarie peuvent être contrées par les valeurs du soufisme », assure-t-il.
Mais le temps presse. « Non seulement l'extrémisme prospère d'autant plus rapidement en Afrique qu'il y trouve, avec la pauvreté, un terreau fertile à son épanouissement. Mais, observe Chérif Sidi Brahim Tidjani, il y a également un autre problème, propre au soufisme : la déconnexion progressive entre ce courant de l'islam et la “réalité du monde”. Un hiatus qui s'accroît à mesure que la mondialisation s'accélère. » Peut-on y remédier ? Oui, répondent certains intellectuels soufis, à condition de doter les générations futures d'une grille de lecture qui soit à la fois moderne et conforme aux valeurs et aux prescriptions de l'islam et du soufisme.

Souleymane Bachir Diagne, professeur de philosophie à l'université Columbia, a publié un livre intitulé "Comment philosopher en islam ?", chez Philippe Rey et Jimsaan. Il était le commissaire scientifique du Forum social soufi. © DR

Le grand défi : instruire pour éclairer les esprits
Pays musulman à 95 % et sunnite à 85 %, le Sénégal pratique un islam dominé localement par d'importantes confréries soufies : les Tidianes et les Mourides – les plus importantes en termes de fidèles –, les Khadres et les Layènes. Dans ce contexte, le khalife général des Tidianes, qui est le représentant principal de la Tariqa Tidjaniyya, occupe une place très importante.
Même s'il semble mieux armé sur le plan religieux et social pour contrer la pénétration de courants allogènes, plus rigoristes de l'islam, le Sénégal n'échappe toutefois pas aux problèmes que rencontrent à l'heure actuelle les autres pays musulmans. Les autorités sénégalaises font d'ailleurs preuve d'une vigilance accrue. En octobre et novembre dernier, plusieurs imams soupçonnés de liens avec le terrorisme avaient été arrêtés. En 2015, une loi sur les Darras – nom donné aux écoles coraniques au Sénégal – a été adoptée pour en réformer l'enseignement et y promouvoir une lecture « plus éclairée » du Coran. L'éducation, il est vrai, est au cœur des préoccupations. « Le seul vrai combat à mener dans le monde islamique, c'est celui contre l'ignorance », a martelé devant l'auditoire Souleymane Bachir Diagne, professeur à la prestigieuse université de Columbia et éminente figure du monde intellectuel.
Une page se tourne dans la Tidjaniyya sénégalaise
La première édition du forum social soufi est intervenue également à un moment charnière pour l'islam au Sénégal, marqué par le décès, le 15 mars dernier, à l'âge de 92 ans, de Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, dit « Al-Makhtoum », le précédent khalife général des Tidianes, très apprécié pour son ouverture d'esprit et qui repose désormais à Tivaouane, fief de la confrérie Tidiane à environ 90 kilomètres à l'est de Dakar. Sa disparition a eu un fort retentissement au Sénégal, comme ailleurs dans la sous-région auprès des différentes communautés tidianes et musulmanes. Suivant la tradition, c'est son frère cadet, Serigne Abdou Aziz Sy, dit « Al-Amine » (« l'honnête »), jusqu'alors porte-parole de la confrérie, qui lui a succédé. Il aura la lourde tâche d'ancrer les valeurs du soufisme dans la modernité sans en altérer les racines.

"Charlie Hebdo" et l'Afrique - Souleymane Bachir Diagne : "Les vrais martyrs" (11.01.2015)
Pour le grand penseur sénégalais, auteur de "Comment philosopher en Islam* ?", la liberté d'expression doit survivre à ceux qui ont été tués parce qu'ils en étaient des témoins forts.
Publié le 11/01/2015 à 06:58 - Modifié le 11/01/2015 à 14:55 | Le Point Afrique

Professeur à l'Université Columbia de New York, Souleymane Bachir Diagne est considéré comme l'un des cinquante penseurs du siècle.
© DR
Wolinski, Cabu, et tous les autres assassinés... Puisqu'on parle de martyre, les voilà, les vrais martyrs, c'est-à-dire les témoins d'une idée qui nous permet de vivre ensemble notre commune humanité et qui est la liberté d'expression. Parce que c'est elle qui était visée, c'est en son nom qu'il faut dire sa compassion et condamner le meurtre des journalistes de Charlie Hebdo et des policiers qui étaient chargés de leur protection.
La caricature est le symbole même de la liberté d'expression
Le philosophe Locke a raison : il ne faut placer aucune limite à la liberté d'exprimer des idées, et il faut alors accepter que cela signifie que circuleront alors sans entraves celles que l'on trouve injustes, caricaturales, blessantes. Justement la caricature, en son principe même, est impertinence et irrévérence à l'endroit de l'autorité qui voudrait se poser, sans question, comme objet de révérence. C'est justement parce qu'elle questionne que la caricature est le symbole même de la liberté d'expression. Nous le savons bien en Afrique, où les progrès de la démocratie se sont manifestés dans le prodigieux développement de cet art de provoquer, d'un coup de crayon, à penser, à faire retour sur soi, à se mettre en question.
La religion n'a pas à avoir peur des questions
Et la religion alors, demandera-t-on ? Ne faut-il pas poser là des bornes à ne pas franchir ? À cette question il faut répondre deux choses. D'abord, que si la liberté d'expression est un principe, on ne peut pas la limiter de l'extérieur par des exceptions qui auront alors inévitablement vocation à se multiplier, mais il faut laisser à la seule conscience de celui qui parle publiquement, écrit ou croque une opinion le soin de décider s'il s'autorise à blesser simplement parce qu'il en a le droit et qu'il le peut : l'opinion publique sera ultimement juge en la matière. Il faut ensuite et surtout répondre que la religion n'a pas à avoir peur des questions, fussent-elles impertinentes, mais qu'au contraire elle en a besoin et s'en nourrit. Parce que la foi est ouverture à la question, parce qu'elle est inquiétude pour la vérité et non répétition mécanique de certitudes à opposer, par la violence parfois, à ce qui les interroge. Que la religion n'a pas à avoir peur du pluralisme, mais doit l'accueillir comme étant dans l'ordre des choses, comme un enseignement et une miséricorde. On dira simplement, pour finir, puisque ceux qui ont assassiné ont crié qu'ils avaient vengé le Prophète, que le nom de celui dont le Coran déclare qu'il "n'a été envoyé que comme miséricorde pour les mondes" ne peut tenir avec les mots de "meurtre" et de "vengeance" dans la même phrase.* "Comment philosopher en Islam ?", éditions Philippe Rey, 2014

Souleymane Bachir Diagne : "L'éducation est la seule vraie réponse aux défis auxquels l'islam fait face"
ENTRETIEN. Défis posés à l'islam et à la démocratie, impact de l'éducation, relations Afrique-France, Trump... : le grand penseur sénégalais ouvre de passionnantes pistes de réflexion.
PROPOS RECUEILLIS PAR GILBERT FAYE ET MALICK DIAWARA
Publié le 26/08/2017 à 08:33 - Modifié le 26/08/2017 à 10:42 | Le Point Afrique
Le philosophe Souleymane Bachir Diagne fait partie des plus illustres penseurs contemporains.
Le philosophe Souleymane Bachir Diagne fait partie des plus illustres penseurs contemporains. © DR
Alors que l'Afrique, à l'instar de tous les continents, est secouée par l'islamisme et que sa marche vers la démocratie est loin d'être tranquille, perturbée qu'elle est par des contingences locales à la fois politiques, économiques et sociales, la parole de Souleymane Bachir Diagne est précieuse. Considéré comme l'un des plus grands penseurs de notre temps, ce Sénégalais, professeur à Columbia University à New York, est l'auteur, entre autres ouvrages, de Comment philosopher en islam ? (éditions Philippe Rey), mais aussi de L'Encre des savants (Présence africaine), un livre qui éclaire sur l'approche propre et multiple qu'ont les Africains de nombre de questions, dont la politique et le temps. L'éclairage de Souleymane Bachir Diagne vaut le détour. Illustration.
Le Point Afrique : professeur à Columbia University, vous êtes aux premières loges pour donner une appréciation sur Trump, l'impact de sa politique au niveau interne, notamment par rapport aux migrants d'origine africaine, mais aussi sur l'Afrique qui doit être accompagnée par les pays riches sur le chemin des solutions au changement climatique ?
Souleymane Bachir Diagne : S'agissant de l'impact de la politique de Trump sur l'immigration aux États-Unis, quand on est dans une université comme la mienne, Columbia University, on est forcément aux premières loges pour savoir de quoi on parle. Dès le début de la présidence Trump, mon université Columbia a déclaré qu'elle faisait partie des établissements qui ne sont pas prêts à collaborer avec l'organisation fédérale qui a pour mission de traquer les immigrants illégaux et de les expulser. Le président Trump s'est en effet empressé de revenir sur la politique de Barack Obama en matière de protection de ce que l'on appelle ici les dreamers, c'est-à-dire les immigrants illégaux qui sont arrivés enfants aux États-Unis. Toutefois, je viens de lire dans la presse que le président Trump serait en passe de rétropédaler et de reconsidérer la mise en œuvre d'une telle politique. Mais cela est récent et reste à confirmer. Lorsque l'on vit à Columbia, on est à côté d'un quartier de Harlem qui s'appelle Little Senegal, où réside – comme son nom l'indique – une importante communauté sénégalaise. Et il y a eu beaucoup d'émoi ces derniers mois au sein de cette communauté, qui compte un certain nombre d'illégaux. Depuis, les choses se sont quelque peu calmées, mais l'impact, ne fût-ce que sur le plan émotionnel, est certain.
S'agissant de l'autre aspect, celui qui concerne les engagements pris sous la présidence Obama dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat en décembre 2015 pour protéger notre planète Terre, la décision de Donald Trump de suspendre la participation des États-Unis à cet accord universel est tout simplement catastrophique.
Que dit de l'Amérique la défiance exagérée de Trump envers l'islam  ?
Ce fut en effet l'un des grands aspects de sa campagne. Dès avant sa présidence, une grande partie des propos de Donald Trump ont été dirigés contre les immigrés mexicains. On l'a entendu dire des choses terribles contre les « bad hombres », comme il les avait surnommés. Dans ce contexte, en termes de propos haineux, les musulmans ont été servis plus souvent qu'à leur tour. Ces propos ne sont pas restés sans conséquence. Il y a eu une montée en flèche du nombre d'incidents islamophobes dans le pays. Il ne s'agit donc pas de simples propos sans conséquence, car, combinés les uns aux autres, ils créent un climat délétère, installé par ce genre de rhétorique et qui rend possibles toutes les violences.
Le « muslim ban », promis par le candidat et qui s'est traduit dans le décret pris par Trump pour interdire aux ressortissants de six pays musulmans d'entrer aux États-Unis, est symptomatique d'un tel contexte. Il a été d'ailleurs annulé par la justice américaine, qui s'est, pour ce faire, notamment référée aux propos de campagne de Trump pour cerner les intentions réelles de cette mesure et la déclarer finalement, et à deux reprises, non conforme au droit américain.
Puis Trump s'est rendu en Arabie saoudite avec l'intention déclarée de faire la paix avec le monde musulman. De fait, il apparaît y avoir fait amende honorable à travers quelques déclarations dans lesquelles il semble être revenu quelque peu sur ses propos antérieurs. Si celles-ci étaient suivies d'effet, ce serait une bonne chose, car le climat qui a prévalu jusqu'à présent, régulièrement nourri de propos haineux envers l'islam et les musulmans, était encore une fois particulièrement délétère.
Victoire du populisme aux États-Unis, victoire du « dégagisme » en France. Qu'est-ce que cela dit de la démocratie dans ces deux grands pays qui inspirent la démocratie à travers le monde ?
Je placerai ce qui s'est passé en France à part. Car, au fond, même s'il est vrai qu'il y a eu « dégagisme », on a le sentiment qu'avec la victoire du président Emmanuel Macron la démocratie a fini par l'emporter. L'élection de Marine Le Pen aurait été, à l'inverse, un véritable désastre sur le plan de la démocratie. Mais il est vrai qu'il y a la montée des populismes, couplée au fait que la démocratie, au fond, ne suscite plus le même enthousiasme. On a l'impression qu'il y a un déficit démocratique dont on s'accommode volontiers dans un certain nombre de pays. C'est le cas, me semble-t-il, dans certains pays en Europe de l'Est, où l'adhésion à l'Union européenne et aux principes démocratiques est moins évidente, où l'enthousiasme de l'immédiat après-chute du mur de Berlin semble être retombé.
Il y a aujourd'hui des pays qui sont en régression démocratique. C'est très dangereux. Cela prépare un monde du repli sur soi, de la fragmentation, de la tribu finalement dans laquelle on se retracte sur des identités étroitement définies par opposition à d'autres. Un monde où l'idée d'humanité en général ne semble plus avoir grand sens. On l'a constaté à l'occasion de la crise des réfugiés. On le voit malheureusement aujourd'hui dans le succès relatif que rencontrent les populismes, surtout si ceux-ci appellent à une fermeture sur soi, contre les réfugiés, les immigrés, les populations différentes, même lorsqu'il s'agit de populations de citoyens – l'Europe étant devenue aujourd'hui multiculturelle. C'est également une fermeture qui joue contre l'Europe dans le sens où elle entrave la construction européenne.
Les Ateliers de la Pensée, Dakar, 2016. ©  Photo Antoine Tempé
Salle de cinéma de l'institut Français. Discussion « Universalisme, décolonialité et mutualité ». De gauche à droite : Françoise Vergès, Souleymane Bachir Diagne, Abdourahmane Seck. © Photo Antoine Tempé

Quel regard posez-vous sur la démocratie et son exercice en Afrique ?
La démocratie en Afrique avait connu une avancée heureuse ces dernières années. Ce qu'on a appelé les « transitions démocratiques » a eu lieu. Pendant très longtemps, les démocraties sur le continent africain se comptaient sur les doigts d'une seule main. Dans les années 1980, l'un de mes compatriotes sénégalais, Benoît Saliou Ngom, avocat spécialiste des droits humains, avait écrit un livre intitulé Afrique, le continent oublié des droits de l'homme. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il y a eu depuis des avancées réelles et majeures. Les alternances démocratiques paisibles ne sont plus du tout une exception. Les autocraties sont sur la défensive. Cela étant, on voit des régressions ici ou là. En particulier la fameuse « régression du troisième mandat » qui voit le pouvoir en place accepter l'idée d'une limitation du nombre de mandats afin qu'il y ait respiration démocratique ; puis, quand ces mandats arrivent à leur terme, le pouvoir est tenté de modifier la Constitution pour se perpétuer, ce qui est extrêmement dangereux. Mais enfin, la tendance lourde, globale en Afrique, va dans le sens d'un affermissement de la démocratie.
Cela dit, il faut se rendre compte que la démocratie est un régime fragile. Jusqu'à quel niveau de pauvreté la démocratie peut-elle réellement fonctionner ? Lorsqu'il y a beaucoup de désespoir dans la société, quand vous avez des jeunes qui ne savent plus à quel saint se vouer, qui peuvent être tentés par l'immigration ou toutes sortes de fanatismes, on se rend compte que cette démocratie est extrêmement précaire et qu'il faut veiller à préserver ces acquis démocratiques qui sont réels mais fragiles sur le continent africain.
Le Sénégal, pays à majorité musulmane, est un phare de la démocratie sur le continent. En quoi l'islam, selon vous, est-il compatible avec la démocratie ?
Il est tout à fait pertinent de rappeler que le Sénégal a une solide tradition démocratique. Parce qu'au fond la fameuse question de la compatibilité de l'islam avec la démocratie n'est pas une question théorique. C'est une question éminemment pratique. Si on regarde dans le monde le nombre de pays musulmans qui sont des démocraties, ils ne sont pas très nombreux, mais ils existent. Et leur nombre va en augmentant. Donc la réponse à la question de la compatibilité entre islam et démocratie ne peut qu'être pratique, empirique. Car, si on pose cette question en considérant les seuls aspects théoriques, en se demandant ainsi si quelque chose dans l'essence même de l'islam s'oppose à quelque chose dans l'essence même de la démocratie, une telle question ne peut pas trouver de réponse. Il suffit de la poser pour n'importe quelle religion pour se rendre compte de cela. Si je pose la question de savoir si le catholicisme est compatible avec la démocratie, et si je regarde l'histoire du catholicisme, des révolutions et des contre-révolutions en France, j'ai tendance à répondre non. Mais, si je considère l'histoire de la République en France au XXe siècle, alors j'ai tendance à dire oui. Donc la réponse à la question de la compatibilité entre quelque religion que ce soit et la démocratie est toujours d'ordre pratique. De ce point de vue, des pays comme le Sénégal, la Tunisie, la Turquie, l'Indonésie, la Malaisie ou encore d'autres, en dépit de régressions démocratiques conjoncturelles toujours possibles, sont en train de faire la preuve que démocratie et islam peuvent parfaitement coexister.
Alors que Daech et Al-Qaïda terrorisent la terre entière, où situez-vous les défis que l'islam doit relever en ce début de XXIe siècle ?
Malheureusement, le terrorisme est aujourd'hui universel. Les musulmans, par conséquent, font face à cet énorme défi dont ils sont – il faut le rappeler – les premières victimes. Les pays les plus touchés par le terrorisme sont en effet les pays musulmans. Qui plus est, ce terrorisme, qui se réclame de la religion musulmane, défigure cette dernière. Et celle-ci est, au surplus, défigurée par ceux qui considèrent que l'islam serait naturellement porteur de violence, comme l'attestent les nombreux propos islamophobes qui ont libre cours dans la conjoncture.
Face à ce défi, le monde musulman doit répondre en particulier en faisant en sorte que la transmission aux jeunes générations de l'islam comme tradition spirituelle et intellectuelle que cette religion est – et qu'on a tendance à oublier aujourd'hui – puisse effectivement s'opérer. L'islam n'est tout de même pas né le 11 septembre 2001 ! C'est important de le dire, car aujourd'hui il y a une crise de la transmission. C'est donc un défi majeur auquel l'islam doit répondre.
Comment pensez-vous que l'islam va évoluer en Afrique ces prochaines années ?
L'évolution de l'islam en Afrique, si elle s'inscrit dans la continuité de ce qui a été une tradition malgré tout d'un islam soufi, donc tolérant, pluraliste et ouvert, et qu'elle est assurée par la transmission dont je viens de parler. Voilà ce que sera l'avenir de l'islam sur le continent africain, en particulier en Afrique de l'Ouest, région que je connais plus particulièrement.
Mais, une fois qu'on a dit cela, on fait aussi le constat de tendances contraires du fait d'interprétations rigoristes et littéralistes, mais surtout exclusivistes. Rigorisme ou littéralisme ne sont pas le problème; car toutes les interprétations ont droit de cité en islam. Après tout, on ne va pas faire la police des interprétations. Mais le problème, avec les interprétations rigoristes et – il faut le dire – salafistes, c'est qu'elles sont exclusivistes. Seul l'exclusivisme est le problème, car, quand vous adoptez une telle posture, vous estimez que votre interprétation est la seule valide et qu'elle annule toutes les autres. Donc la tentation de l'excommunication est là, la tentation de la violence est là. Je ne dis pas que les salafistes sont nécessairement violents. En général, ils ne le sont pas. Mais l'idéologie exclusiviste de la « pure » religion que l'on serait seul à représenter est ce dont se nourrit précisément la violence. Cette tendance-là est réelle. Elle peut aller ici ou là à l'encontre de la tradition dont je viens de parler. Mais, l'un dans l'autre, j'ai le sentiment que la tradition d'un islam soufi, pluraliste, ouvert et tolérant est une tradition relativement solide sur le continent africain.
 ©  DR
© DR

Pensez-vous, par exemple, qu'il faille réfléchir à la lutte contre l'extrémisme islamiste à travers l'éducation. Si oui, comment ?
L'éducation est, à moyen et long terme, la seule vraie réponse aux défis auxquels l'islam fait face. Il y a des réponses militaires, sécuritaires actuellement. Mais la seule vraie réponse est de gagner le combat de l'éducation. Il s'agit, par exemple, de transmettre aux jeunes générations l'enseignement d'un islam compris dans sa dimension intellectuelle et spirituelle extrêmement riche et non pas réduit à un certain nombre de formules à l'emporte-pièce qui font florès, notamment sur Internet et les réseaux sociaux. L'éducation, c'est le moyen d'« armer » intellectuellement une jeunesse pour aborder sereinement le monde de demain, c'est également lui permettre de trouver du travail. Il y a donc deux aspects dans ce combat en faveur de l'éducation : celui pour une meilleure compréhension de la religion et celui pour une meilleure insertion dans le monde moderne, dans ces sociétés du savoir qui sont les nôtres aujourd'hui. C'est dans ce combat que l'avenir se joue.
Cette question de l'éducation nous amène à la loi sur les daaras (écoles coraniques) adoptée en 2015 au Sénégal. Quel a été son impact sur le terrain et quelles lignes de force avez-vous identifiées pour que ces daaras ne se transforment pas en pépinières de terroristes islamistes ?
Il est important de rappeler en préambule que ces daaras n'ont pas de lien, jusqu'à preuve du contraire, avec le terrorisme. Donc on ne voit pas ces daaras devenir ce que les madrasas (institutions d'enseignement des sciences islamiques) sont devenues au Pakistan. Il faut se rappeler que les talibans étaient eux-mêmes d'abord des étudiants de ces madrasas, le mot « taliban » ayant d'ailleurs la même racine que le mot « talibés » qui désigne les enfants qui étudient dans les daaras. Mais la similitude s'arrête là, donc il n'y a aucune indication laissant à penser que ces dernières prendraient une orientation similaire à celles prises par les écoles au Pakistan.
Maintenant, les daaras sont de plusieurs natures. Il en existe d'ailleurs de multiples. On peut en créer sans aucun contrôle. Cette situation ne saurait perdurer compte tenu des aspects pervers que l'on constate aujourd'hui et qui peuvent se résumer, pour l'essentiel, dans l'exploitation des enfants. Cela est insupportable. L'idée que les enfants puissent être exploités sous prétexte d'éducation dans les daaras, qu'on puisse les mettre dans la rue pour mendier à un point tel qu'on se demande où ces enfants trouvent le temps d'étudier, c'est inacceptable et pour la religion et pour l'État dont la mission première est la protection des citoyens. C'est la raison pour laquelle une loi a été prise. Mais il faut bien se rendre compte que, dans la réalité des daaras, foisonnantes et multiformes, où certaines mènent réellement leur mission d'éducation coranique, d'enseignement islamique et d'autres pas, car elles sont davantage des organisations informelles permettant d'exploiter des enfants, il était très difficile de faire le tri. Par conséquent, il était bon qu'une loi fût adoptée parce qu'un texte législatif, au-delà de ses effets concrets et contraignants, signale toujours la direction vers laquelle la société entend cheminer. Il fallait donc qu'une loi fût prise pour signaler que le Sénégal, à l'instar d'autres pays, était décidé à moderniser cet enseignement, à faire en sorte qu'il serve l'épanouissement des enfants et non leur exploitation. Cela dit, le contrôle de l'application de cette loi sur le terrain est extrêmement difficile. Par exemple, celle-ci prévoit qu'on puisse retirer les enfants de la rue pour les mettre dans des centres spécialisés en cas d'abus avant de les rendre à leurs parents. Mais, en pratique, la collaboration des daaras en l'espèce n'est pas toujours assurée. Et, par ailleurs, on se heurte aussi à l'irresponsabilité de bien des parents.
Le 16 juin, nous avons célébré la Journée de l'enfant africain. C'était l'occasion de se pencher sur cette loi sur les daaras. On a constaté des progrès, même si ceux-ci sont très longs à apparaître. Néanmoins, il faut persister dans cette direction qui est la bonne. Même si, dans l'état de pauvreté dans lequel se trouvent de nombreuses familles aujourd'hui en Afrique, il va être très difficile de voir cette loi produire dans le court terme tous ses effets. Il faut compter avec le temps.
Dans le cas du Sénégal, où l'islam soufi, à travers de nombreuses confréries, est bien implanté, peut-on s'attendre à un enracinement, à un scénario où une minorité d'extrémistes, comme au Nigeria, remet en question la laïcité, la cohabitation religieuse et la démocratie telle qu'elle existe aujourd'hui ?
Comme je l'ai rappelé, je crois en la solidité de la tradition d'un islam soufi bien implanté en Afrique de l'Ouest en général et au Sénégal en particulier. Mais vous faites bien de rappeler l'exemple du Nord-Nigeria qui a eu et conserve toujours une tradition soufie assez bien implantée. Il y a d'ailleurs sur ce plan un lien très fort entre le Nord-Nigeria et le Sénégal puisqu'une des confréries fortement présentes au nord du Nigeria, la Tidjaniya, est adossée à la Tidjaniya sénégalaise en particulier dans sa branche kaolackoise, celle des Niassene. Cette forte implantation de la Tidjaniya mais aussi, plus ancienne, de la Qadiriya, la confrérie du fondateur du sultanat de Sokoto dans le Nord-Nigeria, Usman dan Fodio, n'a pas empêché au fil des années une interprétation rigoriste, exclusiviste de l'islam, intolérante et anti-soufie bien entendu, de s'installer sous le nom de « Izala ». D'une certaine manière, ce courant a fait le lit de la violence exercée par Boko Haram dans le Nord-Nigeria. Encore une fois, je ne dis pas que les salafistes sont nécessairement violents, mais cette école de pensée, par son exclusivisme encore une fois, tend à créer un terreau favorable à l'intolérance. Pour résumer, il faut avoir confiance dans la solidité de la tradition d'un islam ouest-africain, pluraliste et tolérant. Mais, dans le même temps, gardons-nous de considérer qu'il s'agit d'un acquis une fois pour toutes. Par conséquent, il est absolument nécessaire de travailler activement à le sauvegarder. Ici aussi, la clé réside dans l'éducation.
Pourquoi, à votre avis, est-il nécessaire de séparer le religieux du politique ?
C'est une mesure de sauvegarde simple. D'abord parce qu'il faut sauvegarder le pluralisme, et la meilleure manière de le faire, c'est d'avoir un État qui soit à équidistance des confessions religieuses. Et la seule manière de le garantir, c'est que le politique soit séparé du religieux. Maintenant, cela ne veut pas dire qu'il faille nécessairement adopter une forme agressive de laïcité qui chercherait à éliminer complètement les religions de la sphère publique. Le Sénégal, par exemple, ne s'est pas engagé dans cette voie. Le premier président du pays, Léopold Sédar Senghor, a théorisé une forme de laïcité qui tend à une séparation du religieux et du politique qui ne signifie pas la mise hors jeu des religions mais qui, au contraire, les invite à apporter dans le champ public ce qu'elles ont de meilleur, autrement dit leur capacité à éduquer pour la construction nationale. De mon point de vue, c'est une bonne manière de comprendre que la séparation du religieux et du politique est nécessaire mais que cette séparation ne doit pas nécessairement signifier la mise à l'écart des religions dans l'œuvre d'édification nationale.
Ensuite, cette séparation qui est une bonne chose pour le politique l'est également pour le religieux. Il n'est jamais bon que les religions se mêlent de politique. Elles finissent par perdre, dans le mélange des genres, la crédibilité qui doit être la leur. Il n'est jamais bon que les guides religieux s'égarent en politique au point d'oublier qu'ils ont une certaine aura à préserver auprès de ceux qui les suivent et vis-à-vis de qui ils ont une responsabilité.
Pour construire leur développement, les pays du Sud, et le Sénégal en particulier, doivent disposer d'un enseignement supérieur solide. Au-delà du rapport que vous avez fait en 2013 à la demande du président Macky Sall, qu'est-ce qui pourrait permettre à l'enseignement supérieur de décoller en Afrique ?
Le grand problème de l'enseignement supérieur aujourd'hui en Afrique réside dans ce que l'on appelle la « massification ». Autrement dit, le fait que la croissance démographique du nombre d'étudiants est aujourd'hui sans commune mesure avec la capacité d'accueil et de formation des institutions d'enseignement supérieur. Une première réponse a été apportée avec l'ouverture de l'enseignement supérieur privé. Par exemple, aujourd'hui, au Sénégal, un bon tiers des étudiants suivent des formations privées. C'est une bonne chose, car celles-ci se développent et se trouvent être des enseignements de très grande qualité. La concertation nationale sur l'avenir de l'enseignement supérieur, dont la responsabilité m'a été confiée par le président Macky Sall en 2013, l'a reconnu et a encouragé cette tendance.
Un deuxième point est que la réponse à apporter au défi démographique, c'est un investissement résolu dans les techniques d'enseignement numérique à distance. Je crois, et nous l'avons d'ailleurs dit au moment de cette concertation sur l'enseignement supérieur, que l'Afrique est en mesure d'accomplir, avec les technologies de l'enseignement à distance, ce qu'elle est parvenue à réaliser avec les technologies de la téléphonie mobile. Il y a eu un mode d'appropriation par les Africains de cette technologie qui est extraordinaire. Ils l'ont utilisée pour répondre à un certain nombre de leurs problèmes au quotidien, comme le paiement des factures, le transfert d'argent, etc. De la même manière, les technologies de l'enseignement à distance pourront être utilisées pour répondre à ce défi démographique extraordinaire, car on ne construira jamais aussi vite des universités, on ne formera jamais aussi rapidement des professeurs que ne croît le nombre des étudiants. Car il faut en plus des bâtiments, des professeurs en nombre suffisant pour enseigner dans des institutions d'enseignement supérieur.
Troisième point s'agissant de ce qu'il faudrait faire : un rééquilibrage dans le contenu des enseignements. On a beaucoup trop d'étudiants qui se dirigent vers les matières littéraires et les sciences sociales. D'ailleurs, ils y vont souvent moins par goût ou par vocation que par défaut. Dans le même temps, les disciplines scientifiques, les fameuses STIM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques), qui sont absolument nécessaires pour le développement de nos pays, concentrent une faible minorité d'étudiants. Et les choses vont d'ailleurs en s'aggravant. Aujourd'hui, en valeur absolue, le nombre des candidats au bac au Sénégal dans la série scientifique S1 est en train de décroître, ce qui est dramatique. Il va impérativement falloir trouver une politique d'encouragement pour les étudiants afin de les inviter à se diriger vers les disciplines scientifiques et rééquilibrer ainsi la démographie estudiantine à l'université de ce point de vue.
Enfin, il faut cesser de considérer qu'une réforme est faite une fois pour toutes. Le système doit prendre l'habitude de s'évaluer et de s'adapter. Cette culture de l'évaluation permanente doit être insufflée dans les systèmes d'enseignement supérieur en Afrique.
Ce sont là de bonnes directions à faire prendre à nos systèmes d'enseignement supérieur en Afrique. Et il est heureux qu'au Sénégal le président de la République se soit engagé personnellement et ait pris les décisions nécessaires à la suite de cette concertation et que le ministre de l'Enseignement supérieur, qui était lui-même partie prenante dans cette concertation, qui y a cru du début jusqu'à la fin, persuadé que les chemins tracés allaient dans la bonne direction, essaie aujourd'hui de transformer les mesures préconisées en une politique éducative effective.
Les Ateliers de la Pensée, Dakar, 2016. ©  Photo Antoine Tempé
Souleymane Bachir Diagne lors des Ateliers de la Pensée à Dakar en 2016, lors du panel "L’Afrique, la condition planétaire" à l'Institut Français. © Photo Antoine Tempé

Législatives, présidentielles : les élections se multiplient sur le continent. Quel regard posez-vous sur les institutions et les régimes politiques en Afrique ?
Ces élections sont toujours un moment très important pour la démocratie. C'est un gage que l'avenir sera fait de liberté, de démocratie et d'ouverture. Les démocraties avancent et méritent d'être consolidées sur le continent. Au sein de la Cedeao, par exemple, il est heureux de constater qu'une régression démocratique, potentiellement désastreuse, a été empêchée. En Gambie, le président Yaya Jammeh, après avoir reconnu dans un premier temps sa défaite électorale, était revenu sur cette reconnaissance, confisquant de fait la volonté populaire. C'est alors que nous avons vu une chose extraordinaire : tous les pays de la Cedeao se mettre ensemble, décider d'une action commune, diplomatique et militaire en même temps, avec l'aval de la communauté internationale. Cette combinaison de facteurs est une chose extrêmement importante et encourageante pour l'avenir à la fois de l'unité africaine et de la démocratie sur le continent.
Quels thèmes, pensez-vous, devraient être mis en avant à l'occasion des élections sur le continent africain pour raffermir la démocratie et mobiliser les populations autour des institutions de leurs pays respectifs ?
Dans la continuité de ce que je viens de dire, j'aurais souhaité, je souhaiterais que la question de la construction de l'intégration et de l'unité africaines prenne toute sa place dans les programmes et joutes électorales sur le continent. Il est très important, en effet, de proposer aujourd'hui à la jeunesse africaine de nouvelles frontières. De leur donner des raisons de se battre pour la démocratie, pour des institutions solides qui garantissent les libertés et pour avoir des élus qui soient comptables devant le peuple, mais également de construire cette citoyenneté ouest-africaine et, au-delà, africaine. C'est le meilleur moyen pour permettre au continent de faire face aux vents de la mondialisation. Il est donc très important de proposer un tel horizon à la jeunesse africaine. Par ailleurs, dans la continuité également de ce que j'ai dit auparavant, l'éducation doit également être au cœur des programmes proposés par les candidats aux élections parce que c'est là que se situe évidemment l'avenir.
Avec l'élection à la présidence de la République française d'Emmanuel Macron, l'Afrique a-t-elle des raisons d'espérer des relations différentes avec la France ? Si oui, pourquoi ? Sinon, pourquoi ?
Je donnerai d'abord les raisons d'espérer de tout le monde et pas seulement des Africains. L'élection du président Macron et les premières déclarations qu'il a faites, en particulier sur le climat et la nécessité d'avoir une conscience écologique, c'est là une raison d'espérer pour l'humanité entière. Car, sur ce plan comme sur d'autres, quand une forme de gouvernance internationale s'avère nécessaire, on constate malheureusement un retrait du leadership américain. Or ce vide doit être comblé. Fort heureusement, aux côtés du président Macron, il y a des personnalités comme le Premier ministre canadien Justin Trudeau, la chancelière allemande Angela Merkel, etc. Mais le fait qu'Emmanuel Macron apporte tout le poids de la France sur ces questions qui sont d'intérêt mondial, pour l'humanité et notre planète Terre, est d'une importance fondamentale.
S'agissant des relations entre l'Afrique et la France, il faut considérer ce qu'est le continent africain aujourd'hui et où il en est. Celui-ci suscite désormais des espoirs légitimes ; les germes du changement y sont réels ; nous sommes sortis de ce climat d'afro-pessimisme qui a prévalu durant la décennie 1990 pour constater qu'au fond, avec des taux de croissance spectaculaires qui s'affichent un peu partout, le continent africain est plein de promesses. C'est un continent avec lequel il faut compter et avec lequel le monde doit construire de véritables partenariats qui s'inscrivent en faux par rapport à la vision traditionnelle d'un continent qui serait à la dérive. Heureusement, nous n'en sommes plus là. L'Afrique est à l'heure des partenariats, multiples et diversifiés.
Une fois ce tableau brossé, on peut immédiatement voir ce que l'Afrique est « en droit » d'attendre d'un partenaire traditionnel comme la France. Il est heureux que le président français aujourd'hui soit d'une génération radicalement nouvelle, dont on peut espérer qu'elle n'a plus rien à voir avec cette vision passée qu'on a appelée la « Françafrique ». Dans ce processus de développement de partenariats diversifiés en cours sur le continent africain, il est bon, par conséquent, que la France prenne toute la place à laquelle son histoire et son statut lui permettent de prétendre aux côtés de l'Afrique.

sauvergarder sitamnesty

https://web.archive.org/web/20190507024549/https://sitamnesty.wordpress.com/europe-2083/ https://web.archive.org/web/20190828001705/https...