Leïla Slimani s'est attiré les foudres
des Indigènes de la République pour son livre Sexe et mensonges,
une enquête choc sur le traitement des femmes dans la société marocaine. Le
décryptage de Fatiha Boudjahlat.
«Native informant». C'est une notion que les études
postcoloniales ont forgée pour désigner les personnes de couleur qui,
surcompensant un complexe d'infériorité à l'égard des Blancs, imitent ces
derniers pour leur plaire et être reconnues par eux. À tel point que les Blancs
y voient l'enfant d'immigré parfait, le choisissent comme interlocuteur pour
représenter tous les enfants d'immigrés, alors que cette représentativité est
factice, et n'est que le fait des Blancs.
Lire la suite : http://lefigaro.fr/vox/societe/2017/08/31/31003-20170831ARTFIG00310-fatia-boudjahlat-leila-slimani-nouvelle-cible-de-la-censure-antiraciste.php
Par Fatiha Boudjahlat Mis à jour le 04/09/2017 à 10h52 | Publié le 31/08/2017 à 19h08
FIGAROVOX/TRIBUNE - Leïla Slimani s'est attiré les foudres des Indigènes de la République pour son livre Sexe et mensonges, une enquête choc sur le traitement des femmes dans la société marocaine. Le décryptage de Fatiha Boudjahlat.
Fatiha Boudjahlat est cofondatrice avec Céline Pina du mouvement Viv(r)e la République. Elle est aussi l'auteur de l'essai à paraître aux éditions du Cerf: Féminisme, tolérance, culture: Le grand détournement.
«Native informant». C'est une notion que les études postcoloniales ont forgée pour désigner les personnes de couleur qui, surcompensant un complexe d'infériorité à l'égard des Blancs, imitent ces derniers pour leur plaire et être reconnues par eux. À tel point que les Blancs y voient l'enfant d'immigré parfait, le choisissent comme interlocuteur pour représenter tous les enfants d'immigrés, alors que cette représentativité est factice, et n'est que le fait des Blancs.
Lire la suite : http://lefigaro.fr/vox/societe/2017/08/31/31003-20170831ARTFIG00310-fatia-boudjahlat-leila-slimani-nouvelle-cible-de-la-censure-antiraciste.php
En fait, cette notion est l'élément de langage pour désigner
les nègres de maison, les bounty, les blanchis, les collabeurs, les oncles Tom.
Ce dispositif psychologique de soumission du «native informant» a été décrit
par Franz Fanon dans son livre Peau Noire, Masque Blanc. Il recoupe
aussi les déclarations de Malcolm X sur la différence entre les nègres de
maison et les nègres des champs. Luther King étant un nègre de maison,
domestiqué et proche de son maître, Malcolm X étant un nègre des champs, prêt à
la lutte armée: «L'homme blanc prend un Nègre, un soi-disant Nègre, et en fait
une personnalité importante, il le construit, il parle de lui et il fait de lui
une célébrité. Au final, celui-ci devient un porte-parole pour les Nègres et un
leader Nègre.» Mais «native informant», c'est plus chic. Ou comme l'écrit
Houria Bouteldja, qui a usé récemment de cette expression pour qualifier la
romancière Leïla Slimani, «ça pète sa mère». Pensez donc, c'est scientifique.
Un bourgeois blanc conteste à un imam immigré la
légitimité de sa prise de parole parce qu'il n'aurait pas assez de followers
sur Twitter et de likes sur Facebook!
C'est aussi de cette expression dont Pascal Boniface,
directeur de l'IRIS, a usé pour qualifier l'imam Chalghoumi, dans un article
datant de 2013 . Vous ne rêvez pas. Un bourgeois blanc conteste à un imam
immigré la légitimité de sa prise de parole parce qu'il n'aurait pas assez de
followers sur Twitter et de likes sur Facebook! Un bourgeois blanc voudrait
apprendre à un immigré à être un bon immigré, un bon arabe, un bon musulman.
Pour son bien et celui de sa communauté. Pas l'immigré qui plaît à la majorité
blanche, non, Pascal Boniface sait reconnaître l'immigré et le musulman
authentique. Et ce n'est pas du paternalisme et du colonialisme du tout. Parce
que c'est un bon bourgeois blanc de gauche qui veut faire l'éducation de
l'arabe, pour le remettre sur le bon sentier de l'arabitude, et de la
musulmanitude. Cette expression de «native informant», «d'informateur
indigène», en fait de vendu aux Blancs, est surtout l'alibi scientifique
utilisé pour faire taire les dissonances au sein des immigrés et de leurs
descendants afin de s'assurer de leur hyperconformité vis-à-vis de leur
communauté, le groupe n'apparaissant que comme fait d'un seul bloc. L'individu
est alors vu comme dissident, allié objectif de la domination blanche, qui
trahit sa communauté puisqu'il trahit la cause politique de cette même
communauté: l'opposition au pouvoir Blanc.
Aux yeux de l'égérie du PIR, Leïla Slimani serait donc une
«native informant», parce qu'elle a osé faire de la misère sexuelle et de la
place de la femme dans l'espace public au Maroc le sujet de son prochain
ouvrage. Leïla Slimani va donc fournir aux Blancs ce qu'ils veulent: des
critiques sur les Arabes du Maroc. Elle ne prétend pourtant pas se faire la
porte-parole de qui que ce soit, elle est une journaliste qui a mené une
enquête. Mais c'est trop pour la dame du PIR. Pour Pascal Boniface, l'imam
Chalghoumi est un «native informant», un «rented negro», parce qu'il défend un islam
modéré, validant ainsi les stéréotypes des Blancs, et nuisant donc aux
musulmans, dans un raisonnement assez vertigineux. Parce que Pascal Boniface
sait ce qu'est un vrai musulman. Parce que Houria Bouteldja sait mieux que
Slimani ce qu'il se passe au Maroc. Leïla Slimani est marocaine, elle y a vécu.
Elle est journaliste et sait conduire une enquête. Mais comme elle ne transmet
pas le bon message, elle n'est pas légitime. Elle n'a pas le droit à la parole
parce que cette parole renforcerait la domination des Blancs, trop heureux de
voir leurs préjugés ethniques illustrés. Mais qui est dans la perpétuation du
cliché?
Djemila Benhabib, Lydia Guirous, Zohra Bitan, Leïla
Slimani... la liste des traîtres à la cause des indigénistes ne cesse de
s'allonger: Toutes des «native informant», des collabeurettes. Le PIR et les
bourgeois-pénitents comme Boniface ou Laurence De Cock leur préfèrent un
Benzema. Lui est authentique. Mais qui est le plus dans le stéréotype raciste?
Le Maghrébin turbulent, agressif et hostile à la France. Cela ne fait-il pas
cliché? N'est-ce pas ainsi que le garçon de banlieue est perçu? Benzema, malgré
ses millions et son statut de star n'est reconnu que dans la mesure où il
conforte la vision que les bourgeois blancs ont du fils d'immigré: un mec de
banlieue mal-aimé, qui peut en sortir, mais dont on ne peut sortir la banlieue,
sa violence, son hostilité à la République Française. Un sale gosse. Aimé
Césaire écrivait qu' «un homme qui crie n'est pas un ours qui danse.» Mais le
PIR et ces bourgeois-pénitents veulent des ours qui dansent. Des bons petits
sauvages qui restent dans leur rôle et fournissent le discours attendu, le
spectacle attendu, celui qui va tirer des larmes aux bourgeois-pénitents
dénonçant des privilèges auxquels ils ne renoncent pourtant pas.
La fille d'immigrée authentique est une femme voilée.
Elle ne respecte sa vérité d'être que dans la mesure où elle tient son rôle,
qu'elle reste à sa place dans sa communauté.
Ils accusent les personnalités comme Djemila Benhabib de trahir
les intérêts de leur communauté contre une notoriété, du temps d'antenne. Mais
faisons les comptes. Et le CSA qui veille à l'équité du temps de parole entre
les partis politiques devrait s'intéresser à celle des enfants d'immigrés. Qui
passe le plus à la télé? Qui s'est vendu pour du temps d'antenne? Qui fournit
le récit attendu par les médias Blancs? Les indigénistes et les tenants d'un
islam rigoriste. Eux sont les plus accueillis et mis en avant par les médias et
les intellectuels. La construction du stéréotype est faite: l'enfant d'immigré
authentique est un bon musulman. La fille d'immigrée authentique est une femme
voilée. Elle ne respecte sa vérité d'être que dans la mesure où elle tient son
rôle, qu'elle reste à sa place dans sa communauté: elle doit être
hyperconforme. Les médias et les intellectuels accommodants prêtent leur
concours à ce que George Steinmetz appelait la «retraditionnalisation», qui se
traduit par une altérité construite de toutes pièces, ou plus précisément,
reconstruite d'après une représentation ethnographique.
On pose l'alternative entre la loyauté et la trahison, entre
ce que l'origine commande d'être et ce que l'émancipation et l'autonomie
permettent d'être. La réussite des enfants d'immigrés leur offre un démenti
insupportable, surtout parce qu'elle s'accompagne d'un refus d'entrer dans une
guerre civile. Leïla Slimani leur est odieuse. Née au Maroc, fille d'une
Franco-Algérienne et d'un marocain, elle aurait dû prêter sa voix à la campagne
de haine contre la France et la République. Son exemple est d'autant plus
insupportable pour les indigénistes qu'elle a reçu un prix littéraire, pas un
prix d'existence. Elle a été reconnue, et quelle reconnaissance! Le prix
Goncourt! Pour une œuvre et pas pour ce qu'elle est. Elle a créé une œuvre de
fiction, elle n'a pas écrit une œuvre autobiographique. Que les médias aiment
les témoignages! C'est si folklorique! Cette réussite, les indigénistes la
contestent ou en font la rançon de la soumission. Pourtant, Houria Bouteldja
occupe un poste confortable à l'Institut du Monde Arabe. Qu'est-elle si ce
n'est un informateur au sens ethnographique, l'intermédiaire culturel qui va
permettre aux Blancs de l'IMA, d'appréhender l'exotisme et le folklore arabes?
La présidente de l'association islamo-féministe Lallab, Sarah Magida Toumi,
vient d'intégrer le conseil présidentiel pour l'Afrique, directement rattaché
au Président de la République. Pensons à la manière indigéniste: La République
étant structurellement raciste, qu'est-ce que cette nomination vient donc
récompenser? Si ce n'est la servilité? Si ce n'est que ces deux femmes
fournissent le récit qui est attendu? Qu'elles prêtent leur concours au nouveau
discours à la mode, celui de la contrition blanche?
Les médias ont choisi de ne pas donner la parole aux
enfants d'immigrés qui ont réussi sans haine, qui vivent heureux en France. Les
plus rigoristes ont la parole.
Cette expression de «native informant» est raciste, elle
n'est pas une clef de compréhension: elle désigne comme traître, faux arabe,
faux musulman, nègre de maison tous les individus qui portent une voix
dissonante dans leur communauté. Elle assigne l'individu à résidence
communautaire. Elle éteint la critique interne. Elle favorise les plus
orthodoxes. Ce faisant, ce sont toujours des blancs qui choisissent leur
interlocuteur. Et les médias ont choisi de ne pas donner la parole aux enfants
d'immigrés qui ont réussi sans haine, qui vivent heureux en France. Les plus
rigoristes ont la parole. Alors oui, cher Pascal Boniface, ils ont plus de
followers et de likes que l'imam Chalghoumi. Mais vous ne faites qu'achever le
processus colonial: Le discours sur l'authenticité, porté de nos jours par les
indigénistes, était tenu par l'administration coloniale: «La politique indigène
moderne était une réponse à ce biculturalisme supposé, à cette propension des
colonisés à changer de code et à manier l'imitation habilement. La politique
indigène essayait de faire adhérer le «sujet colonisé» à une définition
constante et uniforme de sa propre culture et de l'empêcher de passer de
manière stratégique d'un code culturel à un autre.»» . La politique indigène
est obsédée par la pureté et reconstruit l'altérité au bénéfice des dominants.
Les Indigènes de la République ont eu raison de s'appeler ainsi, puisqu'ils
prolongent l'action coloniale et sa logique d'assignation à résidence
identitaire: «La politique indigène peut être définie comme étant l'ensemble
des efforts mis en œuvre par l'État colonial pour définir le caractère et la
culture du colonisé de manière stable et uniforme (même si cela implique de
modifier leur culture) ainsi que l'ensemble des efforts déployés pour pousser
les colonisés à agir conformément à ces définitions.» La construction raciale
de la figure de l'indigène n'est plus le fait de l'État colonisateur, mais
celui de leaders communautaires et des bourgeois-pénitents. Les intellectuels
accommodants et les indigénistes veulent aussi leur bon arabe. Ya bon
islamiste.
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Fatiha Boudjahlat
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