«La Suède fait face à de graves problèmes d'immigration et d'intégration. La seule politique suivie depuis 25 à 30 ans a été de déverser de l'argent dans les quartiers où vivent les immigrés. Comme ça n'a pas marché, on a déversé encore plus d'argent, avec les mêmes résultats. Nous devons changer cette politique: les nouveaux arrivants doivent s'adapter à l'endroit où ils sont venus vivre, pas l'inverse.»
«Nous demandons que les nouveaux arrivants apprennent notre langue, et qu'ils comprennent et acceptent nos lois, nos usages et notre culture»
Jimmie Akesson, chef des Démocrates de suède
La vague des migrants fissure le modèle scandinave (07.09.2018)
Par Adrien Jaulmes
Mis à jour le 07/09/2018 à 20h46 | Publié le 07/09/2018 à 18h44
GRAND REPORTAGE - Le
Figaro a enquêté dans trois pays nordiques, bastions d'une
social-démocratie généreuse où la crise migratoire a semé le trouble.
Envoyé spécial en Suède,
Danemark, Norvège
La pluie froide qui s'est mise à
tomber ne semble pas déranger Jimmie
Akesson. En veste et chemise ouverte, le chef du parti des Démocrates
de Suède continue son discours malgré les averses qui s'abattent sur le sud de
la Suède. Debout devant une petite centaine de personnes rassemblées sur la
place Stortorget, au centre de Helsingborg, un micro accroché à l'oreille, il
évoque plus un animateur de jeu télévisé qu'un tribun d'extrême droite. Le
discours est en revanche sans ambiguïté: «Il y a des fusillades tous les jours,
des voitures brûlées un peu partout et 23 % des femmes ont peur de sortir
le soir», dit Akesson. «Personne en Suède ne devrait vivre dans la peur. Voici
deux ans que nous disons que nous avons besoin de plus de policiers. Le
gouvernement a d'abord prétendu que nous avions tort, mais dit à présent la
même chose que nous.»
La foule applaudit. «La Suède
fait face à de graves problèmes d'immigration et d'intégration. La seule
politique suivie depuis 25 à 30 ans a été de déverser de l'argent dans les
quartiers où vivent les immigrés. Comme ça n'a pas marché, on a déversé encore
plus d'argent, avec les mêmes résultats. Nous devons changer cette politique:
les nouveaux arrivants doivent s'adapter à l'endroit où ils sont venus vivre,
pas l'inverse.»
«Nous demandons que les
nouveaux arrivants apprennent notre langue, et qu'ils comprennent et acceptent
nos lois, nos usages et notre culture»
Jimmie Akesson, chef des
Démocrates de suède
Le ton est ferme, mais Akesson
n'élève jamais la voix, ni ne se montre menaçant. Ce jeune homme affable, barbe
courte, lunettes d'écaille, cheveux plaqués en arrière ressemble à un cadre
dans une entreprise de communication. Il est en réalité un vieux routier de la
politique. Âgé de 39 ans, Akesson participe à sa quatrième élection
législative ; c'est en revanche la première fois que son parti est dans le
groupe de tête.
Les sondages placent les
Démocrates de Suède entre la première et la troisième place, un succès pour cet
ancien groupuscule d'extrême droite. Ce sera aussi largement celui de Jimmie
Akesson. Entré dans le parti en 1995 alors qu'il n'a que 16 ans, devenu son
chef en 2005 à 26 ans, il est celui qui a transformé ce mouvement aux origines
sulfureuses en une formation présentable, jusqu'à en faire l'un des plus grands
partis suédois.
Il lui a fallu pour cela écarter
les extrémistes en tout genre, suprémacistes blancs, néonazis et amateurs de
hard-rock viking, nombreux dans les rangs du parti à sa fondation en 1988. L'un
de ses premiers dirigeants, Anders Klarström avait fait partie d'un groupe
ouvertement pro-nazi, et certains adhérents de la première heure avaient
appartenu à la Waffen SS pendant la Seconde Guerre mondiale. Akesson a
sanctionné systématiquement les dérapages verbaux et les provocations. Depuis
2014, une quarantaine de membres sont expulsés pour leurs liens avec des
organisations extrémistes ou avoir fait des déclarations racistes. Il a aussi
changé le symbole du parti, remplaçant la torche qui lui servait d'emblème par
une petite fleur bleue typique du printemps suédois, l'anémone hépatique. Son
discours reste fermement opposé à l'immigration, mais dorénavant sur des bases
culturelles plus que raciales ou ethniques.
«Nous n'avons rien contre
l'immigration», explique Akesson d'un ton patelin à ses partisans de
Helsingborg, «et de nombreux immigrants contribuent à la prospérité de ce pays.
Mais nous demandons en revanche que les nouveaux arrivants apprennent notre
langue, et qu'ils comprennent et acceptent nos lois, nos usages et notre
culture.»
«Notre société est basée sur un
certain nombre de normes et de valeurs, poursuit-il, nous sommes un pays
démocratique, où les femmes sont égales aux hommes, où nous respectons la
nature et les animaux. Je dis aux immigrants: si vous voulez vous adapter à notre
société, vous êtes les bienvenus. Mais sinon, vous devrez cesser de revendiquer
des droits exorbitants, comme celui de construire de grosses mosquées, de
séparer les garçons et les filles à l'école et de faire porter le hidjab à des
filles. Si ce sont vos revendications, alors vous n'êtes pas les bienvenus en
Suède.» Applaudissements nourris.
Campagne sur les réseaux
sociaux
Pendant la campagne, Jimmie
Akesson a répété ce discours dans une cinquantaine de villes en Suède,
sillonnant en particulier la Scanie, région industrielle et agricole du sud de
la Suède, où son parti fait ses meilleurs scores.
Les foules venues l'écouter ne
sont pas immenses, mais assez variées, même si les classes populaires dominent.
«Tout ce que dit Akesson est vrai», dit Kenneth, une jeune infirmière venue au
rassemblement de Helsingborg. «Nos hôpitaux sont encombrés et en
sous-effectifs, on n'arrive plus à traiter les malades. Et l'immigration
devient un véritable problème, tout comme la sécurité», dit-elle.
Même si les chiffres de la
délinquance sont comme toujours sujets à des interprétations diverses en
fonction des experts qui les analysent, l'actualité récente a servi le discours
des Démocrates de Suède. En juin dernier, trois
personnes ont été tuées à l'arme automatique à Malmö, la troisième ville du
pays. Des attaques à la grenade se sont multipliées au cours des
dernières années. Le mois dernier, une centaine de voitures ont été incendiées
à Göteborg, une autre grande ville de Suède. «Quand on vous dit que la
situation est compliquée, rappelez-vous qu'elle est très simple», conclut
Akesson à la fin de ses allocutions. «Regardez autour de vous. Êtes-vous
contents de ce que vous voyez? Les voitures qui brûlent, les gangs de criminels
qui se tirent dessus dans les rues, les queues à l'hôpital. Si vous êtes
contents, votez pour les sortants, parce que c'est le résultat de leur politique.
Mais si vous n'êtes pas contents, alors votez pour nous.»
«On n'aurait jamais pu arriver
à de tels scores voici encore quelques années, quand les médias locaux et
régionaux refusaient catégoriquement de publier quoi que ce soit sur nous»
Michael Rosenberg, responsable de
la section locale des Démocrates de Suède à Helsingborg
Michael Rosenberg, 49 ans, est le
responsable de la section locale des Démocrates de Suède à Helsingborg. «Le
succès de cette campagne est largement dû aux réseaux sociaux», dit-il. «On
n'aurait jamais pu arriver à de tels scores voici encore quelques années, quand
les médias locaux et régionaux refusaient catégoriquement de publier quoi que
ce soit sur nous. 80 % des médias suédois sont de gauche ou bien contrôlés
par la gauche. Maintenant, on n'a plus besoin d'eux.»
Militant depuis 1995, ce
chauffeur de taxi père de quatre enfants a vu son parti gagner en importance au
fil des années. «Le premier seuil a été franchi en 2001, quand nous avons
dépassé les 1 %, ce qui nous a permis de figurer dans les tracts
électoraux distribués par courrier. En 2006, nous avons gagné nos premiers
sièges dans les conseils municipaux. En 2010, nous avons atteint 4 % des
voix, et obtenus nos premiers sièges au Parlement. Et maintenant, nous allons vers
les 25 %, nous allons peut-être devenir le premier parti du pays.» Michael
Rosenberg refuse d'être qualifié de militant d'extrême droite. «Les médias nous
traitent de nazis parce qu'ils ne savent pas quoi dire d'autre. C'est une
étiquette qui sert à refuser de débattre avec nous. Nos militants font face à
des mesures d'intimidation. Mais ces méthodes ne marchent plus. Maintenant, les
gens n'ont plus peur de dire qu'ils votent pour nous. Nos électeurs
appartiennent à tous les milieux: à Helsingborg, nous avons des partisans
jusque dans des circonscriptions qui votaient traditionnellement à gauche. Des
bourgeois aisés, des ouvriers, des femmes, des gens éduqués, des homosexuels,
sont à présent pour nous.»
La vague d'immigration de 2015 a
constitué un tournant dans la politique suédoise. Lorsque la chancelière
allemande Angela Merkel rompt avec les règles de l'Union européenne et décide
d'admettre sur le sol allemand près d'un million de migrants et réfugiés mêlés,
la Suède emboîte le pas. Le premier ministre suédois, le conservateur Fredrik
Reinfeldt appelle alors ses concitoyens à «ouvrir leur cœur». Son gouvernement
ouvre les portes. La Suède reçoit en 2015 plus de 160.000 demandes d'asile,
majoritairement en provenance de Syrie, d'Afghanistan ou d'Irak. C'est un
chiffre record par habitant en Europe. Dans un pays de 10 millions
d'habitants, la population née à l'étranger ou de parents nés à l'étranger
représente aujourd'hui près de 20 % de la population totale, chiffre
comparable à la proportion française. Cette proportion est encore plus forte
dans les grandes villes, Stockholm, Göteborg et Malmö.
«La Suède reste aussi un pays
très égalitaire, même si les inégalités y progressent plus vite que dans
n'importe quel autre pays de l'OCDE»
Ann-Cathrine Jungar, professeur
en sciences sociales à l'université de Södertörn de Stockholm
«La Suède est un pays qui aime
bien donner des leçons aux autres», explique Michael Rosenberg, le responsable
du parti des Démocrates de Suède de Helsingborg. «Avec l'immigration, nous
avons voulu impressionner le reste du monde, et nous avons ouvert tout grand
nos frontières. Le résultat est une immense faillite. Nous avons fait entrer
des gens qui ne parlent pas suédois, et qui n'ont aucune envie d'appartenir à
ce pays. L'idée selon laquelle nous devons devenir une société multiculturelle
est fondamentalement fausse. Notre parti est une réaction contre ce phénomène.
Nous disons juste que si vous voulez venir vivre en Suède, c'est pour devenir
suédois. Les politiciens n'ont rien compris. Les gens ont cessé de leur faire
confiance à partir de ce moment-là.»
«L'essor des Démocrates de Suède
est un phénomène assez difficile à saisir, car le pays n'est pas en crise», dit
Ann-Cathrine Jungar, professeur en sciences sociales à l'université de
Södertörn de Stockholm: «l'économie se porte très bien, et globalement
l'intégration des immigrés se passe plutôt moins mal qu'ailleurs. La Suède
reste aussi un pays très égalitaire, même si les inégalités y progressent plus
vite que dans n'importe quel autre pays de l'OCDE. Ce qui se passe est
peut-être un phénomène naturel ; la Suède est allée très loin dans les
domaines de l'égalité, de l'accueil des étrangers. Ce qui se produit est
peut-être un réajustement, une réaction de la société.»
Nationalisme culturel
«La personnalité de Jimmie
Akesson a beaucoup contribué au succès des Démocrates de Suède, dit
Ann-Cathrine Jungar. Il est calme, courtois, sans agressivité. C'est le genre
de personnalité politique qui plaît en Suède. Il a aussi réussi à gommer les
origines néonazies du parti, rompant avec l'image de l'extrême droite, avec
tatouages et blousons de cuir. Il a aussi remplacé le nationalisme ethnique par
un nationalisme culturel, plus acceptable et moins ouvertement raciste»,
dit-elle.
«L'un de leurs modèles a été le
Parti du peuple danois, qui a servi d'exemple à Akesson réorganiser le parti,
éloigner les éléments extrémistes et offrir une image plus policée. Les Danois
ont quinze ans d'avance sur nous.»
Pendant les éclaircies, on
aperçoit depuis Helsingborg la côte danoise de l'autre côté du détroit de
l'Oresund. La ville jumelle est Elseneur, là où Shakespeare place l'action
de Hamlet. Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume du Danemark?
Premier pays scandinave à avoir vu un parti nationaliste anti-immigration accepté
par le reste de la classe politique, le Danemark fait figure de précurseur.
Formé en 1995, le Parti du peuple danois (DPP) est dans un premier temps mis au
ban de la classe politique.
Jimmie Akesson, chef des
Démocrates de Suède, en campagne pour les législatives, le 17 août, à
Sundsvall, sur la côte de la mer Baltique. - Crédits photo : MATS
ANDERSSON/AFP
En 1999, le premier ministre
social-démocrate Poul Nyrup Rasmussen avait exprimé par une formule méprisante
le statut de paria de la nouvelle formation: «vous ne serez jamais assez
propres pour rentrer dans la maison», employant une expression qu'on utilise
pour les animaux. La dirigeante du parti, Pia Kjærsgaard, ancienne
aide-soignante, est alors regardée de haut par la classe politique suédoise.
Le Parti du peuple danois
progresse pourtant dans l'opinion. Devenu en 2001 le troisième parti au
Folketing, le Parlement danois, il rejoint la coalition libérale et
conservatrice. Sans participer au gouvernement. Cette position lui permet
d'exercer une influence croissante sur la politique du pays. Le Danemark durcit
progressivement ses lois sur l'immigration, mesures largement acceptées par la
plupart des formations politiques. Une loi autorisant à confisquer les bijoux
des demandeurs d'asile a été adoptée, et les réglementations concernant les
résidents étrangers ont été durcies. Un nouveau projet de loi visant à
éradiquer les ghettos ethniques en rendant obligatoire dès l'âge de 1 an
l'apprentissage du danois et des valeurs danoises est à l'étude. Pia Kjærsgaard
est depuis 2015 présidente du Parlement, et le DPP, dirigé par Kristian Thulesen
Dahl, s'est encore rapproché du pouvoir.
En juin dernier, le Parti
social-démocrate qui refusait voici vingt ans tout rapport avec le Parti du
peuple danois a presque achevé sa volte-face. Sa nouvelle présidente, Mette
Frederiksen a rompu son alliance avec les Libéraux, en raison de «divergences
devenues trop grandes» sur les questions d'immigration. Le parti, a-t-elle
déclaré, est maintenant «plus en phase avec les opinions des Danois sur
l'immigration, et nous allons continuer sur cette route». Mette Frederiksen,
qui a de bonnes chances de devenir en juin 2019 première ministre, ne voit
aucun inconvénient à gouverner avec le soutien du Parti du peuple danois.
Pendant qu'il se rapprochait du
centre, ou le centre de lui, le parti d'extrême droite a vu apparaître une
formation à la fois plus radicale et tout aussi présentable.
Nye Borgerlige (la nouvelle
droite), fondée en 2015 par deux déçus du parti conservateur, est une nouvelle
formation en plein essor. La cofondatrice de Nye Borgerlige est une architecte
de 42 ans, Pernille Vermund. Mère de 3 enfants, récemment divorcée, cette jeune
femme blonde est le visage souriant de cette nouvelle droite nationaliste, qui
assume son conservatisme, sa foi luthérienne et son libéralisme économique. Ses
positions sur l'immigration sont tranchées et assumées. Le nouveau parti veut
sortir de l'Union européenne pour créer une zone de libre-échange avec le
Royaume-Uni et la Norvège, supprimer les impôts sur les sociétés. Cette
nouvelle tendance tranche avec le Parti du peuple danois et celui des
Démocrates de Suède, dont la politique anti-migratoire s'accompagne d'un
soutien à l'État-providence.
Ce mélange de libéralisme
anti-étatique et d'opposition à l'immigration caractérise la troisième grande
formation de droite nationaliste scandinave: le Parti du progrès norvégien. La
Norvège occupe une place particulière en Europe, à la fois à l'extérieur de
l'Union européenne, tout en entretenant des liens étroits avec elle, un peu
comme la Suisse. Non soumise aux règles européennes en matière d'accueil des
réfugiés, la Norvège a en revanche longtemps été l'un des pays les plus
progressistes du monde en matière de droit d'asile. Dans le fjord d'Oslo, dans
le musée qui célèbre la mémoire des explorateurs polaires, une place éminente
est accordée à Fridtjof Nansen. Après avoir été l'un des plus hardis
explorateurs de cette dernière étape des grandes découvertes, Nansen devient un
diplomate et l'un des pionniers de l'aide humanitaire aux déplacés. Nommé dans
les années 1920 haut-commissaire aux réfugiés de la Société des Nations, il
invente un passeport qui porte son nom et permet aux réfugiés de passer des
frontières. Ses efforts pour rapatrier les déplacés et les prisonniers de
guerre, échanger les populations grecques et turques après la grande guerre de
1919-1922, et venir en aide aux rescapés du génocide arménien lui valent le
prix Nobel de la paix en 1922.
Moins d'un siècle plus tard, la
Norvège a complètement changé de point de vue. L'un des artisans de cette
transformation est le Parti du progrès. Née dans les années 1970, cette
formation est à l'origine un parti libertarien, partisan d'un rôle réduit de
l'État et hostile aux impôts.
Dans les années 1980, alors que
la Norvège est devenue l'un des pays les plus riches du monde grâce au pétrole
de la mer du Nord, son nouveau dirigeant Carl Hagen, mêle à cette doctrine
libérale un discours mettant en garde contre l'immigration de masse, à l'époque
un peu incongru dans un pays relativement homogène. Le parti progresse
régulièrement, en partie parce qu'il prône l'utilisation des revenus du pétrole
pour améliorer les infrastructures du pays au lieu de le placer.
«Nous préférons dépenser de
l'argent pour venir en aide à plus de gens, mais en dehors de nos frontières»
Jon Engen-Helghem, député du
Parti du Progrès
En 2006, Hagen laisse la
direction du parti à Siv Jensen, autre forte personnalité féminine dans la
galaxie de la droite nationaliste scandinave. Elle conclut en 2013 une alliance
avec le parti conservateur, et obtient sept postes au gouvernement. Devenue
ministre des Finances, Siv Jensen a retourné à son profit une alliance destinée
à affaiblir le Parti du progrès. Au lien de voir son influence diminuer, c'est
l'extrême droite qui impose ses thématiques. «Quand la crise des migrants est
finalement arrivée en 2015, nous avons été les seuls à garder la tête froide»,
explique Jon Engen-Helghem, 37 ans, député du Parti du progrès au Storting, le
Parlement norvégien. «Les autres partis politiques ont tous surenchéri sur le
nombre de migrants que nous pouvions accueillir. Nous leur avons dit que la
politique n'était pas une affaire de bons sentiments. Tout le monde réalise
aujourd'hui que nous avions raison.»
En 2015, quelques mois après le
début de la crise migratoire, le gouvernement nomme au ministère de
l'immigration une autre femme à poigne, élue sur la liste du Parti du progrès:
Sylvi Listhaug. Cette quadragénaire blonde et souriante refuse de céder à la
«tyrannie de la bonté». Elle entreprend de réduire de façon drastique le nombre
de demandeurs d'asile admis en Norvège. Le chiffre passe de 30.000 entrées en
2015 à 2000 en 2017. Pour Listhaug et le Parti du progrès, le droit d'asile
régit par la convention des Nations unies de 1951 n'est plus adapté à des migrants
qui traversent plusieurs dizaines de frontières et sont donc théoriquement en
sécurité dès qu'ils ont franchi la première. «Ces dispositifs ont été créés
pour une autre époque, afin de protéger des individus persécutés. Ils ne sont
plus adaptés à des mouvements de masse de migrants économiques», explique Jon
Engen-Helghem. «De plus, cette politique d'accueil compassionnelle est
fondamentalement injuste: les demandeurs d'asile sont ceux qui ont le plus
d'argent. Ceux qui ont le plus besoin d'aide n'ont pas les moyens de payer les
passeurs. Nous préférons dépenser de l'argent pour venir en aide à plus de
gens, mais en dehors de nos frontières. Et nous sommes favorables au retour
dans leur pays les réfugiés qui n'ont plus besoin de protection, comme les ressortissants
des Balkans par exemple.» Listhaug entend faire de la Norvège le pays le plus
strict concernant le droit d'asile et que le regroupement familial ait plutôt
lieu dans le pays d'origine qu'en Norvège.
Devenue ministre de la Justice,
elle est finalement contrainte à la démission en mars dernier, après avoir
accusé les travaillistes, qui venaient de rejeter un projet de loi sur la
déchéance de nationalité des auteurs d'attentats, de «plus se soucier des
droits des terroristes que de la sécurité des Norvégiens». Alors que les
membres du Parti travailliste ont été parmi les victimes de la tuerie d'Anders
Breivik sur l'île d'Utoya en 2011, son commentaire suscite un tollé. Sa
carrière ne devrait pourtant pas s'en ressentir, puisqu'elle a été nommée première
vice-présidente du Parti du progrès le 3 septembre dernier.
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LES CLÉS POUR COMPRENDRE - Les
Démocrates de Suède (DS), parti eurosceptique et anti-immigration, pourraient
créer la surprise aux législatives du 9 septembre. Comme au Danemark ou en
Norvège, le modèle scandinave est mis à mal par l'afflux des migrants.
1 - La social-démocratie
nordique menacée par les «populismes»
Selon les sondages, les Démocrates
de Suède sont crédités de 20 % d'intentions de vote aux législatives du
9 septembre. Ils talonneraient ainsi les sociaux-démocrates au pouvoir et
devanceraient les conservateurs. Ce qui ferait de leur
leader, Jimmie Akesson, un faiseur de rois au lendemain des élections.
Le gouvernement social-démocrate paye clairement sa politique laxiste (alignée
sur celle de l'Allemagne) de 2014-2015, au plus fort de la crise migratoire. En
accueillant 400.000 demandeurs d'asile en quatre ans, le royaume
suédois (10 millions d'habitants) a suscité le mécontentement voire le
ras-le-bol des électeurs. Mêmes causes, mêmes effets: toute la Scandinavie,
laboratoire d'une social-démocratie longtemps jugée modèle, est touchée par ce
phénomène. À Copenhague, le Parti du peuple danois, 2e formation du pays
avec 37 députés, influence et oriente les décisions relatives à l'immigration.
En Norvège, le Parti du progrès, lui aussi adepte de la fermeture des
frontières, compte 7 ministres au sein de l'alliance
conservateurs-populistes qui gouverne actuellement…
2 - Un état providence dépassé
par l'immigration
Economie de marché tempérée par
un Etat providence généreux assurant prospérité, sécurité et haut niveau
d'éducation: ces caractéristiques du «modèle
scandinave» (cher à Emmanuel Macron) s'appliquaient lorsque l'Europe
septentrionale était épargnée par l'immigration de masse. Elle ne l'est
plus, et c'est tout un système qui est remis en question. En Suède, l'afflux de
demandeurs d'asile pèse sur les caisses de l'Etat et pompe la manne sociale.
Construction de logements pour les migrants, répartition arbitraire par quotas
dans les communes les plus reculées, cours de langues étrangères dans les
écoles maternelles, services de soins débordés: autant de mesures qui ont un
coût et bouleversent le quotidien du Suédois lambda. Stockholm a eu beau réagir
en fermant sa frontière avec le Danemark en 2016 et en réduisant les
allocations versées aux «nouveaux arrivants», le mal était fait et, d'une
certaine façon, il est irréversible. Même en Norvège, qui jouit d'une forte
croissance économique et d'un faible taux de chômage (4,3 %), le gouvernement
serre les vis et durcit sans cesse sa politique d'asile: il y va de sa survie.
3 - Des valeurs incompatibles
avec l'islam importé
Le «choc des civilisations»: ici
plus qu'ailleurs, la thèse de Samuel Huntington prend tout son sens. D'un côté,
une société tolérante qui prône l'égalité hommes-femmes, la liberté des mœurs
et le consensus à tout prix. De l'autre, des allogènes essentiellement
musulmans (les demandeurs d'asile viennent en majorité de Syrie, d'Irak et d'Afghanistan)
peu désireux de s'intégrer et vecteurs d'un islam rigide. La rencontre de ces
deux visions du monde, qui se situent aux antipodes l'une de l'autre, ne
pouvait déboucher que sur des tensions. En Suède, l'un des slogans de campagne
des DS résume tout: «Non à l'appel à la prière!» Refrain similaire en Norvège,
où la ministre de l'Education rappelle à qui veut l'entendre: «Chez nous, on
mange du porc, on boit de l'alcool et on dévoile son visage.» Quant
au Danemark, le gouvernement vient de lancer un plan d'urgence afin de
démanteler 30 ghettos identifiés. Des zones de non-droit où, selon la
ministre de l'Immigration, «la charia a plus de force que la Constitution, où
les valeurs danoises sont rejetées et où il y a trop de gens assistés ne
parlant même pas notre langue». Gare au réveil des Vikings!
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«L'immigration et la criminalité sont devenues les premières
préoccupations des Suédois»
TRIBUNE - Les élections
législatives en Suède, le 9 septembre, devraient être marquées par une
progression du parti populiste. Dominique Reynié, directeur général de la
Fondation pour l'innovation politique (Fondapol)*, analyse les ressorts du vote
des Suédois.
L'Europe s'apprête à enregistrer
en Suède une
nouvelle poussée populiste. Né en 1988, le parti nationaliste et
anti-immigration des Démocrates de Suède (DS) est demeuré inexistant pendant
une décennie (entre 0,1 % et 0,4 % des suffrages). Les législatives
de 2002 ont marqué une première progression (1,4 %), puis le parti a
doublé son score à chaque scrutin législatif: en 2006 (2,9 %), en 2010
(5,7 %) et en 2014 (12,9 %). Les DS devraient enregistrer, le
9 septembre, une nouvelle progression. On ne trouve pas l'explication dans
les grands indicateurs économiques et sociaux. En 2017, un rapport de l'OCDE élogieux
soulignait la
prospérité de ce pays. L'envolée électorale des populistes suédois
découle des conséquences de l'immigration en général et des problèmes
d'intégration en particulier.
Plus connus pour leur émigration,
les Suédois ont longtemps accueilli une immigration marginale sur le plan
quantitatif et issue de pays européens, des États-Unis et du Canada. La Suède
est donc restée un pays homogène sur le plan ethnoculturel. Dans les années
1980, une immigration non occidentale est apparue. Son développement a été
rapide, notamment au titre de l'asile. Entre 1985 et 2015, cette immigration en
Suède a été quatre fois plus importante par habitant que dans les autres pays
européens. La part de la population d'origine non occidentale est passée de
2 % à 15 % de la population totale. En 2014-2015, la Suède a connu le
plus grand flux de demandeurs d'asile par habitant jamais enregistré dans un
pays de l'OCDE. On a loué le sens de l'accueil des Suédois, leur esprit de
tolérance. Le pays a été qualifié de «superpuissance morale». Pourtant, depuis
vingt ans, les enquêtes soulignant scepticisme et inquiétude de l'opinion
montraient les limites de l'ouverture. Gouvernants, médias et universitaires
auraient dû accorder plus d'importance à ces indications.
Malgré les efforts considérables
consentis par la Suède pour l'accueil des immigrés (aide au logement, santé,
formation, emploi), l'intégration bute sur les mécanismes du séparatisme
communautariste et de l'exclusion sociale. La criminalité prend des formes et
une ampleur inédites. Et, par ailleurs, les liens entre délinquance et
criminalité d'une part et immigration d'autre part sont établis statistiquement.
Pour la seule année 2016, on relève en Suède 190.000 agressions sexuelles et
6715 plaintes pour viol - chiffre en augmentation. Or un récent
rapport gouvernemental suédois (22 août 2018) portant sur la période
2012-2017 montre que, dans les cas de viol où la victime ne connaissait pas son
agresseur, celui-ci est non européen dans 85 % des cas.
En outre, des comportements
antisociaux se sont propagés, multipliant les scènes auxquelles les Suédois ne
s'habituent pas: incendies de voitures, dégradations d'équipements publics,
rixes, trafics, fraudes, etc. Et l'on observe une surreprésentation des
non européens parmi les auteurs de ces délits.
Enfin, la menace du terrorisme
islamiste amplifie la peur et alimente la colère.
L'immigration et la criminalité
sont ainsi devenues les premières préoccupations des Suédois, loin devant les
questions économiques et sociales. Le vote des Suédois, pays
champion du monde de l'égalitarisme, n'est pas une protestation contre
les inégalités. D'ailleurs, les pays qui se portent le mieux subissent tous
l'essor du nouveau populisme: Finlande, Danemark, Allemagne, Pays-Bas,
Autriche.
L'idée de solidarité laisse la
place à l'idée de spoliation, celle d'un groupe qui est d'ici, par un autre,
qui vient d'ailleurs
Beaucoup s'obstinent pourtant à
expliquer les votes populistes par l'économie. La thèse circule que ce grand
chambardement serait la conséquence de la crise financière de 2008. Or, si la
crise n'a pu que fournir de l'eau au moulin des démagogues, le vote populiste
s'est installé antérieurement, comme le montre l'année du succès électoral du
parti populiste néerlandais Liste Pim Fortuyn (2002), la présence de Jean-Marie
Le Pen au second tour de la présidentielle (2002), l'ascension électorale
des populistes en Suède (2002, 2006) ou en Finlande (2007); et comme le prouve
l'année de l'entrée des populistes dans les coalitions parlementaires ou
gouvernementales, en Italie (1994), au Danemark (2001), en Autriche (2000), aux
Pays-Bas (2002) ou en Slovaquie (2006).
La cause profonde de ces
bouleversements électoraux est dans la crise patrimoniale que traverse
l'Europe. De nombreux Européens identifient des menaces pesant à la fois sur
leur patrimoine matériel - leur niveau de vie - et sur leur
patrimoine immatériel ou culturel - leur style de vie. Les classes
laborieuses considèrent l'État providence comme une pièce centrale de leur
patrimoine. Elles n'en acceptent pas la disparition ; elles n'acceptent
pas non plus l'évolution de la solidarité dans une société devenue
multiculturelle ; s'installe l'idée que la redistribution ne se fait plus
au profit d'un même que moi, d'un autre moi-même. L'idée de solidarité laisse
la place à l'idée de spoliation, celle d'un groupe qui est d'ici, par un autre,
qui vient d'ailleurs. Le chauvinisme social apporte aux populistes le vote des
classes laborieuses. Le versant culturel de la crise patrimoniale favorise le
vote de couches intermédiaires.
Le délitement politique de nos
sociétés
La fragilisation de l'État
providence pousse la gauche socialisante vers le déclin ou sa mutation en une
gauche sociale et nationale. En 2005, l'opposition à la Constitution européenne
a donné lieu aux premières formalisations de cette mue. C'est dans ce contexte
qu'est né à l'époque Die Linke, en Allemagne, et que Mélenchon a
amorcé un virage en abandonnant son fédéralisme et son soutien à l'entrée de la
Turquie dans l'Union. Que de chemin parcouru pour en arriver, le 2 septembre
2018, à cette déclaration du leader de La France insoumise: «Oui, j'aime mon
pays! Oui, j'aime ma patrie! Et je suis fier d'avoir ramené dans nos meetings
le drapeau tricolore et La Marseillaise. Moi je soupçonne les macronistes de
vouloir faire l'Europe en défaisant la France.» Aujourd'hui, en Allemagne,
Sarah Wagenknecht, ex-épouse d'Oskar Lafontaine et vice-présidente
de Die Linke, vient de lancer Aufstehen, un mouvement de gauche hostile à
l'immigration.
Le débat public européen peine à
admettre le rôle joué par les problèmes d'immigration et d'intégration dans le
délitement politique de nos sociétés. La crainte patrimoniale qui saisit les
Européens fonde les succès d'un populisme patrimonial qui, par sa puissance
potentielle, peut emporter nos démocraties et l'Europe si ses causes demeurent
ignorées du débat et de la décision publique.
* Professeur des universités à
Sciences Po. Dernier ouvrage paru: «Les Nouveaux Populismes» (Pluriel ,
édition revue et augmentée, 2013).La Fondapol vient par ailleurs de publier une
étude sur «Les Suédois et l'immigration» réalisée parl'universitaire suédois
Tino Sanandaji.
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Contre les ghettos musulmans, le Danemark emploie la manière
forte
REPORTAGE - «Un Danemark sans
société parallèle et sans ghettos en 2030» est le 6e plan contre la ghettoïsation
du pays et est soutenu par 8 ministres du gouvernement.
Mjolnerparken, un carré
d'immeubles en briques rouges propret de quatre étages à Norrebro, au
nord-ouest de Copenhague. Cette HLM à l'allure paisible, habitée par quelque
1.800 personnes (dont 82,1 % d'origine étrangère), est l'un des ghettos
les plus redoutés du Danemark, miné par les problèmes sociaux, le chômage et
l'insécurité. Ses
caves abritent une bande,Brothas,
qui a mené une guerre sanglante contre un autre gang, Loyal to Familia pour le
contrôle du marché de la drogue qui a fait l'année dernière 3 morts et 25
blessés.
Pour le gouvernement de centre
droit, Mjolnerparken est le premier ghetto dans sa ligne de mire pour briser
ces enclaves d'immigrés «où la charia a plus force de loi que la Constitution
du royaume, où les valeurs danoises sont rejetées et où il y a trop de gens
assistés ne
parlant même pas le danois et trop de criminels», selon la
ministre de l'Immigration, Inger Stojberg.
Symbole de ce combat contre
la ghettoïsation du
pays, 8 ministres, avec à leur tête le premier ministre, Lars Loekke Rasmussen,
sont venus y présenter le 1er mars un nouveau plan: «Un Danemark sans
société parallèle et sans ghettos en 2030», le 6e depuis 1994.
«Cette fois-ci, nous devons et
voulons que notre plan réussisse. Nous sommes prêts à prendre de nouvelles
voies et aller loin pour parvenir à notre objectif», assure le dirigeant
danois. «Des décennies de laxisme dans la politique
d'immigration ont abouti à une situation intenable où ont été
accueillis plus d'étrangers que nous avons été capables d'en intégrer»,
constate-t-il, rappelant qu'«en 1980, le Danemark comptait 5,1 millions
d'habitants. Aujourd'hui, nous sommes proches des 5,8 millions alors que
le nombre de non-occidentaux a quasiment été multiplié par 10 durant cette
période, atteignant près de 500.000», soit 8,5 % de la population, dont
environ la moitié de confession musulmane, posant de graves problèmes
d'intégration. «Il y a des quartiers où je ne reconnais pas que je suis au
Danemark», dit-il.
La situation est préoccupante
pour les enfants des ghettos, abandonnés à eux-mêmes et qui risquent d'être
laissés au bord de la route
Et d'ajouter qu'il est
«profondément préoccupé par cette frange de la population qui vit selon ses
propres lois, qui ne veut pas prendre de responsabilités et qui reste en
marge». «Il faut en finir une fois pour toutes avec ces zones de non-droit qui
constituent un défi à la cohésion de notre société», martèle M. Rasmussen
en présentant un catalogue de 22 initiatives pour démanteler en douze ans les
30 ghettos désignés par les autorités.
Comme la destruction de barres
HLM remplacées par des habitations à taille humaine, la mixité du parc
immobilier (locataires et propriétaires) encouragée pour inciter les Danois à
cohabiter en plus grand nombre avec les immigrés, l'interdiction aux criminels,
aux bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (réfugiés pour la plupart) et de
l'assistance publique d'emménager dans les 16 ghettos les plus durs. Ce volet
de rénovation, d'un coût de 10 milliards de couronnes (1,35 milliard
d'euros), est destiné à briser cette société parallèle, en éparpillant ses
habitants et en obligeant à respecter les valeurs danoises, selon le
gouvernement .
Autre initiative controversée
pour mettre un terme à la criminalité qui règne dans les ghettos: le ministre
conservateur de la Justice, Soren Pape Poulsen, n'a pas hésité à prendre des
mesures radicales pour la juguler comme «doubler les peines encourues pour
vente de drogue, violences, cambriolages et vandalisme dans ces zones où l'on
doit sentir plus lourdement le glaive de la justice qu'ailleurs». Une
initiative qui a choqué même à droite. «L'égalité devant la loi? Non», écrit
l'éditorialiste du quotidien conservateur Berlingske Tidende,
critiquant le gouvernement «de piétiner le principe fondamental dans un État de
droit comme le Danemark où nous devons tous être égaux devant la loi».
De vives critiques
Justifiant «ces moyens
drastiques», le ministre de l'Économie et de l'Intérieur Simon Emil
Ammitzboll-Bille, estime qu'ils sont «nécessaires car les efforts d'intégration
ont été un échec». Car la situation est préoccupante pour les enfants des
ghettos, abandonnés à eux-mêmes et qui risquent d'être laissés au bord de la
route. 80 % des 0-14 ans et 70 % des jeunes de 15-24 ans sont
d'origine non-occidentale dans les trois plus grands ghettos du pays selon une
analyse du ministère de l'Économie.
«Obliger les parents à envoyer
leurs enfants à la crèche au moins 25 heures par semaine dès l'âge de un
an pour apprendre les traditions danoises, les valeurs d'égalité et de
tolérance»
Merete Riisager, ministre de
l'Éducation
«Seule une minorité des parents
ont un emploi. Les enfants des ghettos fréquentent des écoles où leurs
camarades danois sont minoritaires. Ils ont des notes nettement plus mauvaises
que les autres et un mauvais départ dans la vie», selon le ministre de
l'Économie.
Même constat pour sa collègue de
l'Éducation, Merete Riisager. Elle déplore qu'«il y ait trop d'enfants qui ne
parlent pas ou mal le danois en entrant à l'école.» Pour y remédier, elle
compte «obliger les parents à envoyer leurs enfants à la crèche au moins
25 heures par semaine dès l'âge de un an pour apprendre les traditions
danoises, les valeurs d'égalité et de tolérance». Et ceux qui garderaient leur
progéniture à la maison verront leurs allocations familiales coupées.
Mais ces initiatives approuvées
en grande partie en mai par une majorité parlementaire, suscitent de vives
critiques. «Punition, punition. Le gouvernement n'a que ce mot dans la bouche»,
se désole Muhammed Aslam, président de l'association de Mjolnerparken, qui se
demande «comment on va expulser une partie des résidents des ghettos pour
atteindre l'objectif de 40 % au maximum de logements sociaux en 2030 dans
les quartiers sensibles rénovés». «Où va-t-on les reloger alors que les listes
d'attente sont de dix à trente ans?»
Résumant l'inquiétude des
analystes, Gunvor Christensen, chercheuse à l'Institut de recherches sociales
(SFI), doute des effets de «ce plan bulldozer». «Ma plus grande préoccupation,
dit-elle, concerne les habitants les plus précaires des ghettos qui vont
s'enfoncer encore plus dans l'exclusion de la société».
«Diverses études, notamment aux
Pays-Bas qui ont utilisé des moyens drastiques pour briser les ghettos, ont
montré que la politique de rénovation de ces quartiers et la mixité sociale
n'ont pas conduit à plus d'emploi ou à relever le niveau d'éducation des
résidents défavorisés qu'on souhaitait aider le plus», affirme-t-elle.
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L'éditorial du Figaro : «Au Nord comme au
Sud…»
Par Arnaud de La Grange
Longtemps, la Scandinavie fit
figure de havre pour les idées généreuses. Le royaume de la tolérance, une
terre de tempérance. Tout y était bien ordonné, à commencer par la charité.
Vers ces terres d'accueil se pressaient les proscrits, figures dissidentes et
simples réfugiés. De là rayonnait une diplomatie «morale», guidée par les
droits de l'homme. Le Nobel de la paix rehaussait encore cet éclat.
Et voilà que l'image se brouille.
Comme si un grain «populiste» voilait la surface des fjords clairs… En Suède,
on prédit la forte poussée d'un parti d'extrême droite aux élections de ce
week-end. Au Danemark et en Norvège, des formations nationalistes ont fait de
spectaculaires percées, s'imposant dans le paysage gouvernemental. Tous ces
partis ont prospéré sur le même terreau: le refus de l'immigration de masse.
Que nous dit ce vent nouveau venu
du Nord? Que la vague dite «populiste» n'est l'apanage ni du Sud, ni du Nord.
Et qu'elle n'est pas une affaire de pays «riche» ou de pays «pauvre». Ni de
culture latine, anglo-saxonne ou nordique. Le mouvement est général en Europe,
des rives du Tibre à celles de la Tamise, des eaux de la Méditerranée à celles
de la Baltique. Et la Suède est loin d'être un pays à l'économie malade. Là-bas
comme ailleurs, ce n'est pas le cœur du sujet. C'est une profonde insécurité
culturelle qui draine les électeurs vers ces formations.
Les populations scandinaves n'ont
pas massivement basculé dans l'intolérance et un nationalisme obtus. Mais leur
vision du monde a changé. Les règles d'asile, conçues il y a plus d'un
demi-siècle pour accueillir des individus persécutés, leur apparaissent
inadaptées aux vastes mouvements de populations d'aujourd'hui. Et l'onde de
choc de l'ouverture en grand des frontières par Angela Merkel en 2015 a couru jusqu'en
Scandinavie.
S'il le fallait encore, cette
vague nordique montre que l'incapacité de nos social-démocraties à traiter la
question migratoire de manière raisonnée pousse les électeurs dans les bras des
extrêmes. Inexorablement.
Journaliste
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