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supporters lyonnais
Ris-Orangis
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dans la rue
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idéologique que nous devons refuser»
FIGAROVOX/TRIBUNE - Le terme de
«migrants» s'est imposé dans le discours public et désigne indistinctement des
réalités très différentes. À la faveur de ce mot s'impose subrepticement
une vision de l'immigration à l'opposé du vœu des Français, s'inquiète l'ancien
préfet Hugues Moutouh.
Depuis quelques années déjà,
l'actualité européenne ne parle plus que d'eux. Ils font
régulièrement la une des journaux télévisés, sont le sujet de nombreuses
conférences intergouvernementales et la source de bien des
brouilles diplomatiques. On dit même qu'ils pourraient achever de saper le
projet européen, à force de mettre à l'épreuve la solidarité
des États membres. Mais de qui parle-t-on? Des «migrants», bien sûr.
La France, comme les autres pays
européens, n'échappe pas à la fameuse «crise migratoire». Il suffit d'ouvrir
n'importe quel journal de ces derniers jours pour s'en convaincre:
«Loire-Atlantique: la préfète juge parfaitement insupportable l'existence d'un
campement de migrants dans le centre de Nantes» ; «Nord: les autorités évacuent
à nouveau le campement de migrants de Grande-Synthe, où vivent
environ 500 personnes».
Pas une semaine sans que les mots
de «migrant» ou de «migration» ne viennent alimenter les chroniques de
presse ou déclarations des personnalités politiques. Tout ou presque sur ce
sujet semble avoir été dit… excepté peut-être l'essentiel: pourquoi parle-t-on
aujourd'hui de «migrants» et de «migrations»?
Ce vocable est nouveau dans
la bouche des journalistes et des politiques. Voilà quelques années, les
mêmes auraient décrit le phénomène auquel nous sommes actuellement confrontés
avec des mots plus classiques. On aurait parlé de réfugiés, de vagues d'immigrés
ou de clandestins, selon le point de vue adopté. Entre hier et
aujourd'hui, les réalités que désignent ces mots n'ont pas changé.
Des personnes quittent leurs pays, toujours pour des raisons identiques: la
guerre, la famine, ou, le plus souvent, l'espérance d'une vie meilleure plus au
nord. En fin de compte, la seule vraie nouveauté est d'ordre sémantique.
Dorénavant, d'Emmanuel Macron à Marine Le Pen, en passant par Jean-Luc
Mélenchon, un même mot est utilisé pour désigner la chose. Exit la figure
de «l'immigré»! Dépassé, le débat sur «l'immigration». C'est du «migrant» dont
il est question.
«La seule vraie nouveauté
est d'ordre sémantique»
Cette évolution du langage n'est
ni anodine ni innocente. On sait qu'en politique, plus que dans n'importe quel
autre domaine, les mots ont un sens. Chaque époque conditionne ainsi, à travers
les mots que l'on emploie, ce qu'il est possible et acceptable de dire.
Ce n'est ni par antimodernisme
ou simple esprit de réaction que, pour notre part, nous pensons préférable
de reparler en 2018 d'«immigration». C'est parce que, selon nous, seul
l'emploi de ce terme permet de traiter du sujet comme il devrait l'être:
uniquement sous l'angle politique et non à travers un prisme déformant,
exclusivement humanitaire. Nul ne peut contester à un pays le droit de
contrôler en toute souveraineté son immigration. Il n'y a là aucune question
morale, juste un peu de droit au service d'une politique nationale.
L'immigré est l'étranger qu'un État accepte d'accueillir sur son sol
pendant une durée déterminée, à la condition qu'il se conforme aux règles
d'entrée et de séjour qui lui sont signifiées. Lorsqu'il se trouve en situation
irrégulière, il n'a vocation ni à entrer ni à demeurer sur
le territoire de cet État. Les cas des demandeurs d'asile sincères appellent un
traitement particulier, mais le détournement du droit d'asile en filière
d'immigration illégale doit cesser.
Or, dès lors que l'on parle de
«migrants» et de «migration», les termes du débat se trouvent faussés.
S'installe alors, au profit de ces mêmes étrangers, une présomption de devoir
d'accueil, avec un renversement inédit de la charge de la preuve: les
gouvernants se retrouvent sommés de s'expliquer devant le tribunal de
l'opinion. Ils doivent se justifier de ne pas accueillir chaque jour toujours
plus de «migrants», qui semblent se voir reconnu (par qui et au nom de quoi?)
un véritable droit de créance sur les États européens, une sorte d'incroyable
et de terrible pouvoir d'exiger.
«Refuser de parler de “migrants ”
est donc tout sauf une coquetterie langagière. C'est un véritable acte de
résistance».
Refuser de parler de «migrants»
est donc tout sauf une coquetterie langagière. C'est un véritable acte de
résistance, le refus de reconnaissance à notre encontre d'une dette
positive pesant sur nos épaules et surtout celles des générations futures. Non,
les «migrants» qui sont convoyés par les nouvelles mafias, avec le concours
irresponsable (mais pas toujours naïf) de quelques ONG, ne peuvent exiger de la
France, de l'Allemagne ou de l'Italie tout un ensemble de prestations qui vont
du droit à l'accueil et à l'assistance au droit au logement, en passant par
le droit au travail ou à l'instruction.
Qui ne comprend qu'accepter de
parler de «migration» revient non seulement à faire le jeu de ceux qui militent
depuis toujours pour l'abolition des frontières et la fin des nations, mais
donne aussi le sentiment que l'Europe est une terre à conquérir? Pour concevoir
et faire appliquer une politique en matière d'immigration, il faut
d'abord mener la bataille des mots.
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dénoncer» (19.09.2018)
TRIBUNE - Le spécialiste du droit
constitutionnel Bertrand Mathieu analyse l'opposition montante entre l'État de
droit et la souveraineté populaire et explore des pistes pour y remédier.
La fracture qui divise l'Europe
traduit une crise profonde du système de la démocratie libérale. Tenter de la
surmonter implique de ne pas s'enfermer dans une posture idéologique mais d'en
analyser les causes. La démocratie représentative a longtemps constitué un
modèle qui a apporté cohésion sociale, paix et développement des droits de
l'homme. Aujourd'hui, non seulement les régimes autoritaires exercent une
certaine attraction, mais il existe une corrélation entre sentiment de perte
d'identité et manque de confiance en la démocratie. Le fossé entre les élites
et le peuple est alimenté par la déconnexion qui s'établit entre le vote et les
décisions politiques prises par les élus.
Le système occidental est un
système mixte démocratique et libéral. Il est démocratique en ce qu'il fonde la
légitimité du pouvoir dans le peuple. Il est libéral, en ce qu'il prévoit des
mécanismes de contrôle et de contrepoids visant à limiter l'exercice du
pouvoir, à le modérer. Or l'utilisation contemporaine du terme démocratie
confond ces deux aspects, masquant les contradictions, les conflits qui peuvent
opposer démocratie et libéralisme. Il en résulte que la doxa ne parvient pas à
expliquer que des peuples accordent leur suffrage à des régimes de moins en
moins libéraux comme en Hongrieou
en Pologne et que certains régimes libéraux soient de moins en moins
démocratiques.
Facteurs multiples
Les facteurs de la crise sont
multiples. La démocratie est née et s'est développée dans le cadre des États.
Elle présuppose l'existence d'un peuple, inscrit dans des frontières et uni par
le partage de valeurs communes. Or le cadre étatique se fracture. Des
organismes supranationaux, producteurs d'ordres juridiques spécifiques,
s'installent en surplomb. La carte géopolitique se transforme par la
reconstitution de systèmes impériaux (Russie, Turquie),
composés d'un État central et d'États satellites ou sous influence et par la
déconstruction d'autres États (Espagne). Des ONG jouent un rôle qui peut être
positif mais qui traduit souvent des engagements de nature politique masqués.
Au-delà s'exercent des pouvoirs économiques et financiers qui ne s'inscrivent
pas dans le cadre des États, et souvent plus puissants qu'eux.
Le développement d'une conception
individualiste des droits fondamentaux participe au déchirement du tissu
social, à l'éclatement de la notion d'intérêt général, à un système de valeurs
concurrentielles qui affaiblissent la démocratie. Si l'homme se définit par son
universalité, un peuple se définit par son identité. Or
l'hyper-individualisation du droit entraîne en retour la création de nouvelles
solidarités communautaristes. Ces deux mouvements conduisent la société à
fonctionner selon des mécanismes de légitimation étrangers à la démocratie, du
fait de l'impossible construction d'une volonté générale. Des mouvements comme
ceux relevant de l'islamisme politique s'appuient sur les droits individuels
pour imposer à la société une idéologie concurrente et puissante. La
fragmentation engendrée par ce communautarisme conduit à une rupture dans
l'identité culturelle. Le multiculturalisme oppose au sein d'une société des
populations qui n'ont parfois plus les mêmes références culturelles.
Par ailleurs, l'État concentre
ce qui lui reste de pouvoir sur une rééducation idéologique du peuple. Le
contrôle du langage devient l'un des outils les plus puissants du contrôle social.
L'histoire est inlassablement réécrite.
Par ailleurs, l'État concentre ce
qui lui reste de pouvoir sur une rééducation idéologique du peuple. Le contrôle
du langage devient l'un des outils les plus puissants du contrôle social.
L'histoire est inlassablement réécrite. Les délits d'opinion se multiplient. La
loi sur la presse se grossit d'interdits pénalement sanctionnés toujours plus
nombreux. Cette action vise à «régénérer» un peuple et à disqualifier une
population, qu'on dit victime de ses préjugés et délégitimée par ses tendances
au populisme.
C'est dans ce contexte que le
pouvoir du juge tend à suppléer les carences du pouvoir politique. Les facteurs
en sont nombreux: développement d'un droit fondé sur les droits individuels,
pénalisation de la vie publique corollaire de l'affaiblissement de la
responsabilité politique, multiplication d'ordres juridiques enchevêtrés
(national, européen, international) dont les rapports sont régulés par les
juges. Le juge peut ainsi forger un droit (en matière d'immigration, de mœurs)
dans la détermination de laquelle le peuple n'a qu'un rôle résiduel. Le
développement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
en est l'une des illustrations la plus évidente. Combattre cette évolution et
sauver, si tant faire se peut, les démocraties européennes exige de clarifier
le lieu du pouvoir politique, notamment les compétences attribuées à l'Union
européenne et celle relevant des États, ce qui relève de l'identité commune et
ce qui relève des identités nationales. Il importe également de rétablir et de
développer les instruments d'intervention du peuple dans la décision politique.
Si pour les questions locales, le développement des instruments de la
démocratie participative constitue une voie féconde, au niveau national, il
convient de revaloriser une utilisation raisonnée du référendum, sans en
méconnaître les dangers. Continuer à faire l'impasse sur cette révolte sourde
des peuples, en les privant de la possibilité de s'exprimer, c'est courir le
danger d'une explosion dont personne ne peut prédire les péripéties et les
conséquences. C'est signer la fin du modèle de démocratie occidentale.
Bertrand Mathieu est professeur
agrégé des facultés de droit, vice-président de l'Association internationale de
droit constitutionnel et auteur de Le Droit contre la démocratie?,
Lextenso, 2017.
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CHRONIQUE - Après la prise de
pouvoir des partis antisystème en Italie, l'historien et essayiste analyse
cette vague politique qui prend l'Europe comme bouc émissaire. Si le système,
c'est la démocratie sans le peuple, le populisme semble être le peuple sans la
démocratie. D'après lui, seul un rapprochement franco-allemand permettrait à
l'Europe de sortir de l'ornière.
Le système, une démocratie
sans le peuple
Cette fois-ci, il sera bien
difficile de nier l'évidence. Après le Brexit, après les succès de l'extrême
droite en Autriche, en Allemagne, après la résistance déterminée des pays de
l'Europe de l'Est à la discipline européenne en matière d'immigration, l'Italie
vient de se donner un pouvoir hors système. Partout, même en France, le
populisme a le vent en poupe.
Certes, le mot est vague, il est
discuté, mais ni plus ni moins que tous ceux qui désignent les grands systèmes
politiques. Socialisme, démocratie, nation ne sont-ils pas des mots imprécis,
au contenu changeant selon les époques et les idéologies?
Essayons pourtant d'établir
quelques données simples.
1. Le peuple n'est pas populiste,
pas plus que de Gaulle n'était gaulliste ou que le bon Dieu n'est pratiquant.
Le populisme est le fait d'élites particulières, en l'occurrence les élites
antisystème. À l'intérieur des classes dirigeantes, dit Pareto, si A est
l'élite au pouvoir, B ceux qui cherchent à l'en chasser et C le reste de la
population, les B s'appuient sur les C avec d'autant plus de chances d'y
parvenir que, n'étant pas au pouvoir, leurs promesses ne sont pas soumises à
vérification. Le populisme est l'idéologie des B pour obtenir l'appui des C
afin de prendre la place des A. Rien de plus. De tels courants deviennent très
importants lorsque le système fonctionne mal, autrement dit, quand la
démocratie représentative est en crise.
2. Le «système» - en général le
système parlementaire -, c'est la démocratie sans le peuple. Le populisme,
c'est, le plus souvent, le peuple sans la démocratie. Avec la correction
introduite plus haut: dans ce second cas, ce n'est pas, ce n'est jamais le
peuple qui gouverne, mais les minorités qui tentent de se légitimer en se
réclamant expressément de lui.
3. Il y a un populisme de droite
et un populisme de gauche. Mais cette différence de départ est sans grande
importance au regard des traits communs: le culte du chef ; la démagogie
dans le domaine économique, caractérisée par la fuite en avant ; le
«dégagisme», autre nom de l'antiparlementarisme dans le domaine
politique ; le protectionnisme dans
le domaine commercial ; l'isolationnisme dans le domaine
diplomatique ; la xénophobie en matière d'immigration ;
l'agressivité, voire l'aventurisme en matière militaire.
4. En régime populiste, le dogme
de l'infaillibilité populaire exige, quand les choses vont mal, la désignation
d'un bouc émissaire extérieur au système, d'où est censé venir tout le mal.
Aujourd'hui, dans l'ensemble de l'Europe, ce sont les institutions européennes
qui jouent ce rôle. Un tel système, politique et intellectuel, est de nature
composite. Et par conséquent anxiogène. Dans l'Europe d'aujourd'hui, le chômage
parfois mais l'immigration toujours et partout sont les deux sources de
l'anxiété populaire.
5. En démocratie, le peuple est
souverain. Cela ne signifie nullement qu'il soit infaillible. On a donc
parfaitement le droit d'être en désaccord avec la majorité, à condition de
n'user à l'encontre de celle-ci que des ressources du débat et de la
persuasion. Les populistes sont à l'inverse des gens qui proclament que le
peuple a toujours raison ; sous réserve, bien sûr, d'en être les
interprètes exclusifs.
«Qui a vraiment besoin du
Brexit, de la Catalogne indépendante ou de Donald Trump comme président des
États-Unis ?»
Gérard Karsenty
6. Contrairement à la vulgate
libérale ou marxiste, le peuple n'est pas exclusivement déterminé par ses
intérêts. Comme les individus, et peut-être plus souvent qu'eux, il peut être
dominé par des passions mauvaises conseillères. Comme l'écrit Gérard Karsenty,
dans le brillant numéro que Jean-Claude Casanova nous offre à l'occasion du
quarantième anniversaire de la revue Commentaire : «Il semble
que les hommes s'ennuient et cherchent à provoquer des catastrophes économiques
et politiques afin de se redonner une identité, une raison pour vivre et pour
mourir. Qui a vraiment besoin du Brexit, de la Catalogne indépendante ou de
Donald Trump comme président des États-Unis?» Jamais un intellectuel ne
concéderait que ses idées sont le simple reflet de ses intérêts. Pourquoi le
peuple n'aurait-il pas le droit lui aussi à une marge d'autonomie des premières
par rapport aux seconds?
On voudra bien pardonner ces
considérations générales liminaires. Mais elles m'ont semblé nécessaires pour
tenter d'interpréter correctement ce qui se passe aujourd'hui autour de nous.
Certes, l'Italie n'est pas le
premier pays d'Europe à être sur le point de se donner à une majorité purement
populiste. La
Hongrie l'a précédée dans cette voie, et la Pologne n'en est pas loin.
Mais c'est la première fois qu'un pays d'Europe occidentale, et de plus l'un
des six pays fondateurs de l'Europe, est tenté de s'y engager.
Il y a longtemps que le système
politique et administratif italien est malade. La longue domination, avec des
interruptions, de Silvio Berlusconi, de 1994 à 2011, était déjà de nature
populiste. Il a fait des émules qui ont fini par occuper la plus grande partie
de l'espace. Le clientélisme est, depuis les Romains, profondément ancré dans
la culture italienne. L'élément nouveau, c'est la tournure à la fois
antieuropéenne et xénophobe prise par le phénomène. Avec beaucoup de
courage, le
président de la République, Sergio Mattarella, a tenté, en vain, de
mettre le holà à cette dérive. C'est un fait, pour tous les antieuropéens et
autres «souverainistes», le pouvoir bruxellois est lointain, sournois,
malveillant, tyrannique, et de plus illégitime. Il est l'équivalent actuel de
ce que représentait dans les mentalités, chez Alain par exemple, sous la IIIe
et la IVe République, le malfaisant Paris par rapport à la vertueuse
province.
Le souverainisme, un fantasme
nostalgique
Faut-il s'attendre à une crise
européenne profonde à l'automne prochain, avec mise en danger de l'euro? C'est
assez vraisemblable, tant l'immobilisme est grand chez les Européens. Et pas
seulement à Bruxelles. La joie mauvaise (en allemand Schadenfreude)
qui gagne les commentateurs quand ils décrivent les
actuelles déconvenues d'Emmanuel Macron dans ses tentatives de relance de
l'Europe en dit long sur les arrière-pensées d'une grande partie
de l'élite: en l'occurrence, sous prétexte de réalisme, sortir de la grande
Histoire qui nous dépasserait. Placé au pied du mur, le prétendu souverainisme
se révèle pour ce qu'il est: un fantasme nostalgique, la vacuité de la pensée,
le renoncement politique. Si le populisme fait aujourd'hui de tels progrès,
c'est qu'il ne se heurte à aucune pensée claire et ferme, aucune volonté de
faire avancer les choses.
Au-delà des raisons particulières
propres à chaque pays, ce que nous vivons aujourd'hui, c'est la fin du règne
sans partage de la démocratie représentative et les premiers balbutiements
d'une aspiration des élites populaires à la démocratie directe. Le «dégagisme»,
c'est avant tout le rejet des intermédiaires entre le peuple et le pouvoir. Car
ces élites sont perçues comme mauvaises conductrices de la volonté générale et
portées à se constituer en castes privilégiées. Tous les populismes, de Syriza
à Podemos, jusqu'aux Insoumis, prétendent traduire fidèlement les volontés du
peuple.
Jean-Luc Mélenchon fait de la
manifestation de masse une véritable obsession : elle est à ses yeux le
complément indispensable du suffrage universel, voire sa revanche sur celui-ci
Par quels moyens? Depuis les plus
classiques - la manifestation - jusqu'aux plus modernes: Internet et tous ses
dérivés. Ce n'est pas pour rien que Jean-Luc Mélenchon fait de la manifestation
de masse une véritable obsession: elle est à ses yeux le complément
indispensable du suffrage universel, voire sa revanche sur celui-ci. D'où
l'enjeu, devenu capital, du décompte des manifestants. En quelques mois, les
chiffres outrageusement gonflés des organisateurs ont perdu toute crédibilité,
depuis que l'on s'est enfin décidé à faire décompter les participants par un
organisme qualifié et indépendant.
Reste le principal écueil de la
démocratie manifestante: la manipulation. Je me suis refusé, par défiance à
l'égard de l'illusion magique contenue dans la notion d'anniversaire,
d'apporter ma pierre personnelle à la stèle commémorative des «événements»
de Mai 68. Les anniversaires sont des marronniers médiatiques, propres
à toutes les déformations. Un historien digne de ce nom ne devrait jamais
succomber à la tentation de l'anniversaire et à la fascination pour le chiffre
rond.
Si j'ai retenu pourtant une leçon
majeure de cette expérience, c'est que toutes les formes populaires et souvent
populistes de la démocratie parallèle - manifestations, assemblées
générales et maintenant réseaux sociaux - sont le terrain de chasse des minorités
d'activistes pour forcer la main à la majorité, ou carrément pour se substituer
à elle. La théorie des «minorités agissantes» est - hélas! - la part commune au
populisme démocratique et au fascisme. Invariablement, démocratie directe,
détestation des élites, guerre à la presse, clientélisme, nationalisme et
xénophobie, culte du chef sont les leviers habituels de l'un et de l'autre
auprès des masses. À la place des Italiens, en souvenir du passé, j'y
regarderais à deux fois…
Revenons à la principale victime
actuelle du populisme, son bouc émissaire par excellence, à savoir l'Europe.
Nous sommes ici devant la contradiction majeure de toute politique étrangère de
la France. Sans l'Europe, la France est condamnée à devenir une grande Suisse,
en moins propre et en moins souveraine. Ce n'est pas déshonorant, mais ce n'est
pas non plus exaltant pour la «grande nation». Il n'y aurait rien de moins
«souverain» qu'une France barricadée dans ses frontières et sans relais
extérieur. Mais d'un autre côté, l'Europe telle qu'elle se présente aujourd'hui
n'a aucune chance de pouvoir incarner une volonté politique à l'échelle
internationale. Depuis dix ans, au moins, l'Europe politique n'avance plus,
elle recule.
Son élargissement à marche forcée
a été la source de son impuissance. Son identification à un libéralisme
économique forcené, conséquence inévitable de son excessive pluralité, l'a
affaiblie par rapport à ses grands concurrents, États-Unis et Chine.
Une europe à deux?
Il ne reste donc qu'une solution:
revenir à l'ambition initiale. Lorsque Robert Schuman, dans son discours
historique du 9 mai 1950, proposa la constitution d'un pool charbon-acier,
matrice de l'Europe future, il ne parlait pas à nos futurs partenaires. Il
s'adressait exclusivement à l'Allemagne, quitte à envisager un élargissement
ultérieur. C'était du reste reprendre à son compte les intuitions des grands
Européens du XIXe siècle, comme Ernest Renan et Victor Hugo.
Il faut laisser en l'état, car
c'est là un gage de prospérité et de stabilité, l'Europe économique et
financière, telle qu'elle existe actuellement, avec tous ses États membres.
Ceux qui la critiquent ont tôt fait d'oublier que c'est elle, et
notamment sa
monnaie unique, l'euro, qui nous a permis de passer sans encombre la
crise financière de 2008.
Autrement dit, en matière
économique, il faut rester européen. Mais en matière politique, diplomatique et
militaire, il faut devenir franco-allemand
Autrement dit, en matière
économique, il faut rester européen. Mais en matière politique, diplomatique et
militaire, il faut devenir franco-allemand. Cette Europe à deux ne serait pas
moins, mais plus puissante que l'actuelle Europe à vingt-sept. La
complémentarité des deux pays est évidente. L'Allemagne est garante de la
frontière orientale. La France de la frontière méridionale. Le siège de la
France au Conseil de sécurité est le gage d'une audience internationale, qui,
compte tenu de la montée actuelle d'impérialismes rivaux à travers le monde,
est plus indispensable que jamais. Ajouterai-je - il y faudrait de larges
développements - qu'en matière intellectuelle, de la philosophie à la science
politique, France et Allemagne sont, à elles deux, détentrices d'un patrimoine
irremplaçable?
Objection: mais, de votre
France-Allemagne, les Allemands ne veulent pas, ou plutôt ne veulent plus!
C'est un fait que France et Allemagne ont alternativement envisagé un
rapprochement de ce type, mais jamais en même temps. Longtemps, en raison de
son infériorité morale due à son passé nazi, c'est l'Allemagne qui fut la
principale demandeuse: ainsi en 1994 avec la proposition Wolfgang Schäuble-Karl
Lamers de créer un «noyau dur», de nature politique, au cœur de l'Europe,
initiative que François Mitterrand et Hubert Védrine ignorèrent superbement. Un
peu plus tard, Joschka Fischer, chef des Verts et ministre des Affaires
étrangères, puis le chancelier Gerhard Schröder lui-même reprirent la
proposition, sans succès. Aujourd'hui, la situation est inversée: c'est
Emmanuel Macron qui propose un rapprochement, qu'Angela Merkel feint de ne pas
entendre.
Dans le numéro de Commentaire déjà
cité, le Journal du grand diplomate Jean Laloy rapporte ce mot de Léon Blum de
la fenêtre de sa prison de Bourassol, où il est enfermé en 1942 par le régime
de Vichy, complice de l'Allemagne nazie:
«“Déridan, écoutez-moi! Après la
guerre, il faudra ménager l'Allemagne!”
- Voilà un homme d'État!»
Au lieu de se courir après, comme
dans une comédie de Marivaux, il faudra bien que les deux promis finissent par
désirer la même chose en même temps. Il n'y a désormais pas d'autre voie. C'est
la condition de la renaissance: entre la tentation isolationniste et
l'immersion dans l'insignifiance, c'est la voie de l'avenir. L'Histoire
enseigne que les peuples ne choisissent les bonnes solutions qu'après avoir
essayé toutes les autres (Abba Eban): le moment est donc venu de sortir de
l'immobilisme, de crainte de sortir de l'Histoire.
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La sécession des « élites » ou comment la démocratie est en
train d'être abolie, par Coralie Delaume
FIGAROVOX/TRIBUNE - Coralie
Delaume analyse les raisons de la fracture qu'elle observe entre les «élites»,
une classe minoritaire de privilégiés, et la masse qui n'a pas accès aux études
prestigieuses ou qui n'a pas son mot à dire dans les orientations économiques
de l'Union européenne.
Coralie Delaume est essayiste,
co-auteur de La
fin de l'Union européenne(Michalon, 2017) et animatrice du
site L'arène nue.
La Révolte des élites et la
trahison de la démocratie est le titre d'un livre du sociologue
américain Christopher Lasch, publié à titre posthume en 1995. Bien sûr,
l'ouvrage analysait l'Amérique de son temps. Pourtant, il s'applique parfaitement
à la France et à l'Europe d'aujourd'hui, dont il semble avoir anticipé
l'évolution des classes favorisées avec une acuité visionnaire.
Le livre pose l'hypothèse que ce
n'est plus la «révolte des masses» qui menace désormais la vie démocratique,
mais la coupure de plus en plus prononcée entre le peuple et les «élites». Une
coupure tant économique et matérielle qu'éducative et intellectuelle, dont
résulte le repli sur eux-mêmes des privilégiés. Ces derniers ne parlent plus
qu'à leurs pareils, c'est-à-dire non seulement à ceux qui bénéficient d'un même
niveau de richesses, mais également à ceux qui partagent le même niveau
d'instruction. Ils adorent mettre en scène leur pouvoir et le font de mille
façons: exhibition des signes extérieurs de richesse, bien sûr, mais également
- et de plus en plus - de leur patrimoine culturel. Le discours, ahurissant de
cuistrerie, du président Macron sur l'intelligence artificielle (29 mars 2018)
en est un exemple qui confine au grotesque. En revanche, ils n'assument plus
que de mauvaise grâce les charges et responsabilités qui devraient leur
incomber, et préfèrent le service de leur intérêt bien compris à celui d'un
«intérêt général», dont ils ne conçoivent même plus qu'il pût exister.
Vingt ans après Lasch, le phénomène
du séparatisme élitaire qu'il voyait poindre dans son pays vient de faire
l'objet, pour la France cette fois, d'une étude chiffrée. Jérôme Fourquet a en
effet publié, pour le compte de la Fondation Jean Jaurès, une note au titre
évocateur: «1985-2017, quand les classes favorisées ont fait sécession». Il y
explique notamment que la cohésion de la société française «est mise à
mal aujourd'hui par un processus presque invisible à l'œil nu, mais néanmoins
lourd de conséquences: un séparatisme social qui concerne toute une partie de
la frange supérieure de la société, les occasions de contacts et d'interactions
entre les catégories supérieures et le reste de la population étant en effet de
moins en moins nombreuses».
Le dépérissement du cadre
national permet aux « élites » de vivre de plus en plus dans une sorte
d'alter-monde en suspension.
Le sondeur illustre ensuite. Il
note que le cœur des grandes villes est massivement investi par les cadres,
certains centres urbains leur tenant désormais lieu de ghettos dorés. Les CSP+
sont ainsi passés de 25 % à 46 % de la population parisienne en 30 ans,
cependant que le pourcentage des ouvriers a décru, passant de 18 % à 7 %.
Fourquet analyse ensuite la désertion de l'enseignement public et la
scolarisation massive des enfants de cadres dans le privé, le séparatisme
électoral des plus aisés ou, pour les cas extrêmes, l'exil fiscal, ce dernier
signant le refus d'une partie de la population de financer le fonctionnement la
collectivité dans son ensemble. Pour l'auteur de l'étude, nous faisons face à
l'«autonomisation d'une partie des catégories les plus favorisées, qui se
sentent de moins en moins liées par un destin commun au reste de la
collectivité nationale». On voit en effet combien le phénomène est lié au
dépérissement du cadre national, dépérissement qui permet aux «élites» de vivre
de plus en plus dans une sorte d'alter-monde en suspension, cependant que les
autres sont rivés à un ici-bas qui commence à se changer en friche, et finira
par se muer en jungle.
Jérôme Fourquet n'est pas le
premier à faire ce constat. L'anthropologue Emmanuel Todd l'a fait également,
et donne dans son dernier ouvrage (Où en sommes nous, Seuil, 2017) une
explication convaincante. Pour lui, c'est la fracture éducative qui est en
cause, le développement de l'éducation supérieure ayant eu un effet pervers
inattendu en tronçonnant le corps social en deux catégories de personnes: les
éduqués supérieurs et les autres. Alors que la massification des éducations
primaire et secondaire avait contribué à égaliser le niveau éducatif général et
favorisé l'épanouissement de la démocratie, c'est à l'inverse qu'on assiste
aujourd'hui. La raison en est simple: l'éducation supérieure ne s'est pas
(encore?) généralisée. «L'accès universel à l'instruction primaire puis
secondaire avait nourri un subconscient social égalitaire ; le plafonnement de
l'éducation supérieure a engendré, (...) un subconscient social inégalitaire»,
énonce le chercheur.
De ce «subconscient
inégalitaire», on perçoit chaque jour les effets. On constate que ne se
mélangent plus guère ces éduqués supérieurs contents d'eux, étrangement
persuadés de ne rien devoir qu'à leur talent. De toute façon, ils sont
suffisamment nombreux pour pouvoir fonctionner en circuit fermé et pour ne plus
avoir à s'adresser qu'aux autres «manipulateurs de symboles», ainsi que
l'économiste Robert Reich qualifiait les gagnants de la mondialisation, ces
diplômés, plurilingues, mobiles, à l'aise dans le domaine de la communication
et qui font l'opinion. Car ce sont eux, bien sûr, qui tiennent les plumes et
parlent dans les micros. Ils nous font partager leur manière propre
d'appréhender la masse des «gens qui ne sont rien» comme dirait Macron,
autrement dit des gens qui ne sont pas comme eux. Ils nous les peignent comme
frileux, «réacs», hostiles de façon primitive et irrationnelle aux réformes
ainsi qu'à tout type changement. Ils nous expliquent que s'ils votent
«populiste», c'est parce qu'ils sont xénophobes, et que s'ils votent mal aux
référendums c'est parce qu'ils ne comprennent pas les questions. Peut-être
cette partition de la société devrait-elle nous conduire à reconsidérer le
contour des classes sociales? Si celles-ci existent encore (et c'est évidemment
le cas) la sécession des «élites» n'est pas seulement le fait des «riches» et
des propriétaires des moyens de productions. Elle est également celui des
détenteurs d'un capital éducatif et culturel, lequel s'hérite de plus en plus
d'ailleurs, sur fond de destruction de l'école publique et de dégraissage
perpétuel du «Mammouth».
Le dégraissage concerne
d'ailleurs l'ensemble de l'appareil d'État et des services publics, ceux-ci
ayant le tort de présenter des vertus égalisatrices qui entravent le
séparatisme élitaire. Pour leur régler leur compte, les pays européens membres
de l'UE ont inventé un prétexte ingénieux et unique au monde: la nécessite de
respecter les «critères de convergence» de Maastricht. Notamment celui des 3 %
de déficit public, et c'est en son nom que les gouvernements détruisent ou
vendent tout le patrimoine collectif. La France vient d'ailleurs de passer sous
la barre fatidique (2,6 % pour 2017), avant même d'avoir fini de brader la
SNCF.
La construction européenne est
un formidable outil de déresponsabilisation des « élites » nationales.
D'une manière générale, la
construction européenne est un formidable outil de déresponsabilisation des
«élites» nationales, notamment des élites politiques. Celles-ci, toutes ointes
qu'elles sont de la légitimité offerte par le suffrage universel, n'en assument
pas pour autant les vraies charges. La capacité à faire les grands choix a été
massivement transférée au niveau supranational, qui lui ne rend pas de comptes.
Les dirigeants de la Banque centrale européenne ne rendent pas de compte pour
la politique monétaire qu'ils conduisent. La Commission de Bruxelles ne risque
pas d'affronter une grève pour s'être mêlée d'un peu trop près, dans le cadre
du «Semestre européen», du contenu des budgets des États membres. La Cour de
justice de l'UE ne risque pas la sanction des citoyens (de quel État au
demeurant?) pour les jurisprudences de dérégulation économique qu'elle pond à
la chaîne. De toute façon, en «constitutionnalisant» les traités européens de
sa propre initiative via des arrêts datant des années 1960, la Cour a très tôt
permis que ces traités et tous les éléments de politique économique qu'ils
contiennent, se situent au-dessus des lois dans la hiérarchie des normes des
États-membres. C'est-à-dire hors de portée des Parlements, donc des électeurs.
La manière dont est organisée
l'UE a pour effet de décorréler les élections (qui ont lieu au niveau national)
et la prise de décision (qui se fait à l'échelon supranational), ce qui en fait
une véritable machine de défilement au service «d'élites» politiques en rupture
de ban avec leurs nations d'origines - et qui ressemblent bien plus à une
oligarchie qu'à une véritable élite désormais. Par ailleurs, l'UE offre de
multiples possibilités d'évitement fiscal grâce à ses paradis fiscaux intégrés
(Irlande, Luxembourg...). Enfin, la libre circulation du capital et du travail
dans le Marché unique contribue à mettre les deux en concurrence au profit du
plus mobile et du rapide (le capital) et au détriment du plus sédentaire (le
travail). Le tout pour la grande joie des catégories possédantes, cette fois.
Dans ce cadre, il n'est pas
étonnant qu'un politiste spécialisé sur les questions européennes tel le
Bulgare Ivan Krastev, consacre de longues pages de son dernier ouvrage (Le
destin de l'Europe, Premier Parallèle, 2017), à décrire le phénomène de
sécession des classes dirigeantes à l'échelle continentale. «Les élites
aristocratiques traditionnelles avaient des devoirs et des responsabilités, et
leur éducation les préparait à se montrer à leur hauteur», écrit-il. «En
comparaison, les nouvelles élites sont formées pour gouverner mais sont tout
sauf prêtes au sacrifice». Pas même au sacrifice financier, aurait-il pu
ajouter, en tout cas de moins en moins puisque l'optimisation fiscale est
devenue l'un des sports phares de notre époque. Puis Krastev d'ajouter: «La
nature et la convertibilité des compétences des nouvelles élites les
affranchissent très concrètement de leur propre nation. Elles ne dépendent pas
des systèmes éducatifs publics nationaux (leurs enfants étudient dans les
établissements privés) ni des systèmes de protection sociale nationaux (elles
peuvent se permettre les meilleurs établissements hospitaliers). Elles ont
perdu la capacité de partager les passions et les émotions de leur communauté».
En même temps que l'on « dépasse
» les nations et que l'on détruit l'État, c'est la démocratie qu'on abolit.
Dès lors, la montée de ce qu'on
appelle «les populismes» correspondrait avant tout à une quête de loyauté.
D'ailleurs, le discours «souverainiste» ou anti-mondialisation desdits
«populistes» est probablement l'une des clés de leur succès. Il correspond à un
désir de plus en plus profond, de la part des peuples, de «rapatrier» leurs
classes dirigeantes, afin qu'elles ne se défilent plus. Afin qu'il redevienne
possible d'exiger qu'elles assument leurs devoirs autant qu'elles jouissent de
leurs droits, et qu'elles rendent à la collectivité une part au moins de ce
qu'elles ont reçu, c'est-à-dire beaucoup (sécurité des biens et des personnes,
système de santé, système éducatif, etc.). Enfin et concernant le personnel
politique, son «rapatriement» et le fait de refaire coïncider les mandats
nationaux avec la conduite effective des politiques, est le seul moyen de
rendre à nouveau possible l'exercice d'un contrôle démocratique normal.
Cela est-il possible? Le moins
que l'on puisse dire est que pour l'heure, on n'en prend pas le chemin. À
l'inverse et jour après jour, en même temps que l'on «dépasse» les nations et
que l'on détruit l'État, c'est la démocratie qu'on abolit.
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Jacques Sapir : «L'Europe fédérale est une illusion propagée
par des élites retranchées à Bruxelles»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN
- Dans Souveraineté, démocratie, laïcité, l'économiste
Jacques Sapir estime que les positions du Front national rejoignent sur
certains points celles de la gauche radicale. Pour FigaroVox, il en précise
aussi les divergences fondamentales.
Jacques Sapir dirige le groupe
de recherche Irses à la FMSH, et coorganise avec l'Institut de prévision de
l'économie nationale (IPEN-ASR) le séminaire franco-russe sur les problèmes
financiers et monétaires du développement de la Russie. Vous pouvez lire ses
chroniques sur son blog RussEurope.
Son livre Souveraineté,
démocratie, laïcité vient de paraître chez Michalon.
LE FIGARO-. En août dernier,
dans un entretien au FigaroVox,
vous appeliez à la constitution d'un Front de libération nationale allant du
Front de gauche au FN. Cela avait déclenché une tempête médiatique. Cinq mois
plus tard vous persistez à travers votre dernier livreSouveraineté,
Démocratie, Laïcité …
Jacques SAPIR-. Il ne
s'agit pas de «persister» mais de faire une analyse de la situation. Et
celle-ci n'a pas changé depuis août 2015. Elle a même, en un sens, empiré.
L'idée d'un Front de Libération Nationale qui permette aux Français, mais aussi
aux Italiens ou aux Espagnols ou aux Grecs de se libérer de l'Union européenne
reste le cadre de réflexion prioritaire. D'ailleurs Pablo Iglésias, le
dirigeant de PODEMOS, lors du discours qu'il a prononcé comme candidat du
groupe de la Gauche Unitaire Européenne (GUE) à la présidence du Parlement
européen le 30 juin 2014, a utilisé ces termes: «La démocratie, en Europe, a
été victime d'une dérive autoritaire, (…) nos pays sont devenus des
quasi-protectorats, de nouvelles colonies où des pouvoirs que personne n'a élus
sont en train de détruire les droits sociaux et de menacer la cohésion sociale
et politique de nos sociétés». Voilà qui justifie pleinement l'idée de
Fronts de Libération Nationale. Maintenant, il faut rappeler que cette idée
n'est pas de moi, mais de Stefano Fassina.
Par ailleurs vous dites «allant
du Front de gauche au FN» et vous oubliez que j'y avais mis des conditions,
ne serait-ce que par les mots «à terme» et l'emploi du conditionnel. Et, sur ce
point non plus, rien n'a changé. Le Front national n'a toujours pas évolué sur
des points qui me semblent essentiels, comme la division du salariat (qui en
période de crise et de chômage de masse aura des conséquences désastreuses tant
pour les travailleurs français que pour les étrangers) qu'implique la
«préférence nationale» dans les emplois du secteur marchand, ou sur son rapport
à la laïcité et à l'Islam. La balle est donc dans son camp. On a même vu
apparaître, chez certains de ses dirigeants, de nouveaux thèmes qui posent
problème, comme les positions de Mme Marion Maréchal-Le Pen sur l'avortement.
Une clarification sur l'ensemble de ces points est nécessaire.
En fait, les positions de type
« identitaires » que certains défendent sont quant à elles parfaitement
cohérentes avec une certaine vision de l'Union européenne et de l'euro.
D'ailleurs, si vous lisez le
livre que je viens de publier, vous verrez très clairement quels sont les
points qui me semblent faire partage entre divers discours, que ce soit sur la
laïcité ou que ce soit sur ce qui constitue le peuple français. Eric Zemmour ne
s'y est pas trompé d'ailleurs, il
a réagi vivement sur certains points de ce livre. Si la question de la
souveraineté est essentielle, et cela je l'ai affirmé depuis des années, cette
question implique d'avoir une pensée claire sur ce qui constitue le peuple et
sur les conditions politiques de son unité. En fait, les positions de type
«identitaires» que certains défendent sont - quant à elles - parfaitement
cohérentes avec une certaine vision de l'Union européenne et de l'euro. En un sens,
elles constituent même LA cohérence profonde de l'attachement politique à la
monnaie unique à travers la construction de ce mythe d'un «peuple européen» que
l'on ne peut définir hors de toute historicisation et de toute politique que
comme «blanc» et comme «chrétien». En réalité, la critique que j'articule
depuis des années contre l'euro et contre les dérives anti-démocratiques de
l'Union européenne est aussi une critique contre les fondements identitaires de
ces institutions. En effet, soit l'euro et l'UE sont des constructions sans
discours idéologique, et on sait que sur le plan purement technique ces
constructions ne résistent pas à la critique, soit elles doivent se doter d'une
traduction idéologique, et la seule qui leur corresponde est le discours
identitaire.
Les résultats des régionales
vous donnent-ils raison? Comment les analysez-vous?
Les élections régionales ont
montré que le Front national continuait ses progrès, que le Parti dit
socialiste continuait de baisser et que ceux qui se font appeler «Les
Républicains» avaient du mal à convaincre. Mais, en même temps, ces élections
ont confirmé que le Front national faisait peur moins en raison de son
programme que de ce que l'on suppose de son programme, et qu'un certain type de
discours, justement ce discours «identitaire», choquait profondément les
français qui sont viscéralement attachés à une conception politique du peuple
et de la Nation. C'est d'ailleurs l'une des idées centrales de mon dernier
livre. Et je la relie à l'importance de la notion de souveraineté.
Il est vrai qu'aujourd'hui il
y a une tendance spontanée dans les sociétés occidentales à abolir la frontière
entre sphère privée et vie publique.
Comprendre l'importance de cette
notion, ce que j'argumente dans Souveraineté, Démocratie, Laïcité,
implique de comprendre que le peuple est une construction à la fois historique
ET politique. Ce n'est pas par hasard que Jean Bodin, l'un des grands
théoriciens de la souveraineté, fut aussi l'auteur de l'Heptaplomeres qui
est le livre fondateur de la tradition de la laïcité française. Quand il écrit,
lui le fervent catholique, qu'il «n'est pas nécessaire que le roi soit
catholique même s'il est souhaitable qu'il le soit» il nous dit, dans le
même mouvement à la fois quelle est son opinion privée (de catholique) et
quelle est son opinion de grand serviteur de l'État. Ceci est un point
fondamental. C'est celui de la distinction entre le monde des valeurs qui ne
relève que de la conscience individuelle et celui des principes qui sont des
règles partagées avec autrui et sur lesquels se fondent les relations
politiques qui constituent les bases des sociétés. L'un des points centraux de
mon livre est que, justement, cette distinction - que recouvre celle entre
sphère privée et vie publique - est fondamentale pour l'existence de la
démocratie. Il est vrai qu'aujourd'hui il y a une tendance spontanée dans les
sociétés occidentales à abolir la frontière entre sphère privée et vie
publique. Cette tendance se manifeste d'ailleurs par l'envahissement de la vie
publique par la sphère privée à travers, entre autres exemples, la mode des
selfies. Mais, il est important de dire - ce que je fais dans mon livre - le
caractère profondément mortifère pour la , mais aussi pour la société, de cet
envahissement, de dire que la confusion qui en résulte entre les valeurs et les
principes présage de le fin des institutions politiques fondamentales
auxquelles tout citoyen d'un pays libre se doit d'être attaché, et de lutter
pour l'existence d'une distinction claire entre la sphère privée et la vie
publique.
Vous dénoncez les propositions
du FN qui seraient, selon vous, liées à un prisme religieux. Les liens d'une
partie de l'extrême gauche et même de la gauche avec des mouvements
antirépublicains et/ou liés à l'islam radical, comme le révèle encore la
récente polémique sur l'Observatoire de la laïcité, ne sont-ils pas plus
inquiétants que la volonté de Marion Le Pen de lutter contre la banalisation de
l'avortement?
Ces phénomènes ne s'opposent pas
mais sont convergents. Il convient de les dénoncer d'une égale manière. D'une
part nous avons le discours que tient Mme Marion Le Pen et qui constitue
l'exemple type de confusion entre les valeurs et les principes. Nous avons
aussi les propos de M. David Rachline, élu du Front national, qui s'oppose à la
construction de mosquées. C'est une attitude stupide. Autant l'État doit se
préoccuper des conditions de financement par l'étranger des mosquées, des
discours tenus par les prédicateurs quand ils mettent en cause la paix civile,
autant le droit pour des croyants de construire des lieux de culte ne saurait
être remis en cause. L'attitude de Monsieur Rachline est stupide car
l'interdiction de construction des mosquées aboutira à la naissance d'un «islam
des caves» entièrement livré au fanatisme de prédicateurs sectaires.
Mais, d'autre part, nous avons
aussi un discours «de gauche» sur l'islamophobie, qui est tout aussi
condamnable, et tout aussi stupide. A vouloir en effet combattre une soi-disant
«islamophobie» on peut aussi préparer le terrain à une mise hors débat de
l'Islam et des autres religions. Et là, c'est une erreur grave, dont les
conséquences pourraient être terribles. Elle signe une capitulation
intellectuelle en rase campagne par rapport à nos principes fondateurs. C'est
ce que j'écris dans mon livre Souveraineté, Démocratie, Laïcité. Non que
l'Islam soit pire ou meilleur qu'une autre religion. Mais il faut ici affirmer
que toute religion relève du monde des idées et des représentations. C'est, au
sens premier du terme, une idéologie. A ce titre, toute religion est
critiquable et doit pouvoir être soumise à la critique et à l'interprétation.
Cette interprétation, de plus, n'a pas à être limitée aux seuls croyants. Le
droit de dire du mal (ou du bien) du Coran comme de la Bible, de la Thora comme
des Evangiles, est un droit inaliénable sans lequel il ne saurait y avoir de
libre débat. Un croyant doit accepter de voir sa foi soumise à la critique s'il
veut vivre au sein d'un peuple libre et s'il veut que ce peuple libre l'accepte
en son sein. Ce qui est par contre scandaleux, et ceci doit être justement
réprimé par des lois, c'est de réduire un être humain à sa religion. C'est ce à
quoi s'emploient cependant les fanatiques de tout bord et c'est cela qui nous
sépare radicalement de leur mode de pensée. Il est effectivement tragique de
des gens se prétendant «de gauche» donnent ici la main au fanatisme. Il est
triste de voir une partie de la «gauche» suivre en réalité les fondamentalistes
religieux sur le chemin de la réduction d'un homme à ses croyances.
Marc Bloch écrivait dans
l'Etrange défaite: «Il est deux catégories de Français qui ne comprendront
jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre
de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération».
Vous vous montrer sceptique quant aux «racines chrétiennes de l'Europe». Ne
peut-on pas être parfaitement laïque et même adhérer à la mystique républicaine
tout en reconnaissant que la France n'est pas née en 1789?
Ce que je récuse c'est la
réduction des « racines européennes » aux seules racines chrétiennes.
Ces racines existent, mais elles
ne sont pas les seules. Ce que je récuse c'est la réduction des «racines
européennes» aux seules racines chrétiennes. Bien entendu, la France ne date pas
de 1789. De même, l'idée d'un «bien commun» est antérieure à la Révolution
française. Dans mon livre, je retrace la généalogie de ces notions, je montre
ce qu'elles doivent au pouvoir royal, à des mythes fondateur comme celui de
Jeanne d'Arc, à des penseurs chrétiens, comme Tertullien et Augustin, mais
aussi ce qu'elles doivent au monde grec et au monde romain. Les apports du
christianisme ont été importants, que l'on pense au nominalisme, mais ils n'ont
pas été les seuls. La volonté de réduire l'histoire des notions et leur
généalogie aux seuls apports chrétiens mutile et défigure ces notions.
Beaucoup de militants de la
Manif pour tous ont manifesté contre la loi Taubira, non pas seulement pour des
raisons religieuses, mais parce que celle-ci ouvrait la voie à la
marchandisation de la vie et du corps faisant tomber une ultime frontière.
Auriez-vous pu vous retrouver dans ce combat qui apparaît finalement assez
antilibéral?
J'ai toujours fait une
distinction nette entre les droits civiles (comme ceux qu'entraînent le
mariage) et la question de la marchandisation du corps qui est implicite dans
la question de la Gestion pour Autrui (GPA). La GPA ouvre une brèche importante
dans le principe de non-marchandisation du corps, et c'est pourquoi je la
refuse, que ce soit pour des couples homosexuels ou hétérosexuels. Par contre,
la généralisation du mariage aboutit à considérer que nous avons tous, et ce
quelle que soit notre «orientation sexuelle», les mêmes droits. En ce qui
concerne «la Manif pour tous», je suis parfaitement conscient que de nombreux
militants ne se mobilisaient que contre le principe de la GPA. Mais, faute
d'avoir tenu un discours suffisamment clair, ce mouvement a pu être récupéré en
partie par des extrémistes homophobes. Quels que soient mes doutes personnels
sur la formule dite du «mariage pour tous», et il est possible qu'une meilleure
formule ait pu être l'extension du mécanisme juridique du PACS, le principe de
l'égalité des droits l'a emporté. Et cette décision de principe je l'approuve.
Mais, il faut maintenant dire très clairement qu'il n'est pas question que la
France cède et reconnaisse, du moins dans le droit, la GPA. Car, si l'on cède
sur ce principe viendra rapidement ensuite celui de la légalisation du trafic
d'organes. Toute société a besoin de tabous. Je pense que la question de la
marchandisation des corps est un tabou essentiel.
D'une part, on a voulu étendre
des droits alors que d'autre, comme la liberté pour une femme de choisir ou non
d'avoir un enfant est de plus en plus contestée dans les faits.
Mais, on peut avoir une lecture
complémentaire à cette question. D'une part, on a voulu étendre des droits
alors que d'autre, comme la liberté pour une femme de choisir ou non d'avoir un
enfant est de plus en plus contestée dans les faits. Il ne faut pas l'ignorer:
la loi sur la contraception et l'avortement est de plus en plus ouvertement
remise en cause. Or, cette loi est un élément fondamental, sur lequel il ne
faut pas transiger, de l'égalité entre les femmes et les hommes. Est-ce que
cela ne voudrait pas dire que les initiateurs du «mariage pour tous» étaient
plus intéressés par une mesure largement symbolique au détriment de l'exercice
réel d'un droit existant? D'autre part, on constate qu'à propos de la loi sur
le «mariage pour tous» on a assisté à une confusion entre le monde des valeurs
et celui des principes. Cette confusion, initiée entre autres par la fondation
Terra Nova, a été reprise par certains des partisans de la «Manif pour tous».
J'analyse dans mon ouvrage Souveraineté, Démocratie, Laïcité cette
confusion comme une régression de la démocratie, car elle aboutit à la négation
du principe de séparation entre sphère privée et vie publique.
Plus que les fameuses
questions de société que vous dénoncez, ce sont surtout les positions
économiques du FN, notamment la sortie de l'euro, qui semblent constituer un
plafond de verre …
Je n'y crois pas un instant. Dans
tous les pays où le débat sur la sortie de l'euro à pu avoir lieu, que ce soit
en Grèce ou en Italie, on constate au contraire un basculement de l'opinion en
faveur de la sortie hors du carcan de la monnaie unique. Le problème, pour le
Front national, est plus de mettre son discours économique totalement en
cohérence avec l'idée d'une sortie de l'euro. Ce que les électeurs ressentent,
et ils n'ont pas tort, c'est la présence d'incohérences discursives dans le
discours économique du Front national. S'il y a un plafond de verre, et ce
soi-disant plafond semble se déplacer d'élection en élection, il provient donc
bien plus de l'incohérence d'un discours qui n'assume pas toutes les
conséquences de sa revendication d'une souveraineté monétaire en matière
d'organisation de l'économie. Mais, aller jusqu'au bout de la logique
impliquera de rompre complètement avec le discours hérité du passé. Et en
particulier, d'avoir une position claire sur la «préférence nationale» dans le
domaine du travail.
Une majorité de Français
restent effrayés par la fin de la monnaie unique. Comment les convaincre?
Si les français sont effrayés, il
faut bien dire que tout est fait actuellement pour les effrayer. On ne compte
plus les déclarations à l'emporte pièce, que ce soient celles de hiérarques du
parti dit socialiste ou des amis de Monsieur Sarkozy, qui ne sont faites que
dans le but d'effrayer le chaland. A cela il ne peut y avoir qu'u
Les Français ont tout à gagner
d'une dissolution de l'euro.
n seul remède, c'est le débat
démocratique. Dans ce débat, on pourra montrer pourquoi l'euro provoque
aujourd'hui une crise à l'échelle du continent européen, pourquoi les solutions
que l'on veut y apporter ne sont pas viables, et pourquoi les Français ont tout
à gagner d'une dissolution de l'euro. Dans ce débat, les Français pourront
mesurer le nombre d'économistes qui se sont prononcés contre l'euro. Ils pourront
voir que la rigueur intellectuelle et l'honnêteté sont du côté des opposants à
l'euro et que les partisans de la monnaie unique n'ont que la peur comme
argument. Les partisans de l'euro sont enfermés dans un discours de nature
religieuse, voire sectaire, qui leur impose de présenter la fin de l'euro comme
l'équivalent d'une mort. Ce discours ne pourrait résister à un débat réel. Mais
c'est aussi pourquoi je pense l'élite actuellement au pouvoir, qu'elle soit
celle dite «socialiste» ou qu'elle soit celle que l'on trouve chez certains
ex-UMP, ne veut sous aucun prétexte d'un débat démocratique sur l'euro.
Avous lire la crise
existentielle que traverse la France est uniquement économique et politique...
Je n'ai jamais dit cela. Mais je
pense que les dimensions économiques et politiques de la crise française,
dimensions que je suis mieux à même par ma formation de comprendre et de
maîtriser, sont certainement déterminantes aujourd'hui. En tant qu'économistes,
je m'exprime sur les problèmes économistes en premier lieu. Cela ne veut pas
dire que j'ignore les autres. Il y a une dimension culturelle dans cette crise.
D'ailleurs, la défense de la culture est devenue une nouvelle bataille. Mais,
comment ne pas voir qu'une partie de la désastreuse réforme du collège, réforme
qui va en réalité accroître les écarts sociaux et culturels au nom d'une vision
réductrice de l'égalité, est aussi dictée par la volonté de réduire à tout prix
les «coûts» de l'enseignement? Cette réforme a été commandée par Bercy. Le
ministère des Finances préfère priver les élèves de l'accès à la culture plutôt
que de faire la chasse à la fraude fiscale. C'est aussi une réalité, et une
réalité économique celle-là.
Que faites-vous des facteurs
culturels de la crise?
Il y a aussi, très clairement,
une dimension culturelle à la crise que nous vivons. Les attaques contre la
culture, que ce soit à travers l'apprentissage des langues, dont on sait par
ailleurs le caractère essentiel pour la maîtrise de la langue française, ou à
travers les attaques contre l'apprentissage du latin, ont pour effet de
détruire le socle commun de culture politique qui unit la société. Être
français, cela n'est pas uniquement le fait d'observer les lois. C'est aussi
partager une histoire, une littérature, des références communes. L'accès de
tous à la culture est une condition essentielle à la construction de la culture
politique qui nous unit. Or, cette réforme va, en réalité, aggraver les
inégalités territoriales et sociales quant à l'accès à la culture. Il faut
noter que Mme Vallaud-Belkacem, revenant sur sa décision initiale, a décidé de
rétablir certaines des classes bilingues. Mais, elle a décidé de la faire
massivement sur Paris et parcimonieusement dans le Nord de la France ou dans le
Midi. Il est certes vrai que Mesdames et Messieurs les ministres ont des
enfants scolarisés essentiellement en région parisienne…
La politique de la ministre
actuelle est dans le direct prolongement de celle de Luc Chatel. Le fait, ici,
est avéré : chaque attaque contre l'enseignement, chaque réforme qui prive les
enfants d'un accès égal à l'histoire, à la littérature, à la culture, participe
en réalité du mouvement de déconstruction des bases de notre société.
Les attaques actuelles sont dans
le direct prolongement de la politique mise en œuvre par Luc Chatel, le
calamiteux ministre de l'Éducation nationale sous la présidence de Nicolas
Sarkozy. Rappelons que ce triste sire avait voulu supprimer l'enseignement de
l'histoire dans les terminales scientifiques, provoquant une levée - justifiée
- de boucliers à laquelle j'avais apporté ma modeste contribution. La politique
de la ministre actuelle est dans le direct prolongement de celle de Luc Chatel.
Le fait, ici, est avéré: chaque attaque contre l'enseignement, chaque réforme
qui prive les enfants d'un accès égal à l'histoire, à la littérature, à la
culture, participe en réalité du mouvement de déconstruction des bases de notre
société. C'est une politique qui prépare la guerre civile.
En 2002, Jean-Pierre
Chevènement avait tenté d'unir en vain les Républicains des deux rives. Et en
2005, la victoire du non contre le traité constitutionnel n'a débouché sur
aucune union. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui?
Effectivement, nous avons eu deux
événements importants, le premier avec l'échec - il faut appeler les choses par
leur nom - de la candidature de Jean-Pierre Chevènement et le second avec le
succès du «non» lors du référendum de 2005 suivi du déni de démocratie
constitué par le traité de Lisbonne fin 2007, qui ont profondément marqué ce
que l'on appelle le «camp souverainiste». Je pense, par ailleurs, qu'il vaut
mieux appeler ce camp le camp des démocrates car qui fut en cause, que ce soit
en 2002 ou en 2005, était l'idée même de démocratie. Pourtant, et il faut le
reconnaître, ce camp des démocrates a subi deux défaites, l'une nette lors de
l'élection présidentielle et l'autre, plus diffuse, avec le traité de Lisbonne
survenant après la victoire du «non» au référendum de 2005.
Par rapport à ces situations, il
y a de nos jours un grand changement. Il provient de l'expérience accumulée.
Certains avaient voté «non» tout en se réclamant d'une «Europe fédérale». Il
est aujourd'hui clair que cette «Europe fédérale» est une illusion, et que
cette illusion ne sert que les intérêts - eux bien réels - des européistes
retranchés à Bruxelles et ailleurs. Mais, il provient aussi de la prise de
conscience en raison du cynisme et de l'impudence déployés par ces mêmes
européistes lors de la crise avec la Grèce au premier semestre 2015 que les
intérêts des peuples européens sont contradictoires avec des institutions comme
l'euro et comme l'Union européenne. Alors, bien entendu, on peut regretter que
cette prise de conscience se traduise par la montée du Front national tel qu'il
est actuellement. Mais, cette prise de conscience, qui d'ailleurs se manifeste
par l'écart de plus en plus grand des électeurs que ce soit en Italie ou en
Grande-Bretagne, ou encore au Pays-Bas et au Danemark, avec les idées mises en
avant par la Commission européenne, est un fait majeur de la situation
politique actuelle. On comprend que le gouvernement français fait tout ce qui
est en son pouvoir pour que ceci n'éclate pas au grand jour, mais dans de
nombreux pays les eurosceptiques sont désormais majoritaires. Ceci se constate
par le rejet dans un nombre croissant de pays des «accords de Schengen». En
France, cela peut se voir au sein de l'opinion publique par un refus très net
du fameux «Traité transatlantique» ou TAFTA. De ce point de vue, un des ultimes
marqueurs de l'état de la démocratie en France sera dans quelle condition le
gouvernement actuel tentera de faire avaliser ce traité par une population qui
le refuse dans sa grande majorité.
Après l'entretien au FigaroVox,
vous avez reçu le soutien de beaucoup de militants du Front de gauche. Pour
autant, Jean-Luc Mélenchon et surtout le PCF sont-ils prêts à suivre leur base?
Distinguons ici Jean-Luc
Mélenchon de la direction du PCF. Cette dernière ne pense plus, et cela depuis
des années, qu'à sauver des sièges, des prébendes et des avantages, quitte à
tenir un discours dont l'incohérence totale saute désormais aux yeux. Il n'y a
qu'à comparer le discours que tient aujourd'hui M. Laurent, discours qui est en
apparence très critique par rapport à M. Hollande et à son gouvernement, et les
positions politiques du PCF qui in fine se traduiront toujours par une alliance
sans principes avec le parti dit socialiste, pour le mesurer. Ce double langage
a achevé de discréditer le PCF. De nombreux cadres intermédiaires de ce parti
le sentent et l'expriment, mais ils ne sont plus écoutés par la direction.
Le cas de Jean-Luc Mélenchon est
plus complexe, et de ce fait plus intéressant. Je pense que Jean-Luc Mélenchon
a compris le piège que représente l'euro pour les positions politiques qu'il
défend, et qu'il l'a compris au moins depuis l'été 2013. Son problème a été
double. D'une part, comment tenir un discours cohérent sur l'Euro sans rompre
avec le Parti Communiste qui, pour des raisons essentiellement clientélistes
s'est rallié au principe de la monnaie unique. D'autre part, comment concilier
un point de vue «souverainiste» avec les positions traditionnellement
«internationalistes» qui étaient celles du PG. Le premier problème est en voie
de résolution en raison de l'éclatement de fait du Front de Gauche. La
responsabilité de cet éclatement repose aujourd'hui sur la direction du PCF
pour l'essentiel. Mais, le second problème reste posé. Tant que le Parti de
Gauche n'aura pas compris que l'internationalisme n'est pas un «a-nationalisme»
mais qu'il constitue en réalité une forme particulière de coopération entre des
Nations existantes (d'où d'ailleurs le terme d'internationalisme) où les
peuples prennent le dessus sur les élites pour faire en sorte que les intérêts
de chacun soient respectés, il ne pourra trouver de solution à ce problème.
Rappelons nous la formule de Jaurès: «Un peu d'internationalisme éloigne de
la patrie ; beaucoup d'internationalisme y ramène». Mais, cette formule a
aussi une suite: «Un peu de patriotisme éloigne de l'Internationale ;
beaucoup de patriotisme y ramène». Cela signifie que l'on doit combiner la
patrie et l'internationalisme. Jaurès, qui était titulaire d'une thèse en
philosophie, sous la direction de Lucien Herr, était certainement le dirigeant
du mouvement socialiste français qui maîtrisait le mieux la dialectique.
L'incapacité dans laquelle Mélenchon s'est trouvé d'articuler ces deux notions
explique les incohérences de la ligne du Parti de Gauche, incohérences qui lui
ont coûté très cher électoralement.
Le tragique dans cette
situation est que Jean-Luc Mélenchon est certainement l'un des dirigeants de
gauche qui comprend le mieux la dynamique historique de ces questions, mais
qu'il est aujourd'hui largement prisonnier du discours qu'il a et il faut le
reconnaître lui-même contribué à propager.
Le tragique dans cette situation
est que Jean-Luc Mélenchon est certainement l'un des dirigeants de gauche qui
comprend le mieux la dynamique historique de ces questions, mais qu'il est
aujourd'hui largement prisonnier du discours qu'il a - et il faut le
reconnaître - lui-même contribué à propager. Jean-Luc Mélenchon a un dernier
rendez-vous avec l'histoire et il nous faut espérer qu'il saura se montrer à la
hauteur. Il lui faudra écouter ses militants et sympathisants, qui eux sont
profondément convaincus que la lutte pour la souveraineté est aujourd'hui le chemin
du progrès social et de la paix entre les peuples, plus que les autres
dirigeants du Parti de Gauche.
Selon vous, la mise en place
de l'état d'urgence a constitué un tournant historique, «un moment
souverainiste». Cependant la promesse de François Hollande de «fermer les
frontières» au soir du 13 novembre a fait long feu…
Il faut ici distinguer ce qui
constitue ce «moment souverainiste» des mesures concrètes qui ont été prises
face aux événements. Il y a un «moment souverainiste» en cela que même un dirigeant
politique comme François Hollande, qui est si éloigné de la notion de
souveraineté et si attaché aux institutions européennes, n'a pu faire autrement
que de faire un acte de souveraineté. Quand il a décrété l'état d'urgence il a
agi de manière souveraine. Il n'est pas allé demander la permission à Bruxelles
ou Berlin. Cela, les Français le ressentent profondément et ils comprennent
instinctivement les implications de ce «moment souverainiste». Après, nous
devons constater les incohérences de son action politique, incohérences qui ne
sont pas nouvelles, et qui tiennent tout autant à la désorganisation de
l'appareil gouvernemental, à son gout pour la «communication» qu'à son
caractère (n'est-il pas l'homme de la synthèse?), et mesurer les risques que ces
incohérences font courir aux français.
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Journaliste au Figaro et
responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Thierry Baudet : «La nation est le meilleur cadre pour
traiter la crise migratoire»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - La
crise des migrants ébranle l'Europe. En Allemagne, Angela Merkel affronte une
opinion publique de plus en plus hostile. L'analyse de l'intellectuel
néerlandais Thierry Baudet.
Intellectuel néerlandais,
Thierry Baudet dirige un thinktank qu'il a fondé à Amsterdam, le Forum pour la
Démocratie. Il est l'auteur de Indispensables frontières. Pourquoi le
supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie aux
éditions du Toucan.
LE FIGARO. - Dans votre livre Indispensables
frontières vous estimiez qu'un des problèmes majeurs de l'Europe
résidait dans son absence de frontières intérieures. Alors que la crise
migratoire n'a toujours pas trouvé de solution, il faudrait revenir aux
frontières intérieures?
Thierry BAUDET. -
Absolument. Et pas seulement pour des raisons pratiques. Je pense que c'est un
droit moral inaliénable pour les nations que de pouvoir décider seules de ceux
qu'elles veulent accueillir et de ceux qu'elles ne veulent pas laisser entrer
chez elles. Aucun aréopage bureaucratique supranational ne peut réclamer cette
prérogative.
La Convention de Schengen est
entrée en vigueur en 1995. Plus de vingt ans plus tard, comment se fait-il que
l'espace Schengen soit constamment comparé à une passoire?
Parce que Schengen est une
passoire depuis l'origine. Non seulement des frontières ouvertes n'ont jamais
Schengen est une passoire
depuis l'origine.
résolu le moindre problème mais
elles n'ont même pas été conçues pour résoudre un problème: comme l'euro,
c'était une non-solution à un non-problème, le seul but, inavoué, étant de
forcer les peuples européens à constituer des États-Unis d'Europe.
La nation est-elle le cadre le
plus adapté pour gérer la crise migratoire? Est-il envisageable que les 28
Etats de l'UE décident, d'un commun accord, de confier davantage de pouvoirs à
la Commission en la matière?
Je pense que la nation est, en
effet, le meilleur et même le seul cadre dans lequel la crise migratoire peut
être traitée, tout simplement car c'est uniquement au niveau national que les
responsables politiques ont autorité pour agir. En fait, la Commission
européenne ne fonctionne que lorsqu'elle gère des dossiers non controversés,
essentiellement non politiques. Chaque pays souhaite en réalité adopter une
politique migratoire différente. Si l'Allemagne menace d'attirer à nouveau
l'Europe dans l'abîme en raison de son complexe de supériorité (cette fois,
supériorité de l'universalisme illimité et de l'humanitarisme), les autres pays
devront se prémunir contre elle par l'élaboration de leurs propres politiques
d'immigration et la défense de leurs frontières. Ce qui a d'ailleurs déjà
commencé.
Non seulement des frontières
ouvertes n'ont jamais résolu le moindre problème mais elles n'ont même pas été
conçues pour résoudre un problème : comme l'euro, c'était une non-solution à un
non-problème, le seul but, inavoué, étant de forcer les peuples européens à
constituer des États-Unis d'Europe.
La Suède et le Danemark ont
rétabli un contrôle à leurs frontières, mettant un terme à soixante ans de
libre circulation dans les pays nordiques. La Pologne ou la Hongrie subissent
les critiques de Bruxelles visant l'autoritarisme de leurs gouvernements. Le
rêve fédéraliste européen est mort?
Oui, heureusement ce rêve, ou
plutôt ce cauchemar, est terminé. La vraie force de l'Europe a toujours été sa
diversité politique et culturelle. Nous pouvons coopérer librement, nous
pouvons avoir des règles de délivrance des visas très libérales, mais nous
devons défendre la démocratie nationale et la primauté du droit, et ceux-ci ne
peuvent exister qu'à l'échelon national, celui des peuples.
Alors qu'une logique
d'abolition des frontières pour faciliter la libre circulation des capitaux,
des marchandises et des hommes anime la Commission européenne, que pensez-vous
de la construction depuis 2014, financée en grande partie par l'Union
européenne, d'un mur entre l'Ukraine et la Russie?
Je pense que la manière dont
l'Union européenne (et les Américains) essaient de pousser la Russie le plus
loin possible de l'Europe, est imprudent, peu judicieux et ne sert les intérêts
de personne. Nous nous croyons toujours coincés dans l'ancien cadre de la
guerre froide. Mais les temps ont changé, et la Russie peut être un allié
important. Pourquoi essayons-nous de faire entrer la Turquie en Europe alors
que nous bannissons la Russie? Je ne vois aucune logique.
En ce qui concerne l'Ukraine,
notons que ce pays est profondément divisé, et que l'UE est bloquée sur l'idée
incroyablement naïve que le nouveau gouvernement - qui a pris le pouvoir de
façon illégitime par un coup d'Etat - incarne une sorte de Mai 1968 et que
Porochenko s'inspirerait de John F. Kennedy. En réalité, nous sommes en partie
responsables d'une guerre civile pure et simple, mauvaise pour l'Europe,
mauvaise pour la Russie et pour l'Ukraine elle-même. Je ne vois vraiment pas de
stratégie cohérente derrière tout cela.
Doit-on à l'Union européenne
le bénéfice de la paix qui existe en Europe depuis 1945? Sa gestion des
questions économiques, diplomatiques et migratoires est-elle plus efficace et
plus démocratique que celle des Etats-nations?
Le fait que des «leaders»
européens puissent prétendre être responsables en quoi que ce soit de la paix
européenne témoigne de leur orgueil et de leur exceptionnelle arrogance.
Tout d'abord, je pense qu'il est
important de rappeler que ce discours sur l'Union européenne apporteuse de la
paix est une absurdité totale. La paix après 1945 a été le résultat de
plusieurs facteurs, au premier rang desquels il faut placer la guerre froide et
la solidité protectrice de l'OTAN, la naissance d'une Allemagne démocratique
puissante, ainsi que les développements technologiques et démographiques. Le
fait que des «leaders» européens puissent prétendre être responsables en quoi
que ce soit de la paix européenne témoigne de leur orgueil et de leur
exceptionnelle arrogance.
Deuxièmement, je ne pense pas que
la démocratie puisse jamais exister à l'échelle continentale en Europe. Les
cultures, les langues, les traditions politiques, les visions de la vie, tout
est si incroyablement diversifié dans notre beau continent et c'est l'une de
nos forces. Il est faux de dire que nous serions plus forts, économiquement et
diplomatiquement si nous étions «un». Les gestionnaires disent toujours cela et
c'est la raison pour laquelle ils veulent toujours plus de fusions
d'entreprises, d'hôpitaux, de municipalités, d'écoles, et ... de pays. Mais ces
fusions ne marchent jamais. Si la puissance était systématiquement liée à la
taille, Singapour ne serait pas plus riche que l'Indonésie, la Corée du Sud
plus riche que la Chine et la Suisse plus riche que la plupart des pays de
l'UE! De telles absurdités sont symptomatiques de la propagande de l'UE et
c'est un vrai scandale que tant de gens continuent à les prendre au sérieux.
Il est ainsi impossible de
réformer fondamentalement l'UE. Et le projet continuera donc jusqu'à ce que les
nations soient assez courageuses ou exaspérées pour en sortir entièrement.
Alors que se profile un
référendum sur le Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l'UE, David Cameron
parcourt l'Europe en quête de soutien des quatre séries de réformes qu'il exige
de l'UE pour y maintenir le Royaume-Uni. Si les 27 autres Etats de l'UE
consentent à modifier les traités européens pour satisfaire Londres, est-il
imaginable que chacun essaie par la suite de les aménager suivant ses intérêts?
Je ne le pense pas. Et la raison
se trouve dans l'histoire de l'Empire romain. Les sénateurs décidèrent de
plébisciter non pas un représentant mais onze. Ceux-ci ne furent bien sûr
jamais d'accord, de sorte que les sénateurs purent continuer à gouverner à leur
guise. Jean Monnet, le cerveau du système européen, était bien conscient de
cette vieille loi de la division pour mieux régner. Les différentes ambitions
des différents Etats européens en vue d'éventuelles modifications des traités
de l'UE vont se neutraliser. Il est ainsi impossible de réformer
fondamentalement l'UE. Et le projet continuera donc jusqu'à ce que les nations
soient assez courageuses ou exaspérées pour en sortir entièrement. Comme, je
l'espère, la Grande-Bretagne le fera à la suite de son référendum et les
Pays-Bas pourraient bien suivre.
Le ministre des Affaires
Etrangères Paolo Gentiloni a estimé le 8 janvier dans La Stampa que
«L'Europe ressemble à un immeuble où les voisins se disputent entre eux. Sur
le thème des accords de Dublin [texte juridique communautaire concernant les
demandeurs d'asile], nous risquons de faire sauter Schengen». Que
pensez-vous de cette analyse?
Je pense que comparer nos grandes
nations européennes, avec leurs grandes réalisations, leurs langues
merveilleuses, leurs cultures, leurs traditions culinaires, leurs révolutions à
de simples voisins d'immeuble est insultant et ridicule. Cela montre par
ailleurs une profonde haine de soi, un phénomène dominant dans les élites
culturelles et intellectuelles européennes, que j'ai appelé dans un de mes
livres,Oikophobia, peur pathologique, ou aversion, de notre propre
culture et de notre identité. L'Union européenne est le vecteur principal de
cette pathologie, de cette carence auto-immune qui détruit l'Europe. L'UE
détruit ce qui rend l'Europe unique et merveilleuse, à savoir sa diversité
culturelle, ses démocraties, son organisation politique à échelle humaine et la
fructueuse concurrence entre ses pays. Dès lors, l'ouverture des frontières est
la manifestation de cette maladie mortelle.
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miracle économique chinois aurait été impossible sans les travailleurs des
sous-sols»
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«Le miracle économique chinois aurait été impossible sans les
travailleurs des sous-sols»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN -
Patrick Saint-Paul, correspondant du Figaro en Chine, a
réalisé un livre-enquête au sujet du million de travailleurs pauvres qui vivent
dans les sous-sols de Pékin. L'envers du modèle chinois.
Patrick Saint-Paul est
correspondant en Chine du Figaro depuis 2013, après avoir
couvert le Sierra Leone (Lauréat du prix Jean Marin des Correspondants de
Guerre en 2000), le Libéria, le Soudan, la Côte d'Ivoire, l'Irak,
l'Afghanistan, le conflit israélo-palestinien et l'Allemagne.Le peuple des
rats, paru en 2016 chez Fayard est son premier livre.
FIGAROVOX. - Votre livre Le
peuple des rats décrit les vies d'un à deux millions de paysans venus habiter
Pékin pour y travailler, et qui vivent de façon précaire dans les sous-sols de
la ville. Ce phénomène est-il méconnu?
Patrick SAINT-PAUL. - Tout
a commencé par un reportage sur ce million d'habitants des sous-sols. Après
avoir commencé à enquêter, je me suis fait expulser au bout de deux heures…
J'ai d'abord découvert qu'existait un monde parallèle sous ma résidence, Julong
Garden. En discutant avec les autres habitants de l'immeuble, j'ai compris que
ce phénomène était ignoré. Ils ne soupçonnaient pas l'existence de ces gens,
sous terre. J'ai vu des dortoirs où logent des trentaines d'ouvriers, d'autres
où dorment des femmes de ménage, des gens qui travaillent dans des restaurants.
Souvent, l'employeur, surtout dans le secteur de la restauration ou de la
construction, loue un dortoir pour ses employés. En effet, les loyers sont
souvent très élevés à Pékin. Si les gens se logeaient par eux-mêmes, ils
habiteraient à une heure et demie en transports en commun de leur lieu de
travail et arriveraient toujours en retard. Là, l'employeur les a à proximité,
disponibles pour travailler à des horaires qui changent souvent. Pour que les prix
soient peu élevés, ils louent les sous-sols. Il existe des dortoirs mais aussi
des chambres individuelles - parfois prisées des étudiants.
Qui sont les «mingong», ces
paysans qui affluent à Pékin?
Ce sont des paysans, des gens qui
viennent de la campagne. On en compte 7 millions à Pékin, dont un à deux
millions vivent sous terre. Il s'est produit un mouvement d'urbanisation qui
dure depuis vingt ans et qui a transformé les paysans en ouvriers dans les
usines, en travailleurs sur des chantiers ou dans les restaurants. Le but est
également de changer de modèle économique, et de faire de ces paysans économes
des consommateurs. Cela profite à la consommation intérieure et à la croissance
chinoise. Souvent ils arrivent jeunes, sans enfants, et se marient à Pékin.
Parfois les membres d'un couple ne vivent pas au même endroit. L'un vit dans un
dortoir payé par le patron, l'autre, à des kilomètres de là… et ils se voient
quand leurs emplois du temps coïncident, c'est-à-dire rarement. Quand ils ont
des enfants, ils les laissent à la campagne - les plus pauvres ne les voient
qu'au nouvel an chinois. Il y a en effet un système de permis de résidence en
Chine, le «hukou», pour éviter une explosion du nombre d'habitants dans les
mégalopoles chinoises dont Pékin - pour le moment 23 millions. Au «hukou» sont
associés les droits permettant d'inscrire ses enfants à l'école, les droits de
sécurité sociale, d'assurance maladie. Dans le système actuel, il est
impossible de transférer le «hukou» de son village vers une métropole lorsque
l'on migre. Et tous les droits restent donc rattachés au village. Sans ce
précieux sésame, tout passe par le privé, très cher, de l'école à la clinique.
Or les nouveaux arrivants les plus précarisés n'en ont pas les moyens et sont
forcés d'abandonner leurs enfants à la campagne. Ces derniers sont élevés par
leurs grands-parents en général, qui ont une vie de labeur aux champs derrière
eux, et qui n'ont plus la force physique d'élever des enfants. Ces enfants sont
donc souvent livrés à eux-mêmes: il y a beaucoup de cas de dépressions, de
suicides, de la délinquance. On les appelle les «liushi ertong», les enfants
abandonnés.
Selon la dernière étude
officielle qui remonte à quatre ans, ils seraient 61 millions. La personne qui
a fait cette étude, un professeur d'université de Pékin que j'ai rencontré, les
estime aujourd'hui à 65 millions.
Les parents travaillent dur en
ville pour financer les études de leurs enfants. Mais ces enfants ne profitent
pas du début d'ascension sociale de leurs parents en ville.
Les parents travaillent dur en
ville pour financer les études de leurs enfants. Mais ces enfants ne profitent
pas du début d'ascension sociale de leurs parents en ville. Eux-mêmes devront
tout redémarrer à zéro. Ils iront habiter seuls en ville et reproduiront le
schéma qu'ils ont connu, si le système ne change pas d'ici là. L'ascenseur
social n'existe pas pour eux.
Y a-t-il un phénomène de
désertion des campagnes?
Il y a à la fois une volonté
gouvernementale de vider les campagnes et un phénomène d'urbanisation de
celles-ci. On crée des villes moyennes dans les campagnes pour rassembler
commerces et services. On construit rapidement des tours pour loger les futurs
habitants des emplois nouvellement créés.
A un degré moindre, on observe un
retour «bobo» à la campagne de gens qui fuient la pollution et le stress des
villes. Ils réhabilitent des maisons délaissées. Mais ce phénomène ne concerne
pas les paysans: leur rêve est de fuir la campagne. Au mieux, ils ont la
télévision, mais ne disposent ni d'Internet ni du téléphone portable permettant
d'y accéder.
Comment, à Pékin, la
prospérité matérielle la plus ostentatoire côtoie-t-elle la plus grande des
misères?
Ceux qui ont connu une
ascension sociale refusent désormais de considérer les derniers arrivés qui
leur rappellent leur passé, et toutes les misères qu'ils ont pu traverser.
Ceux d'en haut considère que les
autres sont des nuisibles, alors que ceux-ci ont une utilité indispensable.
Sans eux, il n'y aurait pas de chantiers à Pékin. Rien ne fonctionnerait. A
cela vient s'ajouter le fait que ceux qui ont connu une ascension sociale
refusent désormais de considérer les derniers arrivés - qui leur rappellent
leur passé, et toutes les misères qu'ils ont pu traverser. Dans les villes
chinoises explosent la pollution, la circulation et la population ; les
citadins considèrent que ces nouveaux arrivants sont en trop.
Comment les Chinois modestes
appréhendent-ils la politique anti-corruption menée par l'Etat?
Le «peuple des rats» voit Xi
Jinping comme un héros. Les Chinois considèrent à tort ou à raison que les
dirigeants sont pourris au bas et au milieu de l'échelle de responsabilité.
Mais que plus on progresse vers le haut, plus on est vertueux. Ils croient dans
les bienfaits de cette lutte anti-corruption et perçoivent d'un bon œil le fait
qu'il s'attaque aux plus hauts dirigeants. La corruption est insupportable dans
la vie quotidienne des Chinois. J'ai rencontré un homme qui vivait dans les
sous-sols, et dont la fille, brillante, savait qu'elle n'aurait pas une place à
l'université car son père n'avait ni relations ni argent à donner pour
corrompre le fonctionnaire qui décide de l'attribution des places à
l'université. Le fait que Xi s'attaque à ce système le rend populaire auprès
des classes modestes qui ne s'informent qu'auprès des canaux officiels du
pouvoir. Dans la propagande d'Etat, s'il existe des problèmes, le régime fait
toujours de son mieux pour les résoudre… ce qui est très loin de la réalité.
Le confort matériel des
couches favorisées endort-il leurs velléités démocratiques?
Tous les Chinois sont obsédés
par l'idée qu'ils doivent à tout prix vivre mieux que leurs parents.
Tous les Chinois sont obsédés par
l'idée qu'ils doivent à tout prix vivre mieux que leurs parents. Ils ont mis
entre parenthèses toutes leurs aspirations démocratiques. Les grandes familles
et les clans du parti se partagent des pans entiers de l'économie, divisée en
monopoles. Ces clans sont la cible de la campagne anti-corruption menée par Xi.
Ce carcan bloque l'innovation qui pourrait être menée et gaspille les crédits
de l'Etat central. Il est difficile de s'attaquer frontalement à ces clans:
c'est la raison pour laquelle est utilisée l'arme de la lutte anti-corruption.
Le président Xi est à la fois
dans le système et en dehors. Il préserve son clan et s'attaque à tous les
autres. C'est pour cela que certains parlent de purge politique pour évoquer ce
combat. Il cherche ainsi à faire de la place pour ses proches. Son mandat
s'achève fin 2017: pour se faire reconduire, il doit faire désigner des proches
au sein du Comité permanent du bureau politique du Parti Communiste Chinois
(PCC), le saint des saints du pouvoir. Un seul des sept plus hauts dirigeants
du pays, rassemblés au sein du comité permanent, lui est totalement acquis.
Observe-t-on des changements
en matière de contrôle des populations depuis l'arrivée au pouvoir de Xi
Jinping?
Depuis que Xi est pouvoir, la
répression et le contrôle des personnes se sont renforcés - dissidents,
avocats, journalistes, Internet sont ciblés. Une loi gouvernementale a interdit
en septembre 2013 de propager des rumeurs sur Weibo, le Twitter chinois. Une
«rumeur» partagée 500 fois ou vue 5000 fois entraîne une sanction. Il est
possible de contourner la censure de Facebook, Twitter, Wikipedia et de nombreux
sites interdits, en utilisant des VPN (Virtual Private Network). Mais seules
les élites y ont accès et les censeurs du gouvernement combattent de plus en
plus férocement les VPN, pour les rendre inopérants.
Les plus riches se préservent une
porte de sortie au cas où la situation politique tournerait mal: ils envoient
leurs enfants étudier dès leur plus jeune âge en Europe ou en Amérique du Nord,
ils investissent dans de l'immobilier là-bas. D'autres s'inquiètent nettement
des mauvaises conditions de santé dont ils bénéficient en Chine, entre la forte
pollution et les scandales alimentaires. D'autant plus que de nombreuses
professions sont dévalorisées et mal payées: un professeur dans le secondaire
est souvent moins bien payé qu'un ouvrier. Enfin le système des retraites est
mal organisé, tout le monde n'y a pas droit et certains perçoivent des sommes
dérisoires.
Emerge-t-il un mouvement de
protestation de la part du «peuple des rats»?
Contrairement aux employés des
grandes usines du sud du pays, des mines de charbon, logés dans des dortoirs
communs et où les liens sociaux sont très forts, ou encore chez les paysans,
qui se révoltent contre leurs conditions de travail ou contre l'expropriation
de leurs terres, il n'y a pas de mouvement de révolte chez le peuple des rats.
Ils sont très isolés et la solidarité est très rare chez eux. Par ailleurs, ils
ont le sentiment de profiter de la croissance. Il n'y a pas, comme cela peut
exister en Occident, d'appauvrissement des classes moyennes ou modestes. Tout le
monde s'enrichit, mais à des degrés variables. Les pauvres voient leur niveau
de vie progresser et se disent que leurs conditions de vie finiront par
s'améliorer. Le Parti fait tout pour préserver ce contrat social, selon lequel
le peuple ne renversera pas le régime tant que le niveau de vie progressera.
Mais à Pékin, l'écart entre les très pauvres et les très riches, entre les
miséreux qui vivent sous terre et ceux qui roulent en Ferrari, est
particulièrement flagrant. Il y a, dans cette absence de volonté revancharde,
cette acceptation des disparités économiques quelque chose de très chinois, qui
tient du confucianisme. Ils se disent que par la force du travail eux aussi ont
une chance de pouvoir changer leur destin comme le leur enseigne Confucius.
A chaque fois qu'une révolte
s'est produite en Chine, elle a été suivie d'une guerre civile, associées à de
grandes catastrophes, désastreuses pour la condition économique des Chinois.
C'est le retour en force des
valeurs confucéennes qui supplantent l'idéologie communiste. Le PC lui-même
encourage l'apprentissage de la pensée de Confucius, que les enfants apprennent
dans les écoles du parti! Avant, ils apprenaient le Petit livre rouge de
Mao par cœur… Il y a de tout chez Confucius: entre autres qu'il faut observer
un respect absolu de l'autorité et de sa hiérarchie. La valeur travail est
également extrêmement valorisée. Les instituts Confucius qui se sont répandus
dans le monde entier sont devenus de puissants instruments du soft power de
Pékin. Un des objectifs est de démontrer que la démocratie, au sens occidental
du terme, n'est pas forcément le meilleur des régimes, et qu'un régime
autoritaire peut offrir un contre modèle crédible efficace.
A chaque fois qu'une révolte
s'est produite en Chine, elle a été suivie d'une guerre civile, associées à de
grandes catastrophes, désastreuses pour la condition économique des Chinois.
Notamment en ce qui concerne le contrôle de l'eau, puisque ce sont souvent les
digues et les barrages qui font les frais des destructions engendrées par le
désordre civil. C'est pourquoi les couches modestes sont extrêmement méfiantes
envers tout ce qui touche à un mouvement brutal de réappropriation de la
démocratie. Tous seraient favorables à plus de démocratie, mais à condition que
cela se fasse sans heurts, sans révolution.
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Libye, Syrie, Ukraine : le Waterloo de la diplomatie
française
Par Eléonore
de Vulpillières et Alexandre
DevecchioMis à jour le 30/10/2015 à 21h02 | Publié le 30/10/2015 à
20h13
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Alors
que Nicolas Sarkozy vient de rendre visite à Vladimir Poutine, Jean-Michel
Quatrepoint compare deux diplomaties, la française et la russe. Il déplore
l'absence de vision de la France sur le dossier syrien.
Jean-Michel Quatrepoint est
journaliste économiste. Il a travaillé entre autres au Monde, à La Tribune et
au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise
globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir.
Dans son livre, Le
Choc des empires .Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera
l'économie-monde? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre
économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maîtres sur
la mondialisation.
LE FIGARO. - Nicolas Sarkozy a
rendu visite à Vladimir Poutine dans sa datcha proche de Moscou, jeudi 29
octobre, et a prôné le dialogue entre la France et la Russie. Ce virage de
celui qui a fait rentrer la France dans le commandement intégré de l'OTAN en
2007 vous surprend-elle?
L'ancien président de la
République devrait commencer par reconnaître ses deux erreurs. La première est
la guerre de Libye: il est responsable de sa déstabilisation. Deuxièmement,
c'est sous son quinquennat que son ministre des Affaires étrangères, Alain
Juppé, et le Quai d'Orsay, ont tout fait pour faire partir Bachar el-Assad. Par
la suite, François Hollande, Laurent Fabius et le Quai ont aggravé cet échec
diplomatique. Ceci dit, Nicolas Sarkozy peut se féliciter de ses relations
anciennes avec Vladimir Poutine. Lors de la crise géorgienne, il avait su
maintenir le contact avec celui qui était alors Premier ministre, n'hésitant
pas, déjà, à se rendre à Moscou.
Comment qualifier l'attitude
de la France en Syrie?
C'est le Waterloo de la
diplomatie française. Nous avons été exclus des dernières négociations. Les
autres puissances se moquent de la voix de la France. Nous disposons, au même
titre que l'Union européenne, l'Allemagne et l'Italie, d'un strapontin à la
conférence de Vienne sur la Syrie ce vendredi. Les vrais décideurs sont en
réalité la Russie et les Etats-Unis. Avec la réinsertion de cet Iran que la
diplomatie française a tant ostracisé. Car le problème est bien plus complexe
que la désignation des bons et des méchants. Si Assad est un dirigeant peu
fréquentable, il est loin d'être le seul…
Toute la diplomatie française
s'est retrouvée en porte-à-faux ; sa tradition était de parler avec tout le
monde et d'être un entre-deux, un médiateur qui facilite la résolution des
problèmes de façon équitable.
D'autres pays avec lesquels la
France entretient d'excellentes relations sont également dirigés par des
«infréquentables». Dans cet Orient compliqué, prendre parti unilatéralement
avec des idées simplistes comme nous l'avons fait était une erreur. Toute la
diplomatie française s'est retrouvée en porte-à-faux ; sa tradition était de
parler avec tout le monde et d'être un entre-deux, un médiateur qui facilite la
résolution des problèmes de façon équitable. Là, nous avons choisi le camp le
plus extrême qui soit puisque nous avons choisi comme alliés l'Arabie saoudite
et le Qatar. On a adopté sans nuances la cause qatarie et saoudienne contre
l'Iran et la Syrie. Aujourd'hui, l'Arabie saoudite, réaliste, s'asseoit à la
même table que les Iraniens et discute avec les gens de Bachar. Nous sommes les
dindons de cette farce tragique.
Quel bilan dresser de l'action
diplomatique de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères?
Laurent Fabius a tout fait pour
faire échouer les négociations sur le nucléaire iranien. Il a une part de
responsabilité dans la crise ukrainienne. Il n'a pas veillé à ce que l'accord
signé à Maïdan entre les Russes et les Ukrainiens soit respecté. On peut
critiquer Fabius, mais la responsabilité incombe largement au Quai d'Orsay. La
diplomatie gaullo-mitterandienne a connu son chant du cygne, en 2003, avec
Dominique de Villepin. Beaucoup des diplomates du Quai, largement imprégnés par
le courant néo-conservateur américain, n'ont pas apprécié le discours du
Premier ministre à l'ONU sur la guerre d'Irak. En ce moment, ceux qui sont à la
manœuvre sont les néo-conservateurs, qui ont dépassé leurs modèles américains!
À vouloir imiter et servir les Américains et les Saoudiens, ils ne se font
jamais respecter.
Il est par ailleurs absurde de
privilégier une relation avec un pays aussi petit sur le plan démographique et
culturel que le Qatar, au détriment d'un pays de 80 millions d'habitants tel
que l'Iran. Le développement économique de l'Iran comparé à celui du Qatar est
sans commune mesure.
Il se murmure que Laurent
Fabius pourrait être nommé président du Conseil constitutionnel. Ségolène Royal
est pressentie pour le remplacer. Ce choix paraît-il approprié?
Mais il y a aujourd'hui un autre
candidat pour le Conseil constitutionnel, Lionel Jospin. Et des négociations
sont en cours en ce moment entre François Hollande et Jean-Louis Debré.
Ségolène Royal était à Moscou en même temps que Nicolas Sarkozy, même si elle
n'a pas été reçue par Vladimir Poutine à qui elle portait une invitation pour
la Cop21…
En réalité, le problème n'est pas
le ministre des Affaires étrangères, mais l'administration qui le soutient et
le président de la République. C'est ce dernier qui donne l'impulsion
diplomatique. Il a choisi de nommer un ambassadeur à Moscou qui, bien que
membre de la promotion Voltaire à l'ENA, n'est ni russophone ni russophile.
La politique étrangère française
se réduit-elle aujourd'hui à la diplomatie du climat?
On a abandonné la diplomatie des
droits de l'Homme puisque on a bien vu que tous les pays auxquels nous avons
tenté d'apporter la démocratie ont été ravagés (Libye, Syrie…). Et qu'en
Egypte, le maréchal Sissi a sauvé le pays des Frères musulmans en faisant peu
de cas des droits de l'homme. Il a tout simplement appliqué le principe: pas de
liberté pour les ennemis de la liberté. On a l'impression qu'après les droits
de l'homme on s'est rabattu sur la diplomatie du développement durable. Il
s'agit certes d'un enjeu important, mais on ne saurait limiter notre diplomatie
à ce seul aspect des choses. Quand à la politique énergétique, on ferait mieux
de valoriser ce qui reste un de nos points forts: le nucléaire. Et à relancer
les recherches sur les futures générations de centrales.
Quelle est la stratégie de la
Russie en Syrie?
La diplomatie russe emmenée par
Sergueï Lavrov est réelle, réaliste et réfléchie. Après la crise ukrainienne
qui les a mis en difficulté, les Russes ont réussi à se repositionner avec
habileté sur la Syrie.
À la fin du printemps, les Russes
se sont rendu compte que l'armée d'Assad était exsangue. Des 300 000 soldats du
départ, il n'en restait plus que 150 000. Cette armée a été minée par les
désertions des sunnites, passés dans les rangs de Daech, al Nosra ou de l'Armée
syrienne libre, et les morts. Les 250 000 morts dont on nous parle sont dans
tous les camps: l'armée régulière, les groupes djihadistes et les civils. Le
flux migratoire que l'on connaît en Europe s'est accéléré à partir de juin
2015. Une partie des Syriens favorable au régime craignant alors que Bachar
el-Assad soit défait, a choisi de s'exiler.
Les Russes ont choisi de ne pas
lâcher Assad pour plusieurs raisons. Dans les rangs de Daech, il y a 5 000
Tchétchènes, peuple musulman qui vit au Sud-Ouest de la Russie aux tendances
séparatistes et islamistes. Si l'État islamique installe son califat, il y un
risque majeur de déstabilisation de tout le Caucase. Ensuite, les Russes
perdraient la base navale de Tartous qui leur est essentielle pour assurer leur
présence en Méditerranée. Tout comme il était vital pour eux d'avoir une large
ouverture sur la mer Noire. L'annexion de la Crimée visait d'abord à récupérer
la base navale de Sébastopol.
Mais Moscou venait de resigner
une concession de trente ans avec l'Ukraine pour sa base navale…
Oui, mais les Russes n'avaient
plus confiance. L'évolution en Ukraine, le jeu trouble des États-Unis et de
certains États européens leur ont donné à penser que cet accord pouvait être
rompu du jour au lendemain. Ils ont donc préféré se servir avant d'être
éventuellement mis à la porte. Par cet accès à la mer Noire, les Russes
conservent une ouverture sur la mer Méditerranée. Il y a également une
explication religieuse au soutien affiché à Assad. Bachar et son père ont
protégé les minorités religieuses chrétiennes, orthodoxes, comme Saddam Hussein
en Irak. Hussein, qui était sunnite - une minorité sunnite dirigeait d'une main
de fer l'Irak, à majorité chiite - a préservé le million de chrétiens irakiens.
Son ministre des Affaires étrangères, Tarek Aziz était précisément un chrétien.
A contrario en Syrie, une minorité alaouite, variante du chiisme, gouverne,
avec l'appui des chrétiens (5% de la population), une majorité de sunnites.
Mais les Assad, comme Sadam Hussein, venaient du parti Baas, où les influences
socialistes et les liens avec l'URSS étaient importants. La Russie de Poutine
ne veut pas être exclue d'un Proche-Orient où l'URSS avait des alliés, au
premier rang desquels la Syrie.
Comment les Russes ont-ils
procédé?
La prise de Palmyre par Daech en
mai a accéléré le cours des choses ; même si cette prise est d'une importance
stratégique secondaire, le poids symbolique s'est lourdement fait sentir. Le
mouvement diplomatique opéré par le Kremlin a consisté à traiter avec les
Saoudiens, avec le discret appui de Washington, et à les amener à rediscuter
avec le régime syrien. Le 18 juin dernier, Poutine a reçu à Moscou le prince
Mohammed ben Salmane, ministre de la Défense et vice-Premier ministre saoudien.
Ils se sont mis d'accord sur une reprise du dialogue avec la Syrie. Les
Saoudiens ont posé comme condition que la rencontre avec les Syriens se déroule
à Riyad. Ces derniers ont accepté et envoyé leur numéro deux, le patron des
services de renseignement, Ali Mamlouk, pour rencontrer Ben Salmane à Riyad.
Chacun a vidé son sac. Les Syriens ont reproché aux Saoudiens de ne plus
privilégier un comportement collectif — comme au temps où Egypte, Syrie et
Arabie saoudite étaient les meneurs de la diplomatie du monde arabe -, d'armer
leurs opposants et de briser ce lien qui les unissait en leur préférant les
Qataris. Les Saoudiens, de leur côté, ont reproché aux Syriens leur proximité
avec le régime iranien. Mais ils s'étaient reparlés ce qui était l'essentiel.
Les Russes ont ensuite préparé
conjointement une habile stratégie diplomatique, pour se garantir un maximum
d'alliés, et une offensive militaire dans la région.
Les Russes ont ensuite préparé
conjointement une habile stratégie diplomatique, pour se garantir un maximum
d'alliés, et une offensive militaire dans la région. Leur but était de dégager
l'étau qui enserrait Assad. Par conséquent, ils ont frappé d'abord ceux qui
étaient directement à son contact, en l'espèce al Qaïda et al Nosra, et non
Daech. Il est logique qu'ils aient frappé en premier lieu ceux qui menaçaient
directement le régime syrien. Puis dans un deuxième temps, ils se sont plus
largement attaqués à Daech.
Les Russes ont-ils une solution
de rechange s'ils ne parviennent pas à maintenir Assad au pouvoir?
Effectivement, leur idée initiale
est de former un bloc uni - États-Unis, Turquie, Arabie saoudite, régime
syrien, Iran - contre Daech. À l'évidence, ils ont expliqué à Assad, lors de sa
récente visite à Moscou, qu'à terme il devrait quitter le pouvoir, si c'était
la condition d'un accord politique, du maintien de l'intégrité du pays et d'un
front uni contre Daech. Mais si ce plan A échoue, leur plan B consiste en une
création d'un réduit alaouite sur la bordure méditerranéenne, autour de
Lattaquié et Tartous, dont ils protègeraient les frontières contre l'EI. Les
Russes soutiendraient le réduit alaouite comme les Américains ont soutenu
Israël.
Ce qu'il faut souligner c'est que
les Russes, bien que touchés par la crise économique, sont encore capables de
déployer une stratégie diplomatique de grande ampleur. La Russie compte peu
économiquement, c'est l'échec de Poutine ; il n'a pas réussi à reconvertir une
économie de rente pétrolière et minière en une économie moderne. Mais
diplomatiquement, elle a complètement repris pied sur le champ diplomatique
depuis la fin de l'URSS.
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Colosimo : comment Poutine est devenu roi du grand échiquier
international
FIGAROVOX/COLLECTION - Jusqu'à la
fin de l'année, nous republions exceptionnellement nos meilleurs entretiens.
Jean-François Colosimo décrypte l'influence grandissante du président russe,
Vladimir Poutine, sur la scène internationale.
Jean-François Colosimo est
écrivain et essayiste. Président du Centre national du livre de 2010 à 2013, il
dirige désormais les éditions du Cerf. Son dernier livre, Les Hommes en
trop, la malédiction des chrétiens d'Orient, est paru en
septembre 2014 aux éditions Fayard. Il a également publié chez Fayard Dieu
est américain en 2006 et L'Apocalypse russe en 2008.
Cet entretien est
paru sur le site du FigaroVox le 20 octobre 2015. L'essayiste estimait que
l'importance retrouvée du chef du Kremlin s'inscrivait dans l'histoire
pluriséculaire de la Russie.
LE FIGARO. - Sur le dossier
syrien, de fortes tensions entre les États-Unis et Russie se font sentir.
Vladimir Poutine semble avoir pris la main. Est-ce un des signes du grand
retour de la Russie sur la scène internationale?
Jean-François COLOSIMO. -
L'action que mène Vladimir Poutine en Syrie récapitule à la fois sa politique
et sa personne. Elle correspond tout d'abord à sa représentation géopolitique
du monde. Poutine est résolument «westphalien»: il défend le système
traditionnel, constitué de nations souveraines où ce sont les États qui valent
et non pas les régimes politiques, les organisations non-gouvernementales ou
les institutions supranationales. En soutenant le pouvoir de Bachar Al-Assad
qu'il juge être le seul «légitime», il défend cette conception de l'ordre
international qu'il considère, de surcroît, protectrice de ses propres
intérêts.
Mais il est aussi l'héritier
d'une doctrine diplomatique. Précisément, celle qui a été promue par les tsars
puis par les Soviets depuis l'entrée de plain-pied de Moscou sur la scène
méditerranéenne et orientale. Dès le XVIIIe siècle, à coups de guerres et de
traités avec l'Empire ottoman, Catherine II «la Grande» s'est ouvert un accès
vers les mers chaudes, via la Crimée et le Caucase, afin de désenclaver la Russie
et de lui faire retrouver son berceau byzantin. Cet élément essentiel de
politique extérieure s'est naturellement justifié de la protection des
chrétiens d'Orient considérés comme un levier d'influence. L'URSS a d'autant
plus facilement pris le relais que les orthodoxes du Levant ont été parmi les
fondateurs et les animateurs du panarabisme, avec ce que cela a pu impliquer
chez eux d'idéologie progressiste les rapprochant du socialisme. La proximité
et la solidarité sont donc anciennes avec le baasisme syrien qui est issu de ce
mouvement.
Cependant, cette vision de
Poutine est renforcée par la logique bipolaire qui a structuré l'affrontement
entre l'Est et l'Ouest. À ses yeux, les États-Unis n'ont cessé, depuis 1989 et
la chute du Mur, de vouloir neutraliser la Russie soit en l'isolant
économiquement par le biais du capitalisme financier, soit en la cernant
militairement au moyen de l'Otan. Au Proche-Orient, ce face-à-face se double
d'un jeu d'alliances de nature historique: celle des États-Unis avec le bloc
sunnite qu'il s'agisse de l'Arabie saoudite, des Émirats ou de la Turquie ;
celle de la Russie avec l'arc chiite qui va de l'Iran au Hezbollah libanais et
qui a le pouvoir alaouite en Syrie pour pivot.
Enfin, l'intervention en Syrie
relève d'objectifs aussi bien stratégiques que tactiques. D'autre part, Poutine
considère que, de l'Irak à l'Ukraine en passant par le Kosovo, les États-Unis
ont fait de la déstabilisation une méthode de conquête hégémonique et qu'aller
les concurrencer au Levant doit, à l'inverse, lui permettre d'asseoir sa
mainmise sur la Crimée. D'autre part, contrebalancer l'action de Washington au
Proche-Orient revient pour lui à conjurer, si ce n'est à endiguer la menace
djihadiste qui pèse sur la Russie, ses millions de citoyens musulmans et ses
républiques caucasiennes en voie de réislamisation, voire de radicalisation.
Le coup vient donc de loin. Une
fois de plus, ce qui frappe est la détermination et la brutalité avec
lesquelles Vladimir Poutine l'administre.
Pourquoi, malgré l'insistance
des Occidentaux, Poutine refuse-t-il d'évincer Bachar al-Assad?
Il est plusieurs raisons
anciennes, on vient de le dire, à cette alliance avec le pouvoir alaouite,
parmi lesquelles son caractère minoritaire, son idéologie baasiste, son
inclination envers les chrétiens et sa dépendance à l'égard de l'Iran. Mais il
est aussi des avantages plus immédiats, dont en premier lieu ceux de la forte
présence militaire russe qui est devenue de tradition en Syrie et dont le
maintien sur place dépend, au moins momentanément, du maintien de Bachar
Al-Assad au pouvoir.
Autrement dit, cette intervention
découle pour partie d'un effet de clientèle et, pour partie, d'un effet de
paroxysme. Selon Sergueï Lavrov, le ministère des Affaires étrangères de
Vladimir Poutine, «à l'exception de Bachar, il n'y a que des terroristes.» Ce
qui revient à se confronter directement à l'option occidentale, donc
américaine, et à mener immédiatement cette confrontation à son maximum de
tension.
D'une part, les forces dites
«démocratiques» de l'Armée syrienne libre, sur lesquelles la France a compté,
sont aujourd'hui militairement en déroute ou ont rallié les djihadistes.
D'autre part, l'Armée de la conquête, formée du groupe djihadiste al-Nosra, la
branche locale d'Al-Qaïda, et du groupe salafiste Ahrar al-Sham à l'initiative
du consortium sunnite qui court de la Mecque à Istanbul, est la seule faction
capable de s'emparer de Damas et bénéficie désormais du soutien de Washington
qui voit en elle un moindre mal.
Là où Poutine profite de la faiblesse
de la position occidentale et renverse habilement l'échiquier, c'est lorsqu'il
demande si al-Qaïda est préférable à Daech.
Les États-Unis et l'Otan - qui
a évoqué une «escalade inquiétante» - s'inquiètent de l'avancée russe en Syrie.
Les cibles visées ne seraient pas les bonnes ; des avions russes auraient
survolé l'espace aérien turc sans autorisation. De nombreuses critiques
chargent la Russie dans cette intervention…
Là encore, il faut en revenir au
temps long. Depuis la chute du mur de Berlin, les États-Unis n'ont pas varié de
doctrine. La Russie, héritière de l'URSS, reste pour eux l'ennemi numéro un, du
moins potentiel, dont il faut empêcher la résurgence en tant qu'acteur majeur
sur la scène internationale.
Le pacte entre Gorbatchev et les
Européens sur la réunion des deux Allemagne comportait l'obligation pour l'Otan
de ne pas avancer plus à l'Est. En vingt ans, une dizaine de pays ont rejoint
l'Alliance atlantique qui s'est élargie au fur et à mesure de la construction
européenne et ce, vers l'Est, vers la frontière occidentale de la Russie.
Peu importe d'ailleurs, la
couleur de l'administration. Lorsque George W. Bush arrive au pouvoir, il prend
comme secrétaire d'État aux affaires étrangères non pas une spécialiste de
l'islam ou du Moyen-Orient mais une spécialiste de l'URSS, Condoleezza Rice,
qui a travaillé au Conseil de sécurité nationale en tant qu'expert sur le bloc
communiste. Et sous Obama, le Pentagone reste inflexible: Moscou est classée
comme l'une des toutes premières menaces.
La raison de cette focalisation
américaine est simple: l'arsenal nucléaire de la Russie lui permet de jouer un
rôle géopolitique hors de proportion avec sa puissance économique. Elle est un
contradicteur permanent aux yeux des Américains qui nient d'autant plus
fortement sa légitimité à jouer un rôle important dans l'un ou l'autre des
espaces géopolitiques sur lesquels ils ont besoin d'exercer leur domination ou
leur influence.
D'où la diabolisation récurrente
de Moscou par Washington. La force paradoxale de Poutine est d'endosser cette
diabolisation, voire de la revendiquer puisque son but est de démontrer que
l'on n'est pas obligé de souscrire à la règle du jeu édictée par l'Amérique et
qu'on peut même la dénoncer et la contrecarrer. Pour ce faire, il démontre une
capacité d'analyse et de réflexion froide, suivie d'une action stratégique
menée avec une détermination systématique qui tranche avec les atermoiements
des Européens et des Américains.
Obama et Hollande ont fini par
reconnaître que l'on ne pouvait pas prendre à la fois Bachar et Daech pour
cibles et qu'abattre Daech est prioritaire? Poutine en retire le plein droit de
soutenir Bachar sans restriction aucune et d'en faire la publicité afin de se
rendre incontournable dans la nouvelle donne mondiale.
Relations pacifiées avec Cuba,
accord iranien… Barack Obama se démarque de la ligne néo-conservatrice
américaine - incarnée actuellement par Hillary Clinton. La troisième guerre
mondiale diagnostiquée par certains semble lointaine…
Barack Obama a été élu sur un
programme de désengagement militaire au Proche- Orient en nette rupture avec la
ligne néo-conservatrice. Ce processus a vite montré ses limites. Les Américains
ont quitté l'Irak avant d'être dans l'obligation pressante d'y revenir et
quitte à devoir admettre leur absence de plan. Ce désengagement relatif
provoque inévitablement l'insatisfaction à la fois d'Israël et des pays arabes.
C'est là tout le problème d'Obama, dont la politique étrangère s'est révélée au
pire illisible au mieux inefficace, que de réunir tous les mécontentements sur
son nom. La réconciliation avec Cuba et l'accord avec l'Iran témoignent de
l'urgence dans laquelle il s'est trouvé de marquer son deuxième mandat de
quelque réussite diplomatique sans quoi il aurait été l'un de ces présidents
américains n'ayant laissé aucune trace sur le plan des relations
internationales ou, pire, une trace diffuse et brouillée.
Mais Cuba, c'est d'abord le fait
du pape François et de la diplomatie vaticane. Mais l'Iran, c'est faire avant
tout preuve de bon sens, admettre la réalité et s'y conformer. Dans les deux
cas, il n'y va pas d'une politique d'initiative mais d'une politique de
confirmation. Cette faiblesse dans la prise de décision américaine est sans
conteste un facteur d'instabilité à l'échelle planétaire.
Va-t-on pour autant vers une
troisième guerre mondiale? Non, bien sûr. C'est au mieux une formule qui dit le
contraire de ce qu'elle entend. La guerre globale est déjà là. Elle ne fait que
perpétuellement commencer et recommencer avec des conflits de basse ou moyenne
intensité répandus et récurrents sur l'ensemble des continents et impliquant
des coalitions internationales variables, qu'elles soient militaires ou
économiques. Nous sommes davantage confrontés à un état endémique de guerre à
l'échelle internationale que menacés par une guerre mondiale au sens d'un
affrontement de blocs.
Il s'agit toutefois de savoir
déterminer qui est l'ennemi prioritaire. Cet ennemi est Daech. Ce que considère
Poutine tout en faisant croire qu'il veut sauver Assad alors que, une fois les
intérêts russes en méditerranée assurés, il pourra très bien l'abandonner,
étant suffisamment cynique pour cela. La France, elle, a longtemps professé que
l'on pouvait avoir deux ennemis prioritaires en même temps, à savoir Daech et
Assad. Ivres d'irréalisme, François Hollande et Laurent Fabius se sont entêtés
à courir deux lièvres à la fois. Jusqu'à ce que les Américains, ayant eux- même
fini par changer d'avis, aient stoppé sans plus d'égard la course échevelée de
la diplomatie française. Ce suivisme erratique du gouvernement est plus que
préoccupant car tout ce qui se passe au Proche-Orient a des répercussions sur
le territoire national. De ce point de vue, la politique du gouvernement
français apparaît largement comme irresponsable.
Donald Trump loue le
«leadership de Poutine», estime que s'il est élu président, il entretiendra d'
«excellentes relations» avec celui-ci. Et il est le grand favori à la primaire
des républicains. Est-ce le signe qu'une partie de la population américaine a
rompu avec le néo-conservatisme?
Tout d'abord, au regard de ses
scores abyssaux de défiance dans les divers baromètres américains, rien n'est
moins assuré que Donald Trump accède un jour à la Maison blanche. Au cas où il
serait élu candidat, puis président, il est probable que, comme Ronald Reagan,
il se verrait encadré par la puissante machine républicaine. Ce qui est
certain, c'est que, à Washington et à Moscou, on observe un croisement des
opinions vers de fortes tendances isolationnistes.
Comment réagissent les
opinions russe et américaine à l'intervention en Syrie?
La guerre au Proche-Orient
inquiète l'opinion américaine et n'emporte pas l'adhésion des Russes. Autant
ces derniers soutiennent majoritairement l'action de Poutine en Crimée ou en
Ukraine, autant la crainte est profonde sur l'engagement en Syrie qui réveille
le souvenir de l'Afghanistan.
De manière générale, les opinions
au sein de l'hémisphère nord demeurent assez frileuses quant au danger que
représente l'effondrement des frontières au Proche-Orient dont Daech est
présentement le symptôme le plus virulent. Il revient aux gouvernants de savoir
mobiliser car la question du djihadisme ne relève pas que de la politique
internationale: dans nombre de ces pays, c'est aussi une question de politique
intérieure.
Or, si Poutine réussit à
s'imposer au Proche- Orient, à prendre l'ascendant sur Obama et Hollande, à
forcer les autres à suivre son rythme, c'est parce que, de quelque manière
qu'on les juge, sa politique intérieure et sa politique extérieure sont en
cohérence. Et ce, à la différence criante de celles des gouvernements
occidentaux, en particulier de l'actuel gouvernement français.
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parallèle qui déchirent la péninsule coréenne. Mais la femme brune de 26 ans
n'a pas besoin de préparer un diplôme en commerce international, elle qui a
fait fortune en Corée du Nord en surfant sur l'appétit de ses compatriotes pour
les starlettes sud-coréennes et chinoises.
«Dès mes 12 ans, j'ai
commencé à faire du trafic frontalier avec les marchands chinois. Je leur
vendais des plantes médicinales, du ginseng. En retour, le bateau revenait
chargé de DVD de films chinois, américains ou sud-coréens», se souvient la
jeune transfuge qui a fui la Corée du Nord en
2011, à la veille de l'avènement de Kim Jong-un. Cette fille de
fermier regarde à la dérobée les films de contrebande, et découvre ébahie un
nouveau monde. «Je ne comprenais pas les paroles, mais j'étais obsédée par les
décors, les gratte-ciel. Ce qui me fascinait le plus c'était les avions dans le
ciel», raconte Jeesi, qui se souvient encore de sa première image de Boeing
fendant l'azur bleu avant de se fracasser dans une tour. «Ce n'est que des
années plus tard, une fois en Corée du Sud, que j'ai découvert qu'il s'agissait
des images du 11 Septembre!» ajoute-t-elle. Aveu confondant qui résume
l'isolement des 25 millions de Nord-Coréens, coupés du monde par une
censure implacable.
Mais la jeune transfuge témoigne
au Figaro d'une révolution pop souterraine à l'œuvre au
royaume de Kim Jong-un, et qui sape l'emprise totalitaire de la seule dynastie
communiste de la planète. Elle n'est pas portée par des brûlots politiques,
mais des feuilletons à l'eau de rose et des chorégraphies sexy. «Les vidéos et
films étrangers sont disponibles partout dans les “jangmadang” (marchés privés
désormais tolérés par le régime). Il suffit de savoir où demander», raconte
Jeesi, qui abreuvait les vendeurs de ses produits sulfureux de contrebande, en
graissant la patte des douaniers dans sa ville natale de Hyesan, le long de la
frontière chinoise. Une clé USB contenant une centaine de films coûte une
centaine de yuans chinois (12 euros), devise désormais courante.
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Le progrès technologique
déjoue la censure
Malgré les mouchards, les
descentes de police et les arrestations qui peuvent conduire en camp de
rééducation, une large partie de la population urbaine a désormais accès à ces
produits de divertissement interdits, jusqu'aux cadres du Parti des
travailleurs, selon les témoignages. 75 % des transfuges affirment en
avoir visionné selon Sokeel Park, le représentant à Séoul de l'ONG LiNK
(Liberty in North Korea). Et cette exposition transforme en profondeur le pays
le plus fermé du monde. «Derrière sa façade monolithe, la société nord-coréenne
est en mutation. On assiste à l'émergence d'une sous-culture chez les
millennials abreuvés par les contenus venus de l'étranger», explique Park. Cet
engouement défie le monopole de la pensée d'un régime socialiste théocratique,
qui ambitionne de «protéger» l'individu du berceau à la tombe. «Tout ce que je
voyais, c'était la longue chevelure raide de Jeon Ji-hyun» se souvient Jeesi,
des étoiles dans les yeux en évoquant l'actrice star des feuilletons
sud-coréens. Ces vidéos répondent à l'appétit de glamour des nouvelles
générations qui ont appris à se débrouiller sans le Parti, en trafiquant sur
les marchés, après la grande famine des années 1990. Un rêve qui nourrit les
envies de départs de la jeunesse des régions frontalières, appâtés par les
néons de la Chine voisine et les starlettes de la Corée capitaliste.
«Les films officiels sont
toujours à la gloire du Parti et du leader, alors que dans les feuilletons
sud-coréens, il y a de la romance !»
Jeesi
Le développement d'une économie
marchande fait émerger le consumérisme et son cortège de désirs individuels, si
loin de la gangue de la propagande rouge. «Les films officiels sont toujours à
la gloire du Parti et du leader, alors que dans les feuilletons sud-coréens, il
y a de la romance! C'est pour cela que tout le monde regarde», explique Jeesi.
Le progrès technologique déjoue la censure et accélère l'invasion avec
l'arrivée de la clé USB vers 2010, plus facile à camoufler qu'un DVD, en cas de
descente de police. Les forces de sécurité avaient l'habitude de couper
l'électricité avant de faire une descente dans un appartement, prenant en
flagrant délit les occupants en train de visionner un DVD interdit, soudain
prisonnier du lecteur, faute de courant. «Désormais, il suffit d'arracher la
clé USB et la jeter par la fenêtre quand la police tambourine à la porte»,
raconte un transfuge.
Les séances clandestines de
visionnage, rideaux baissés scellent les amitiés et les amours dans
l'excitation de l'interdit. «Cela crée un sentiment de communauté, une
sous-culture parmi les jeunes, avec des codes de références interdits. C'est
comme fumer ensemble de la drogue en Occident», explique Park. Les styles
vestimentaires des stars de Séoul vus sur les écrans se retrouvent dans la rue,
comme un signe de reconnaissance tacite défiant la censure qui interdit les
vêtements au style «capitaliste», tels les jeans. Dans les jangmadang, les
couturières imitent les robes des actrices de Séoul et les coiffeurs la coupe
K-pop. Sur les avenues staliniennes de Pyongyang, les «offices girls» soignent
leur look, sac à main et talons hauts, inspiré de Hongkong, Shanghaï ou Séoul.
L'orchestre féminin Moranbong
(ici en concert à Pyongyang en 2016) a été créé par Kim Jong-un dans le but de
produire une pop culture nationale alternative capable de séduire la jeunesse
en réponse aux girls bands de Séoul. - Crédits photo : MAXPPP/Kyodo/MAXPPP
Élevé
en Suisse, où il a été exposé aux divertissements venus d'ailleurs, Kim
Jong-un prend le défi très au sérieux. Marié
à la chanteuse Ri Sol-ju, le «Leader suprême» trentenaire a
répliqué par une double stratégie: une chasse implacable contre les contenus
étrangers, couplée à une politique culturelle ambitieuse visant à produire une
pop culture nationale alternative capable de séduire la jeunesse. Au lendemain
de son accession au pouvoir fin 2011, le troisième des Kim crée la
surprise en
créant l'orchestre féminin Moranbong, dont les jupes courtes et les
talons aiguilles défraient la chronique à Pyongyang. La réponse des Kim aux
girls bands de Séoul. Même Mickey Mouse, symbole de l'impérialisme américain,
monte sur scène, provoquant un scandale au sein de la vieille garde. Les
starlettes de Moranbong disparaissent quelques mois avant de réapparaître dans
des uniformes bien plus sages. «Elles sont comme des princesses à Pyongyang»,
raconte une source de la capitale qui a pu côtoyer ces jeunes femmes
sélectionnées pour leur beauté. Avec la première dame au look toujours étudié,
elles tentent d'offrir un visage glamour au régime, pour mieux séduire les élites
de la capitale, pilier de la dictature.
Chasse aux «comportements
non socialistes»
En avril, Kim va plus loin dans
son opération séduction. Manteau de velours pourpre, mini-short noir et
déhanchés osés, les Red Velvet n'ont pas le profil habituel des feux de la
rampe de Pyongyang. Ce girls band sud-coréen enchaîne ses tubes, dont Bad
Boy devant une assistance sévère de caciques du Parti des
travailleurs, dans une salle bondée de la capitale nord-coréenne. Les deux
Corées se font face, le temps d'un spectacle. La jeunesse sexy aux chevelures
décolorées, et les cadres enrégimentés de l'appareil stalinien s'observent.
Sous le regard des censeurs, la foule en uniforme applaudit d'abord timidement
puis s'enflamme aux sons de la K-Pop «capitaliste». À la fin du show, le
«Leader suprême», Kim Jong-un, en personne vient saluer les starlettes de
Séoul. «J'ai réarrangé mon emploi du temps pour venir vous voir», déclare le
dictateur tout sourire.
Cette rencontre était
inimaginable quelques semaines plus tôt, alors que Séoul et Pyongyang étaient à
couteaux tirés, le long de la
DMZ, la frontière la plus militarisée du monde. Elle symbolise alors le
spectaculaire rapprochement intercoréen enclenché lors des Jeux olympiques
d'hiver et qui doit se poursuivre par un nouveau sommet spectaculaire à
Pyongyang entre Kim et son homologue sud-coréen Moon Jae-in, le
18 septembre.
En saluant les Red Velvet en
coulisses, le jeune Kim lance-t-il le signal d'une ouverture aux jeunes
privilégiés de la capitale, ou une simple offensive de charme diplomatique
visant à séduire Séoul? Le doute est permis. «Kim marche sur la corde raide. Le
train du changement est en marche, et le régime tente d'y répondre. Il sait
qu'il doit offrir des meilleures conditions de vie à sa population», analyse
Sokeel Park. Depuis son sommet historique avec Donald Trump, à Singapour, le
12 juin, le «Maréchal» jure vouloir donner la priorité au développement de
sa fragile économie, étranglée par les sanctions. Mais, parallèlement, le
régime accroît la chasse aux «comportements non socialistes», au sein des
masses. Un euphémisme désignant le style vestimentaire inspiré de l'étranger
«capitaliste». Cette campagne est encore montée d'un cran à la veille de la
grande parade célébrant le 70e anniversaire du régime, ce 9 septembre,
selon Radio Free Asia. Le défi est crucial pour l'assise future du régime,
engagé dans une course-poursuite économique pour satisfaire les besoins
grandissants de ses élites. Face aux «bombes» de la K-pop, l'arsenal atomique
des Kim ne suffit plus.
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Maria Zakharova, Russe d'influence
PORTRAIT - Cette femme de 42 ans
est la figure montante de la diplomatiedu Kremlin. Son verbe franc et tranchant
n'épargne pas la politique étrangère de l'Occident, prisonnière de ses bons
sentiments.
Côté face, il y a bien sûr
Sergueï Lavrov. Le visage de la diplomatie russe, connu du monde entier depuis
près de quinze ans. Une trogne d'acteur, une stature imposante, un charisme foudroyant.
Un homme madré, né en Géorgie comme Staline, mais d'origine arménienne.
Beaucoup s'accordent à dire qu'il restera comme l'un des plus grands ministres
des Affaires étrangères de son pays, période tsariste et parenthèse communiste
comprises. Côté pile, il y a Maria Zakharova, 42 ans, sa porte-parole.
Elle est l'autre visage de la politique extérieure de Poutine. Peu connue hors
de ses frontières, mais véritable star chez elle, où elle apparaît fréquemment
sur les écrans de télévision. Derrière un charme ravageur et un sourire
enjôleur, un caractère bien trempé, un verbe sans langue de bois, elle aussi.
Pour la BBC, elle figurait, en 2016, parmi les cent femmes les plus influentes
au monde. Les esprits les plus machistes disent qu'elle est «une Lavrov en
jupon».
Pourrait-elle lui succéder un
jour? Elle se garde bien de répondre mais reconnaît qu'ils sont comme les deux
doigts d'une main, les deux versants d'une pièce. Ils appréhendent la marche de
la planète d'un même regard, sans concessions. Ils en tirent les mêmes
enseignements, tranchés. La seule différence, dit-elle, «c'est qu'il est
cigarette, moi, je fume le cigare». Maria Zakharova en a d'ailleurs un qui
porte son nom à Moscou, comme Churchill, signe de sa popularité. Le temps
consacré au travail la distingue également de son patron. «Lavrov est un work
addict. Moi, concède-t-elle, je veux réserver de la place à ma famille.»
Tous les week-ends, quand elle le
peut, elle s'échappe donc dans sa datcha, à une cinquantaine de kilomètres de
Moscou, non loin de l'aéroport. Là, au milieu des champs et dans une maison qui
n'a rien d'un palais, elle se ressource. Son ingénieur de mari, Andreï, épousé
en 2005, lui mijote quelques plats. Sa fillette peut lui confier des secrets.
Et puis, elle retrouve ses parents adorés avec qui elle entretient une relation
fusionnelle. Son père est un ancien diplomate, aujourd'hui professeur
d'économie. Il a commencé sa carrière sous Leonid Brejnev.
«L'Occidentne nous a jamais
compris»
C'est à Pékin, où elle l'a suivi
en poste à l'âge de 6 ans, qu'il lui a inoculé le virus de la diplomatie.
Quand elle parle en sa présence, elle guette sa réaction. Sous l'œil paternel,
l'intraitable porte-parole de Lavrov redevient une adolescente presque mal
assurée. Elle le vénère, lui qui parle cinq langues étrangères couramment, dont
le français à la perfection, quand elle ne maîtrise «que» l'anglais et le
chinois. Sa mère a tellement aimé l'empire du Milieu qu'elle est devenue une
spécialiste reconnue des arts populaires de ce pays. Elle a écrit de nombreux
livres sur le sujet.
La Chine, c'est la grande affaire
de la famille. «C'est là-bas que je me suis ouverte au monde, raconte Maria
Zakharova. Je rêvais d'être sinologue plus tard.» Son pays en a décidé
autrement, à sa sortie de l'Institut des relations internationales en 1998.
Sitôt diplômée, elle est bombardée au service de presse du ministère des
Affaires étrangères, où elle est notamment chargée de l'édition mensuelle de La
Revue diplomatique. Intéressant, mais pas suffisant, selon elle, y compris
financièrement. Donc elle travaille à côté pour arrondir ses fins de mois comme
interprète. De chinois, évidemment!
« L'Occident ne nous a jamais
compris. Pendant que nous chassions les islamistes en Tchétchénie, vous êtes
restés les bras croisés. Maintenant, vous mesurez, avec l'expérience, combien
nous avions raison. Vous pouvez vous en mordre les doigts. »
Maria Zakharova
Ironie de l'histoire, elle
passera quelques jours aux côtés de Mikhaïl Khodorkovski, qui est alors la
première fortune russe, à la tête du groupe pétrolier Ioukos. «Un jour, il m'a
proposé de m'embaucher à plein temps, moyennant un salaire énorme, confie-t-elle.
Mais je n'ai pas aimé l'ambiance, ni les gens…» Dit-elle la vérité? Toujours
est-il que Khodorkovski, qui avait de grandes ambitions politiques, se voit
arrêter net dans son ascension par Vladimir Poutine. Accusé de tous les maux:
fraude fiscale, vol, blanchiment d'argent… L'oligarque déchu passera plusieurs
années à l'ombre avant d'être gracié par le maître du Kremlin en 2013. Pendant
ce temps, son ancienne interprète, elle, s'envole pour New York. Elle passe
trois ans à la représentation permanente russe aux Nations unies. Est-ce là-bas
qu'elle commence à se forger quelques-unes de ses opinions - pas vraiment
flatteuses - sur l'Occident? Sans aucun doute. Le sentiment de supériorité des
Américains, «faisant à chaque instant sentir qu'ils avaient gagné la guerre
froide», a piqué au vif son orgueil et sa fibre patriotique. Elle affirme que
Moscou, avec Poutine, était prêt à construire un nouveau monde, mais que les
États-Unis n'en ont pas voulu.
«Dictature du libéralisme»
Maria Zakharova est d'un bloc.
Elle a les convictions chevillées au corps. Tenter de les contrarier, c'est se
heurter à un mur. Il y a aussi chez elle du ressentiment. «L'Occident ne nous a
jamais compris, lance-t-elle. Pendant que nous chassions les islamistes en
Tchétchénie, vous êtes restés les bras croisés. Maintenant, vous mesurez, avec
l'expérience, combien nous avions raison. Vous pouvez vous en mordre les
doigts.» Pareil face au bourbier syrien, où Poutine soutient Bachar el-Assad:
«Vos préjugés sont toujours les mêmes, alors que la rébellion au régime de
Damas est infestée d'islamistes qui ne vous veulent pas de bien.» La
porte-parole de Lavrov s'enflamme contre l'autocensure qui règne en Occident
pour ne pas heurter le politiquement correct, le vrai-faux esprit de tolérance.
Elle reconnaît, certes, que la corruption est monnaie courante dans son pays,
mais elle ne l'échangerait pas contre la «dictature du libéralisme».
Inutile de pinailler, de remuer
des affaires sensibles comme l'annexion de la Crimée ou le sort réservé à des
opposants politiques. «La Russie de Poutine, assène-t-elle, c'est la stabilité,
l'innovation, le développement, la sécurité. Poutine a relancé la Russie.»
C'est simple, la diplomate Maria Zakharova n'a qu'un rêve: «Que l'Ouest nous
laisse tranquilles et comprenne que les Russes ne sont pas les agresseurs…» Un
message que Vladimir Poutine répétera peut-être à Emmanuel Macron à Paris le 11
novembre, s'il accepte de participer aux commémorations de l'armistice de 1918.
Le président de la République française, dit-elle, «parle beaucoup, mais n'a
pas fait ses preuves, c'est encore Merkel la chef de l'Europe».
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INTERVIEW - Le président
libanais, élu en octobre 2016, évoque ses principaux chantiers. Il souhaite
faire de son pays «un centre de dialogue entre les civilisations, les religions
et les cultures».
LE FIGARO. - Votre mandat de
président du Liban s'achève en 2022. Quels sont vos principaux chantiers?
Général AOUN. - Ma
priorité est la sécurité de mes compatriotes. J'ai veillé à rétablir l'autorité
de l'État. J'ai réorganisé l'armée, nommé un nouveau commandement et ordonné
une action contre les organisations terroristes installées dans nos montagnes.
Elle a porté ses fruits. Nous avons débarrassé le pays des terroristes de Daech
et d'al-Nosra, infiltrés de Syrie. Nous démantelons les cellules dormantes.
Nous arrêtons les gangs. La sécurité est garantie ; en atteste la reprise
du tourisme. En économie, les décrets d'adjudication du pétrole et du gaz,
gelés depuis 2013 avec des intentions suspectes, sont signés. Les appels
d'offres lancés. Les contrats octroyés. La lutte contre la corruption
progresse. Je ne tolérerai pas les abus. La justice tranchera. C'est un
véritable changement systémique. Concernant la loi électorale, elle datait de
1926, il fallait la changer. Nous avons adopté une loi électorale à la
proportionnelle qui permet une représentation plus juste du peuple libanais.
Enfin, au sein de l'administration: on a remis de l'ordre dans les corps
d'inspection, la diplomatie…
«Le Hezbollah représente plus
d'un tiers de la population libanaise. Malheureusement, une certaine opinion
publique étrangère est déterminée à en faire un ennemi»
Michel Aoun, président du Liban
Les législatives ont eu lieu
en mai ; le gouvernement n'est toujours pas formé. Le Hezbollah a-t-il un
droit de veto sur toutes les décisions stratégiques?
Non. Au Liban, le système est
consensuel. Donner son avis ne revient pas à user d'un droit de veto. Le
Conseil des ministres actuel gère les affaires courantes.
Le Liban du président Aoun
est-il l'otage du Hezbollah?
Les pressions internationales sur
le Hezbollah ne sont pas récentes. Elles vont crescendo. Certains cherchent à
lui régler son compte politique, faute d'avoir réussi à lui régler son compte
militaire, parce qu'il a défait Israël, en 1993, puis en 1996 et, surtout, en
2006. Le
Hezbollah représente plus d'un tiers de la population libanaise.
Malheureusement, une certaine opinion publique étrangère est déterminée à en
faire un ennemi.
Et l'attentat contre les
soldats français du Drakkar en 1983, ce n'est pas le Hezbollah qui l'a fait?
Le Hezbollah a été créé en 1985.
Le sud du Liban peut-il être
utilisé dans l'affrontement entre l'Iran et Israël?
Non.
«Si le Liban n'est pas
attaqué, pas un seul coup de feu ne sera tiré depuis notre territoire. Mais
s'il l'est, il aurait le droit de se défendre»
Michel Aoun, président du Liban
Le Hezbollah vous obéira,
parce que vous êtes le chef des armées?
Assurément. Si le Liban n'est pas
attaqué, pas un seul coup de feu ne sera tiré depuis notre territoire. Mais
s'il l'est, il aurait le droit de se défendre.
Les miliciens du Hezbollah
pourraient intégrer l'armée libanaise?
Cela pourrait être une issue.
Actuellement, certains lui reprochent son implication dans la guerre contre
Daech et al-Nosra en Syrie. Mais les faits sont là: les terroristes djihadistes
attaquaient notre territoire, le Hezbollah le défendait. Il ne joue aucun rôle
militaire à l'intérieur du Liban et n'intervient pas aux frontières avec
Israël. Il est désormais lié à la question du Moyen-Orient et à la résolution
du conflit en Syrie.
Quel est l'état des relations
entre la Syrie et le Liban?
Le Liban refuse de s'ingérer dans
les affaires internes d'un pays tiers. Nous adoptons une politique de
distanciation vis-à-vis des conflits dans la région, notamment en Syrie. Notre
ambassade à Damas et celle de Syrie à Beyrouth sont ouvertes.
Le régime el-Assad est-il
légitime? A-t-il gagné la guerre?
Le régime existe. On entend dire
de plus en plus qu'il a gagné la guerre et que le président syrien resterait au
pouvoir.
Est-ce normal qu'il reprenne
Idlib?
Idlib
fait partie de la Syrie. Il y avait d'un côté Bachar el-Assad, et, de
l'autre, les terroristes de Daech et d'al-Nosra. Au Liban plus que partout
ailleurs, nous nous interrogions sur notre sort au cas où les terroristes
l'auraient emporté.
C'était une grave menace pour
vous, les chrétiens d'Orient?
Certainement. Là où les
terroristes se sont implantés, en Syrie et en Irak, les chrétiens d'Orient ont
été quasiment liquidés. Ils sont à la fois les témoins et les victimes d'une
vague de barbarie qui rappelle les temps anciens.
«Tout le monde connaît mon
parcours. Seul l'intérêt du Liban détermine mon action. Je m'oppose à tout
alignement qui desservirait cet objectif»
Michel Aoun, président du Liban
Au Liban, qui soutient les
chrétiens?
Tout le monde connaît mon
parcours. Seul l'intérêt du Liban détermine mon action. Je m'oppose à tout
alignement qui desservirait cet objectif. Les chrétiens du Liban se soutiennent
eux-mêmes. Nous avons surmonté nos divisions. Certains différends persistent:
sur la Syrie, sur des dossiers politiques. Mais ils n'ont jamais dérapé. Je
suis totalement indépendant et attaché à l'indépendance du Liban. Pour
l'instant, Israël nous menace, viole notre souveraineté et poursuit la
spoliation des droits des Palestiniens. On vient de recevoir un nouveau «cadeau
empoisonné»: la
suspension par le président Trump de la contribution américaine à l'UNRWA (Office
de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans
le Proche-Orient), dont dépendent près de 500.000 Palestiniens au Liban. Cela
conduira à implanter définitivement les réfugiés palestiniens dans les pays où
ils se trouvent, notamment au Liban. Depuis 2011 et l'afflux massif de plus
d'un million de déplacés syriens sur notre territoire, le fardeau
démographique, économique, social et sécuritaire devient insupportable.
Aujourd'hui, un résident sur trois au Liban est, soit un déplacé, soit un
réfugié. Leur implantation transformera notre démographie de façon
irréversible.
L'alliance des minorités
est-elle une garantie stratégique pour la sécurité des chrétiens d'Orient?
Sinon, quelle est votre proposition?
Au Moyen-Orient, Israël cherche à
fragmenter la région en pièces communautaires et confessionnelles, des
simulacres d'États, pour assembler un puzzle sectaire. L'alliance entre des
entités, chacune exclusivement réservée à une minorité, est vouée à l'échec. Ce
modèle est, en tous points, contraire à la nature démocratique du régime
politique libanais, à notre diversité culturelle et à notre pluralisme
religieux. J'ai proposé, à l'ONU, en 2017, de faire du Liban un centre de
dialogue entre les civilisations, les religions et les cultures. Cette année,
je développe la proposition en y incluant un volet académique.
Qu'attendez-vous de la France
et de l'Europe?
De soutenir le Liban sur la
question du retour graduel et en sécurité des déplacés syriens dans des zones
stables de leur pays, d'augmenter leurs contributions au budget de l'UNRWA et
de s'associer aux projets d'investissements présentés à la conférence CEDRE.
Nous avons les origines, l'histoire, les valeurs et l'avenir, en partage.
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INFOGRAPHIE - Le pays, qui
accueille pourtant un million de déplacés syriens, reste un îlot de stabilité,
au cœur d'un Moyen-Orient embrasé.
L'un des phénomènes géopolitiques
les plus étonnants du Moyen-Orient contemporain est que le Liban résiste à la
vague du conflit interconfessionnel sunnites-chiites qui a submergé la région.
Rien que samedi, 25
personnes ont été tuées dans un attentat à Ahvaz (sud-ouest de
l'Iran), commis par des sunnites contre des soldats chiites.
Le Liban est une mosaïque de
communautés, où vivent ensemble, depuis le fond des âges, des chrétiens
(maronites ou orthodoxes) et des musulmans (chiites, sunnites, druzes). Il y a
dix ans, on ne donnait pas cher de l'avenir politique du seul pays réellement
multiconfessionnel et démocratique du Moyen-Orient. En 2006, il avait été
ravagé par des représailles massives de Tsahal, déclenchées en riposte à une
embuscade du Hezbollah (parti milice islamique chiite, dont le parrainage
iranien remonte à 1982) qui, le 12 juillet 2006, avait tué huit soldats de
Tsahal sur le territoire internationalement reconnu d'Israël. Comme le
Hezbollah avait réussi à survivre à un assaut féroce de 33 jours (jusqu'à une
trêve sous pression internationale), son secrétaire général avait proclamé une
«victoire divine», qu'il allait utiliser pour avancer ses pions sur l'échiquier
libanais.
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Le 7 mai 2008, les miliciens
armés du Hezbollah faisaient une démonstration de force à Hamra, au cœur du
Beyrouth sunnite, tout en étant bloqués dans le Chouf par les combattants
druzes. Le Liban était à deux doigts de plonger dans une guerre
chiites-sunnites. La dernière guerre civile (1975-1990) avait surtout opposé
les phalanges chrétiennes aux unités palestiniennes soutenues par le camp
«islamo-progressiste» ; elle s'était soldée par le départ des combattants palestiniens
et par un accord institutionnel diminuant les pouvoirs du président de la
République (toujours un chrétien maronite), en faveur du premier ministre
(toujours un musulman sunnite). Grâce aux appels à la raison du leader druze
Joumblatt, la confrontation du 7 mai 2008 n'avait pas dégénéré et un
accord politique avait été trouvé le 25 mai à Doha, avec la médiation
finale de l'émir du Qatar. Au Qatar, le Hezbollah obtenait un droit de veto de
facto sur les décisions de l'exécutif. Doha consacrait politiquement la montée
en puissance des chiites, devenus démographiquement la première communauté
libanaise.
Le pays du Cèdre s'est
reconstruit et continue à se développer, même si sa dette (82 milliards de
dollars) correspond à plus d'un an et demi de PIB (54 milliards)
Il n'y eut pas de printemps arabe
au Liban début 2011. Le pays du Cèdre avait eu le sien au début de 2005
(manifestations géantes qui avaient obtenu le départ des forces d'occupation
syriennes) et il jouissait d'une pleine liberté de la presse ainsi que de
législatives démocratiques et transparentes. Mais il fut évidemment affecté par
le début de la guerre
civile en Syrie à l'été 2011 et il accueille désormais un million
de déplacés syriens. Mais le pays du Cèdre s'est reconstruit et continue à se
développer, même si sa dette (82 milliards de dollars) correspond à plus
d'un an et demi de PIB (54 milliards), et si le taux de chômage avoisine
30 %. Beyrouth est redevenue une place financière importante, grâce à la
rigoureuse gestion de la Banque centrale. Plus de deux millions de touristes y
viennent par an. Les législatives du 6 mai se sont déroulées calmement et
ont vu une montée en puissance du Hezbollah, un maintien du courant chrétien
aouniste (qui prône sans le dire une stratégie d'union des minorités face à
l'océan sunnite), et un léger déclin du mouvement sunnite de Saad Hariri.
Dans la guerre froide entre
l'Arabie saoudite et l'Iran, le pays s'est efforcé de rester neutre, et songe
désormais à jouer un rôle de médiateur. Le général Aoun a été élu président
grâce aux voix du Hezbollah (avec lequel il signa un pacte en 2006). Mais par
souci d'équilibre, sa première visite officielle fut pour l'Arabie saoudite. Le
Liban, paradis de l'initiative privée, n'est pas parfait car l'État y est
chroniquement faible, avec des ministres otages de leurs communautés, et des
services publics déficients. Mais ce pays où, tous les jeudis, 30 ministres,
chrétiens, chiites, sunnites et druzes, se mettent autour d'une table pour
prendre des décisions communes, reste un exemple pour l'ensemble du
Moyen-Orient.
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L'Europe, empire allemand ? Entretien avec Jean-Michel
Quatrepoint
Par Eugénie
Bastié et Alexandre
DevecchioMis à jour le 28/04/2014 à 16h37 | Publié le 25/04/2014 à
18h41
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN- Pour
le journaliste économiste Jean-Michel Quatrepoint, auteur du Choc des
empires, la construction européenne a totalement echappé à la France et se
trouve désormais au service des intérêts allemands. Première partie de
l'entretien accordé au Figarovox.
Retrouvez la deuxième partie
de l'entretien ici.
Jean-Michel Quatrepoint est
journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde,
à la Tribune et auNouvel Economiste. Il a écrit de
nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait
la crise financière à venir.
Dans son dernier livre,Le
Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera
l'économie-monde? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre
économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur
la mondialisation: les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne.
Dans votre livre vous
expliquez que le monde se divise désormais en trois empires: les Etats-Unis, la
Chine, l'Allemagne. Qu'est-ce qu'un empire?
Pour être un empire, il faut
d'abord se vivre comme un empire. Ensuite, il faut une langue, une monnaie, une
culture. Sans parler des frontières. L'Amérique, c'est Dieu, le dollar et un
drapeau. La Chine, c'est une économie capitaliste, une idéologie communiste et
une nation chinoise qui a sa revanche à prendre, après l'humiliation subie au
XIXème siècle. Quant à l'Allemagne, c'est en empire essentiellement économique.
Quand Angela Merkel a
été élue en 2005, son objectif premier était de faire de l'Allemagne la
puissance dominante en Europe: elle a réussi. Maintenant il s'agit de façonner
l'Europe à son image. Mais avec des contradictions internes: pour des motifs
historiques bien compréhensibles, Berlin ne veut pas aller jusqu'au bout de la
logique de l'empire. Elle n'impose pas l'allemand, et est réticente sur la
Défense. Elle veut préserver ses bonnes relations avec ses grands clients: la
Chine, les Etats-Unis et la Russie.
Vous écrivez «L'Union
européenne qui n'est pas une nation ne saurait être un empire»..
L'Europe est un patchwork et
ne peut exister en tant qu'empire, face aux autres empires.
C'est tout le problème de
l'Europe allemande d'aujourd'hui, qui se refuse à assumer sa dimension
d'empire. 28 états sans langue commune, cela ne peut constituer un empire.
L'Angleterre ne fait pas partie du noyau dur de la zone euro. Les frontières ne
sont pas clairement délimitées: elles ne sont pas les mêmes selon qu'on soit
dans l'espace Schengen ou la zone euro. L'Europe est un patchwork et ne peut
exister en tant qu'empire, face aux autres empires.
«L'Allemagne est devenue,
presque sans le vouloir, le nouveau maitre de l'Europe», écrivez-vous. Comment
se traduit cette domination de l'Allemagne en Europe? D'où vient-elle? Sur
quels outils s'appuie cette hégémonie?
Cette domination vient de ses
qualités…et de nos défauts. Mais ce n'est pas la première fois que l'Allemagne
domine l'Union européenne. A la fin des années 1980, juste avant la chute du
mur, elle avait déjà des excédents commerciaux considérables. La réunification
va la ralentir un instant, car il va falloir payer et faire basculer l'outil
industriel allemand vers un autre hinterland. La RFA avait un
hinterland, c'était l'Allemagne de l'Est: le rideau de fer n'existait pas pour
les marchandises. Les sous-ensembles (par exemple les petits moteurs équipant
l'électroménager allemand) étaient fabriqués en RDA à très bas coût (il y avait
un rapport de 1 à 8 entre l'Ost mark et le Deutsche Mark), puis assemblés en
Allemagne de l'Ouest. Avec l'équivalence monétaire décidée par Kohl à la
réunification (1 deutsche mark= 1 Ost mark), les Allemands perdent tous ces
avantages. Il faut trouver un nouvel hinterland pour retrouver des
sous-traitants à bas coût. Ce que l'Allemagne a perdu dans la réunification,
elle le retrouvera par l'élargissement de l'UE. Ce sera dans la Mittleuropa,
l'espace naturel allemand, reconstitué après l'effondrement du communisme. La
Hongrie, la Tchéquie, et même la Pologne: c'est la Germanie, le Saint Empire
romain germanique.
Ce que l'Allemagne a perdu
dans la réunification, elle le retrouvera par l'élargissement de l'UE. Ce sera
dans la Mittleuropa, l'espace naturel allemand, reconstitué après
l'effondrement du communisme. La Hongrie, la Tchéquie, et même la Pologne :
c'est la Germanie, le Saint Empire romain germanique.
Dans un premier temps ils ont
donc implanté des usines modernes dans les pays de l'Est pour fabriquer des
sous-ensembles, qui sont assemblés en Allemagne où l'on fabrique un produit
fini, que l'on vend avec une kyrielle de services voire avec le financement. La
grande force de l'Allemagne c'est d'avoir choisi dans la division
internationale du travail un créneau où ils sont quasiment seuls, l'industrie
de qualité, principalement automobile (elle leur assure une part très
importante de leurs excédents commerciaux).
Un hinterland permis par
l'élargissement, une «deutsche qualität», mais aussi «un euro fort» qui sert
les intérêts allemands…
L'euro c'est le mark. C'était le
deal. Les Français ont péché par naïveté et se sont dit: faisons l'euro, pour
arrimer
L'euro c'est le mark. C'était
le deal. Les Français ont péché par naïveté et se sont dit : faisons l'euro,
pour arrimer l'Allemagne à l'Europe
l'Allemagne à l'Europe. Les
Allemands ont dit oui, à condition que l'on joue les règles allemandes: une
banque centrale indépendante (basée à Francfort), avec un conseil des
gouverneurs dirigé par des orthodoxes, dont la règle unique est la lutte contre
l'inflation, la BCE s'interdisait dès le départ d'avoir les mêmes outils que la
FED ou la banque d'Angleterre et depuis peu la Banque du Japon, même si Mario
Draghi est en train de faire évoluer les choses. Mais le mal est fait.
Vous dites que l'Allemagne
fonctionne sur une forme de capitalisme bismarckien mercantiliste. Pouvez-vous
nous définir les caractéristiques de cet «ordolibéralisme» allemand?
L'ordolibéralisme allemand se
développe dans l'entre deux guerres et reprend les principes du capitalisme
mercantiliste bismarckien. Bimarck favorise le développement d'un capitalisme
industriel et introduit les prémices de la cogestion . Il invente la sécurité
sociale. Pas par idéal de justice sociale, mais pour que les ouvriers ne soient
pas tentés par les sirénes du socialisme et du communisme. C'est la stratégie
qu'a déployé l'Occident capitaliste entre 1945 et 1991. Le challenge du communisme
a poussé l'Occident à produire et à distribuer plus que le communisme. La
protection sociale, les bons salaires, étaient autant de moyens pour éloigner
des populations de la tentation de la révolution. Une fois que le concurrence
idéologique de l'URSS a disparu, on est tenté de reprendre les avantages
acquis… 1 milliard 400 000 chinois jouent plus ou moins le jeu de la
mondialisation, la main d'œuvre des pays de l'Est est prête à travailler à bas
coût…tout cela pousse au démantèlement du modèle social européen. Les
inégalités se creusent à nouveau.
L'ordolibéralisme se développe
avec l'école de Fribourg. Pour ses tenants, l'homme doit être libre de créer ,
d'entreprendre, de choisir ses clients, les produits qu'il consomme , mais il
doit aussi utiliser cette liberté au service du bien commun. l'entreprise a un
devoir de responsabilité vis-à-vis des citoyens. C'est un capitalisme organisé,
une économie sociale de marché où les responsabilités sont partagées entre
l'entreprise, le salarié et l'Etat. Il y a quelque chose de kantien au fond:
l'enrichissement sans cause, et illimité n'est pas moral, il faut qu'il y ait
limite et partage.
Le mercantilisme, c'est le
développement par l'exportation. Il y a d'un coté les pays déficitaires, comme
les Etats-Unis et la France et de l'autre trois grands pays mercantilistes:
l'Allemagne, le Japon et la Chine. Ces trois pays sont des pays qui ont freiné
leur natalité et qui sont donc vieillissants, qui accumulent donc des excédents
commerciaux et des réserves pour le jour où il faudra payer les retraites.
L'Amérique et la France sont des pays plus jeunes, logiquement en déficit.
Les élections européennes
approchent et pourraient déboucher pour la première fois dans l'histoire sur un
Parlement européen eurosceptique. Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe?
Comment sortir de l'Europe allemande?
L'Europe est un beau projet qui
nous a échappé avec l'élargissement, qui a tué la possibilité même du
fédéralisme. On a laissé se développer une technocratie eurocratique, une bureaucratie
qui justifie son existence par le contrôle de la réglementation qu'elle édicte.
Il faut absolument réduire nos
déficits, non pas pour plaire à Bruxelles ou à Berlin, mais parce que c'est la
condition première et nécessaire du retour de notre souveraineté. John Adams,
premier vice-président américain disait : « il y a deux manières de conquérir
un pays : l'une par l'épée, l'autre par la dette ».
Ce qui ne veut pas dire pour
autant qu'il ne faut pas avoir une bonne gestion. Il faut absolument réduire
nos déficits, non pas pour plaire à Bruxelles ou à Berlin, mais parce que c'est
la condition première et nécessaire du retour de notre souveraineté. John
Adams, premier vice-président américain disait: «il y a deux manières de
conquérir un pays: l'une par l'épée, l'autre par la dette». Seuls les
Américains échappent à la règle, justement parce qu'ils ont une épée tellement
puissante qu'ils peuvent se permettre de faire de la dette! Nous ne pouvons pas
nous le permettre. Ce n'est pas une question de solidarité
intergénérationnelle, ou de diktat bruxellois. Si notre dette était financée
intégralement par l'épargne française, comme c'est le cas des japonais, il y
aurait beaucoup moins de problèmes. On aurait dû financer notre dette par des
emprunts de très long terme, voire perpétuels, souscrits par les épargnants
français.
A 28 l'Europe fédérale est
impossible, de même qu'à 17 ou à 9. Il y a de telles disparités fiscales et
sociales que c'est impossible. Je suis pour une Confédération d'Etats-nations,
qui mette en œuvre de grands projets à géométrie variable ( énergie,
infrastructures, métadonnées etc ). Il y a une dyarchie de pouvoirs
incompréhensible pour le commun des mortels: entre Van Rompuy et Barroso, entre
le Conseil des ministres et les commissaires. Dans l'idéal il faudrait
supprimer la commission! Il faut que les petites choses de la vie courante
reviennent aux Etats: ce n'est pas la peine de légiférer sur les fromages! Le
pouvoir éxécutif doit revenir aux conseils des chefs d'état et aux conseils des
ministres, l'administration de Bruxelles étant mise à leur disposition et à
celui d'un Parlement dont la moitiée des députés devraient être issus des
parlements nationaux. Si l'on veut redonner le gout de l'Europe aux citoyens il
faut absolument simplifier les structures .
Comment fait-on pour réduire
la dette avec une monnaie surévaluée? Faut-il sortir de l'euro?
Une dette perpétuelle n'a pas
besoin d'être remboursée. Je suis partisan d'emprunts à très long terme, auprès
des épargnants français, en leur offrant un taux d'intérêt digne de ce nom.
Le traité de Maastricht a été une
erreur: on a basculé trop vite de la monnaie commune à la monnaie unique. Il
n'est pas absurde de prôner le retour à une monnaie commune et à du
bimétalisme: un euro comme monnaie internationale et 3 ou 4 euros à l'intérieur
de la zone euro. Mais cela nécessite l'accord unanime des pays membres, et
c'est une opération très compliquée. Sur le fond, la sortie de l'euro serait
l'idéal. Mais il faut être réaliste: nous n'aurons jamais l'accord des
Allemands.
Si nous sortons
unilatéralement, d'autres pays nous suivront …
Pour sortir unilatéralement, il
faut être très fort, or notre pays, dans l'état dans lequel il est aujourd'hui,
ne peut pas se le permettre. Quand aux autres: Rajoy suivra Merkel, les
portugais aussi (ces dirigeants appartenant au
Hollande et Sarkozy ne se sont
pas donné les moyens d'imposer un chantage à l'Allemagne.
PPE), Renzi joue son propre jeu.
La France est isolée en Europe. Elle ne peut pas jouer les boutefeux. Hollande
et Sarkozy ne se sont pas donné les moyens d'imposer un chantage à l'Allemagne.
Il fallait renationaliser la dette, pour ne plus dépendre des marchés et
s'attaquer au déficit budgétaire, non pas pour plaire à Merkel, mais pour
remettre ce pays en ordre de marche. Sarkozy faisait semblant de former un duo
avec la chancelière alors que c'est elle qui était aux commandes. Hollande, lui
fuit, et essaye de gagner du temps, deux mois, trois mois. Il cherche l'appui
d'Obama nous ramenant aux plus beaux jours de la Quatrième République, à
l'époque où on quémandait l'appui des Américains pour exister.
Comme vous l'expliquez dans
votre livre, la France, faute d'industrie, essaie de vendre les droits de
l'homme…
Oui nous avons abandonné le
principe de non ingérence en même temps que nous avons laissé en déshérence des
pans entiers de notre appareil industriel. Alors que la guerre économique fait
rage, que la mondialisation exacerbe les concurrences, nous avons d'un coté
obéré notre compétitivité et de l'autre on s'est imaginé que l'on tenait avec
les «droits de l'homme «un «plus produit» comme on dit en marketing. Or ce sont
deux choses différentes. Surtout quand il s'agit de vendre dans des pays où les
gouvernements exercent une forte influence sur l'économie. Les droits de
l'homme ne font pas vendre. C'est malheureux mais c'est ainsi. De plus la
France à une vision des droit de l'homme à géométrie variable. Pendant qu'on
fait la leçon à Poutine, on déroule le tapis
Arrêtons de vouloir donner des
leçons au reste du monde, sinon le reste du monde sera en droit de nous en
donner !
rouge au Qatar où à l'Arabie
Saoudite. Avec la Chine on tente de rattraper les choses. Mais les Chinois,
contrairement à nous, ont de la mémoire. Savez-vous pourquoi le président
chinois lors de sa venue en France s'est d'abord arrêté à la mairie de Lyon
avant celle de Paris? Parce que M Delanoë avait reçu le dalaï-lama, et que les
Chinois se souviennent du trajet de la flamme olympique en 2008 dans la
capitale. Nous occidentaux, nous n'avons pas de leçons à donner au reste du
monde. Les espagnols ont passé au fil de l'épée les Indiens, les Anglais ont
mené une guerre de l'opium horriblement humiliante pour les Chinois au XIXème.
Arrêtons de vouloir donner des leçons au reste du monde, sinon le reste du
monde sera en droit de nous en donner!
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Élisabeth Lévy : Taddeï, la liberté d'expression et le
manichéisme triomphant
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - En
Une du dernier Causeur, Frédéric Taddeï fanfaronne : «Je me fous
d'être payé par Poutine». Élisabeth Lévy salue la liberté du présentateur télé,
qui a su selon elle donner la parole à tous les penseurs d'une époque qui
accepte difficilement le débat et la contradiction.
- Crédits photo : Causeur.
Élisabeth Lévy est journaliste
et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son dernier numéro, le magazine
publie notamment une longue interview de Frédéric Taddeï, qui présente à partir
de la rentrée une émission sur la chaîne RT France.
FIGAROVOX.- Vous consacrez
votre Une à Frédéric Taddeï et à sa nouvelle émission sur la chaîne russe RT
France. Causeur serait-il financé par Vladimir Poutine?
Élisabeth LÉVY.- Si
seulement c'était vrai… je blague! Justement, quand j'ai appris que Frédéric
Taddeï, pour lequel j'ai de l'admiration professionnelle (et de la sympathie
personnelle), allait sur Russia Today, c'est la première question qui m'est
venue à l'esprit - et que nous lui avons posée: était-il gêné par le fait
d'être payé par Poutine (ou, plus précisément, par l'État russe qui est
l'actionnaire de RT). Eh bien, il le proclame en Une de Causeur, il
s'en fout! Cette indifférence au qu'en-dira-t-on est rafraîchissante. J'aurais
peut-être eu plus de scrupule à sa place et j'aurais peut-être eu tort car ses
arguments sont assez convaincants. Tout d'abord, l'important est qu'il soit
libre. J'imagine qu'il aura à cœur très vite d'organiser un débat sur la Russie
et d'y inviter des adversaires de Poutine, les sujets ne manquant pas, par
exemple, le sort du cinéaste Oleg Sentsov (dont nous avons oublié de lui
parler). Mais surtout, Taddeï a beau jeu de se moquer de notre arrogance sur le
sujet, et de notre propension à penser qu'il y a d'un côté la vertueuse
information, la nôtre, et de l'autre l'horrible propagande. Il suffit d'écouter
France Inter pour comprendre que cette pieuse distinction ne tient pas la
route.
Mais France Inter ne défend
pas le pouvoir…
Vous avez raison, on ne peut pas
lui faire ce reproche. Ses journalistes et animateurs produisent librement leur
ronronnement idéologique. De même, c'est en toute liberté qu'une grande partie
des médias se sont (comme beaucoup de Français) pris de passion pour Emmanuel
Macron pendant la campagne présidentielle, au point d'en perdre leur fameux
quant-à-soi. Cela n'a rien de condamnable, mais cela ne permet peut-être pas de
donner des leçons de journalisme à la terre entière. Je ne sais pas si RT est
«la voix de la Russie», j'avoue ne pas la regarder assidument - et je le ferai
car les fantasmes ne devraient pas tenir lieu de jugement. Mais Taddeï n'est
pas plus comptable de l'information sur RT que vous et moi des émissions
diffusées sur les chaînes et stations où nous intervenons.
Taddeï, c'est le Drucker des
intellos.
Plus sérieusement, ne
faites-vous pas un peu dans l'entre-soi? Ce débat médiatico-médiatique peut-il
intéresser les foules?
Vous êtes amusant! Diriez-vous de
Paris Match qui faisait cette semaine sa Une sur Michel Drucker qu'il est dans
l'entre-soi? Eh bien, Taddeï c'est le Drucker des intellos, plus précisément de
tous les gens qui s'intéressent au débat public, à la culture, aux idées. Et ça
fait tout de même pas mal de monde, sinon aurait-il animé à la télévision
publique, pendant dix ans, dont cinq en quotidienne, une émission culturelle
qui faisait référence? Tous les grands penseurs de ce pays - et pas mal d'un
peu moins grands - allaient chez Taddeï. L'émission faisait parler, on y voyait
des inconnus et des sommités, des chercheurs et des essayistes, sans oublier
quelques hurluberlus qui n'avaient rien à dire sur le sujet - et souvent rien à
dire du tout - qui donnaient à l'émission un côté foutraque drôle ou irritant.
C'était parfois joyeux, parfois tendu et parfois complètement raté: vivant en
somme. L'émission suscitait beaucoup de critiques et d'agacements, y compris
parmi ses participants, peut-être parce qu'il y soufflait un véritable esprit
de pluralisme, de plus en plus rare dans le débat public. De surcroît, à la
différence de ce qui se passait ailleurs à la même époque, il n'y avait pas dès
le départ, une opinion légitime (de gauche) et une autre. C'est un enjeu de
taille qui n'a rien de «médiatico-médiatique». Même si toute la République des
lettres et des idées s'y pressait.
Mais au-delà de la question de
l'indépendance journalistique, le problème n'est-il pas celui de l'ingérence
étrangère? Auriez-vous fait cette interview si Taddeï avait travaillé pour
«Al-Jazira France»?
Évidemment! Croyez-vous que je
n'interviewe une personnalité que quand je suis d'accord avec ses actes ou ses
propos? Et puis, de l'ingérence étrangère, comme vous y allez! À ma
connaissance, RT France offre un point de vue russe sur l'actualité, vous
pouvez ne pas être d'accord avec ce point de vue, et aussi ne pas les regarder
mais si c'est de l'ingérence, Hollywood est la plus fantastique entreprise
d'ingérence qui ait jamais existé. Allez-vous interdire les chaînes qataries en
France sous prétexte que le Qatar n'est pas une démocratie et que sa politique
vous déplaît?
Beaucoup reprochent à Taddeï
d'avoir invité des infréquentables. En particulier Dieudonné, Nabe, Soral ou
Ramadan... Causeur a fait une couverture avec Dieudonné… Pour
autant, vous fixez-vous des limites? Existe-t-il des personnalités que vous
n'inviteriez jamais par principe?
Je déteste les listes noires et
je me suis assez insurgée contre celles de la gauche pour ne pas céder à mon
tour à cette passion désolante et si répandue. Il aurait été bien plus grave
pour une émission culturelle de n'inviter que des gens fréquentables ou jugés
tels - et par qui, d'ailleurs? Si cela avait été le cas, vous n'auriez jamais vu
Eric Zemmour à CSOJ et probablement pas votre servante. Cela dit, bien sûr
qu'il y a des limites, mais à mon avis, il faut aller le plus loin possible,
quitte à se tromper, quitte à entendre des horreurs. Je préfère les effets
secondaires de la liberté à l'anémie intellectuelle de la bienséance. «Interdit
d'interdire», c'est un peu court comme principe politique, mais comme ligne
d'une émission culturelle, ça fait plutôt envie.
D'accord, mais comme vous ne
pensez pas que tout doit pouvoir être dit, comment fixer la limite?
Taddeï a toujours dit que sa
limite, c'était la loi, cela me semble un peu court et je crois pour ma part au
bon sens et à la décence. On ne va pas refuser d'inviter X ou Y sous prétexte
qu'il a déjà été condamné pour un mot de travers. En revanche, pourquoi
donnerait-on la parole à quelqu'un qui n'a que sa haine à cracher? En clair, on
est obligé de faire du cas par cas. À Causeur, nous avons fait une
Une contre Dieudonné et on nous a reproché de l'interviewer (on nous a même
expliqué que nous étions complaisants avec l'antisémitisme pour vendre du
papier…). Mais donner à ceux qu'on attaque la possibilité de se défendre, c'est
le premier principe de la justice, non? Il m'est arrivé de débattre avec Soral
à l'époque où il semblait encore appartenir au monde de la raison. Aujourd'hui,
alors qu'il ressasse que tous les problèmes du monde tiennent à une seule cause
(suivez mon regard), il n'est tout simplement plus un interlocuteur légitime.
En revanche, je trouve étonnant, voire choquant que vous vous interrogiez sur
le fait d'avoir invité Tariq Ramadan: celui-ci représentait un courant de
pensée assez important parmi les jeunes musulmans français, il respectait les
formes du débat républicain, au nom de quoi aurait-il fallu l'interdire de parole?
Vous ne pouvez pas faire taire tous ceux qui ne partagent pas votre vision du
monde, et tant mieux! Dans votre liste, le seul qui m'aurait fait hésiter,
c'est Nabe, mais je trouve plutôt honorable que Taddeï, qui a des liens anciens
avec lui, ait refusé de lui tourner le dos. Nabe n'a ni parti, ni appui, c'est
un solitaire et il n'y avait que des coups à prendre. J'ignore si Nabe est un
vrai salaud ou un dandy de l'exécration mais même si c'est la première
hypothèse qui est la bonne, qu'un salaud isolé ait eu quinze minutes sur une
chaîne publique ne mérite peut-être pas un si long procès.
Ne regrettez-vous pas que
Taddeï ait popularisé Houria Bouteldja et les Indigènes de la République?
Ce serait fâcheux si Taddeï
faisait de la politique.
Vous fantasmez sur le pouvoir de
la télévision, surtout aujourd'hui. Malheureusement, je ne crois pas que Taddeï
ait fait la popularité de Bouteldja et des Indigènes. Une émission culturelle,
aussi populaire soit-elle, ne peut pas créer une idéologie. L'islamo-gauchisme
et le néo-anticolonialisme (qui continue à raisonner en termes coloniaux alors
que la colonisation a disparu depuis longtemps) travaillent une partie de
l'extrême gauche et une partie de la jeunesse immigrée de France et s'efforcent
ouvertement de miner le pacte républicain. On ne les combattra pas par
l'étouffement. En revanche, c'est chez Taddeï que j'ai découvert la nocivité
des idées de Bouteldja. Et ça ne s'est pas arrangé depuis qu'on ne la voit plus
à la télé. Même chose pour Soral. Et pourtant, les deux restent très populaires
dans certains milieux. Largement les mêmes d'ailleurs.
Taddeï ne confond-il pas
relativisme et pluralisme? Vous lui avez d'ailleurs posé la question…
Taddeï cultive une sorte de
scepticisme qui frise effectivement le relativisme. Ce serait fâcheux s'il
faisait de la politique. Mais dans son rôle de maître de maison, ce scepticisme
est presque une forme de politesse, une façon de ne pas imposer ses opinions.
Le but n'est pas d'édifier ni de moraliser les téléspectateurs mais de leur
donner les moyens de leur liberté. De ce point de vue le relativisme est plus
fécond que l'affichage de sa propre vertu auquel se livrent tant d'animateurs.
Pour vous est-il l'héritier de
Chancel ou de Pivot? «Ce soir (ou jamais!)» est-elle définitivement une
émission culte de la télé française?
Je n'ai pas assez regardé Chancel
ou Pivot pour vous répondre. Mais dans ma génération, n'importe qui pourra vous
parler d'un plateau qu'il a trouvé génial et d'un autre qui lui a semblé
insupportable. Et personnellement, je remercie Taddeï de m'avoir quasiment
forcée à écouter des gens dont le seul nom me faisait bondir. Frotter
sa cervelle contre celle d'austruy, comme le disait Montaigne, cela peut
être désagréable, mais ça rend plus intelligent. Moins bête en tout cas.
Plus largement, que révèle
l'arrivée de Taddéi sur Russia Today du paysage médiatique français? Comment
expliquez-vous qu'aucune chaîne de télévision française ne lui propose une
émission?
Je suis frustrée comme
téléspectatrice et excédée comme observatrice par le manque de courage de la
télévision française, notamment publique. Elle a viré Zemmour pour faire
plaisir à quelques associations, elle congédie Taddeï et nous inflige toujours
les mêmes têtes, parfois talentueuses mais qui, avant tout, ne font pas de
vagues. Ces décisions sont dictées par un mélange de lâcheté, de conformisme,
de peur du qu'en-dira-t-on et de souci de plaire aux autres dirigeants de
médias qu'on croise tout le temps. Mais l'explication que donne Taddeï contient
sans doute une part de vérité: les responsables de la télévision prennent les
téléspectateurs pour des cons.
Cela signifie-t-il que la
liberté d'expression et le pluralisme reculent en France?
Il est toujours difficile de
répondre à cela, car comment dresser un bilan de mille faits contradictoires?
D'un côté, on peut dire et écrire n'importe quoi, de l'autre on assiste à une
litanie sans fin de procès en sorcellerie et de demandes d'exclusion. On ne
risque pas sa vie à s'opposer à la doxa, mais on risque sa vie sociale, son
boulot, sa réputation. On peut être viré pour une mauvaise blague et même pour
une bonne. Bref, alors qu'il y a objectivement plus de pluralisme dans les
médias, je crains que le pluralisme recule dans les têtes: la capacité à
écouter quelqu'un avec qui on n'est pas d'accord est de moins en moins
répandue, comme en témoigne la difficulté du débat sur le féminisme. J'ajoute
qu'il est beaucoup plus facile de survivre pour un journal comme Libération,
à qui le gouvernement a trouvé un actionnaire quand il en avait besoin, que
pour Causeur qui doit se débrouiller avec ses lecteurs. Mais
après tout, nous sommes toujours là!
Justement, vous avez été
sifflée lors de l'université d'été du féminisme organisée par Marlène Schiappa.
Cela témoigne-t-il d'un retour en force du sectarisme?
Je n'ai pas été sifflée, j'aurais
pu confondre cela avec un compliment, mais huée. Et comme je l'ai dit aux
hueurs, la huée est le signal faible de la barbarie. Pousser des cris ou
émettre des borborygmes parce que quelqu'un dit quelque chose qui ne vous plait
pas, c'est la preuve qu'on n'a plus accès au langage et à l'argumentation. Sur
la quarantaine d'intervenants invités par Marlène Schiappa, il y en avait
quatre ou cinq qui ne communiaient pas dans l'adoration de la merveilleuse
révolution #metoo. On aurait dû nous remercier d'être là! Cela a été tout le
contraire. Léa Domenach a boycotté ces rencontres au prétexte qu'elle aurait pu
y croiser ma pomme, directrice d'un «journal ouvertement masculiniste», et
Raphaël Enthoven «qui explique un jour sur deux à la radio pourquoi les
féministes se trompent» - alors qu'elles sont infaillibles c'est bien connu. La
vindicte avec laquelle elles poursuivent Enthoven, un garçon modéré, soucieux
de tendre la main à ses adversaires, est délirante. Les mêmes qui pleurnichent
sur la méchanceté des réseaux sociaux passent leur temps à persifler sur les
personnes au lieu de s'occuper des idées. Il y a aujourd'hui une forme de
malveillance, de volonté de nuire qui ne m'affecte pas mais me déconcerte.
Parce que cela n'appelle aucune réponse. «Vous devriez déjà être contente qu'on
vous laisse parler», m'a dit une fille. Voilà comment certains pensent: leurs
adversaires n'ont pas le droit d'exister… Cela dit, masculiniste, j'adore. Car
il faut bien que quelqu'un défende les hommes victimes d'un honteux amalgame
qui fait d'eux tous des violeurs en puissance.
Dans le même genre, vous avez
aussi eu droit à Meurice sur France Inter…
C'est la gloire vous croyez?
C'est le droit de Guillaume Meurice de me trouver stupide ou dingue - voire les
deux -, et son droit aussi de vouloir partager cette information capitale. Du
reste, je l'ai cherché, je ne l'ai pas reconnu quand il m'a planté son micro
sous le nez et je n'allais pas me défiler quand j'ai réalisé que c'était lui.
J'ai peut-être tort de lui parler et plus encore de croire que je peux ébranler
ses certitudes, par exemple en lui suggérant qu'il confond la norme et la
transgression de la norme. Ce genre de chichis n'est pas son rayon, il préfère
la blague de cour d'école, genre parfaitement honorable au demeurant. Certes,
il s'honorerait en étant un peu moins prévisible dans ses cibles et un peu plus
honnête dans ses attaques mais peu importe. J'adore faire rire mes
contemporains, tant pis si c'est à mes dépens. On ne peut pas aimer la liberté
seulement quand elle vous ronronne dans les oreilles, il faut l'aimer aussi
quand elle se paie votre tête ou vous choque effroyablement. Cela vaut pour
tous ceux qui se signent quand ils entendent Zemmour plutôt que de lui répondre
pied à pied. (Et il y a une foule de choses à lui dire, sur les prénoms ou sur
son couple De Gaulle/Pétain).
Le jour où un camp « gagnera
la bataille des idées », tous les esprits libres auront perdu.
Le manichéisme semble plus
fort aujourd'hui sur la question du féminisme que sur d'autres sujets autrefois
tabous comme l'immigration ou l'islam...
Vous êtes bien optimiste quant au
débat sur l'immigration ou l'islam. Il est vrai que tous les points de vue
peuvent s'exprimer, mais sur l'immigration il est encore très difficile de
sortir de l'opposition vaine entre les méchants qui se fichent que les enfants
se noient et les gentils qui aiment l'autre. Sur l'islam, on continue à faire
comme si la grosse minorité islamo-séparatiste n'avait rien à voir avec la
religion de paix et d'amour alors que, précisément, notre problème vient du
fait qu'il y a un continuum et pas une frontière stricte. Cependant, vous avez
raison, parmi les victimes du méchant mâle blanc, les femmes tiennent
aujourd'hui le pompon. Il est très difficile de s'opposer à la grande vague de
délation autoproclamée féministe sans être assimilée au camp des violeurs,
surtout quand on doit répondre en deux phrases. «Le féminisme, écrit Léa
Domenach, ressemble à tous les mots en «isme»: socialisme, anarchisme. Dans ces
groupes les gens ont un but commun, cela ne veut pas dire qu'ils le pensent ou
le pratiquent pareil.» On ne pouvait imaginer plus bel aveu de ce que le
féminisme d'aujourd'hui est une idéologie - peut-être une religion séculière en
formation. Il faut expulser les hérétiques du monde des vivants
(métaphoriquement, heureusement). En somme, nos balances ridicules sont en
train d'inventer le stalino-féminisme. Heureusement, tout indique que, comme
Marx l'avait prévu, c'est le grand soir en version farce.
Et pourtant, à en croire une
certaine presse, les néo-réacs auraient gagné la bataille des idées?
Ceux qui confondent majorité et
hégémonie ne cessent d'annoncer que la domination culturelle a changé de camp.
De fait, les rapports de force bougent, quand j'allume ma télé, je peux voir
Charlotte d'Ornellas ou Eugénie Bastié, autant que Raquel Garrido ou Christine
Angot. Pour autant, si la gauche politique est en déroute, la gauche médiatique
et culturelle n'a pas dit son dernier mot, au contraire, elle est d'autant plus
hargneuse qu'elle se sait minoritaire: pour garder sa propre légitimité, elle
doit délégitimer tous ceux qui refusent d'adhérer en bloc à son progressisme
bébête et/ou délirant (l'écriture inclusive, la censure de Carmen, la
procréation individuelle) en les caricaturant en salauds et en réacs. Et
pourtant, plus ça va, plus cette expression - «gagner la bataille des idées» -,
que j'ai abondamment employée, me paraît trompeuse: la bataille des idées ne
consiste pas à éliminer l'autre mais à forger avec lui un récit commun à
l'intérieur duquel on peut s'engueuler. J'aimerais avoir des adversaires
loyaux, voire aimables, mais un monde peuplé de gens qui pensent comme moi (ou
pire!) ne me tente pas. Le jour où un camp «gagnera la bataille des idées»,
tous les esprits libres auront perdu.
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Journaliste au Figaro et
responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Philippe de Villiers : «Le pouvoir n'a plus de pouvoir :
c'est une clownerie»
Par Alexandre
Devecchio et Eléonore
de VulpillièresMis à jour le 19/10/2015 à 16h12 | Publié le 16/10/2015
à 20h22
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Trois
semaines après leur sortie, les mémoires politiques de Philippe de Villiers
écrasent les autres livres politiques de la rentrée, sans pourtant faire naître
chez lui la tentation du retour. Explications.
Philippe de Villiers est le
créateur du Puy du Fou et
le fondateur du Mouvement pour la France. Il s'est présenté aux élections
présidentielles françaises de 1995 et de 2007. Il est également écrivain. Son
dernier livre Le moment est venu de dire ce que j'ai vu est
paru le 1er octobre 2015 aux éditions Albin Michel.
LE FIGARO. - Votre livre est
un triomphe public qui rappelle un peu celui du Suicide français d'Eric
Zemmour. Comment l'expliquez-vous? Ces succès d'édition cachent-ils un
phénomène de société?
Philippe DE VILLIERS. - Cette
lame de fond s'explique par l'immense désarroi des Français lucides,
désemparés, submergés par un sentiment de dépossession d'eux-mêmes et qui
craignent le pire. Mais le désarroi n'est pas une explication suffisante, il y
a aussi une soif de connaître, depuis la coulisse, les cheminements et
officines qui nous ont conduits au désastre. Beaucoup de gens veulent savoir
comment ont été descellées les pierres d'angle, comment la machine à décerveler
les pensées justes a procédé pour vitrifier les esprits libres, comment se sont
imposées la terreur et la haine de soi jusqu'à faire perdre à la France son âme
et à la mettre en danger de mort.
Mon livre est un témoignage qui
propose plusieurs clés de compréhension. Ma conscience civique s'est éveillée
en mai 1968. J'ai vu derrière le grand chambardement, se profiler le boboïsme,
l'idéologie en fusion du bourgeois-bohème, libéral-libertaire. J'ai connu de
l'intérieur le creuset de l'ENA, cette couveuse à crânes d'œuf qui fabrique en
série les «ingénieurs sociaux». J'ai regardé comment le système produisait des
poulets de batterie hors sol à la Juppé-Fabius, choisissant au hasard leur
emballage de sortie, leur étiquette. J'ai vu comment la grande broyeuse à
apparatchiks confisquait les talents et les passait au micro-ondes pour qu'ils
soient, comme la viande attendrie, aseptisés et nourris à la pensée
chloroforme.
Les hasards de la vie m'ont amené
à côtoyer dans leur intimité les grands fauves, Giscard, Mitterrand, Chirac,
puis les lapins-tambours Duracell et ludions électroniques du Sarkhollande, qui
clignotent comme des néons. J'ai vu comment ils pirouettent et toupillent non
plus au service de la France, mais «de leur parcours», en pratiquant
l'hédonisme politicien. Tous ces gens propres sur eux plaisaient à M. Bertin de
Ingres et à la bourgeoisie française qui se voulait «anationale» comme le
disait de Gaulle. Ils promenaient leurs accents de gravité, ils savaient poser
la main sur le cœur, ils portaient le costume trois-pièces du VIIème
arrondissement des assureurs qui rassurent. En fait ils ont coulé la France,
c'étaient des naufrageurs en cravate.
Ce succès ne vous donne-t-il
pas envie de remonter sur le ring politique?
Je n'en ai pas envie et cela me
paraît, dans les circonstances actuelles, inutile. En effet, nous ne sommes
plus dans un système démocratique, nous avons basculé dans un système
oligarchique protégé par une médiacaste mondialiste: la potestas est
partie à Bruxelles et à Washington et l'auctoritaschez Ruquier.
Impossible de survivre plus de cinq minutes quand on joue au rodéo de la vérité
dans cette cabine de maquillage: on vous déstabilise, on vous déséquilibre, on
vous peinturlure en paria, on vous rend grotesque, et vous terminez dans la
sciure sous les sifflets playback. Seule la parole agréée est filtrée par le
tamis idéologique de la pensée conforme.
Les hommes politiques ont
encore aujourd'hui le culot d'expliquer aux Français ce qu'ils feront demain,
alors qu'ils savent parfaitement qu'ils n'ont plus le pouvoir.
Aujourd'hui, pour faire de la politique,
il faut avoir beaucoup d'argent pour acheter les sondages, car ils sont
prescripteurs et structurent l'offre. Et il faut accepter de participer au
simulacre, au risque d'y perdre son honneur.
Les hommes politiques ont encore
aujourd'hui le culot d'expliquer aux Français ce qu'ils feront demain, alors
qu'ils savent parfaitement qu'ils n'ont plus le pouvoir. Or quand le pouvoir
n'a plus le pouvoir, la parole n'est plus que gesticulatoire ; c'est une
clownerie. Hollande, c'est René Coty avec son pot de fleurs dans les bras qui
se produit au Plus Grand Cabaret du monde de Patrick Sébastien. Du pot de
fleurs sort un bouquet d'étoiles, les étoiles du drapeau américain.
Ma parole d'homme politique était
suspecte quand j'avais des mandats. Maintenant que je ne quémande plus de
picotin de popularité, elle est écoutée et enfin reçue comme authentique.
Si vous êtes un homme politique
et que vous voulez avoir de l'influence, quittez donc la scène politique,
remontez sur l'Aventin et alors, vous serez entendu. C'est dire à quel point le
système politique est en voie de décomposition puisque toute parole publique
sur fond de mandat est discréditée. Les hommes politiques pratiquent tous
ensemble et en même temps le «mentir vrai» d'Aragon: «Moins il y aura de frontières,
plus il y aura de sécurité. Plus il y aura de mosquées, moins il y aura
d'islamistes. Plus il y aura de migrants, moins il y aura de chômeurs. Plus on
aidera al-Qaida en Syrie et les «salafistes modérés» - Laurent Fabius disait il
y a encore un an d'al-Nosra qu' « elle
faisait du bon boulot » - plus vite se réglera le conflit
syrien. Etc.». A force de proférer ce genre de paradoxes ludiques, les hommes
politiques ont changé de catégorie, dans l'esprit public. Ils sont passés à la
rubrique «comédie-spectacle» où s'affichent Brutus et Yago.
Vous-même n'avez-vous pas
participé à ce système? Pourquoi avez-vous rejoint Nicolas Sarkozy en 2009?
Non, je ne l'ai pas rejoint. J'ai
commencé ma vie politique dans la partitocratique classique. Où j'ai fait très
vite entendre ma différence. Marie-France Garaud m'avait prévenu très tôt: «Méfiez-vous,
car ce système est une sorte de manège avec des forces centripètes et des
forces centrifuges. Quand on s'éloigne du centre, on est irrémédiablement
aspiré à l'extérieur, dans les marges.» J'en suis sorti au bout de deux ans
seulement à la suite de mon combat contre la corruption et le traité de
Maastricht. J'ai alors guerroyé de l'extérieur pendant des années. En 1995, je
me suis présenté à l'élection présidentielle contre Jacques Chirac et Edouard
Balladur. En 1999, avec Charles Pasqua, nous avons affronté le RPR aux
Européennes. En 2007, je me suis porté candidat contre Nicolas Sarkozy. A un
moment donné, je me suis dit qu'en concluant une paix des braves avec lui, je
serais peut-être plus efficace. Mais quand j'ai vu de près durant quelques mois
ce qu'était le cloaque Sarkozy-Fillon, j'ai pris les jambes à mon cou et me
suis éloigné de la piscine sanguinolente où les caïmans se mangent entre eux.
Aujourd'hui, la parole
politique n'a plus de crédit, à l'inverse de la parole métapolitique, guettée,
sollicitée.
Peu d'hommes politiques quittent
la scène. Je suis parti car, à force de croiser le mensonge, on finit par se
sentir contaminé, on a l'âme blessée, et on devient, à son corps défendant, une
sorte de mensonge ambulant par omission. Dans la tradition française,
immémoriale, le pouvoir est un service, pas une consommation. Du premier au
dernier jour, la politique ne peut être que sacrificielle. Quand on sert son
pays, à quelque époque que ce soit, on fait le sacrifice de sa vie. Ma famille
a payé l'impôt du sang depuis 1066. C'est avec cette idée que je suis entré en
politique et que j'en suis sorti. Aujourd'hui, la parole politique n'a plus de
crédit, à l'inverse de la parole métapolitique, guettée, sollicitée.
Face à ce discrédit de la
politique, certains imaginent des scénarios improbables comme la candidature
d'Éric Zemmour à la présidentielle soulevée par Geoffroy Lejeune dans son
livre, Une élection ordinaire. Croyez-vous à ce type d'hypothèse?
Tout est possible aujourd'hui. En
additionnant vingt Fabius, trente Juppé et cinquante Fillon, on ne ferait pas
un seul Zemmour, c'est-à-dire un homme cultivé et courageux! Avec cent poulets
de batterie, on ne fera jamais un coq gaulois. Eric Zemmour est un ami. Et en
tant qu'ami, je lui souhaite de rejoindre le statut de Raymond Aron plutôt que
monter dans le train des petits Deschanel qui s'en vont errer dans les rues de
Bruxelles, à la quête de leurs consignes.
Votre livre ausculte quarante
ans de décomposition du système politique. Comment en est-on arrivé-là?
Je me souviens de cet apologue
d'un vieux paysan qui était mon voisin et qui me conseilla un jour: «Philippe,
quand on est dans l'obscurité, au bord de l'abîme, dans une maison qui
s'effondre, la sagesse consiste à chercher les murs porteurs.» Les murs
porteurs de la maison France ont été abattus les uns après les autres: le
caractère sacré de la vie, la filiation comme repère, la nation comme héritage,
la frontière comme ancrage et le rêve français comme fenêtre sur le monde.
La France est en train de
mourir parce qu'elle est en même temps submergée de l'extérieur et effondrée de
l'intérieur.
La France est en train de mourir
parce qu'elle est en même temps submergée de l'extérieur et effondrée de
l'intérieur. Cela me rappelle une conversation en 2000 avec Soljenitsyne qui me
confia ceci: «Derrière le rideau de fer, les peuples souffraient mais ils
ont sauvé leur âme. Ils ont connu l'ablation de la souveraineté, celle que
Brejnev qualifiait de «limitée», mais ils n'ont jamais perdu leur identité».
La Pologne est demeurée elle-même
et la Hongrie aussi. Elles sont restées, malgré le goulag, des terres
chrétiennes. Les résistants, les refuzniks ont jalousement veillé sur cette
petite demeure invisible qui se trouve au cœur de chaque peuple, qu'on appelle
l'âme d'un peuple. Quand le mur de Berlin est tombé, ces pays ont recouvré leur
souveraineté ; ils ont pu se refaire parce qu'ils avaient préservé leur
identité. Or ajoute Soljenitsyne, «vous, les Européens, vous vous trouvez dans
un gouffre profond, vous vivez une éclipse de l'intelligence. Vos hommes
politiques sont en train d'abattre et de transférer la souveraineté de la
France en même temps qu'ils sont en train d'en dissoudre l'identité.»
Vous expliquez que les
Français n'accordent plus de crédit à la parole politique car ils ont le sentiment
que le pouvoir a été transféré à Bruxelles. Quelle a été l'influence de
l'Europe dans cette évolution?
Elle a été la matrice de la
déconstruction des patries charnelles. Du traité de Maastricht est sortie la
grande fracture entre le souverainisme et le mondialisme. Cette ablation de
souveraineté au profit de Bruxelles, Francfort et Washington a généré une
nouvelle espèce d'animal à sang froid, le manchot cul-de-jatte. Les politiciens
qui nous gouvernent n'ont plus ni bras ni jambes et nous disent que la France
va encore courir le 100mètres. A grand renfort d'intellectuels de la trempe de
BHL, la France est devenue le seul pays au monde que nous n'avons pas le droit
d'aimer.
A grand renfort
d'intellectuels de la trempe de BHL, la France est devenue le seul pays au
monde que nous n'avons pas le droit d'aimer.
La France qui, selon lui, ne
devrait plus exister car elle charrie des vomissures barbares ; il faut qu'elle
batte sa coulpe car elle est une tache ignominieuse sur la carte métaphysique
des points précieux de la planète. Cette idéologie relayée par l'école, devenue
un «lieu de vie», a privé les petits Français de leur France. Nous n'avons plus
le droit de parler des Gaulois, de commémorer la mort de Saint Louis, de parler
de Jeanne d'Arc, ni d'évoquer Napoléon autrement qu'à travers Trafalgar. Le
seul droit qui nous reste est celui de faire passer les Français pour des
collabos de la Deuxième guerre mondiale, des terroristes en Indochine et des
tortionnaires en Algérie. Voilà l'image de la France que véhiculent l'école et
les médias. Un pays qui perd sa souveraineté et son identité est voué à la
disparition. Mais tout peut se rétablir. En effet, le mur de Maastricht, ce mur
du mensonge, va tomber.
Le projet véritable de l'UE
était d'abolir les nations pour installer en leur lieu et place un marché
planétaire de masse qui viendrait un jour faire la jonction avec le marché
américain : c'était l'idée de Jean Monnet.
Le rêve européen des élites
post-nationales, le rêve d'une fusion des nations européennes s'est évanoui
dans le cœur des peuples. Il s'est désintégré parce qu'il était tramé dans un
tissu de mensonges: la prospérité, la sécurité, la puissance, la protection.
Aujourd'hui, les Français constatent qu'on leur a menti en leur promettant un
super-État, une super-puissance. Derrière cette architecture apolitique, il
s'agissait bien de détruire les vieilles nations d'Europe mais il n'y avait
aucunement l'idée d'en faire naître une nouvelle. Le projet véritable était
d'abolir les nations pour installer en leur lieu et place un marché planétaire
de masse qui viendrait un jour faire la jonction avec le marché américain:
c'était l'idée de Jean Monnet.
L'histoire de cette utopie
politique est celle de la rencontre de Monnet et des démocrates-chrétiens de
l'Europe de l'après-guerre. Monnet, salarié de la banque Lazard, un Américain
dans l'âme, était le factotum de l'Amérique. Les Américains lui ont demandé de
créer ce «machin» pour affaiblir définitivement les Européens et profiter de la
culpabilité européenne après la guerre. Monnet a eu l'intelligence diabolique
de s'allier avec les démocrates-chrétiens, Gasperi, Schuman et Adenauer, pour
concocter son projet. L'homme qui était à l'initiative de la Commission
trilatérale née en 1973 - commission qui avait pour objet de réunir les deux
libéralismes, le libéralisme économique et le libéralisme sociétal - , a
proposé aux idiots utiles social-sacristains, en contrepartie, un symbole, le
drapeau. «J'aurai le contenu, et vous le symbole», leur a-t-il dit. Les
trois grandes consciences, ces trois grands naïfs, sont revenus dans une nappe
d'encens vers leurs cléricatures en mettant en avant la conquête du drapeau, la
couronne mariale. De ce troc est né un grand malentendu: toute la bourgeoisie
anationale fait la génuflexion oblique du dévôt pressé devant les gnomes de
Bruxelles parce que la couronne mariale est sur le drapeau. Cette Europe qui
finance les LGBT et la Gay Pride, qui célèbre Conchita Wurst la femme à barbe,
est censée incarner le progrès parce qu'elle affiche les étoiles à la Madone.
Elle demeure la ligne de mire de la bourgeoisie française cosmopolite, qui
folâtre dans le «cercle de la raison» circonscrit par MM. Minc et Attali.
L'Europe dont rêvaient les
démocrates-chrétiens est-elle vraiment celle de Maastricht et Schengen?
Bien sûr que non. Beaucoup de
chrétiens ont pensé que les portes de Maastricht ouvraient sur la terre de
promission. Ceux-là identifient l'universalisme chrétien au dépassement des
nations qui seraient un obstacle à la fraternité cosmique. Dans les grands
textes bibliques, il y a une harmonie qu'on retrouve chez Aristote et Saint
Thomas, entre l'accueil de l'autre et l'enracinement. Le droit d'aimer ses
paysages n'est pas un égoïsme mais une oblation, on a le droit de construire là
où on a vécu et de transmettre à ses enfants ce que l'on a aimé. Nous sommes
comme les plantes, nous avons besoin d'humus et de lumière. C'est le droit
naturel.
En mariant les deux impératifs,
la charité individuelle se concilie avec la nécessité de garder ses racines.
Quand on entend aujourd'hui des autorités morales et spirituelles qui sont
prêtes à vider l'Orient de toute sa population, à déporter les chrétiens
d'Orient qui sont chez eux depuis 2000 ans, bien avant l'islam et les nouvelles
nations que sont le Liban et la Syrie, on est pris de vertige. Tous ces
chrétiens qui expliquent que la société multiculturelle va nous permettre
d'organiser une coexistence harmonieuse avec des religions qui ne sont pas les
nôtre sont irréfléchis. Ils ont perdu le fil de l'unité du vivant. Existe-t-il
à travers l'histoire un seul exemple d'une société dans laquelle l'islam a fait
irruption sans être conquérant? Quand j'étais à Sciences-Po, les professeurs
nous serinaient que le Liban était un modèle de coexistence harmonieuse, un
«paradis terrestre». Depuis 1975, on a vu ce qu'il est advenu de cette société
multiculturelle. Existe-t-il des sociétés multiculturelles qui ne soient pas
multi-conflictuelles? Aucune.
Cette Europe qui est
confrontée à la double crise des migrants et de l'euro est-elle condamnée?
Regardons ce qui s'est passé en
Russie: pendant la période du goulag, tout le monde là-bas était désespéré,
persuadé que l'âme russe était perdue à tout jamais. Quand le rideau de fer est
tombé, on a vu réapparaître les «forces morales», retrouvé les valeurs
civiques, spirituelles, patriotiques comme si le soviétisme n'avait été qu'une
parenthèse de l'Histoire. Nous retrouverons cela chez nous quand le mur de
Maastricht tombera. Ce jour est imminent.
Aujourd'hui, les voies d'eau
se multiplient sur le Titanic des eurocrates.
Un pays qui a perdu ses contours
perd en même temps ses conteurs. Mais quand il retrouve ses contours, le rêve
revient. Les pierres se remettent à parler. Les âmes expirantes se remettent à
chanter.
Aujourd'hui, les voies d'eau se
multiplient sur le Titanic des eurocrates. A chaque fois, on voit Juncker, en
grand calfateur, essayer de poser des éponges goudronnées, entouré de ses
commissaires au charisme de serpillière. Les trous dans la coque se multiplient
pendant que les politiciens continuent leur partie de bridge sur le pont du
Titanic.
L'euro est mort à Athènes, il est
comme un canard dans une basse-cour auquel on aurait coupé la tête et qui,
parce qu'il court encore, donne l'impression d'être toujours vivant. Schengen
est mort à Berlin: Merkel a donné le coup de grâce puisqu'en rétablissant ses
frontières, elle a violé l'article 26 du règlement de 2006 du traité de
Schengen, ce qu'on nous cache. Quant à la convergence culturelle de l'Europe
qui devait naître de la construction européenne, elle est morte à Budapest.
Aujourd'hui on a deux Europe ; celle qui se définit comme chrétienne à l'Est,
et la multiculturelle à l'Ouest qui a renié ses racines chrétiennes, qui ferme
la porte à Dieu pour mieux l'ouvrir à Allah. L'Angleterre enfin, dont André
Siegfried disait «C'est une île. J'ai terminé» en commençant son cours à
Sciences-Po», retrouve ses vieux réflexes: le Brexit n'est pas une probabilité,
mais une certitude.
Dans votre livre, face à cette
Europe «hors-sol», vous proposez de restaurer nos «attachements vitaux». De
quoi s'agit-il exactement?
De ce qui nous rattache à nos
lignées obscures, à nos souvenirs, à nos paysages intimes. Le temps de l'homme
désinstitué va finir. On a fabriqué un homme hors-sol, nomade en ses demeures
et en ses sentiments. Dans les écoles de commerce, on adjure les étudiants de
préparer leur mobilité, qui consiste à quitter son patron au bout de deux ans
pour en trouver un autre. C'est la dissociation de la carrière et de la vie,
c'est-à-dire de la fidélité. La mobilité porte en elle la volatilité. Il y a un
lien entre la mobilité du travailleur et la financiarisation de l'économie,
devenue purement spéculative et qui met les nouveaux prolétaires sous la férule
d'un capitalisme sans entrailles.
Poutine m'a confié un jour
qu'un des éléments qui divisaient le monde aujourd'hui était la conception de
l'économie. D'un côté l'économie spéculative à l'américaine, détachée du réel,
de l'autre l'économie réelle, fondée sur les biens matériels et la production
effective.
Poutine m'a confié un jour qu'un
des éléments qui divisaient le monde aujourd'hui était la conception de
l'économie. D'un côté l'économie spéculative à l'américaine, détachée du réel,
de l'autre l'économie réelle, fondée sur les biens matériels et la production
effective. Cette économie spéculative met l'homme dans une bulle. Mais c'est
une bulle de savon.
Vous ne semblez néanmoins plus
croire dans la politique classique. Comment peut-on faire de la politique
autrement?
En créant des isolats de
résistance, des petites sociétés parallèles. Si on veut demain stopper la
décomposition, et faire repartir la France, il faudra rebâtir les murs
porteurs. Je raconte dans mon livre les dernières confidences de Soljenitsyne.
Il pensait qu'un jour, de la grande catacombe sortiraient de petites lucioles,
portées par des dissidents: «Chez nous, les dissidents étaient des jeunes
gens qui portaient sous leur pèlerine des samizdats - des analyses critiques du
système soviétique. Aujourd'hui les dissidents sont à l'Est, ils vont passer à
l'Ouest.» Ils auront deux qualités originales qui les sortiront du lot: le
courage et la lucidité. Le courage car ils franchiront le périmètre sanitaire
des mots autorisés, ils se moqueront de la judiciarisation des pensées et des
arrière-pensées, et accepteront d'aller en prison. Ce seront des objecteurs de
conscience. Ils refuseront de payer l'impôt pour des choses qui paraissent
contraires à leur ressort vital. Au début, les prisons seront pleines, mais au
bout d'un moment, les murs des prisons s'écrouleront, comme s'écroulera le mur
de Maastricht. Ce seront des franchisseurs de lignes rouges. Ils oseront dire:
«un enfant est le fruit d'un amour entre un homme et une femme», phrase
extrêmement dangereuse à prononcer en ce moment. Les laïcards ont inventé un
modèle de disparition à l'échéance de deux ou trois générations puisqu'ils
organisent leur propre stérilisation. La gestation pour autrui dans les
cliniques indiennes et américaines ne suffira pas à produire des enfants pour
cette société hermaphrodite. Dire cela aujourd'hui, c'est prendre un risque.
Dans quelques années, des centaines de milliers de personnes le diront aussi,
par la nécessité de survie de la société. Il y aura partout des isolats de la
transmission.
Les mouvements issus de la
société civile - Manif pour tous, mais aussi les Bonnets rouges ou plus
récemment la colère des paysans ou des policiers - peuvent-ils se traduire
politiquement. Comment?
Je me souviens de Georges
Pompidou qui était venu, rue Saint-Guillaume, à l'occasion du centenaire de
Sciences Po en 1972. Bouffi de cortisone, se sachant condamné, il parlait de la
nécessaire indépendance de la France. Les étudiants auraient voulu qu'il leur
parlât de Jean-Jacques Servan-Schreiber et du Défi américain, le
livre en vogue à l'époque. C'est à ce moment-là que le professeur Raphaël
Hadas-Lebel a inventé l'expression de «classe politique», un concept qui
n'existait pas auparavant. Les Français toutes catégories confondues, surtout
les plus humbles, après avoir espéré, se sont aperçus qu'il y avait donc une
«classe politique» répondant aux consignes d'une super-classe invisible,
mondialisée, qui profite du système pour écraser les gens, spécialement les
plus modestes. C'est cette classe politique qui organise, sur notre territoire,
le grand Kosovo. C'est elle qui prépare l'invasion migratoire. C'est elle qui
travaille à la désintégration de la France, elle qui installe la mixité
sociale, les HLM de l'immigration dans les petites communes pour remplacer le
peuple français par un autre. Les paysans, les artisans, les policiers, les
petites gens, la France des bistrots se révolteront. J'appelle à cette révolte.
Bientôt il faudra cesser de payer l'impôt car il ne faut plus être les idiots
utiles de ce système mortifère.
C'est le but de mon livre: le
moment est venu pour les Français de se rebeller contre cette classe politique
qui vit entre elle de façon endogamique - avec les journalistes français. Ils
pensent les mêmes choses, travaillent ensemble, rêvent ensemble, et vivent
ensemble.
Au moment du 11 janvier,
certains observateurs ont parlé de sursaut. Qu'en pensez-vous?
Ils savourent avec un plaisir
de gourmets l'idée exotique selon laquelle la France pourrait devenir la fille
aînée de l'islam.
Le 11 janvier a été détourné de
son libellé populaire. Dès le 12, toutes nos élites mondialisées islamophiles
ont expliqué que les premières victimes des attentats étaient les musulmans.
Les salauds à éradiquer étaient les «islamophobes». A partir de ce moment-là,
on a installé la dhimmitude de l'esprit ; il s'agissait d'une inversion
logique. Quand l'islamisme frappe, nos élites prennent des mesures pour lutter
contre l'islamophobie. Ils sont pétris d'un droit-de-l'hommisme abstrait, et
suivent à la lettre les instructions des Plenel de service qui veulent faire
disparaître la France des clochers. Ils savourent avec un plaisir de gourmets
l'idée exotique selon laquelle la France pourrait devenir la fille aînée de
l'islam. Nos élites sont en voie de houellebecquisation. La France de demain
verra monter le face-à-face terrible des dissidents qui vont émerger et se
battre à mains nues et les dhimmis qui sont des collabos. Les dissidents
n'acceptent ni l'ablation de nos pouvoirs, ni le changement de peuple, car ils veulent
protéger ce qui reste de gaulois au sens du roman national des hussards noirs
de la République. Les dhimmis sont doublement soumis, d'une part à
l'américanisation du monde - ils préparent en douce le Traité transatlantique,
et d'autre part à l'islamisation de l'Europe. Nos élites mondialisées
retrouvent de l'excitation à l'idée de recevoir le fouet de Big Other, un peu
rude mais décapant et qui les sort de l'asthénie sexuelle ambiante. Ils sont
dans le même état d'esprit que les clercs de Constantinople, le 28 mai 1453 -
veille de sa chute - qui se rendront compte le 30 qu'il est trop tard. Ainsi
l'hédonisme consumériste va finir sa trajectoire en venant, par une sorte de
ruse hypnotique, se fondre dans son exact contraire.
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Chantal Delsol : « Devrons-nous choisir entre la démocratie
et notre modèle de liberté ? »
FIGAROVOX/TRIBUNE - Les Italiens
rejoignent désormais Polonais, Hongrois et Tchèques dans leur volonté, non pas
de sacrifier les libertés individuelles, mais de prendre aussi en compte leurs
mœurs et leurs valeurs nationales, explique la professeur de philosophie
politique*.
L'Italie s'ajoute à la
Grèce, au Royaume-Uni, à la Pologne, à la Hongrie, à
l'Autriche, à la République tchèque et à la Slovaquie, soit à la très
longue liste des pays qui ont annoncé démocratiquement ne
plus vouloir du modèle européen. Même si nombre d'entre eux ne
souhaitent pas, contrairement au Royaume-Uni, sortir
de l'Europe, ils expriment pourtant la ferme détermination de la
transformer de l'intérieur. C'est dans cet espoir que s'est maintenu le groupe
de Visegrad, lequel, encore sous présidence hongroise, a tenu ces derniers
jours à Budapest un important colloque sur le thème «L'avenir de
l'Europe», avec la participation de nombreux universitaires et politiques de
tous les pays d'Europe centrale.
L'euroscepticisme,
développé à ce point, par tant de pays et tant d'acteurs, traduit pour
commencer un échec de l'Europe institutionnelle, sur lequel il faut
réfléchir et dont il faudra tenir compte. Au reste, on voit bien que les
critiques de l'Europe s'affichent au nom d'une vision plus générale, qu'on
pourrait dire illibérale - d'où l'existence d'une internationale dépassant
les frontières de l'Europe: l'un des invités du colloque de Budapest
était Steve
Bannon.
Il apparaît clairement que
l'euroscepticisme est une conséquence de l'illibéralisme : l'Europe est
fustigée parce que trop libérale.
Il apparaît clairement que
l'euroscepticisme est une conséquence de l'illibéralisme: l'Europe est fustigée
parce que trop libérale. D'où la surprise: les peuples refusent-ils donc d'être
libres? D'où la question angoissée des élites de nos pays: faudra-t-il donc
«les forcer à être libres», selon le mot d'ordre de Lénine - effaçant
ainsi la démocratie?
Ou bien faudra-t-il,
démocratiquement, nous plier à cette volonté populaire et abandonner des
pans de liberté? Allons-nous devoir choisir entre la démocratie et
notre modèle de liberté?
La vieille Europe tremble et
se défait devant cette question. La réponse a déjà été amorcée: une partie
de nos élites ne croient plus à la démocratie, en raison précisément des
préférences à leurs yeux inacceptables des peuples. L'Europe institutionnelle
est dominée par une «idéologie des professionnels», pour utiliser l'expression
de Thomas Frank (dans son livre Pourquoi les
riches votent à gauche ), Europe institutionnelle qui défend
la liberté postmoderne contre les peuples. Ces derniers arguent de la
démocratie (le nombre est de leur côté) pour imposer leurs opinions
illibérales.
Cette querelle idéologique est à
la fois lutte des classes et guerre des dieux, bataille entre deux nouveaux
«grands récits», énième combat des antimodernes contre les
modernes. Parce qu'elle est lutte des classes, elle porte le ressentiment et le
mépris ; parce qu'elle est guerre des dieux, elle porte la colère et la
mauvaise foi. Elle brise nos sociétés en clans irréconciliables, ouvrant des
brèches profondes au sein même des familles, comme toute brisure nouvelle et, à
ce titre, cruelle.
C'est la plus mauvaise passe
que nous traversons depuis la chute du communisme
C'est la plus mauvaise passe que
nous traversons depuis la chute du communisme. Le rejet de la modernité
ou de certains de ses aspects commence au début du XIXe siècle, anime
le romantisme allemand, inspire les fascismes et corporatismes
d'entre-deux-guerres et voit finalement sa légitimité fracassée par le
nazisme, qui, au nom d'une idéologie antimoderne, a fait ce que l'on
sait. Le nazisme a profané la contestation antimoderne. Ainsi, la raison
moderne devenue entre-temps postmoderne, dès lors privée de
contradicteurs (aussitôt assimilés au nazisme, donc jetés à la géhenne),
a exalté au-delà de toute limite les libertés diverses,
récusant les identités particulières et les définitions, effaçant,
comme le disaient Horkheimer et Adorno, «les dieux et les qualités».
L'Europe institutionnelle, à cet
égard, n'a pas échappé aux excès, en termes de déni de l'identité, par exemple.
Mais l'apparition sur la scène des peuples d'Europe centrale, dont
l'histoire est assez douloureuse pour leur épargner la crainte de la reductio
ad hitlerum, a changé la donne. Aussitôt entrés, ils entament la
récusation des modèles libéraux postmodernes - incluant la liberté
politique, économique et sociétale - et, au fond, la société de marché,
où, par la grâce de la liberté toute-puissante, l'esprit lui-même a valeur
marchande. Il s'agit encore d'une résistance au déploiement de la vision
moderne, ici postmoderne: mondialisme et cosmopolitisme, émancipation,
libéralisme sur tous les plans.
Un gouvernement qui réclame un
certain protectionnisme économique n'est pas pour autant une injure à
l'État de droit
Tout courant politique peut
s'avérer dangereux en raison des fous furieux qui naviguent sur ses bords. Et
les démocraties illibérales, qu'on appelle ainsi parce que ce ne sont pas des
dictatures, nous donnent l'impression de se tenir tout près des gouffres. Un
gouvernement qui réclame un certain protectionnisme économique n'est pas pour
autant une injure à l'État de droit. Remplacer les directeurs des
grands médias, redécouper à son avantage les circonscriptions: ce sont des
mesures que prennent la plupart de nos gouvernements, quelle que soit leur
obédience.
Mais mettre en cause les pouvoirs
de la Cour constitutionnelle? Il faut dire qu'en ce qui concerne les gouffres,
nous avons tout connu au long du XXe siècle. Il est donc naturel et plutôt
sain que nous soyons vigilants. Cependant, nous ne pouvons plus continuer à
décrire tous ces acteurs comme des imbéciles et des extrémistes. Car l'affaire
est infiniment plus complexe et vaut qu'on s'y attarde. Face aux élites qui ont
tendance à vouloir une liberté absolue, c'est-à-dire indépendante des facteurs
et des circonstances, les peuples ont tendance à vouloir une liberté située,
inscrite dans les réalités.
Prenons l'exemple périlleux de
l'immigration. Nous avons l'habitude de considérer comme des xénophobes et des
racistes, donc à réduire ad hitlerum, tout pays qui refuse des migrants ou
érige des murs. Nous considérons la question de l'immigration comme un
drame. Un drame est une situation grave dans laquelle on sait où est le
Bien, sans savoir si l'on parviendra à le rejoindre, étant donné les difficultés.
Le Bien consiste à accueillir chez nous les immigrés demandeurs,
mais y parviendrons-nous? Voilà le drame.
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Cependant, pour les démocraties
illibérales, la question de l'immigration n'est pas un drame, mais une
tragédie. La tragédie est une situation dans laquelle deux valeurs se
combattent, l'une et l'autre tout aussi importante et affamée. Ici, le Bien
consiste à accueillir les réfugiés errants, et le Bien consiste aussi à
préserver notre culture et notre identité. En situation de tragédie, la
décision ne consiste pas à courir vers le Bien à toutes jambes en s'oubliant soi-même,
mais à mesurer au regard de la situation les deux valeurs qui se contredisent.
Il faut ajouter que, dans toute situation de tragédie, qu'elle soit
personnelle ou collective, la conscience seule peut décider, tant la
chose est complexe.
Vouloir réduire une tragédie à
un drame, c'est tronquer la réalité.
C'est pourquoi les peuples en
question jugent assez répugnantes les admonestations morales venues des autres.
Les peuples d'Europe centrale, par exemple, ont fait le choix
d'assumer l'accueil des réfugiés ukrainiens (sans doute près de
2 millions à ce jour en Pologne) et trouvent assez mal venu qu'on leur
reproche de ne pas s'ouvrir aux Syriens ou aux Afghans. De quoi se mêle-t-on?
La situation de tragédie n'a d'instance surplombante que la conscience -
j'entends la sienne propre, et non celle des autres!
Vouloir réduire une tragédie à un
drame, c'est tronquer la réalité. La situation actuelle est très grave parce
qu'elle ne concerne pas seulement un combat idéologique, mais une guerre de
classes. Il est peu probable que nous ayons à choisir entre la démocratie
et la liberté. Les démocraties illibérales ne réclament pas des
dictatures, comme c'était le cas pour plusieurs pays européens dans les
années 1930. Elles réclament de replacer la liberté dans la réalité - la
liberté de circuler ne saurait être absolue, elle se heurte à la question
de l'identité culturelle. Cependant, si les élites s'entêtent à récuser
les réalités, elles finiront par rendre les peuples fous, menaçant ainsi
les libertés: on finit toujours par perdre ce qu'on a refusé de définir - donc
de limiter.
* Membre de l'Institut, Chantal
Delsol dirige, avec Joanna Nowicki, le Dictionnaire
encyclopédique des auteurs d'Europe centrale et orientale depuis 1945,
en préparation, et qui sera publié en 2019 aux Éditions Robert Laffont.
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Chantal Delsol
Syrie: des centaines de djihadistes de l'EI transférés à
Idlib
Par Le Figaro.fr avec AFP - Mis à
jour le 24/09/2018 à 22h02 | Publié le 24/09/2018 à 21h57
Des centaines de djihadistes du
groupe Etat islamique (EI) sont arrivés aujourd'hui aux environs d'Idleb,
ultime grand bastion insurgé de Syrie dans le nord-ouest du pays où ils ont été
transférés par les forces du régime, selon l'Observatoire syrien des droits de
l'Homme (OSDH).
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: l'ultime bataille de Syrie
Les djihadistes ont été emmenés
dans la nuit d'une zone de la province de Deir Ezzor située à proximité de la
frontière irakienne, précise l'Observatoire. "Les forces du régime ont
transporté plus de 400 combattants de l'EI tard dimanche soir d'une zone dans
le désert près de la localité de Boukamal". Ils sont arrivés à l'aube ce
matin dans l'est de la province d'Idlib, à proximité de secteurs où sont
présents d'autres groupes djihadistes, ajoute l'OSDH. "Nous ne disposons
pas pour le moment d'informations précises permettant de savoir s'ils sont
entrés ou pas dans ces secteurs", souligne l'Observatoire.
Un accord conclu la semaine
dernière entre la Russie, allié du régime, et la Turquie, soutien de groupes
rebelles dans la région, est parvenu a éloigner la perspective d'une offensive
du régime Idleb. Cette région frontalière de la Turquie est dominée par les
djihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), organisation formée par l'ex-branche
syrienne d'Al-Qaïda. D'autres groupes jihadistes s'y trouvent aussi ainsi que
des groupes rebelles soutenus par la Turquie. Le régime avait déjà procédé à
des transferts de combattants de l'EI ailleurs en Syrie.
En mai, 1.600 personnes
-djihadistes et leurs familles- avaient été transférés en autobus depuis
Yarmouk, leur dernier bastion dans le sud de Damas, vers le désert dans l'est
du pays. Le régime avait ainsi repris le contrôle de ce bastion djihadiste au
terme d'un mois de combats acharnés. En août 2017, le Hezbollah libanais, qui
combat aux côtés des forces du régime en Syrie, avait indiqué que des centaines
de djihadistes de l'EI avaient été évacués d'une région frontalière du Liban
vers Deir Ezzor.
Après une montée en puissance
fulgurante en 2014 et la proclamation d'un "califat" sur de vastes
territoires en Syrie et en Irak, l'EI a perdu toutes les grandes villes qu'il
contrôlait et se retrouve acculé dans d'ultimes réduits désertiques.
LIRE AUSSI –
Brésil: manifeste contre Bolsonaro et pour la démocratie
Par Le Figaro.fr avec AFP - Mis à
jour le 24/09/2018 à 20h43 | Publié le 24/09/2018 à 20h39
Quelque 400 intellectuels,
artistes, sportifs et entrepreneurs brésiliens parmi lesquels les musiciens
Chico Buarque et Gilberto Gil ont signé un manifeste en faveur de la démocratie
et contre le candidat d'extrême droite à la présidentielle d'octobre, Jair
Bolsonaro.
"Nous sommes différents.
Nous avons des trajectoires personnelles et publiques variées. Nous votons pour
des (candidats) et des partis divers. Nous défendons des causes, des idées et
des projets distincts, souvent opposés. Mais nous partageons notre engagement
en faveur de la démocratie", ont écrit les signataires du texte intitulé
"Pour la démocratie, pour le Brésil". Quand "des projets nient
l'existence d'un passé autoritaire au Brésil, flirtent explicitemente avec des
idées telles que l'élaboration d'une nouvelle Constitution sans représentation
populaire (...) et multiplient des déclarations ouvertement xénophobes et
discriminatoires (...) nous voyons sans aucun doute possible que nous faisons
face à quelque chose de majeur".
Les signataires ajoutent:
"la candidature de Jair Bolsonaro représente une menace claire pour notre
patrimoine, notre civilisation (...) Il est nécessaire de rassembler les forces
pour défendre la liberté, la tolérance et notre destin collectif". Les
musiciens Chico Buarque, Caetano Veloso, Gilberto Gil, les acteurs Wagner Moura
et Alice Braga, les réalisateurs Fernando Meirelles et Walter Salles font partie
des signataires, parmi lesquels on retrouve des universitaires, des juristes,
hommes d'affaires, économistes et sportifs.
Jair Bolsonaro, ex-capitaine de
l'Armée, est célèbre pour ses saillies racistes, misogynes et homophobes. Il a
glorifié des tortionnaires sous la dictature militaire (1964-85) au Brésil dont
il est un nostalgique assumé. Il semble assuré de se retrouver au deuxième tour
de la présidentielle du 28 octobre, lors duquel les sondages lui prédisent un
duel très serré. Selon le dernier sondage Datafolha, il obtient pour le 1er
tour du 8 octobre 28% des intentions de vote, suivi, de loin, par le candidat
du Parti des Travailleurs (PT, gauche), Fernando Haddad, à 16%, et celui du PDT
(centre gauche) Ciro Gomes, à 13%.
Iran: l'attentat financé par Riyad et Abou Dhabi selon
Khamenei
Par Le Figaro.fr avec AFP - Mis à
jour le 24/09/2018 à 17h29 | Publié le 24/09/2018 à 17h24
Les auteurs de l'attentat de
samedi ayant fait 24 morts dans la ville iranienne d'Ahvaz ont été
"financés par les Saoudiens et les Émirats arabes unis", a déclaré
aujourd'hui le guide suprême, selon son site internet officiel.
"Selon les informations
disponibles, cet acte lâche est l'oeuvre de ces mêmes individus qui, chaque
fois qu'ils sont en difficulté en Syrie et en Irak, sont secourus par les
Américains, et qui sont financés par les Saoudiens et les Emirats arabes"
unis, a déclaré l'ayatollah Ali Khamenei.
Selon son site internet, Khamenei
n'a pas donné plus de détails sur les auteurs supposés de l'attentat d'Ahvaz,
perpétré par un commando ayant ouvert le feu sur un défilé militaire et la
foule des spectateurs.
Jusque-là, les autorités
iraniennes ont semblé privilégier la piste des séparatistes arabes du
Khouzistan, la province dont Ahvaz est la capitale. Mais ces groupes-là n'ont
pas de présence connue en Syrie, contrairement à l'organisation Etat islamique
(EI). L'EI a revendiqué l'attentat d'Ahvaz, via son agence de propagande
Amaq. Le groupe ultra-radical sunnite n'a toutefois pas apporté jusque-là
d'élément probant permettant d'accréditer cette revendication.
LIRE AUSSI :
Syrie: Le Drian craint une guerre perpétuelle sans accord de
paix
Par Le Figaro.fr avec AFP - Mis à
jour le 24/09/2018 à 17h13 | Publié le 24/09/2018 à 17h07
Le chef de la diplomatie
française Jean-Yves
Le Drian a averti aujourd'hui que la région autour de la Syrie
risquait de connaître une "guerre perpétuelle" si aucun accord de
paix n'était trouvé dans ce pays. "C'est de la responsabilité du
(président syrien) Bachar el-Assad, mais aussi de ceux qui le soutiennent,
d'engager une solution politique (...) sinon on risque d'aller vers une forme
de guerre perpétuelle dans la zone", a-t-il dit lors d'une conférence de
presse en marge de l'Assemblée générale annuelle de l'ONU.
"On peut presque dire que
Bachar el-Assad a gagné la guerre, on le constate, mais on ne peut pas dire
qu'il ait gagné la paix, loin de là. Et quand on gagne la guerre sans gagner la
paix, cela veut dire que l'on n'a pas gagné la guerre même si les avancées sur
le terrain sont ce qu'elles sont", a fait valoir le ministre français.
Le récent incident qui a conduit
à la destruction d'un avion militaire russe par la défense antiaérienne
syrienne après un raid israélien en Syrie en est également la preuve, a-t-il
pointé. "Il y a aujourd'hui cinq armées qui se font face en Syrie et
les récents incidents montrent que le risque de guerre régionale est bien
réel", a martelé Jean-Yves Le Drian.
L'accord russo-turc sur la
création d'une zone démilitarisée dans la province d'Idleb (nord-ouest) est une
bonne nouvelle à court terme pour éviter un bain de sang mais reste incertain
dans sa mise en oeuvre, a également relevé le ministre.
LIRE AUSSI :
La démocratie libérale est-elle finie ?
ENQUÊTE - «De la démocratie en
Occident au XXIe siècle», la grande conférence coorganisée par la
Fondation Tocqueville, Le Figaro et le think-tank américain
Atlantic Council, s'ouvre ce vendredi en présence de 150 penseurs français et
étrangers parmi les plus influents. L'occasion de s'interroger sur la crise que
traversent actuellement les démocraties libérales et sur la poussée des partis
antisystème partout dans le monde occidental.
Les démocraties libérales occidentales
sont-elles en danger de mort? Une question impensable il y a quelques années.
Aujourd'hui, elle hante les esprits de beaucoup d'intellectuels européens et
américains. Elle sera au cœur des discussions de la conférence Tocqueville qui
débute ce matin et réunit 150 penseurs venus des deux rives de l'Atlantique.
Mathieu Bock-Côté, Joshua Mitchell, Gilles Kepel, David Goodhart,
François-Xavier Bellamy, Hubert Védrine, Mikhaïl Khodorkovski ou encore Pavel
Fischer y débattront de la question des frontières, de l'affaiblissement du
rôle de l'État, de la crise migratoire ou encore de la montée
de l'islamisme. Autant de phénomènes qui
alimentent le malaise de la démocratie en Occident. Malaise dont le résultat
des législatives italiennes est le dernier symptôme.
Leur conversation aura lieu à
l'ombre du château de Tocqueville, dans la Manche, où le grand penseur normand
écrivit De la démocratie en Amérique, dans les années 1830… Près de
deux siècles plus tard, son œuvre reste d'une actualité sidérante. Tocqueville
y faisait l'éloge de la démocratie libérale tout en montrant ses limites. Des
limites qui sont peut-être sur le point d'être atteintes aujourd'hui alors
qu'une vague de révolte déferle sur les démocraties occidentales. «Lorsque nous
avons commencé à préparer cette conférence, Macron venait d'être élu, et on
pouvait se demander si nous n'étions pas exagérément alarmistes, se souvient
Laure Mandeville, grand reporter au Figaro et à l'initiative
de l'événement. Puis il y a eu la percée de l'AfD en Allemagne, la victoire de
Kurz en Autriche, celle d'Orban en Hongrie et, aujourd'hui, le coup de tonnerre
italien…»
Un retournement complet de
l'histoire. Il y a trois décennies, le peuple allemand dansait sur les ruines
du mur de Berlin tandis que des défenseurs de la démocratie marchaient sur la
place Tiananmen à Pékin. Dans son best-seller, La Fin de
l'histoire et le Dernier Homme, parut en 1992, Francis Fukuyama
prophétisait le triomphe planétaire de la démocratie libérale. Le traité de
Maastricht, signé la même année, devait faire de l'Union européenne le
laboratoire d'un nouveau monde qui communierait dans le multiculturalisme, un
monde sorti de l'histoire gouverné par le droit et le marché. C'est exactement
le contraire qui s'est produit.
Une fracture Est-Ouest
À l'aube du XXIe siècle, la
fin de l'histoire de Fukuyama a cédé la place au choc des civilisations de
Huntington, la mondialisation heureuse à l'identité malheureuse, l'empire du
Bien (Philippe Muray) à l'empire du rien. Le penseur américain reconnaît
lui-même sa défaite idéologique. Les démocraties libérales sont non seulement
défiées de l'extérieur par les «démocratures» (Chine, Russie, Iran,
Turquie, etc.), mais aussi secouées par des tensions internes. «Le
problème d'aujourd'hui n'est pas seulement que les pouvoirs autoritaires soient
à la manœuvre, mais que beaucoup de démocraties ne se portent pas bien»,
confesse-t-il.
Comme Fukuyama, une partie du
monde intellectuel analyse ce phénomène comme une profonde régression
démocratique. C'est notamment le cas du grand philosophe Allemand Peter
Sloterdijk. Hanté par le passé de son pays, il livrait la semaine dernière à la
une du magazine Le Point sa vision de la crise européenne
dénonçant les «pulsions primaires» des peuples et «la perversion capricieuse»
de leur droit à disposer d'eux-mêmes. Un point de vue partagé par Bernard-Henri
Lévy. À Londres, le 4 juin, BHL, seul sur la scène du Cadogan Hall, a
appelé, dans un monologue de près de deux heures, Last Exit Before
Brexit, les Britanniques à rester dans l'Union européenne. «Les populistes
confondent la démocratie et la démagogie, le peuple et la plèbe», poursuit-il
au téléphone le surlendemain, encore habité par son rôle.
«L'Europe est en proie à une
mutation démographique d'une ampleur inouïe. Et cette mutation n'a été l'objet
d'aucune délibération»
Alain Finkielkraut
Tout au contraire, Éric Zemmour
se fait le héraut de la «démocratie illibérale». Loin de percevoir la montée
des populismes comme un recul démocratique, il y voit au contraire un sursaut
des souverainetés nationales face à un libéralisme technocratique et juridique
qui fait primer le droit des minorités sur les choix de la majorité. «Le
concept d'“illibéralisme” développé par Orban peut devenir la chance de la
droite française si elle sait s'en saisir», considère-t-il. Entre ces deux
positions radicalement antagonistes, la plupart des intellectuels font une
lecture angoissée, mais plus nuancée, de ce phénomène.
Beaucoup voient dans l'immigration
de masse l'une des principales causes de la percée des «populismes». «L'Europe
est en proie à une mutation démographique d'une ampleur inouïe. Et cette
mutation n'a été l'objet d'aucune délibération, souligne Alain Finkielkraut. Ce
qu'on appelle le populisme, ce sont des peuples qui ne se résignent pas à une
situation sur laquelle ils n'ont pas été consultés.» C'est peut-être en Europe
de l'Est que les conséquences de la vague migratoire ont été les plus
importantes. Car ces pays ont conquis récemment leur souveraineté et leurs
frontières, après les avoir arrachées du joug communiste. Ils refusent
aujourd'hui d'abandonner cette indépendance nationale à l'Europe et se battent
pour préserver leur spécificité face au rouleau compresseur de la globalisation
et du multiculturalisme.
Le politologue bulgare Ivan
Krastev, l'un des meilleurs spécialistes du monde postsoviétique, ne dit pas
autre chose: «La percée de ce que j'appelle les “régimes majoritaires” dans ces
pays est un mécanisme de défense. La crainte d'une disparition culturelle y est
palpable.» Européen et libéral convaincu, Krastev affirme que la crise migratoire a provoqué en Europe
une fracture entre l'Est et l'Ouest et met en garde contre un choc
des cultures entre une Europe de l'Est attachée à son identité et une Europe de
l'Ouest qui se voudrait à la fois «individualiste et cosmopolite».
La révolte des «Somewheres»
Mais plus encore que la fracture
Est-Ouest, c'est la coupure entre élites et peuple qui fragilise aujourd'hui
les démocraties libérales. «Les élites européistes ou mondialisatrices à
outrance portent une responsabilité. Il y a trop longtemps qu'elles pensent que les demandes des
peuples sont inacceptables, choquantes et qu'il faut les balayer»,
reconnaît l'ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine. L'essayiste britannique David Goodhart, auteur
de The Road to Somewhere (Oxford University Press), essai
à succès outre-Manche, oppose les «Anywheres» et les «Somewheres», c'est-à-dire
les «gens de n'importe où» et le «peuple de quelque part».
Les premiers représentent 20 à
25 % de la population. Bien instruites et mobiles, ces élites sont
favorables à la globalisation dont elles tirent profit. Les seconds, qui
représentent environ 50 % de la population, plus enracinés et ancrés dans
leurs valeurs, se considèrent comme les perdants de la mondialisation, car
celle-ci bouleverse leurs repères et leurs modes de vie. Pour Goodhart, le
Brexit et l'élection de Trump symbolisent la révolte des «Somewheres» contre la
domination économique, culturelle et politique des «Anywheres»…
«D'un côté, on assiste à une
formidable poussée des droits individuels depuis quarante ans, et de l'autre
côté à une série de défis nouveaux : le problème de la zone euro et le problème
migratoire, en particulier»
Marcel Gauchet
En vérité, comme le résume le
journaliste Brice Couturier, la démocratie libérale apparaît aujourd'hui
attaquée sur deux fronts. D'un côté, elle est menacée par des démocraties
illibérales qui, au nom de la majorité, rejettent certaines libertés
individuelles et règles de l'État de droit. De l'autre côté, la menace est
celle de l'«autocratie libérale»: des institutions ou des agences, qui se
présentent comme indépendantes et purement techniciennes, prennent des
décisions politiques qui échappent à tout contrôle démocratique. C'est le cas,
par exemple, de l'Union européenne. L'affrontement qui a opposé le président de
la République italien, Sergio Mattarella, à Matteo Salvini et Luigi
Di Maio, les leaders respectifs de la Ligue et du M5S, à propos
de la nomination du gouvernement, est symptomatique de ce conflit entre deux
légitimités: la légitimité institutionnelle et juridique du chef de
l'État et la légitimité populaire et démocratique de dirigeants élus au
suffrage universel.
Pour Marcel Gauchet, nous
redécouvrons l'antagonisme ancien entre démocratie et libéralisme. Deux
principes qui ne s'articulent pas nécessairement et qui parfois même
s'opposent. «Cette contradiction est structurelle, elle s'inscrit dans les
principes même de la démocratie. Mais elle arrive aujourd'hui à son point d'explosion
à cause de la conjoncture, analyse le directeur de la revue Le Débat.
D'un côté, on assiste à une formidable poussée des droits individuels depuis
quarante ans, et de l'autre côté à une série de défis nouveaux: le problème de
la zone euro et le problème migratoire, en particulier. La question est de
savoir comment articuler le droit individuel des migrants avec le droit
collectif de la majorité, qui veut l'arrêt ou du moins le contrôle des flux.»
Une nouvelle règle du jeu
politique
L'engrenage infernal pourrait à
terme conduire à l'explosion de nos systèmes démocratiques. «Ce qui m'inquiète,
c'est que, dans ce divorce interne entre le principe démocratique et le
principe libéral, il n'y ait pas de juge arbitre pour remettre les deux
ensembles, poursuit Gauchet. Nous sommes en présence de deux partis sourds et
aveugles l'un à l'autre. Je suis frappé en particulier par l'incapacité totale
d'entendre de la part des élites gouvernantes ou influentes. C'est un scénario
de guerre civile.»
Dominique Reynié, le patron de la
Fondapol, jadis libéral optimiste, envisage désormais le pire. «Les puissances
publiques démocratiques, qu'elles soient coordonnées dans le cadre européen ou
pas, n'ont peut-être plus la capacité d'affronter les défis qui se présentent à
elles dans ce monde globalisé. Le XXIe siècle peut être celui de
l'effacement temporaire ou définitif de la démocratie libérale.» «Les régimes
démocratiques et libéraux vont tomber un par un, avertit lui aussi Couturier.
Cela a commencé en Europe de l'Est, a continué avec l'Autriche et l'Italie.
Demain, ce sera l'AFD au pouvoir en Allemagne ou le FN en France. S'ils veulent
éviter cela, les gouvernements européens doivent se donner les moyens de
protéger l'Europe sur trois plans: migratoire, commercial et militaire.»
«Il nous faut parvenir à
concilier les valeurs des gens d'en bas et celles des gens d'en haut, la
sécurité des peuples et l'ouverture au monde»
Emmanuel Todd
Tiraillé entre son amour de la
liberté et son attachement à la souveraineté populaire, Emmanuel Todd en a
perdu la santé au point d'envisager de se retirer de la vie publique. «Il nous
faut parvenir à concilier les valeurs des gens d'en bas et celles des gens d'en
haut, la sécurité des peuples et l'ouverture au monde. Parce qu'une démocratie
ne peut fonctionner sans peuple, la dénonciation du populisme est absurde.
Parce qu'une démocratie ne peut fonctionner sans élites, qui représentent et
guident, la dénonciation des élites en tant que telles est tout aussi absurde.
L'obstination dans l'affrontement populisme/élitisme, s'il devait se prolonger,
ne saurait mener qu'à la fragmentation et à l'anarchie.»
Concilier les aspirations
nationales des populismes et les aspirations transnationales des élitismes, tel
est également l'obsession de David Goodhart: «Le plus grand défi pour la
prochaine génération est la création d'une nouvelle règle du jeu politique
entre “Anywheres” et “Somewheres” qui prendrait en compte de manière plus
équitable les intérêts et les valeurs des “Somewheres” sans écraser le
libéralisme des “Anywheres”.» Cela commence peut-être aujourd'hui. «Si nous
avons voulu faire ce colloque, explique Laure Mandeville, c'est pour sortir de
cette guerre de tranchées.»
» A VOIR- «Conversations
Tocqueville»: deux jours de conférence pour «mettre les sujets sur la table»
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«Pourquoi l'union des droites est une chimère»
FIGAROVOX/TRIBUNE - Antoine
Morvan distingue trois droites : économique, culturelle, politique. Selon lui,
si deux d'entre elles s'allient, ce sera toujours au détriment de la troisième,
rendant vain tout projet d'union. Mais un renouveau à droite lui paraît
possible, au sens d'une résistance aux fragmentations modernes.
Antoine Morvan est étudiant en
philosophie politique et éthique à la Sorbonne.
Plus d'un an après l'élection
d'Emmanuel Macron, la disposition des forces politiques n'a pas gagné en
précision. Les veilles factions n'en finissent pas de mourir ; les nouvelles
peinent à naître. Encore que la politique d'Emmanuel Macron sorte un peu du
flou en naviguant insensiblement vers le centre-droit, les règles du jeu
demeurent sur bien des points virtuelles. Les Républicains défaits, le Front
National discrédité, d'aucuns appellent à sortir des sables mouvants et à
profiter de l'incertitude générale pour prendre les devants: réaliser l'union
des droites voulue par la base depuis des années en dépassant les divisions
factices des partis. La manœuvre est à grands traits assez simple: laisser le
centre-droit parasite au Président et réconcilier les conservateurs des
Républicains avec le Front National sur la base d'une lutte contre
l'immigration pour restaurer l'identité française. Les autres questions -
l'Europe, la politique étrangère ou encore l'économie - restent secondaires ou
déterminées par cet objectif. Enfin, la désunion serait artificiellement maintenue
par le surmoi de gauche qu'imposeraient les nouveaux clercs - journalistes,
magistrats, artistes, intellectuels -, renforcés par l'étau mitterrandien «Sos
Racisme ou Front National».
Défauts d'analyse
Cette perspective stratégique
n'est à un certain niveau pas totalement dépourvue de clairvoyance. Il est
évident que l'aile juppéiste des Républicains se trouve bien de la politique
menée par le gouvernement Philippe. De toute évidence la distinction de ce
centre-droit avec La République en Marche s'explique en dernier ressort par de
picrocholines querelles d'appareils et d'obscures stratégies individuelles. Et
de l'autre côté, il existe bien une droite identitaire mettant au cœur de ses
préoccupations la défense des mœurs françaises.
Le bat de l'analyse blesse
néanmoins selon nous en ce que la cartographie des droites contemporaines
qu'induit cette stratégie nous paraît grossièrement tracée. En vérité, elle se
pense selon un triptyque, un peu similaire à celui établit par René Rémond,
plutôt que comme un vis-à-vis entre le centre et la droite.
Commençons par déchirer le voile
rhétorique du parti présidentiel dans ses prétentions à transcender le clivage
gauche-droite. La volonté de soulager la liberté d'entreprendre des pesanteurs
juridiques, de renouveler les anciennes classes politiques par les tenants des
secteurs nouveaux de l'économie, le primat de la raison modératrice,
l'affirmation renouvelée du pragmatisme, ainsi que la neutralité axiologique
sur les questions de société, gages du reste d'une redoutable plasticité, font
d'Emmanuel Macron un héritier de la droite orléane pour qui les conflits
politiques doivent être dépassés par la raison économique et la compétence
technique. Son discours de modernité et d'audace lui est permis en ce qu'il
s'appuie sur le capital mobile et les entreprises détteriorialisables, en
demi-rupture avec le capitalisme «à la papa» incarnée alors par François
Fillon, résidant quant à lui sur les revenus réguliers issus de biens et des
industries immeubles, sécrétant logiquement un certain nombre de valeurs
conservatrices - la famille, la terre, la prudence, l'obéissance - liées aux
structures patrimoniales. Ces deux aspects du capital restent par ailleurs
solidaires. Promettre «en même temps» la sécurité et la liberté, subterfuge
langagier plutôt que véritable pensée dialectique la plupart du temps,
s'applique en revanche étonnamment bien pour couler en un même lit ces deux
eaux du capital, permettant sans grands frais à Emmanuel Macron de s'aventurer
en terre conservatrice.
Promettre « en même temps » la
sécurité et la liberté est un subterfuge langagier plutôt qu'une véritable
pensée dialectique.
Cette droite économique, à son
corps défendant la plupart du temps, est donc la première composante dans la
géographie politique, et domine au fond le camp conservateur.
La seconde droite est ce qu'on
nous appellerions, par souci de ne pas porter à ce point de l'analyse de
jugement de valeurs, plutôt qu'extrême-droite, droite culturelle, parce qu'elle
met au cœur de son combat politique la défense d'objets culturels constitutifs
à leur yeux de l'anthropologie française ou européenne - la religion, la
famille, la manière de vivre, la culture élitaire. Le Front National et ses
pseudopodes en sont les principaux représentants, dont l'adversaire fédérateur
demeure depuis 1972 l'immigration non-européenne et les mutations culturelles
subséquentes sur la société française, au premier chef la religion musulmane.
Soulignons qu'en dehors de
l'unanimité sur ces questions migratoires, cette droite culturelle est en proie
à maintes querelles concernant les autres problématiques. La laïcité, la place
de la France dans l'Europe, le libéralisme économique, la place de la région,
le domaine de l'État, la politique étrangère, la mémoire collective et, plus
largement, le rapport à l'Histoire de France demeurent en son sein de tenaces
pommes de discorde. Le composite attelage du Front National en témoigne, qui
rassemblait jadis nostalgiques de Vichy et anciens résistants, néo-païens et
catholiques traditionalistes, partisans de l'Europe chrétienne intégrée et
défenseurs de l'autonomie française, qui sur vingt ans est passé sur le plan
économique du reaganisme à l'interventionnisme pour en revenir depuis l'an
passé à un entre-deux confus.
Le conservatisme français n'a
jamais été qu'un libéralisme patiné par endroits d'un inoffensif conservatisme.
On pourrait croire que c'est par
défaut de jugement que les unionistes jettent un pudique manteau de Noé sur la
question socio-économique. Hormis quelques déclarations de Nicolas
Dupont-Aignan, on n'entend guère les autres tenants de la renaissance de la
droite - Laurent Wauquiez et Marion Maréchal principalement - s'opposer
fondamentalement à la politique économique du gouvernement. À la vérité, rien
de plus logique à cela: l'analyse michéenne se révèle une fois de plus d'une
acuité impeccable. De même que la nouvelle gauche confond avec d'autant plus
d'aplomb le parti des ombres qu'elle-même respecte admirablement les tables de
la loi du laissez-faire économique, le conservatisme français n'a jamais été
qu'un libéralisme patiné par endroits d'un inoffensif conservatisme qu'Emmanuel
Macron, habile communicant qu'il est, saura parfaitement investir si
nécéssaire. La droite conservatrice demeure avant tout libérale, et marchande
ses prétendues valeurs morales à qui veut bien l'élire. Pour preuve, la
politique économique du Président poursuit celle menée par Nicolas Sarkozy, qui
n'avait quelques jours avant son élection pas de mots assez durs pour flétrir
l'étiolement moral qu'avait introduit la pensée 68 en France. Déjà en remontant
les vingt dernières années, les bravades oratoires du RPR et de l'UMP en
matière d'immigration, de conservatisme moral ou encore de primauté des
intérêts français sur les intérêts européens n'ont pas été suivis d'effets lors
des douze années où le parti tenait les principales institutions du pays. De
toute évidence, les prises de position actuelles - et au premier chef de celles
de Laurent Wauquiez - sont davantage le fruit d'une volonté de différenciation
vis-à-vis du Président de la République que d'une vision politique claire des
enjeux contemporains. On serait d'ailleurs bien en peine de nommer, à quelques
électrons libres près, les fractures foncières qui démarqueraient le groupe La
République en Marche des Républicains, tout droitiers qu'ils se présentent, au
sein du Parlement.
L'union de cette droite
culturelle avec la droite économique, qui bénéficie du rapport de force
politique, nous semble en second lieu improbable du point de vue sociologique.
Pour un électeur gagné à droite par un discours identitaire, c'est a
minima un électeur perdu au centre en plus du risque de se voir exclu
du cercle de la respectabilité et des lieux de pouvoir pour les classes
supérieures. De plus, comme le montre le report de voix très majoritaire des
électeurs de François Fillion sur Emmanuel Macron au second tour de la
présidentielle, un électeur libéral, encore que sensible aux thématiques
culturelles, préférera la sécurité économique de la République du centre aux
outrances verbales d'un Laurent Wauquiez et aux tête-à-queue du Front National
sur les questions monétaires. L'argument vaut aussi bien pour l'électorat
catholique, à partir duquel Marion Maréchal semble vouloir forger son tremplin.
À en croire l'étude IFOP du 7 mai 2017 pour Pelerin/La Croix, 62% des
catholiques (dont 71% des pratiquants réguliers) auraient voté pour Emmanuel
Macron contre Marine le Pen au second tour des dernières élections
présidentielles. Vouloir par conséquent faire de l'identité catholique un
porte-drapeau, c'est ne pas prendre acte de la rupture de la doctrine
ecclésiale dont le concile de Vatican II fut l'aboutissement. Le ralliement à
la démocratie libérale, le refus de la politisation du sentiment religieux, la
stratégie de laïcisation du message chrétien, la défense de la personne humaine
- axiome de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme - sont autant de
principes qui ont informé les consciences catholiques jusqu'à leur faire
préférer la culture du consensus et de la modération aux formations ouvertement
et radicalement clivantes.
En troisième lieu, en vis-à-vis
de ses deux consœurs, les reliquats de la pensée gaullienne, encore que peu
représentée au sein des assemblées, nous semble constituer la dernière pièce de
la tripartition, nous apparaît constituer ce que nous appellerions «droite
politique» au sens fort. Toujours vivace par la sensibilité d'une partie de la
population à l'indépendance de la France vis-à-vis de l'Union européenne,
électorat soucieux d'un État interventionniste se dressant contre la division
naturelle de la société française, partisan d'une politique internationale
active en faveur d'un équilibre des puissances - une partie de la population en
somme acquise à la centralité de la question des institutions et de la
communauté politique, leviers de la conciliation sociale à l'intérieur et de la
puissance à l'extérieur. Plus républicaine que libérale, elle préconise le
recours direct et régulier au peuple, compris comme ensemble du corps social, pour
vivifier la vie civile et contrer l'ossification naturelle des institutions.
Cette perspective de la pratique de la politique l'emmène d'ailleurs à la
rapprocher d'une certaine partie de la gauche contractualiste, élément qui,
pour mémoire, était déjà fort reproché au Général de Gaulle en son temps par
les droites tixiériste et pompidolienne. L'idée que la France ne peut exister
que comme geste historique et politique, unifié par l'action de l'État,
l'obligeant à refuser la division du peuple par les factions, qu'elles soient
politiques, sociales ou culturelles, la met en délicatesse avec les partisans
de la régénération culturelle de la nation. Son souci d'originer la légitimité
démocratique dans la volonté générale plutôt que la raison publique, ainsi que
sa critique fondamentale des institutions européennes et des inféodations
transatlantiques lui mettent à dos le centre-droit libéral.
Aussi les vaticinations de la
droite «qui s'assume», sans qu'on sache vraiment quelles sont ses zones à
défendre si ce n'est une résistance au miroir de la gauche - dans laquelle est
incluse la majorité présidentielle - vont-elles à l'encontre des paradigmes du
libéralisme et du gaullisme: l'un prétend dépasser le clivage par le
gouvernement des individus moteurs de l'économie, l'autre par le recours à un
peuple pensé comme mobile et pluriel, mais qui doit trouver dans la
représentation institutionnelle et l'incarnation historique la sortie des
divisions mortifères. Logique du consensus des intérêts ou de la communauté politique
d'un côté, de l'autre, stratégie de la rupture culturelle ouverte.
Dès lors le parallèle évoqué par
un Éric Zemmour ou un Nicolas Dupont-Aignan avec l'union de la gauche de 1981
nous semble défaillant, en ce qu'il fait l'économie de paramètres cruciaux.
Premièrement, l'union de la gauche voulue par Mitterrand s'est faite parce que
l'atmosphère culturelle était à gauche, sur le plan social et culturel, et
enveloppait toutes les strates de la société, comme le gaullisme en son temps.
Il existait entre les socialistes et les communistes des pans de contact
idéologique d'envergure, des passerelles, de vastes espaces communs de
politisation. L'endiguement des excès du système capitaliste, l'amélioration
des conditions de vie, la prise en compte, amorcée par le Président Giscard
d'Estaing, de l'évolution des mœurs pouvaient trouver une substance dans
l'établissement de mesures concrètes, à savoir la nationalisation de certains
secteurs bancaires et industriels, la cinquième semaine de congés payés,
l'abolition de la peine de mort entre autres. Contrairement aux demandes
diverses et contradictoires des électorats de droite aujourd'hui, il existait
sur ces points une différence de degré dans les aspirations des électorats de
gauche dont le programme commun de 1972 fut le point d'équilibre, non sans
force discussions et querelles, soit dit en passant. Tout cela pouvait
constituer un horizon de société désirable pour une majorité de citoyens, ce
que la lutte contre l'immigration, seul point d'Archimède d'une possible union
des droites, ne saurait être.
D'aucuns vont chercher d'autres
séquences historiques encore pour trouver l'inspiration d'un rassemblement des
droites. Il est vrai que l'union des droites est un vieux rêve depuis la
Troisième République, et a même été tentée par deux fois.
L'union des droites est un
vieux rêve depuis la Troisième République
Une première fois à la naissance
de la République de 1873 au 16 mai 1877, lorsque Mac-Mahon tenait la
Présidence. Les bonapartistes étaient alors désireux de mettre le petit prince
à la tête de l'Empire, les légitimistes voulaient le trône pour le comte de
Chambord et les orléanistes s'inquiétaient de restaurer une monarchie
constitutionnelle qui freinerait les aventures d'un pouvoir républicain soumis
aux vents des classes laborieuses. La morale de l'histoire: leurs idéologies
étaient si hétérogènes que, malgré toutes les incantations, l'union resta de
fait lettre morte, le ralliement des modérés à la République aidant.
La deuxième véritable union des
droites, quoi qu'on en veuille, ce fut l'État français qui la proposa. La
«dictature pluraliste» du Maréchal Pétain permit à toutes les tendances de
droite d'accéder au résidu de pouvoir qui restait à la France: les
néo-légitimistes maurassiens inspirant la Révolution nationale, les émules
fascisantes du bonapartisme nées de la rencontre de l'anti-capitalisme et des
mouvements antiparlementaires, ainsi que la technocratie planiste héritière de
l'orléanisme qui put, pendant la suspension des procédures démocratiques, accomplir
les restructurations administratives qu'elle désirait depuis la fin de la
Grande Guerre, et qui fut d'ailleurs, faute de remplaçante, recyclée par tous
les gouvernements d'après-guerre.
Le rappel historique nous apprend
une chose: une synthèse des droites a toujours été un amalgame baroque et
évanescent résultant d'un effondrement de l'Etat permettant un appel d'air de
fractions hétérogènes qui ne se solidarisent que par la désignation d'ennemis
désignés: la confédération des destructeurs supposés de la nation française.
Une fois la passion essoufflée, les institutions redressées, la fragile
coalescence se désagrège, et le rassemblement des droites apparaît alors comme
le symptôme et la conséquence d'un affaissement national.
La renouveau de la droite malgré
tout?
La perspective que nous adoptons
ici va de toute évidence en défaveur d'une union des droites qui ne peut
aboutir qu'a un syncrétisme éphémère et dangereux. Pour autant, tout ne nous
semble pas perdu pour une certaine idée de la droite, si tant est qu'il faille
absolument la relever au vu de la médiocrité de son bilan gouvernemental comme
des visions de la France et du Monde qu'elle propose. Encore faut-il la
définir.
La thèse d'Alain-Gérard Slama
nous semble la plus pertinente, selon laquelle être de droite est avant tout
une humeur, une psychologie qui se dresse contre la fragmentation du monde
moderne. Définir la droite en ces termes permet de rendre compte assez finement
des projets politiques de droite depuis la chute du Premier Empire. Parmi
lesquels la restauration des totalités hiérarchiques comme la famille, la
religion, l'État, l'Ancien Régime qui protège l'individu et le prévient contre
sa propre tyrannie, l'émergence à l'issue du dialogue des intelligences d'une
raison publique aussi objective que possible pour obvier aux affres des
passions politiques, la cautérisation des plaies civiles par la volonté de
l'État incarnant la continuité historique et la cohérence sociale. Mais aussi
un certain nombre d'affects persistants: le désir irénique de réduire
totalement l'abîme du social dans la fraternité nationale, le culte aveugle de
la raison qui débouche sur le refus des alternatives, ou pire, la haine contre
les éléments que l'on perçoit comme la cause de désagrégation culturelle. Il semble
que de penser l'affect de droite comme la restauration d'une unité perdue
permette de donner une cohérence conceptuelle à ces percepts et projets
politiques.
Cela étant posé, quelles sont à
l'heure actuelle les failles à combler, les unités à restaurer? La faille de la
société française est double: l'étiolement du continuum socio-géographique
sanctionné par le niveau d'étude entre les classes populaires et bourgeoises
d'une part, l'absence grandissante du sentiment d'appartenance commune entre la
France des banlieues et le reste de la population deuxièmement. Il y aurait des
nuances à faire. Reste que les logiques électorales actuelles cherchent, au
mieux, à unir deux de ces trois France contre ou malgré la troisième. Union des
périèques de toutes origines contre la classe possédante qui jouit d'un jeu
économique faussé pour la gauche radicale, front des populations blanches -
bourgeoises conservatrices et populaires - contre l'islamisme et ses relais
conscients ou objectifs pour la droite culturelle, alliance enfin des
métropolitains progressistes avec les populations immigrées au sein du biotope
économique désormais bien connu des métropoles mondialisées au détriment du
reste du territoire - autant de stratégies ouvertes ou couvertes par voie de
conséquence, du «eux» contre «nous».
Il est évident que l'idéal
unanimiste - du Sacre de 1494 à la «France Résistante» - demeure pour partie
une fiction. D'ailleurs, qui de raisonnable voudrait se concilier à tout prix
les fanatiques religieux ou les racistes incurables qui, quoi qu'ils en aient,
n'entendent pas ce qu'est l'honneur de notre pays ou encore - bien qu'on ne les
mette bien entendu pas sur le même plan moral - les zélateurs cyniques de la
mondialisation néolibérale dont les structures mêmes produisent la violence
sociale et les divisions que nous déplorons?
Le projet identitaire ne peut
à terme finir qu'en vaste kermesse totémique, où la contre-révolution
rencontrera la société du spectacle la plus régressive.
Le discours d'une droite rénovée
serait de faire une distinction entre un «nous» qui comprendrait toutes bonnes
volontés prêtes à retisser un sentiment social et culturel de communauté
politique, autour notamment des questions de souveraineté, et la désignation
des ennemis qui comprend les agents de la dissolution nationale - islamistes et
identitaires -, celle des adversaires à un moindre niveau, soient les
superstructures économiques qui frayent la voie aux conflits civils ainsi que
les cadres européens actuels qui paralysent toute action publique de
redressement. Aussi la souveraineté politique doit-elle s'aborder par le détour
du social, et ce de manière très précise, sur des points aussi clivants que la
régulation du système bancaire, des contrôles des capitaux et des outils dont
l'indépendance monétaire et juridique permettrait de se doter.
Même si, au vu de l'histoire, le
phénomène bonapartiste bien compris ne prend lieu qu'au sortir d'un contexte de
délitement généralisé de la nation, il ne faut pas moins jeter le pont qui nous
permettra de traverser la rivière le moment venu pour éviter que la désunion
sociale et culturelle n'en vienne à plonger le pays dans de douloureuses
périodes.
Il nous suffira, en guise
d'avertissement final à ceux qui sacrifient la lutte politique aux chimères de
l'identité, de citer le discours de Phillipe Séguin du 5 mai 1992 pour savoir à
quoi s'en tenir:
«On parle de l'identité lorsque
l'âme est déjà en péril, lorsque l'expérience a déjà fait place à l'angoisse.
On en parle lorsque les repères sont déjà perdus! La quête identitaire n'est
pas une affirmation de soi. C'est le réflexe défensif de ceux qui sentent
qu'ils ont déjà trop cédé. En ne nous laissant que l'identité, on ne nous
concède donc pas grand-chose, en attendant de ne plus rien nous concéder du
tout!».
Le projet identitaire ne peut à
terme finir qu'en vaste kermesse totémique, où la contre-révolution rencontrera
la société du spectacle la plus régressive, où, en compensation du pouvoir
perdu, l'on produira les sèches images d'un passé fantasmé à défaut de retrouver
les voies de la grandeur. Le Puy du Fou ou l'Histoire de France: la droite
devra faire son choix.
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Antoine Morvan
Nantes se divise sur l'accueil des migrants
Situé au cœur de la ville, le
square Daviais est occupé par 600 étrangers. La préfète incite la maire à en
demander l'évacuation.
Sous les arbres du parc des
Chantiers, où déambule le fameux Grand Éléphant de Nantes, de jeunes migrants
attendent. Parmi eux, Driss, qui se présente comme un Ivoirien de 16 ans: «On
vient ici, par ce qu'au squat où je suis ou au square
[Daviais] il n'y a pas d'électricité.» Alors ils chargent leurs
téléphones sur des prises électriques prévues à l'origine pour les événements
en plein air.
Sans parents, Driss est arrivé à
Nantes il y a six mois, après un périple qui l'a fait traverser le Maroc et l'Espagne.
En attendant d'être reconnu comme mineur isolé par le juge des enfants, il dort
dans l'ex-maison de retraite de Bréa. Une centaine d'Ivoiriens, de Guinéens, de
Tunisiens vivent comme lui dans ce qui est désormais un centre d'accueil et
d'hébergement d'urgence ouvert par la Mairie et dont l'accès est régulé par des
vigiles. En mai, ils étaient 500.
Ils sont aujourd'hui «400 à
vivre à droite ou à gauche, majoritairement dans des squats, ce qui s'ajoute
aux 600 migrants, principalement d'origine subsaharienne, qui se sont
agglomérés depuis trois mois square Daviais».
Nicole Klein, préfète de
Loire-Atlantique
Selon Nicole Klein, la préfète de
Loire-Atlantique, ils sont aujourd'hui «400 à vivre à droite ou à gauche,
majoritairement dans des squats», ce qui s'ajoute, précise-t-elle, aux 600
migrants, principalement d'origine subsaharienne, qui se sont agglomérés depuis
trois mois dans et autour du square Daviais, en plein cœur de Nantes. La ville
est, avec Calais, la seule en dehors de Paris à abriter un tel campement. C'est
pourquoi Nicole Klein juge désormais que «les Nantais, aussi tolérants
soient-ils, ne peuvent plus le supporter». Elle appelle Johanna Rolland, la
maire, à demander une nouvelle évacuation du campement. Le 23 juillet
dernier, la préfète avait déjà usé de son pouvoir de substitution pour ordonner
une première expulsion.
Une trentaine de personnes
prépare puis distribue chaque jour 500 repas. Et ce, expliquent les bénévoles,
pour suppléer «à l'inaction des pouvoirs publics».
Conciliante jusqu'ici,
l'opposition LR-UDI monte aussi au front et qualifie la situation dans le
square de «honte de Nantes». «Notre ville est devenue le symbole du laxisme et
du laisser-aller des pouvoirs publics, de NDDL aux émeutes urbaines, dénonce sa
chef de file, Laurence Garnier, vice-présidente de la région Pays de la Loire.
La priorité est de réunir autour de la table tous les acteurs - associations,
État, collectivités - pour mettre à l'abri ces migrants avant la fin de l'été».
Johanna
Rolland «suit
le dossieren direct, en agissant au-delà de la compétence légale de la
ville (kits d'hygiène, aide alimentaire, à l'hébergement et au transport)»,
selon son cabinet. Elle renvoie encore une fois l'État à ses responsabilités
sur les places d'accueil. Mise sous pression par l'aile écologiste de sa majorité,
elle doit aussi composer avec l'élan
de solidarité d'une partie des Nantais. Quasiment 10.000 d'entre eux
ont signé une pétition «pour une politique d'accueil et d'asile des réfugiés
digne de la France» lancée par des habitants de la ville choqué par la
situation square Daviais.
Non loin de là, sur la devanture
d'un bar désaffecté, une banderole a été attachée et indique: «À l'Autre
Cantine». Ici, une trentaine de personnes prépare puis distribue chaque jour
500 repas. Et ce, expliquent ces bénévoles, pour suppléer «à l'inaction des
pouvoirs publics». Un maraîcher bio a livré une tonne de pommes de terre dans
la semaine: les dons affluent au local de l'association, qui a ouvert ses
portes début juillet. «Les migrants ont faim. Nous leur donnons le seul repas
qu'ils mangent chaque jour, témoigne Emmanuel, un bénévole, tout en triant des
fruits et des légumes. Alors on essaye de faire du consistant et du bon, dans
la mesure du possible.»
Mais jusqu'à quand? «On devait
fermer bientôt, mais tant qu'il n'y a pas de relogement, on continue»,
poursuit-il. Vendredi, des élus ruraux réunis sous la bannière Territoires 44
ont lancé un appel à tous les maires de Loire-Atlantique pour les inciter à
accueillir des migrants: «Nous avons un devoir de fraternité à exercer»,
affirment-ils. Une dizaine de communes ont déjà répondu favorablement.
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