lundi 25 juin 2018

Islamisme et politique 22.06.2018



Emmanuel Macron et le reniement de la culture française (06.02.2017)
Quand Macron confond peuple et civilisation (22.03.2017)
Angus Deaton : « Les Blancs non diplômés sont les nouveaux persécutés » (18.06.2018)

La laïcité: guillotine de l'islam républicain?
Emmanuel Macron : «Pourquoi nous sommes un peuple» (16.03.2017)
Bérénice Levet : «Emmanuel Macron ne voit ni l'art, ni la culture, ni la France» (24.02.2017)
Mathieu Bock-Côté : «L'homme sans civilisation est nu et condamné au désespoir» (29.04.2016)
Donald Trump avait raison: les migrants, arrivés massivement depuis 2015, sont responsables d’une augmentation significative de la criminalité en Allemagne (MàJ: Samuel Laurent présente son travail sur France5)
 «La radicalisation religieuse n'est pas le fruit de facteurs sociaux ou économiques» (01.06.2018)
Des voleurs de voitures pillaient l'usine Peugeot de Montbéliard (22.06.2018)
Le «plus important réseau de trafic de stupéfiants» de Marseille démantelé (22.06.2018)
L'UE s'écharpe sur la question migratoire (22.06.2018)
Son école inaugurée, Marion Maréchal (re)fait vœu de silence médiatique (22.06.2018)
Hélène Carrère d'Encausse : «Ne laissons pas la Russie choisir l'Asie» (21.06.2018)
La révolution avortée de Louis XVI (22.06.2018)
Général de Saint-Quentin : «Le brouillard de la guerre revient» (22.06.2018)
Roger Scruton  : «La motivation du Brexit était avant tout culturelle» (21.06.2018)
Histoire de France : arrêtons les mensonges (29.12.2017)
Éditorial : «L'ivresse du sultan Erdogan» (22.06.2018)
Muharrem Ince, le candidat qui fait trembler Erdogan (22.06.2018)
Terrorisme : en 2017, le nombre d'attaques a doublé (22.06.2018)
Pourquoi se cultiver participe à notre bonheur (22.06.2018)
Gestation pour autrui : «En Inde, les mères porteuses sont réduites à l'état d'esclaves» (22.06.2018)
Natacha Polony : «Dans l'Éducation nationale, la vieille rengaine des pédago-modernistes» (22.06.2018)




Emmanuel Macron et le reniement de la culture française (06.02.2017)
  • Par  Yves Jégo 

  • Mis à jour le 07/02/2017 à 15:39 

  • Publié le 06/02/2017 à 17:05

FIGAROVOX/TRIBUNE - À Lyon ce dimanche, Emmanuel Macron a lancé : «Il n'y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse». Pour Yves Jégo, la spécificité de la culture française est ce qui nous permet notamment de ne pas nous perdre dans le matérialisme.


Ancien secrétaire d'État chargé de l'Outre-mer, Yves Jégo est député de Seine-et-Marne et maire de Montereau-Fault-Yonne.

Partout dans le monde on sait qu'il y a une culture française et on aime la France pour sa culture. Seul l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée en meeting à Lyon semble l'ignorer lorsqu'il déclare qu'«il n'y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse».
Cette déclaration n'est pas anecdotique, elle est même le signe inquiétant d'une vision destructrice de ce qui fait depuis toujours la spécificité de notre pays.
Prétendre qu'il n'y a pas de culture française mais une culture en France est le fruit d'un reniement profond qui revient par déduction à expliquer qu'il n'y a pas de langue française mais une langue en France qui serait par nature diverse.
Notre langue française est aujourd'hui la seule, avec l'anglais, présente sur tous les continents
On mesure tout de suite l'énormité du propos. Notre langue française est aujourd'hui la seule, avec l'anglais, présente sur tous les continents et par conséquent l'un des vecteurs de notre spécificité culturelle.
La langue française est singulière et pourtant sans effacer les langues de France, les langues régionales, les créoles, elle nous lie et nous relie au monde.
Oui, il y a bien une culture française et elle est riche, diverse, vivante, elle est singulière et ouverte, elle l'a toujours été.
Quand nous affirmons, qu'il y a une culture française ce n'est pas parce que nous prétendons qu'elle est supérieure aux autres, c'est parce que nous savons qu'être Français c'est partager une culture commune, une langue bien spécifique et l'esprit de la République.
Affirmer l'existence d'une culture française c'est concevoir la culture comme un bien commun
Affirmer l'existence d'une culture française c'est concevoir la culture comme un bien commun.
Dans la formule de l'ancien banquier d'affaires, ce qui est le plus troublant et au fond révélateur, c'est cette idée qui est à la base du communautarisme si contraire à l'esprit de notre République, selon laquelle chacun porte sa propre culture et que notre pays doit s'arranger de ces diversités qui ne partagent plus rien de commun.
Non, l'essentiel, le fondamental, c'est notre capacité à faire vivre une culture commune, de la chérir et de l'enrichir ensemble.
Alors oui, il existe bien une culture française spécifique et unique, née d'un subtil et puissant mélange issu de notre histoire et de ceux qui ont forgé la nation française.
Dire qu'il n'y a pas de culture française c'est ramener la France à une société sans personnalité consommatrice de produits culturels mondialisés
Certes, la culture française n'est pas figée, elle évolue en permanence mais faut-il nier pour autant son existence?
Dire qu'il n'y a pas de culture française c'est ramener la France à une société sans personnalité consommatrice de produits culturels mondialisés et incapable de déployer sa singularité.
Si comme semble le penser l'ancien inspecteur des Finances il n'y a pas de culture française, il n'y a alors pas non plus d'exception culturelle française, ce qui sous-entend une inquiétante soumission aux normes anglo-saxonnes et viendrait clore à notre détriment un combat que la France mène sur toutes les scènes internationales.
Cette saillie sur l'absence de culture française est en fait révélatrice d'un dogme qui s'applique déjà à l'économie et détruit peu à peu le produit en France, ruine notre appareil de production.
L'ancien ministre de l'Economie rejoint cette frange ultralibérale du monde économique qui pense qu'un produit est français même s'il est fabriqué en Chine où ailleurs
L'ancien ministre de l'Economie rejoint cette frange ultralibérale du monde économique qui pense qu'un produit est français même s'il est fabriqué en Chine où ailleurs.
Design in California but Made in China, telle est la philosophie d'Apple entreprises globalisées et de bien d'autres entreprises actrices de la mondialisation.
Cette dérive explique sans doute à la fois leurs profits gigantesques mais aussi en grande partie le retour du populisme qui a porté Donald Trump au pouvoir et risque de faire de même pour Marine Le Pen.
À force de voir niées leur spécificité nationale, les peuples se rebellent et le nationalisme resurgit sous une forme brutale.
Entre la vision protectionniste de ceux qui pensent que la France ne peut survivre que dans la restauration nostalgique d'un pays séparé du monde et la vision mondialiste dont le «néolibéralisme» d'Emmanuel Macron dans sa négation de la singularité culturelle française est l'expression, je crois en la singularité culturelle française qui est celle d'une France exigeante et ouverte, soucieuse d'enrichir sa civilisation, une France qui n'oublie pas que sa singularité culturelle est un atout pour sa croissance et pour son rayonnement au-delà de ses propres frontières. Cest ce rapport à la culture française qui nous interdit de nous oublier dans le mépris des autres ou de nous perdre dans le matérialisme.
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Quand Macron confond peuple et civilisation (22.03.2017)
  • Par  Claude Sicard 

  • Publié le 22/03/2017 à 19:55
FIGAROVOX/TRIBUNE- Emmanuel Macron avait publié dans Le Figaro une tribune en réponse aux critiques suite à ses déclarations sur la culture française. Pour Claude Sicard, le candidat souhaite que les Français cessent de défendre leur culture.

Consultant international, expert des problèmes de développement, Claude Sicard est l'auteur de Le face à face islam chrétienté: quel destin pour l'Europe? et L'islam au risque de la démocratie, aux éditions F.X de Guibert.

Dans le figaro du 17 Mars, Emmanuel Macron a publié un article en réponse aux indignations qu'a soulevé sa déclaration dans un meeting à Lyon par laquelle d'une manière tout à fait surprenante il affirma : «Il n'y a pas de culture française». Quelque temps après, dans une réunion avec la colonie française de Londres, il aggrava son cas en formulant une nouvelle ineptie : «L'art français, je ne l'ai jamais vu». De telles affirmations sont quelque peu inattendues dans la bouche d'un candidat qui brigue l'accès à la plus haute fonction dans notre pays, et il faut tenter de comprendre la réelle signification de son message.
Sa démonstration, extrêmement habile, a pour objectif de plaider pour un monde ouvert où les nations disparaîtraient en se dissolvant dans le mondialisme.
Emmanuel Macron veut nous convaincre que la notion d'identité française est archaïque, et qu'il n'y a pas lieu de s'y accrocher. Dans son article il explique que les cultures évoluent en intégrant sans cesse de nouveaux apports étrangers, et il cite un certain nombre d'exemples : Joseph Kessel, Marie N'Diaye, Leila Slimani… pour ce qui est de la littérature française. Et il en est de même dans les arts. La culture française, nous dit-il, «n'a cessé de se réinventer». Il ne faut pas s'en étonner, d'après lui, puisque «le fondement de la culture française c'est de prétendre à l'universel». Toute sa démonstration a pour but de railler les tenants de l'invariance (de l'identité française) qu'il affuble de différents noms d'oiseaux : des «réactionnaires», des «aigris», des «rétrogrades». Bref des gens qui ne connaissent pas l'évolution du monde. Sa démonstration, extrêmement habile, comme toujours, peut en piéger plus d'un : elle a pour objectif de plaider pour un monde ouvert où les nations disparaîtraient en se dissolvant dans le mondialisme.
Le tour de passe-passe que nous joue Emanuel Macron dans cet article est monté comme tous les tours de prestidigitation où un habile manipulateur fait aux yeux de tous disparaître mystérieusement un objet pour en faire jaillir subitement un autre, au grand étonnement d'un public ébahi. Comment donc notre candidat à l'élection présidentielle procède-t-il dans son article? Il fait disparaître sous nos yeux sans que nous nous en apercevions la notion de «civilisation» pour lui substituer subrepticement celle de «peuple» .Et personne n'y voit rien: il s'agit tout simplement de mots, dont le public ne sait pas très bien d'ailleurs ce qu'ils signifient, et hop, le tour est joué. En avant donc pour cesser de défendre notre identité et nous fondre dans le magma d'une culture universelle.
Le concept de civilisation est fondamental en anthropologie, alors que celui de « peuple » inventé par Emmanuel Macron, n'existe pas.
Pour percevoir où se situe le piège, et le déjouer, il faut nous en référer à quelques notions simples d'anthropologie, cette branche passionnante des sciences humaines qui étudie comment l'homme vit en société. Le concept de civilisation est fondamental en anthropologie, alors que celui de «peuple» inventé par Emmanuel Macron, n'existe pas. Les anthropologues nous disent que l'histoire des hommes est celle des civilisations. Il faut donc bien comprendre ce qu'est une «civilisation.» L'anthropologue Rodolfo Stevenhagen nous dit : «C'est l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérise une société.» Et Spengler, de son côté, expliquait dans son fameux ouvrage sur le déclin de l'Occident : «Chaque civilisation est une expérience unique, un art, une science, une façon de penser, qui sont incompréhensibles en dehors de l'esprit qui l'anime» . Il faut bien voir qu'à l'intérieur de chaque civilisation il existe des cultures différentes : par exemple la culture en Europe des pays latins n'est pas la même que celle des pays du Nord, car les uns sont catholiques et les autres protestants : mais tous sont des chrétiens, et ces peuples relèvent de la même civilisation. Il ne faut donc pas confondre, ce que l'on fait très souvent, les concepts de «civilisation» et de «culture».
Dans le monde actuel il existe sur notre planète plusieurs civilisations : cinq civilisations différentes, selon les uns, sept, selon d'autres, et notre civilisation, la civilisation occidentale, est l'une d'elles, et sans doute la plus importante. Elle existe depuis le début de l'ère chrétienne. Dans le passé, il y eut diverses autres civilisations qui ont eu chacune leur heure de gloire, puis, un jour, ont décliné puis disparu.
Chaque civilisation, nous disent unanimement les anthropologues, est fondée sur une religion.
Chaque civilisation, nous disent unanimement les anthropologues, est fondée sur une religion : et ce constat est fondamental. Le christianisme, pour ce qui est de notre civilisation occidentale, l'islam, pour ce qui est de la civilisation musulmane, etc…. Notre civilisation, comme toutes les autres a, bien sûr, au cours du temps, évolué. Parmi les événements les plus marquants il y eut avec la Révolution française de 1789 ce que le philosophe Marcel Gauchet a appelé une «sortie de religion». Ce fut un virage très important, mais il n'a rien changé aux fondements de notre civilisation : les valeurs chrétiennes se sont simplement laïcisées, par réaction contre les pouvoirs abusifs que s'étaient arrogés sous l'ancien régime les membres du clergé catholique. Ces valeurs continuent à constituer la colonne vertébrale de notre civilisation. On a inscrit dans le marbre les trois valeurs fondamentales dans lesquelles se retrouvent tous les citoyens du pays : liberté, égalité, fraternité. Ce sont des valeurs chrétiennes, et la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789 est fondée, elle aussi, sur les valeurs amenées au monde par le christianisme.
Ce qui explique que dans l'évolution de toute civilisation il existe un certain nombre d'invariants, c'est le fait que chaque civilisation est, par définition, fondée sur une religion. Chaque fois les croyances religieuses ont instillé des valeurs et des manières de voir le monde, ainsi que de vivre ensemble qui sont spécifiques. Si l'on change ces valeurs qui ont été créatrices, on change de civilisation. Avec le remplacement que fait Emmanuel Macron du concept de «civilisation» par celui de «peuple», l'auteur de l'article se dégage des enseignements que nous donnent les anthropologues sur les racines des civilisations et sur l'évolution de celles-ci. Emmanuel Macron nous plonge ainsi dans le doute, et cela lui permet de plaider pour un univers mouvant où rien ne se perpétue. L'auteur veut nous accoutumer à l'idée que l'on s'achemine inéluctablement vers une civilisation mondiale où les peuples perdront leur identité et seront indifférenciés.
Soyons donc prudents pour ne pas tomber dans le piège ainsi tendu. Le philosophe Guy Coq, fondateur de la revue Esprit a expliqué qu'une civilisation devait avant tout «veiller aux causes internes de sa propre destruction». La thèse défendue par Emmanuel Macron dans son article est pernicieuse : elle relève de ces courants qui conduisent à la destruction d'une civilisation. Souvenons-nous de cet avertissement lancé au XVIIIème siècle par le philosophe italien Giambatista Vico : «L'adhésion aveugle à des convictions fausses présentées sous le couvert de vérités est la principale cause du déclin d'une civilisation».
Puisse cet avertissement être entendu par les princes qui, demain, nous gouverneront.
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Angus Deaton : « Les Blancs non diplômés sont les nouveaux persécutés » (18.06.2018)
Réputé pour ses travaux sur le bien-être des populations, l'économiste, Prix Nobel 2015, s'alarme de la hausse de la mortalité des Blancs américains.
Propos recueillis par Clément Lacombe et Thomas Mahler
Modifié le 18/06/2018 à 11:51 - Publié le 18/06/2018 à 07:00 | Le Point
Entrevue. « Le Point » a rencontré Angus Deaton le 15 mai, à Paris. Ce spécialiste de la microéconomie s’attache à étudier au plus près les comportements individuels.

Longtemps, on a lu Angus Deaton pour recevoir une dose d'optimisme. Pour se souvenir de la condition originelle de l'être humain, se rappeler combien la famine, la maladie et la mort ont été longtemps ses compagnons de route. Et mesurer combien le progrès et la science ont changé la vie de plusieurs milliards d'individus. Dans son essai La Grande Évasion (PUF, 2016), le Nobel d'économie aime, par exemple, expliquer qu'un enfant sur deux né aujourd'hui dans un pays riche pourrait être centenaire quand 20 % des filles nées aux États-Unisen 1910 sont mortes avant leur cinquième anniversaire e...

La laïcité: guillotine de l'islam républicain?
  • 7 AOÛT 2013


Un article du Monde daté du 5 août « dévoile » une nouvelle idée lumineuse du Haut Conseil à l’Intégration : interdire le port du voile (islamique bien sûr, quoi d’autre ?), cette fois à l’université.

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Un article du Monde daté du 5 août « dévoile » une nouvelle idée lumineuse du Haut Conseil à l’Intégration : interdire le port du voile (islamique bien sûr, quoi d’autre ?), cette fois à l’université.
Passons sur le fait que le HCI est un organisme public censé promouvoir l’intégration. Passons aussi sur le fait, évident, que si elle était traduite dans une loi, une de plus, celle-ci serait discriminatoire à l’encontre d’une catégorie de la population. Passons encore sur le fait que l’université n’est pas l’école, que les étudiants sont des personnes majeures, que leur liberté n’a pas vocation à y être entravée, conformément d’ailleurs à l’article 50 de la loi du 26 janvier 1984 qui reconnaît aux étudiants le droit d’exprimer, avec toutes les restrictions nécessaires (prosélytisme, troubles à l’ordre public, etc.), leurs convictions religieuses. Passons enfin sur le fait que les présidents d’universités n’ont jamais fait état de problèmes particuliers sur ce plan, ce qu’a d’ailleurs rappelé le président de la Conférence des Présidents d’Universités (CPU) Jean-Loup Salzmann.
Ce qui est intéressant dans cette nouvelle affaire, ce n’est pas tant cette nouvelle idée stupide, qui sera d’ailleurs rapidement enterrée, émanant d’un organisme qui se cherche de nouvelles raisons d’exister, que ce qu’elle révèle de ce que l’on nomme aujourd’hui « laïcité ».
De la loi proscrivant le port de signes religieux ostensibles à l’école en 2004 à la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, en passant par les innombrables polémiques autour de la viande halal dans les cantines ou des salariées des crèches privées comme dans l’affaire Baby-Loup, c’est en effet au nom de la laïcité que les pouvoirs publics et les responsables politiques ont prétendu agir.
En vérité, il faut bien le reconnaître, depuis 25 ans et la première affaire dite du « voile islamique » à Creil, c’est contre l’islam et les musulmans que le principe de laïcité a exclusivement fonctionné. En vérité, la laïcité est désormais en France le faux nez et l’argument apparemment consensuel d’une congrégation de hérauts qui, de l’extrême droite à l’extrême gauche, et pour des raisons différentes, ne supportent pas que l’islam, et l’islam seulement, gagne du terrain en France. Au mieux ceux-là agissent au nom d’une sécularisation intégrale de la société qui ensevelit toutes formes de croyances sous le tapis de la Raison républicaine, quand bien même celle-ci patauge. Au pire, ils brandissent l’étendard de la laïcité pour mieux masquer leurs arrière-pensées racistes ou, si l’on préfère, différentialistes.
Au fond, ce que l’on appelle aujourd’hui laïcité n’a plus rien de laïc. Il y a un siècle, la laïcité était un principe d’apaisement, d’équilibre, ainsi d’ailleurs que l’exprime la loi de 1905 dans ses deux premiers articles : la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes ; la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
Trois piliers fondaient ainsi cette laïcité « à la française ». D’une part, il s’agissait de faire en sorte que l’Etat, par sa neutralité et son impartialité, soit sécularisé et ne s’immisce plus dans les affaires religieuses, du seul apanage des Eglises, afin de mettre définitivement un terme à toute tentation césaro-papiste. D’autre part, la liberté de culte, corollaire de la liberté de conscience, ou d’opinion, consacrée par l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et chèrement acquise au cours de notre histoire, était garantie. Enfin, aucun culte ne l’emportait sur les autres : toutes les religions étaient réputées égales entre elles.
Un siècle plus tard, le seul pilier de la sécularisation demeure debout. Les autres ont volé en éclats. Aujourd’hui, c’est ainsi au nom de la laïcité que l’Etat, censé être impartial, tente de régenter les affaires musulmanes à travers le branlant CFCM et assomme la liberté de culte à l’aide d’une massue discriminatoire qui frappe toujours les mêmes visages, que ceux-ci soient d’ailleurs voilés ou non. Quant à l’égalité entre les cultes, il n’y a qu’à considérer les territoires du culte, les lieux où l’on prie, pour prendre acte du fait qu’elle n’est qu’un mythe.
Les raisons de ce renversement sont nombreuses. La religion musulmane est dynamique en France tandis que les autres religions s’essoufflent, en particulier la religion catholique, majoritaire. L’islam gagne en visibilité et, parce qu’il offre aux plus démunis un sens, une identité, une transcendance, il concurrence un idéal républicain qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Enfin, et il ne faut pas l’omettre, le radicalisme islamique qui prospère partout où il peut s’enraciner sur fond de misère et de relégation est une source d’effroi pour des opinions publiques fragilisées par la crise économique et la dissolution des repères traditionnels. L’islam radical est ultra-minoritaire en France, mais sa dramatique visibilité de par le monde trouble légitimement les consciences et biaise les perceptions.
Pour autant, ces peurs et incompréhensions, aussi légitimes soient-elles, doivent-elles conduire à inverser la portée de la laïcité pour en faire, au lieu d’un principe d’apaisement, un rempart contre l’islam ? La lutte nécessaire contre des pratiques religieuses extrémistes, à l’instar de la burqa, doit-elle se faire en mettant à l’index, si j’ose dire, une population entière dont une fraction importante subit de plein fouet le chômage et la pauvreté, avec pour conséquence de les marginaliser, et donc peut-être de les radicaliser davantage ?
De lois en polémiques, la laïcité est ainsi devenue l’euphémisme d’un athéisme idéologique qui se confond avec une islamophobie rampante, divise notre pays, les croyants des incroyants, les musulmans des autres.
Le problème, alors, n’est pas tant l’exercice d’une conviction religieuse que la liberté, celle de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer. Chacun doit comprendre que derrière ce bout de tissu que l’on appelle « voile islamique » se dissimule cette fragile lueur, toujours en péril, qui est au fondement de notre nation et fait que nous pouvons être fiers de ce que nous sommes : la liberté. Pour combien de temps encore ?

Emmanuel Macron : «Pourquoi nous sommes un peuple» (16.03.2017)

Par Emmanuel Macron
Mis à jour le 16/03/2017 à 18h29 | Publié le 16/03/2017 à 18h22
TRIBUNE - Le candidat à l'Élysée répond aux critiques qui lui sont adressées après sa déclaration affirmant qu'« il n'y a pas une culture française, il y a une culture en France, et elle est diverse ».
En quoi sommes-nous un peuple? Depuis plusieurs années, des groupes et des responsables politiques nous empêchent de répondre à cette question vitale pour la survie du projet français.
Les uns font leur nid au creux de notre identité. Leur premier combat fut de stigmatiser ceux qui ne leur ressemblaient pas et leur première victoire fut la naissance du ministère de l'Identité nationale. Alors que depuis toujours notre culture prétend à l'universel, ils l'ont réduite à une lignée. Alors qu'elle n'a cessé de donner aux individus les moyens de leur autonomie, ils l'ont enchaînée à une religion. Alors qu'elle s'est bâtie dans la richesse des formes et la pluralité des arts, ils l'ont rétrécie à un étroit corpus d'œuvres et d'auteurs.
Je crois qu'il est urgent de sortir de l'alternative mortifère dans laquelle nous nous sommes enfermés
D'autres tentent au contraire de renier et de dissoudre la Nation française. Ils croient à des particularismes indépassables et imaginent que leur religion, leur communauté et les lois qu'ils se donnent sont supérieures à la République. Eux aussi sont les promoteurs du repli, du déni et de l'enfermement. Ils ne voient pas que le communautarisme est l'autre nom du ghetto.
La crise qui dure est économique et sociale. Mais elle est également civilisationnelle et morale. C'est pourquoi je crois qu'il est urgent de sortir de l'alternative mortifère dans laquelle nous nous sommes enfermés.
Si les Français forment un peuple, ce n'est pas parce qu'ils partagent une identité figée et rabougrie.
Le fondement de la culture française, c'est une ouverture sans pareil. Notre culture est toujours parvenue à se dépasser elle-même, à voguer vers le neuf, l'imprévu, l'inconnu. Elle n'a cessé de se réinventer face à l'abîme, se portant toujours là où on ne l'attendait pas. C'est pourquoi le terme même d'identité ne peut être accolé à celui de «culture française». L'identité promue par nos réactionnaires, c'est l'invariance, la sèche continuité. «En art, il n'y a pas d'étrangers», disait Brancusi. C'est pourquoi j'ai pu dire qu'il n'existe pas une culture française, comme si l'on pouvait réduire tant de richesses à un visage unique, à une parole univoque, à une histoire uniforme. La culture française est un fleuve nourri de confluents nombreux, la rencontre de la tradition et de la modernité.
Le fondement de la culture française, c'est de prétendre à l'universel.
Si les Français forment un peuple, ce n'est pas non plus parce qu'ils coexistent passivement.
Le fondement de la culture française, c'est de prétendre à l'universel. Aller vers Hugo, Gide, Duras, Glissant ou Yourcenar, c'est l'inestimable opportunité donnée à chacun de vivre la vie des autres, de dépasser sa condition. C'est la raison pour laquelle la France est plus qu'une somme de communautés. Elle est cette idée commune, ce projet partagé, dans lesquels chacun, d'où qu'il vienne, devrait pouvoir s'inscrire.
Partir de ce que nous avons en commun: voilà le cœur de mon projet présidentiel.
Ce que nous avons en commun, d'abord, c'est la langue française. C'est elle, notre territoire. Savoir lire et écrire, ce n'est pas seulement augmenter ses chances de trouver un emploi. C'est d'abord s'enraciner en France, dans notre Nation. Parler français, penser en français, sentir en français est le viatique véritable pour tout individu désireux de s'inscrire dans la République. «Ma patrie, c'est la langue française», disait Albert Camus: c'est cette patrie qui nous fait grands, qui nous fait rayonnants. La langue française n'est pas un vecteur de rejet. Elle est la condition de notre projet. C'est pourquoi notre pays triomphe lorsque ses écrivains se nomment aujourd'hui Marie NDiaye, Leïla Slimani, Alain Mabanckou et hier Joseph Kessel, Henri Troyat, Guillaume Apollinaire. Et lorsqu'ils ne sont pas français, mais ont pour nom Léopold Sédar Senghor, Kateb Yacine, Ahmadou Kourouma, Salah Stétié, c'est que nous avons réussi à faire rayonner notre meilleure part.
Ce que nous avons en commun, ensuite, c'est l'héritage culturel de notre pays. Autant je veux lutter contre une conception de la culture comme identité qui exclut, comme monde fermé aux autres, autant je voudrais redire aux Français qu'ils doivent être fiers de leur héritage. Or, parcourant le pays depuis des mois, que vois-je? Je vois une France qui n'a pas renoncé à perpétuer les arts et les lettres qui l'ont faite si grande. Elle continue de s'enorgueillir de ses écrivains, de ses peintres, de ses architectes, de ses musiciens, qui forgent, façonnent, dessinent les contours et les reliefs de notre pays.
Ne croyons pas les professionnels du pessimisme, des regrets : la culture française conserve son rang parmi les nations.
Ce que nous avons en commun, enfin, c'est une ambition folle. Cette volonté d'accéder à l'universel est un projet qui nous dépasse. Il n'est pas une université au monde qui ne convie nos romanciers, pas une ville qui ne passe commande à nos architectes, pas un salon sans nos peintres, pas un concert sans que soient joués nos compositeurs. Ne croyons pas les professionnels du pessimisme, des regrets: la culture française conserve son rang parmi les nations. Elle reste ce modèle vers lequel tournent les yeux ceux qui cherchent un surcroît de sens. Elle est ce havre où la liberté de l'esprit est une réalité. Mais il y a plus. Dans ce monde qui change si profondément, qui menace d'effacer les frontières, de nous fondre de façon indistincte, notre culture est un atout maître. Par elle nous savons dialoguer avec le monde. Grâce à elle, nous savons que la puissance des valeurs est plus grande que les forces de l'argent. Avec elle, nous avons conscience que la diversité n'est pas une faiblesse mais une force.
Dans ce siècle qui prend forme sous nos yeux, la première exigence est de savoir ce que nous avons à faire ensemble. Ne nous laissons pas dissuader par les aigris et les rétrogrades. Regardons en face qui nous sommes, notre appartenance commune. C'est ainsi que nous pourrons nous dépasser, bâtir ensemble, comprendre le monde, influencer sa marche et faire entrer la France dans cette ère nouvelle.
La rédaction vous conseille :
Emmanuel Macron

Bérénice Levet : «Emmanuel Macron ne voit ni l'art, ni la culture, ni la France» (24.02.2017)

  • Mis à jour le 07/03/2017 à 18:42 

  • Publié le 24/02/2017 à 15:52
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A Londres, Emmanuel Macron a déclaré : «L'art français, je ne l'ai jamais vu». Pour la philosophe Bérénice Levet, le candidat d'En Marche révèle par cette formule qu'il est le héraut d'un multiculturalisme postnational.


Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie au Centre Sèvres. Elle a notamment publié La théorie du genre ou le monde rêvé des anges, publié chez Grasset en novembre 2014 et réédité en 2016 dans une version «Poche» chez Hachette, avec une préface inédite de Michel Onfray. Son dernier essai, Le crépuscule des idoles progressistes, vient de paraître chez Stock.

FIGAROVOX. - Après avoir déclaré à Lyon qu'«il n'y avait pas de culture française » car les cultures sont «plurielles », Emmanuel Macron, en visite à Londres, a surenchéri: «L'art français, je ne l'ai jamais vu ». Avez-vous déjà vu l'art français?
Bérénice LEVET. - Assurément. On ne se contentera pas d'égrener quelques noms mais malgré tout, donnons de la chair à cette réalité bien vivante qu'est l'art français. Il s'incarne dans les œuvres de Nicolas Poussin, Watteau, Fragonard, Ingres, Delacroix, Monet, Cézanne, Vuillard, Bonnard, Nicolas de Staël, Picasso.
Je conseillerai à Emmanuel Macron, notamment si l'élection présidentielle interrompait sa marche ou plutôt sa fuite en avant, - ce que l'on ne peut qu'espérer pour la France car confier ses destinées à un homme qui nie qu'elle ait quelque identité culturelle serait fort inquiétant , nous y reviendrons sans doute -, je lui conseillerai donc d'aller visiter le musée du Louvre, les salles du département des peintures françaises du XVIIe siècle, il y découvrira l'esthétique classique qui fait la spécificité des peintres de Louis XIII et de Louis XIV ; celles du XVIIIe qu'il gagnera à visiter escorté par les salons de Diderot.
Nietzsche a magnifiquement résumé l'esprit du XVIIe siècle qu'il admirait tant : ne jamais se laisser aller, même seul avec soi-même.
Il y a une unité et une continuité, une sorte de fil qu'on peut dévider depuis Fouquet jusqu'à Balthus. L'art français, écrit l'historien d'art André Chastel, «se tient à bonne distance de l'extravagance et du ‘'visionnaire'', l'émotion forte n'est pas leur fait. Le lyrisme est toujours un peu bridé (…) les troubles de l'émotion sont toujours filtrés à travers l'élégance rêveuse ou la dignité du ton».
Être français, soit dit en passant, devrait signifier se sentir les obligés de cette passion de la forme. Nietzsche a magnifiquement résumé l'esprit du XVIIe siècle qu'il admirait tant: ne jamais se laisser aller, même seul avec soi-même.
Cette peinture, son esthétique fait écho à notre philosophie, notre littérature, nos jardins dits précisément «à la française»: Descartes, Corneille, Racine, La Fontaine, Bossuet, Le Nôtre forment une seule et même constellation.
Quels rapports existent entre l'art et la nation?
Il n'est pas en France, de Tintoret, de Füssli, de Goya et, puisque M. Macron était en Angleterre, citons des peintres anglais, il n'est pas de Hogarth, pas de Gainsborough. Et c'est cela qui est exaltant, chaque esthétique nous dévoile, nous découvre, nous révèle des aspects du réel qui, lui, nous est commun.
Ce qu'ignore plus que tout Emmanuel Macron, c'est que les peintres eux-mêmes se sont plu à exalter notre drapeau tricolore.
Ce qu'ignore sans doute plus que tout Emmanuel Macron, c'est que les peintres eux-mêmes se sont plu à exalter notre drapeau tricolore. Dans Les couleurs de la France (Éditions Hoëbeke) , un ouvrage collectif consacré au drapeau français, paru en novembre 2016 mais passé quasi inaperçu - comme si un an après les attentats islamistes du Bataclan et des terrasses de café, brandir l'étendard national n'était plus de mise -, je recommande au candidat d'En Marche, là encore de s'arrêter et de lire l'essai de Jérôme Serri, «Le drapeau célébré par nos plus grands peintres»: «Il se pourrait bien, écrit l'ancien directeur du Fonds Régional d'Art Contemporain, que notre pays soit le seul au monde à posséder un drapeau dont la signification emblématique serait double. Symbole d'une révolution politique, il pourrait l'être d'une autre révolution, esthétique celle-là», hypothèse que l'auteur s'emploie à établir à travers une centaine de tableaux, depuis les impressionnistes jusqu'à Picasso.
Paris a été au XIXe siècle le lieu de révolutions picturales décisives pour tout l'art du XXe siècle.
On rappellera également, et l'exposition Chtchoukine qui se tient actuellement à Paris en offre une remarquable illustration, que Paris a été au XIXe siècle le lieu de révolutions picturales décisives pour tout l'art du XXe siècle, révolution de la couleur et de la lumière avec les impressionnistes, et révolution de la couleur et de la forme avec Cézanne. Malraux le rappelait, Au XVIIe siècle, les peintres faisaient le voyage de Rome. À la fin du XIXe et au début du XXe, tous feront celui de Paris.
Attention, qu'on ne mésinterprète pas mon propos. L'art, le grand art, a une portée universelle, il n'est pas le produit des lieux qui l'ont vu naître ; le peintre, le grand peintre n'est pas l'instrument par lequel le génie d'une nation s'exprimerait. C'est l'inverse qui est vrai, c'est dans les œuvres d'art que nous prenons conscience de nous-mêmes, de ce qui fait l'identité d'un peuple.
Jean-Jacques Aillagon a pris sa défense dans Le Figaro en remarquant: «Jean-Baptiste Lully n'est-il pas Florentin? Une grande partie de la grande aventure de l'art français du XXe siècle n'a t-elle pas été accomplie par des étrangers? (...) Cette prodigieuse diversité ne nous vient pas seulement des horizons lointains du monde». Cet argument est-il valide?
Non, cet argument n'est en rien valide. Assurément Chagall, Nicolas de Staël, Brancusi sont-ils des émigrés, mais lorsqu'ils choisissent de rejoindre Paris et nulle autre capitale, c'est l'admiration qui les meut. Paris s'impose alors, je l'ai dit, comme le lieu le plus favorable à l'exercice de leur art, elle a été la capitale des arts au XIXe siècle, avec l'impressionnisme, elle est le lieu de la révolution de la couleur, de la lumière, Manet, Monet, Renoir renouvellent notre appréhension du réel - qu'on relise Proust, et ce que le narrateur doit au peintre Elstir - et Cézanne vint, dont tous les courants picturaux du XXe siècle sont issus.
Ces peintres émigrés ne viennent pas «enrichir de leurs différences» l'art français, ils viennent déjà s'en nourrir et aspirent à lui donner une suite.
Le point essentiel ici, que Jean-Jacques Aillagon et Emmanuel Macron acquis à l'idéologie multiculturaliste ne parviennent plus à penser, est que ces peintres ne viennent pas «enrichir de leurs différences» l'art français, ils viennent s'en nourrir et aspirent à lui donner une suite. Les vertus d'humilité et de fidélité à une histoire sont premières chez les grands artistes. Ils se sentent d'abord les obligés des morts. «Ce sont nous, les peintres, disait Picasso, les vrais héritiers, ceux qui continuent à peindre» et il ajoutait: «un peintre a toujours un père et une mère, il ne sort pas du néant». Le dogme d'une créativité originelle leur est parfaitement étranger. Ils copient Poussin, Delacroix, Cézanne afin de pénétrer le secret de leur art, d'en déchiffrer l'énigme et c'est dans la confrontation avec les maîtres qu'ils découvrent leur originalité, si originalité il y a. Car contrairement à ce que l'égalitarisme contemporain veut nous faire accroire, le don de l'art est extrêmement rare.
À travers ces remarques, Emmanuel Macron ou ses proches ne font-ils pas le procès de l'assimilation et n'ouvrent-ils pas la voie au multiculturalisme?
Emmanuel Macron est totalement acquis à la conversion de la France au multiculturalisme. Même s'il n'utilise pas le mot, ses déclarations sur la culture, sur l'art sont éloquentes.
Il entend présider aux destinées de la France mais notre nation lui est parfaitement indifférente.
On pourrait les attribuer à de l'ignorance. Tellement infatué de lui-même, Emmanuel Macron ne se rendrait pas même compte qu'il laisse s'écailler le vernis de l'homme cultivé, philosophe, dont il aime à se recouvrir. Mais non, son propos est idéologique. Il sait ce qu'il fait. La France n'a pas d'identité, dit-il, elle n'est qu'un contenant.
Il entend présider aux destinées de la France mais notre nation lui est parfaitement indifférente. Ne nous laissons pas duper: c'est en touriste qu'il se réfère à Jeanne d'Arc, le passé ne l'oblige à rien. Il est résolu au contraire à couper les fils qui nous y relient encore, où il ne voit qu'entraves. Il est le candidat du postnational. Il a programmé l'obsolescence de la France, de la forme de vie proprement française.
C'est en touriste qu'Emmanuel Macron se réfère à Jeanne d'Arc, le passé ne l'oblige à rien.
On reproche à Emmanuel Macron de n'avoir pas de programme, mais que nous importe? Nous savons parfaitement dans quel monde il entend nous faire vivre. Il s'agit pour lui, d'«adapter la France à la marche du monde». Ce mot d'adaptation est redoutable: il signe la reddition avec ce que nous sommes, avec les exceptions françaises. Emmanuel Macron cite René Char mais il désarme tout esprit de résistance. Hannah Arendt parlait d'une «dégradante obligation d'être de son temps».
Être adapté à la marche du monde, exhorte E. Macron, c'est-à-dire à l'ultralibéralisme économique - l'ubérisation de tous les secteurs d'activité est son projet, la flexibilité, la précarité, l'instabilité son programme - mais non moins à l'ultralibéralisme dans le domaine des mœurs. La France sera parfaitement «adaptée» lorsqu'elle aura libéralisé la GPA, et autorisé la PMA pour tous, lorsque l'école ne sera plus du tout une école des savoirs - qui sont autant d'entraves à la maniabilité, à la flexibilité - mais, docile aux injonctions de l'O.C.D.E. et de son test PISA, des «compétences». Il est le candidat de la vie liquide telle que décrite par le philosophe Zygmunt Bauman.
Les mœurs françaises, la religion catholique, ne seront plus que des composantes parmi d'autres d'un pays qu'on continuera, par pur nominalisme, d'appeler la France.
Adaptation parfaite enfin, lorsque la France sera définitivement convertie au multiculturalisme, de là ses déclarations sonores et répétés sur la culture et l'art français qui n'existeraient pas, autrement dit, lorsqu'elle ne sera plus qu'une mosaïque de communautés vivant les unes à côté des autres, chacune selon ses mœurs, son calendrier et sous l'autorité, pour les unes des salafistes et des Frères musulmans. Les mœurs françaises, la religion catholique, ne seront plus que des composantes parmi d'autres d'un pays qu'on continuera, par pur nominalisme, d'appeler la France. L'identité française s'épuiserait dans la reconnaissance des droits de l'individu, et, bien entendu, de ses crimes!
Sa vision du monde est purement économique. Il envisage notre nation comme une start-up qui aurait besoin d'avoir à sa tête un jeune cadre supérieur, dynamique, souriant, «sympa», ouvert, accueillant.
On le prétend neuf, il incarnerait le renouveau mais il ne propose qu'une chose: parachever le processus bien en cours de déstructuration, de décomposition de la France selon le mot de Malika Sorel.
N'est-ce pas un constat trop pessimiste?
Sans vouloir dramatiser à l'excès, la situation de la France est grave.
Sans vouloir dramatiser à l'excès, la situation de la France est grave. Ces élections présidentielles sont les premières après les attentats qui nous ont frappés depuis 2015 et tout se passe comme s'ils n'avaient pas eu lieu. Les études, les témoignages se multiplient confirmant ce que François Hollande, réservant ses assauts de lucidité à ses visiteurs du soir, a appelé la «partition» de la France, et nous regardons ailleurs. Il faut lire toute affaire cessante La France Soumise, qu'a dirigée Georges Bensoussan. Une question devrait être au cœur de la campagne, celle des territoires perdus de la République et de leur reconquête. Or, cette reconquête suppose que nous renaissions comme nation, civilisation et que nous la donnions à connaître et surtout à aimer. Il est totalement irresponsable de travailler, ainsi que le fait Emmanuel Macron, dans le sens de l'effacement de l'identité nationale.
Bon nombre de Français sont choqués d'entendre dire que la culture, l'art français n'existent pas.
Bon nombre de Français sont choqués d'entendre dire que la culture, l'art français n'existent pas. Mais, il est non moins vrai qu'il est bien difficile de donner un contenu à cet héritage. Depuis la décennie 1970, nous vivons dans l'oubli et la disqualification de notre héritage, aussi devrions-nous nous saisir de cette occasion pour le rendre à sa vitalité et à sa fécondité. Cimenter le peuple français autour de ses peintres venus du plus lointain des siècles, de ses poètes, de ses romanciers en plus de ses grandes figures nationales. Cela a un nom, une politique d'assimilation, et d'assimilation pour tous, dans la mesure où, qu'ils soient de souche, comme on ne doit pas dire, ou non, il n'est plus d'héritiers de notre civilisation!
Notre patrimoine artistique et culturel est-il une curiosité de musée ou un élément vital pour la société?
L'identité nationale est une identité charnelle, c'est dans les œuvres littéraires, picturales, musicales que le génie français s'éprouve, le génie c'est-à-dire l'esprit singulier, unique d'une nation et sa grandeur. L'identité nationale est une identité sensible et pas seulement intellectuelle, c'est une sensibilité et les œuvres d'art en sont le vocabulaire. Hannah Arendt disait qu'elle était allemande par la grâce des poètes, de Goethe notamment. Lorsqu'il lui a fallu posséder la langue anglaise, elle s'est mise à l'école d'Emily Dickinson, de Yeats, de Conrad…
Dans cet essai, je formule un vœu, il serait grand temps de reconnaître un droit des peuples, et pas seulement des individus, à la continuité historique.
Vous venez de publier Le crépuscule des idoles progressistes. Placez-vous la candidature d'Emmanuel Macron dans le cadre de ce crépuscule?
En aucune façon. Au contraire. Emmanuel Macron entretient le culte de ces idoles du progressisme - la désaffiliation, l'affranchissement à l'égard du passé, le postnational… - il se refuse à comprendre que les peuples n'en veulent plus - notons au passage, et c'est accablant, qu'aucun des candidats à gauche ne prend en charge le besoin d'identité nationale, d'inscription dans un lieu, dans une histoire qui se fait de nouveau jour après avoir été disqualifié, criminalisé. Dans cet essai, je formule un vœu, il serait grand temps de reconnaître un droit des peuples, et pas seulement des individus, à la continuité historique.
Je n'ignore pas qu'Emmanuel Macron remplit les salles, qu'il exerce une certaine fascination mais il me semble que son succès doit être relativisé. C'est l'effet de loupe produit par les caméras braquées sur le phénomène Macron. Maintenant, s'il devait se retrouver au second tour face à Marine Le Pen, rien n'exclut qu'il l'emporte tant les imprécations morales diffusées par les médias qui, en dépit de tout garde le monopole de la parole légitime, seront sonores.
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Mathieu Bock-Côté : «L'homme sans civilisation est nu et condamné au désespoir» (29.04.2016)

  • Publié le 29/04/2016 à 19:36
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A l'occasion de la sortie de son nouveau livre,Mathieu Bock-Côté a accordé un entretien fleuve à FigaroVox. L'intellectuel québécois y proclame son amour de la France et fait part de son angoisse de voir le multiculturalisme détruire les identités nationales.


Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie et chargé de cours aux HEC à Montréal. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire (Boréal, 2007). Mathieu Bock-Côté est aussi chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique vient de paraître aux éditions du Cerf.

Propos recueillis par
Alexandre Devecchio@Alex_devecch

En tant que Québécois, quel regard portez-vous sur la société française?
Je m'en voudrais d'abord de ne pas dire que j'aime profondément la France et que j'hérite d'une tradition très francophile, autrefois bien présente chez nous, qui considère encore un peu votre pays comme une mère-patrie. La France, en un mot, ne nous est pas étrangère. Vous me pardonnerez ces premiers mots, mais ils témoignent de mon affection profonde pour un pays avec lequel les Québécois entretiennent une relation absolument particulière. En un mot, j'ai le sort de la France à cœur!
La pénétration de l'idéologie multiculturelle, que vous dénoncez dans votre livre, est-elle en France aussi forte que dans les pays d'Amérique?
Le multiculturalisme prend un visage tout à fait singulier au Canada. Au Canada, le multiculturalisme est inscrit dans la constitution de 1982, imposé de force au Québec, qui ne l'a jamais signé. Il a servi historiquement à noyer le peuple québécois dans une diversité qui le privait de son statut de nation fondatrice. Pierre Trudeau, le père de Justin Trudeau, était radicalement hostile au peuple québécois, à son propre peuple, qu'il croyait traversé par une tentation ethnique rétrograde. C'était faux, mais c'était sa conviction profonde, et il voulait désarmer politiquement le Québec et le priver de sa prétention à constituer une nation.
Dans l'histoire du Canada, nous étions un peuple fondateur sur deux. Avec le multiculturalisme d'État, on nous a transformés en nuance identitaire parmi d'autres dans l'ensemble canadien. Il faut rappeler ces origines oubliées du multiculturalisme canadien à ceux qui n'en finissent plus d'idéaliser un pays qui a œuvré à oblitérer sa part française.
Je vous donne au passage ma définition du multiculturalisme, valable au-delà du contexte canadien: c'est une idéologie fondée sur l'inversion du devoir d'intégration. Traditionnellement, c'était la vocation de l'immigré de prendre le pli de la société d'accueil et d'apprendre à dire nous avec elle. Désormais, c'est la société d'accueil qui doit se transformer pour accommoder la diversité. La culture nationale perd son statut: elle n'est plus qu'un communautarisme parmi d'autres. Elle devra toutefois avoir la grandeur morale de se dissoudre pour expier ses péchés passés contre la diversité.
C'est le pays du communautarisme décomplexé, c'est aussi celui où on peut prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la bénédiction des tribunaux et du premier ministre, qui y voit une marque admirable de tolérance.
Retour au Canada. Au fil du temps, le multiculturalisme canadien s'est autonomisé de sa vocation antiquébécoise et en est venu à représenter paradoxalement le cœur de l'identité canadienne. Il a remplacé ce qu'on pourrait appeler l'identité historique canadienne par une identité idéologique fondée sur la prétention. Ce qui tient lieu d'identité commune au Canada aujourd'hui, et cela plus encore depuis l'arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, que la France regarde étrangement d'un air enamouré, c'est le sentiment d'être une superpuissance morale, exemplaire pour l'humanité entière, une utopie réussie représentant non seulement un pays admirable, mais la prochaine étape dans le progrès de l'humanité.
L'indépendantiste québécois que je suis a un regard pour le moins sceptique devant cet ultranationalisme canadien qui conjugue la fierté cocardière et l'esprit post-moderne.
Plus largement, au Canada, le multiculturalisme sert de machine à normaliser et à banaliser les différences les plus extrêmes, les moins compatibles avec ce qu'on appellera l'esprit de la civilisation occidentale ou les mœurs occidentales. C'est le pays du communautarisme décomplexé, c'est aussi celui où on peut prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la bénédiction des tribunaux et du premier ministre, qui y voit une marque admirable de tolérance.
C'est le pays qui banalise sous le terme d'accommodements raisonnables un relativisme généralisé, qui peut aller très loin. C'est le pays où certains iront même jusqu'à dire que le niqab est peut-être même le symbole par excellence de la diversité canadienne, puisque son acceptation par les élites témoigne de la remarquable ouverture d'esprit de ceux qui le dirigent et des institutions qui le charpentent. Pour le dire autrement, le Canada pratique un multiculturalisme à la fois radicalisé et pacifié.
En France, le multiculturalisme semble moins agressif ...
Il domine aussi l'esprit public mais n'est pas nécessairement revendiqué par les élites, qui entretiennent, à travers la référence aux valeurs républicaines, l'idéal d'une nation transcendant sa diversité. On sait bien que la réalité est autre et que la référence républicaine s'est progressivement désincarnée et vidée de sa substance nationale depuis une trentaine d'années.
En fait, la France fait une expérience tragique du multiculturalisme. Elle se délite, se décompose sous nos yeux, et la plupart de mes interlocuteurs, ici, me confessent avoir une vision terriblement pessimiste de l'avenir de leur pays. J'ajoute, et je le dis avec tristesse, que les Français semblent nombreux, lorsque leur pays est attaqué, à se croire responsable du mauvais sort qu'ils subissent, comme s'ils avaient intériorisé pleinement le discours pénitentiel occidental, qui pousse nos nations à s'autoflageller en toutes circonstances.
Le multiculturalisme s'est imposé chez vous par une gauche qui, depuis le passage du socialisme à l'antiracisme, au début des années 1980, jusqu'à la stratégie Terra Nova, en 2012, a été de moins en moins capable de parler le langage de la nation, comme si cette dernière était une fiction idéologique au service d'une majorité tyrannique désirant écraser les minorités.
Il s'est aussi imposé avec l'aide des institutions européennes, qui sont de formidables machines à dénationaliser les peuples européens.
La droite, par ailleurs, toujours prompte à vouloir donner des gages au progressisme, a peu à peu abandonné aussi la nation, ou s'est du moins contentée de la définir de manière minimaliste en en évacuant l'histoire pour retenir seulement les fameuses valeurs républicaines.
Le multiculturalisme est tenté par ce qu'on pourrait appeler une forme de despotisme qui se veut éclairé.
Le multiculturalisme est la dynamique idéologique dominante de notre temps, et cela en Amérique du nord comme en Europe occidentale. Chez les élites, il suscite la même admiration béate ou la même passion militante. Il propose toujours le même constat: nos sociétés sont pétries de stéréotypes et de préjugés, elles sont fermées à la différence et elles doivent se convertir à la diversité pour enfin renaître, épurées de leur part mauvaise, lavées de leurs crimes. Pour emprunter les mots d'un autre, le multiculturalisme se présente comme l'horizon indépassable de notre temps et comme le seul visage possible de la démocratie.
La gauche européenne, en général, y voit d'ailleurs le cœur de son programme politique et idéologique.
Je note autre chose: le multiculturalisme est partout en crise, parce qu'on constate qu'une société exagérément hétérogène, qui ne possède plus de culture commune ancrée dans l'histoire et qui par ailleurs, renonce à produire du commun, est condamnée à entrer en crise ou à se déliter. Lorsqu'on légitime les revendications ethnoreligieuses les plus insensées au nom du droit à la différence, on crée les conditions d'une déliaison sociale majeure.
Mais devant cette crise, le multiculturalisme, loin de s'amender, loin de battre en retraite, se radicalise incroyablement. Pour ses thuriféraires, si le multiculturalisme ne fonctionne pas, c'est qu'on y résiste exagérément, c'est que les nations historiques, en refusant de s'y convertir, l'empêchent de transformer pour le mieux nos sociétés selon les termes de la promesse diversitaire.
Il faudra alors rééduquer les populations pour transformer leur identité et les amener à consentir à ce nouveau modèle: on cherche, par l'école, à fabriquer un nouveau peuple, ayant pleinement intériorisé l'exigence diversitaire. On cherchera à culpabiliser les peuples pour les pousser à enfin céder à l'utopie diversitaire.
C'est la tentation autoritaire du multiculturalisme, qui est tenté par ce qu'on pourrait appeler une forme de despotisme qui se veut éclairé.
Quels sont les points communs et différence avec la France?
L'histoire des deux pays, naturellement n'est pas la même. La France est un vieux pays, une vieille culture, une vieille civilisation qui se représente généralement comme un monde commun à transmettre et non comme une utopie à exporter, même si la révolution française a eu un temps cette tentation.
En un mot, la France a des ressources inouïes pour résister au multiculturalisme même si elle ne les mobilise pas tellement le discours culpabilisateur inhibe les peuples et les convaincs que l'affirmation de leur identité relève de la xénophobie et du racisme.
Mais encore une fois, il faut le dire, c'est le même logiciel idéologique qui est à l'œuvre. Il repose sur l'historiographie victimaire, qui criminalise les origines de la nation ou réduit son histoire à ses pages noires, sur la sociologie antidiscriminatoire, qui annihile la possibilité même d'une culture commune, dans la mesure où elle n'y voit qu'une culture dominante au service d'une majorité capricieuse, et sur une transformation de la démocratie, qui sera vidée de sa substance, dans la mesure où la judiciarisation des problèmes politiques et le transfert de la souveraineté vers le gouvernement des juges permet de désarmer institutionnellement un peuple qu'on soupçonne de céder au vice de la tyrannie de la majorité.
En un mot, si l'idéologie multiculturaliste s'adapte à chaque pays où elle s'implante, elle fait partout le même diagnostic et prescrit les mêmes solutions: c'est qu'il s'agit d'une idéologie, finalement, qui pose un diagnostic global et globalement négatif sur l'expérience historique occidentale.
Il serait quand même insensé que la civilisation française devienne optionnelle sur son territoire, certains pouvant s'en réclamer, d'autres pas, mais tous cohabitant dans une fausse harmonie que de vrais propagandistes nommeront vivre-ensemble.
Vous définissez aussi le multiculturalisme comme la créature de Frankenstein du marxisme. Mais cette idéologie est née dans les pays anglo-saxons de culture libérale. N'est-ce pas paradoxal?
Je nuancerais. Le multiculturalisme comme idéologie s'est développée au cœur des luttes et contestations qui ont caractérisé les radical sixties et les radical seventies et s'est alimenté de références idéologiques venant des deux côtés de l'Atlantique. Par ailleurs, de grands intellectuels français ont joué un rôle majeur dans la mise en place de cette idéologie, née du croisement d'un marxisme en décomposition et des revendications issues de la contre-culture. Michel Foucault et Alain Touraine, par exemple, ont joué un grand rôle dans la construction globale de l'idéologie multiculturaliste. En fait, je dirais que la crise du progressisme a frappé toutes les gauches occidentales. Chose certaine, il ne faut pas confondre l'idéologie multiculturaliste avec une simple expression globalisée de l'empire américain. C'est une explication trop facile à laquelle il ne faut pas céder.
En France, vieux pays jacobin qui a fait la révolution, le multiculturalisme reste contesté malgré la conversion de la majorité de nos élites …
Il est contesté partout, il est contesté au Québec, il est contesté en Grande-Bretagne, il est contesté aux États-Unis, il est aussi contesté chez vous, cela va de soi. Sur le fond des choses, le refus du multiculturalisme repose sur le refus d'être dépossédé de son pays et de voir la culture nationale transformée en identité parmi d'autres dans une citoyenneté mosaïque. Il serait quand même insensé que la civilisation française devienne optionnelle sur son territoire, certains pouvant s'en réclamer, d'autres pas, mais tous cohabitant dans une fausse harmonie que de vrais propagandistes nommeront vivre-ensemble.
Le drame de cette contestation, c'est qu'elle est souvent inhibée, disqualifiée ou criminalisée. La simple affirmation du sentiment national a longtemps passé pour de la xénophobie plus ou moins avouée, qu'il fallait combattre de toutes les manières possibles. D'ailleurs, la multiplication des phobies dans le discours médiatique, qui témoigne d'une psychiatrisation du débat public: on veut exclure du cercle de la respectabilité démocratique ceux qui sont attachés, d'une manière ou d'une autre, à l'État-nation.
On ne sortira pas de l'hégémonie multiculturaliste sans réaffirmer la légitimité du référent national, sans redonner ses lettres de noblesse à un patriotisme enraciné et décomplexé.
Devant Judith Butler, la tentation première est peut-être de s'esclaffer. Je comprends cela. Il faut pourtant prendre son propos très au sérieux, car sa vision des choses, et plus largement, du courant néoféministe qu'elle représente, est particulièrement efficace dans les milieux qui se veulent progressistes et craignent par-dessus tout de ne pas avoir l'air assez à gauche.
Depuis quelques années, on observe également en France la percée d'un féminisme identitaire qui semble tout droit inspiré de Judith Butler. Quelle a été son influence au Québec et plus largement en Amérique du Nord? Ce féminisme est-il une variante du multiculturalisme?
Ce féminisme est dominant dans nos universités et est particulièrement influent au Québec, surtout dans une nouvelle génération féministe très militante qui voit dans la théorie du genre l'expression la plus satisfaisante d'une certaine radicalité théorique qui est pour certains une drogue dure. La théorie du genre, en d'autres mots, est à la mode, très à la mode (et elle l'est aussi plus généralement dans les universités nord-américaines et dans les milieux culturels et médiatiques), et il est mal vu de s'y opposer. Il faut pourtant dire qu'elle est portée par une tentation nihiliste radicale, qui entend tout nier, tout déconstruire, au nom d'une liberté pensée comme pure indétermination. C'est le fantasme de l'autoengendrement. La théorie du genre veut éradiquer le monde historique et reprendre l'histoire à zéro, en quelques sortes, en abolissant la possibilité même de permanences anthropologiques.
On peut certainement y voir une autre manifestation de l'héritage des radical sixties et de l'idéologie diversitaire qui domine généralement les départements de sciences sociales et au nom de laquelle on mène la bien mal nommée lutte contre les discriminations - parce qu'à force de présenter toute différence à la manière d'une discrimination, on condamne toutes les institutions à la déconstruction. Devant Judith Butler, la tentation première est peut-être de s'esclaffer. Je comprends cela. Il faut pourtant prendre son propos très au sérieux, car sa vision des choses, et plus largement, du courant néoféministe qu'elle représente, est particulièrement efficace dans les milieux qui se veulent progressistes et craignent par-dessus tout de ne pas avoir l'air assez à gauche.
Les musulmans qui arrivent en Occident doivent accepter qu'ils arrivent dans une civilisation qui a longtemps été le monde chrétien, et où sur le plan symbolique, l'héritage chrétien conserve une prédominance naturelle et légitime.
Depuis les attentats de janvier 2015, le débat autour de l'islam divise profondément la France. Cette question est-elle aussi centrale en Amérique du Nord? Pourquoi?
Elle est présente, très présente, mais elle est l'est de manière moins angoissante, dans la mesure où les communautarismes ne prennent pas la forme d'une multiplication de Molenbeek, même si la question de l'islam radical et violent inquiète aussi nos autorités et même si nous avons aussi chez certains jeunes une tentation syrienne.
Mais la question du voile, du voile intégral, des accommodements raisonnables, se pose chez nous très vivement - et je note qu'au Québec, on s'inquiète particulièrement du multiculturalisme. Nos sociétés sont toutes visées par l'islamisme. Elles connaissent toutes, aussi, de vrais problèmes d'intégration.
Généralisons un peu le propos: partout en Occident, la question de l'Islam force les pays à se poser deux questions fondamentales: qu'avons-nous en propre, au-delà de la seule référence aux droits de l'homme, et comment intégrer une population qui est culturellement très éloignée, bien souvent, des grands repères qui constituent le monde commun en Occident?
Cela force, à terme, et cela de manière assez étonnante, plusieurs à redécouvrir la part chrétienne oubliée de notre civilisation. Non pas à la manière d'une identité confessionnelle militante, évidemment, mais tout simplement sous la forme d'une conscience de l'enracinement.
Les musulmans qui arrivent en Occident doivent accepter qu'ils arrivent dans une civilisation qui a longtemps été le monde chrétien, et où sur le plan symbolique, l'héritage chrétien conserve une prédominance naturelle et légitime.
Cela ne veut pas dire, évidemment, qu'il faille courir au conflit confessionnel ou à la guerre des religions: ce serait désastreux.
Mais simplement dit, la question de l'islam nous pousse à redécouvrir des pans oubliés de notre identité, même si cette part est aujourd'hui essentiellement culturalisée.
Le conservatisme rappelle à l'homme qu'il est un héritier et que la gratitude, comprise comme une bienveillance envers le monde qui nous accueille, est une vertu honorable. C'est une philosophie politique de la finitude.
L'islamisme et ses prétentions hégémoniques ne sont-ils pas finalement incompatible avec le multiculturalisme qui suppose le «vivre ensemble»?
L'islamisme a un certain génie stratégique: il mise sur les droits consentis par les sociétés occidentales pour les retourner contre elles. Il se présente à la manière d'une identité parmi d'autres dans la société plurielle: il prétend s'inscrire dans la logique du multiculturalisme, à travers lui, il banalise ses revendications. Il instrumentalise les droits de l'homme pour poursuivre l'installation d'un islam radical dans les sociétés occidentales et parvient à le faire en se réclamant de nos propres principes. Il se présente à la manière d'une identité parmi d'autres qui réclame qu'on l'accommode, sans quoi il jouera la carte victimaire de la discrimination. C'est très habile. À travers cela, il avance, il gagne du terrain et nous lui cédons. Devant cela, nous sommes moralement désarmés.
Il faudrait pourtant se rappeler, dans la mesure du possible, que lorsqu'on sépare la démocratie libérale de ses fondements historiques et civilisationnels, elle s'effrite, elle se décompose. La démocratie désincarnée et dénationalisée est une démocratie qui se laisse aisément manipuler par ses ennemis déclarés. D'ailleurs, au vingtième siècle, ce n'est pas seulement au nom des droits de l'homme mais aussi au nom d'une certaine idée de notre civilisation que les pays occidentaux ont pu se dresser victorieusement contre le totalitarisme. Du général de Gaulle à Churchill en passant par Soljenitsyne, la défense de la démocratie ne s'est pas limitée à la défense de sa part formelle, mais s'accompagnait d'une défense de la civilisation dont elle était la forme politique la plus achevée.
Comment voyez-vous l'avenir de la France. Le renouveau conservateur en germe peut-il stopper l'offensive multiculturaliste de ces 30 dernières années?
On dit que la France a la droite la plus bête du monde. C'est une boutade, je sais, mais elle est terriblement injuste.
Je suis frappé, quant à moi, par la qualité intellectuelle du renouveau conservateur, qui se porte à la fois sur la question identitaire et sur la question anthropologique, même si je sais bien qu'il ne se réclame pas explicitement du conservatisme, un mot qui a mauvaise réputation en France.
Je définis ainsi le conservatisme: une philosophie politique interne à la modernité qui cherche à la garder contre sa tentation démiurgique, contre la tentation de la table-rase, contre sa prétention aussi à abolir l'histoire comme si l'homme devait s'en extraire pour se livrer à un fantasme de toute puissance sociale, où il n'entend plus seulement conserver, améliorer, transformer et transmettre la société, mais la créer par sa pure volonté. Le conservatisme rappelle à l'homme qu'il est un héritier et que la gratitude, comprise comme une bienveillance envers le monde qui nous accueille, est une vertu honorable. C'est une philosophie politique de la finitude.
L'homme sans histoire, sans culture, sans patrie, sans famille et sans civilisation n'est pas libre : il est nu et condamné au désespoir.
Réponse un peu abstraite, me direz-vous. Mais pas nécessairement: car on aborde toujours les problèmes politiques à partir d'une certaine idée de l'homme. Si nous pensons l'homme comme héritier, nous nous méfierons de la réécriture culpabilisante de l'histoire qui domine aujourd'hui l'esprit public dans les sociétés occidentales. Ce que j'espère, c'est que la renaissance intellectuelle du conservatisme en France trouve un débouché politiquement, qui normalement, ne devrait pas être étranger à l'héritage du gaullisme. Pour l'instant, ce conservatisme semble entravé par un espace politique qui l'empêche de prendre forme.
Et pour ce qui est du multiculturalisme, on ne peut bien y résister qu'à condition d'assumer pleinement sa propre identité historique, ce qui permet de résister aux discours culpabilisants et incapacitants. Il faut donc redécouvrir l'héritage historique propre à chaque pays et cesser de croire qu'en l'affirmant, on bascule inévitablement dans la logique de la discrimination contre l'Autre ou le minoritaire. Cette reconstruction ne se fera pas en quelques années. Pour user d'une image facile, c'est le travail d'une génération.
Le multiculturalisme peut-il finalement réussir le vieux rêve marxiste de révolution mondiale? La France va-t-elle devenir les Etats-Unis ou le Canada?
À tout le moins, il s'inscrit dans la grande histoire du progressisme radical et porte l'espoir d'une humanité réconciliée, délivrée de ses différences profondes, où les identités pourraient circuler librement et sans entraves dans un paradis diversitaire. On nous présente cela comme une sublime promesse: en fait, ce serait un monde soumis à une terrible désincarnation, où l'homme serait privé de ses ancrages et de la possibilité même de l'enracinement. L'homme sans histoire, sans culture, sans patrie, sans famille et sans civilisation n'est pas libre: il est nu et condamné au désespoir.
En un sens, le multiculturalisme ne peut pas gagner: il est désavoué par le réel, par la permanence de l'authentique diversité du monde. Il pousse à une société artificielle de carte postale, au mieux ou à la décomposition du corps politique et au conflit social, au pire. Et il est traversé par une vraie tentation autoritaire, chaque fois. Mais il peut tous nous faire perdre en provoquant un effritement de nos identités nationales, en déconstruisant leur légitimité, en dynamitant leurs fondements historiques.
Et pour la France, permettez-moi de lui souhaiter une chose: qu'elle ne devienne ni les États-Unis, ni le Canada, mais qu'elle demeure la France.

Donald Trump avait raison: les migrants, arrivés massivement depuis 2015, sont responsables d’une augmentation significative de la criminalité en Allemagne (MàJ: Samuel Laurent présente son travail sur France5)
Par Francois le 23/06/2018
MàJ 23/06/2018
Samuel Laurent présente son travail de fact-checking sur le sujet à partir de 2:12

21/06/2018
Donald Trump s’est récemment fendu d’un tweet dans lequel il affirmait que la criminalité avait augmenté en Allemagne et suggérait que c’était dû à l’afflux de migrants à partir de 2015. Il a aussitôt été sévèrement critiqué dans la presse, aux États-Unis comme en France, au motif que cette affirmation serait fausse.
Il est exact que, d’après les derniers chiffres de la police fédérale allemande, la criminalité a baissé de manière significative en Allemagne l’année dernière. On voit cela très clairement sur ce graphique qui montre l’évolution du nombre de crimes enregistrés par la police depuis 2001. Par conséquent, à strictement parler, la déclaration du président américain est effectivement fausse, ce que se sont empressés de faire remarquer les médias.
Le nombre de crimes violents a augmenté de manière significative en Allemagne juste après l’arrivée des migrants et cette augmentation leur est à peu près entièrement imputable
En revanche, ces derniers ont montré beaucoup moins d’empressement à examiner la question de l’effet des migrants sur la criminalité en Allemagne, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. En effet, le fait que la criminalité a baissé en Allemagne l’an dernier ne veut pas dire que, toutes choses égales par ailleurs, les migrants n’ont pas augmenté la criminalité.
De fait, d’après les mêmes chiffres que les médias ont utilisé pour critiquer la déclaration de Donald Trump, le nombre de crimes violents a augmenté de manière significative en Allemagne juste après l’arrivée des migrants et cette augmentation est à peu près entièrement imputable à ces derniers.
En effet, en 2016, le nombre de crimes violents enregistrés par la police avait augmenté d’environ 6,7%, alors qu’il n’a baissé que d’environ 2,3% en 2017. On peut constater ce phénomène sur le graphique suivant, qui montre l’évolution du nombre de crimes violents enregistrés par la police depuis 2001.
«La radicalisation religieuse n'est pas le fruit de facteurs sociaux ou économiques» (01.06.2018)

  • Publié le 01/06/2018 à 20:04

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Face aux théories de la «victimisation», le sociologue Olivier Galland démontre dans ses travaux que la radicalisation religieuse chez les lycéens est d'abord produite par le rapport à la violence et l'exposition aux théories du complot.

Olivier Galland est sociologue et directeur de recherche au CNRS. Il a codirigé une grande enquête sur la radicalité des lycéens, lancée à la suite des attentats de 2015.

FIGAROVOX.- Les résultats de votre enquête sur la tentation radicale de la jeunesse ont fait couler beaucoup d'encre. Beaucoup d'observateurs ont salué votre travail, d'autres l'ont vivement critiqué. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d'avoir construit «un dossier à charge contre l'islam»?
Olivier GALLAND.- Les résultats de notre enquête sont en décalage avec beaucoup de travaux qui ont été menés en France sur les jeunes d'origine immigrée ou les jeunes musulmans. Ces travaux ont essentiellement analysé cette jeunesse sous l'angle des discriminations qu'elle subit (qui sont réelles). Sous ce seul angle, soit ils ignorent la question de la radicalité, soit ils l'analysent comme le simple résultat de la victimisation. Or notre enquête montre que les choses sont beaucoup plus compliquées et que la radicalité religieuse ne semble pas avoir sa racine, dans la population lycéenne sur laquelle nous avons enquêté, dans un sentiment aigu de victimisation. C'est évidemment très dérangeant. Quant à l'accusation d'avoir construit un dossier à charge contre l'islam, elle ne repose sur aucun élément tangible, c'est un pur procès d'intention. Nous avons pris grand soin au contraire de construire un protocole méthodologique aussi objectif et neutre que possible. Cette exigence était d'ailleurs contenue dans l'idée que nous avons eue dès le départ de conduire une enquête comparative, en interrogeant des jeunes de différentes croyances et de différentes origines. De ce fait nous étions tenus de construire des questions religieusement «neutres», c'est-à-dire qui puisse être adressées à des jeunes de toutes croyances.
On vous reproche notamment d'avoir privilégié dans votre échantillonnage les lycées à fortes populations musulmanes… Pourquoi ce choix?
Il faut se rappeler le contexte dans lequel a été engagée cette recherche. Elle a fait suite à un appel à propositions du président du CNRS de l'époque, Alain Fuchs, après les attentats de 2015, pour engager des travaux sur ces questions de la radicalité. Il est indéniable qu'en France et dans le monde un extrémisme religieux, parfois sanglant, s'est développé au nom de l'islam. Ça ne veut pas dire évidemment que l'ensemble des musulmans ou même qu'une grande partie d'entre eux y adhère, mais il serait absurde de nier qu'il y a un lien entre une certaine conception de l'islam, fondamentaliste, et des formes de radicalité et de violence. Pour autant, on n'a pas d'idée précise du degré auquel la population musulmane partage ces idées. C'était précisément l'objet de cette recherche d'essayer d'y voir plus clair en menant une enquête de grande ampleur (près de 7 000 jeunes interrogés).
La radicalité religieuse ne semble pas avoir sa racine dans un sentiment aigu de victimisation.
Pour mener à bien ce projet, il fallait donc bien interroger des jeunes de confession musulmane! Sinon, il fallait renoncer à conduire cette recherche! Est-ce ce que proposent nos détracteurs? Par ailleurs, comme je l'ai déjà dit, nous n'avons pas interrogé que des musulmans: notre échantillon comprend 1 753 musulmans, mais également 1 609 catholiques ou protestants, 2 814 lycéens qui se déclarent sans religion et 163 qui déclarent une autre religion. Notre échantillon est donc religieusement diversifié et permet, encore une fois, de comparer les opinions des jeunes qui affichent ces différentes orientations religieuses.
Vous écrivez que les fondamentalismes chrétiens ou juifs sont circonscrits à des populations très restreintes et localisés dans des lieux spécifiques. À l'inverse, le fondamentalisme musulman est-il un phénomène d'ampleur? Peut-on renvoyer dos à dos les jeunes de la Manif Pour Tous et les jeunes islamistes salafistes?
Nous avons pris soin de répliquer l'enquête auprès d'un échantillon représentatif des 15-17 ans. Et les résultats montrent bien que l'absolutisme religieux (nous avons utilisé cette notion de préférence à celle de fondamentalisme, mais elles sont proches) est effectivement très faiblement répandu dans la population des jeunes chrétiens: moins de 3 % des jeunes de 15-17 ans se déclarant chrétiens sont «absolutistes». C'est donc chez les jeunes chrétiens un phénomène marginal. Il ne l'est pas chez les musulmans puisque dans le même échantillon représentatif 26 % se classent parmi les absolutistes. Dans l'échantillon «lycéens» le rapport entre l'adhésion des musulmans et des chrétiens à l'absolutisme est du même ordre: 32 % pour les premiers, 6 % pour les seconds. Nous aurions certainement obtenu des résultats très différents aux États-Unis où le créationnisme protestant semble être un phénomène significatif. Ces protestants créationnistes auraient certainement répondu comme nos absolutistes musulmans qu'il y a «une seule vraie religion» et que la religion a raison contre la science pour expliquer la création du monde. Mais le fait est que cette orientation religieuse dans le monde chrétien en France est quasi-inexistante.
La question du rapport entre religion et science est très importante à nos yeux, car elle exprime bien l'idée que la religion domine le monde séculier. Cette conviction nous semble être d'un registre différent d'un simple traditionalisme religieux. D'ailleurs, l'Église catholique, par la voix de ses plus hautes autorités et de deux papes réputés conservateurs, Jean-Paul II puis Benoit XVI, a bien distingué entre le domaine de la science et le domaine de la religion, ce qui n'est évidemment pas le cas des musulmans fondamentalistes qui pensent que toute la science moderne existe déjà dans les versets coraniques.
Quant aux juifs ils sont malheureusement trop faiblement représentés dans notre échantillon - du fait simplement de leur faible poids dans la population d'ensemble - pour que nous puissions dire quelque chose de solide à leur sujet. Nous ne prétendons d'ailleurs pas avoir cerné la totalité des manifestations de radicalité.
Vous-même, vous semblez mettre la «radicalité politique» de Marine Le Pen sur le même plan?
Non, nous montrons bien au contraire que la radicalité religieuse et la radicalité politique concernent des populations différentes et obéissent à des facteurs spécifiques. La radicalité politique de rupture par exemple semble plus présente dans les lycées professionnels et être associée à une faible intégration scolaire et à une filiation de gauche, facteurs qui ne sont pas liés à la radicalité religieuse. Par ailleurs, il faut distinguer extrémisme politique et radicalité politique. À son stade ultime, la radicalité politique est liée à la justification (et à l'usage) de la violence. Mais tout extrémiste n'est pas violent (de même que tout absolutiste ou fondamentaliste religieux n'est pas violent). Précisément le seul point commun entre la radicalité religieuse et la radicalité politique à leur degré extrême, c'est la justification de la violence.
Ce qu'on ne vous pardonne pas également, c'est de minorer l'impact des facteurs économiques et sociaux dans le processus de radicalisation. Ne jouent-ils pas, malgré tout, un rôle?
C'est effectivement un résultat fort de notre enquête: ni le statut social des familles, ni même les perspectives subjectives des jeunes relatives à leur avenir professionnel, n'ont d'impact sur leur degré d'adhésion à des idées religieuses radicales. D'après nos résultats, la théorie de la victimisation semble donc invalidée (mais il faudrait bien sûr mener d'autres enquêtes). Apparemment, le processus qui mène à la radicalité religieuse n'est pas produit par l'exclusion économique. Mais, attention, nous avons travaillé sur l'adhésion à des idées, et pas du tout sur le passage à l'acte. Ce qui peut déterminer le passage à l'acte est donc peut-être de nature différente. Nous ne pouvons rien dire à ce sujet. Il nous semble bien néanmoins que la radicalité religieuse liée à l'islam est bien plus aujourd'hui un phénomène culturel et idéologique qu'un phénomène socioéconomique.
Les facteurs religieux et identitaires sont primordiaux. Qu'entendez-vous par «identitaire»?
Des travaux précédant le nôtre, celui d'Angel Rabassa et de Chery Benard par exemple, ont bien mis en évidence le rôle de l'adhésion à l'Umma, la communauté universelle des musulmans, comme source alternative d'identité pour des jeunes musulmans qui se sentent détachés de la culture occidentale. Dans le processus de radicalisation, aspects religieux et aspects identitaires se mêlent donc étroitement et il est difficile de les distinguer.
La tolérance à l'égard de comportements violents est fortement associée à la justification de violence spécifiquement religieuse.
Vous faites également apparaître un autre facteur: le rapport à la violence… La violence est-elle banalisée dans une partie de la jeunesse?
Notre enquête met effectivement en évidence le fait que la tolérance à l'égard de comportements violents ou déviants dans la vie sociale ordinaire est fortement associée à la justification de violence spécifiquement religieuse. Cette dernière n'obéit donc pas qu'à des motifs religieux, même s'ils sont très importants. Elle atteint son niveau le plus élevé lorsque les facteurs idéologiques et religieux se combinent à une tentation pour la violence en tant que telle. Et nous avons été effectivement frappés de constater dans notre échantillon de lycéens que le niveau de tolérance à l'égard de ces comportements violents ou déviants est élevé: par exemple, 14 % de nos lycéens trouvent «acceptable dans certains cas» de «voler quelques jours un scooter», 36 % de «conduire sans permis», 20 % de «dealer un peu de haschich», 34 % de «participer à une action violente pour défendre ses idées»… Il semble donc bien qu'une certaine banalisation de ces actes violents ou déviants se soit répandue dans une partie, certes minoritaire mais significative, de la jeunesse. C'est inquiétant.
Les thèses complotistes aussi?
C'est même beaucoup plus massif. Les jeunes semblent tout d'abord avoir perdu confiance dans les médias traditionnels. Par exemple, dans notre enquête, 68 % des lycéens sont d'accord avec l'idée que «les médias n'ont pas dit toute la vérité au sujet des attentats» et pour se faire une idée à ce sujet seuls 35% disent «faire d'abord confiance aux médias français». Les jeunes considèrent donc qu'ils doivent construire eux-mêmes leur propre vérité ce qui peut les rendre perméables aux théories du complot qui, en outre, sont très présentes ans les films ou séries pour ados. Et de fait, une petite moitié de l'ensemble des lycéens et 64% des musulmans pensent que les attentats du 11 septembre ont pu être organisés par la CIA. Cependant cette adhésion n'est pas une adhésion aveugle (seuls 7 % pensent que «c'est tout à fait vrai»), les jeunes pratiquent le doute systématique, corollaire de leur perte de confiance dans la parole officielle. Pour combattre ce doute il serait urgent, notamment dans le cadre scolaire, de plus les écouter, de plus dialoguer, d'organiser des débats argumentés etc…
Le mot «respect» ressort de votre enquête. Que signifie-t-il aujourd'hui pour les jeunes interrogés?
Ce mot de «respect» est effectivement un mot-clé de la parole des jeunes. Le respect signifie d'abord le respect de mes convictions ou de mes croyances personnelles. Comme je le disais les jeunes construisent leur propre vérité et ils considèrent que cette vérité, toute personnelle (ou du moins ressentie comme telle), les définit entièrement. Y porter atteinte, la dénigrer, est donc ressenti comme une mise en cause profonde de l'identité individuelle. Par exemple, critiquer la religion n'est pas simplement ressenti par les jeunes musulmans comme une attaque contre quelque chose de sacré, c'est aussi vécu comme une atteinte personnelle. L'un d'entre eux nous a dit, «c'est comme si on se moquait d'un handicapé» pour souligner qu'il le ressentait comme une stigmatisation insupportable. Dans les mots des jeunes, c'est «un manque de respect».
Une partie des sociologues français restent marqués par la conception marxiste des rôles respectifs de l'infrastructure et de la superstructure.
Dans Le Débat, vous dénonciez «la sociologie du déni». Les réaction à votre enquête témoignent-elles finalement de la dérive idéologique des sciences sociales?
Les réactions à notre enquête ne sont heureusement pas tout d'une pièce. Certains collègues ont apprécié notre travail, d'autres non. Mais il est vrai qu'un certain nombre de critiques se sont focalisées sur un registre idéologique en nous prêtant, à tort, des intentions cachées. Il nous semble que ces intentions idéologiques ou politiques sont plutôt du côté de ceux qui veulent nous enfermer dans cet affrontement binaire. Il me semble qu'une partie des sociologues français restent marqués par la conception marxiste (même si Marx n'est plus cité) des rôles respectifs de l'infrastructure (la base matérielle de la société) et de la superstructure (sa base idéologique) dans laquelle cette dernière n'est que le résultat de la première. Prétendre ainsi, comme nous le faisons, que la religion (ou la politique) puisse exercer un effet propre sur la société, indépendamment des conditions matérielles, apparaît comme une hérésie et est combattu avec virulence. C'est notamment ce qui s'est passé avec notre ouvrage.

Des voleurs de voitures pillaient l'usine Peugeot de Montbéliard (22.06.2018)

  • Publié le 22/06/2018 à 19:02
Un trafic de voitures volées, majoritairement à l'usine PSA Peugeot-Citroën de Montbéliard (Doubs), pour être envoyées au Maghreb, a été démantelé à Mulhouse.
Après plusieurs mois d'enquête, la police judiciaire de Mulhouse a interpellé mardi et mercredi dernier cinq personnes d'une cinquantaine d'années, des «délinquants aguerris» tous connus des services de police, a appris Le Figaro auprès d'une source proche du dossier. Les cinq individus étaient suspectés d'être à l'origine d'un trafic de voitures volées à l'usine PSA Peugeot-Citroën de Montbéliard. «Une vingtaine de véhicules, essentiellement des Peugeot 3008, sorties de l'usine sans effraction», a précisé la même source. Un porte-parole du groupe PSA confirme au Figaro qu'il y a eu des vols «récemment» et que le groupe a porté plainte dans cette affaire.
Sur les cinq personnes arrêtées, une a été remise en liberté à l'issue de sa garde à vue et les quatre autres ont été mises en examen, pour association de malfaiteurs, vols et recel de vols. Trois d'entre elles ont été écrouées et la quatrième placée sous contrôle judiciaire.
L'enquête devra déterminer où se trouvent désormais les véhicules concernés, comment ce vol a pu survenir et si les malfaiteurs ont bénéficié de complicités internes. L'un des interpellés était déjà connu des services de police pour des faits similaires à Sochaux. Il maquillait des voitures volées puis les revendait, notamment au Maghreb.
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Le «plus important réseau de trafic de stupéfiants» de Marseille démantelé (22.06.2018)

  • Mis à jour le 23/06/2018 à 11:09 

  • Publié le 22/06/2018 à 13:45
Les autorités policières de Marseille ont annoncé avoir procédé au démantèlement du «plus important réseau de trafic de stupéfiants de Marseille» Huit personnes ont été écrouées.
VIDÉO - L'opération s'est produite dans la cité de la Castellane, dans les quartiers nord. Huit personnes ont été écrouées.
Les autorités policières de Marseille ont annoncé ce vendredi avoir procédé au démantèlement du «plus important réseau de trafic de stupéfiants de Marseille», selon eux, celui de la cité de la Castellane, située dans les quartiers nord. Huit personnes ont été écrouées. Ce coup de force a été rendu possible grâce à une année d'enquête.
Lundi, quelque 250 forces de polices, dont 150 de la police judiciare, ont effectué un gros coup de filet dans les tours de la cité du 15e arrondissement de Marseille. Vingt personnes ont été interpellées, a indiqué le directeur interrégional de la police judiciaire Éric Arella au cours d'un point presse. Ce dernier a ajouté qu'il s'agirait, selon lui, du premier point de vente de stupéfiants de Marseille avec un «chiffre d'affaires» estimé de 40.000 à 50.000 euros par jour, pour quelque 900 clients quotidiens. Des clients qui achètent «au détail» mais aussi des trafiquants qui viennent «jusque des Alpes-Maritimes» se fournir, a détaillé Eric Arella.
Deux cents kilos de résine de cannabis, neuf armes dont deux kalachnikovs, une grenade, deux gilets pare-balles, ainsi que 30.000 euros. Dix-sept personnes, dont trois femmes, ont été présentées à un magistrat instructeur. Huit d'entre eux ont été mises en examen et placées en détention provisoire pour «trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs, et infraction à la législation sur les armes», a indiqué le procureur de la République Xavier Tarabeux.
Une «tête de réseau» fait partie des personnes écrouées
Le parquet avait requis la mise en examen de treize personnes. Il a fait appel pour les cinq personnes non mises en examen. Eric Arella annonce également qu'une «tête de réseau» fait partie des personnes écrouées. Deux des interpellés faisaient déjà l'objet d'un mandat d'arrêt après leur condamnation à 5 et 6 ans de prison le 12 décembre 2017 pour trafic de stupéfiants, selon le procureur de la République.
Dans la cité phocéenne et ses environs, le trafic de drogue est à l'origine de nombreux règlements de compte. En 2018, douze personnes sont mortes par balle dans des conflits liés au trafic de drogue. «Dans ce contexte particulier, il est important que toute l'information soit centralisée», a estimé Eric Arella, soulignant que les arrestations de lundi étaient le fruit d'un «pilotage renforcé mis en place en 2015 avec la Direction départementale de la sécurité publique, grâce auquel des infos remontent au fil de l'eau». Également, entre 2013 et 2016, plusieurs opérations policières ont déjà été menées pour démanteler les trafics à la Castellane qui compte 7000 habitants, avec près de 80 personnes écrouées.
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L'UE s'écharpe sur la question migratoire (22.06.2018)

  • Mis à jour le 23/06/2018 à 14:36 

  • Publié le 22/06/2018 à 19:25
Migrants : l'Italie crée une menace sur les sauvetages de l'Aquarius
Le navire de sauvetage français Aquarius, prévient que le fait de ne pas pouvoir débarquer à Malte ou en Italie réduirait "dramatiquement" les capacités de sauvetage.
Le groupe de Visegrad a décidé de boycotter le mini-sommet organisé dimanche à Bruxelles.
Il ne faut parfois qu'un instant pour qu'un mur, fissuré depuis longtemps, s'écroule d'un coup. Et nul doute que le mini-sommet organisé en catastrophe dimanche par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, ne suffira pas à le remettre debout. Pour éteindre le feu qui ronge les fondations de l'Union depuis la crise de l'Aquarius, et plus généralement depuis 2015, une dizaine de pays européens ont prévu de se réunir à Bruxelles et de proposer des solutions d'urgence à la crise migratoire, qui va écraser l'ordre du jour du conseil européen des 28 et 29 juin. Mais l'espoir de parvenir à un projet commun paraît bien faible, tant les divisions entre pays membres sont béantes.
"Lèpre nationaliste " : Macron insulte-t-il les peuples ?
Débat sur le plateau de Points de Vue après le discours d'Emmanuel Macron à Quimper .
Il est de coutume, dans certains sommets internationaux, de préparer le communiqué final avant le début de la réunion. Cette habitude s'accorde de moins en moins bien avec la brusque accélération de l'histoire à laquelle nous assistons sur la planète depuis quelque temps. Elle a provoqué jeudi la révolte du nouveau gouvernement italien, qui a menacé de boycotter le mini-sommet européen dont les conclusions étaient selon lui «déjà écrites» par les Français et les Allemands, qui recherchent activement un consensus sur la question.
Dans ces cas-là, «mieux vaut économiser l'argent du voyage», a affirmé Matteo Salvini. L'influent ministre d'extrême droite de l'Intérieur ne protestait pas seulement contre la forme, mais aussi contre le fond. Le projet de conclusion de la réunion ne traitait pas suffisamment selon lui la question de la protection des frontières européennes et insistait trop sur le redéploiement des migrants entre pays de l'UE, respectant le règlement européen de Dublin. Première terre d'accueil pour les migrants arrivant de Méditerranée, l'Italie exige qu'ils soient répartis de manière permanente entre les pays de l'UE. Il a fallu qu'Angela Merkel retire l'ébauche de texte pour que Rome renonce à boycotter la réunion.
«Mécanisme de solidarité efficace»
Ce n'est pas le cas du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), qui, lui, a confirmé qu'il ne participera pas à la réunion de dimanche, considérée comme une manifestation de soutien à la chancelière allemande. Réunis à Budapest jeudi, ces quatre pays ont contesté la légitimité de cette rencontre et réservé leur présence au sommet régulier des 28 à la fin du mois. Ils refusent catégoriquement le projet de «mécanisme de solidarité efficace», qui imposerait une répartition obligatoire des migrants entre les pays membres. Cette politique des quotas, que Bruxelles tente en vain de leur imposer depuis plus de deux ans, a durci leur ligne sur la question migratoire. Après s'être vus reprocher leur attitude hostile à l'immigration par Berlin et ses alliés, ils veulent aujourd'hui renverser la table, inverser la vapeur et imposer leur propre vision de la question migratoire aux pays d'Europe Occidentale. Loin de se calmer, la rébellion semble au contraire grossir tous les jours. Elle menace de tout emporter, comme une avalanche déclenchée par une dernière chute de neige.
Migrants : l'Italie crée une menace sur les sauvetages de l'Aquarius
Le navire de sauvetage français Aquarius, prévient que le fait de ne pas pouvoir débarquer à Malte ou en Italie réduirait "dramatiquement" les capacités de sauvetage.
Initialement censé trouver un compromis pour faire avancer le dossier des migrations, le sommet européen des 28 et 29 juin est depuis la crise de l'Aquarius noyé dans le pessimisme et les doutes. Il y a peu de chances que le mini-sommet de dimanche joue son rôle de sas de décompression. Aux divergences entre blocs géographiques européens, aux oppositions entre les élites et les peuples s'est rajoutée cette semaine une fracture au sein même des gouvernements, depuis la formation d'un «axe» anti-immigration entre les ministres de l'Intérieur d'Autriche, d'Italie et d'Allemagne. À Berlin, la crise des migrants menace l'alliance des conservateurs d'Angela Merkel avec leurs partenaires bavarois de la CSU. Anticipant un échec du sommet des 28 et 29 juin, la chancelière allemande a reconnu qu'il «n'y aura pas de solution» européenne sur la question à la fin du mois.
Emmanuel Macron défend lui aussi une position médiane. Il s'est élevé jeudi tout à la fois contre «la lèpre qui monte en Europe», le «nationalisme qui renaît» et les «donneurs de leçons» qui veulent «accueillir tout le monde» sans voir «les fractures de la société française». Reste à savoir s'il n'est pas trop tard pour pouvoir imposer aux Européens une solution du juste milieu. L'Italie aussi veut faire «entendre sa musique à Bruxelles». Et Rome la joue de plus en plus fort.L'existence de l'UE «se décidera dans l'année» prévient Matteo Salvini, le ministre de l'Intérieur.
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Son école inaugurée, Marion Maréchal (re)fait vœu de silence médiatique (22.06.2018)

  • Mis à jour le 22/06/2018 à 21:09 

  • Publié le 22/06/2018 à 17:48
LE SCAN POLITIQUE - «Tant que je serai à la tête de cette école, je m'interdirai de faire de la politique politicienne», a assuré la nièce de Marine Le Pen, qui lançait l'Issep, ce vendredi, à Lyon.
Une célébration peut en cacher une autre. À Lyon ce vendredi, Marion Maréchal fêtait deux choses. L'inauguration de sa nouvelle école, l'Issep, qui accueillera ses premiers étudiants à la fin du mois de septembre prochain dans le quartier de la Confluence. Mais également la fin de son éphémère retour
médiatique, qui n'a eu pour objectif, assure-t-elle, que de «populariser» son nouvel établissement auprès de ses futurs étudiants, professeurs et bien sûr investisseurs.
Avec 60 pré-inscriptions d'élèves pour son magistère, 160 pour sa formation continue, et quelque 120 candidatures spontanées d'enseignants, l'Institut des sciences sociales, économiques et politiques «a désormais tous les moyens humains pour réussir», s'est réjoui la jeune directrice générale lors d'une conférence de presse dans les locaux de son école avant d'annoncer en petit comité sa volonté «de revenir au silence médiatique dès ces prochains mois.» Pas tout à fait innocente dans sa décision de quitter la vie politique en mai 2017, l'aversion de Marion Maréchal pour la lumière médiatique ne semble pas avoir perdu en intensité. «Il y a des gens qui adorent les selfies, les spots, les caméras, être reconnu et arrêté dans la rue. Elle, elle ne supporte pas», confie un de ses proches.
Des journalistes interdits d'accès
Si l'ancienne députée du Vaucluse ne s'interdit pas de prendre ponctuellement position sur certains sujets, «notamment, pourquoi pas, lors de conférences intéressantes comme le font beaucoup de directeurs d'école», pas question de commenter l'actualité dans les matinales radio ou télévisées. «Tant que je serai à la tête de cette école, je m'interdirai de faire de la politique politicienne», a-t-elle lâché répétant à l'envi que son école «n'était pas un tremplin personnel ni un projet politique.»
Présenté lors de cette conférence de presse inaugurale, le comité scientifique co-dirigé par le directeur de la rédaction de l'Incorrect, Jacques de Guillebon, et le professeur à Lyon 3, Patrick Louis, s'est musclé de trois nouveaux membres: l'inspecteur général de l'enseignement honoraire Roger Chudeau, le professeur de finance d'entreprise Alain Marion, et le général (2ème section) Jean-Marie Faugère, conseiller défense du groupe Thales.
Qu'est-ce que l'ISSEP, la nouvelle école de Marion Maréchal ?
La sélection des étudiants et professeurs de la première promotion de l'Issep devrait se dérouler au mois de juillet, tout comme une levée de fonds. «Nous sommes une entreprise privée, nous n'avons donc aucune raison de vous en donner le montant», a lâché tout sourire la directrice, qui brandit le même argument pour justifier son refus d'accréditer trois journalistes de Libération, Rue 89-Lyon ou C8, dont elle a déploré «les méthodes insupportables et pas déontologiques.» Le quotidien avait ironisé sur le nom de l'ancienne députée en Une en titrant «Maréchal, la revoilà.» Le site internet est accusé d'«allusions plus que douteuses sur l'extrême droite» quand la journaliste de télévision paye un reportage en caméra cachée dans la section du Front national de la jeunesse de Nice. La presse n'est pas près de lui manquer.
Marion Maréchal : et si son retour n'était qu'un fantasme ?
Débat sur le plateau de Points de Vue autour de la présence de l'ex-député FN à un colloque sur Mai 68, à la veille de l'annonce du changement de nom du FN.
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Hélène Carrère d'Encausse : «Ne laissons pas la Russie choisir l'Asie» (21.06.2018)

Par Hélène Carrère d'Encausse
Mis à jour le 21/06/2018 à 20h54 | Publié le 21/06/2018 à 18h56
TRIBUNE - À l'approche d'un important Conseil européen, les 28 et 29 juin, l'historienne*, secrétaire perpétuel de l'Académie française, explique que la Russie est tentée de se considérer désormais comme une puissance essentiellement asiatique. Ce scénario serait un désastre pour l'Europe, argumente Hélène Carrère d'Encausse, et les 29 doivent tendre la main à l'hôte du Kremlin pour l'éviter.
Le sommet de Singapour qui, le  12 juin, mit face à face Donald Trump et Kim Jong-un était déjà en soi un évènement considérable puisqu'il réconciliait l'État le plus puissant du monde avec un État paria, déconsidéré et craint de tous. Mais sa signification va bien au-delà de ce moment politique. Ce jour-là, avec cet événement, l'ordre international né en 1945 s'est défait pour laisser place à un monde nouveau.
Depuis 1945 en effet, la vie internationale avait eu pour centre ce qu'on nommait l'Occident, États-Unis et Europe, les premiers, alliés et protecteurs de la seconde. Aussi longtemps que dura le communisme, le monde fut bipolaire, l'Occident se posant en véritable représentant de la liberté face à ce que le président Reagan dénonçait comme l'Empire du Mal. En 1991, la disparition de l'URSS et de l'Europe qu'elle dominait vit naître un monde unipolaire. L'Occident se posa en modèle insurpassable et en pôle d'attraction pour tout pays accédant à la liberté, les valeurs dont il se réclamait devenant les critères du progrès politique et moral des sociétés.
Certes, depuis un certain temps le monde unipolaire donnait des signes de faiblesse. L'élection en novembre 2016 du président Trump qui brandissait en tête de son programme l'intérêt national américain, la devise «America First», troublait l'Europe qui commençait elle aussi à se diviser autour de la même question, celle de l'intérêt national. Et ces changements coïncidèrent avec la montée spectaculaire de la puissance chinoise et d'autres pays d'Asie. Un monde multilatéral se dessinait. Le sommet de Singapour l'a confirmé, comme il aura confirmé la prise en compte par la politique américaine du grand glissement géopolitique qui place désormais l'Asie au cœur de la vie internationale. L'Europe désorientée est contrainte de constater qu'après sept décennies de vie commune avec les États-Unis - avec la protection qu'ils lui assuraient au sein de l'OTAN - elle doit apprendre à envisager seule ou presque les moyens d'assurer sa sécurité. Elle doit aussi comprendre que dans le monde multipolaire où l'Asie pèse si lourd, l'Europe - continent et institution - n'est plus au cœur de l'ordre mondial mais risque d'être repoussée à ses marges. Comment, dans ce monde transformé, rester un acteur de poids?
Cette question, la Russie se la pose aussi et il ne lui aura pas fallu attendre l'ébranlement de Singapour pour en prendre conscience. Si, en 1991, à la chute du communisme, les responsables russes pensèrent que leur pays serait accueilli par l'Occident alors triomphant comme l'enfant prodigue des Écritures rejoignant la maison du père, il leur fallut peu de temps pour déchanter.
«L'Europe désorientée est contrainte de constater qu'après sept décennies de vie commune avec les États-Unis, elle doit apprendre à envisager seule ou presque les moyens d'assurer sa sécurité»
Hélène Carrère d'Encausse
Certes, au début des années 2000, passé le temps du chaos eltsinien, Vladimir Poutine s'efforça de mettre en pratique la conviction de 1991 et considéra bientôt que c'était une illusion. Il affirma d'abord avec passion l'identité européenne de son pays, arguant de son histoire et de sa culture, et tenta de le faire participer au projet européen. En 2003, il associa la Russie à l'Europe dans quatre espaces communs de coopération. De même, il voulut établir une collaboration avec l'OTAN, projet apparemment logique puisqu'il n'y avait plus de guerre froide. Mais dès 2004 ses espoirs furent déçus. L'OTAN, où étaient entrés la Pologne et les États baltes, devint pour ses nouveaux membres une organisation de protection contre la Russie, destinée à endiguer l'éventuelle renaissance de ses ambitions impériales. La Russie comprit cette nouvelle vision de l'OTAN et vit dans la décision de l'Alliance de se doter d'un bouclier antimissile, un retour à l'esprit de la Guerre froide.
À cela s'ajoute qu'en 2004, les révolutions de couleur, qui éclatèrent en Géorgie et en Ukraine, furent présentées comme le modèle d'une véritable transformation postcommuniste que la Russie aurait intérêt à suivre pour être adoptée par le monde des démocraties. Pour les Russes qui avaient de leur plein gré proclamé la fin de leur empire et du communisme, cet appel à une nouvelle révolution, dont nul en Russie ne voulait, fut ressentie comme un terrible camouflet et la négation de la trajectoire politique engagée par Gorbatchev. Dès cette époque, le fossé entre Europe/États-Unis et Russie ira s'élargissant. Dès cette époque aussi Vladimir Poutine - puis un temps son remplaçant Medvedev - va chercher à donner à la Russie des éléments de puissance nouveaux pour la renforcer face aux Euro-Américains.
«La Russie, déçue de ne pas être reconnue par l'Europe comme grand État européen, s'est retournée vers l'Asie. Aujourd'hui, cette option géopolitique alternative pourrait devenir un choix véritable pour Moscou»
Hélène Carrère d'Encausse
Ces contrepoids, la géographie de la Russie les lui offrait. L'immense État russe est situé aussi en Asie, il est géographiquement, et à un moindre degré humainement, eurasien autant qu'européen. En quelques années, la Russie qui croyait en 1991 et en 2000 pouvoir s'ancrer à l'Europe, être reconnue par elle comme grand État européen, se retourna vers l'Asie, y développa des accords, régla des différends, pénétra dans la plupart des instances multilatérales existantes, jusqu'à devenir le coparrain avec la Chine du groupe de Shanghai - un puissant système d'alliance dont on n'apprécie toujours pas le rôle et l'importance. À ses abords aussi, la Russie développa un projet asiatique en fondant l'Union économique eurasienne qui pourrait devenir - l'avenir le dira - un projet politique dit de Grande Asie. Cette option asiatique a d'abord été pour Moscou une manière de montrer aux États-Unis et à l'Europe que la Russie ne dépendait pas de leur seule reconnaissance, qu'elle disposait d'une option géopolitique alternative, qu'elle pouvait trouver place et s'épanouir dans la partie du monde qui montait si vite en puissance. Mais aujourd'hui, alors que le grand glissement international vers l'Asie est devenu réalité, pour la Russie il pourrait ne plus s'agir d'une simple démonstration de force, voire d'un chantage mais d'un choix véritable.
Au Canada, à la veille du sommet de Singapour, le président Trump a suggéré à ses collègues de réintégrer la Russie dans le G7, devenu G6. Le silence qui accueillit cette suggestion est fort étonnant. Il témoigne de l'indifférence des plus puissants chefs d'État du monde, insoucieux de l'éboulement qui allait se produire deux jours plus tard à Singapour. Car ignorer ainsi la Russie - et comment ne pas imaginer que Vladimir Poutine aura été particulièrement attentif à cet épisode et en aura tiré quelques conclusions? - c'est pousser délibérément le président russe à aller toujours plus avant vers l'Asie, et peut-être à décider enfin que l'intérêt national russe est d'adopter sa version eurasienne. Des voix s'élèvent en Russie pour encourager ce tournant. Et ces voix ne sont pas seulement celles de «nationalistes» farouches, mais aussi d'esprits politiques libéraux et équilibrés. Comment ignorer par exemple les propos de Fiodor Loukianov, président du Conseil russe pour la politique étrangère et de défense, qui promeut déjà l'idée d'une coopération entre l'Union économique eurasienne et l'Union européenne, voire la création d'une vaste zone de libre-échange dans le cadre de l'Eurasie où serait associée la Chine?
«À la veille d'un Conseil européen qui doit décider de la levée ou de la poursuite des sanctions envers la Russie, ne serait-il pas urgent de chercher les voies d'un véritable dialogue, conduisant à une réconciliation?»
Ces diverses combinaisons (une Russie eurasienne, un espace eurasien-chinois) ont pour conséquence non seulement de laisser l'Europe de côté, mais plus encore de dessiner un avenir où le continent européen serait en partie un poste avancé de l'Asie, et plus encore d'une Chine à la puissance grandissante et dont les nouvelles routes de la soie, idée grandiose en cours de réalisation, projetteront la présence sur le monde extérieur, européen notamment.
Est-ce bien sage d'encourager la Russie à suivre cette voie? À la veille d'un Conseil européen qui doit aussi décider de la levée ou de la poursuite des sanctions infligées à la Russie après 2014, ne serait-il pas urgent de chercher les voies d'un véritable dialogue, conduisant à terme à une réconciliation? Réconciliation ne signifie pas céder inconsidérément sur tout, mais implique que l'on ne s'enferme plus dans un refus obstiné de toute réflexion, et surtout que l'on prenne en compte le monde qui vient de naître et les intérêts bien compris de l'Europe dans ce monde. N'est-ce pas la leçon que nous prodigue le président américain? Peut-on douter que Vladimir Poutine, récemment réélu à la tête de son pays, disposant d'une réelle légitimité, du soutien des Russes à ce qui est pour eux une politique rendant à la Russie sa dignité, ne soit pas ouvert à tout geste, tout projet qui sauverait le caractère européen de la Russie? Vladimir Poutine, passionnément attaché à son pays, à son image, à son identité, et qui est aussi un passionné d'histoire russe, peut-il souhaiter entrer dans l'histoire comme le président qui aura renié le caractère européen de la Russie pour en faire un pays asiatique? La Russie a été arrachée à l'Europe pendant trois siècles par l'invasion mongole, pendant trois quarts de siècle par le communisme ; après chacune de ces ruptures elle aura retrouvé le chemin de l'Europe. L'heure est venue pour l'Europe de l'aider à s'y ancrer définitivement.
* Dernier ouvrage paru: «Le Général de Gaulle et la Russie» (Fayard, 2017).
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 22/06/2018. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Hélène Carrère d'Encausse

La révolution avortée de Louis XVI (22.06.2018)

Par Jean-Christian Petitfils
Publié le 22/06/2018 à 19h19
RÉCIT - Confronté au blocage de l'Ancien Régime, Louis XVI engagea des réformes de grande ampleur pour moderniser la monarchie. Mais la résistance de l'aristocratie attachée à ses privilèges fit échouer la révolution royale.
Ce mardi 10 mai 1774, à trois heures et quart de l'après-midi, à Versailles, Louis XV mourut. Se ruant aussitôt dans l'appartement du Dauphin Louis-Auguste et de la Dauphine Marie-Antoinette pour acclamer ses nouveaux maîtres, la foule des courtisans les trouva à genoux, défaits et priant: «Mon Dieu, protégez-nous, nous régnons trop jeunes!» Ils avaient 19 et 18 ans…

Louis-Auguste, duc de Berry, futur Louis XVI, par Jean-Martial Frédou, XVIIIe siècle (Versailles, musée du Château). - Crédits photo : (C) Château de Versailles, Dist. RMN-GrandPalais / Christophe Fouin
De son défunt gouverneur, le dévot duc de La Vauguyon, le jeune roi avait reçu une éducation certes ouverte aux humanités classiques (latin, histoire, géographie, droit) ainsi qu'aux disciplines scientifiques (mathématiques, physique), mais entachée d'un moralisme niais et déconcertant. Confondant morale et politique, le larmoyant mentor lui avait enseigné par exemple que la Providence ne dispensait qu'aux rois vertueux la gloire, les succès militaires et la prospérité de leurs peuples. La formation du nouveau roi comportait par ailleurs de graves lacunes, laissant de côté les finances, l'art de la guerre, les affaires étrangères… A ce jeune garçon de haute taille, sans grâce naturelle, pieux, modeste, rongé de timidité, secret, au caractère introverti, difficile à saisir («deux boules de billard huilées que l'on s'efforcerait de tenir ensemble», disait son frère Provence, le futur Louis XVIII), on avait omis d'apprendre à se bien tenir, à saluer, à paraître avec aisance à la Cour.
Louis pourtant n'avait rien du benêt ou du médiocre qu'on s'est plu à dépeindre. Outre la chasse, dont il raffolait, il aimait sans doute les distractions peu intellectuelles, jouer au maçon ou au serrurier. Il se passionnait néanmoins pour l'horlogerie, la cartographie, la marine, les progrès techniques et les dernières découvertes scientifiques… Orphelin de père et de mère, rencogné dans sa solitude, conscient de l'éducation incomplète et en partie sclérosée qu'on lui avait inculquée, il avait de son côté beaucoup lu, médité, se préparant avec sérieux à son rôle de futur roi. Ainsi s'était-il perfectionné seul en anglais, lisant les Posts, s'intéressant tout particulièrement aux débats politiques d'outre-Manche.

Les chasses de Louis XVI, par Nicolas-Pierre Pithou l'Aîné, d'après Jean-Baptiste Oudry, 1779 (Versailles, musée du Château). - Crédits photo : (C) RMN-Grand Palais (Château deVersailles) / Gérard Blot
En montant sur le trône, le jeune prince n'arrivait donc pas totalement désarmé. Sous l'influence de sa tante Mme Adélaïde, il prit pour principal conseiller le vieux comte de Maurepas, ancien ministre de Louis XV, disgracié vingt-cinq ans plus tôt. Cet homme affable et fort habile, un tantinet décrépit, revenait à la Cour avec un désir de revanche et des idées bien arrêtées: renvoyer l'efficace triumvirat mis en place par Louis XV - le chancelier Maupeou, l'abbé Terray, contrôleur général des Finances, le duc d'Aiguillon, ministre des Affaires étrangères -, et rappeler les anciens parlements qui, dans son esprit, faisaient corps avec la monarchie traditionnelle.
La grande crise du pouvoir monarchique remontait aux dernières années du règne de Louis XV. A la fin de 1770 en effet, le roi avait décidé de renvoyer le duc de Choiseul, trop favorable à la réaction nobiliaire, et de supprimer les parlements, dont le tout-puissant parlement de Paris, en tant que corps politique. Ces parlements, qui incarnaient la résistance aristocratique par excellence, n'avaient cessé tout au long du règne de s'opposer à l'action réformatrice du pouvoir royal, usant et abusant de leur droit de remontrance et usurpant une partie du pouvoir législatif en s'opposant à l'enregistrement des édits royaux. La réforme visait à créer des institutions plus modernes qui s'en tiennent à leurs seules compétences judiciaires, à supprimer la vénalité des offices, et à promouvoir la gratuité de la justice. Tel avait été le «coup de majesté» mené par l'énergique Maupeou.
Réussi sur le plan technique, ce coup avait contribué à la formation d'un vaste courant d'opposition hétérogène, un «Parti patriote», hostile à la modernisation de l'Etat et au «despotisme royal», qui allait du haut clergé (entièrement constitué de nobles) et de l'aristocratie d'épée aux franges de la petite bourgeoisie et de l'artisanat des villes, en passant par la noblesse de robe ou de finance et la bourgeoisie industrieuse. Ce front, disparate et multiforme, aux intérêts divergents, s'appuyait sur une puissance nouvelle, redoutable et dévastatrice, l'opinion publique, et sur le mouvement ambivalent des Lumières. Pour beaucoup, en effet, l'aspiration à la liberté se mêlait à la nostalgie des libertés au pluriel, c'est-à-dire des privilèges et des franchises. On était à la fois libéral et rétrograde, progressiste et réactionnaire. En montant sur le trône, le jeune Louis XVI avait hérité de cette situation politique dangereuse, qui laissait peu de relais au gouvernement au sein d'une société travaillée par les «idées nouvelles».
Les statues funéraires de Louis XVI et Marie-Antoinette dans la basilique de Saint-Denis. Elles furent commandées par Louis XVIII lors de la translation des cendres des souverains à Saint-Denis, le 21 janvier 1815, et achevées en 1830. - Crédits photo : Manuel Cohen/Manuel Cohen / aurimages
Le roi, qui avait approuvé la révolution royale de son grand-père, n'entendait nullement se séparer du chancelier ni faire revenir les indociles magistrats exilés. Mais Maurepas sut le circonvenir si habilement que les derniers ministres de Louis XV furent remerciés le 24 août 1774 et que le Parlement revint en triomphe au Palais de justice le 12 novembre, acclamé par la populace. Ce fut la première grande erreur du règne, car cette décision relevait de ses ruines une force d'opposition arrogante et rétrograde, enivrée d'un esprit de revanche, prête à contrecarrer systématiquement les efforts de rénovation de la vieille monarchie française.
Des réformes nécessaires
Un des hommes nouveaux qui accédaient au ministère, Anne Robert Jacques Turgot, économiste, physiocrate, ancien intendant du Limousin, convainquit le monarque de la nécessité d'entreprendre de profondes réformes. Pour remettre de l'ordre dans les finances, sans banqueroute ni taxes nouvelles, le nouveau contrôleur général tailla dans les dépenses inutiles et accrut la rentabilité des biens de la Couronne ; sur le plan économique, il instaura la liberté partielle du commerce des grains, entravée jusque-là par une réglementation tatillonne et l'existence de douanes d'une province à l'autre. Malheureusement, la récolte de l'année ayant été mauvaise, des révoltes populaires éclatèrent en Ile-de-France, en Champagne et en Bourgogne. Telle fut la «guerre des Farines» que Louis XVI, qui n'avait pas encore versé dans le pacifisme tolstoïen, n'hésita pas à réprimer avec fermeté.
En janvier 1776, Turgot, toujours avec l'appui du souverain, voulut remplacer la corvée en nature, cette obligation de réparer les routes qui pesait exclusivement sur les paysans, par une contribution généralisée et abolir, au nom de la liberté du travail, les jurandes et maîtrises, souvent sclérosées, qui faisaient obstacle à l'innovation économique, ainsi que toute espèce d'association entre maîtres, compagnons ou apprentis. A cette époque, nul n'entrevoyait les conséquences pernicieuses de ces dernières mesures sur le sort des ouvriers et artisans.

Expérience aérostatique faite à Versailles le 19 septembre 1783, en présence de Leurs Majestés, de la famille royale et de plus de 130.000 spectateurs, par M. de Montgolfier, XVIIIe siècle (Versailles, musée du Château). - Crédits photo : 18EME SIECLE/BERNARD DUPONT/KHARBINE TAPABOR
C'était sans compter sur le parlement de Paris qui prit feu et flamme contre ces édits et refusa de les enregistrer. Les magistrats, membres de la haute noblesse de robe, tous propriétaires de leurs charges, agitèrent, à propos de l'impôt de substitution de la corvée, la vieille division trifonctionnelle de la société: le prêtre devait au roi ses prières, le noble, son sang, et l'homme du commun, son argent. Il revenait par conséquent à ce dernier et uniquement à lui de payer la nouvelle taxe! Une telle distinction des rangs était d'évidence un archaïsme largement dépassé par l'évolution de la société depuis deux siècles, l'émergence de la noblesse de robe (qui ne payait pas l'impôt du sang), la multiplication des anoblissements, la poussée du monde des officiers (titulaires de charges administratives de police ou de judicature) et de la bourgeoisie industrieuse et commerçante.
Louis, irrité de voir renaître l'agitation des cours souveraines, imposa le 12 mars l'enregistrement des édits au cours d'un lit de justice qui se tint au château de Versailles. Enhardi, Turgot rêva de réformer la fiscalité en instituant un impôt direct proportionnel aux revenus des propriétaires, de supprimer les fermiers généraux, de moderniser les procédures de la comptabilité publique et de créer dans le royaume un réseau d'assemblées municipales et provinciales, élues par les propriétaires. Esprit ouvert, le jeune roi n'était pas hostile à ces idées, mais il ne voulait pas de Premier ministre. Souffrant des aspérités de caractère de son contrôleur général, dogmatique et sentencieux, il le contraignit à la démission le 12 mai.
Vers une monarchie administrative
L'arrivée quelques mois plus tard à la tête des finances du banquier genevois Jacques Necker, sur le conseil de Maurepas, marqua un changement dans le rythme des réformes. Empirique, conservateur, prudent, celui-ci se garda de heurter de front la haute aristocratie et le Parlement. Il se contenta de faire des économies. Le gaspillage à la Cour était effrayant. Il supprima de nombreuses charges qui faisaient double voire triple emploi, mit de l'ordre dans la distribution des pensions et gratifications, rénova en l'épurant l'administration des finances, s'occupa de l'Hôpital général et des prisons, pour lesquelles il imposa des mesures humanitaires, supprima la «question préparatoire», c'est-à-dire la torture au cours de l'instruction. Louis XVI se montra ouvert à cette nouvelle orientation. Il appuya les initiatives de son directeur des finances.

Louis XVI donnant ses instructions au capitaine de vaisseau La Pérouse, par Nicolas André Monsiau, 1817 (Versailles, musée du Château). - Crédits photo : Château de Versailles, Dist. RMN-GrandPalais / Christophe Fouin
Un des grands moments du règne fut la guerre contre l'Angleterre qui éclata en juillet 1778 en raison du soutien, d'abord timide puis affirmé, de la France aux insurgents d'Amérique. Louis XVI et son ministre des Affaires étrangères Vergennes avaient soigneusement préparé cette revanche en développant, avec le concours d'Antoine de Sartine, secrétaire d'Etat, une puissante marine de guerre. D'où l'expédition du comte de Rochambeau, l'exploit naval de l'amiral de Grasse en baie de Chesapeake et la victoire de Yorktown, à laquelle contribua le marquis de La Fayette. Les traités de Paris et de Versailles (septembre 1783) replacèrent le royaume au premier rang des puissances continentales.
Malheureusement, Necker avait commis une grave erreur. Pour se procurer des fonds à bon compte, il avait misé sur une indolore mais dangereuse politique d'emprunt qui allait creuser rapidement le déficit. Alors que l'opinion, ardemment nationaliste et anti-anglaise, aurait sans doute accepté sans renâcler un accroissement exceptionnel de la fiscalité directe, elle comprit mal pourquoi, une fois la victoire acquise et la paix revenue, il fallut augmenter les impôts.
Entre-temps, Necker crut triompher en publiant en février 1781 un Compte rendu au roi qui dévoilait tous les secrets budgétaires et affichait un surprenant - et douteux - excédent de 10 millions de livres. Il fit une sorte de chantage au roi, exigeant d'accéder à son Conseil, où il savait que Maurepas, ministre d'Etat, et Vergennes, ministre des Affaires étrangères, ne cessaient de l'attaquer. Louis XVI, à la fois influençable et opiniâtre, qui refusait toute tutelle, lui opposa une fin de non-recevoir et le contraignit au départ.

Calonne, contrôleur général des Finances, par Joseph Siffred Duplessis, 1787 (Paris, musée Carnavalet). - Crédits photo : © Musée Carnavalet/Roger-Viollet
Il n'en continua pas moins la politique de réformes. Le «plan d'amélioration des finances» que le contrôleur général Charles Alexandre de Calonne lui proposa le 26 août 1786 visait à résorber le déséquilibre budgétaire et à rénover la monarchie et l'Etat sur des bases assainies: on établirait la liberté totale du commerce des grains, on supprimerait les barrières d'octroi entre provinces, on diminuerait les différents tarifs de la gabelle, on créerait une banque d'Etat ainsi qu'un réseau d'assemblées de propriétaires à trois niveaux - municipalités, districts, provinces -, chargées d'aider l'intendant dans la perception des impôts directs. Ces assemblées seraient élues sans aucune distinction d'ordre ni de classe. Enfin, pièce maîtresse de l'ensemble, on instaurerait un impôt de quotité, proportionnel aux revenus de chacun. Cet impôt permanent, appelé subvention territoriale, serait payable en nature (de façon à ne pas désorganiser l'économie rurale qui n'était que partiellement monétarisée) et frapperait tous les revenus fonciers, quelle que soit la qualité de leurs propriétaires, ecclésiastiques, nobles ou roturiers. Même les terres du domaine royal y seraient soumises. Le plan Calonne débouchait sur une véritable révolution royale visant à édifier une authentique monarchie administrative, rationalisant l'Etat, desserrant l'étau des ordres privilégiés et restaurant le pouvoir central dans toute sa puissance.
Ce plan, naturellement, s'attaquait de front à des intérêts et des positions acquises considérables, ceux de la haute aristocratie et de l'Eglise de France, qui payaient peu ou pas d'impôt. Calonne pensa que le meilleur moyen d'obtenir le consentement du Parlement était de réunir au préalable une assemblée des notables, comme l'avaient fait en leur temps Henri IV et Louis XIII. Devant le consensus des élites, laïques ou religieuses, ce corps rétrograde ne pouvait que s'incliner.
La fronde aristocratique et nobiliaire
Les vues novatrices du contrôleur général enthousiasmèrent le roi. Le 29 décembre, passant outre aux vives réticences de son Conseil, il annonça la convocation d'une telle assemblée. Pour la première fois, il s'investissait personnellement en politique intérieure, comme il ne l'avait jamais fait, même au temps de Turgot. «Je n'ai pas dormi de la nuit, avoua-t-il à Calonne, mais c'est de plaisir.»
Composée de cent quarante-quatre membres choisis par le roi et Calonne, l'assemblée, qui se réunit le 22 février 1787 à Versailles, à l'hôtel des Menus Plaisirs, avenue de Paris, comprenait outre les deux Fils de France, frères du roi, les comtes de Provence et d'Artois, les princes du sang, des membres du haut clergé, de l'aristocratie d'épée et de la noblesse de robe ainsi que des représentants des cours souveraines et des municipalités. Optimiste de nature, le contrôleur général pensait que ces gens seraient sensibles au langage de la raison et que, moyennant quelques sacrifices financiers, ils sauraient renoncer à leurs intérêts et à leurs égoïsmes de caste.
Quelle erreur! Très vite, il se heurta à une vigoureuse fronde aristocratique et nobiliaire, menée par le clan de Monsieur, frère du roi, celui du duc d'Orléans, les amis de Necker (qui ne rêvait que de revenir aux affaires) et les membres du clergé derrière Mgr de Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse. La subvention territoriale, cet impôt égalitaire sur les revenus fonciers, était pour eux inacceptable. D'ailleurs, clamaient-ils, c'était aux états généraux de se prononcer sur le principe d'un impôt perpétuel. Dans l'esprit des opposants, cet antique monument, hérité des temps médiévaux, avec sa paralysante représentation de la nation en trois ordres bien séparés, clergé, noblesse et tiers état, votant par ordre, était le meilleur moyen de paralyser toute réforme. Simple organe consultatif, ayant à plusieurs reprises dans le passé tenté de partager la souveraineté législative avec le pouvoir royal, ces états généraux n'avaient pas été convoqués depuis 1614.
Calonne chercha un accommodement raisonnable avec les principaux meneurs, mais il dut faire face à la mauvaise volonté générale, aux attaques grossières, aux bottes captieuses, y compris des prélats, tous grands seigneurs attachés aux privilèges aristocratiques, qui en aucun cas n'admettaient la «compression des rangs». Le débat avait gagné l'opinion éclairée. Les salons du faubourg Saint-Germain étaient pris d'une fièvre nouvelle. Au Palais-Royal, les clubs à l'anglaise discutaient de la subvention territoriale entre deux parties de whist, concentrant leurs attaques sur Calonne.

L'Assemblée des notables convoquée par Louis XVI, le 22 février 1787, gravure, XIXe siècle (collection particulière). - Crédits photo : Jean-Paul Dumontier / LA COLLECTION
Le monarque et le contrôleur général imaginèrent une parade: en appeler aux humbles contre la trahison des élites, renouer l'alliance médiévale du roi et du peuple contre les baronnies et les féodalités. Les mémoires présentés aux notables furent largement diffusés, précédés d'un Avertissement pointant du doigt l'égoïsme des privilégiés. L'appel tomba à plat. L'opinion publique, toujours subjuguée par le Parti patriote, ne voyait que despotisme dans le pouvoir royal. On tenait Calonne pour un coquin malhonnête. Louis qui désirait tant le bonheur de son peuple, son épanouissement, avait donc échoué. La pression autour de lui fut telle, y compris de la part de la reine, qu'il dut se résigner à renvoyer Calonne et à faire appel à Mgr de Loménie de Brienne, chef de l'opposition. Il s'était fait imposer par la force un gouvernement dont il ne voulait pas. Amer, découragé, perdant toute confiance en lui, il vécut l'échec de sa révolution comme un drame. Il sombra alors dans une profonde dépression, frappé de dégoût et d'une insurmontable aboulie le rendant incapable de s'arrêter à une décision et de s'y tenir.
Il n'aimait pas cet archevêque, se méfiait de sa politique. Il le soutint pourtant lorsque celui-ci fit des réformes humanitaires, avec l'aide de Malesherbes, admis au Conseil. C'est ainsi que par l'édit de tolérance du 17 novembre 1787 fut défini un statut pour les protestants du royaume, qui n'avaient aucun droit, pas même un état civil, depuis la révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV. «Monsieur de Malesherbes, dit le roi, vous vous êtes fait protestant, moi je vous fais juif ; occupez-vous d'eux.» Des mesures furent donc prises en leur faveur: construction de synagogues à Nancy et Lunéville, statut particulier pour les juifs d'Alsace, ouverture d'un cimetière particulier à Paris…
Cependant, Loménie de Brienne, qui avait déclenché la crise en empêchant la révolution royale de s'accomplir, mais qui se trouvait désormais aux prises avec ses anciens amis, dut affronter le Parlement. Il fut à son tour emporté par la vague de réaction nobiliaire.
La révolution manquée de Louis XVI
Au printemps de 1788, la société dans son ensemble semblait en état de révolte ouverte. Le pays était menacé d'implosion. Les difficultés financières s'aggravant dangereusement, l'Eglise de France, sollicitée, refusa d'accroître, même à titre provisoire, sa contribution financière (le «don gratuit»). Ne pouvant éviter la banqueroute, l'Etat royal se résigna à convoquer les états généraux…
Ceux-ci se réunirent le 5 mai 1789. Les députés du tiers état voulaient bien aider le monarque à lutter contre l'aristocratie. Bailly, le représentant du tiers, insista pour être reçu par lui. En mai et au début de juin, peut-être était-il encore possible pour Louis XVI de prendre la tête d'une vraie réforme des institutions et de réussir sa révolution. Encore eût-il fallu venir devant les états généraux avec un plan. Malheureusement, Necker, revenu aux affaires, était hostile à cette politique énergique. Quant au roi, déprimé, isolé au milieu d'une cour conservatrice, il venait de subir, avec sa femme, un drame: la perte du Dauphin, mort de tuberculose le 4 juin. Il aimait le peuple et aurait pu s'entendre avec lui, mais il n'avait pas su lui parler.

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l'hiver de 1788, par Louis Hersent, 1817 (Versailles, musée du Château). - Crédits photo : Gianni Dagli Orti / Aurimages/Gianni Dagli Orti / Aurimages
Le 17 juin, les états généraux se proclamèrent Assemblée nationale et, au nom des idées rousseauistes, accaparèrent la plénitude de la souveraineté. «Ce décret, dira Mme de Staël, était la Révolution même.» Le 20, les membres de la nouvelle assemblée prononcèrent le fameux serment du Jeu de paume, jurant de ne pas se séparer tant qu'une constitution du royaume n'aurait pas été écrite.
C'était un coup d'Etat, au regard du droit et des institutions monarchiques. Au nom de la souveraineté nationale, le tiers s'emparait du pouvoir constituant, tel que l'avait défini Sieyès dans sa fameuse brochure Qu'est-ce que le tiers état? dépouillant ainsi le roi de sa propre souveraineté. A partir de cet événement fondateur, qui voyait un immense déplacement de pouvoir, c'était tout l'Ancien Régime, à la fois la société d'ordres et l'édifice séculaire du mystère capétien, auréolé du sacre de Reims, qui était mis à bas.
La fin de la monarchie suivra trois ans plus tard. Une chance sans doute avait été gâchée avec le roi le plus réformiste des Bourbons, dont les projets auraient pu éviter la Révolution, les larmes et le sang versé. Pourtant il avait tout essayé: l'absolutisme éclairé avec Turgot, le libéralisme aristocratique avec Necker, la monarchie administrative rénovée avec Calonne. Constamment, il s'était heurté à une société bloquée, crispée sur ses droits, qui ne songeait qu'à se débarrasser de lui et de son prétendu despotisme. Lucide quant aux causes du mal, Chateaubriand l'avouera avec amertume: «Les plus grands coups portés à l'antique constitution de l'Etat le furent par des gentilshommes. Les patriciens commencèrent la Révolution…»
Louis XVI est un roi méconnu, mal jugé par l'histoire parce qu'il s'est trouvé dans le camp des perdants, victime d'une Révolution dont il aurait pu prendre la tête, mais qui échappa à tous. S'il était mort en 1788 ou même en 1789 lors de l'ouverture des états généraux, lorsque sa popularité était encore intacte, nul doute qu'il aurait laissé une image radicalement différente de celle qui traîne dans les manuels scolaires ou universitaires. On aurait gardé de lui le souvenir d'un bon roi, d'un nouvel Henri IV, intelligent et cultivé, d'un grand souverain scientifique ouvert aux temps nouveaux et attaché au bonheur de ses sujets.
Spécialiste de la France classique, Jean-Christian Petitfils vient de publier «Histoire de la France» aux éditions Fayard.


Louis XVI, l'incompris, 132 pages, 8,90€, en kiosque jeudi 31 mai et disponible sur le Figaro Store.
Jean-Christian Petitfils

Général de Saint-Quentin : «Le brouillard de la guerre revient» (22.06.2018)

Par Alain Barluet
Mis à jour le 22/06/2018 à 20h00 | Publié le 22/06/2018 à 19h44
VIDÉO - Le bras droit du chef d'état-major des armées était l'invité du « Talk stratégique ».
Le général Grégoire de Saint-Quentin, sous-chef opérations à l'état-major des armées, était jeudi l'invité du «Talk stratégique Le Figaro». Son interview est à retrouver sur lefigaro.fr
Le Figaro. - À quoi ressemble la guerre aujourd'hui?
Général de Saint-Quentin. - Nous entrons dans une nouvelle phase stratégique, génératrice de plus d'incertitudes. Le brouillard de la guerre revient, il faut tenter de l'éclaircir.
Que signifie ce «brouillard de la guerre» pour les opérations que nous menons?
Ce nouveau contexte a pour conséquence une extension dans quatre domaines. Premièrement, une extension géographique: nous agissons dans des zones grises de plus en plus vastes. Le Kosovo, où l'Otan est intervenue, représentait deux départements français. Au Sahel, notre action s'étend sur cinq pays, avec des conséquences importantes en termes de logistique, d'empreinte au sol et de coût. Deuxièmement, une extension dans le temps. Les conflits durent et nous mettons plus temps à les résoudre. La guerre en Afghanistan dure depuis seize ans, à comparer avec la durée de la Seconde Guerre mondiale. Troisièmement, on constate une forte amplitude dans l'intensité des oppositions: les confrontations peuvent être asymétriques, avec peu de violence, ou nécessiter un niveau très élevé de protection de nos forces dans un environnement contesté par des armées modernes. La quatrième extension concerne nos leviers. Pour vaincre, les moyens militaires ne suffisent plus. Il faut faire revenir l'administration et le développement.
«En dépit de la mondialisation du terrorisme, les réalités locales demeurent toutes différentes»
Général de Saint-Quentin
Qui est l'ennemi?
Aujourd'hui, les seuls ennemis déclarés sont les groupes terroristes que nous affrontons au Levant et au Sahel. Avec des variations, c'est un ennemi asymétrique, qui, pour compenser sa faiblesse technologique, se dissimule dans la population en s'affranchissant des lois de la guerre. Tout notre défi consiste à le détecter et à le surprendre avant qu'il ne frappe.
Dans le même temps, les menaces étatiques s'accroissent…
On constate de nouvelles stratégies d'affirmation. Nos forces peuvent se retrouver dans un environnement contesté par des menaces symétriques, d'un même niveau technologique. Nous dénier l'accès à une zone, sur terre, sur mer ou dans les airs peut avoir des conséquences sur notre sécurité ou notre prospérité. Cela nécessite un niveau de vigilance accru et une capacité plus forte à réagir, à encaisser des chocs et à relever le défi du rapport de force. Il faut des capacités crédibles.
Comment mène-t-on les opérations?
En dépit de la mondialisation du terrorisme, les réalités locales demeurent toutes différentes. C'est le cas en Afghanistan, au Sahel et au Levant. Il faut à chaque fois tailler des forces ad hoc en fonction des conditions locales et des partenaires avec lesquels nous agissons. Car on ne mène pas ces guerres seuls. Au Mali, nous coopérons avec l‘armée malienne, la Minusma, les forces conjointes du G5-Sahel. C'est le succès de l'ensemble qui permettra de sortir de la crise. Nos forces sont comme une boîte à outils. On puise dans différentes composantes - terre, air, mer, forces spéciales, cyber - pour fédérer leurs effets. C'est le rôle du commandement et de la conduite des opérations (le C2 dans notre jargon). Au Sahel, nous faisons converger l'action des forces spéciales et celles de «Barkhane» avec des objectifs et des missions complémentaires. Nous tirons parti des forces de chacune: réactivité et fulgurance pour les unes, endurance et permanence pour les autres
Et la guerre demain?
Cela dépendra beaucoup de l'ennemi à qui nous serons confrontés. Nous sommes dans une période de profond changement et celui-ci s'accélère. Nous aurons des pics d'instabilité et de violence qu'il faudra maitriser. Pour cela, nous disposons d'outils dont il faudra faire évoluer l'emploi, en ayant une intégration toujours plus fine de leurs effets. Et il faudra jouer sur tous les leviers: diplomatiques, économiques, militaires, informationnels…

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Roger Scruton  : «La motivation du Brexit était avant tout culturelle» (21.06.2018)

Par Eugénie Bastié
Publié le 21/06/2018 à 19h42
FIGAROVOX/ENTRETIEN - L'intellectuel britannique, théoricien majeur du conservatisme, était favorable au «leave». Deux ans plus tard, il ne regrette pas un choix qu'il estime prophétique.
Philosophe, auteur de nombreux ouvrages portant aussi bien sur l'esthétique que l'écologie, Roger Scruton est un penseur majeur qui a été de tous les combats de son temps. Il a notamment participé à la création d'universités clandestines en Europe centrale pendant la guerre froide. Farouche défenseur des traditions britanniques, il a pris parti pour le Brexit, qui permet selon lui de restaurer la souveraineté nationale.
LE FIGARO. - Deux ans après la décision des Britanniques de voter le Brexit, quel bilan tirez-vous de cette insurrection populaire? Quel signal ont envoyé les Britanniques au monde?
Roger SCRUTON. - D'abord, ce n'était pas une insurrection, mais un référendum, c'est-à-dire un choix démocratique. Bien sûr, il y avait des sentiments forts qui ont dirigé ce choix, et dans un certain sens c'était un rejet de la classe politique, qui a reçu tant d'avantages de l'Union européenne, surtout la possibilité de dire, en face de n'importe quel problème, que ce n'est plus notre affaire. Cette classe politique avait cessé de répondre aux problèmes cruciaux de notre temps. Le signal envoyé au monde était ceci: qu'il n'y a pas de choix démocratique sans souveraineté nationale.
Vous étiez pour le «leave». Regrettez-vous votre choix? Pensez-vous que le processus ira jusqu'au bout?
«Je crois ­hélas que l'amertume qu'a produite le Brexit chez les hommes politiques de la vieille élite européenne empêche tout compromis»
Je ne regrette pas mon choix, même si je suis assez déçu par le processus qui a suivi. Je pense que le Brexit ne réussira que si nous décidons de quitter l'Union sans accord sur les termes. Je crois hélas que l'amertume qu'a produite le Brexit chez les hommes politiques de la vieille élite européenne empêche tout compromis.
Quelle était la véritable motivation du Brexit? Était-elle économique ou avant tout culturelle?
La motivation était plutôt culturelle, même si des politiciens comme David Cameron ont voulu nous persuader que ce n'était qu'une question économique. Les Britanniques, et les Anglais surtout, n'acceptent pas les lois imposées de dehors, surtout les lois qui transforment leur mode de vie et la population du pays.
On le voit avec la victoire récente de Salvini en Italie, la vague populiste n'est pas près de s'arrêter en Europe. Croyez-vous que l'Union européenne est un projet obsolète?
Il faut préciser ce qu'on veut dire par le mot «populiste». C'est aujourd'hui un terme abusif qu'adopte une élite qui s'imagine dotée d'un droit divin de contrôler les événements, lorsque le peuple n'est pas d'accord avec elle. C'est une façon de dire que les gens ordinaires ont besoin d'être dirigés par des gens plus sages qu'eux - c'est-à-dire, par nous, la classe politique. C'est justement cette attitude qui a précipité le vote pour le Brexit.
«La nation, la souveraineté du peuple et l'amour traditionnel de son pays sont les seules ressources de confiance en cas d'urgence»
Les politiciens europhiles ont essayé de nous persuader que les problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui ne peuvent pas être résolus au niveau national, alors même que la nation, la souveraineté du peuple et l'amour traditionnel de son pays sont les seules ressources de confiance en cas d'urgence. Quels sont les grands problèmes qui hantent l'Europe aujourd'hui? Tout le monde le sait: l'immigration, surtout l'immigration massive de groupes aux cultures rétives à notre culture laïque et ouverte ; le mépris des traditions et des croyances chrétiennes qui nous ont unifiés dans le passé ; la menace posée par les nouvelles puissances militaires, et par le désintérêt des États-Unis envers l'alliance militaire qui nous a protégés jusqu'à maintenant.
Ce qui s'est passé en Italie indique clairement que le peuple italien ne croit plus que l'UE soit capable de protéger l'Italie des vagues migratoires venant d'Afrique du Nord. Les Italiens se tournent alors vers leurs propres hommes politiques pour protéger leur pays, leur nation, l'endroit et la civilisation qui leur restent chers. je crois qu'il est vain de réclamer une solution «européenne». L'intérêt de la classe politique européenne est l'intérêt de l'Allemagne, qui est aveuglée par un sentiment de culpabilité, et incapable de dire non à l'immigration.
Pour autant, une union entre les peuples de culture européenne n'est-elle pas nécessaire pour faire face aux défis de la mondialisation?
J'ai toujours cru en la nécessité d'une véritable alliance européenne: une Europe des nations, comme l'a voulu Charles de Gaulle. Ce n'est qu'en gardant le sentiment national au cœur du processus politique que nous serons capables de comprendre quels sont les intérêts en jeu, et d'avoir les capacités nécessaires pour les résoudre. L'Union européenne actuelle s'est montrée incapable de répondre aux urgences de notre temps. Mais il n'y a pas de marche arrière possible, et l'ordre du jour ne peut pas être changé. Le projet a échoué, mais les responsables ont été privés de la capacité d'en fournir un autre.

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Journaliste Débats et opinions
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Histoire de France : arrêtons les mensonges (29.12.2017)

Par Jean Sévillia
Mis à jour le 29/12/2017 à 10h35 | Publié le 29/12/2017 à 08h00
ENQUÊTE - Faut-il débaptiser les lycées Colbert ou réhabiliter les «fusillés pour l'exemple» de 14-18 ? Il n'est pas de mois où l'actualité ne ramène une controverse suscitée par la volonté de certains de réécrire l'histoire de France selon leurs critères politiques et idéologiques. Face à la manipulation du passé par le politiquement correct, défendre l'histoire véridique est un impératif vital.
Que s'est-il passé, et quand? Tous ceux qui connaissent l'histoire de l'Histoire, ce qu'en langage savant on nomme l'historiographie, savent qu'il a toujours existé des courants différents chez les historiens, déterminant des interprétations divergentes du passé, spécialement celui de la France. Histoire laïque contre histoire chrétienne, histoire républicaine contre histoire royaliste, histoire marxiste contre histoire nationale, ces débats agitaient déjà la Sorbonne dans les années 1900 - ou ne l'agitaient pas quand certaines pages noires étaient ignorées de l'université, comme les guerres de Vendée de 1793-1794, parce que cette révolte populaire contredit la légende dorée de la Révolution française. Cependant, le phénomène s'est amplifié et même durci, au cours des récentes décennies, sous l'influence de plusieurs facteurs.
En premier lieu,toute une évolution politique et culturelle, observée à gauche comme à droite, a conduit, sous l'effet de la construction européenne comme du mécanisme de la mondialisation, à considérer le cadre national comme obsolète, voire dangereux, et en conséquence à délégitimer l'histoire de France en tant que telle, à caricaturer en «roman national» le récit de la naissance de la France et de sa destinée millénaire, comme si l'existence d'une communauté nationale française relevait de la fiction, d'une opinion subjective.
Corrélativement, même si la recherche historique a fait progresser les connaissances dans maints domaines, si bien qu'il n'est plus possible, par exemple, d'évoquer les Gaulois comme le faisaient les manuels de la IIIe République, cette dévalorisation du cadre national a modifié la manière de raconter l'histoire, notamment en milieu scolaire puisque, là où l'école d'autrefois parlait patriotisme et assimilation, celle d'aujourd'hui parle multiculturalisme, ouverture, droit à la différence. Contester cette pédagogie manifesterait, accusent d'aucuns, une coupable «passion identitaire» attentatoire au «vivre-ensemble». Parue en janvier de cette année, L'Histoire mondiale de la France , publiée sous la direction de Patrick Boucheron(Seuil), se flatte d'offrir ainsi une histoire «globale» et «connectée», remplie de bonne conscience progressiste, et qui en vient, comme l'a souligné Pierre Nora, au prétexte de rendre compte de la pluralité des racines de la France, à noyer la spécificité française.
La démultiplication des moyens de communication, dans notre société high-tech, offre une immense caisse de résonance à cette manipulation de l'histoire par le politiquement correct
En second lieu, la succession des lois mémorielles, dans les années 1990 et 2000, a engendré non seulement des revendications particulières ou communautaires dans la lecture de l'histoire, mais aussi des réflexes de judiciarisation des différends, au point qu'en 2005, déjà, une pétition d'historiens de toutes tendances avait demandé l'abolition ou la modification de ces lois devenues, dans certaines mains, des armes incontrôlables. L'appel avait été lancé quelque temps après que les pouvoirs publics eurent renoncé à célébrer le deux centième anniversaire de la bataille d'Austerlitz, par crainte des foudres de ceux qui ne voient dans Napoléon que l'homme qui avait rétabli l'esclavage à la Guadeloupe…
En troisième lieu,la démultiplication des moyens de communication, dans notre société high-tech, offre une immense caisse de résonance à cette manipulation de l'histoire par le politiquement correct. Car ce ne sont plus seulement les revues spécialisées ou la presse grand public, comme avant-hier, ou le cinéma, la radio et la télévision, comme hier, mais internet et les réseaux sociaux, de Facebook à Twitter, qui répercutent les débats historiques, pour le meilleur ou pour le pire, jusque sur les petits écrans que les gens lisent au café ou dans le métro. Or quelle est la valeur d'un avis lapidaire en 280 signes sur un sujet qui a demandé une vie de travail à d'authentiques érudits?
Oui, le monde a changé. Oui, notre société a changé. Mais ce n'est pas une raison pour travestir ou réécrire le passé à l'aune des critères politiques, sociaux, psychologiques et mentaux d'aujourd'hui. Que cela plaise ou non, la science historique et ses méthodes de rigueur demeurent irremplaçables. Quant aux historiens qui ne sont pas des idéologues, ils poursuivent leur mission: faire comprendre le passé afin d'expliquer le présent et en tirer quelques lueurs pour l'avenir.

Les Cathares n'étaient pas des saints
Le dimanche 16 octobre 2016, l'évêque de Pamiers, dans l'Ariège, présidait une «démarche de pardon» dans le village de Montségur où, en 1244, deux cents cathares avaient péri sur le bûcher. En cause, l'intolérance de l'Eglise du Moyen Age qui avait persécuté «des chrétiens pas tout à fait comme les autres». Pas tout à fait comme les autres? Surprenante litote. Les cathares opposaient dans un dualisme absolu le principe du bien, qui avait enfanté l'esprit, et le principe du mal, qui était à l'origine de la matière.

En 1244, l'armée royale s'empare du dernier fief cathare, le château de Montségur, et livre aux flammes des dizaines d'hérétiques. - Crédits photo : ©Bianchetti/Leemage
Pour eux, ce n'était pas Dieu qui avait créé l'univers, mais Satan, et Jésus était un ange dont la vie terrestre n'avait été qu'une illusion. L'antinomie avec le christianisme était totale. La religion des cathares, d'autre part, distinguait les croyants, qui conservaient leurs habitudes extérieures, et les parfaits qui vivaient en communauté, observant toutes sortes de rites initiatiques et la plus stricte continence alimentaire et sexuelle.
Plus qu'une hérésie, le catharisme constituait par conséquent une remise en cause intégrale de la foi chrétienne, de l'Eglise, de la famille, de la propriété et du serment d'homme à homme, fondements de l'organisation féodale. Largement de quoi provoquer la contre-offensive d'une société où l'orthodoxie chrétienne était considérée comme le garant de l'ordre social.
Pour réduire ce qui s'apparentait à une secte, un vaste effort missionnaire fut mené par saint Bernard de Cîteaux puis par les Dominicains, ordre fondé à cette occasion. En 1208, Pierre de Castelnau, chargé par le pape Innocent III de combattre l'hérésie par la prédication, est assassiné, crime dont le comte de Toulouse, qui est favorable aux cathares, est soupçonné d'être le commanditaire. Constatant l'impuissance des méthodes pacifiques, le pape prêche la croisade contre les hérétiques. Puisque le roi Philippe Auguste refuse de mêler la couronne à l'affaire, l'intervention militaire commence en 1209 sous la direction de Simon de Montfort. Contrairement à une idée reçue, l'armée de ce seigneur d'Ile-de-France compte nombre de chevaliers du Languedoc.
Au sud de Carcassonne et à l'est de Montségur, le château-forteresse de Puilaurens (Aude) servit de refuge aux cathares au milieu du XIIIe siècle. - Crédits photo : Manuel Cohen / aurimages
La guerre durera vingt ans, cruelle dans les deux camps: les croisés massacrent les habitants de Béziers en 1209, le comte de Toulouse en fait autant à Pujols en 1213. En 1241, douze ans après la fin de la croisade des Albigeois, conflit politico-religieux qui n'a pas éliminé le catharisme, le nouveau comte de Toulouse, hostile à l'hérésie, met en vain le siège sous Montségur, ultime sanctuaire des cathares. En 1244, c'est l'armée royale qui s'empare des lieux et condamne à mort 225 parfaits (chiffre incertain) qui refusent d'abjurer. Le castrum cathare sera détruit: l'actuel château de Montségur est en réalité une forteresse royale bâtie ultérieurement.
Michel Roquebert, le grand spécialiste des cathares *, convient que l'Eglise médiévale n'aurait pu combattre ceux-ci avec d'autres moyens que ceux qu'elle a progressivement mis en œuvre, de la persuasion à l'emploi de la force par le bras séculier.
*L'Epopée cathare, de Michel Roquebert (Tempus, 2008).

Faut-il brûler Colbert?
Au mois de septembre dernier, Louis-Georges Tin, le président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), et le philosophe Louis Sala-Molins publiaient dansLe Mondeune tribune dans laquelle, faisant suite au débat lancé aux Etats-Unis par le démontage des statues du général Lee, ils appelaient à débaptiser en France les collèges et lycées portant le nom de Colbert, au motif que le ministre de Louis XIV serait coupable de crime contre l'humanité pour avoir légalisé l'esclavage en édictant le fameux Code noir. En l'espèce, les deux hommes poursuivaient un combat militant qu'ils mènent depuis longtemps.

Parce qu'il édicta le Code noir qui légalisa l'esclavage, certains voudraient brûler aujourd'hui le grand ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert. - Crédits photo : ©Costa/Leemage
Outre ce qu'il y a d'absurde à réduire l'œuvre immense de Jean-Baptiste Colbert à l'ordonnance de mars 1685 «sur les esclaves des îles de l'Amérique», texte que ses services ont préparé, mais qui a été mis au point après sa mort, en 1683, par son fils et successeur au secrétariat d'Etat à la Marine, le marquis de Seignelay, considérer le Code noir, expression qui désigne cette ordonnance à partir de la fin du XVIIIe siècle, avec les yeux d'aujourd'hui est un pur anachronisme. Vu en 2017, ce «recueil des règlements rendus concernant le gouvernement, l'administration de la justice, la police, la discipline et le commerce des nègres dans les colonies» est profondément choquant, puisqu'il inscrit l'esclavage dans le droit français. Vu dans son époque, il prend une autre valeur.
Le Code noir est conçu alors que l'esclavage est pratiqué outre-mer par toutes les nations maritimes européennes, et au sein même de la société, en Afrique et dans le monde arabo-musulman. Dans ce contexte, l'intervention de l'Etat français présente un mérite relatif: des règles sont posées afin d'adoucir le sort des esclaves, esclaves dont la condition servile a précédé le Code noir.
Jean-François Niort, un universitaire qui enseigne à la Guadeloupe, a publié en 2015, sur cette ordonnance royale, un livre (1) qui lui vaudra d'être accusé de négationnisme parce qu'il contredisait Louis Sala-Molins qui, dans un ouvrage paru il y a trente ans (2), affirmait que le Code noir se fondait sur la négation de l'humanité de l'esclave. Niort montre au contraire que plusieurs prescriptions de ce texte, notamment en matière religieuse, supposaient que le travailleur servile soit considéré comme un homme, et non comme une chose ou un animal (les propriétaires d'esclaves étaient ainsi tenus de les faire baptiser).
Jean-François Niort souligne par ailleurs que l'intervention de l'Etat royal, posant des bornes au pouvoir arbitraire des propriétaires, créait les conditions d'une possible évolution de la législation en faveur des esclaves. Il reste que ces derniers étaient apparentés à des biens meubles, un statut indigne, que l'évolution des esprits, en Occident, conduira enfin à condamner et à abolir au cours du premier tiers du XIXe siècle. Le Code noir n'avait certes rien d'idyllique, mais il faut le replacer dans son époque.
(1) Le Code noir, de Jean-François Niort (Le Cavalier Bleu, 2015). (2)Le Code noir ou Le Calvaire de Canaan, de Louis Sala-Molins (PUF, 1987).

Marie-Antoinette, reine martyre et star mondiale
Le 22 novembre dernier, Daniel Picouly, écrivain à succès et animateur de télévision, parlait de ses livres devant un public de lycéens de Nice à qui il expliquait que son roman, L'Enfant léopard, prix Renaudot 1999, mettait en scène un garçon de 10 ans, son double à l'âge où il était tombé amoureux de… Marie-Antoinette.
Peu auparavant, une dépêche informait que la pop star américaine Katy Perry venait de tourner un clip de présentation de son nouveau single, clip dans lequel elle était déguisée en Marie-Antoinette. Une autre dépêche, au même moment, signalait que la pièce The Final Hour of Marie-Antoinette's Life(«Marie Antoinette. La dernière heure»), de et avec l'actrice-réalisatrice française Bunny Godillot, faisait salle pleine au théâtre The Cockpit, à Londres.

Vouée aux gémonies dans les derniers mois de sa vie, la reine Marie-Antoinette a été réhabilitée par l'Histoire. - Crédits photo : apk-images
Arrivée en France à 14 ans et demi afin d'épouser le futur Louis XVI, devenue reine quatre ans plus tard, elle était rapidement devenue impopulaire, pour partie parce que, élevée à la cour de Vienne où le style était beaucoup plus simple et familial, elle avait eu du mal à intégrer les codes de Versailles et s'était laissé emporter par la tentation du luxe et de la frivolité. Accusée d'être dépensière, ce qui était vrai, et de favoriser les intérêts de son Autriche natale, ce à quoi elle ne parvenait pas mais non faute d'avoir essayé, Marie-Antoinette fut détestée à partir de l'affaire du collier, escroquerie dans laquelle elle n'était pourtant pas coupable.
Au cours des années précédant la Révolution, ayant compris qu'elle avait nui à la monarchie, elle tenta de s'intéresser à la politique, mais avec maladresse. Conduite de force à Paris avec le roi, en octobre 1789, assignée à résidence, elle correspondit afin de trouver de l'aide, en France ou hors du royaume, échafauda un plan d'évasion avec la complicité du Suédois Fersen à qui la liait une amitié amoureuse, plongea dans le désespoir lors de l'échec de la fuite à Varennes.
C'est après la prise des Tuileries et l'internement de la famille royale que Marie-Antoinette entama sa mue. Tandis que Louis XVI, lucide sur l'avenir, affichait une sérénité qui était le fruit de son élévation spirituelle, la reine apprit enfin à estimer son mari avec qui elle s'était associée dans l'épreuve, refusant de l'abandonner, fût-ce pour se mettre hors de danger avec ses enfants. Au Temple, la foi chrétienne et la vie de famille étaient dorénavant leur seul recours.
Pendant le procès de Louis XVI, puis son propre enfermement à la Conciergerie après la décapitation du roi et son procès, la reine, malade et prématurément vieillie, pressentait à son tour qu'elle n'échapperait pas au couperet d'une révolution devenue folle. Repoussant les accusations les plus ignobles (l'inceste avec son fils), condamnée à mort pour ce qu'elle était et non pour ce qu'elle avait fait, cette mère montera à l'échafaud, le 16 octobre 1793, en faisant preuve de la plus admirable dignité. Archiduchesse d'Autriche et reine de France, elle n'avait plus sa place dans un pays livré à la Terreur, et qui faisait la guerre aux rois.
Deux siècles plus tard, cette sacrifiée est regardée comme innocente par les historiens, et comme une icône par le grand public. Ironie de l'Histoire.

Ombres et lumières de l'Algérie française
Même s'il s'est bien gardé de revenir sur le sujet lors de son voyage officiel en tant que Président, à Alger, début décembre, les propos d'Emmanuel Macron en février 2017 qualifiant la colonisation en Algérie de «crime contre l'humanité», ont déclenché une vive polémique, à la mesure de l'émotion ressentie par les Français originaires de «là-bas», cette communauté de blessés de l'Histoire. Comment dépeindre sous les couleurs du crime contre l'humanité cent trente années d'administration d'un territoire français?
L'Algérie française, de 1830 à 1962, ne constitue pas un bloc. Schématiquement, son histoire se résume à trois phases. Première phase, jusqu'en 1847, voire jusqu'à la révolte de la Kabylie en 1871: la conquête. Une opération rude, conduite par des militaires qui avaient gagné leurs galons dans les armées révolutionnaires et napoléoniennes et dont ils appliquaient les méthodes. Cette guerre a fait de 250.000 à 300.000 victimes algériennes.
Bugeaud ne faisait certes pas de cadeau, mais les troupes d'Abd el-Kader ou les Kabyles, qui ne faisaient pas de prisonniers, menaient une guerre tout aussi féroce. A l'autre bout de la chaîne, la troisième phase, la guerre qui conduira à l'indépendance de l'Algérie, de 1954 à 1962, sera non moins cruelle, se soldant par 15.000 pertes militaires chez les Français et 150.000 du côté du FLN. A l'issue de ce sanglant affrontement, des Français d'Algérie seront victimes d'actes aujourd'hui constitutifs du crime contre l'humanité: environ 15.000 Européens ou musulmans fidèles à la France disparus avant et après le 19 mars 1962, et de 60.000 à 80.000 harkis massacrés.

Des Arabes et des Européens partageant l'apéritif dans un café c'était aussi cela, l'Algérie française. - Crédits photo : Bernard Lipnitzki/Roger-Viollet
Mais, entre ces deux phases du début et de la fin, il y a eu un long entre-deux de l'Algérie française. Cinquante ou soixante ans où la relation de domination entre le colonisateur et le colonisé a pu se transformer, se pacifier, jusqu'à engendrer, dans une large partie de la population indigène (mot d'époque), un sentiment d'attraction envers la France.
L'Algérie française eut ses limites, car elle fut une société à deux vitesses où 900.000 Européens, citadins en majorité, pauvres pour beaucoup, jouissaient de tous les droits de la nationalité et de la citoyenneté, tandis que 8 millions de musulmans à la démographie galopante, français depuis Napoléon III mais qui n'avaient obtenu la citoyenneté que par étapes tardives, étaient majoritairement des ruraux qui souffraient du sous-équipement.
L'Algérie française, cependant, signifia aussi la création de milliers de routes, de ponts, de barrages et de ports. Ce fut une œuvre sanitaire (132 hôpitaux à la veille de l'indépendance) et une œuvre scolaire qui permettait, en 1960, à 75 % des garçons musulmans et 50 % des filles d'Alger de fréquenter l'école. L'Algérie française, ce fut encore ces gisements de pétrole et de gaz découverts en 1956-1957 et dont vit l'Algérie indépendante. Ce fut aussi une fraternité d'armes franco-musulmane nouée pendant les deux guerres mondiales et pendant la guerre d'Algérie où les supplétifs musulmans de l'armée française représentaient un effectif quatre fois supérieur à celui de l'ALN…
Une part d'ombre, une part de lumière: rien qui n'autorise les jugements manichéens.

Le mythe des fusillés pour l'exemple
Le 11 novembre dernier, à côté des cérémonies à la mémoire des combattants de 1914-1918, se sont déroulées, dans une dizaine de départements, des manifestations d'hommage aux soldats fusillés pendant ce conflit. Depuis qu'en 1998, Lionel Jospin, alors Premier ministre, a réclamé, dans un discours prononcé à Craonne, la réintégration «dans notre mémoire nationale des soldats fusillés pour l'exemple», la revendication est récurrente.
Fusillés pour l'exemple? La formule entretient la confusion entre deux réalités différentes: d'une part, les exécutions qui ont eu lieu sur le front, par décision de justice, pendant toute la durée de la Grande Guerre, et d'autre part, la répression des mouvements collectifs de désobéissance de 1917.

Un des 600 soldats français excécutés pour «trahison» ou «espionnage» en 14-18. Un chiffre à mettre en rapport avec les 8 millions de mobilisés… - Crédits photo : Bernard Lipnitzki/Roger-Viollet
Pour un total de 8 millions de Français mobilisés de 1914 à 1918, 2 400 condamnations à mort ont été prononcées, dont 600 exécutées - chiffre à rapporter aux 1,4 million de tués au combat. Les motifs étaient divers: abandons de poste en présence de l'ennemi, mutilations volontaires, désertions, refus d'obéissance, outrages et voies de fait sur un supérieur, mais aussi crimes de droit commun (assassinats, viols).
Selon André Bach (1), les deux tiers des condamnés ont été fusillés en 1914 et en 1915. Au cours des premiers mois de la guerre, des mesures sévères ont été prises afin d'enrayer les mouvements de panique dans la troupe, quelques exécutions sommaires ayant même eu lieu. A partir de 1915, la stabilisation du front et l'expérience acquise par les soldats conduisent à supprimer les cours martiales instituées en 1914, à faire bénéficier les inculpés, dans les accusations les plus graves, d'avocats civils, et à leur offrir des garanties: recours en révision, droit de grâce du président de la République.
Les condamnés dont le recours en grâce a été rejeté n'ont donc pas été arbitrairement «fusillés pour l'exemple»: au regard du code de justice militaire, ils étaient coupables. Cela n'empêche pas, bien sûr, que des erreurs ont été commises. Les injustices flagrantes, une cinquantaine de cas, ont donné lieu, après-guerre, à des réhabilitations officielles, comme pour les six fantassins du 298e RI exécutés pour abandon de poste, à Vingré, en 1914, alors qu'ils avaient battu en retraite en obéissant à un ordre. Ils seront réhabilités par la Cour de cassation en 1921. Si cruels soient-ils, ces cas ne peuvent être isolés de leur contexte, celui d'un univers de boue et de sang où chaque jour des milliers d'hommes mouraient ou étaient atrocement blessés.
Les refus d'obéissance de 1917 constituent un autre sujet. Improprement désignés comme des mutineries, ils résultaient d'une lassitude des combattants alors que la guerre durait depuis trois ans, sans résultat décisif, et de l'échec de l'offensive Nivelle (140.000 hommes tués, disparus, blessés ou prisonniers, entre le 16 et le 19 avril 1917, pour un gain deterrain nul). Selon Denis Rolland, 78 divisions ont été concernées par 161 mouvements de désobéissance de plus ou moins grande amplitude, qui ont touché entre 59.000 et 88.000 participants (2). Sur ces dizaines de milliers d'hommes, 629 ont été condamnés à mort entre juin et décembre 1917, mais seulement 49 des peines capitales ont été exécutées (à quoi s'ajoutent 2 873 peines de prison).
Sur un plan judiciaire, rouvrir ces dossiers alors que les témoins, et souvent les pièces, ont disparu n'aurait aucun sens. A quoi rime alors cet antimilitarisme rétrospectif?
(1) Fusillés pour l'exemple, 1914-1915, du général André Bach (Tallandier, 2003).
(2)La Grève des tranchées. Les mutineries de 1917, de Denis Rolland (Editions Imago, 2005).
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Éditorial : «L'ivresse du sultan Erdogan» (22.06.2018)
Par Arnaud de La Grange
Mis à jour le 22/06/2018 à 23h08 | Publié le 22/06/2018 à 20h39
Par Arnaud de La Grange
Dans un film dont les répliques valent bien de savantes considérations, le héros donne une savoureuse définition des régimes autoritaires. «Une dictature, c'est quand les gens sont communistes, déjà, et qu'ils ont froid avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair!» nous dit OSS 117. Il y a d'autres configurations. Ce peut être aussi quand les gens sont islamistes, qu'ils ont chaud avec des lunettes de soleil et des souliers vernis. Car au fil de quinze années de pouvoir, la Turquie d'Erdogan s'est dotée de bien des attributs du despotisme.
Certes, on vote en Turquie, ce qui fait la différence avec une dictature totale. Et c'est bien là tout le génie d'Erdogan. Avoir bâti un régime autoritaire avec le soutien de ses électeurs, séduits par l'affirmation de la «nouvelle Turquie». Mais au-delà de l'urne, le ciel est sombre. Répression de toute voix dissonante, embastillement de journalistes et d'écrivains, nettoyage des universités, de la police, de l'armée, verrouillage de la justice: les interstices de liberté sont rares. Surtout depuis l'étrange putsch raté de 2016. On pourrait ajouter la mégalomanie du «sultan» avec ce Palais blanc aux mille pièces élevé à Ankara qui en dit long sur l'ivresse du pouvoir.
Erdogan assoit son régime sur l'islamisation et la militarisation de la société. Mais son ambition dépasse les frontières. Le «reïs» entend tenir tête à l'Occident, se poser en puissance régionale, voire mondiale. Sa volonté d'être le nouveau champion du monde sunnite se traduit par un activisme jusqu'en Afrique et dans les pays d'Europe de l'Ouest. Il fait feu de tout bois. De la faiblesse des Européens tenus par l'accord sur les migrants, du retrait de Trump et des appétits d'alliances de Poutine.
Après le référendum - gagné étroitement - renforçant considérablement ses pouvoirs, Erdogan a tenté un pari électoral. Celui-ci apparaît plus risqué que prévu. Les alliances contre-nature de l'opposition en disent long sur le rejet grandissant du système, nourri par la décrépitude économique. Selon les résultats et son bon vouloir, Erdogan lâchera un peu de lest. Ou continuera son inquiétante fuite en avant.

Muharrem Ince, le candidat qui fait trembler Erdogan (22.06.2018)

Par Delphine Minoui
Mis à jour le 22/06/2018 à 18h52 | Publié le 22/06/2018 à 18h38
REPORTAGE - À 54 ans, ce laïc de centre gauche s'est imposé comme le détracteur le plus virulent du président sortant, qui règne sans partage sur la scène politique turque depuis 2003.
Envoyée spéciale à Ordu (Mer Noire)
Avec sa voix de crooner, il enflamme le public à la façon d'une star de rock. «Pour le changement, Muharrem Ince!», «Pour l'amour, Muharrem Ince!», «Pour la paix, Muharrem Ince!», reprend la foule en chœur. Ce 13 juin, le candidat phare de l'opposition est venu faire campagne sur les terres de son rival. Chemise blanche sur pantalon noir, il a choisi Ordu, au bord de la mer Noire, pour adresser ses piques les plus corsées à Recep Tayyip Erdogan. «Il promet de construire des stades et des cafés. Mais c'est du pain que veulent les gens, pas des gâteaux!» lâche-t-il, en déambulant sur le podium, dressé au milieu d'une grande place.
«Si je suis élu, je promets de démultiplier les crèches afin de permettre aux femmes qui le souhaitent de travailler»
Muharrem Ince
La foule ne lui est pas acquise d'avance: dans cette province conservatrice et reculée de Turquie, on vote majoritairement AKP. Mais ce laïc de centre gauche, encore peu connu il y a quelques semaines, brise allègrement les clivages socio-politiques en s'affichant aux côtés de sa maman voilée sur ce poster géant qui flotte au-dessus des têtes. Rompant avec l'habituelle fièvre antifoulard de son parti kémaliste (CHP), Muharrem Ince n'en demeure pas moins féministe. «Si je suis élu, annonce-t-il, je promets de démultiplier les crèches afin de permettre aux femmes qui le souhaitent de travailler.» L'économie est un thème central de sa campagne, qu'il utilise à l'envie pour tancer son rival, qu'il porte responsable de l'écroulement de la livre turque et de la hausse des prix. «Le pays est en train de sombrer à cause des taux d'intérêt trop élevés  […] Moi, je vous promets un avenir plus radieux et sans peur», lance-t-il sous les applaudissements.
Qui est donc cet audacieux orateur de 54 ans qui fait trembler Erdogan? L'ex-professeur de physique et chimie, actuel député CHP de Yalova (Nord-Ouest), a créé la surprise en se présentant comme le candidat du Parti républicain du peuple au scrutin anticipé de ce dimanche 24 juin. En interne, la partie n'était pas gagnée d'avance: le vieillissant leader du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, a eu bien du mal à céder sa place de prétendant à la présidentielle. Mais la candidature d'Ince a apporté un souffle inédit à la campagne électorale. Depuis l'annonce, début mai, de son entrée en lice, via son compte Twitter, il sillonne le pays au-delà des fiefs habituels du CHP, et saute de meeting en meeting avec l'énergie d'un jeune novice. Se voulant proche du peuple, il pose ici sur une bicyclette, là sur un tracteur, et se prête, à l'occasion, à quelques pas de danse. «Ses discours sont passionnés. Il est drôle et dynamique. Le genre de chef d'État dont la Turquie a besoin», se félicite Mehmet Sayin, un représentant du parti dans la ville kurde de Diyarbakir, où l'intéressé s'est également déplacé. Un élan inédit qui bouscule la rhétorique plus attendue et répétitive d'Erdogan, de dix ans son aîné.
«Je transformerai le palais présidentiel en centre de loisirs pour personnes handicapées»
Muharrem Ince
Si l'arène de la bataille présidentielle comprend d'autres personnalités de choc, dont la «dame de fer», Meral Aksener, et le charismatique leader kurde embastillé, Selahattin Demirtas, le duel s'est vite imposé entre les deux hommes. En l'espace de quelques semaines, Erdogan et Ince se sont livré une bataille sans merci à renfort de critiques et d'invectives pimentées. Quand le chef de l'État s'enferme dans la dénonciation des «ennemis» du pays, qualifiant de «terroristes» des opposants armés de leur simple stylo, Muharrem Ince prend un malin plaisir à rappeler, vidéos à l'appui, la coopération passée entre l'entourage d'Erdogan et le prédicateur Fethullah Gülen, instigateur présumé de la tentative de putsch de 2016.
Aux discours répétitifs d'Erdogan sur une «Turquie visionnaire» en quête d'un «puissant leader», Ince préfère évoquer des promesses concrètes: la fin de l'état d'urgence, un meilleur système éducatif et la création d'emplois. «Si je deviens président, je transformerai le palais présidentiel en centre de loisirs pour personnes handicapées», prévient-il, en dénonçant la «folie des grandeurs» de son rival.
Habile politicien, Muharrem Ince s'applique également à défendre une stratégie inclusive face à un chef d'État qu'il accuse de polariser le pays. «Je veux réunir et réconcilier cette nation sous un seul grand parapluie», dit-il, en affirmant vouloir être «un président pour les 80 millions de Turcs», qu'ils soient «kurdes, sunnites ou encore alévis». Ce jour-là, son équipe a d'ailleurs sciemment remplacé les emblèmes du CHP par des drapeaux turcs pour décorer la place d'Ordu. Le meeting s'achève dans une ambiance de fête foraine. «Un héros!», s'écrie une femme. Mais dans sa famille, où tout le monde vote Erdogan, elle est la seule à vouloir changer de camp. «J'ai envie de croire à la victoire d'Ince, du moins à un second tour. Et s'il perd, il aura eu le mérite de me faire rêver», dit-elle.

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Terrorisme : en 2017, le nombre d'attaques a doublé (22.06.2018)

Par Jean Chichizola
Mis à jour le 22/06/2018 à 19h24 | Publié le 22/06/2018 à 19h06
Le dernier rapport d'Europol montre que le Royaume-Uni, l'Espagne et la France ont été particulièrement touchés l'an dernier, avec 54 morts.
Londres, Paris, Manchester, Barcelone… autant de villes endeuillées et d'attentats islamistes recensés dans le dernier rapport sur le terrorisme d'Europol, l'agence de police européenne. Deux enseignements majeurs de ce document: avec 62 personnes tuées et 819 blessées en 2017, le terrorisme djihadiste frappe toujours durement l'Union européenne, où l'islam radical est implanté depuis des décennies.
Trois pays ont été particulièrement touchés, avec 54 morts: le Royaume-Uni, l'Espagne et la France. Seconde leçon: les revers de l'État islamique ont entraîné une flambée de violence en Europe. En 2017, 33 attentats («réussis» ou «ratés») ont été perpétrés (14 au Royaume-Uni, 11 en France, 2 en Espagne et en Belgique, 1 en Finlande, Allemagne, Italie et Suède) contre 13 en 2016. Dix ont été mortels avec là encore le Royaume-Uni, la France et l'Espagne en première ligne: 3 à Londres et Manchester (le plus meurtrier avec 22 morts dont plusieurs enfants), 2 sur les Champs Élysées et à Marseille, et 2 à Barcelone et Cambrils. S'y ajoutent une attaque à Stockholm, une à Hambourg et une à Turku (Finlande).
Des armes «du quotidien»
Avec 62 personnes tuées et 819 blessées en 2017, le terrorisme djihadiste frappe toujours durement l'Union européenne, où l'islam radical est implanté depuis des décennies.
L'analyse de ces attaques démontre que la nébuleuse terroriste se joue des frontières et applique les consignes données par un État islamique en difficulté. Premier constat: à l'exception de l'attentat de Manchester relativement sophistiqué (ceinture d'explosifs) et de celui de Paris (kalachnikov), les terroristes ont eu recours à des armes «du quotidien» (couteau, marteau, voiture, camion). Quand ils ont voulu utiliser des explosifs, ils ont souvent échoué, comme en Catalogne où une partie d'entre eux a sauté avec leur stock. Ou comme à Bruxelles le 20 juin, ou dans le métro londonien le 15 septembre lorsque des engins ont dysfonctionné au dernier moment, évitant un massacre.
Europol souligne que bon nombre des terroristes étaient connus des autorités mais n'étaient pas considérés comme une «menace terroriste majeure».
Les attaques de 2017 sont également remarquables par leurs cibles: la population surprise dans ses activités quotidiennes, les policiers et les militaires et enfin les lieux symboliques du mode de vie occidental «décadent» (salle de concert de Manchester, la musique étant considérée comme l'œuvre du diable, et autres lieux conviviaux). Signe encore plus inquiétant, Europol souligne que bon nombre des terroristes étaient connus des autorités mais n'étaient pas considérés comme une «menace terroriste majeure».
Au détour du rapport, un exemple illustre la difficulté des enquêteurs partout en Europe: au Danemark, une adolescente de 15 ans, radicalisée sur le Net, a été interpellée in extremis alors qu'elle confectionnait des explosifs pour attaquer son ancienne école et une école juive. Europol souligne également qu'aux côtés de l'État islamique (environ 5000 djihadistes auraient rejoint ces rangs depuis l'Union européenne, 2500 étant toujours dans la zone fin 2017, 1500 étant revenus et au moins 1000 ayant trouvé la mort), d'autres groupes terroristes comme al-Qaida tenteront très probablement de profiter de son affaiblissement.
Des chiffres impressionnants
Une autre statistique souligne l'ampleur du phénomène: en 2017, 705 personnes ont été interpellées dans des dossiers terroristes djihadistes dans 19 pays de l'Union européenne (contre 718 en 2016, 687 en 2015, 395 en 2014 et 216 en 2013). 373 l'ont été en France, 78 en Espagne, une cinquantaine en Allemagne, Belgique et Autriche. Quant au Royaume-Uni, ses statistiques ne distinguent pas les différentes catégories d'extrémistes arrêtés pour terrorisme (ils ont été 168 au total en 2017). Mais, à l'exception de quelques rescapés du terrorisme irlandais, on peut estimer que la grande majorité de ces 168 individus sont des djihadistes. Ce qui une nouvelle fois reproduit le trio France/Royaume-Uni/Espagne.
Avec 352 jugements dans des affaires de terrorisme l'an dernier, la France arrive là encore en tête.
Sur le plan judiciaire, les chiffres sont tout aussi impressionnants avec 352 jugements dans des affaires de terrorisme l'an dernier, la France arrivant là encore en tête (114 jugements devant la Belgique cette fois avec 81 jugements et les Pays-Bas 37). Le Royaume-Uni recense 125 jugements pour terrorisme mais sans plus distinguer (on peut estimer que la grande majorité concerne le djihadisme). Cette activité des services de police et des justices européens parviendra-t-elle à réduire le risque? Objectif difficile si on considère le nombre de radicalisés en Europe (aucune statistique européenne n'existe mais, à en juger par les estimations nationales, ils seraient plusieurs dizaines de milliers) et le fait que la menace est plus que jamais endogène et difficile à détecter.

La menace Daech ne faiblit pas sur le Web
C'est un champ de bataille discret, qui inquiète moins les opinions publiques, mais qui a pris une importance majeure dans la lutte contre le djihadisme. Les groupes terroristes ont investi le cyberespace depuis longtemps. Et la contre-offensive occidentale ne les empêche pas de persévérer, comme l'explique Europol dans son rapport. L'État islamique a ainsi sa division de hacking, connue sous le nom de «Cybercalifat uni». Ce Cybercalifat intègre tout groupe se réclamant de lui, comme la «Cyberarmée du califat», responsable du parasitage de nombreux sites, la «Cyberarmée islamique», spécialisée dans la collecte d'informations sur l'énergie et les réseaux électriques, les «Fils de l'armée du califat» spécialisés dans le hacking de comptes sur les réseaux sociaux ou encore les «Fantômes électroniques du califat» ayant menacé d'une cyberattaque globale sans qu'elle se soit matérialisée. Europol évoque également l'hypothèse que les cyberdjihadistes puissent acheter les services de réseaux criminels en espérant combiner un jour une opération hybride, avec un attentat et une cyberattaque perturbant par exemple l'action des services de secours.
Au-delà de ces ébauches de cyberguerre, la propagande sur le Net demeure le principal champ d'action de Daech. Europol souligne que les productions de l'EI ont beaucoup perdu en quantité et en qualité, particulièrement lors du second semestre 2017. «En décembre toutefois, note Europol, le réseau de médias de l'EI a montré des signes de rétablissement et a augmenté sa production de façon significative».
En Europe, les djihadistes, qui ne négligent pas de collecter à l'occasion des fonds grâce aux «bitcoins», se sont adaptés: en 2016, ils avaient migré de Facebook ou Twitter vers Telegram. En 2017, ils ont quitté les chaînes publiques de Telegram pour des groupes de discussion privés verrouillés par une clé régulièrement changée. De même, pour répondre aux fermetures de plus en plus fréquentes de comptes sur les réseaux sociaux, des islamistes réunis dans une Al-Ansar Bank (la Banque des partisans) ont créé des «groupes de compte» sur Facebook, Gmail, Instagram ou Twitter. Les «frères» interdits de Net peuvent continuer à y sévir sous le couvert de l'anonymat. La guerre du cyberespace ne fait que commencer

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Pourquoi se cultiver participe à notre bonheur (22.06.2018)


Par Pascale Senk
Mis à jour le 22/06/2018 à 18h39 | Publié le 22/06/2018 à 17h28
PSYCHOLOGIE - Toutes les activités culturelles et artistiques peuvent être profitables pour notre équilibre et notre bien-être.
Cela ressemble à une prescription médicale: une heure par semaine, de 25 à 65 ans, voici tout ce que vous avez intérêt à lire, écouter, visionner, visiter pour «affronter au mieux le monde», «vivre mille vies virtuelles», «se découvrir et avoir accès à de nouvelles dimensions du bonheur et de la réussite». Quelles sont donc ces potions magiques?
Des Trois Mousquetaires de Dumas à Blade Runner, le film de Ridley Scott, en passant par le Taj Mahal en Inde ou la toile La Maja nue de Goya, ce sont plus de 700 œuvres culturelles qu'a sélectionnées Jacques Attali dans son dernier livre Les Chemins de l'essentiel (Fayard). Car, bien sûr, ni la famille ni l'école ne suffisent à nourrir nos esprits et nos cœurs assoiffés - dans le meilleur des cas - d'intelligence, de beauté, et surtout… d'humanité. Se cultiver, rappelle l'écrivain, c'est en effet se mettre en contact avec des valeurs universelles et se sentir appartenir au monde. En ce sens c'est partager un trésor et, face à tout ce qu'il apporte, mieux se connaître soi-même, mieux comprendre les autres.
Pour le psychiatre Thierry Delcourt, cela a à voir avec un mécanisme psychologique, «l'introjection»: «Quand le sculpteur Giacometti explore les traditions d'Afrique et d'Océanie, il absorbe ces influences, les digère et les introjecte dans ses propres créations pour en faire du “jamais vu”».
Auteur d'un essai sur la Folie de l'artiste, créer au bord de l'abîme (Éd. Max Milo), le Dr Thierry Delcourt intègre pleinement la dimension culturelle dans son travail: «Si on ne fait qu'appliquer le savoir théorique de son domaine, on passe à côté de l'essentiel, estime-t-il. Un plombier qui ne s'intéresserait pas à ce qui se faisait avant ou ailleurs dans son métier ne peut être un bon artisan. Même chose pour un soignant qui ignorerait les sciences et les œuvres culturelles humaines… Il aurait une vision fermée de la maladie mentale».
Se ressourcer à un niveau profond
Élodie Lahaye, médecin généraliste et conceptrice de séminaires dans un organisme de formations pour les médecins, partage cet avis. «En associant médecine et culture, à partir de textes de théâtre ou du travail du clown, nous observons que l'approche du patient change chez nos participants, observe-t-elle. Ceux-ci ne viennent pas apprendre des recettes, mais vivre des émotions, tout un “savoir-être” qui leur sert dans la rencontre humaine de la consultation.»
«Le théâtre, c'est l'anti-burn-out»
Élodie Lahaye, médecin généraliste
Un voyage philosophique de groupe en Grèce autour du serment d'Hippocrate, des exercices de réécriture de l'épisode de la «petite madeleine» de Proust, la lecture sur scène de la correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès… Les œuvres culturelles de tous horizons constituent une manne toujours disponible lors des séminaires bisannuels qui permettent aux médecins rudement malmenés dans l'exercice de leur métier de se ressourcer à un niveau profond.
«Le théâtre, c'est l'anti-burn-out, affirme Élodie Lahaye! Je me souviens notamment d'une lecture sans ponctuation du texte Tu seras un homme mon fils de Rudyard Kipling. Celle-ci a permis à de nombreux médecins d'exprimer leur souffrance.»
Ces prescriptions culturelles aident aussi les patients. «L'anthropologie avec des travaux comme ceux de Françoise Héritier, le cinéma, la sculpture… Quand j'écoute la problématique d'un patient, je dispose d'un savoir qui ne se limite pas aux quatre murs du cabinet, explique le Dr Thierry Delcourt. Et en me demandant comment être créatif face à la situation vécue par cette personne, je lui restitue aussi un peu de sa créativité.»
Si chaque cas est singulier, certaines œuvres aident particulièrement le psychiatre dans son accueil du trouble psychique. «Je me souviens d'une patiente très éprouvée par un fort sentiment de culpabilité… Je lui avais alors parlé des “folles de Morzine”, ces centaines de femmes qui, au XIXe siècle, se croyaient possédées par des démons. L'évocation de cet épisode historique, le fait d'échanger tous deux dessus, a eu un véritable effet de libération. De même, parler du film Festen , avec certains patients permet d'aborder la révélation de l'inceste, et leur fait comprendre qu'ils ne sont pas seuls avec leur traumatisme».
Cependant, engranger des connaissances ne suffit pas. Pour se cultiver en profondeur, temps et maturation sont requis. Ainsi que de la chance: ce sont le plus souvent des «passeurs» qui nous mettent sur le chemin d'œuvres culturelles qui nous seront profitables.

«Sans culture, on ne se transforme pas»
Pierre Lemarquis, neurologue, membre de la Société de neurophysiologie clinique de langue française, est l'auteur de L'Empathie esthétique, entre Mozart et Michel-Ange (éd. Odile Jacob).
LE FIGARO. - Vous montrez dans votre livre que les produits culturels provoquent en quelque sorte un «rafraîchissement mental»… De quelle manière?
Pierre LEMARQUIS. - Il faut d'abord comprendre que notre cerveau nous coûte cher en énergie. Nous avons donc tendance à nous en servir le moins possible. Mais si nous regardons des toiles de maîtres ou écoutons des opéras, nous permettons à notre cerveau de changer de perspective. Il a été montré qu'en deux secondes seulement, nous rejetons une œuvre qui ne nous intéresse pas. Et il suffit de quatre secondes pour commencer à être attiré par une autre. Souvent, c'est parce qu'on reconnaît effectivement une sonorité, une mélodie, ou un trait de peintre qu'on est «accroché» par une œuvre. Mais ensuite, cette fréquentation, en nous entraînant dans le sillage du créateur, nous donne accès à des voies nouvelles et, ainsi, nous empêche de nous scléroser. Car sans culture, on ne se transforme pas. Bien sûr, je ne parle pas d'une consommation culturelle de ce qui est à la mode. Je parle d'une fréquentation culturelle qui peu à peu nous entraîne vers des découvertes plus personnelles, élargit notre horizon.
Qu'est-ce que, de ce point de vue, «se cultiver»?
Nous fonctionnons par arborescences et ainsi, dans chaque objet culturel, nous pouvons discerner les influences qui lui sont sous-jacentes: sans Virgile, il n'y aurait pas eu Dante, sans Bach, Chopin ne serait pas devenu celui qu'il est, etc. La culture est un fil que nous tenons mais dont nous ne voyons jamais le bout. C'est pour cela qu'elle nous tient sans cesse «éveillés».
«La spécificité de la musique, c'est qu'elle nous offre à a fois des tensions, qui nous surprennent, et des répétitions, comme dans une berceuse maternelle, qui nous rassurent»
Pierre Lemarquis
Parlons de la musique, que vous connaissez bien. Comment nous nourrit-elle?
Cette «mère de tous les arts» a été énormément étudiée. Et oui, elle est première: nous sommes musiciens avant de parler! Notre cerveau est câblé pour elle. C'est d'ailleurs grâce au rythme que le bébé apprend à parler et ce repère va le mener du son au sens. Quand on apprend une langue étrangère, on s'imprègne d'une mélodie. La spécificité de la musique, c'est qu'elle nous offre à a fois des tensions, qui nous surprennent, et des répétitions, comme dans une berceuse maternelle, qui nous rassurent. La musique «sculpte» notre cerveau car elle développe notre capacité à percevoir les sons. Comme elle stimule le lobe frontal, qui régit notre action sur le monde, elle nourrit notre part de réflexion, notre capacité à nous organiser et anticiper. Mais elle «caresse» aussi notre cerveau en aidant à la libération de dopamine et d'endorphines, qui provoquent ces fameux frissons de plaisir quand nous écoutons certaines pièces musicales… Elle nous rassure et nous donne envie de vivre! Enfin, elle atteint la zone profonde de nos émotions et nous fait entrer en empathie avec un morceau et son compositeur. C'est ainsi que, tristes, nous écoutons la tristesse de Chopin et nous découvrons qu'écouter Chopin, c'est être avec un ami!
Est-ce le même processus avec une toile ou une œuvre littéraire?
Devant une toile, la zone de la vision s'enclenche comme s'il s'agissait de la réalité. Face à la Joconde, notre zone de la reconnaissance s'active et c'est tout à fait comme si nous rencontrions une vraie personne. Dans le cas d'une peinture abstraite, c'est comme si nous rentrions en contact avec les gestes de l'artiste. Ainsi, nos sens qui sont plutôt «atrophiés» dans la vie quotidienne sont-ils stimulés par cette empathie esthétique. Quant à la littérature, la bibliothérapie est désormais corroborée par de nombreuses études. Plus on donne «à lire» à notre cerveau, plus la pensée de l'auteur s'y incarne. Alors nous devenons un autre, faisons ses expériences, ses voyages et cela ne peut que nous enrichir.

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Gestation pour autrui : «En Inde, les mères porteuses sont réduites à l'état d'esclaves» (22.06.2018)

Par Paul Sugy
Mis à jour le 22/06/2018 à 19h53 | Publié le 22/06/2018 à 19h52
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Après une longue enquête, Sheela Saravanan révèle les conditions dans lesquelles se déroule la gestation pour autrui en Inde : très pauvres, les mères porteuses sont retenues en quasi captivité, sans aucun soutien psychologique. Un récit bouleversant.

Sheela Saravanan est une chercheuse indienne, titulaire d'un doctorat en santé publique , et a travaillé dans plusieurs universités allemandes. Elle appartient notamment à l'Institut d'Éthique et d'Histoire de la médecine, à l'Université de Göttingen. Féministe, elle s'intéresse notamment aux violences faites aux femmes en Inde et dans les pays du Sud, ainsi qu'aux technologies de reproduction, en particulier la PMA.
Elle a mené une longue enquête auprès des mères porteuses en Inde, et a publié à la suite de ses recherches A Transnational Feminist View of Surrogacy Biomarkets in India(Springer, 2018), un document réalisé à partir de nombreux entretiens. Elle y révèle les conditions terribles dans lesquelles les mères porteuses sont étroitement surveillées tout au long de leur grossesse. Entretien exclusif.

FIGAROVOX.- Pour quelles raisons avez-vous choisi de vous intéresser aux mères porteuses en Inde?
Sheela SARAVANAN.- En 2007, L'Inde était la deuxième destination au monde en matière de tourisme médical, grâce à la qualité de son système de santé, de ses équipements et de l'accessibilité des soins. Je pensais donc que les parents d'intention (les personnes qui ont recours à une mère porteuse pour obtenir un enfant) étaient attirés par la modernité des équipements médicaux et le haut degré de qualification des médecins, ainsi que par la permissivité de la législation indienne, la faiblesse des coûts et la disponibilité des mères porteuses.
Mais lorsque je suis venu en Inde et que j'ai discuté avec des parents d'intention, j'ai compris en réalité qu'ils viennent surtout parce qu'en Inde, les mères porteuses n'ont absolument aucun droit sur l'enfant qu'elles portent, ni même sur leur propre corps tout au long de leur grossesse. Elles ne bénéficient d'aucun soutien légal ni psychologique. On leur demande d'allaiter l'enfant qu'elles ont porté, puis on le leur arrache sans leur apporter la moindre assistance psychologique.
C'est tout le contraire de ce que l'on nous montre à la télévision: dans les talk-shows comme celui d'Oprah Winfrey aux États-Unis, on nous vend une image romantique de la gestation pour autrui en Inde, comme si c'était un service rendu, entre sœurs, en quelque sorte. J'ai donc pris conscience qu'en Inde, la gestation pour autrui est une violation flagrante des droits de l'homme, et qu'elle fait encourir d'importants risques pour la santé des femmes.
Vous rapportez les difficultés que vous avez eues pour approcher les mères porteuses. Pourquoi les cliniques étaient-elles si réticentes à vous mettre en contact, si leur activité est légale?
Malgré tout, deux cliniques ont accepté de m'aider dans mes recherches, dont une qui dispose d'un foyer pour mères porteuses, c'est-à-dire des dortoirs dans lesquels les femmes enceintes sont détenues pendant toute leur grossesse. J'ai toutefois appris plus tard que les femmes avaient reçu des consignes très strictes sur ce qu'elles avaient le droit de dire ou non.
J'ai rapidement compris les raisons de tous ces mystères. Ces cliniques étaient impliquées dans diverses activités illégales: elles ne fournissaient aucune copie de leur contrat aux mères porteuses, elles fabriquaient de faux certificats de naissance, et se servaient même de leur influence pour émettre de faux passeports aux personnes qui souhaitaient ramener un enfant dans un pays où la GPA est illégale. Par ailleurs, de nombreuses médicales y sont contraires à toute forme d'éthique: bien qu'on n'ait pas le droit d'implanter plus de trois embryons à la fois dans l'utérus de la mère, les cliniques en implantent systématiquement cinq, et s'il y en a plus de deux qui sont viables, on procède in-utero à des avortements sélectifs. De plus, les accouchements ne se font que par césarienne. Une des mères m'a confié que même si le travail se fait douloureusement, on les conduit brutalement en salle d'opération pour les accoucher en urgence. Ces pratiques sont toutes, évidemment, illégales. Les cliniques se doutaient certainement que si je restais trop longtemps ou que j'approchais les femmes de trop près, je finirais par avoir vent de leurs pratiques, d'où leur réticence à me mettre en relation avec elles.
Quelles sont les conditions socio-économiques dans lesquelles vivent les femmes qui deviennent mères porteuses? L'argent est leur seule motivation?
Je n'ai rencontré aucune femme qui ait fait des études supérieures. Leurs revenus familiaux sont tous situés entre 3 000 et 6 000 roupies par mois, c'est-à-dire entre 50 et 100 euros. Pour une gestation pour autrui, elles touchent environ 3 500 euros (250 000 roupies), soit l'équivalent de trois ans de salaire. Toutes les femmes que j'ai rencontrées connaissent d'importantes difficultés économiques: de bas revenus, mais aussi des soucis de santé dans leur famille qui nécessitent des soins parfois coûteux. Même si aucune d'entre elles ne vit dans des conditions extrêmes de pauvreté, et bien que ce qu'elles gagnent grâce à la GPA ne représente pas non plus une immense fortune, ce salaire est très important pour elles car il permet à leur famille de ne pas sombrer dans la misère. Toutes sont au bord de la pauvreté: le moindre imprévu (une maladie, mais aussi un mariage ou le décès d'un proche) peut les y plonger durablement, d'autant qu'en Inde, il n'y a pas réellement de sécurité sociale.
L'argent est donc la motivation première. Elles font souvent le calcul, pour savoir combien de grossesses elles devront réaliser avant d'être complètement à l'abri des difficultés économiques. Les cliniques les encouragent d'ailleurs, après la première GPA, à continuer: souvent, elles savent les persuader en ciblant expressément des femmes qui ont vraiment besoin d'argent. Je n'ai rencontré qu'une seule femme qui a refusé de réaliser une seconde grossesse: sa GPA lui a permis d'acheter la pauvre maison qu'elle louait auparavant avec son mari, et elle s'est remise à vendre des légumes.
Les parents d'intention choisissent-ils les mères porteuses? Vous écrivez dans votre étude que «la GPA est un bazar où même la capacité d'une femme à porter des enfants a un prix». Que voulez-vous dire?
Oui, ce sont principalement les parents qui choisissent la mère porteuse, d'abord sur la base de photos et de quelques informations basiques, puis ensuite en leur faisant passer un entretien. Ils évaluent les candidates en fonction de leur apparence physique, préférant par exemple celles qui sont légèrement en surpoids car c'est un gage de bonne santé selon eux ; mais aussi en fonction de leur disposition à abandonner le bébé sitôt après la naissance. Ils privilégient nettement les plus pauvres, et s'intéressent au taux de mortalité dans leurs familles. Les mères, en revanche, n'ont pas le choix.
Un supplément est versé aux femmes qui allaitent le bébé, et leur salaire est en partie indexé sur le poids de l'enfant à la naissance. En cas de handicap, ou si le sexe n'est pas celui désiré, elles sont en revanche moins payées. D'après un médecin, un tiers environ des parents préfèrent une mère qui a la même religion qu'eux. Une mère m'a confié qu'elle avait touché une prime, car elle appartenait à une caste de propriétaires, les Patel, qui jouissent d'un statut social prestigieux dans le Gujarat. Dans d'autres cliniques, on ne recrute que des femmes à la peau claire, et des critères de beauté ont été introduits.
Les parents doivent débourser environ 1,1 million de roupies (18 000 euros environ), et les prix sont multipliés par le nombre de bébés en cas de jumeaux ou de triplés. Les bébés aussi sont donc une marchandise à vendre. Et en effet, comme je l'ai écrit, ces cliniques ressemblent à de gigantesques bazars, où tout a un prix: le corps des femmes, leur lait maternel, le travail de nounous que certaines font pendant quelque temps après la naissance, le nombre d'enfants, leurs poids, leur sexe, leur santé, et même jusqu'à la caste sociale ou la religion de la mère.
Vous avez également visité ces «surrogacy homes», ces foyers pour mères porteuses où sont retenues les femmes pendant leur grossesse. Y restent-elles par choix, ou par obligation? Vous comparez ces lieux à des prisons…
Il s'agit d'une obligation imposée par la clinique, parfois même après la naissance si les parents d'intention souhaitent que la mère allaite l'enfant. De toute manière, après l'accouchement, elles n'ont pas le droit de retourner tout de suite chez elles. Pendant la grossesse, tous leurs mouvements sont strictement contrôlés, elles n'ont pas le droit de sortir ni d'accomplir aucune tâche du quotidien. On limite le nombre de proches qu'elles sont autorisées à voir. Elles doivent également abandonner leurs autres enfants: l'une d'entre elles, célibataire, a dû les confier à son frère tout le temps de la grossesse. Et dans la clinique, il n'y a aucun divertissement prévu pour elles: pas de télé, de radio, de livres ou d'ordinateurs, elles sont sur leur téléphone portable pratiquement toute la journée. Même dans les prisons, il y a des cours ou des espaces de récréation. On leur fait écouter de la musique sacrée à longueur de temps, car cela est supposé avoir un effet bénéfique sur les bébés. Elles sont gavées à longueur de journée, sont tenues de finir leur assiette à chaque repas. En réalité, les conditions de vie dans ces foyers sont une violation flagrante des droits de l'homme: toute activité autre que liée au bon déroulement de la grossesse est bannie.
Les liens avec leur famille sont donc coupés tout le temps de la grossesse? Que disent-elles à leurs proches?
Le consentement du mari est obligatoire pour devenir mère porteuse, donc la famille proche est toujours au courant. La plupart d'entre elles l'annoncent à leurs proches soit pendant la grossesse, soit rapidement après. Certaines d'entre elles viennent à la clinique accompagnée par une proche, pour se rassurer, au début. La GPA est très stigmatisée en Inde, mais la plupart du temps les femmes ne s'en soucient que très peu car elles ont le soutien de leur famille, voire même suscitent l'admiration car elles se sacrifient pour subvenir aux besoins de leurs proches. Certaines d'entre elles, malgré tout, préfèrent mentir et font croire qu'elles travaillent à l'étranger pour justifier de longs mois d'absence.
Quelle relation ont les mères à l'égard de l'enfant qu'elles portent? Le considèrent-elles comme leur propre enfant? Réussissent-elles facilement à l'abandonner, après l'accouchement?
On ne cesse de leur répéter que l'enfant n'est pas à elles mais qu'il appartient aux parents d'intention. Mais en réalité, la séparation est toujours un déchirement, et la plupart des mères éprouvent une profonde tristesse. La grossesse est une pratique teintée de très fortes significations culturelles, sociales et religieuses. Toutes les mères porteuses se considèrent comme la mère de l'enfant, et elles réclament souvent d'avoir de ses nouvelles de la part des parents d'intention après l'adoption.
Émotionnellement, la séparation avec l'enfant est presque toujours dévastatrice, d'autant plus qu'il leur est interdit de faire part de leurs sentiments: les manifestations de tendresse à l'égard du bébé sont prohibées, et elles ne peuvent en parler ni avec les médecins, ni avec les parents d'intention, ni même, bien souvent, avec leur mari. Il n'y a qu'entre elles qu'elles peuvent en discuter. Le temps qu'elles passent avec l'enfant après la naissance est très précieux pour elles, elles en gardent un souvenir grâce aux photos qu'elles prennent à ce moment. Lors de nos entretiens, ces photos sont une des premières choses qu'elles ont voulu me montrer!
Les parents adoptifs, au contraire, ne considèrent pas la mère porteuse comme la vraie mère, et dissocient la grossesse du fait d'être «propriétaire» de l'enfant. Ils s'appuient sur le fait que la plupart du temps, les embryons sont conçus à partir de leur matériel génétique à eux. Les médecins s'appuient sur ce sentiment de propriété des parents d'intention pour faire entendre raison aux mères porteuses, et n'évoquent jamais le sentiment maternel de ces femmes devant les parents adoptifs: ils leur disent qu'elles ne s'intéressent qu'à l'argent.
Est-ce qu'il arrive parfois que les parents qui ont commandé l'enfant le refusent, par exemple en cas de handicap ou lorsque le sexe n'est pas celui exigé?
Oui, hélas. Au cours de mon enquête, j'ai entendu dire qu'une petite fille était née avec une main en moins: la semaine suivante, la presse rapportait que cette enfant avait été retrouvée sous un pont de la ville. La mère porteuse a reconnu que c'était bien le bébé dont elle avait accouché, mais n'a pas osé se signaler à la police, de peur qu'on croit que c'était elle qui avait abandonné l'enfant, alors que les coupables étaient les parents adoptifs. D'autres enfants, selon certains articles de presse, auraient été abandonnés à l'orphelinat en raison de leur handicap ; ou pire, certains auraient été vendus à des réseaux clandestins d'adoption. Mais comme il n'y a pas de statistiques précises sur le nombre d'enfants nés dans les cliniques de GPA, on ne sait pas combien d'entre eux ont été ainsi abandonnés.
Vous vous dites féministe. Pourtant, d'autres féministes soutiennent au contraire la possibilité pour les femmes d'être mères porteuses, au nom du respect de l'autonomie des individus!
Le féminisme, dans son approche libérale, se concentre en effet sur l'autonomie de l'individu dans ses choix reproductifs. Cette approche vise à libéraliser l'accès à toutes les formes de technologies reproductives, sans que l'État n'instaure de barrières quelconques. Les techniques d'assistance médicale à la procréation (PMA) par exemple sont considérées comme un excellent moyen de résoudre les problèmes d'infertilité ; et la GPA est vue comme un marché gagnant-gagnant, avec un bébé contre de l'argent. Mais ce point de vue occulte complètement la réalité sociale: dans les faits, les femmes qui deviennent mères porteuses le font rarement par choix, mais y sont poussées à cause de leur situation économique, en raison de très fortes inégalités comme celles qui existent en Inde.
Les féministes se sont battues pour la libération des femmes, notamment à l'égard du rôle maternel stéréotypé auquel on les assignait. Certaines féministes vont jusqu'à voir dans la GPA une étape de ce processus de libération, puisque l'activité reproductive est séparée strictement de la maternité. C'est, selon elles, une expérience libératrice, puisque cela participe de l'émancipation face à la nature, à l'instinct maternel. Mais en réalité, la GPA est une soumission complète, à la fois à la technologie et au patriarcat: en témoigne le contrôle absolu auquel les femmes sont astreintes pendant leur grossesse, au nom du fait que les femmes doivent entièrement se consacrer à l'enfant qu'elles portent. Pendant toute leur grossesse, les femmes sont exclues de toute forme de vie sociale extérieure à la clinique.
En réalité, l'autonomie des individus n'est jamais décorrélée du contexte social dans lequel ils évoluent: chaque décision est prise dans un contexte politique, économique et culturel, car les individus appartiennent toujours à une communauté et à une histoire. Les femmes indiennes qui deviennent mères porteuses le font par devoir à l'égard de leur famille ou de leurs proches dans le besoin, en partie pour gagner leur affection ou leur respect. Elles subissent bien souvent une subtile pression de la part de leur famille, maquillée sous des liens affectifs étroits. Elles font ce choix pour permettre, aussi, à leurs enfants d'échapper à l'impasse dans laquelle elles se trouvent elles-mêmes. Certaines ont même besoin de cet argent pour payer la dot de leurs sœurs ou belles-sœurs, ce qui participe précisément au maintien d'un système de domination!
Du reste, l'approche individualiste empêche de considérer un autre aspect de la question: 60 à 80 % des parents qui commandent un enfant sont des étrangers: ils viennent le plus souvent des pays du Nord, et descendent dans ceux du Sud où les personnes, plus pauvres, sont davantage disposées à devenir un matériau biologique.
J'appelle donc à une interdiction mondiale de la gestation pour autrui, car c'est une pratique inhumaine tant à l'égard de la mère porteuse que pour les enfants, privés de vérité biologique sur l'identité de leur maman. Les droits des parents d'intention ne doivent pas l'emporter sur ceux de la mère, qui subit une mise à l'index de la société ainsi que des atteintes à sa santé, à son équilibre psychique, à sa liberté. Je demande aussi que s'instaure une solidarité féministe transnationale, afin de renforcer la justice reproductive: on ne peut pas bafouer ainsi les droits des personnes, sous prétexte de leur vulnérabilité.
Peut-on s'opposer à la gestation pour autrui tout en soutenant les techniques d'assistance médicale à la procréation?
Non, je ne crois pas, dans la mesure où les techniques de PMA supposent de trier et de manipuler un matériel biologique, et par conséquent de réifier la race ou l'appartenance ethnique des embryons. Ces techniques, comme la GPA, renforcent les discriminations sociales. En cette ère d'importants progrès médicaux et scientifiques, nous devons prendre du recul et considérer les implications et conséquences de tous ces bouleversements dans la reproduction humaine: nous avons, à cet égard, une lourde responsabilité. Avec le don de gamètes, bien que dans une moindre mesure par rapport à la GPA, il y a déjà une forme de marchandisation du corps. Ces pratiques se ressemblent toutes par leur impact sur la psychologie humaine, la façon dont elles brouillent les identités.
À mon sens, les technologies reproductives ne sont acceptables moralement que si elles n'impliquent qu'une intervention sur le corps de la personne qui en fait le choix pour elle. Mais il ne peut y avoir de droits reproductifs, qui impliquent une opération invasive ou nuisible sur une tierce personne. La sélection des gamètes, le choix du sexe de l'enfant, le diagnostic préimplantatoire sont autant de techniques qui renforcent toujours certaines formes de discriminations.
En revanche, est-ce que l'interdiction de la GPA ne risque pas de laisser ces pratiques se perpétuer souterrainement, dans des conditions pires encore?
Non, car en réalité, même légale, la gestation pour autrui s'accompagne de pratiques terribles. En 2013, de très jeunes femmes venues des régions les plus pauvres d'Inde ont été enlevées, échangées, violées et forcées à devenir mères porteuses. Une jeune fille a notamment été forcée d'accoucher à six reprises après son enlèvement, à l'âge de 13 ans! Il y a de très nombreux trafics similaires en Inde, avec des femmes venues souvent du Népal ou de Thaïlande. D'autant que la GPA intéresse de moins en moins de femmes à cause de la diminution des salaires. Comme pour la prostitution, une interdiction formelle n'empêchera certainement pas certains trafics souterrains, mais permettra de créer des plateformes légales pour aider les femmes qui en sont victimes à se pourvoir en justice, tandis qu'un système permissif favorise l'essor des réseaux clandestins.
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Natacha Polony : «Dans l'Éducation nationale, la vieille rengaine des pédago-modernistes» (22.06.2018)
Par Natacha Polony
Publié le 22/06/2018 à 19h41
CHRONIQUE - Chant choral, port de l'uniforme, études des classiques de la littérature... Autant de pratiques que les défenseurs de l'égalitarisme scolaire jugent volontiers archaïques alors qu'elles permettent aux enfants de gagner en confiance en soi, de s'épanouir et de partager un patrimoine culturel universel.
La détestation du passé, discipline pratiquée dans une France où la religion du Progrès cherche à se confondre avec la défense de l'égalité, a des adeptes fervents dès qu'on aborde la question scolaire. Au point de sombrer parfois dans les contradictions les plus grossières. Ainsi, quand un ministre de l'Éducation nationale projette de créer des chorales dans chaque établissement scolaire, certains se lancent-ils dans un procès véhément de ce retour à «l'école à l'ancienne», celle de «la IIIe République», ou tout autre qualificatif censé marquer le caractère scandaleusement ringard de cette période réprouvée. Les mêmes, donc, qui vantent le travail en équipes, la pédagogie par projets, la valorisation des qualités autres que la maîtrise des disciplines scolaires, tout cela pour l'épanouissement des enfants, ont des prudences de gazelle et parfois de doctes réticences. Ils oublient que si la pratique du chant choral à l'école, sans jamais s'imposer vraiment, a été développée dans l'école de la IIIe République, c'est le produit d'un siècle de réflexions pédagogiques s'ouvrant avec l'abbé Grégoire, persuadé que le chant permettra d'imposer la langue française sur le territoire, et se poursuivant avec tous ceux qui y trouvaient des vertus pour le corps et l'esprit, à travers la cohésion et la maîtrise de soi.
La parade, heureusement, s'impose d'elle-même. On a immédiatement entendu les généreuses âmes expliquer qu'il ne fallait surtout pas se cantonner au classique, et que le mieux serait de faire chanter du rap pour «valoriser» la musique que «les jeunes écoutent» et leur montrer qu'il «n'y a pas de hiérarchie dans l'art». Allez, après le Bataclan, quelques concerts de Médine dans les écoles, pour que les enfants puissent eux aussi chanter qu'il faut «crucifier les laïcards comme à Golgotha». Après tout, ils apprendront ce qu'est le mont Golgotha, c'est de la culture…
L'école française est la plus inégalitaire de tous les pays de l'OCDE. L'élève qui y entre sans bagage culturel en sortira intact, vierge de toute confrontation avec ce qui n'est pas lui
Il est toujours fascinant de voir avec quelle obstination certains peuvent persévérer dans l'échec. Voilà quarante ans que les théoriciens de l'égalitarisme scolaire nous expliquent combien il est nécessaire de proposer aux élèves des contenus proches de leur environnement, de s'appuyer non pas seulement sur ce qu'ils savent mais sur ce qu'ils sont. Projets pédagogiques à base de langage SMS et référence obsessionnelle aux «cultures d'origine». Le résultat est là: l'école française est la plus inégalitaire de tous les pays de l'OCDE. L'élève qui y entre sans bagage culturel en sortira intact, vierge de toute confrontation avec ce qui n'est pas lui. Oh, bien sûr, on enseigne Molière et Victor Hugo, mais en ayant soin de techniciser cet enseignement pour en ôter toute dimension patrimoniale. Disserter sur le schéma actantiel et les techniques d'énonciation pour ne surtout pas parler des valeurs et de toutes ces fadaises qui encombraient le Lagarde et Michard. Mais plus encore, mêler cet enseignement à des textes de chanteurs contemporains et populaires, pour ne pas avoir l'air bégueule. Une étude sur un CDI montrait il y a quelques années que les «livres» les plus empruntés par les élèves de 6e étaient Harry Potter et la bande dessinée Titeuf… qui est en effet nécessaire dans les rayonnages d'une bibliothèque de collège.
Le plus beau cadeau que l'on puisse faire à des enfants est de les confronter à des œuvres classiques, c'est-à-dire des œuvres dont le recul du temps nous a montré qu'elles ouvraient à l'universel
Les mêmes chantres de la modernité s'indignent que des parents d'élèves votent pour l'uniforme dans les écoles de leur ville. Comment? On voudrait empêcher ces jeunes gens d'exposer leur «identité» et leur merveilleuse créativité à travers la dépendance aux modes lancées par l'industrie textile? Quelle insupportable oppression! L'idée ne les effleure pas qu'un vêtement commun fait échapper à cette aliénation consumériste en incitant les jeunes à se distinguer, non par leur apparence, mais par ce qui les constitue, ce qu'ils ont dans la tête. Ou comment devenir, par haine de l'élitisme et de la culture bourgeoise, le meilleur défenseur des assignations à résidence sociale et culturelle.
Faut-il encore répéter que la mission de l'école républicaine - et la condition même de l'égalité entre les futurs citoyens - est dans l'accès à ces humanités qui sont notre patrimoine commun, mais que les plus modestes ne rencontreront jamais ailleurs qu'à l'école? Le plus beau cadeau que l'on puisse faire à des enfants est de les confronter à des œuvres classiques, c'est-à-dire des œuvres - de Racine à Colette, ou même Jacques Brel, et de Mozart à Miles Davis ou Herbie Hancock - dont le recul du temps nous a montré qu'elles ouvraient à l'universel. C'est grâce à ce dépaysement chronologique et intellectuel dans ce qu'on appelle les humanités qu'ils découvriront, par l'émotion que suscitera en eux un texte écrit en Grèce huit siècles avant Jésus-Christ ou une cantate composée par un protestant allemand au début du XVIIIe siècle, ce qu'est l'humanité.

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