Alexandre Devecchio : Médine ou l'«idéologie antifrançaise» (11.06.2018)
Médine au Bataclan, Viv(r)e la République dit non.
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Le concert du rappeur Médine au Bataclan fait polémique (11.06.2018)
Pierre Manent : «Les Européens s'imposent une apnée morale et sont
incapables d'agir» (08.06.2018)
La taxe foncière risque de devenir accablante pour les propriétaires
(10.06.2018)
Deux avocats de victimes du Bataclan vont demander l'interdiction du
concert de Médine (11.06.2018)
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Alexandre Devecchio : Médine ou l'«idéologie antifrançaise»
(11.06.2018)
FIGAROVOX/ANALYSE - Figure
emblématique de la «génération Dieudonné», le rappeur qui se définit lui-même
comme «islamo-caillera» est à la fois le produit et le promoteur
d'une «idéologie antifrançaise» désormais dominante dans les territoires
perdus de la République.
Son titre, Don't Laïk,
sonnait comme un appel au meurtre. Paru une semaine avant le massacre de Charlie
Hebdo, il y vociférait: «Crucifions les laïcards comme à Golgotha», ou
encore: «J'mets des fatwas sur la tête des cons». Aujourd'hui, le
rappeur Médine est programmé au Bataclan: dans la salle
parisienne où 90 personnes ont péri le 13 novembre 2015 sous les
balles des djihadistes. Un concert qui apparaît légitimement comme
insupportable aux yeux de beaucoup de Français, à
commencer par les familles des victimes. Et qui place les
pouvoir publics face à un dilemme cruel. L'interdire, au risque, comme le
souligne le Printemps républicain, d'offrir à Médine «une formidable
occasion de s'ériger en victime de la censure et à tous les bataillons
d'entrepreneurs identitaires de tirer à boulets rouges sur une France
supposément “raciste” et “islamophobe”». Ou laisser faire et apparaître
indifférent à la mémoire des morts du Bataclan et faible face aux discours
islamistes.
Quoi qu'il en soit, cette
polémique doit être l'occasion de regarder le «phénomène» Médine et son public
en face. Car le rappeur n'est pas seulement coupable de bêtise crasse ou de
simple «provocation», comme on peut le lire ici ou là. Figure emblématique de
la «génération Dieudonné», celui qui se définit lui-même comme
«islamo-caillera» est à la fois le produit et le promoteur d'une «idéologie
antifrançaise» (Élisabeth
Lévy) désormais dominante dans les territoires perdus de la
République.
«J'ai eu la sensation d'être allé
trop loin», reconnaissait-il à propos de la chanson Don't Laïk,
tout en comparant ses détracteurs aux frères Kouachi. «En tentant de tuer le
caractère caricatural et provoquant de mon morceau, vous ne faites ni plus ni
moins la même chose, de façon symbolique, que ces deux bourreaux ont fait aux
auteurs de Charlie Hebdo», osait-il dans L'Obs.
Deux concerts affichés complet
En vérité, ce titre s'inscrit
dans un répertoire parfaitement cohérent idéologiquement. Plus subtile que son
acolyte Booba, qui «enc… la France sans huile», Médine n'en crache pas moins
sur cette dernière à longueur de chanson. Crâne rasé et barbe longue non
taillée façon salafiste, ce Franco-Algérien, «sang-mêlé: un peu colon, un peu
colonisé», s'est fait connaître avec le titre Alger pleure, dans
lequel il donne sa version de la guerre d'Algérie. Les paroles sont éloquentes:
«Pensiez-vous qu'on oublierait la torture?» ;«On n'oublie pas les
djellabas de sang immaculées» ; «Et les sexes non circoncis dans les
ventres de nos filles» ; «Et les centres de regroupement pour personnes
musulmanes: des camps d'concentration au sortir de la seconde mondiale»…
Son premier album, en 2004,
s'intitule, 11 septembre, récit du 11e jour. Il y dresse
un parallèle entre les attentats du 11 Septembre, le conflit
israélo-palestinien et les guerres d'Iraket du Vietnam. Une manière de renvoyer
dos à dos les crimes des Occidentaux et ceux des terroristes islamistes.
Suivra en 2005, l'année des
émeutes de banlieue, l'album, Jihad, le plus grand combat est
contre soi-même, sur la jaquette duquel il pose un sabre à la main. Puis,
entre autres, Arabian Panther (2008), en référence au
mouvement révolutionnaire afro-américain des Black Panters, ou encore Prose
Elite en 2017. Soutien de Dieudonné, et du suprémaciste noir
«antiimpérialiste et antisioniste» Kémi Séba, ainsi que des Indigènes de la
République, Médine baigne dans un imaginaire victimaire et postcolonial.
À l'«Occident oppresseur», il oppose les «martyrs» de l'islam, dont il
exalte la fierté et la combativité. Nourries de son ressentiment, ses chansons
alimentent aussi celui de toute une jeunesse désintégrée. Plus dérangeant
encore que son invitation à se produire au Bataclan est son succès auprès d'un
certain public. Il est révélateur de l'aliénation profonde de toute une partie
de la société et le symptôme de la sécession culturelle en marche dans les
banlieues. C'est sur cette fracture que la polémique doit ouvrir les yeux des
pouvoirs publics. Car, si la présence de Médine au Bataclan heurte spontanément
la décence commune de la majorité des Français, les deux concerts du rappeur,
prévus en octobre, affichent déjà complet.
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Le concert du rappeur Médine au Bataclan fait polémique
(11.06.2018)
- Par Le
figaro.fr
- Mis à jour le 11/06/2018 à 17:21
Les concerts du rappeur Médine
au Bataclan déclenchent la polémique
Le rappeur Médine, qui doit
donner deux concerts au Bataclan, est au coeur d'une grosse polémique. En effet
dans une chanson sortie il y a 3 ans intitulée Don't Laïk, le rappeur tient des
propos chocs sur la laïcité et fait pour certains l'apol
VIDÉO - Des élus de droite et
d'extrême droite jugent provocantes les paroles du rappeur dont un album
s'intitule Jihad. Les politiques ont promis de tout faire pour
empêcher le concert de se dérouler au Bataclan en octobre.
Depuis l'annonce d'un concert de
Médine au Bataclan, à Paris, la polémique enfle. Des élus LaREM, LR et
Rassemblement national (ex-FN) ont protesté dimanche contre le spectacle, prévu
en octobre, du rappeur havrais. Ce dernier avait suscité une polémique en 2015
avec le titre Don't Laïk, paru une semaine avant l'attentat
contre Charlie Hebdo. Sur le réseau social Twitter, dimanche, les
hashtags #Bataclan et #Médine ont été largement utilisés. Une pétition lancée
sur change.org par Grégory Roose, ex-délégué départemental du FN dans les Alpes-de-Haute-Provence,
avait été signée dimanche par 8 600 personnes.
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rappeur aux multiples polémiques
La cause de cette révolte: les
paroles du rappeur. En 2015, dans son titre Don't Laïk, il
déclarait: «Crucifions les laïcards comme à Golgotha / Le polygame
vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn» ou encore «J'mets des fatwas sur la
tête des cons». Médine est également l'auteur d'un album intitulé Jihad,
le plus grand combat est contre soi-même… (2005).
«Un sacrilège pour les
victimes»
De nombreux élus trouvent
aberrant de laisser le rappeur jouer dans la salle où 90 personnes ont perdu la
vie lors des attentats terroristes du 13 novembre 2015. Dans un tweet, Marine
Le Pen s'exclame: «Aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser
ses saloperies sur le lieu même du carnage du Bataclan. La complaisance ou,
pire, l'incitation au fondamentalisme islamiste, ça suffit!»
Pour Laurent Wauquiez, le
président des Républicains, cette annonce est un «sacrilège pour les victimes,
déshonneur pour la France». Le député LR des Alpes-Maritimes Éric Ciotti a de
son côté déclaré que «la programmation du rappeur au Bataclan est une insulte
insupportable à la mémoire des victimes du 13 novembre 2015». Il a demandé à
Emmanuel Macron d'interdire le concert car «il y a des symboles qui ne peuvent
être profanés».
Comme lui, d'autres élus LR se
sont indignés sur Twitter. Le sénateur de Vendée Bruno Retailleau en appelle à
Gérard Collomb. Il demande au ministre de l'Intérieur d'utiliser «contre ce
rappeur les mêmes armes que celles utilisées contre Dieudonné», l'humoriste
condamné à plusieurs reprises pour diffamation, injure et provocation à la
haine et à la discrimination raciale.
Aurore Bergé, porte-parole du
groupe LaREM à l'Assemblée, a elle aussi fait part de son indignation: «Ses
paroles sont, ni plus ni moins, un appel au meurtre. “Crucifions les laïcards
comme à Golgotha.” Cela s'appelle un constat. Maintenant préparons-nous aux
procès d'intention et à la victimisation.»
Virginie Calmels sur le
rappeur Médine : «Le concert devrait être annulé»
La vice-présidente des
Républicains s'oppose au concert du rappeur Médine. Auteur d'un album intitulé
«Jihad», il doit normalement se produire au Bataclan en octobre prochain.
Son rêve: jouer au Bataclan
Pour l'instant, Médine n'a pas
communiqué sur la polémique. Sur LCI, en février 2015, il avait défendu son
titre , «il faut le juger comme un morceau de rap et non pas comme un pamphlet
islamiste. Il s'agit non pas d'une critique de la laïcité, mais plutôt de ce
qu'on en fait, et de ce qui devient de plus en plus de la propagande
antireligieuse.» Dans son titre Faisgafatwa, en 2015, le
rappeur proteste contre les islamistes radicaux. «J'crois que tu t'es pris les
deux Nike Air dans le tapis d'prière / Viens pas recruter dans mon
quartier c'est pas ta pépinière», chante-t-il. Deux ans plus tard, il
s'expliquait au sujet de son titre Don't Laïk: «J'ai eu la
sensation d'être allé trop loin.» Les élus de droite attendent maintenant une
réaction du gouvernement.
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Pierre Manent : «Les Européens s'imposent une apnée morale et
sont incapables d'agir» (08.06.2018)
GRAND ENTRETIEN - La doctrine des
droits de l'homme, seul principe de légitimité encore accepté en Europe, rend
impossible la délibération publique et l'art du gouvernement. Telle est la
thèse que défend le philosophe Pierre Manent dans son nouveau livre La
Loi naturelle et les droits de l'homme (PUF). Pour le disciple de
Raymond Aron, les droits individuels règnent sans contrepoids jusqu'à faire
périr l'idée du bien commun.
LE FIGARO MAGAZINE - Vous
soulignez le contraste entre la suspension du jugement des Européens,
lorsqu'ils considèrent des mœurs étrangères, et le ton accusateur qu'ils se
plaisent à adopter à l'égard de leur propre héritage. Pourquoi une telle
opposition?
Pierre MANENT - En
passant d'hier à aujourd'hui, de la IIIe ou de la IVe à la Ve République
actuelle, notre rapport à la diversité du monde a été bouleversé. Nous sommes
passés de l'assurance, voire de l'arrogance, à la timidité, voire la
pusillanimité ; de l'évidence de la perspective coloniale à l'évidence de
son caractère inadmissible. Que s'est-il passé? Suspendons un instant le
jugement moral, regardons la dynamique politique. La République colonisatrice
déploie ses principes et sa force vers l'intérieur et vers l'extérieur. La
formation de la nation démocratique, du «commun» républicain, entraîne un
immense déploiement d'énergie qui donne son caractère à cette période, pour le
meilleur et pour le pire.
«Nous procédons à un évidement
méthodique de notre être intérieur. Tout ce qui est nôtre, nous le marquons du
goudron du soupçon.»
Nous avons alors le vif sentiment
d'organiser la prise en compte des besoins humains et sociaux d'une manière
incomparablement supérieure à ce que l'on observe alors en Afrique ou en Asie.
Bref, nous nous sentons inséparablement «meilleurs» et «plus forts». Nous
tenons la diversité du monde sous notre regard, pour le conquérir, le mettre en
valeur et aussi le comprendre, l'inventorier. Quelques décennies plus tard, que
voyons-nous? Le ressort des nations européennes est brisé par l'épuisement
consécutif à la Grande Guerre et le déshonneur consécutif aux années 1933-1945.
La décolonisation change radicalement les termes du problème, car, comme la
colonisation, elle est une dynamique. Elle n'établit pas un ordre démocratique
juste ou normal après l'injustice ou la pathologie coloniale. Elle enclenche un
mouvement opposé.
Notre être collectif que nous ne
voulons plus imposer aux autres - l'idée nous est devenue inconcevable -, voici
que nous ne savons plus quoi en faire pour nous. Que vaut un ordre collectif
que l'on a prétendu imposer aux autres par la force? Alors, commence la grande
rétraction des nations européennes. Nous procédons à un évidement méthodique de
notre être intérieur. Tout ce qui est nôtre, nous le marquons du goudron du
soupçon. Place à l'Autre! Cela fait deux ou trois décennies que les populations
européennes s'imposent une sorte d'apnée sociale et morale, elles n'osent pas
respirer. D'où la décision de l'Europe de n'être rien que le lieu des droits de
l'homme - vide de toute forme de vie propre - pour que l'Autre puisse y être
tout ce qu'il est ou veut être. Cette posture qui se veut «progressiste» gouverne
les affects de tous les citoyens ou presque, même s'ils regimbent aussi
bruyamment que vainement.
Le sens du verbe «discriminer»
a évolué. Longtemps, il signifiait distinguer et désignait une opération de
l'esprit légitime. Puis s'est imposé en français le sens américain du mot.
Quels sont les enjeux de ce glissement sémantique?
Il y a une «discrimination», au
sens que nous donnons aujourd'hui à ce terme, lorsque nous introduisons entre
deux personnes une différence de traitement là où elle n'a pas lieu d'être. Par
exemple, en refusant, à cause de son origine ethnique, de louer un logement à
un candidat solvable. L'interdiction de la discrimination en ce sens précis est
parfaitement justifiée même si elle peut être difficile à prouver. Le problème se complique
quand le dispositif idéologique conduit à regarder la discrimination non comme
une somme d'actes de discrimination, mais comme la tendance même de la société,
et sa «vérité». La société se regarde alors comme une société coloniale à l'intérieur
d'elle-même, avec cette complication supplémentaire que colonisés ou
discriminés ne sont pas seulement des populations allogènes, mais les femmes,
les homosexuels, etc. La société apparaît alors à ses propres yeux comme
un système de discrimination généralisée. Or, la vie sociale réclame
nécessairement des discriminations, mais alors de bonnes discriminations, pour
choisir ceux avec lesquels il sera bon et utile de travailler, ou de s'associer
pour tel objectif, choix qui se fait en fonction de critères «objectifs et
pertinents».
«La hantise de la
discrimination nourrit la méfiance sociale, qui tend à pénétrer tous les champs
et ressorts de la vie collective.»
Le soupçon de discrimination
au mauvais sens du terme pèse sur le devoir de discrimination au bon sens de
celui-ci! Chaque petite décision peut devenir l'occasion d'un délit grave,
avéré ou soupçonné. De même que la femme de César ne doit pas seulement être
innocente, mais insoupçonnable, il ne faut pas seulement éviter toute
discrimination, il faut rendre la non-discrimination explicite et évidente.
D'où la tendance à la discrimination de sens contraire, que l'on appelle
positive. Je ne serais pas personnellement hostile à toute discrimination
positive, si celle-ci signalait une attention aux nécessités sociales plutôt
qu'à la rigueur de la règle abstraite.
En tout cas, la hantise de la
discrimination nourrit la méfiance sociale, qui tend à pénétrer tous les champs
et ressorts de la vie collective. Il est difficile de comparer les gains de
justice et les dommages à la confiance sociale que produit nécessairement la
lutte contre les discriminations. C'est un enjeu majeur. Les règles de
fonctionnement de nos institutions reposent de plus en plus sur la méfiance:
elles présupposent la méfiance, l'entretiennent, l'organisent. La vie
universitaire reposait sur la confiance réciproque entre pairs, elle dépend de
plus en plus de règles si soupçonneuses qu'elles empoisonnent la vie
collégiale.
Vous constatez que l'idée de
nature ne fait plus partie du discours public autorisé. Comment l'expliquer?
La «nature humaine» est une
notion à la fois indispensable et d'un maniement difficile. Elle a été élaborée
par la philosophie grecque dans une intention universaliste: les hommes vivent
selon des coutumes différentes, mais ils partagent une même nature. La
meilleure façon de vivre est celle qui est la plus conforme à leur nature, une
nature qui se révèle dans le meilleur régime de la cité. Les Grecs ont eu le
sentiment d'avoir découvert avec la vie civique, avec la cité, la forme de vie
la mieux adaptée au déploiement des capacités humaines. Et donc, la vie selon
la nature, c'est la forme de vie que peuvent connaître les hommes dans le
meilleur régime de la cité. Cette idée ne nous est pas devenue entièrement
étrangère. Pour la plupart d'entre nous aujourd'hui, la vie dans nos
démocraties, c'est la vie dans laquelle notre nature peut se déployer
librement. Il est vrai que nous n'usons pas du terme, que même nous le
repoussons avec dédain: l'homme n'est pas un être de nature mais un être de
culture, telle est la première leçon, et trop souvent la dernière, de la classe
de philosophie. Pourquoi avoir rejeté cette idée? En vérité, nous ne l'avons
pas rejetée, nous l'avons retournée ou renversée.
«Institutions, associations,
groupes ont été dépouillés de toute légitimité, sauf à se faire les instruments
dociles des droits, c'est-à-dire, finalement, des désirs de l'individu.»
Pour les Grecs, la nature, c'est
ce qui nous lie, nous relie, nous rassemble: c'est la force associante de
l'être humain. Pour nous, modernes, c'est le contraire: la nature, c'est ce qui
nous sépare, car nous sommes «naturellement» des individus séparés, et nous ne
sommes réunis que par l'artifice des institutions, ou de la «culture». Donc,
l'énergie et l'autorité de la nature n'ont pas disparu parmi nous, mais elles
se sont concentrées, et cachées, dans la seule réalité humaine que nous jugions
naturelle, à savoir l'individu séparé titulaire des droits de l'homme. Cette
réduction de la nature à l'individualité est la condition des accomplissements
de la politique moderne, en particulier de la liberté moderne. Elle présente
aussi un coût humain et social considérable.
Aujourd'hui, l'individu titulaire
de droits est la seule source, le seul porteur de légitimité. Institutions,
associations, groupes ont été dépouillés de toute légitimité, sauf à se faire
les instruments dociles des droits, c'est-à-dire, finalement, des désirs de
l'individu. Nous ne savons plus ni dire, ni penser, ni éprouver la légitimité
et la bonté intrinsèques des «sociétés instituées» dans lesquelles nous
continuons pourtant de mener notre vie. Nous souhaitons «refaire du lien
social» et rejetons la seule idée qui pourrait donner sens et contenu à ce
lien: cette nature humaine associante dans laquelle nous trouvons nos biens et
nos fins.
A l'action et ses exigences,
vous opposez le charme qu'exerce la formule «laissez-faire» associée au libéralisme.
La pensée libérale qui s'affirme au XVIIIe siècle est-elle responsable de
la paralysie de l'esprit public aujourd'hui?
Le jeu des idées, des passions,
des institutions, des circonstances est très difficile à démêler. La même idée
qui, dans certaines conditions, est constructive deviendra destructive dans
d'autres. Les théoriciens qui ont élaboré les principes du régime libéral, et à
cette fin, la notion de l'individu radicalement indépendant, n'imaginaient pas
que l'on pût vivre dans une société qui n'aurait d'autre principe directeur que
les droits de l'homme. Ils voulaient réformer des monarchies incapables
d'assurer ordre et liberté, non pas vivre dans une «société liquide»!
«Il est douloureux et comique
d'observer comment nous faisons un effort, hélas couronné de succès, contre
tout ce qui nous réunirait, nous rassemblerait.»
Ne sous-estimons pas la
performance politique du libéralisme. C'est en grande partie sous son
inspiration que furent construites ces républiques représentatives protectrices
des libertés publiques qui sont la grande réussite de la politique moderne, et
que nous voyons aujourd'hui en danger. C'est que nos pères surent lier le
principe émancipateur, mais «dissociant», des droits de l'homme à des principes
«associants». L'émancipation de l'individu était inséparable de la formation
d'une nouvelle «chose commune», la république dans le cadre national. La
singularité de la situation présente, sa bizarrerie, c'est que nous prétendons
nous réunir, «vivre ensemble», sur la base exclusive d'un principe qui est
strictement séparateur et dissociant.
Il est douloureux et comique
d'observer comment nous faisons un effort, hélas couronné de succès, contre
tout ce qui nous réunirait, nous rassemblerait. La langue française, par
exemple. Voyez comme elle est chassée méthodiquement à la fois des institutions
universitaires et des chantiers où l'exigence de parler et comprendre le
français est jugée discriminatoire, et donc attentatoire aux droits de l'homme.
N'incriminons pas le libéralisme. Paix aux mânes de Locke et de Montesquieu.
C'est nous qui dévorons notre propre substance au nom d'une idée devenue folle.
Envisageons que cette tendance
perdure dans les décennies à venir. Quelles en seraient les conséquences?
Vous êtes optimiste, en parlant des
décennies à venir! La paralysie s'est installée en Europe, au niveau de l'Union
européenne et à l'intérieur des différentes nations. De quelque côté que l'on
se tourne, c'est échec et mat: entre le Royaume-Uni et l'Union, entre Barcelone
et Madrid, entre les populistes et les partis respectables, entre Paris et
Berlin…
«Le temps nous est compté.»
Cette paralysie de tous les
agents politiques en Europe nous jette dans une situation d'autant plus
intenable que, hors d'Europe, des géants s'ébrouent et s'étirent. L'Union
devait nous donner la force qui manque aux nations séparées ; le président
Trump parle, le lendemain les plus grandes entreprises européennes annoncent
qu'elles se retireront d'Iran à moins d'une grâce américaine. Pourquoi les
autres agissent-ils - judicieusement ou sottement, mais enfin ils agissent - et
pourquoi nous, les Européens, sommes-nous de plus en plus incapables d'agir?
Pourquoi sommes-nous les seuls agents dont les jarrets sont coupés? Les grandes
décadences ont toujours quelque chose d'énigmatique, mais je crois que, si nous
sommes paralysés, c'est d'abord par l'idée du juste qui nous domine, l'idée de
ce qui est juste et légitime, et qui se ramène à la légitimité exclusive des
droits individuels.
Nous ne croyons pas réellement que
nous ayons le droit de faire quelque chose pour l'utilité ou l'honneur d'une
chose commune, de décider et d'accomplir quelque chose pour l'utilité ou
l'honneur de notre pays ou de l'Union. Nous nous sommes à ce point rétractés,
empêchés de respirer, mis dans la dépendance de l'Autre, que nous sommes
devenus incapables d'agir politiquement à l'intérieur et à l'extérieur. Or
précisément, l'Autre agit, l'Autre est en mouvement, l'Autre nous bouscule… Le
temps nous est compté.
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conseille :
La taxe foncière risque de devenir accablante pour les
propriétaires (10.06.2018)
TRIBUNE - La suppression de la
taxe d'habitation décidée par Emmanuel Macron va vraisemblablement entraîner
une pression fiscale très forte sur les propriétaires et rendre inéluctable une
hausse de la TVA, argumente Patrice Cahart, ancien directeur de la législation
fiscale*.
La
suppression de la taxe d'habitation n'est pas judicieuse. Il
s'agit de notre seul impôt citoyen, acquitté par environ 88 % des ménages,
contre 42 % seulement pour l'impôt sur le revenu. C'est surtout par lui
que les habitants perçoivent l'évolution de la dépense locale. En détruisant
cet indicateur, on inciterait aux comportements irresponsables.
Afin de justifier l'abandon
sur trois ans de la taxe d'habitation pour 80 % des
contribuables, puis son élimination quasi-totale pour les autres contribuables
les années suivantes, on a mis en avant l'injustice de ses bases, non révisées
depuis 1970. Mais pourquoi diable ne pas l'effectuer, cette révision?
L'administration y est prête. Elle vient de l'achever pour les locaux
professionnels, dont les nouvelles bases sont entrées en vigueur, sans drame,
en 2017. Les transferts de charge entre contribuables, que l'on redoutait, ont
été lissés sur dix ans, et donc rendus peu sensibles. En bonne logique, ce
devrait être le tour des logements. De toute façon, il faudra bien s'y mettre
un jour, car la taxe foncière est assise sur les mêmes bases vieillies que la taxe
d'habitation.
La solution correcte consisterait
donc, sans remettre en cause la réduction de taxe d'habitation de 30 %
décidée pour 2018, à renoncer aux réductions supplémentaires prévues pour la
suite, et à réviser sans plus tarder les bases des locaux d'habitation.
Je n'évoque que pour mémoire
l'hypothèse qui consisterait à laisser la taxe d'habitation subsister pour
20 % des résidences principales, car le Conseil constitutionnel a laissé
entendre qu'il la censurerait. Un impôt à vocation générale ne saurait en effet
être limité de façon si étroite.
La somme à transférer aux
collectivités territoriales en compensation de la baisse puis de la suppression
de la taxe d'habitation est évaluée pour 2020 à 24,6 milliards
Dans l'hypothèse d'une
suppression totale de la taxe d'habitation, comment indemniser les
collectivités territoriales? En créant à leur profit un nouvel impôt? Le
gouvernement a eu la sagesse de se l'interdire. En transférant aux
collectivités territoriales, pour tout ou partie, des impôts d'État? Chaque
collectivité recevrait alors un petit pourcentage du produit d'un impôt
national, dont elle ne pourrait fixer le taux. Le Conseil constitutionnel admet
ce type de compensations, mais beaucoup d'élus locaux y voient à juste titre
une perte d'autonomie.
D'ailleurs, quels impôts d'État
transférerait-on? Les taxes sur l'énergie? Elles ne suffiraient pas, et les
collectivités territoriales se trouveraient prises au piège si la consommation
énergétique venait, comme on le souhaite, à baisser. Une fraction de la CSG?
C'est un prélèvement sensible, on vient de s'en apercevoir. La mission d'étude
sur la refonte de la fiscalité locale animée par le sénateur Alain Richard et
le préfet honoraire Dominique Bur (qui a remis son rapport au premier ministre le
9 mai, NDLR) a proposé la moins mauvaise solution. L'État abandonnerait
aux communes et aux départements une fraction de ses recettes de TVA - comme il
l'a déjà fait en faveur des régions. Communes et départements percevraient
ainsi quelque 12 % d'une ressource nationale évoluant comme le PIB en
valeur, voire un peu plus vite.
Mais une autre question surgit
aussitôt: comment l'État ferait-il face à sa propre perte de recettes? La somme
à transférer aux collectivités territoriales en compensation de la baisse puis
de la suppression de la taxe d'habitation est évaluée pour 2020 à
24,6 milliards. De ce chiffre, il faut soustraire 2,3 milliards au
titre des résidences secondaires, qui resteraient imposables (leur taxe
d'habitation devenant une annexe de leur taxe foncière), et 3 milliards
déjà financés par le budget de 2018. D'où un besoin net, pour l'État, de
19,3 milliards par an à compter de 2020. C'est considérable.
«Reste, hélas, la solution
consistant à augmenter les impôts existants»
La reprise économique y
pourvoira-t-elle? Elle ralentit, et risque de ralentir encore plus, eu égard à
la remontée des cours des hydrocarbures et à l'impact des grèves à la SNCF.
Peut-on compter sur les économies budgétaires? Elles sont contrariées par
divers projets (par exemple, l'institution d'un service militaire d'un mois).
De toute façon, les économies réalisées par l'État et les fruits éventuels de
la reprise devront être affectés en priorité à la réduction de son déficit, de
façon que la dette publique cesse de s'accroître.
Reste, hélas, la solution
consistant à augmenter les impôts existants. Or une baisse du taux
de l'impôt sur les sociétés a au contraire été annoncée,
pour mieux résister à la compétition mondiale qui sévit en ce domaine. Et un
relèvement des taux de notre impôt sur les revenus risquerait de les rendre
dissuasifs par rapport aux pays concurrents. Dès lors, je vois mal, dans notre
affaire, comment éviter de rehausser les taux de la TVA. En fin de compte, on
aurait remplacé la taxe d'habitation par une pression renforcée sur le
consommateur. Beau progrès!
Il faut sauver la taxe
d'habitation
Nous devons éviter de mettre tous
nos œufs dans le même panier. La valeur ajoutée est déjà très taxée. Les
revenus aussi, pour une petite moitié des contribuables (si on considère
ensemble l'impôt proprement dit et la CSG). La taxe d'habitation offre
l'avantage de reposer sur une base différente: le loyer que le logement peut
produire. L'inventaire des difficultés ne s'arrête pas là. Il a été suggéré de
transférer aux communes la part de taxe foncière qui va aujourd'hui aux
départements. Ceux-ci bénéficieraient d'une compensation mais n'auraient
pratiquement plus de possibilités d'action sur leurs ressources. Quant aux
communes, une partie d'entre elles continueraient, pour de bonnes ou de
mauvaises raisons, de dépenser plus que la croissance spontanée de leurs
recettes ne le permet ; les communes relèveraient donc le taux du seul
impôt pilotable qui leur resterait, la taxe foncière. Les propriétaires
risqueraient d'être écrasés, surtout là où ils sont minoritaires dans le corps
électoral. Pour y parer, la mission Richard-Bur propose de plafonner ledit taux
à 60 %. Cela laisserait une marge excessive, la moyenne se situant
aujourd'hui à 37 %.
Est-il vraiment trop tard pour
s'arrêter dans la voie du démantèlement de la fiscalité locale? Il faut sauver
la taxe d'habitation - même amputée d'un tiers pour les petits et moyens
contribuables - en modernisant ses bases. C'est tout à fait à notre portée.
* Ancien élève de l'ENA,
inspecteur général des finances.
Cet article est publié dans
l'édition du Figaro du 11/06/2018. Accédez à sa version PDF
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Deux avocats de victimes du Bataclan vont demander
l'interdiction du concert de Médine (11.06.2018)
- Mis à jour le 11/06/2018 à 14:36
Les concerts du rappeur Médine
au Bataclan déclenchent la polémique
Le rappeur Médine, qui doit
donner deux concerts au Bataclan, est au coeur d'une grosse polémique. En effet
dans une chanson sortie il y a 3 ans intitulée Don't Laïk, le rappeur tient des
propos chocs sur la laïcité et fait pour certains l'apol
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VIDÉO - Maîtres Wassermann et
Benaïem annoncent qu'ils vont saisir la préfecture de Paris pour demander
l'interdiction du concert du rappeur controversé en octobre prochain au
Bataclan, invoquant le risque de trouble à l'ordre public.
Medine pourra-t-il chanter en
octobre prochain au Bataclan? Deux avocats de victimes des attentats du
13 novembre veulent saisir le préfet de police de Paris pour
interdire le concert du rappeur, interprète notamment de l'album Jihad,
invoquant le risque de trouble à l'ordre public. «Le mouvement de protestation
qui s'élève depuis quelques jours le prouve: Médine ne chantera pas au Bataclan
sans que la population ne s'indigne et ne manifeste», écrivent les deux
avocats dans
une tribune publiée sur Le Figaro Vox .
LIRE AUSSI - «Pas
de concert au Bataclan pour Médine!»
Si le recours devant le préfet
n'aboutit pas, les deux avocats annoncent qu'ils saisiront la justice
administrative en référé. «Nous sommes prêts à aller jusque devant le Conseil
d'État», écrivent-ils. Ils invoquent la jurisprudence Dieudonné, dont
les spectacles ont été interdits à plusieurs reprises par la
plus haute juridiction administrative. «On est particulièrement choqués qu'un
rappeur comme Médine puisse chanter Jihad dans une salle où
les balles d'islamistes ont fait 90 morts et des centaines de blessées»,
explique Me Caroline Wassermann.
«Sacrilège pour les victimes»
«Une seule chose nous importe,
c'est de stopper un concert qui fait du mal à des personnes qui ont pris une
balle, ou qui ont perdu un fils ou un ami le 13 novembre.»
Caroline Wassermann, avocate de
victimes du Bataclan.
Les deux avocats récusent le
risque que leur action soit contreproductive, en donnant au rappeur polémique
d'autant plus de visibilité. «Qu'il en profite pour jouer à la victime ne doit
pas nous empêcher d'agir. Une seule chose nous importe, c'est de stopper un
concert qui fait du mal à des personnes qui ont pris une balle, ou qui ont
perdu un fils ou un ami le 13 novembre. Il y a des dizaines de salles dans
Paris, il peut aller chanter ses textes ailleurs», poursuit Me Caroline
Wassermann.
Contactée par nos soins, la salle
du Bataclan était injoignable à la publication de l'article. Du côté de la
préfecture de police de Paris, on estime qu'il est trop tôt pour s'exprimer sur
un événement public qui se tiendra dans quatre mois. Du côté de Din records, le
label havrais qui produit Médine et qui organise la tournée polémique, on ne
souhaite pas faire de commentaire. Un porte-parole a simplement précisé que le
rappeur devrait prochainement prendre la parole. L'association des victimes du
Bataclan, Life for Paris, a quant à elle déclaré que la salle était
«complètement libre de sa programmation», ajoutant qu'elle ne laisserait
personne «instrumentaliser la mémoire des victimes des attentats à des fins
politiciennes, comme c'est le cas dans cette affaire».
De nombreuses voix s'élèvent
contre la tenue du concert de Médine au Bataclan. Son titre Don't Laïk,
sorti en 2015 quelques mois avant les attentats de Charlie hebdo,
contient des propos controversés. Outre le titre, qui est un jeu de mot pour
dénoncer la laïcité, il écrit: «Crucifions les laïcards comme à Golgotha», ou
encore «J'mets des fatwas sur la tête des cons». Il cite nommément la polémiste
Caroline Fourest, mais aussi Nadine Morano ou Jean-François Copé qu'il accuse
d'être les «démons» qui doivent être chassés du corps de «Dame Laïcité».
D'autres morceaux plus anciens ont aussi été exhumés ; notamment Al
Jazeerap, dans lequel il écrit: «Taliban et banlieue donne
talibanlieusard».
LIRE AUSSI - Médine,
rappeur aux multiples polémiques
Dans le week-end, de
nombreuses personnalités politiques ont dénoncé la tenue du concert de Médine
au Bataclan. Le président des Républicains, Laurent Wauquiez, a
dénoncé un «sacrilège pour les victimes», et un «déshonneur pour la France».
Pour Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (ex-FN), «aucun
Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies sur le lieu
même du carnage du Bataclan». Bruno Retailleau, président du groupe LR au
Sénat, a appelé le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb à «utiliser contre ce
rappeur les mêmes armes que celles utilisées contre Dieudonné».
Dans les rangs LaREM, la députée
Aurore Bergé a fustigé l'affiche de promotion de l'album Jihad,
sorti en 2005, estimant qu'elle était «une insulte à ceux qui sont morts au
Bataclan». Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, ne s'est
pas prononcé pour une interdiction du concert. Il a toutefois estimé lundi
matin sur France info qu'au vu de la levée de boucliers, le rappeur devrait
«lui-même se poser la question de savoir si sa présence» dans ce lieu «ne
justifierait pas une prise de distance» par rapport à d'ancien titres
polémiques.
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du 13 novembre: France 2 «ajourne» son téléfilm après une pétition
Médine au Bataclan : «Affrontons nos adversaires sur le
terrain des idées, pas au tribunal !» (11.06.2018)
- Par Barbara Lefebvre
- Publié le 11/06/2018 à 18:03
FIGAROVOX/TRIBUNE - En
désaccord avec une liberté d'expression à géométrie ou lieu variable, Barbara
Lefebvre refuse de demander l'interdiction du concert du rappeur. Cependant,
elle appelle à un réarmement intellectuel et moral face à l'islamisme
ordinaire.
Barbara Lefebvre est
enseignante. Elle est co-auteur des Territoires perdus de la
République (2002, rééd. Pluriel 2017) et vient de publier Génération
«J'ai le droit» (éd. Albin Michel, 2018).
L'annonce du concert du rappeur
Médine au Bataclan indigne, secoue les réseaux sociaux, obligeant politiques,
polémistes et intellectuels de salon à s'en mêler parce qu'il faut avoir
quelque chose à dire même quand on n'a pas un peu enquêté, voire qu'on ignore
qui est Médine, qu'on n'a jamais écouté une seule de ses «chansons». Tous à vos
tweets! Aussitôt écrits, aussitôt perdus dans le néant des réseaux sociaux. Et
le panel de nos procureurs Pinard est de sortie en appelant, qui à la justice,
qui au ministre de l'Intérieur pour faire interdire ledit rappeur, sans doute
ravi de cette publicité gratuite, de cette occasion servie sur un plateau pour
se victimiser, de la perche tendue à l'argument du «deux poids deux mesures» et
j'en passe. Ses fans jubilent, ils n'en attendaient pas moins de la «République
coloniale, raciste et islamophobe». Tout le monde est dans son rôle, dans sa
caricature.
Les pourfendeurs de Médine, que
l'on a bien peu entendus quand il vendait paisiblement des milliers de disques,
s'agitent pour la préservation de la valeur commémorative du Bataclan. C'est
une façon quelque peu légère de mener le combat contre l'islamisme
puisqu'apparemment ils tiennent Médine pour un islamiste qui profanerait le
lieu du carnage que l'on connaît ; que n'ont-ils dénoncé les textes de ses raps
avant? À moins qu'il ne s'agisse d'une émotion collective, type «peluches et
bougies», qui retombera comme elle est venue puisqu'elle n'est pas portée par
un sous-jacent politique suffisamment puissant pour une action cohérente. Certains
réclament son exclusion du Bataclan en invoquant fièrement l'interdiction des
spectacles de Dieudonné comme si cela avait été une victoire. Outre que ce
dernier continue à remplir les salles de spectacle, sa chaîne Youtube engrange
toujours des abonnés pour atteindre 256 000 fans. Médine lui en affiche 259
000, presque à égalité avec celui qu'il soutenait il y a quatre ans en faisant
une quenelle dans les studios d'une radio, photo postée fièrement sur les
réseaux sociaux. À titre de comparaison, les chaînes Youtube du Rassemblement
National et de la France insoumise affichent respectivement 17 550 et 37 447
abonnés…
Acter en justice contre la
location du Bataclan à Médine? Sur quels motifs: trouble à l'ordre public? Que
je sache, les concerts de Médine ne dégénèrent pas en bagarre générale sur la
voie publique puisqu'aucun groupe d'opposants ne s'est encore risqué à un
affrontement physique avec ce type de public. «Apologie du terrorisme» ai-je
entendu. Je souhaite bien du courage aux avocats pour prouver cela devant une
cour: Médine Zaouiche est bien trop malin dans ses textes (encore faut-il se
donner la peine de les lire avant de parler) comme dans ses prises de parole
publiques pour se faire attraper sur ce terrain. Médine, c'est l'apôtre vivant
du «pasdamalgame», du «not in my name» quand ça
arrange sa stratégie politico-artistique. Presque à coup sûr, le tribunal lui
donnerait raison, à l'instar d'Orelsan relaxé en appel en 2016 des accusations
de provocations à la violence à l'égard des femmes.
» LIRE AUSSI - Pas
de concert au Bataclan pour Médine!
Il serait temps d'en finir avec
la judiciarisation du débat d'idées qui fait le jeu des ennemis de la
démocratie, d'autant que ceux-ci se retrouvent tantôt sur le banc des prévenus,
tantôt sur celui des parties civiles. Le ridicule tue la justice. Ce grand
détournement du droit mine notre esprit public, cela devrait sérieusement nous
interroger au lieu de pratiquer la surenchère légaliste, aujourd'hui avec
Médine. Certes c'est le gagne-pain d'un grand nombre d'associations qui n'ont
ni réelle existence publique, ni intérêt démocratique, mais ce fut l'erreur de
la loi Pleven (1972) dans son article 48 d'avoir habilité les associations à
mettre en œuvre l'action pénale. Elles se sont ainsi substituées à l'État et
lancé dans la poursuite pénale de toute pensée déviante à leurs yeux ; depuis,
tout froissement de susceptibilités communautaires peut vous valoir un procès
de nos jours. Ainsi, les juges se sont mis à devoir sanctionner la pensée
davantage que les faits. Dès lors, la notion de liberté d'expression a perdu sa
boussole.
Les juges se sont mis à devoir
sanctionner la pensée davantage que les faits.
«Faut-il ou non interdire Médine
au Bataclan?». Et c'est reparti pour un tour de médias et leurs débats
prétendument pluralistes qui finissent toujours par un jeu de somme nulle,
emblématique de notre époque du «et en même temps»… Débat en plateau qui finira
par s'éteindre comme tous les débats de ce genre sans qu'il ne débouche sur
aucun réarmement intellectuel et moral de l'opinion, sans que soit enfin
débattue sans langue de bois la question de la censure au bénéfice d'un politiquement
correct qui érode toutes les aspérités de la pensée pour la réduire à une doxa
libérale-libertaire mollassonne largement rejetée par les opinions
occidentales. Le refus de la censure est une condition de la lutte contre
l'autocensure qui en découle invariablement et qui a progressivement désarmé
l'intelligence collective. Cette autocensure faite de culpabilisation, de reductio
ad hitlerum dès qu'une critique du «monde qui est et qui vient» est
prononcée. Il est plus facile d'interdire que de discuter pied à pied une
idéologie suprématiste antidémocratique qui utilise les instruments légaux pour
avancer, qui nage dans le droit-de-l'hommisme et l'antiracisme (dévoyé) comme
un poisson dans l'eau, l'eau saumâtre de tous nos renoncements à défendre notre
modèle de civilisation.
Médine et ses managers ont-ils
tendu un piège au propriétaire du Bataclan, le groupe Lagardère? C'est d'abord
à ce dernier qu'il faut demander d'expliquer ce choix de programmation, avant
de s'en prendre à Médine qui aurait tort de se priver d'un si beau symbole:
chanter au Bataclan ses titres Don't laïk ou Qui veut
la paix dont le refrain commence en fait par «Prépare la
guerre avant la perte de mémoire», où il compare notamment les policiers à
des croisés. Médine sait rassurer son public de victimes
trans-générationnelles: «présente mon Tiers-monde l'avantage du
surnombre» et annonce «Je suis en mode Jihad, parole de père
et de fils d'Abdoulaye / Prépare la guerre, tu veux la paix, prépare-toi».
Il chantera sans doute fièrement «Jihad», peut-être après une minute de silence
pour les victimes du 13 novembre (plus c'est gros et plus ça passe). Dans cette
ode à l'amitié entre les peuples version médinoise, il dénonce la férocité des
guerres en se drapant dans ses subtiles distinctions spiritualistes entre le
jihad intérieur et le jihad guerrier que nous autres mâles et femelles blancs
ne pouvons pas comprendre. C'est de tout cela qu'il faudrait parler avec le
propriétaire de la salle, Médine n'est qu'un locataire occasionnel.
Censurer est une erreur, une
faute intellectuelle. La censure préventive n'existe heureusement plus depuis
la loi de 1881 sur «la liberté de la presse». Mais cette loi porte mal son nom
puisqu'elle consiste à l'entraver en statuant sur des dizaines d'infractions
qui ont conduit avec le temps à un degré d'autocensure incompatible avec la
liberté d'expression. L'autocensure n'est pas le déni, l'autocensure conduit à
la frustration de ne pas pouvoir dire une réalité qui nous révulse, elle
nourrit ce recul du consentement démocratique qui finalement fait le lit des
ennemis de la démocratie. Fini le temps des coups d'État. Pour renverser la
démocratie, le meilleur moyen reste de la gangrener par l'instrumentalisation
de ses lois. Puisque nous avons décidé d'opter pour le modèle de l'État de
droit nécessaire à l'abandon des souverainetés nationales, prélude au projet
postnational européen, nous devons être conscients que les coups d'État ne se
réalisent plus en quelques jours - voire quelques heures quand ils étaient bien
préparés - mais en plusieurs années voire décennies par le grignotement patient
du «bien commun» et de l'intérêt général, principalement dans les prétoires,
avant de gagner les parlements. Ainsi l'État de droit pourra être renversé par
le retournement de ses principes contre lui-même puisque, selon ce modèle, la
loi prime sur le pouvoir politique, c'est-à-dire finalement sur le peuple
souverain.
Censurer est une erreur, une
faute intellectuelle.
La soumission du politique et de
l'État au droit nous a conduits à la République des juges, qu'ils siègent à
Paris ou à Luxembourg. Cette judiciarisation du débat public est délétère pour
la démocratie, pour la libre expression politique et culturelle. On traduit
devant les tribunaux les écrivains, les journalistes, les historiens, les
artistes… Les ligues associatives de vertu occupent le terrain judiciaire et
sont désormais les chiens de garde du politiquement correct. L'État n'a plus
qu'à suivre en envoyant le Parquet aux trousses des mal-pensants. Parfois il se
ressaisit, comme dans le procès contre Michel Houellebecq, et soutient le
prévenu, mais ce sursaut de lucidité devant l'instrumentalisation du droit est
fort rare comme en ont témoigné l'attitude du Parquet dans les récents procès
politiques contre Georges Bensoussan ou Éric Zemmour, pour ne citer qu'eux.
Je suis personnellement favorable
à une totale liberté d'expression, y compris pour les ennemis de la démocratie,
de Faurisson à Bouteldja en passant par Soral et le CCIF. Je m'oppose donc à
toute censure, exceptée celle visant à la protection physique et psychique des
mineurs. En toute logique, je suis aussi opposée à toutes les législations
s'occupant de faits historiques, qu'il s'agisse de les protéger de leurs
négateurs, de les commémorer, de les condamner ou de les glorifier. L'histoire
ne se fait pas dans les prétoires, elle se fait d'ailleurs sans que les hommes
en aient souvent conscience bien qu'ils pensent la faire - arrogants qu'ils sont.
Certains audacieux pensent même pouvoir en inverser son cours ou plus naïvement
«éviter qu'elle ne se répète». L'histoire n'est pas une mécanique, elle est là
comme un amoncellement de faits disparates qui prennent sens à distance. Et
plus la distance temporelle est grande, plus elle témoigne ardemment pour notre
présent. Il nous reste à l'interpréter avec toute l'honnêteté intellectuelle
possible, pas à la juger. Et certainement pas à l'utiliser pour justifier nos
actes de censure en vertu d'un combat idéologique que nous refusons de mener
ici et maintenant et que nous renvoyons donc devant un juge, un préfet ou un
ministre qui auront pour mission de clore le débat par leur sentence.
Si on ne laisse pas s'exprimer
les ennemis de notre démocratie, de notre modèle de civilisation, comment
peut-on espérer un réarmement idéologique de l'opinion pour engager contre eux
la résistance et la lutte qui viendra? C'est à croire que les élites
médiatico-politico-judiciaires veulent éviter que «les gens» aient l'idée de se
réengager intellectuellement, politiquement, culturellement contre ce qui les
révolte au quotidien depuis au moins deux décennies, à savoir la sécession
sociale, politique et culturelle d'une partie de la population qui hurle sa
haine de la France, dans ses raps, ses colloques décoloniaux, ses livres
racistes. Et comme l'histoire nous l'a appris, ce ne sont jamais les minorités
qui nous font basculer d'une période à une autre, ce sont les minorités
idéologiques agissantes. Comme le disait De Gaulle, «le plus important
pour une minorité c'est d'être majoritaire quelque part».
De la France giscardienne à la
France chiraquienne en passant par la mitterrandienne, les Français inquiets,
troublés, ont été traités de Dupont Lajoie, de beaufs. «Circulez, y'a rien à
voir». Mais un basculement s'est opéré après le 11 septembre 2001 et
l'irruption dans nos vies, sur nos territoires, de l'hégémonisme islamique qui
progressait silencieusement chez nous depuis le début des années 1990 et avait
déjà fait le malheur de tant de nations arabes dont le peuple algérien qui ne
s'est toujours pas remis de la «décennie noire» ; à noter que cette guerre
d'Algérie-là n'intéresse pas les indigénistes ou Médine qui, en bons
bouteflikiens, n'ont en ligne de mire que celle conduite par leurs ancêtres
contre les «chiens de colons», les fameux «sous-chiens» de Bouteldja. Depuis le
milieu des années 2000, ces excommunications prononcées contre les Dupont
Lajoie mal-pensants par les grands bourgeois cosmopolites ont vécu ; d'ailleurs
quelques-uns de ceux qui s'adonnaient plaisamment à ce mépris de classe (en
fait un mépris du peuple français qu'ils ne connaissaient que de vue) s'en
repentent depuis quelques années et sont, à leur tour, devenus des beaufs réacs
aux yeux des bien-pensants multiculculs.
Au lieu de les censurer,
sortons-les de l'ombre où ils prospèrent !
Les Dupont Lajoie se
déculpabilisent lentement mais sûrement. Les réseaux sociaux les y aident car
ils ont le sentiment de ne pas être aussi seuls qu'ils l'imaginaient. Ils y constatent
surtout l'extraordinaire diversité de cette «beaufitude» tant méprisée par la
bonne société. Tant de Français de tous âges, de tant de souches, de tant
d'horizons politiques et culturels différents qui ont un intérêt commun: la
défense de leur patrie. Mot désuet pour certains, mais qui fait sens pour eux,
et qui fera peut-être corps un jour. Ils aspirent à se réarmer idéologiquement,
ils voudraient bien qu'on les guide mais les politiciens sont trop occupés à
construire leurs plans de carrière dans leurs partis ou leur plateforme
métapolitique… Ils disposent de quelques esprits libres pour les engager à lire
et relire certains de nos grands auteurs qui ont pensé cette «France des
robots» dans laquelle nous baignons, ces auteurs qui nous offrent les armes
intellectuelles pour résister, car la guerre est idéologique, culturelle. Elle
sera peut-être autre chose un jour mais cela est imprévisible, tandis que
produire une pensée structurée pour contrer l'ennemi, c'est de tout temps,
c'est maintenant. Ces esprits libres qui pourraient guider cette résistance
intellectuelle sont rarement invités dans les médias généralistes. Trop
intellos, pas assez «bons clients». Mais si nous avions un espace médiatique
véritablement démocratique à leur offrir, ils auraient toute leur place pour
redonner du souffle et du corps à une certaine pensée française.
Médine, Dieudonné, Bouteldja,
Belattar, Muhammad, Soral… Affrontons-les sur le terrain des idées puisqu'ils
prétendent ne jouer que sur celui-là, apôtres du pacifisme qu'ils sont. Le
face-à-face idéologique doit enfin être possible, autorisé, public, ouvert. Et
qu'on ne nous demande plus de faire attention aux susceptibilités de telle ou
telle communauté, pas de sensivity readers / speakers, plus de
relecture par l'avocat de la maison d'édition qui change tel article indéfini
ou tel adjectif. Il nous faut ce vrai débat d'idées, dégagé de la pesanteur
judiciaire, où on pourra enfin mettre les mains dans le cambouis, où on pourra
poser et peser tous les mots (les maux?) qui fâchent. Pas d'animateur-arbitre
qui clôt le débat d'un «et en même temps», car dans un beau et vrai débat, pour
l'opinion, il y a toujours un gagnant et un perdant. Où est le Michel Polac
dont notre télévision aseptisée a tant besoin? Et trouverait-on assez de
courageux pour venir y croiser le fer avec les indigénistes, les racialistes,
les islamogauchistes, les relativistes de tous poils? Eux-mêmes y
viendraient-ils? En écartant du débat certaines figures de ces milieux, on les
a renforcés: ils ne vivent que de la victimisation. Ségrégationnistes par
principe, ils ne veulent pas débattre dans le cadre du pluralisme démocratique.
Ils ont l'ambiance feutrée et réglementée des prétoires pour crâner et faire
croire à leurs clientèles qu'ils combattent l'infâme République raciste. Dans
la pénombre de la cour, à l'abri des regards du grand public, ils ne risquent
pas qu'on les voit publiquement humiliés par leurs contradicteurs, ce qui
arrive souvent devant les tribunaux où la vacuité de leurs argumentations est
révélée pour qui lit les rendus de justice. Au lieu de les censurer,
sortons-les de l'ombre où ils prospèrent, laissons les prendre la lumière la
plus crue possible pour éclairer l'opinion sur les mécanismes idéologiques à
l'œuvre derrière ces groupes sécessionnistes. Arrêtons de mettre la poussière
sous le tapis pour acheter la paix sociale, le temps n'est-il pas venu au
contraire de tout mettre sur la table?
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Qu'est-ce que la neutralité du Net ? (11.06.2018)
- Par Elisa Braun
- Mis à jour le 11/06/2018 à 14:32
A quoi ressemblerait un monde
sans neutralité du net ?
VIDÉO - L'autorité américaine
de régulation des télécoms a voté pour la fin de la neutralité du Net. Cette
décision prend effet lundi. Cinq questions pour comprendre cet enjeu et les
changements qu'il implique.
Aux États-Unis, la décision de la
FCC (l'autorité de régulation des télécoms) de mettre fin à la neutralité du
Net est appliquée à partir du lundi 11 juin. Ce principe était pourtant défendu
par des poids lourds de l'économie comme Google, Facebook, Twitter, Amazon,
Mozilla, Spotify ou encore Netflix. Et par des personnalités et organisations
comme l'inventeur du Web, Tim Berners Lee,
l'Electronic Frontier Foundation (une ONG de protection des libertés sur
Internet), Greenpeace ou encore l'ancien président Barack Obama. De quoi
parle-t-on? Quelles conséquences pour les internautes américains, et européens?
Le Figaro répond à vos questions.
Qu'appelle-t-on neutralité du
Net ?
La
neutralité du Net ou «network neutrality» a été inventée en
2003 par le juriste américain Tim Wu, dans la revue Journal of
Telecommunications and High Technology Law. À l'époque, ce concept recouvre
l'idée que les flux d'informations ne peuvent être ni bloqués, ni dégradés, ni
favorisés par les opérateurs de télécommunications.
Pour mieux comprendre ce que cela
signifie, il faut s'intéresser au fonctionnement d'Internet: pour voir cette
page web du Figaro par exemple, votre ordinateur ou votre
mobile a reçu un petit paquet de données pour l'image, un autre pour le texte,
etc. Ces paquets de données voyagent des centres de données du Figaro jusqu'à
votre écran grâce à une infrastructure de câbles et de fibres, un peu comme des
camions voyagent de Paris à Toulouse en passant par des autoroutes. Sauf que
pour faire cette route, il faut s'acquitter d'un droit de passage à
l'entreprise qui possède les infrastructures. Sur Internet, chacun paie donc à
des opérateurs de télécommunications (Orange, Bouygues, Free...) une certaine
somme pour accéder à leur infrastructure, un peu comme un camion paie Vinci
pour son trajet d'autoroute. Passée cette formalité, l'opérateur n'est plus
censé examiner le contenu des données qui circulent, la source ou la
destination des données ou encore leur nature - vidéo, photo, texte, etc.
Ce principe de
non-discrimination, de «neutralité du Net» donc, est l'un des principes
fondateurs d'Internet, issu des opinions très libérales et libertaires des
premiers fondateurs. Tim Berners-Lee, l'inventeur du Web (en vidéo ci-dessous),
prend ainsi régulièrement position pour la défense de ce principe souvent
menacé.
Qu'est-ce que cela changerait
pour chacun s'il n'y avait plus de neutralité du Net ?
Pour filer la métaphore
autoroutière, cela reviendrait d'abord à avoir un Internet avec beaucoup plus
de péages: pour aller sur Netflix ou YouTube par exemple, des opérateurs de
télécommunications voudraient faire payer un supplément à l'abonnement. Ils
considèrent que ces services vidéo, de plus en plus utilisés, demandent de
faire voyager beaucoup plus de paquets sur leurs autoroutes (la vidéo étant
très gourmande en données, elle demande plus de bande passante). Si l'on pousse
plus loin encore cette idée d'un monde sans neutralité du Net, cela donnerait
un Internet qui s'achète à la carte, et qui serait donc beaucoup plus onéreux
que le système actuel d'abonnement: il faudrait par exemple rajouter au tarif
unique de l'abonnement à Internet une somme arbitrairement définie pour l'accès
à certains sites Web. Certains opérateurs au Portugal imaginent déjà des offres
où il faut par exemple ajouter 5 euros mensuels pour accéder à certains réseaux
sociaux en illimité.
La disparition de la neutralité
du Net créerait aussi un Internet à deux vitesses: ceux qui n'ont pas les
moyens de payer un haut débit pour les services vidéos comme Netflix ou YouTube
auraient par exemple un accès plus lent au réseau. Cela pose plusieurs
problèmes: d'abord, cela oblige les consommateurs à faire des choix entre les
services du Web qu'ils peuvent utiliser, en fonction de la vitesse ou du prix
d'accès au site et non de leur pertinence ou de leur utilité réelle. Le libre
accès au réseau joue pourtant un rôle très important pour trouver un emploi,
obtenir des informations pratiques, communiquer avec ses proches ou répondre à
certaines formalités administratives.
Ensuite, le fait de regrouper les
services du Web par groupes payants pourrait créer des problèmes de concurrence
: entre un supplément Facebook-Instagram-Snapchat à 5 euros, un
supplément Le Figaro-Le Monde-Libération ou encore un
supplément Netflix-YouTube au même prix, que préféreraient par exemple payer
les internautes? Et comment de nouveaux acteurs pourraient-ils émerger et
fidéliser des lecteurs ou utilisateurs, si les opérateurs de télécoms ne les
ont pas choisis pour faire partie d'une de leurs offres? Pour certains, la fin
de la neutralité du Net place en fait le contrôle d'Internet entre les mains de
géants des télécoms et de leurs partenaires.
Qui s'oppose à la neutralité
du Net aujourd'hui et pourquoi ?
Cela fait plus de dix ans que le
débat sur la neutralité du Net fait rage aux États-Unis. En 2015, sous la
présidence Obama, la
FCC avait pris une décision historique en considérant Internet
comme un service public. La Commission s'était donné le droit de réguler les
fournisseurs, et de s'assurer qu'ils garantissent à tous un accès libre et sans
discrimination à Internet. Cette décision avait coupé court aux projets des
opérateurs télécoms de créer des abonnements plus chers pour accéder en
priorité à certains services, ou au contraire, de créer des forfaits moins
chers mais avec un débit dégradé.
Les opérateurs de
télécommunications avaient protesté, avec l'argument de la coûteuse nécessité
de moderniser leurs infrastructures. En effet, les services sont de plus en
plus gourmands en quantité et en débit de données. Le trafic global de données
(fixe et mobile) croît de 20% par an, selon le «Cisco Visual Networking Index»,
cité par l'Aracep (le
régulateur français des réseaux). La disparition de la neutralité du Net leur
permettrait de générer des revenus supplémentaires pour financer ce projet de
rénovation. Depuis l'élection de Donald Trump, ils ont mené une féroce bataille
de lobbying pour revenir sur la décision de 2015. Ils trouvent face à eux de
non moins coriaces adversaires: les géants du Web voient d'un très mauvais œil
la perspective d'un futur où les opérateurs télécoms auraient droit de vie ou
de mort sur la visibilité et l'accessibilité de leurs services auprès des
consommateurs. Ils se sont ainsi rassemblés, notamment au sein de l'Internet
Association, qui regroupe une quarantaine de grands acteurs du Web ainsi que
800 start-up.
Manifestation à Washington en
faveur de la neutralité du Net
La neutralité du Net, qui
garantit l'accès libre et sans discrimination à Internet, devrait être abrogée
jeudi. Dans plusieurs villes des Etats-Unis, des manifestants se sont
rassemblés pour protester.
Le président de l'autorité
américaine de régulation des télécoms (FCC), le républicain Ajit Pai, est
beaucoup plus favorable aux intérêts des opérateurs télécoms que son prédécesseur
démocrate, Tom Wheeler. Ajit Pai considère que la régulation du marché
représente une forme d'ingérence de la part de l'État. En décembre 2017, la FCC
est finalement revenue sur les règles votées à l'époque de Barack Obama, votant
la fin du cadre réglementaire entérinant la neutralité du Net.
Cela ne signifie pas la fin de la
bataille. Les associations et militants espèrent encore renverser cette
décision. En mai, les
sénateurs américains ont voté en faveur de la restauration de ce principe dans
la législation de leur pays. Les élus démocrates souhaitent
désormais convaincre la deuxième chambre du Congrès, celle des représentants,
d'en faire de même. Néanmoins, cette initiative a peu de chances d'atteindre
son but: l'approbation du président américain, Donald Trump, est nécessaire
pour qu'elle aboutisse.
Et en Europe, où en est la
neutralité du Net ?
En Europe, les régulateurs des
télécoms (l'ORECE) ont sanctuarisé la neutralité du Net dans le règlement sur
l'Internet ouvert en mai 2016. Cela n'empêche pourtant pas certains opérateurs
de porter atteinte au principe grâce à la pratique du zero rating, plus ou
moins tolérées par les régulateurs des États membres. Au
Royaume-Uni, Vodafone propose ainsi
de ne pas décompter des forfaits les données consommées par Netflix ou YouTube,
moyennant 8 euros par mois supplémentaires. Au Portugal, l'opérateur MEO
propose quant à lui des «packs» qui ajoutent de la donnée sur certains
services, pour 5 euros supplémentaires par mois. L'association de défense des
libertés en ligne, la
Quadrature du Net, juge cette pratique «contraire à l'esprit qui
présidait à la préparation du règlement».
» LIRE AUSSI - Les
consommateurs européens risquent d'en faire les frais
En France, la loi du 6 octobre
2016 pour une République numérique garantit l'accès à un «Internet ouvert»,
conformément aux principes posés dans le règlement européen. C'est l'Arcep qui,
en France, s'assure du respect des principes essentiels pour garantir la
neutralité du Net. Concernant le zero rating, l'Arcep rappelle à plusieurs
reprises dans son rapport annuel que le règlement européen est censé
l'interdire. En France, aucun opérateur ne se livre actuellement à cette
pratique. Les associations de consommateurs restent toutefois vigilantes,
constatant que certains opérateurs tentent malgré tout de contourner les
principes du règlement pour un Internet ouvert en favorisant le trafic vers
leur service ou celui d'un partenaire, au détriment de celui de leurs
concurrents. C‘est le cas notamment d'opérateurs qui proposent, en plus
d'offres uniques, des suppléments qui favorisent leurs propres services de VOD
ou ceux de leurs partenaires. «L'Arcep préfère fonctionner par le «dialogue
proactif» plutôt que par la régulation.» notait ainsi la Fédération FDN et la
Quadrature du Net en mai 2017.
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