«Les élections italiennes prouvent que la zone euro a basculé dans la
post-démocratie» (31.05.2018)
Ivan Rioufol : « L'Europe se perd, en étouffant les peuples »
(31.05.2018)
Italie: l’Europe contre les peuples (épisode 3) (28.05.2018)
Fusillade à Liège: le terroriste était un multirécidiviste (30.05.2018)
Liège : les faits qualifiés «d'assassinat terroriste» par le parquet
fédéral belge (30.05.2018)
Quand Gérard Collomb évoque le «benchmarking» des migrants en Europe
(30.05.2018)
Le Pen propose à Dupont-Aignan de faire «liste commune» pour les
européennes (31.05.2018)
Yémen : plongée dans le chaos de la guerre oubliée (31.05.2018)
La parole libérée affole l'Union européenne (30.05.2018)
Comment la lutte contre les «fake news» est devenue une affaire d'États
(02.02.2018)
Tania de Montaigne : « Il faut pouvoir dire noir, jaune,
juif » (24.05.2018)
Royaume Uni : la
demi-sœur de Meghan Markle, Samantha, demande la libération de l’activiste
Tommy Robinson (01.06.2018)
Georges Bensoussan : «Nous entrons dans un univers orwellien où la vérité
c'est le mensonge» (07.07.2017)
Chantal Delsol : « Devrons-nous choisir entre la démocratie et notre
modèle de liberté ? » (31.05.2018)
Luc Ferry : «Le RGPD ? Une colossale erreur !» (30.05.2018)
Islam de France en crise : des musulmans veulent une gestion
départementale (30.05.2018)
Mohammed Moussaoui : « Il faut rétablir la confiance des musulmans
de France en leurs instances » (30.05.2018)
Des sénateurs veulent une loi pour encadrer la formation des imams
(30.05.2018)
Dans le nord du Mozambique, l'inquiétant éveil de l'islamisme armé
(30.05.2018)
Béchara Raï : «On donne de la valeur au pétrole, mais pas aux chrétiens
d'Orient» (31.05.2018)
Guillaume Tabard : «Pour Marion Maréchal, la bataille culturelle avant le
combat politique» (31.05.2018)
Les méthodes musclées du lobby vegan (28.05.2018)
La route du lithium (25.05.2018)
Natacha Polony : «Les fossoyeurs du rêve européen» (01.06.2018)
Italie : la Piazza à l'assaut du Palazzo (01.06.2018)
La présence de l'islam réveillerait la conscience chrétienne de l'Europe
(01.06.2018)
Terrorisme : la «task force» se déploie sur tous les fronts
(01.06.2018)
Éditorial : «Europe : le fossé qui se creuse» (01.06.2018)
Enrico Colombatto : «La situation en Italie permettra-t-elle de repenser
l'Union européenne ?» (01.06.2018)
Général Jean-Pierre Bosser: «Il faut maintenir l'esprit guerrier»
(01.06.2018)
Allemagne : la Bavière impose le crucifix dans les bâtiments publics
(01.06.2018)
«Les élections italiennes prouvent que la zone euro a basculé
dans la post-démocratie» (31.05.2018)
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Guillaume
Bigot voit dans la situation italienne une crise majeure pour la zone euro,
qu'il juge anti-démocratique. Pour lui, les déséquilibres entre les économies
de la zone euro sont trop importants pour que l'union monétaire puisse éviter
l'explosion.
Guillaume Bigot est essayiste
et directeur général du groupe Ipag Business School Paris Nice.
FIGAROVOX.- Pourquoi
estimez-vous que le président italien s'est enfermé dans une contradiction
insurmontable?
Guillaume BIGOT.- En
refusant d'entériner la constitution d'un gouvernement appuyé par les deux
partis arrivés en tête aux législatives, le président Mattarella serait dans
son bon droit mais il ne fait aucun doute qu'il a politiquement tort.
On peut considérer que les
Italiens se sont trompés en consacrant une majorité eurosceptique. On peut
également penser que rompre le cadre ordo-libéral est suicidaire. Mais si l'on
reste démocrate, on ne peut vouloir décider contre le peuple. Mattarella aurait
dû se souvenir de cette réplique mémorable mise par Brecht dans la bouche de
son personnage, Arturo Ui: «Puisque le peuple vote contre (...), il
faut dissoudre le peuple.»
La méfiance à l'égard du suffrage
universel formait déjà l'un des fondements inavoués d'une construction
européenne conçue par Jean Monnet comme une camisole de force destinée à
maintenir les peuples dans le cadre des droits de l'homme et du marché.
La réaction de Mattarella, comme
celle du Commissaire Oettinger souhaitant que les marchés apprennent aux
Italiens à bien voter, font franchir à l'UE un cap, celui qui sépare la
défiance originelle de l'hostilité assumée.
Le projet européen n'a jamais été
franchement compatible avec le fonctionnement régulier d'institutions
démocratiques mais les événements actuels font basculer l'utopie européiste
dans une phase ouvertement post-démocratique de son histoire.
Pourquoi le pari européiste de
Mattarella serait-il perdu d'avance?
La réaction des peuples européens
en général et des Italiens en particulier est facile à prévoir. Lorsque l'on
prêche le mépris et la défiance à l'égard d'un souverain, c'est-à-dire d'un
supérieur hiérarchique, on a toutes les chances de l'irriter, de le provoquer
et de l'inciter à réagir. Mais les réactions menaçantes des européistes telles
que Mattarella, Le Maire ou Oeninger ne tiennent aucun compte des rapports de
force.
Ce que les élites du vieux
continent, massivement favorables à Bruxelles, semblent avoir du mal à comprendre,
c'est que tant que les démocraties ne sont pas abolies, elles ne disposent que
du pouvoir que les peuples leur ont confié. Pas une once de plus, ni de moins.
Que cela leur plaise ou non, dans le vieux monde, le patron demeure la vox
populi nationale.
Le projet européen n'a jamais
été franchement compatible avec le fonctionnement régulier d'institutions
démocratiques.
Pour sortir de ce système dans
lequel le peuple est le souverain, il faudrait que la majorité du peuple
renonce démocratiquement à son pouvoir.
Or, c'est tout le contraire qui
se produit. Partout en Europe, même outre-Atlantique, alors même que l'offre
politique est extrêmement limitée et se résume parfois à des bouffons (le
fondateur du Mouvement Cinq étoiles), à des personnages outranciers et
caricaturaux (Donald Trump, Marine Le Pen ou Viktor Orban), les peuples
préfèrent brandir ces épouvantails plutôt que de se laisser dicter une conduite
contraire à leurs aspirations mais aussi, disons-le, à leurs intérêts par une
élite soi-disant compétente.
Pourquoi, selon vous, la zone
euro est-elle condamnée à exploser?
Tout simplement car la zone euro
connaît des déséquilibres croissants que les violentes thérapies austéritaires
non seulement ne peuvent résoudre mais qu'elles tendent à aggraver. Il y a d'un
côté les pays du nord, Allemagne en tête, qui affichent d'insolents excédents
commerciaux et un bel équilibre budgétaire ; et de l'autre, des pays du Sud qui
voient leurs déficits commerciaux se creuser et/ou leur dette publique
s'envoler. Les premiers prêtent, les seconds empruntent. L'Italie dispose d'un
excédent commercial mais celui-ci est à mettre en regard de l'endettement
massif du pays qui devrait aboutir à une dépréciation de sa monnaie et des
créances de ses prêteurs.
Mais l'institution d'une monnaie
unique bloque ce mécanisme naturel d'ajustement qui pourrait s'opérer de
manière indolore via des dévaluations. L'Allemagne et ses voisins du nord ne
veulent pas entendre parler d'un desserrement de l'étau monétaire: d'abord, de
leur point de vue, cela reviendrait à s'appauvrir, et ensuite leur industrie se
porte comme un charme et n'a nullement besoin d'un tel remontant. Et la théorie
économique néo-classique qui intoxique nos dirigeants les persuade que le
rétablissement de la compétitivité et de l'équilibre des finances publiques
passe par une déflation ou une dépression salariale.
D'autres mécanismes de
correction des déséquilibres économiques entre le Nord et le Sud de l'Europe
sont pourtant possibles?
Certes, mais ils sont interdits.
Berlin et les autres capitales du
Nord de l'Euroland ne se contentent pas d'imposer une monnaie forte, ils
interdisent également tout rééquilibrage par transferts budgétaires. La théorie
de la zone monétaire optimale de Robert Mundell démontre de manière implacable
que si une zone monétaire connaît en son sein des déséquilibres de niveau de
productivité, les écarts vont se creuser sauf si un budget vient redistribuer
les excédents des zones les plus riches vers les zones les plus pauvres ; sinon
les écarts ne peuvent que se creuser. Les pauvres devenant de plus en plus
pauvres et les riches de plus en plus riches. C'est ce que l'on observe puisque
la monnaie unique surévaluée, en l'absence d'un budget fédéral compensateur,
aboutit à la désindustrialisation croissante du Sud et au renforcement constant
des industries du Nord. Les pays du Sud ont beau se désindustrialiser, ils ne
peuvent totalement cesser de consommer et achètent donc de plus en plus à
l'Allemagne qui produit de plus en plus ce qu'eux produisent de moins en moins.
Cet ajustement par les quantités de PIB ou de production s'opère car
l'ajustement par la baisse des salaires est limité par ce qu'Orwell aurait
appelé des considérations de «décence commune». Le pouvoir d'achat au Sud de
l'Europe ne peut descendre en dessous du minimum de subsistance, c'est donc la
production en volume qui se réduit et les usines qui ferment au Sud.
Cela ne suffit pourtant pas à
rendre le système intenable et explosif.
L'Allemagne veut maintenir une
monnaie forte et ne cédera jamais sur le budget fédéral. Mais elle impose
également à ses partenaires de la zone euro de renoncer à actionner leur propre
budget pour éponger les dégâts sociaux engendrés par le caractère non optimal
de la zone euro. Interdiction leur est également faite de subventionner leurs
entreprises. Berlin prend ainsi la majeure partie des pays de la zone euro en
tenaille: la pince monétaire (avec une BCE qui lutte éternellement contre
l'inflation comme si l'euro était un Deutsche Mark étendu au continent) creuse
les déficits commerciaux et la pince de l'orthodoxie budgétaire empêche toute
reprise durable comme le suggère le léger trou d'air économique actuel.
La zone euro est un cercle
vicieux pour les pays du sud mais est-elle pour autant un cercle vertueux pour
les pays du Nord, Allemagne en tête?
Le système fonctionne jusqu'à
présent à l'avantage de Berlin et des autres économies fortes: tandis que les
pays du Sud doivent assumer le fardeau d'une monnaie surévaluée, l'industrie
allemande profite d'une monnaie sous-évaluée (le Mark serait naturellement plus
fort que l'euro et minimiserait les excédents records du commerce extérieur
germanique). Ces excédents, pour partie réalisés sur le dos des autres pays
européens, ne sont pas redistribués par un budget fédéral. Les écarts se
creusent, les chômeurs du sud de l'Europe, s'ils veulent travailler sont
contraints de se déplacer en Allemagne pour s'employer dans les usines
allemandes. Le salaire étant rigide à la baisse et les gouvernements du sud de
l'Europe ne voulant pas laisser la misère éclater (Ceux qui l'ont fait, à
l'instar de la Grèce ou les salaires ont baissé de près de 40 % en valeur
réelle depuis 2011 ne s'en portent pas mieux pour autant), les déficits se
creusent avec moins de cotisants et plus de bénéficiaires (les charges sociales
augmentant les entreprises deviennent de moins en moins compétitives et c'est
la faillite).
Si le mouvement eurosceptique
s'amplifie, la zone euro telle que nous la connaissons aujourd'hui aura bientôt
cessé d'exister.
Mais les Allemands et leurs
alliés refusent que les États du Sud laissent filer leur déficit. Le
déséquilibre va croissant. La solution de maîtriser les déficits et de laisser
une partie de l'Europe s'appauvrir ne fonctionne pas, ou plutôt elle fonctionne
trop bien, mais ce dumping au profit de l'Allemagne arrive au bout de sa
course. C'est là où nous retrouvons le résultat des prochaines élections
italiennes.
Dans un tel contexte, quel
risque le deuxième scrutin italien fait-il courir à la zone euro?
Si le mouvement eurosceptique
s'amplifie, la zone euro telle que nous la connaissons aujourd'hui aura bientôt
cessé d'exister.
Les dirigeants du M5S et de la
Ligue sont bien plus futés que Marine Le Pen et que Jean-Luc Mélenchon. Ils ne
vont pas commettre les erreurs de leurs homologues français: d'abord, et c'est
toute la différence, ils sont d'accord pour gouverner ensemble. Ensuite, ils
savent très bien deux choses: primo, le système monétaire européen est
irréformable de l'intérieur. Les pays forts de l'euro-zone refuseront pour les
raisons déjà indiquées toute relance continentale autre que cosmétique. Deuxio,
en l'absence de réforme, le système est voué à l'explosion. Tertio, on ne peut
sortir sans coup férir d'une monnaie unique, et ceci autant pour des raisons
techniques que pour des raisons d'exposition du pays à des effets spéculatifs
ravageurs. Voilà une autre différence de taille d'avec nos propres populistes.
Bruxelles a donc raison de
paniquer car les Italiens sont sérieux: ils ne vont pas sortir de l'euro sur un
coup de tête, mais ils risquent d'en faire sortir l'Allemagne.
L'Allemagne pourrait finir par
être éjectée de la zone euro?
Par en être éjectée ou par la
quitter d'elle-même. Car in fine, lorsqu'il faudra prendre ses
pertes, l'Allemagne ne voudra pas jouer ce que les banquiers appellent le rôle
de prêteur en dernier ressort. Après avoir accumulé des excédents, les
Allemands pourraient choisir de claquer la porte de l'euro-zone.
Pour le comprendre, commençons
par rappeler que la production monétaire reste entre les mains des pays membres
et des banques centrales locales.
Or, 12 pays sur 19, une majorité
de pays de la zone euro pâtissent de l'euro fort et auraient besoin d'une
dépréciation et d'une bonne dose d'inflation pour apurer leur dette. Certes
l'Italie affiche des excédents commerciaux, mais son tourisme et ses belles
entreprises exportatrices familiales verraient dans ce coup de pouce monétaire
un moyen commode de gagner davantage en compétitivité.
L'UE est un système de lâcheté
institutionnelle organisée.
Le gouvernement italien pourrait
donner l'ordre à la Banque d'Italie d'émettre des liquidités. Rome se
comporterait ainsi comme un passager clandestin: en faisant du déficit ou en
fabriquant de la monnaie, le pays ne sera pas du tout attaqué par les marchés
financiers tout en restant à l'abri de l'appétit des spéculateurs protégés par
l'euro.
La Banque d'Italie forcerait
l'euro à se déprécier. Le résultat pour Rome sera le même que si les Allemands
avaient consenti à un mécanisme de redistribution par le budget.
Les Allemands et les eurocrates
fanatiques partisans d'un euro fort hurleraient à la mort, dénonceraient la
violation des traités mais ils ne pourraient pas s'y opposer.
Pourquoi l'UE ne pourrait-elle
pas sanctionner l'Italie et sortir le fraudeur de la zone euro?
Ceci pour trois raisons.
L'UE est un système de lâcheté
institutionnelle organisée: c'est une sorte de super État conçu et organisé
pour ne prendre aucune décision. Pour ne fâcher personne.
L'UE n'a ni armée, ni police, ni
légitimité d'aucune sorte, c'est une chimère juridique qui n'a de consistance
que celle que ses adeptes lui reconnaissent.
Ensuite, l'Italie est trop grosse
pour être lâchée. Le risque bancaire qu'elle emporte est trop «systémique»,
comme disent les spécialistes: c'est la théorie dite du «too big to
fail».
Enfin, l'exemple italien finirait
fatalement par créer des émules. C'est alors que l'on assisterait à
l'éclatement de la zone euro.
Une fois le précédent italien
survenu, c'est-à-dire, une fois que la situation sociale et économique de
l'Italie se sera améliorée, que se diront les autres peuples?
On leur a promis que la foudre
des marchés allait s'abattre sur eux s'ils refusent l'austérité. Au contraire,
en cessant de vouloir rembourser ses dettes, on cesse de se surendetter et on
peut même finir par aller mieux... Ils finiront par quitter le navire à leur
tour.
Les peuples européens vont ainsi
découvrir la supercherie: l'euro n'est qu'un mécano de subvention de
l'industrie allemande, qui peut faire du dumping monétaire sur le dos des pays
moins productifs, et cette BCE que l'on nous vend comme un paratonnerre
anti-mondialisation financière est en fait là la solde des grandes institutions
financiers et bancaires mondiales.
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indéniable»
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Ivan Rioufol : « L'Europe se perd, en étouffant les peuples »
(31.05.2018)
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Crise
politique en Italie, «fake news», liberté d'expression... tant de sujets que
notre chroniqueur déplore comme «une violation d'un processus démocratique», où
la volonté du peuple est mise à l'écart.
La politique de l'étouffoir,
encouragée par l'Union européenne aux abois, ne fera pas taire la colère des
peuples. C'est à un jeu dangereux que se prêtent les dirigeants, à commencer
par Emmanuel Macron, qui justifient la censure sur Internet, veulent
interdire les «fake news»(fausses nouvelles), rejettent les votes des
électeurs indociles. Les sermonnaires dénoncent en Vladimir Poutine une injure
à la démocratie. Mais eux-mêmes se comportent en autocrates quand ils craignent
la parole libérée. Cette intolérance attise les braises. Il faut vouloir être
sourd pour ne pas entendre les protestations des réseaux sociaux ou des
consultations électorales.
Le sommet dans la provocation de
la caste a été atteint, dimanche, avec
le pied de nez de Sergio Mattarella, le président italien, aux
électeurs de la péninsule. Ceux-ci avaient donné, le 4 mars, une majorité
parlementaire aux mouvements antisystème: un choix que l'UE et ses soutiens ont
jugé inacceptable.
Il est loisible de parler de coup
d'État légal pour qualifier la décision de Mattarella d'entraver la formation
du gouvernement issu des urnes. Certes, la Constitution italienne permet au
président d'avoir son mot à dire sur la préservation des intérêts supérieurs de
l'Italie. Mais lui-même est dépourvu de légitimité: Mattarella a été désigné
par l'ancienne majorité parlementaire du Parti démocrate, qui a perdu les
élections.
Son refus de nommer à l'Économie
Paolo Savona, coupable d'avoir qualifié l'euro de «prison allemande», s'est
opposé à la volonté des vainqueurs du scrutin (la Ligue et le Mouvement 5
étoiles). La pression de l'UE, c'est-à-dire des marchés financiers et des
agences de notation, a été plus forte que l'expression majoritaire. Or c'est ce
coup de force que Macron a approuvé en déclarant: «Mattarella a fait preuve de
courage et d'un grand esprit de responsabilité.»
» LIRE AUSSI - L'Italie
embourbée dans la crise politique
La décision de Sergio
Mattarella révèle la dérive autocratique de l'UE, dont le chef de l'État
français est l'avocat de moins en moins convaincant
Cette violation d'un processus
démocratique révèle la dérive autocratique de l'UE, dont le chef de l'État
français est l'avocat de moins en moins convaincant. Ceux qui reprochent à
cette Union sans affect son éloignement des gens et son mépris des nations ont,
avec cette déclaration de guerre aux populistes, confirmation de leurs
accusations.
Lors de l'accord de coalition passé
entre les deux mouvements antisystème, le ministre français de
l'Économie, Bruno
Le Maire, avait déjà jugé bon, l'autre jour, de faire la leçon aux Italiens:
«Chacun doit comprendre en Italie que l'avenir de l'Italie est en Europe et
nulle part ailleurs.»Matteo
Salvini (la Ligue) avait eu beau jeu de lui rétorquer: «Que les
Français s'occupent de la France et ne mettent pas leur nez dans les affaires
des autres.» Les nouvelles élections, rendues nécessaires depuis ce blocage
institutionnel, s'annoncent risquées pour l'avenir de l'UE, voire de l'euro. La
chute du Système est envisageable.
Le rejet des États souverains a
toujours été la faille de cette Europe de la globalisation. En
2015, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne,
avait avoué: «Il ne peut pas y avoir de choix démocratique entre les traités
européens. On ne peut pas sortir de l'euro sans sortir de l'Union européenne.»
Mardi, le commissaire Günther Oettinger a renchéri: «Les marchés vont apprendre
aux Italiens à bien voter.» Cette arrogance souligne l'irresponsabilité des
eurocrates.
Qui pleurerait leur mise en
congé? Dans C'était de Gaulle, Alain Peyrefitte relate sa conversation avec le
Général, en 1964, à propos de l'impossibilité de quitter le traité de Rome. De
Gaulle: «C'est de la rigolade! Vous avez déjà vu un grand pays s'engager à
rester couillonné […]? Non. Quand on est couillonné, on dit: “Je suis
couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp!”» Les Italiens, et bien d'autres,
commencent à penser tout pareillement…
Despotisme bruxellois
Plus l'UE peine à séduire, plus
elle se fait despote. Les citoyens réclament, partout, plus de démocratie
directe et moins d'interdictions de penser. Mais Bruxelles s'entête dans une
résistance incongrue. L'Europe force au silence des urnes insolentes et veut
mettre sous surveillance le trop libre Internet. Au prétexte de lutter contre
les «discours de haine», l'UE impose depuis 2016 un «Code de conduite»
aux acteurs des réseaux sociaux. Facebook, Twitter, YouTube, Microsoft,
Instagram, Google+, Snapchat ont avalisé la traque au politiquement incorrect,
également promu par la Silicon Valley et la macronie.
Cette préoccupation est légitime
quand il s'agit de terrorisme ou de pédophilie en ligne. Elle est inquiétante
quand l'UE prétend lutter contre des «propos racistes ou xénophobes». Quiconque
émet des réserves sur les bienfaits de l'immigration ou de l'islam peut tomber
sous ces accusations des censeurs. C'est ainsi que le compte
Facebook de Génération identitaire a été fermé à la demande des
pouvoirs publics, tandis que celui des black blocs, néofachos d'extrême gauche,
reste ouvert.
En apparence, Macron se montre
sensible à la liberté d'expression.
En apparence, Macron se montre
sensible à la liberté d'expression. À ceux de la communauté turque en
France qui
ont exigé cette semaine le retrait des kiosques de la une duPointqualifiant
le président turc de «dictateur», il a tweeté: «La liberté de la presse n'a pas
de prix: sans elle, c'est la dictature.» C'est pourtant le chef de l'État qui
est à l'origine de la proposition de loi liberticide sur les «fake news», actuellement
examinée en commission des lois.
Cette législation viserait à
faire cesser en référé la diffusion d'informations «manipulées» en période
électorale. Cependant, le risque est de voir la justice décider ce qu'il serait
permis de dire, en fonction d'une vérité d'État qui entrerait en contradiction
avec la liberté d'expression et ses inévitables excès. Alors que les lois sur
la presse multiplient, depuis 1881, les entraves à la libre parole, rien n'est
moins urgent que ces nouveaux obstacles qui s'ajoutent à la dictature de la
pensée officielle. Le nouveau monde ne se reconnaît pas dans cette
macrocrature.
Geste héroïque
Même
le FN n'a pas émis la moindre réserve après la décision du chef de l'État
d'honorer Mamoudou Gassama pour son geste héroïque, filmé et
diffusé sur Internet. Ce jeune clandestin malien, qui a sauvé un enfant en
escaladant quatre étages d'un immeuble parisien en moins de 40 secondes, a été
reçu à l'Élysée avant d'être régularisé. Sa naturalisation sera accélérée. Le
geste de Marin, jeune Lyonnais grièvement blessé en 2016 pour être venu à
l'aide d'un couple agressé parce qu'il s'embrassait, n'a pas eu droit à un tel
engouement. La naturalisation des héros étrangers accélèrera-t-elle
semblablement la déchéance de nationalité des crapules?
La rédaction vous
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élections italiennes prouvent que la zone euro a basculé dans la
post-démocratie»
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parole libérée affole l'Union européenne
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la lutte contre les «fake news» est devenue une affaire d'États
Italie: l’Europe contre les peuples (épisode 3) (28.05.2018)
Quand le peuple a tort, il
faut lui faire entendre raison
Par Henri Temple - 28
mai 2018
Le chef de gouvernement désigné,
Giuseppe Conte, a renoncé à devenir président du Conseil. Ici à Rome, le 23 mai
2018. SIPA. AP22204946_000013
L’Irlande et la France l’ont
appris lors des référendums européens de 2005 et 2008: quand le peuple a tort,
il faut lui faire entendre raison. En Italie, le chef du gouvernement désigné,
Giuseppe Conte, a renoncé à devenir président du Conseil après que le
président de la République, Sergio Mattarella, a refusé la nomination d’un
ministre des Finances eurosceptique.
Sergio Mattarella, président de
la quatrième économie européenne, a donc pris la lourde responsabilité de
bloquer le processus démocratique en Italie. Il s’est, en effet, opposé à la désignation
de certains ministres proposés par le président du Conseil, Giuseppe Conte,
mandaté par Luigi Di Maio (M5S) et Matteo Salvini (Ligue du Nord), larges
vainqueurs du dernier scrutin législatif. Giuseppe Conte voulait notamment
nommer aux Finances l’eurosceptique Paolo Savona.
Le peuple italien sera
« européen » ou ne sera pas
La presse en général, française
en particulier, diffuse massivement la fausseté selon laquelle ce président
serait dans son droit en garantissant le respect des traités européens et
l’euro. Or les pouvoirs du président de la République sont strictement
délimités par les articles 87 et 92 de la constitution italienne. « Il représente l’unité
nationale (…) ratifie les traités internationaux après, s’il y a lieu,
l’autorisation des Chambres (ratifica i trattati internazionali, previa,
quando occorra, l’autorizzazione delle Camere). Il a le commandement des
Forces armées, préside le Conseil suprême de défense constitué suivant la loi,
déclare l’état de guerre décidé par les Chambres », précise
l’article 87. Quand l’article 92 déclare : « Le président
de la République nomme le président du Conseil des ministres et, sur
proposition de ce dernier, les ministres (Il Presidente della
Repubblica nomina il Presidente del Consiglio dei ministri e, su proposta di
questo, i ministri) ».
A lire aussi: L’Italie et l’euro: bella ciao ?
Or, ce dimanche soir, le chef du
gouvernement désigné par la coalition représentant plus des deux tiers des
Italiens, Giuseppe Conte, a renoncé à ses fonctions en raison du refus
juridiquement injustifié de Sergio Mattarella de nommer le gouvernement choisi
par les vainqueurs de l’élection. On voit bien que le maintien dans l’euro et
dans l’Europe est l’impératif sous-jacent. Il y aura donc probablement de
nouvelles élections et entre-temps, pendant 3 ou 4 mois, un gouvernement
transitoire désigné par Sergio Mattarella, et sans doute présidé par Carlo
Cottarelli, un apparatchik du Fonds monétaire international (FMI), convoqué dès
lundi par Mattarella, ce qui en dit long sur les puissances effectives qui se
substituent désormais aux démocraties en Europe.
« Il est inutile d’aller
voter… »
Comment le peuple italien va-t-il
réagir, ainsi frustré de son choix démocratique ? Le système européen, euro
compris, est à bout de souffle et discrédité, et ceux qui en tirent des profits
personnels, ainsi que le système financier mondial, ont décidé de ployer les
peuples. Sergio Mattarella (cynisme ou inconscience ?) l’a même clairement
reconnu : « La désignation du ministre de l’Économie constitue
toujours un message immédiat de confiance ou d’alarme pour les opérateurs
économiques et financiers », a-t-il expliqué à la presse. « J’ai
demandé pour ce ministère un représentant politique de la majorité cohérent
avec l’accord de programme (…) qui ne soit pas vu comme le soutien à une ligne
qui pourrait provoquer la sortie inévitable de l’Italie de l’euro. » Matteo
Salvini et Luigi Di Maio ont immédiatement pris le pays à témoin et dénoncé un
coup de force contre la démocratie: « Il est inutile d’aller
voter, puisque les gouvernements ce sont les agences de notation, les lobbies
financier et bancaire qui les font », a osé Luigi Di Maio. « Nous
ne sommes pas une colonie des Allemands ou des Français », a rappelé
Matteo Salvini.
Sergio Mattarella,
ministre membre de la démocratie chrétienne jusqu’à la disparition de
ce parti dans des scandales de corruption en 1994, a tout de même surnagé.
Il est devenu président grâce à l’appui de Matteo Renzi en 2015. Une certaine
eurocratie défend, semble-t-il, ses privilèges et tente de subjuguer le peuple
italien comme elle l’a fait avec son cousin grec. Tout s’est mis en place pour
le grand dénouement final européen. Les responsables n’en seront pas les
peuples d’Europe mais ceux qui ont essayé d’en profiter.
Fusillade à Liège: le terroriste était un multirécidiviste
(30.05.2018)
VIDÉO - L'auteur des faits, un
Belge de 31 ans, qui s'était il y a peu orienté vers l'islam radical, a très
tôt versé dans la délinquance.
À Bruxelles
Sous le choc, la Belgique
essayait mercredi de retracer l'itinéraire de Benjamin
Herman, le détenu de 31 ans qui avait assassiné la
veille deux policières et un étudiant dans la ville de Liège avant
d'être à son tour abattu par les forces de l'ordre. Habitué aux démêlés
judiciaires depuis ses 16 ans, le jeune Belge purgeait en prison une série de
courtes peines cumulées. Il était coupable de faits d'incendie, de coups et
blessures et d'un braquage, et était libérable en 2020, selon les médias
belges.
«J'avais vu qu'il s'était
radicalisé, d'ailleurs il me disait qu'il était vraiment musulman»
Un des codétenus de Benjamin
Herman
Le parquet essaie actuellement de
confirmer qu'il a agi seul. Une enquête séparée a été ouverte sur le meurtre
d'un de ses anciens codétenus, qu'il aurait assassiné à coups de marteau lundi
soir. La présence de Benjamin hors de la prison, mardi, avait été autorisée par
les autorités pénitentiaires dans le but de préparer sa réinsertion. «Une
décision normale», a précisé mercredi matin Koen Geens, le ministre de la
Justice. «Il avait déjà eu 13 congés pénitentiaires de cette sorte, qui
s'étaient bien passés.»
Radicalisation en prison
Selon les services pénitentiaires,
Benjamin «ne représentait pas un danger terroriste». Le motif de ses actes ne
fait pourtant aucun doute. Outre le fait qu'il ait hurlé «Allah akbar» durant
son épopée meurtrière, le parquet belge a pointé le mode d'action typique de
l'État islamique (attaque de deux policiers avec un couteau, puis utilisation
de leur arme de service), ainsi que les contacts que le tueur aurait eus avec
d'autres détenus radicalisés, fin 2016 et début 2017. «J'avais vu qu'il s'était
radicalisé, d'ailleurs il me disait qu'il était vraiment musulman», a témoigné
l'un de ses codétenus à la Radio-télévision belge (RTBF). Mercredi soir, l'État
islamique a revendiqué l'attaque, via son agence de propagande Amaq.
«Le dispositif en place est
inefficace, voire contre-productif»
Georges Dallemagne, député belge
Dans un pays encore sous le choc
des attentats survenus le 22 mars 2016, l'attaque risque de relancer le débat
sur la prévention de la radicalisation en prison. «Le dispositif en place est
inefficace, voire contre-productif», explique au Figaro le
député belge Georges Dallemagne (Centre démocrate humaniste, centriste).
Lancé en mars 2015, le plan
belge de lutte contre la radicalisation en prison s'appuie principalement sur
la création de cellules très isolées (baptisée «D-Rad: ex») pour les détenus
les plus radicalisés. «Mais le confinement n'est que relatif, et ses individus
ont des contacts hors de la cellule», précise Georges Dallemagne. Le député
ajoute qu'il manque de nombreux autres éléments cruciaux, dont la possibilité
d'un soutien psychologique pour les nouveaux détenus à leur arrivée en prison
ou l'existence de conditions plus strictes pour ceux répertoriés comme en phase
de radicalisation lorsqu'ils accèdent à une sortie.
Un rapport publié par le
Parlement belge en octobre dernier pointait également le manque de stratégie de
déradicalisation auprès des détenus les plus extrêmes. Selon Georges
Dallemagne, citant des chiffres fournis il y a quelques mois par le ministère
de la Justice, le système carcéral belge compterait environ 450 détenus
radicalisés, dont 46 représentants une menace grave de prosélytisme. Seuls 22
seraient incarcérés dans les cellules «D-Rad: ex».
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faut activer les constructions de prison et spécialiser les établissements
selon la dangerosité des détenus»
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Liège : les faits qualifiés «d'assassinat terroriste» par le
parquet fédéral belge (30.05.2018)
VIDÉO - La porte-parole du
parquet est revenue sur le déroulé précis de la fusillade survenue mardi à
Liège, où trois personnes ont perdu la vie. L'auteur des faits est aussi
suspecté d'un meurtre commis avant la tuerie.
Il s'agit bien d'un «assassinat
terroriste et d'une «tentative d'assassinat terroriste». La justice belge a en
effet retenu cette qualification pour l'attaque
qui a fait trois morts mardi à Liège, avant que son auteur ne soit
abattu. «Les premiers éléments de l'enquête indiquent qu'il pourrait s'agir
d'un attentat terroriste», a expliqué Wenke Roggen, la porte-parole du parquet
fédéral, précisant que l'enquête sur l'auteur «se concentre actuellement sur la
question de savoir s'il a agi seul».
● Le déroulé de l'attaque
«L'assaillant a d'abord asséné
plusieurs coups de couteau à deux policières qui se tenaient de dos puis il a
volé l'arme de service de l'une d'elles avant de leur tirer dessus. Avec cette
arme, l'assaillant a ensuite tiré à plusieurs reprises sur un véhicule, dans
lequel se trouvait un passager. Ce dernier a été blessé mortellement», a
précisé la porte-parole. Il s'agissait d'un étudiant de 22 ans.
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Belge radicalisé sème la terreur à Liège
Devant la presse, Wenke Roggen a
confirmé que l'assaillant avait crié à plusieurs reprises «Allah akbar!» lors
de son parcours meurtrier. Après avoir tiré sur un autre véhicule, cet homme de
31 ans est entré dans une école où il a pris une femme en otage. Cette dernière
s'en est sortie indemne. «Il est ensuite sorti l'arme à la main et a échangé
plusieurs coups de feu avec les forces de l'ordre», selon la porte-parole du
parquet. Quatre policiers de la brigade anticriminalité ont été blessés lors de
cet échange de coup de feu. Selon Wenke Roggen, l'enquête sera longue, mais il
pourrait s'agir du «modus operandi de l'État islamique». Et de rappeler: «Dans
cette attaque, les policiers étaient clairement visés».
● L'auteur des faits
s'était radicalisé en prison
Quant au profil de l'assaillant,
il se précise petit à petit. Il s'agit de Benjamin Herman, un Belge de 31 ans.
Entré en prison à 17 ans pour des faits de droit commun, il s'est converti à
l'islam pendant sa détention. L'administration pénitentiaire s'est récemment
rendu compte qu'il fréquentait des détenus radicalisés depuis 2016. Il était
d'ailleurs fiché par la police pour ses contacts en prison.
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l'auteur de la fusillade, délinquant multirécidiviste, s'était radicalisé en
prison
Selon des détenus interrogés dans
la prison où il était incarcéré, il avait une pratique «rigoureuse» de l'islam.
Lundi, il a quitté sa prison dans le cadre d'un congé pénitentiaire. Une
permission qui devait lui permettre de préparer sa réinsertion. Selon la
porte-parole du parquet, «il a profité de cette permission pour passer à
l'acte». En effet, Benjamin Herman devait rejoindre sa prison dès mardi.
● Suspecté d'avoir commis
un meurtre avant la fusillade
Cet homme est également suspecté
d'un autre meurtre, survenu dans la nuit de lundi à mardi à On, près de
Rochefort, commune d'origine de l'assaillant. La victime est un SDF, qui s'est
avéré être toxicomane. Selon le parquet belge, ce meurtre serait donc déroulé
sur fond de trafic de stupéfiants. Une analyse toxicologique va par ailleurs
être réalisée sur Benjamin Herman.
L'homme de 31 ans «est aussi
suspecté d'un meurtre commis à On, près de Marche-en-Famenne», a rapporté Wenke
Roggen, porte-parole du parquet fédéral lors d'une conférence de presse. «Les
circonstances exactes de ces faits font l'objet d'une enquête distincte»,
a-t-elle ajouté.
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Quand Gérard Collomb évoque le «benchmarking» des migrants en
Europe (30.05.2018)
LE SCAN POLITIQUE - En commission
des lois au Sénat, le ministre de l'Intérieur a ironisé sur les migrants qui se
dirigent vers «les législations» considérées comme «les plus fragiles». Il a
immédiatement été critiqué à gauche.
Sur les bancs du Sénat, certaines
polémiques se suivent et se ressemblent. Après que la ministre des Affaires
européennes, Nathalie Loiseau, a évoqué le «shopping de l'asile» en avril dernier (une
«expression malheureuse» dont elle a regretté l'emploi), son collègue Gérard
Collomb, l'a quasiment paraphrasée ce mercredi. En commission des lois au
Palais du Luxembourg, le ministre de l'Intérieur a estimé que certains migrants
faisaient une étude de marché avant de choisir leur lieu d'arrivée en Europe.
«Il n'y a pas que le Sénat qui
fait du benchmarking. Les migrants aussi font un peu de benchmarking pour
regarder les législations à travers l'Europe qui sont, on va dire, les plus
fragiles. Et voyez encore que telle nationalité - là encore, je ne citerai pas
- se dirige plutôt sur tel pays, non pas parce qu'elle est plus francophile,
mais tout simplement parce que jusque-là, c'est plus facile», a-t-il ironisé en
suscitant les rires de son auditoire, comme le rapporte la séquence captée
par Public Sénat.
«Entendre tout ça est
inadmissible», déplore Esther Benbassa
Estimant qu'il «vaut mieux aller
(en France) plutôt que de se faire rejeter assez vite dans un autre pays», le
locataire de Beauvau a cité l'exemple de l'Allemagne et regretté que
«nous, on peine à traiter (les demandes d'asile) en
trois ans» alors que certains «pays voisins» les traitent «quelques fois» en
«deux semaines» seulement. «Donc, évidemment, les gens comparent un peu et se
disent: “bah voilà, vaut mieux essayer d'aller dans tel pays”», a-t-il
finalement conclu.
Une sortie qui a immédiatement
suscité des critiques à gauche. Invitée de Public Sénat, la sénatrice EELV Esther Benbassa a
jugé qu'«entendre tout ça est inadmissible». «On utilise des mots qui sont
vraiment inadmissibles pour parler de ces humains qui sont dans les rues, qui
traînent», a-t-elle déploré, estimant que la France était «un shopping
meurtrier» pour eux. Sur Twitter, la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie
a abondé en jugeant que le propos de Gérard Collomb était «honteux».
Contacté par Le Figaro,
le ministère de l'Intérieur assume le terme, affirmant que l'idée derrière
était avant tout «d'expliquer que le gouvernement avait fait un benchmarking pour
s'aligner sur le droit européen, parce que les migrants faisaient leur
propre benchmarking». Une harmonisation rendue d'autant plus
nécessaire, selon Beauvau, que l'Union européenne «est un espace de
libre-circulation où les migrants eux-mêmes, souvent manipulés par des
filières, se glissent dans les différences de législation».
Le Pen propose à Dupont-Aignan de faire «liste commune» pour
les européennes (31.05.2018)
LE SCAN POLITIQUE - Dans une
lettre ouverte, la présidente du FN propose au député de l'Essonne la rédaction
d'une «charte commune pour établir les priorités pour transformer l'Union
européenne.
Elle a bon espoir de réparer le
couple. Dans une lettre ouverte publiée ce jeudi, la présidente du Front
national, Marine Le Pen, propose à son homologue de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, de faire liste commune pour
les élections européennes de 2019. Un an après leur alliance «historique» scellée durant l'entre-deux-tours
de la présidentielle, la dirigeante frontiste appelle le député de
l'Essonne à participer à la rédaction d'une «charte commune qui établira les
priorités et les mesures essentielles pour transformer l'Union européenne en
une Europe des Nations, des coopérations et des libertés».
«Je t'ai suggéré notre présence
symbolique aux deux dernières places de cette liste avec un double objectif:
pousser la liste vers les sommets en démontrant notre totale implication dans
ces élections européennes et nous mettre, nous deux, présidentiables, chefs de partis
et députés nationaux, au seul service de l'intérêt supérieur de notre pays
au-delà de toute ambition personnelle», écrit Marine Le Pen au député
souverainiste de l'Essonne.
Stratégie de rassemblement
Ce propos, la députée frontiste
du Pas-de-Calais l'avait esquissé la veille durant l'émission «Zemmour &
Naulleau» sur Paris Première. «Je souhaite faire une alliance avec le mouvement
de Nicolas Dupont-Aignan. Nous avons la même vision de l'UE, (...) comme nous
sommes tous les deux des chefs de parti, il fallait que l'on mette en avant
cette alliance, (...) et j'attends la réponse de Nicolas Dupont-Aignan.
J'attends qu'il revienne vers moi. Et nous ouvrirons cette liste d'alliance à
des LR (Les Républicains), car il y a des LR qui pensent comme nous», déclarait-elle.
Selon l'intéressée, FN et DLF
sont devenus «des acteurs incontournables d'une recomposition autour du
véritable clivage mondialistes/nationaux». Depuis sa défaite à l'élection
présidentielle, Marine Le Pen tente péniblement de construire une stratégie
d'alliance avec les autres formations souverainistes françaises. Et ce malgré
les distances prises par Nicolas Dupont-Aignan vis-à-vis du FN et le départ de
Florian Philippot, à la tête des Patriotes, qui peine à exister mais qui joue
malgré tout sur le même terrain. Rien que ce mardi, Le
Figaroet L'Opinion révélaient que l'ex-conseiller économique de la députée du
Pas-de-Calais, Bernard Monot, claquait la porte du FN pour rejoindre
Debout la France.
» LIRE AUSSI - Marine Le Pen face au tabou de l'union des droites
Pour atteindre son objectif, la
fille de Jean-Marie Le Pen a décidé de rebaptiser le FN «Rassemblement
national». Une appellation qui devrait voir le jour ce vendredi, à l'issue d'un
conseil national (le parlement du parti) organisé à Lyon. De son côté, Nicolas
Dupont-Aignan a constitué une plateforme des «Amoureux de la France»,
à laquelle se sont ralliés le président du Parti Chrétien-Démocrate, Jean-Frédéric
Poisson, et le patron du Centre national des indépendants et paysans
(Cnip), Bruno North. Les trois leaders ont présenté lundi une ébauche de
«programme commun» en vue des élections européennes.
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droites souverainistes rêvent d'alliance pour les élections européennes de
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Yémen : plongée dans le chaos de la guerre oubliée
(31.05.2018)
Par Georges
Malbrunot et Service
InfographieMis à jour le 31/05/2018 à 20h11 | Publié le 31/05/2018 à
18h26
REPORTAGE - Plus de 10.000 morts,
2 millions d'enfants malnutris, un choléra menaçant et une guerre qui n'en
finit pas... Coupé en deux, le Yémen est livré à la loi des groupes armés.
De notre envoyé spécial à
Aden, Lahej et Bab el-Mandab,
Du jour au lendemain, Abdel
Khalek a troqué ses filets de pêche contre un kalachnikov. Son village
d'Abnazer, sur la mer Rouge, était menacé par les
rebelles houthistes, qui s'en approchaient. «Ils sont rentrés en
progressant maison par maison. Ils avaient des listes d'habitants ayant rejoint
la résistance, qui leur avait été fournies par certains collaborateurs», se
rappelle ce jeune pêcheur à la peau cuivrée, vêtu de la fouta traditionnelle,
sorte de kilt version yéménite.
Comme tant d'autres, la
guerre s'est imposée à lui. «On était incapable de manier un
kalachnikov, dit-il. Mais avec mes amis, on a décidé de faire le maximum pour
chasser les houthistes.» À Abnazer, les miliciens chiites ont transformé
certaines maisons en postes d'observation quand d'autres, comme celle d'Abdel
Khalek, ont été dynamitées. «Dès qu'ils attaquent un village, les houthistes
disent à la population: ne vous inquiétez pas! On est là pour lutter contre
Daech, pas contre le peuple yéménite. Le problème, c'est qu'ils nous prennent
tous pour des djihadistes.» Abdel Khalek s'est retrouvé «piégé» : «On
pensait que la résistance allait rapidement chasser les houthistes», mais les
combats ont duré. Ils ont fait plus de quarante martyrs chez les «résistants».
Finalement, la
coalition anti-houthistes a repris Hays. Mais autour, la guerre
fait toujours rage.
Comme des milliers d'autres
déplacés, Abdel Khalek a tout laissé derrière lui, avant de partir seul. Puis,
son épouse et leurs deux enfants l'ont rejoint. La famille s'entasse désormais
dans une masure en brique d'un camp de réfugiés à 130 km plus au sud, près
du mythique détroit de Bab al-Mandab, à la pointe sud de la péninsule arabique,
où se mêlent les eaux de l'océan Indien et de la mer Rouge.
«Les houthistes et la
coalition sont tous méchants!»
Sans climatisation ni
électricité, la chaleur est écrasante. Mais Abdel Khalek est accoutumé. Ce
qui manque cruellement, c'est l'eau potable. «On doit aller loin, au
pied de la montagne pour en récupérer», se plaint le pêcheur. Ailleurs, sur la
ligne de front, les mines laissées par les houthistes dans leur retraite
empêchent les villageois d'aller en quête du précieux liquide. Depuis Moka
jusqu'à Bab al-Mandab, la région côtière est submergée de déplacés. Plus de
100.000 personnes ont été jetées sur les routes, depuis décembre. «Bien sûr que
je veux rentrer chez moi, même si je dois mourir sur une mine, je ne veux pas
être un immigré», peste Abdel Khalek, nu-pieds dans le sable.
À deux pas d'une mer turquoise,
un autre groupe de déplacés sort de ses abris de fortune. Eux aussi voudraient
rentrer dans leur village de Simar, maintenant qu'il a été libéré par les
hommes de Tareq Saleh, le neveu de l'ancien
président du Yémen, assassiné en fin d'année dernière. «Les houthistes
et la coalition sont tous méchants!» s'emporte Ahmed. Pendant de longs mois,
les Émiriens leur ont interdit la pêche autour de Moka. Ils redoutaient les
attaques houthistes au bateau kamikaze. Maher, 50 ans, enrage, lui aussi, mais
pour une autre raison. Depuis deux ans, Dubab, sa ville, un peu plus au nord, a
été reprise aux houthistes, mais elle reste occupée par des soldats soudanais
de la coalition, qui interdisent le retour des déplacés. «Il y a un mois, des
habitants de Dubab ont essayé de revenir, mais la coalition nous a tiré dessus,
regrette Maher. Tout notre matériel de pêche est là-bas, on voudrait au moins
le récupérer pour pêcher ici.» Des femmes et leurs enfants font la queue pour récupérer
de la nourriture, au Yémen, en mai 2018.
Des femmes yéménites font la
queue avec leurs enfants pour récupérer de la nourriture. - Crédits photo
: ABDO HYDER/AFP
La ligne de front n'est qu'à
quelques dizaines de kilomètres. Elle n'a guère bougé en quatre ans de conflit.
Le prochain objectif, c'est le port de Hodeïda au nord, et une fois de plus,
les ONG redoutent un afflux de déplacés. Les forces de la coalition, qui n'en
sont plus qu'à 20 km, veulent couper la route de Sanaa aux houthistes qui
tiennent la capitale, avant d'encercler Hodeïda et son port, par lequel l'Iran
livrerait des armes, notamment des missiles, aux houthistes. À 80 km dans
les terres, plus à l'est, il y a aussi le front de Taizz, où 39 groupes armés
s'affrontent dans cette guerre oubliée qui a coupé le Yémen en deux. Dans six
provinces du Nord, les houthistes. Au sud et à l'ouest, un gouvernement
légitime d'un pays failli, livré à une myriade de factions armées, souvent
instrumentalisées par ses voisins, où l'Arabie saoudite et l'Iran s'affrontent
par relais interposés.
« Le Yémen n'existe plus ! »
Combien de fois a-t-on entendu cette complainte en une semaine de reportage
dans ce pays meurtri ? À côté, la Syrie ou l'Irak font presque figure de havre
de stabilité
Depuis 2014, le pays le plus
pauvre de la péninsule arabique est déchiré par une guerre entre les forces
loyales au président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenues par les États-Unis, la
Grande-Bretagne et la France, et les houthistes, des rebelles chiites venus du
Nord, appuyés par l'Iran. Ces derniers, qui se plaignaient d'être marginalisés,
se sont emparés en septembre 2014 de Sanaa et
en ont chassé le gouvernement, avant de progresser jusque dans le Sud. Grâce à
l'intervention en mars 2015 d'une coalition militaire arabe, conduite par
l'Arabie saoudite avec les Émirats arabes unis en appui, et épaulée par les
Occidentaux, les troupes gouvernementales ont reconquis une partie du Sud, y
compris le siège du gouvernement à Aden.
«Le Yémen n'existe
plus!» Combien de fois a-t-on entendu cette complainte en une semaine de
reportage dans ce pays meurtri? À côté, la Syrie ou l'Irak font presque figure
de havre de stabilité. Le Yémen et ses 25 millions d'habitants,
majoritairement sunnites avec une forte minorité chiite, est quasiment coupé du
monde. L'Arabie
a fermé l'aéroport de Sanaa aux vols internationaux. Riyad n'autorise
que les avions de certaines ONG à se poser dans la capitale, mais sans
journalistes. Celui d'Aden au sud reste ouvert à quelques liaisons improbables
vers l'Égypte, la Jordanie et le Soudan. Le bâtiment sans panache garde encore
les stigmates d'affrontements. À la sortie, un premier barrage est tenu par des
forces sudistes, qui déploient leur drapeau, frappé de l'étoile verte.
«Il n'y a plus d'État, c'est
le chaos»
À
Aden, le conflit contre les houthistes s'est terminé fin 2015. Mais
depuis, c'est le règne des chefs de guerre, et des liquidations. Le
16 mai, la doyenne de l'Université des sciences a été assassinée avec son
fils et sa petite-fille. Avant l'occupation houthiste, Ayman, 27 ans, était
comptable dans un hôtel. Il a participé à la libération d'Aden, mais depuis, il
est au chômage, et rumine sa rancœur. «Au début, dit-il, le rôle de la
coalition était clair, il s'agissait de chasser les houthistes. Mais depuis
leur départ, l'objectif de la coalition a dérivé vers une occupation de la
région par les Émirats. Ils ont formé des milices armées, qui opèrent en dehors
de l'armée du président Hadi. Dans chaque gouvernorat, à Aden, Lahej,
Hadramaout et Shabwa, les Émirats ont établi une base militaire qui recrute ce
qu'ils appellent les élites de la région qu'ils paient bien.»
Libérés
des houthistes, les Adénis n'en continuent pas moins de tirer le diable par la
queue. Dans une rue du quartier de Khor Matsar, trois fois par semaine,
des dizaines de personnes attendent pour s'approvisionner en gaz de cuisine.
«La vie est très difficile, s'insurge Zaïd Saleh, 64 ans, en poussant sa
bonbonne vide. On ne peut acheter qu'une bouteille par famille. Et le prix a
beaucoup augmenté. On n'a de l'électricité que par tranches de deux heures. La
plupart des stations d'essence sont fermées. Il n'y a plus d'État. C'est le
chaos.» Ce général en retraite de l'ancienne armée du Yémen du Sud est
nostalgique de la période (1967-1990) où le Sud s'était séparé du Nord. «Cela
fait huit mois que je n'ai pas touché ma retraite, et 25 ans qu'on réclame une
amélioration de notre condition», grogne-t-il, les lunettes de soleil sous son
chaal, le keffieh yéménite.
À
Aden, la nostalgie s'est estompée. Tel un écrin autour de la ville, les
crêtes des pitons volcaniques du mont Shamsan se découpent sur un ciel
invariablement bleu. Mais ses lieux mythiques sont délabrés. En face de la
mosquée al-Rihab, la maison, où séjourna Arthur Rimbaud, s'appelle le Rambo
Tourist Hotel. Les fenêtres sont murées, et personne ne se souvient plus de
l'écrivain, sauf quelques jeunes, persuadés qu'il se dénommait en fait Rambo.
L'époque coloniale britannique, qui prit fin en 1967 avec le départ de 30.000
soldats, n'est plus qu'un lointain souvenir.
Alors que les chants des
muezzins résonnent des mosquées en contrebas, des enfants jouent au ballon au
pied de l'édifice en briques grises, dont trois horloges sont arrêtées depuis
bien longtemps
Au coin d'une rue, une pancarte
kitsch signale le parc de la reine Victoria. La réplique en miniature de Big
Ben a survécu tant bien que mal, au sommet du quartier Tawahi. Entre chiens et
loups, alors que les chants des muezzins résonnent des mosquées en contrebas,
des enfants jouent au ballon au pied de l'édifice en briques grises, dont trois
horloges sur quatre sont arrêtées depuis bien longtemps. Une grappe de jeunes
en haillons mâche le qat - l'herbe euphorisante dont la culture absorbe la
moitié des réserves en eau du pays - assis par terre avec une vue imprenable
sur le port où quelques navires de commerce mouillent encore. Difficile
d'imaginer qu'en 1958, Aden était le deuxième port du monde en volume de
trafic, derrière New York. Au pied de Big Ben, une église témoigne encore d'un
passé révolu: il y a bien longtemps qu'il n'y a plus de chrétiens à Aden, sauf
une poignée d'Indiens.
Les plus jeunes ne regrettent pas
l'Aden cosmopolite - sublimée par Joseph Kessel ou les guérilleros
révolutionnaires Carlos, Georges Habache et la bande à Baader. Mais certains
anciens si. Chaque matin, la canne à la main, Ahmed, un charpentier de 74 ans,
s'assoit dans la rue Arwa et ressasse le glorieux passé. «Dans le monde arabe,
chaque groupe de musulmans se mange entre eux, dit-il. Mais au Yémen, c'est
encore pire, chacun dépèce l'autre. À l'époque des Britanniques, c'était
parfait. Il y avait des Somaliens, des Juifs, des Perses, des chrétiens, et
personne ne t'empêchait de vivre, comme tu l'entendais. Il y avait des cafés,
des cinémas! Regardez, en face c'était un cinéma. Maintenant, le bâtiment est
muré.»
L'indépendance du Sud
Sur la corniche, les grands
hôtels, comme le Mercure, sont éventrés. La guerre de libération des houthistes
a été sanglante. Mais quand les miliciens chiites ont été chassés d'Aden, ce
sont les djihadistes de Daech et d'al-Qaida, qui ont comblé le vide.
«Ils tenaient des barrages avec leurs drapeaux noirs dans certains quartiers
comme al-Mansoura», se souvient un employé d'une ONG. Des gangs criminels,
agissant pour le compte de Daech, pillèrent le Comité international de la
Croix-Rouge (CICR), qui fut contraint de quitter Aden.
Le piège se refermait: les
djihadistes, qui avaient participé aux côtés des sudistes et des forces de Hadi
à la guerre contre les houthistes, attaquèrent le gouvernement loyaliste et des
troupes de la coalition. Les alliés américains et français de cette dernière
s'inquiétèrent de la complaisance saoudienne envers les extrémistes. En
coulisses, les Émirats, alliés de Riyad mais obsédés par la menace islamiste,
passèrent à l'action et formèrent la «ceinture de sécurité». C'est le plus
puissant des groupes armés aujourd'hui à Aden. Milice? Escadrons de la mort?
Force régulière? Ses hommes circulent sans plaque minéralogique. «OK, mais en
juin 2016, le président Hadi m'a nommé par décret à leur tête», fait valoir
leur chef Mounir al-Yafeï, dit Abou Yamamah.
En tenue léopard, l'écouteur de
son portable à l'oreille, il nous reçoit, flanqué d'une escouade de gardes du
corps. Sa tête est mise à prix, il a échappé à plusieurs attentats. «Notre
mission, dit-il, est de réagir dans l'urgence contre les terroristes». Daech et
al-Qaida? «Bien sûr, mais aussi les Frères musulmans, qui ont créé al-Qaida et
Daech.» La preuve? «On a arrêté le 16 mars le fils de Mohammed
al-Makhtiari. Ce dernier était le garde du corps d'Abdel Majid al-Zindani, le
chef d'al-Islah, le parti lié ici aux Frères musulmans. Un de ses fils est
parti au djihad en Syrie, l'autre commandait une cellule de Daech à Aden qui a
commis des assassinats, mais le père lui a réussi à fuir à Marib». Le fils a
parlé pendant les interrogatoires, probablement musclés. S'en est suivie
l'arrestation d'une centaine de personnes liées à cette cellule, dont des
anciens prisonniers yéménites, rentrés de Guantanamo.
De son portable, Abou Yamamah
exhibe des photos montrant des talkies-walkies, des ordinateurs, des caméras,
de nombreux téléphones portables, pris aux djihadistes. «Et regardez ça: des
caméras de haute qualité que les terroristes collaient à leur front pour filmer
leurs crimes. Elles ont été données par la CIA aux unités antiterroristes du
gouvernement, avant la révolution de 2011!»
«Les généraux de la garde
présidentielle ont été écartés, ne restent que les troufions comme moi qui
n'ont qu'une arme légère et restent à la maison»
Un combattant pro-saoudiens
Au Yémen, la lutte antiterroriste
a toujours pris la forme d'un gruyère. Dans ce pays de tribus, les alliances
sont éminemment fragiles. Mais ce qui rend furieux Abou Yamamah, c'est que le
père Makhtiari ait réussi à trouver refuge dans la province de Marib plus au
nord, où al-Qaida dispose encore de sanctuaires, ainsi que dans la région
d'al-Bayda où les drones américains éliminent régulièrement des ténors
djihadistes. «Il est protégé par Ali Mohsen», jure-t-il. Qui est Ali Mohsen? Le
vice-président de Hadi, que tout le monde accuse d'avoir partie liée avec des
islamistes radicaux. «Comment la France peut-elle appuyer un tel gouvernement?»
interpelle Abou Yamamah.
À Aden et dans le Sud, le
président soutenu par la communauté internationale est nu. Ses portraits
jalonnent les artères du bord de mer. Mais ses ministres sont absents. «C'est
un gouvernement en décomposition», confirme un humanitaire. Depuis plus
d'un an, Hadi lui-même n'a pas remis les pieds à Aden. Et lorsqu'il venait, il
prenait un hélicoptère de l'aéroport jusqu'au siège de la garde présidentielle
au camp d'al-Maashiq sur un fortin. Un camp presque vide aujourd'hui. En
janvier, les hommes de la «ceinture de sécurité» ont affronté pendant
40 heures les militaires pro-Hadi, retranchés dans le camp. Il a fallu une
intervention des Émirats pour que leurs relais ne fassent pas une bouchée des
pro-saoudiens. Depuis, se plaint un de ces derniers, «les généraux de la garde
présidentielle ont été écartés, ne restent que les troufions comme moi qui
n'ont qu'une arme légère et restent à la maison».
Gouvernement fantoche
Surfant sur l'impopularité du
gouvernement Hadi, les Sudistes poussent les feux de l'indépendance. «C'est
notre objectif à moyen terme que même nos enfants répètent chaque matin dans
les écoles», affirme Ahmed Lamlas, secrétaire général du Conseil de transition
du Sud, sorte de gouvernement en attente.
Après l'épisode djihadiste, les
Sudistes ont ramené un certain calme à Aden grâce à la «ceinture de sécurité».
Mais à quel prix? Certains les soupçonnent d'être derrière la récente campagne
d'assassinats d'une vingtaine d'imams, proches des islamistes d'al-Islah, leur
bête noire. Les Sudistes ne contrôlent qu'une partie d'Aden. Certains quartiers
où vivent de nombreux islamistes leur échappent encore. Entre Sudistes
pro-émiriens et islamistes soutenus par l'Arabie, l'indépendance du Sud ne sera
pas une partie de plaisir.
Des échanges de tirs ont eu lieu
entre les troupes yéménites, soutenues par les Saoudiens, et les rebelles
houthistes, lors d'une offensive sur la ville portuaire d'al-Hodeïda, le 15
mai. - Crédits photo : Asmaa Waguih/REDUX-REA/Asmaa Waguih/REDUX-REA
Émiriens et Saoudiens sont alliés
à l'ouest et au nord contre les houthistes, mais ils n'ont pas le même ordre de
priorité. Riyad veut d'abord le départ des miliciens pro-iraniens de Sanaa,
pour sécuriser sa frontière sud avec le Yémen. Les Émirats, de leur côté,
jouent à fond la carte d'un Sud indépendant qui leur donnerait un contrôle sur
le trafic maritime dans l'océan Indien. Entre alliés, le fossé s'est encore
creusé avec la tentative récente d'OPA des Émirats sur l'île yéménite de
Socotra, où Abu Dhabi a installé une base militaire.
«Les Saoudiens qui dirigent la
coalition sont agacés, relève un autre humanitaire, mais comme c'est du sud que
l'offensive anti-houthistes progresse, les Émiriens peuvent leur répondre que
ce sont eux qui se battent au sol, tandis que les Saoudiens ne font que
bombarder depuis le ciel.» Et les Sudistes sont, désormais, écoutés du nouvel
envoyé des Nations unies pour le Yémen, le Britannique Martin Griffith, qui
vient de rencontrer les leaders sudistes à Abu Dhabi, après avoir été interdit
de le faire à Aden, par le gouvernement Hadi.
L'effondrement des structures
de santé
Allongé sur son lit à l'hôpital
Ibn-Khaldoun de Lahej, Racha crie. Visage décharné, joues creuses, le bébé de
deux mois a contracté une diarrhée aiguë et souffre
de malnutrition, un fléau qui touche deux millions d'enfants. Racha
fait partie du flot des déplacés de Moka. Ses parents ont dû parcourir
200 km avant de trouver un centre de santé. «La
pauvreté, la mauvaise qualité de l'eau et l'éducation familiale
sont les causes de ces maladies», répond Dounia, l'infirmière qui veille sur
Racha. Ses parents sont réfugiés au camp de Fiyouch à une dizaine de
kilomètres. Une séance de vaccination se tient ce matin-là au centre de l'ONG
Save The Children. «Ah, vous êtres français!» lance Mohammed, un assistant. «On
avait des Français au centre salafiste de Fiyouch, se rappelle notre
interlocuteur. Mais au début de la guerre, le cheikh qui dirige la madrasa leur
a demandé de partir. Il avait peur qu'ils rejoignent les djihadistes. Le
gouverneur de Lahej et le consul algérien à Aden sont venus. Le consul leur a
fourni des passeports algériens. La plupart sont rentrés en France ou en
Algérie, mais deux ou trois Français sont restés et ont ouvert des restaurants
à Aden.» Quant au cheikh, il a été liquidé ensuite par al-Qaida.
«L'école qu'on voulait
intégrer réclamait nos certificats de naissance, mais comme on a tout laissé au
village, on ne les avait pas. Ils nous ont alors demandé de retourner dans
notre village !»
Rima, 15 ans
Sans chef pour tenir les
composantes de la mosaïque tribale, le Yémen se meurt, mais Ubu y est roi. Dans
le bidonville d'al-Eswa, près d'Aden, Rima, 15 ans et ses trois sœurs, des
déplacés du front de l'ouest, ont voulu retourner à l'école. «L'école qu'on
voulait intégrer réclamait nos certificats de naissance, mais comme on a tout
laissé au village, on ne les avait pas. Ils nous ont alors demandé de retourner
dans notre village! Mais il est occupé, leur a-t-on répondu.» C'est pourtant
dans ce pays maudit que débarquent encore chaque jour des dizaines de migrants,
venus de la Corne de l'Afrique. Croisés sur la route de Bab al-Mandab, Ali et
cinq copains, âgés de 15 à 20 ans, étaient arrivés la veille de Somalie. Ils
marchaient sous le soleil, avec une bouteille d'eau sous le bras. «On cherche à
rejoindre Marib. Peut-être qu'il y a du travail là-bas», lâche Ali.
Vérification faite, il s'agissait d'Érythréens chrétiens
qui, de peur de représailles, se faisaient passer pour des Somaliens musulmans.
Un
million de cas de choléra ont été recensés dans le pays l'an dernier,
10.000 à 12.000 morts liés directement au conflit. Mais au-delà, s'alarme
Alexandre Faite, qui a fait le tour des capitales occidentales après avoir
passé trois ans à la tête du CICR à Sanaa, «le plus inquiétant, c'est
l'effondrement des structures sanitaires et en eau du pays, mais aussi de ses
ministères, où les fonctionnaires ne sont plus payés depuis trois ans». Le
tableau est encore plus dramatique chez les houthistes au Nord, inaccessible à
la presse, soumis à un blocus étouffant de la part de l'Arabie et des Émirats.
«J'ai fait au Yémen ce que je n'ai jamais fait en 22 ans de Croix-Rouge, lâche
Alexandre Faite: fournir des kits de dialyse pour malades.» Emmanuel Macron
organise le 25 juin une conférence internationale pour sauver le Yémen. Il
y a urgence.
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Sanaa s'enflamme depuis que les forces de Saleh attaquent leurs ex-alliés
La parole libérée affole l'Union européenne (30.05.2018)
L’Union européenne creuse
sa tombe. De la même manière que la glasnost avait précipité
la chute de l’Union soviétique, la libération de la parole des
peuples ébranle la citadelle bruxelloise. La pression exercée par l’UE sur le
président italien, Sergio Mattarella, pour qu’il s’oppose au
gouvernement choisi par les populistes vainqueurs des élections législatives a
toutes les caractéristiques d’un coup de force. Le déni de la démocratie est
flagrant, d’autant que Mattarella avait été désigné par l’ancienne majorité du
parti démocrate, battue le 4 mars. Le comble de la provocation a été atteint
avec la nomination comme président du Conseil de Carlo Cotharelli,
ancien membre du FMI. Les Italiens, qui ont donné la majorité parlementaire à
deux formations antisystème (La Ligue, le Mouvement 5 étoiles) vont donc être
dirigés… par ce que le Système peut produire de plus caricatural. La trahison
est tellement énorme qu’elle laisse deviner la panique qui s’empare du pouvoir
européen. Ceux qui lui reprochaient, notamment sur ce blog, d’être coupé des
gens et des nations n’ont plus à démontrer l’accusation. L’Union européenne a
déclaré la guerre aux souverainetés nationales. Et Emmanuel Macron a
apporté, avec Angela Merkel, son soutien au coup d’Etat légal
du président italien. Ce ruissellement de fautes bouscule l’histoire.
La dérive autoritaire et
anti-démocratique de l’UE risque d’accélérer sa chute ou du moins sa
refondation. C’est cette pente qu’a imprudemment prise Mattarella : il peut
très bien se retrouver demain dans la situation du président français Patrice
de Mac Mahon en 1877, sommé par le vainqueur des législatives, Léon
Gambetta, de "se soumettre ou se démettre". Reste cette
autre infâmie qui se profile chez les populophobes, qui laissent déjà entendre
qu’un néo fascisme se dissimulerait derrière la nouvelle peuplocratie, ce monde
de demain que Macron ne veut pas suivre. Parce que des manifestations de
protestations sont prévues le 2 juin en Italie, des commentateurs veulent y
voir un parallèle avec la Marche sur Rome de 1922organisée par les
faisceaux de Mussolini. Or les mouvements souverainistes, qui
s'accroissent partout en Europe, sont tout au contraire en demande de
démocratie directe, alimentée par les référendums d’initiative populaire et les
réseaux sociaux. Le Mouvement 5 étoiles est lui-même l’expression novatrice de ce
pouvoir de l’internet, qui permet de soutenir que le roi est nu. Il est peu
probable que cette libération de la parole, que cherche à entraver l’UE aussi
bien que la macrocrature, se laisse docilement canaliser. Face au camp du
rappel à l’ordre, celui de la liberté a tout mon soutien.
Comment la lutte contre les «fake news» est devenue une
affaire d'États (02.02.2018)
Par Arthur
Berdah, Benjamin
Ferran et Chloé
WoitierMis à jour le 05/02/2018 à 14h41 | Publié le 02/02/2018 à 19h21
ENQUÊTE - Alors que les géants
américains de l'Internet enregistrent des résultats financiers records, des
lois, notamment en France, sont en préparation pour les sanctionner quand ils
diffusent des informations mensongères sur leurs réseaux sociaux.
Emmanuel Macron en est resté
médusé. En plein débat d'entre-deux-tours de la présidentielle, et alors que la
tension est à son comble sur le plateau, Marine Le Pen sombre dans les
approximations et peine à sortir la tête de l'eau. Consciente
que l'Élysée est en train de lui échapper, la candidate d'extrême
droite tente un coup de poker: «J'espère qu'on n'apprendra pas que
vous avez un compte
offshore aux Bahamas…», lâche-t-elle mystérieusement. Devant leurs
téléviseurs, 16 millions de Français découvrent l'existence de cette fake
news , une information mensongère, montée de toutes pièces et diffusée sur
les réseaux sociaux dans le seul but de nuire au candidat. Apparue quelques
heures plus tôt, cette énième rumeur malveillante était passée sous les radars
de la cellule numérique d'En marche!, qui n'avait pas averti son champion sur
le sujet. «On avait passé la journée à préparer la riposte sur le programme, et
on s'était un peu déconnecté du reste. Quand elle lui a balancé ça, on s'est
tous demandé ce qu'elle racontait. Personne n'était au courant», se souvient Mounir
Mahjoubi, aujourd'hui secrétaire d'État au Numérique. À l'époque,
Emmanuel Macron ne laisse pourtant rien transparaître de sa surprise et répond
du tac au tac. «Ça, c'est de la diffamation. (…) La grande différence entre
vous et moi, c'est que vous vous avez des affaires, moi, je n'en ai pas
Mme Le Pen», assène-t-il sèchement. Il n'empêche, l'épisode a laissé des
traces.
Huit mois plus tard, jour pour
jour, le chef de l'État a profité de ses
vœux à la presse, début janvier, pour annoncer une loi et lutter ainsi
contre les fausses nouvelles en période électorale. Dévoilé à la surprise
générale, ce texte n'avait jamais été évoqué par le président. «C'est lui qui
nous a demandé de travailler dessus courant novembre», indique-t-on à l'Élysée,
où l'on explique avoir collaboré avec le ministère de la Culture et le
secrétariat général du gouvernement pour en définir les contours. La copie lui
a été remise en décembre. «Si vous êtes candidat à une élection, que quelqu'un
diffuse des fake news sur vous, vous n'avez pas les moyens de le stopper rapidement,
d'interdire ce site, et de faire retirer l'information. Moi je l'ai vécu: c'est
impossible», déplorait-il. Emmanuel Macron plaide donc pour «un référé qui
permet, en 24-48 heures, de faire retirer le contenu et, éventuellement,
de sanctionner celui qui l'a diffusé».
Une proposition de loi au
printemps
Selon nos informations, le texte
devrait prendre la forme d'une proposition de loi. Il sera présenté par le
groupe LREM à l'Assemblée nationale (plutôt que par le gouvernement) au
printemps. Pas question de ravaler les mesures à une vengeance personnelle.
«Cette loi est une nécessité, compte tenu de l'évolution du rapport à
l'information, pour donner aux citoyens la capacité de discerner le vrai du
faux», estime-t-on dans l'entourage d'Emmanuel Macron, où l'on souhaite «une
réponse globale à cette menace». «Dans l'idéal, il faudrait une réaction au
niveau européen… Mais on ne peut pas attendre! On ne peut pas prendre le risque
que ça traîne», explique un ministre du premier cercle. Objectif: avoir un arsenal
opérationnel pour les élections européennes de 2019. Le président de la
République a l'opinion pour lui: 71 % des Français estiment que les
fausses nouvelles représentent un «problème important» en France, et 79 %
jugent qu'une loi serait une bonne initiative, selon un sondage Odoxa pour
France Info et Le
Figaro.
«Le drame de la désinformation
est la discréditation de l'autre, sa représentation comme ennemi, jusqu'à une
diabolisation susceptible d'attiser des conflits»
Le pape François
Dans les autres capitales
européennes, l'heure est aussi à la mobilisation. À Berlin, Londres, Madrid et
Bruxelles, la prolifération des fausses nouvelles sur Internet inquiète au plus
haut niveau. Dès le mois de mars 2017, le vice-président de la Commission
européenne Andrus Ansip qualifiait de «menaces pour les démocraties
occidentales» ces mensonges pernicieux qui prolifèrent sur le Web. Des missions
d'experts ont été montées. La Commission européenne prépare une feuille de
route. Une cellule d'action de l'Otan a été dotée d'un budget de
1,1 million d'euros pour s'attaquer à ce poison. Des lois ou des mesures
contraignantes ont été partout envisagées en catastrophe, à l'approche
d'échéances électorales. Les fake news se sont même invitées dans le message
du pape François pour la 52e Journée mondiale des communications
sociales. «Le drame de la désinformation est la discréditation de l'autre, sa
représentation comme ennemi, jusqu'à une diabolisation susceptible d'attiser
des conflits», a-t-il énoncé.
De l'aveu général, personne
n'avait anticipé que les campagnes de désinformation sur le Web deviendraient
un sujet politique de premier plan. «Nous n'avons collectivement pas assez pris
au sérieux ni mesuré le phénomène», reconnaît Mounir Mahjoubi. Les rumeurs et
calomnies, après tout, n'avaient pas attendu le Web et les réseaux sociaux pour
proliférer. Les médias traditionnels jouaient jusqu'alors leur rôle de filtre.
Prétendre que les fake news, concept un peu fourre-tout, puissent concourir à
manipuler les opinions publiques, à fausser le résultat du Brexit ou de
l'élection présidentielle américaine, n'était-ce pas non plus déresponsabiliser
les peuples, qui avaient exprimé leur colère lors de ces deux scrutins en 2016?
Habilement, Donald Trump joué de cette dialectique, en accusant les médias
traditionnels de propager eux-mêmes des fake news .
Aux États-Unis, où une enquête
parlementaire a été ouverte sur l'ingérence
russe dans la campagne présidentielle, il a fallu attendre
l'automne pour mesurer le niveau des manipulations dont les électeurs ont été
victimes, des torrents de messages ont diffusé à tout-va des informations
mensongères, attisant les peurs et les divisions. Les publications, sinon par
leur caractère excessif et grossier, paraissaient souvent anodines. Il pouvait
s'agir de propos déformés d'Hillary Clinton diffusés par une mère de famille
nombreuse «pro-Trump», d'une vidéo sur YouTube révélant la soi-disant existence
d'un fils caché de Bill Clinton avec une prostituée, ou d'un meurtre inventé
impliquant un Noir américain.
126 millions d'Américains
exposés
Les millions d'électeurs
américains qui ont partagé de bonne foi ces nouvelles avec leurs proches
étaient loin de se douter de la manipulation qui se tramait. Derrière ces
messages diffusés à plein régime, se cachaient deux types de faussaires. Une
première catégorie d'escrocs, sur le sol américain ou à l'étranger, était mue
par des intérêts financiers. Ces arnaqueurs à la petite semaine ont inondé les
réseaux sociaux de fausses nouvelles, afin de renvoyer du trafic vers des pages
surchargées de publicité, et ainsi gagner de l'argent. Mais si la course à la
désinformation a pris des proportions uniques, c'est en raison de l'irruption
d'une officine de propagande russe qui s'est servie du Web pour agir sur
l'opinion à des fins politiques. Cette mystérieuse société écran, l'Internet
Research Agency, que les services américains ont connectée au Kremlin, a acheté
des milliers de publicités sur les réseaux sociaux afin d'accentuer les
divisions entre les Américains et répandre le chaos. Quelque 126 millions
de membres de Facebook ont été exposés à des messages achetés par cette agence,
a révélé le réseau social en novembre. La situation n'était pas meilleure sur
Twitter, où 1,4 million de personnes ont interagi sans le savoir avec des
fake news propagées par le même organisme, qui a également diffusé
1100 vidéos vues 309.000 fois sur YouTube. En Angleterre, un réseau de 13.000
robots aurait mis en ligne des messages en faveur du Brexit.
Une «stratégie
orchestrée par le Kremlin»
18% des Français affirment que
les réseaux sociaux sont leur première source d'information sur Internet
Sondage Kantar pour La Croix
«La campagne de désinformation en
faveur du Kremlin, cela ne fait guère de doute, est une stratégie orchestrée.
Si nous regardons les sondages d'opinion, nous devons hélas conclure qu'elle
peut être extrêmement efficace», a prévenu le Britannique Julian King,
commissaire chargé de l'Union de la sécurité, devant les parlementaires
européens à Strasbourg.
Mais il est hautement risqué de
s'attaquer frontalement à la Russie. Toute l'attention se focalise donc sur les
«plateformes» Internet américaines, qui ont servi de relais aux fake news.
Utilisés par plus de 2 milliards de personnes, Facebook, Twitter et
YouTube sont devenus une des principales portes d'entrée pour suivre
l'actualité, sur smartphone ou ordinateur. Dans le dernier Baromètre de la
confiance dans les médias de Kantar pour La Croix, 18 % des
Français affirment que les réseaux sociaux sont leur première source
d'information sur Internet. Une autre étude du Pew Research Center montre que
36 % des internautes américains s'informent sur Facebook.
Et lorsqu'on leur demande quelle
est la source du dernier article qu'ils ont lu, 10 % nomment le réseau
social comme un média à part entière.
Les créateurs de fake news ont
tout compris du fonctionnement de ces outils. Sur les réseaux sociaux, et en
particulier sur Facebook, pas de rédacteurs en chef ni de charte
journalistique. Les choix sont faits par des algorithmes, qui décident si une
publication sera plus ou moins bien exposée sur le fil d'actualité en fonction
du nombre de clics, de commentaires, de «pouces», de «cœurs» ou de partages de
la publication. Titres racoleurs, scandales imaginaires, faits divers déformés
pour appuyer sur des thématiques sensibles comme l'immigration… Les
instigateurs des fake news ont prospéré sans contrôle. Grâce aux outils de
ciblage publicitaire, ils sont aussi parvenus à diffuser leurs messages auprès
de catégories précises de la population, pour quelques dollars. Certaines fake
news russes ont été spécialement adressées aux hommes blancs dans le Kansas.
Une fois publiées, elles émergeaient en tête de leurs fils d'actualité.
Facebook en accusation
Mis à l'index dès l'élection de
Donald Trump, accusé par ses compatriotes d'avoir servi des intérêts étrangers,
le site de Mark Zuckerberg a commencé par
nier toute responsabilité, avant de changer de posture. «Prévenir
la propagation des fausses informations est l'une de nos priorités», a affirmé,
jeudi, le PDG. Entre-temps, le réseau social ainsi que Twitter et Google ont
été rudoyés par l'enquête parlementaire américaine. «Pourquoi Facebook a-t-il
mis 11 mois à s'expliquer et à nous aider à comprendre l'étendue du problème
des fake news?», a lancé le sénateur démocrate Chris Coon. En mettant sur un
pied d'égalité articles de médias de qualité et textes de désinformation, les
plateformes ont contribué à brouiller les frontières entre le vrai et le faux.
«Nous souhaitons que les
informations que vous lisez chez nous viennent de médias sûrs et de grande
qualité»
Mark Zuckerberg
Selon le dernier baromètre
Edelman sur la confiance dans les institutions, 63 % des sondés disent ne
plus pouvoir faire la différence entre une information vérifiée et un mensonge.
«Votre pouvoir me terrifie», a résumé le sénateur républicain de la Louisiane
John Kennedy, lors des auditions.
Acculé, Mark Zuckerberg a
annoncé, en janvier, qu'il voulait «réparer» son réseau social. «Nous
souhaitons que les informations que vous lisez chez nous viennent de médias
sûrs et de grande qualité», a-t-il déclaré. Le PDG a donc décrété que les
éditeurs de confiance auront une large visibilité sur les fils d'actualité.
Mais ce sont les internautes eux-mêmes qui établiront la liste des heureux
élus. Des panels représentatifs d'utilisateurs devront répondre à deux simples
questions: «Connaissez-vous ce média? Lui faites-vous confiance?» Facebook
refuse toujours de se considérer comme un éditeur et un «arbitre de la vérité».
Bref, de contribuer au tri de l'information crédible, comme le font les médias
traditionnels. Ce statut l'obligerait à être responsable de chaque contenu et
commentaire publié sur sa plateforme.
Ces mesures, censées éteindre
l'incendie, n'ont pas eu l'effet escompté. «Facebook et Google sont devenus de
puissants monopoles et causent des quantités de problèmes dont nous prenons à
peine conscience», a encore dénoncé, la semaine dernière, le milliardaire
George Soros lors du Forum de Davos. Il craint «de lourdes conséquences pour la
démocratie». Comme lui, des voix s'élèvent pour tordre fortement le bras des
plateformes. Tant qu'il sera possible de gagner beaucoup d'argent en diffusant
des informations mensongères, et de les promouvoir auprès de catégories
précises de population, le problème ne sera pas réglé à la base. Une solution
radicale serait de s'attaquer au cœur même du modèle économique des plateformes
Web, en les rendant moins attrayantes pour propager de la désinformation en
ligne. Autrement dit, de casser l'arme qui s'est retournée contre les
Américains.
«Tous ceux qui tentent de
manipuler le débat public avec des mensonges doivent savoir qu'ils en subiront
les conséquences»
Heiko Maas, ministre allemand de
la Justice
Roger McNamee en a fait un combat
personnel. Cet investisseur renommé, mentor de Mark Zuckerberg, a été l'un des
premiers à croire dans le célèbre réseau social. Depuis un an, il parcourt les
couloirs de Washington et publie des tribunes dans la presse pour alerter des
dangers posés par le réseau social. Pour lui, les mesures visant à stopper les
diffusions de fausses nouvelles reviennent à vider l'océan avec un verre d'eau.
Les plateformes, en raison de
leur impact sociétal dans nos vies, devraient ouvrir leurs algorithmes, être
d'une transparence totale sur leurs contrats publicitaires, voire être
contraintes de séparer leurs activités en plusieurs entités par des autorités
antitrust. Dans des États-Unis traumatisés par les fake news , le débat
sur la toute-puissance des champions nationaux, encore inimaginable il y a
quelques mois, commence à porter.
Lassés d'attendre des mesures
efficaces venant des plateformes, certains États ont donc décidé de sévir. Dès
la fin d'année 2016, le ministre allemand de la Justice, Heiko Maas, a souligné
la nécessité de légiférer contre la désinformation et, plus largement, les
discours de haine sur Internet. «La justice doit pouvoir attaquer leurs
auteurs, même s'ils agissent sur Internet. Tous ceux qui tentent de manipuler
le débat public avec des mensonges doivent savoir qu'ils en subiront les conséquences.»
Le gouvernement allemand avait alors en tête les futures élections fédérales de
septembre 2017. Hors de question que l'opinion soit la cible d'intox
venues de l'étranger. Les réseaux sociaux devront mettre en place un service
supprimant tous les messages signalés par la communauté comme étant violents,
racistes, antisémites ou mensongers, dans un délai allant de 24 heures à
sept jours. Ils remettront aussi un rapport tous les six mois détaillant leurs
actions. En cas de manquement, ils pourraient se voir infliger des amendes de
50 millions d'euros. Pour appuyer son raisonnement, le ministre de la
Justice a publié une enquête révélant que YouTube retire 90 % des contenus
illégaux dans la semaine, contre 39 % pour Facebook et 1 % pour
Twitter.
La France prend ses distances
avec l'Allemagne
Adoptée par le Parlement en
novembre, la loi contre la haine sur Internet est entrée en application début
janvier. Elle s'est retrouvée sous le feu des critiques.
«Dans un État constitutionnel,
ce sont les tribunaux et non les entreprises qui déterminent ce qui est légal
et ce qui ne l'est pas»
Sahra Wagenknecht, chef du groupe
parlementaire de Die Linke
À aucun moment, le texte ne
prévoit l'examen des messages délictueux par la justice. Twitter a supprimé
sans distinction des messages racistes de députés d'extrême droite, mais aussi
leurs parodies par l'hebdomadaire satirique Titanic. «Les fournisseurs privés
ne sont pas toujours en mesure de prendre les bonnes décisions quand il s'agit
de déterminer si des déclarations sont illégales, satiriques ou simplement
l'expression d'un mauvais goût», a souligné Nicola Beer, secrétaire général des
libéraux du FDP. Dit autrement, «cette loi est un camouflet à tous les
principes démocratiques. Dans un État constitutionnel, ce sont les tribunaux et
non les entreprises qui déterminent ce qui est légal et ce qui ne l'est pas», a
fustigé Sahra Wagenknecht, chef du groupe parlementaire de Die Linke.
Le gouvernement allemand a promis
que la loi sera évaluée et potentiellement modifiée. Paris voit aussi d'un
mauvais œil l'initiative d'outre-Rhin. «Cet exemple nous fait peur: les
plateformes y sont devenues des censeurs privés», déplore-t-on au ministère de
la Culture. En mettant le référé au centre de son dispositif, la France veut préserver
le rôle du juge. Pas question, donc, de toucher à loi de 1881 sur la presse,
cette «grande loi républicaine» qui définit déjà le délit de fausses nouvelles.
«Nous cherchons à la rendre applicable dans un univers où des médias et des
télévisions sous influence d'États étrangers diffusent des fake news de manière
virale», explique-t-on Rue de Valois. Le «devoir de coopération» qui existe
déjà avec les plateformes numériques sur les publications pédopornographiques
ou incitant au terrorisme sera étendu aux fake news en période électorale. De
même, si l'attaque «est massive et que les dommages sont évidents», la victime
ou la justice pourront «mettre en cause la responsabilité de la
plateforme qui a diffusé une telle information».
«On ne va pas chasser les fake
news, mais les fausses informations qui troublent l'ordre public et la
démocratie»
Si la France entend éviter
l'écueil allemand, la quasi-totalité de l'opposition s'est inquiétée du risque
de censure que faisait peser cette loi selon eux. La ligne est fine entre le
contrôle et la censure. «Le terme fake news est une expression rhétorique sans
définition précise. Macron s'en sert pour aboutir à un contrôle gouvernemental
d'Internet», a réagi Glenn Greenwald, le journaliste britannique à l'origine des
révélations de l'affaire Snowden. «On ne va pas chasser les fake news, mais les
fausses informations qui troublent l'ordre public et la démocratie», rétorque
le ministère de la Culture.
L'autre critique porte sur le
périmètre d'action de la loi française. Il n'est pas question de sortir
l'artillerie lourde pour s'attaquer aux fausses nouvelles en dehors des
périodes électorales. Or, si les fake news politiques ont beaucoup fait
parler d'elles, elles ne représentent qu'une partie du phénomène. La désinformation
a une portée bien plus large, touchant à des sujets sociétaux, ou de santé
publique. D'après une étude de l'Institut Reuters, les émetteurs de fausses
nouvelles les plus puissants en France traitent de la santé. Le plus populaire
est Santéplusmag, avec 7,4 millions d'abonnés sur sa page Facebook - soit
deux fois plus que Le Figaro. Créé au Maroc, ce site multiplie les articles
fantaisistes, comme «Trempez vos pieds dans le vinaigre et ces 9 problèmes vont
disparaître» ou «Boire un demi-verre de cette boisson va complètement dissoudre
vos calculs rénaux». Les sites Santé nature innovation ou Santé nutrition
suivent la même logique et propagent des discours dangereux remettant en cause
la nécessité de vacciner les enfants. Malgré tout, le gouvernement français
n'entend pas s'attaquer à ce problème, «sauf si une fausse nouvelle sanitaire
faisait son apparition en période électorale», précise-t-on au ministère de la
Culture.
Une cible bien précise
Combattre une partie des fake
news politiques, plutôt que la désinformation dans son ensemble. En réalité,
Emmanuel Macron aurait, selon ses proches, une cible bien précise en tête:
Russia Today (RT), le média de «propagande» russe financé par le Kremlin et qui
vient d'ouvrir une antenne en France.
En conflit ouvert avec le
président depuis la campagne, la chaîne embauche des journalistes titulaires
d'une carte de presse française. Cela embarrasse l'Élysée, qui avait pris
l'habitude de refuser d'accréditer RT sur la plupart de ses événements. «Une
expertise est menée avec le Quai d'Orsay pour arrêter une position»,
indique-t-on au palais.
Sans jamais citer Russia Today ni
Sputnik (l'autre média pro-russe, qui a relayé des sous-entendus sur
l'homosexualité supposée d'Emmanuel Macron), le chef de l'État avait d'ailleurs
lui-même abordé cette problématique le 3 janvier dernier: «Est-ce que des
gens qui ont, dans un certain contexte, des cartes de presse sont des
journalistes ou autre chose?», interrogeait-il. De son côté, le ministère de la
Culture semble avoir trouvé la parade: «Renforcer les pouvoirs du CSA à l'égard
des médias sous influence d'États étrangers» pour lutter contre leur pouvoir de
nuisance. «Outre la possibilité de ne pas conventionner ou de résilier une
convention, le CSA pourra également suspendre cette convention en période
électorale si la diffusion d'une fake news pouvant déstabiliser la campagne est
avérée», indique-t-on. La cible est désignée.
Vie privée, train de vie…
Macron a été ciblé de toutes parts
«Le “banquier des juifs” qui a
épousé une femme de 25 ans son aînée, c'est un cocktail magique et un terreau
fantastique pour les fake news.» Dans l'entourage d'Emmanuel Macron, les
souvenirs de la campagne sont encore vifs… Et pour cause. Pendant près de six
mois, le candidat d'En marche! a été visé par une multitude de fausses
nouvelles (lire ci-dessus), sur des thématiques diverses.
L'argent a souvent été l'un des
angles d'attaque de ses détracteurs. Ainsi, dès qu'il s'est lancé dans la
course à la présidentielle, l'ex-ministre a été ciblé sur son train de vie.
Plusieurs sites d'extrême droite l'ont notamment accusé d'avoir «dépensé un
smic par jour» pendant plusieurs années, en prétendant s'appuyer sur sa
déclaration de patrimoine… Ce que Florian Philippot - alors vice-président du
FN - avait relayé sur RMC-BFMTV à une heure de très grande écoute. Idem
concernant la supposée homosexualité d'Emmanuel Macron, qui a été évoquée par
l'ex-député LR Nicolas Dhuicq lors d'une interview à l'agence de presse russe
Sputnik.
Enfin, le président a également
été attaqué sur son programme: plusieurs sites d'extrême droite ont rapporté
une soi-disant «fuite» selon laquelle il envisagerait d'exproprier les
propriétaires de terrain construit d'une partie de leur bien pour ensuite leur
faire payer une taxe.
«Il était tellement habitué à ce
que des trucs délirants sortent de partout et nulle part à la fois, qu'à la fin
il n'était même plus surpris…», assure un proche, selon qui «il a souvent été
outragé, voire en colère, parce que sa dignité était attaquée».
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Tania de Montaigne : « Il faut pouvoir dire noir,
jaune, juif » (24.05.2018)
INTERVIEW. La journaliste
publie « L'Assignation. Les Noirs n'existent pas », un essai
universaliste démontant les clichés racistes et le communautarisme.
Propos recueillis par Clément
Pétreault
Modifié le 24/05/2018 à
17:19 - Publié le 24/05/2018 à 16:54 | Le Point.fr
Tania de Montaigne, journaliste
et auteure de L'Assignation. Les Noirs n'existent pas.
© ALAIN JOCARD / AFP
L'antiracisme est entré dans une
nouvelle ère. Il y a d'un côté ceux qui militent pour une action politique
radicale, érigeant leurs différences en identité et brandissant leur
particularisme en bouclier. De l'autre, des associations essoufflées qui
rabâchent un discours d'indifférenciation inaudible dans un monde où chacun se
doit de cultiver sa différence. Avec L'Assignation. Les Noirs
n'existent pas, Tania de Montaigne se faufile habilement au milieu de ce
champ de bataille. La journaliste propose un essai stimulant sur la question du
racisme et de l'altérité. Parce que lutter contre le racisme, ce n'est pas
céder au premier bricoleur identitaire venu, elle nous interpelle sur les
logiques tacites qui nous dissuaderaient d'employer les adjectifs
« noir », « arabe » ou « juif ». À lire.
Le Point :
Pourquoi ce livre L'Assignation. Les Noirs n'existent pas ?
Tania de Montaigne : On
sent la société travaillée par des contractions racistes et on voit se démultiplier
en réponse des « petites boutiques antiracistes » qui versent elles
aussi dans un registre raciste... On a tendance à l'oublier, mais une personne
victime de racisme peut, elle aussi, être traversée par cette question.
Assiste-t-on à l'émergence
d'un affrontement identitaire dans l'antiracisme ?
Tout ce qui a été fait
jusqu'au 11 septembre 2001 consistait à dire :
« Ne relevons pas les différences, faisons comme si tout le monde était
blanc et catholique. » Bon, ça ne marche pas. Ça fonctionne peut-être sur
une génération, mais on voit bien que la suivante ne veut plus de ce discours.
Ce silence a eu pour conséquence de faire émerger des gens qui ne veulent
exister que par leur différence..., alors que ce qui serait intéressant
aujourd'hui serait de pouvoir dire qu'il existe différentes couleurs que l'on
peut tout à fait nommer, mais que, pour autant, on ne peut rien en
déduire !
Alors d'après vous, pourquoi
n'ose-t-on jamais dire « noir », « blanc »,
« juif », ou « musulman » ?
Parce qu'on confond les noms et
les adjectifs ! C'est le principe même de l'essentialisation. Si l'on
n'ose pas dire noir, c'est parce qu'on y met toutes les choses qui
font qu'on pense qu'un Noir est un Noir. Lorsque j'ai sorti mon précédent
livre, Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, j'ai rencontré
plein de journalistes blancs qui, voulant que je comprenne qu'ils n'étaient pas
racistes, ne voulaient pas dire que j'étais noire... Et dans les conférences,
il y avait des gens noirs qui me disaient que je ne parlais pas comme les
Noirs... Bref, on se comporte comme si chacun devait parler depuis l'endroit
qu'on lui a assigné.
Entre Michelle Obama et une
migrante érythréenne, je ne sais pas ce qu'est une femme noire !
Tout le monde céderait,
consciemment ou pas, à la tentation de l'assignation ?
Même si vous êtes élevé dans un
grand esprit de partage et de fraternité, vous avez, comme moi, des
interprétations de ce qu'est un Noir, un juif ou un musulman. Du coup, on se
dit que si on sacralise le mot en y ajoutant une majuscule, un Noir, un Juif,
ou un Musulman, on ne pourra pas se voir accusé de racisme. C'est pour cela
qu'on croise des gens qui vous disent qu'ils adorent les Noirs, en ajoutant
« Il y a une telle richesse en vous », ou quelque chose de ce type...
C'est très gentil, mais ça revient à la même chose qu'une parole raciste, car
les deux me dénient le droit d'être un être de culture. Je suis française
depuis cinq siècles, mais comme je suis noire, je serais forcément d'ailleurs.
Si vous êtes sympa, vous vous émerveillez de ma capacité à être là, si vous
êtes raciste, vous me proposez de rentrer « chez moi ». En fait, dans
les deux cas, vous supposez que je n'ai pas d'appartenance possible : les
Noirs ne seraient traversés ni par l'histoire, ni par la singularité, ni par
toute forme de culture. Cela signifierait que nous serions toujours étrangers à
tout ce qui se passe ici et que nous ne pourrions nous imprégner de rien... En
fait, l'organisation sociale produit de la nature à l'endroit où il y avait de
la culture.
Si l'on suit votre
raisonnement, les expressions « communauté noire », « communauté
juive » ou « communauté musulmane » n'ont aucun sens...
Elles sont en effet absurdes, car
elles supposent l'existence d'un bloc unifié qui agit en un seul nom. Cela
laisserait supposer que tout Noir qui s'exprime le fait au nom de tous les
autres. Or, on peut être un Noir sans papiers ou un Noir originaire du
pays ; un Noir qui a de l'argent ou un Noir qui n'en a pas ; un Noir
qui a grandi dans le 16e ou qui a grandi dans une cité... Bref, quand on me
dit : « Quand même, ça doit pas être facile d'être une femme
noire », je réponds qu'entre Michelle Obama et une migrante érythréenne,
je ne sais pas ce qu'est une femme noire !
Je suis française depuis cinq
siècles, mais comme je suis noire, je serais forcément d'ailleurs
Comment expliquer les
divisions au sein de l'antiracisme ?
Si n'importe qui se fait insulter
ou frapper pour ce qu'il est, le sujet, c'est le racisme. Si vous décidez de
combattre le racisme, mais de n'intervenir que pour des gens qui vous
ressemblent exactement, l'objet du combat n'est plus le racisme, mais
l'identité. Et que faire lorsque ceux que je défends sont mis en cause dans des
actes répréhensibles ? Se taire pour protéger le groupe ? Ce n'est
pas sérieux. On confond la question des identités et celle de l'antiracisme.
Ces groupes-là viennent chercher une culpabilité, ce qui leur permet de
sanctuariser les combats en interdisant à d'autres d'entrer dans le sujet. Il y
a dans cette manière de mener les combats l'idée d'une singularité à préserver,
une singularité qui dispenserait de faire corps avec le reste de la société.
Mais cette idée que l'on puisse être des individus très particuliers travaille
avec le même dictionnaire que le racisme, l'antisémitisme ou
l'esclavagisme ! Pour que quelque chose bouge, il faut que ce soit le
sujet de tout le monde.
Que pensez-vous des réunions
en « non-mixité racisée » ?
Je ne sais pas ce que cela
représente en nombre, mais probablement moins que la place qu'on leur accorde
dans les médias. Dans ces réunions, il y a toujours l'idée que
« quelqu'un » est responsable de votre malheur, mais ce quelqu'un
n'est pas convié. Plus fort encore, malgré son absence, ce quelqu'un occupe
tout l'espace. La non-mixité ne m'intéresse pas. Si elle était destinée à
produire des choses à transmettre et à partager, on pourrait en discuter, mais
en réalité elle ne sert à rien, c'est juste un exutoire. On qualifie ces
mouvements d'antiracistes, alors que si on écoutait ce qu'ils disent sans
regarder leur couleur de peau, on n'aurait jamais l'idée de les désigner de la
sorte...
Aucune couleur de peau n'autorise
à faire son marché dans l'histoire. Car être français, ce n'est pas une affaire
de couleur
Vous ne semblez pas
spécialement préoccupée par les polémiques à répétition autour de
l'appropriation culturelle...
Non, car nous ne sommes pas
organisés sur une logique communautaire, et plaquer des notions anglo-saxonnes
sur la société française ne fonctionne pas. Car la première difficulté en France, c'est que les gens
couchent ensemble ! Voilà pourquoi en France la question des quotas est
problématique. Quand les gens sont mélangés, comment déterminer qui est de
quelle couleur ? C'est absurde. Sur la question de l'appropriation
culturelle, c'est la même chose. Il faudrait définir ce qui relève de la
culture d'un Français noir... Bon, noir comment ? Quel Noir ? C'est
quoi, un Français noir ? Pour qu'il y ait appropriation culturelle, il
faut être capable de définir qui est dépositaire de la « propriété
culturelle », ce n'est pas gagné. J'ai vu cette pauvre Camelia Jordana se
prendre des tombereaux de haine sur Twitter au motif qu'elle se
serait « approprié la culture noire » en s'affichant avec des tresses
africaines – dont je crains qu'elles ne soient d'origine égyptienne – lors de la
cérémonie des César.
Cette radicalité vous
inquiète-t-elle ?
La vie est trop courte pour se
donner les moyens d'être pessimiste. On est entrés dans une ère du flou qui
produit de la radicalité. Mais il ne faut pas se laisser sidérer par la
radicalité morbide et ne pas la prendre pour ce qu'elle n'est pas : c'est
bruyant, c'est impressionnant, mais cela ne représente pas grand-chose. Il faut
pouvoir dire « noir », « jaune », « juif », il
faut pouvoir s'interroger sur ce qu'est être français et mettre en garde les
jeunes générations : ne vous laissez pas voler ce que vous êtes. Vous êtes
français, quoi qu'en pensent les identitaires de tout poil. La langue que vous
parlez, c'est comme le sang qui coule dans vos veines, cela fait partie de
votre personne. On ne peut pas s'arranger et faire le tri dans ce que l'on
aimerait garder ou pas, être français, c'est être le protestant qui a été
assassiné à Paris comme
celui qui l'a découpé, c'est être le juif qui est mort à Auschwitz comme celui
qui l'a livré, c'est être le Noir qui est mort dans les bateaux comme
l'esclavagiste... C'est tout cela, être français. Aucune couleur de peau
n'autorise à faire son marché dans l'histoire. Car être français, ce n'est pas
une affaire de couleur.
L'Assignation. Les Noirs
n'existent pas, par Tania de de Montaigne, Grasset, 96 pages.
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Royaume Uni : la
demi-sœur de Meghan Markle, Samantha, demande la libération de l’activiste
Tommy Robinson (01.06.2018)
Par Aloysius le
01/06/2018
La demi-sœur de la duchesse de
Sussex, Samantha Markle, s’est servi de Twitter pour demander la libération
de Tommy
Robinson. Elle a relayé une pétition demandant au Premier ministre
britannique, Theresa May, de « libérer » l’ancien dirigeant de l’English
Defence League [EDL, Ligue de Défense Anglaise].
La pétition a été signée par plus
de 500 000 personnes […].
Tommy Robinson a été condamné à
10 mois de prison pour outrage au tribunal, et à 3 mois supplémentaires
correspondant au sursis d’une peine précédente.
Il avait été averti qu’il était
« sur le fil du rasoir » lors de sa condamnation en mai 2017, pour
avoir tenté de filmer quatrehommes jugés au tribunal de Canterbury […] pour le
viol en réunion d’une adolescente.
Après l’avoir condamné [en
2017], le juge Norton avait déclaré: « Il est placardé clairement
partout dans le tribunal que filmer ou prendre des photos est un délit, et peut
être un outrage à la cour. »
Merci à TheSheriff
Georges Bensoussan : «Nous entrons dans un univers orwellien
où la vérité c'est le mensonge» (07.07.2017)
ENTRETIEN - L'auteur
des Territoires perdus de la République (Fayard) et d'Une
France soumise (Albin Michel) revisite la campagne présidentielle.
Fracture sociale, fracture territoriale, fracture culturelle, désarroi
identitaire : pour l'historien, les questions qui nourrissent l'angoisse
française ont été laissées de côté.
En 2002, Georges Bensoussan
publiait Les Territoires perdus de la République, un recueil de
témoignages d'enseignants de banlieue qui faisait apparaître l'antisémitisme,
la francophobie et le calvaire des femmes dans les quartiers dits sensibles.«Un
livre qui faisait exploser le mur du déni de la réalité française», se souvient
Alain Finkielkraut, l'un des rares défenseurs de l'ouvrage à l'époque.
Une France soumise, paru cette
année, montrait que ces quinze dernières années tout s'était aggravé.
L'élection présidentielle devait répondre à ce malaise. Mais, pour Georges
Bensoussan, il n'en a rien été. Un voile a été jeté sur les questions qui
fâchent. Un symbole de cet aveuglement? Le meurtre de Sarah Halimi, défenestrée
durant la campagne aux cris d'«Allah Akbar» sans qu'aucun grand média ne s'en
fasse l'écho. Une chape de plomb médiatique, intellectuelle et politique qui,
selon l'historien, évoque de plus en plus l'univers du célèbre roman de George
Orwell, 1984.
Selon un sondage du JDD paru
cette semaine, le recul de l'islam
radical est l'attente prioritaire des Français (61 %), loin
devant les retraites (43 %), l'école (36 %), l'emploi (36 %) ou
le pouvoir d'achat (30 %). D'après une autre étude, 65 % des sondés
considèrent qu'«il y a trop d'étrangers en France» et 74 % que l'islam
souhaite «imposer son mode de fonctionnement aux autres».
LE FIGARO. - Des résultats en
décalage avec les priorités affichées par le nouveau pouvoir: moralisation de
la vie politique, loi travail, construction européenne… Les grands enjeux de
notre époque ont- ils été abordés durant la campagne présidentielle?
Georges BENSOUSSAN. - Une
partie du pays a eu le sentiment que la campagne avait été détournée de son
sens et accaparée, à dessein, par les «affaires» que l'on sait, la presse étant
devenue en la matière moins un contre-pouvoir qu'un anti-pouvoir, selon le mot
de Marcel Gauchet. Cette nouvelle force politique pêche par sa représentativité
dérisoire, doublée d'un illusoire renouvellement sociologique, quand 75 %
des candidats d'En marche appartiennent à la catégorie «cadres et professions
intellectuelles supérieures». Le seul véritable renouvellement est
générationnel, avec l'arrivée au pouvoir d'une tranche d'âge plus jeune
évinçant les derniers tenants du «baby boom».
Fracture sociale, fracture
territoriale, fracture culturelle, désarroi identitaire, les questions qui
nourissent l'angoisse française ont été laissées de côté
Pour une «disparue», la lutte de
classe se porte bien. Pour autant, elle a rarement été aussi occultée. Car
cette victoire, c'est d'abord celle de l'entre-soi d'une bourgeoisie qui ne
s'assume pas comme telle et se réfugie dans la posture morale (le fameux
chantage au fascisme devenu, comme le dit Christophe
Guilluy, une «arme de classe» contre les milieux populaires). Fracture
sociale, fracture territoriale, fracture culturelle, désarroi identitaire, les
questions qui nourrissent l'angoisse française ont été laissées de côté pour
les mêmes raisons que l'antisémitisme, dit «nouveau», demeure indicible.
C'est là qu'il faut voir l'une
des causes de la dépression collective du pays, quand la majorité sent son
destin confisqué par une oligarchie de naissance, de diplôme et d'argent. Une
sorte de haut clergé médiatique, universitaire, technocratique et
culturellement hors sol.
Toutefois, le plus frappant
demeure à mes yeux la façon dont le
gauchisme culturel s'est fait l'allié d'une bourgeoisie financière
qui a prôné l'homme sans racines, le nomade réduit à sa fonction de producteur
et de consommateur. Un capitalisme financier mondialisé qui a besoin de
frontières ouvertes mais dont ni lui ni les siens, toutefois, retranchés dans
leur entre-soi, ne vivront les conséquences.
Ce gauchisme culturel est moins
l'«idiot utile» de l'islamisme que celui de ce capitalisme déshumanisé qui, en
faisant de l'intégration démocratique à la nation un impensé, empêche
d'analyser l'affrontement qui agite souterrainement notre société. De surcroît,
l'avenir de la nation France n'est pas sans lien à la démographie des mondes
voisins quand la machine à assimiler, comme c'est le cas aujourd'hui,
fonctionne moins bien.
Dans un autre ordre d'idées,
peut-on déconnecter la constante progression du taux d'abstention et
l'évolution de notre société vers une forme d'anomie, de repli sur soi et
d'individualisme triste? Comme si l'exaltation ressassée du «vivre-ensemble»
disait précisément le contraire. Cette évolution, elle non plus, n'est pas sans
lien à ce retournement du clivage de classe qui voit une partie de la gauche
morale s'engouffrer dans un ethos méprisant à l'endroit des classes populaires,
qu'elle relègue dans le domaine de la «beauferie» méchante des «Dupont
Lajoie».Certains analystes ont déjà lumineusement montré (je pense à Julliard,
Le Goff, Michéa, Guilluy, Bouvet et quelques autres), comment le mouvement
social avait été progressivement abandonné par une gauche focalisée sur la transformation
des mœurs.
La France que vous décrivez
semble au bord de l'explosion. Dès lors, comment expliquez-vous le déni
persistant d'une partie des élites?
La perpétuation de la doxa est
inséparable de cet ordre social dont ils sont les bénéficiaires et qui leur
vaut reconnaissance, considération et avantages matériels
Par le refus de la guerre qu'on
nous fait dès lors que nous avons décidé qu'il n'y avait plus de guerre («Vous
n'aurez pas ma haine» ) en oubliant, selon le mot de Julien
Freund, que «c'est l'ennemi qui vous désigne». En privilégiant cette doxa
habitée par le souci grégaire du «progrès» et le permanent désir d'«être de
gauche», ce souci dont Charles Péguy disait qu'on ne mesurera jamais assez
combien il nous a fait commettre de lâchetés.Enfin, en éprouvant, c'est normal,
toutes les difficultés du monde à reconnaître qu'on s'est trompé, parfois même
tout au long d'une vie. Comment oublier à cet égard les communistes effondrés
de 1956?
Quant à ceux qui jouent un rôle
actif dans le maquillage de la réalité, ils ont, eux, prioritairement le souci
de maintenir une position sociale privilégiée. La perpétuation de la doxa est
inséparable de cet ordre social dont ils sont les bénéficiaires et qui leur
vaut reconnaissance, considération et avantages matériels.
Le magistère
médiatico-universitaire de cette bourgeoisie morale (Jean-Claude Michéa parlait
récemment dans la Revue des deux mondes, (avril 2017) d'une
«représentation néocoloniale des classes populaires […] par les élites
universitaires postmodernes», affadit les joutes intellectuelles. Chacun sait
qu'il lui faudra rester dans les limites étroites de la doxa dite de
l'«ouverture à l'Autre». De là une censure intérieure qui empêche nos doutes
d'affleurer à la conscience et qui relègue les faits derrière les croyances.
«Une grande quantité d'intelligence peut être investie dans l'ignorance lorsque
le besoin d'illusion est profond», notait jadis l'écrivain américain Saul
Bellow.
Avec 16 autres intellectuels,
dont Alain Finkielkraut, Jacques Julliard, Elisabeth Badinter, Michel Onfray ou
encore Marcel Gauchet, vous avez signé
une tribune pour
que la vérité soit dite sur le meurtre de Sarah Halimi. Cette affaire
est-elle un symptôme de ce déni que vous dénoncez?
La
chape de plomb qui pèse sur l'expression publique détourne le sens
des mots pour nous faire entrer dans un univers orwellien où le blanc c'est le
noir et la vérité le mensonge. Nous avons signé cette tribune pour tenter de
sortir cette affaire du silence qui l'entourait, comme celui qui avait
accueilli, en 2002, la publication des Territoires perdus de la République.
C'était il y a quinze ans et
vous alertiez déjà sur la montée d'un antisémitisme dit «nouveau»…
Faut-il parler d'un
«antisémitisme nouveau»? Je ne le crois pas. Non seulement parce que les
premiers signes en avaient été détectés dès la fin des années 1980. Mais plus
encore parce qu'il s'agit aussi, et en partie, d'un antijudaïsme d'importation.
Que l'on songe simplement au Maghreb, où il constitue un fond culturel ancien
et antérieur à l'histoire coloniale. L'anthropologie culturelle permet le
décryptage du soubassement symbolique de toute culture, la mise en lumière d'un
imaginaire qui sous-tend une représentation du monde.
Pour la doxa d'un antiracisme
dévoyé, l'analyse culturelle ne serait qu'un racisme déguisé
Mais, pour la doxa d'un
antiracisme dévoyé, l'analyse culturelle ne serait qu'un racisme
déguisé. En septembre 2016, le dramaturge algérien Karim Akouche
déclarait: «Voulez-vous devenir une vedette dans la presse algérienne
arabophone? C'est facile. Prêchez la haine des Juifs […]. Je suis un rescapé de
l'école algérienne. On m'y a enseigné à détester les Juifs. Hitler y était un
héros. Des professeurs en faisaient l'éloge. Après le Coran, Mein Kampf et Les
Protocoles des sages de Sion sont les livres les plus lus dans le monde
musulman.» En juillet 2016, Abdelghani Merah (le frère de Mohamed)
confiait à la journaliste Isabelle Kersimon que lorsque le corps de Mohamed fut
rendu à la famille, les voisins étaient venus en visite de deuil féliciter ses
parents, regrettant seulement, disaient-ils, que Mohamed «n'ait pas tué plus
d'enfants juifs»(sic).
Cet antisémitisme est au mieux
entouré de mythologies, au pire nié. Il serait, par exemple, corrélé à un
faible niveau d'études alors qu'il demeure souvent élevé en dépit d'un haut
niveau scolaire. On en fait, à tort, l'apanage de l'islamisme seul. Or, la
Tunisie de Ben Ali, longtemps présentée comme un modèle d'«ouverture à
l'autre», cultivait discrètement son antisémitisme sous couvert d'antisionisme
(cfNotre ami Ben Ali, de Beau et Turquoi, Editions La Découverte). Et
que dire de la Syrie de Bachar el-Assad, à la fois violemment anti-islamiste et
antisémite, à l'image d'ailleurs du régime des généraux algériens? Ou, en
France, de l'attitude pour le moins ambiguë des Indigènes de la République sur
le sujet comme celle de ces autres groupuscules qui, sans lien direct à
l'islamisme, racialisent le débat social et redonnent vie au racisme sous
couvert de «déconstruction postcoloniale»?
Justement, le 19 juin
dernier, un collectif d'intellectuels a publié dans Le Monde un
texte de soutien
à Houria Bouteldja, la chef de file des Indigènes de la République.
Que penser de l'évolution
sociétale d'une partie des élites françaises quand le même quotidien donne la
parole aux détracteurs de Kamel Daoud, aux apologistes d'Houria Bouteldja et
offre une tribune à Marwan Muhammad, du Collectif contre l'islamophobie en
France (CCIF), qualifié par ailleurs de «porte-parole combatif des musulmans»?
Les universitaires et
intellectuels signataires font dans l'indigénisme comme leurs prédécesseurs
faisaient jadis dans l'ouvriérisme. Même mimétisme, même renoncement à la
raison, même morgue au secours d'une logorrhée intellectuelle prétentieuse
(c'est le parti de l'intelligence, à l'opposé des simplismes et des clichés de
la «fachosphère»). Un discours qui fait fi de toute réalité, à l'instar du
discours ouvriériste du PCF des années 1950, expliquant posément la
«paupérisation de la classe ouvrière». De cette «parole raciste qui revendique
l'apartheid», comme l'écrit le Comité laïcité république à propos de Houria
Bouteldja, les auteurs de cette tribune en défense parlent sans ciller à son
propos de «son attachement au Maghreb […] relié aux Juifs qui y vivaient, dont
l'absence désormais créait un vide impossible à combler».Une absence,
ajoutent-ils, qui rend l'auteur «inconsolable». Cette forme postcoloniale de la
bêtise, entée par la culpabilité compassionnelle, donne raison à George Orwell,
qui estimait que les intellectuels étaient ceux qui, demain, offriraient la
plus faible résistance au totalitarisme, trop occupés à admirer la force qui
les écrasera. Et à préférer leur vision du monde à la réalité qui désenchante.
Nous y sommes.
Vous vous êtes retrouvé sur le
banc des accusés pour avoir dénoncé l'antisémitisme des banlieues dans
l'émission «Répliques» sur France Culture. Il a suffi d'un signalement du CCIF
pour que le parquet décide de vous poursuivre cinq mois après les faits. Contre
toute attente, SOS-Racisme, la LDH, le Mrap mais aussi la Licra s'étaient
associés aux poursuites.
En dépit de la relaxe prononcée
le 7 mars dernier, et brillamment prononcée même, le mal est fait: ce
procès n'aurait jamais dû se tenir. Car, pour le CCIF, l'objectif est atteint:
intimider et faire taire. Après mon affaire, comme après celle de tant
d'autres, on peut parier que la volonté de parler ira s'atténuant. A-t-on
remarqué d'ailleurs que, depuis l'attentat de Charlie Hebdo, on n'a plus vu une
seule caricature du Prophète dans la presse occidentale?
Une France soumise. Les voix
du refus,collectif dirigé par Georges Bensoussan. Albin Michel, 672 p.,
24,90 €. Préface d'Elisabeth Badinter. - Crédits photo : ,
L'islam radical use du droit pour
imposer le silence. Cela, on le savait déjà. Mais mon
procès a mis en évidence une autre force d'intimidation, celle de cette
«gauche morale» qui voit dans tout contradicteur un ennemi contre lequel aucun
procédé ne saurait être jugé indigne. Pas même l'appel au licenciement, comme
dans mon cas. Un ordre moral qui traque les mauvaises pensées et les sentiments
indignes, qui joue sur la mauvaise conscience et la culpabilité pour clouer au
pilori. Et exigera (comme la Licra à mon endroit) repentance et «excuses
publiques», à l'instar d'une cérémonie d'exorcisme comme dans une «chasse aux
sorcières» du XVIIe siècle.
Comment entendre la disproportion
entre l'avalanche de condamnations qui m'a submergé et les mots que j'avais
employés au micro de France Culture? J'étais entré de plain-pied, je crois,
dans le domaine d'un non-dit massif, celui d'un antisémitisme qui, en
filigrane, pose la question de l'intégration et de l'assimilation. Voire, en
arrière-plan, celle du rejet de la France. En se montrant incapable de voir le
danger qui vise les Juifs, une partie de l'opinion française se refuse à voir
le danger qui la menace en propre.
La rédaction vous
conseille :
- Goldnadel:
«L'islamo-gauchisme a contaminé les esprits»
- Alexandre
Devecchio: «Houria Bouteldja ou la grande misère de l'antiracisme»
- Damien
Le Guay: «Pour combattre le racisme, il faut déradicaliser l'antiracisme»
Chantal Delsol : « Devrons-nous choisir entre la démocratie
et notre modèle de liberté ? » (31.05.2018)
FIGAROVOX/TRIBUNE - Les Italiens
rejoignent désormais Polonais, Hongrois et Tchèques dans leur volonté, non pas
de sacrifier les libertés individuelles, mais de prendre aussi en compte leurs
mœurs et leurs valeurs nationales, explique la professeur de philosophie
politique*.
L'Italie s'ajoute à la
Grèce, au Royaume-Uni, à la Pologne, à la Hongrie, à
l'Autriche, à la République tchèque et à la Slovaquie, soit à la très
longue liste des pays qui ont annoncé démocratiquement ne
plus vouloir du modèle européen. Même si nombre d'entre eux ne
souhaitent pas, contrairement au Royaume-Uni, sortir
de l'Europe, ils expriment pourtant la ferme détermination de la
transformer de l'intérieur. C'est dans cet espoir que s'est maintenu le groupe
de Visegrad, lequel, encore sous présidence hongroise, a tenu ces derniers
jours à Budapest un important colloque sur le thème «L'avenir de
l'Europe», avec la participation de nombreux universitaires et politiques de
tous les pays d'Europe centrale.
L'euroscepticisme,
développé à ce point, par tant de pays et tant d'acteurs, traduit pour
commencer un échec de l'Europe institutionnelle, sur lequel il faut
réfléchir et dont il faudra tenir compte. Au reste, on voit bien que les
critiques de l'Europe s'affichent au nom d'une vision plus générale, qu'on pourrait
dire illibérale - d'où l'existence d'une internationale dépassant les
frontières de l'Europe: l'un des invités du colloque de Budapest était Steve
Bannon.
Il apparaît clairement que
l'euroscepticisme est une conséquence de l'illibéralisme : l'Europe est
fustigée parce que trop libérale.
Il apparaît clairement que
l'euroscepticisme est une conséquence de l'illibéralisme: l'Europe est fustigée
parce que trop libérale. D'où la surprise: les peuples refusent-ils donc d'être
libres? D'où la question angoissée des élites de nos pays: faudra-t-il donc
«les forcer à être libres», selon le mot d'ordre de Lénine - effaçant
ainsi la démocratie?
Ou bien faudra-t-il, démocratiquement,
nous plier à cette volonté populaire et abandonner des pans de liberté?
Allons-nous devoir choisir entre la démocratie et notre modèle de
liberté?
La vieille Europe tremble et
se défait devant cette question. La réponse a déjà été amorcée: une partie
de nos élites ne croient plus à la démocratie, en raison précisément des
préférences à leurs yeux inacceptables des peuples. L'Europe institutionnelle
est dominée par une «idéologie des professionnels», pour utiliser l'expression
de Thomas Frank (dans son livre Pourquoi les
riches votent à gauche ), Europe institutionnelle qui défend
la liberté postmoderne contre les peuples. Ces derniers arguent de la
démocratie (le nombre est de leur côté) pour imposer leurs opinions
illibérales.
Cette querelle idéologique est à
la fois lutte des classes et guerre des dieux, bataille entre deux nouveaux
«grands récits», énième combat des antimodernes contre les
modernes. Parce qu'elle est lutte des classes, elle porte le ressentiment et le
mépris ; parce qu'elle est guerre des dieux, elle porte la colère et la
mauvaise foi. Elle brise nos sociétés en clans irréconciliables, ouvrant des
brèches profondes au sein même des familles, comme toute brisure nouvelle et, à
ce titre, cruelle.
C'est la plus mauvaise passe
que nous traversons depuis la chute du communisme
C'est la plus mauvaise passe que
nous traversons depuis la chute du communisme. Le rejet de la modernité
ou de certains de ses aspects commence au début du XIXe siècle, anime
le romantisme allemand, inspire les fascismes et corporatismes
d'entre-deux-guerres et voit finalement sa légitimité fracassée par le
nazisme, qui, au nom d'une idéologie antimoderne, a fait ce que l'on
sait. Le nazisme a profané la contestation antimoderne. Ainsi, la raison
moderne devenue entre-temps postmoderne, dès lors privée de
contradicteurs (aussitôt assimilés au nazisme, donc jetés à la géhenne),
a exalté au-delà de toute limite les libertés diverses,
récusant les identités particulières et les définitions, effaçant,
comme le disaient Horkheimer et Adorno, «les dieux et les qualités».
L'Europe institutionnelle, à cet
égard, n'a pas échappé aux excès, en termes de déni de l'identité, par exemple.
Mais l'apparition sur la scène des peuples d'Europe centrale, dont
l'histoire est assez douloureuse pour leur épargner la crainte de la reductio
ad hitlerum, a changé la donne. Aussitôt entrés, ils entament la
récusation des modèles libéraux postmodernes - incluant la liberté
politique, économique et sociétale - et, au fond, la société de marché,
où, par la grâce de la liberté toute-puissante, l'esprit lui-même a valeur
marchande. Il s'agit encore d'une résistance au déploiement de la vision
moderne, ici postmoderne: mondialisme et cosmopolitisme, émancipation,
libéralisme sur tous les plans.
Un gouvernement qui réclame un
certain protectionnisme économique n'est pas pour autant une injure à
l'État de droit
Tout courant politique peut
s'avérer dangereux en raison des fous furieux qui naviguent sur ses bords. Et
les démocraties illibérales, qu'on appelle ainsi parce que ce ne sont pas des
dictatures, nous donnent l'impression de se tenir tout près des gouffres. Un
gouvernement qui réclame un certain protectionnisme économique n'est pas pour
autant une injure à l'État de droit. Remplacer les directeurs des
grands médias, redécouper à son avantage les circonscriptions: ce sont des
mesures que prennent la plupart de nos gouvernements, quelle que soit leur
obédience.
Mais mettre en cause les pouvoirs
de la Cour constitutionnelle? Il faut dire qu'en ce qui concerne les gouffres,
nous avons tout connu au long du XXe siècle. Il est donc naturel et plutôt
sain que nous soyons vigilants. Cependant, nous ne pouvons plus continuer à
décrire tous ces acteurs comme des imbéciles et des extrémistes. Car l'affaire
est infiniment plus complexe et vaut qu'on s'y attarde. Face aux élites qui ont
tendance à vouloir une liberté absolue, c'est-à-dire indépendante des facteurs
et des circonstances, les peuples ont tendance à vouloir une liberté située,
inscrite dans les réalités.
Prenons l'exemple périlleux de
l'immigration. Nous avons l'habitude de considérer comme des xénophobes et des
racistes, donc à réduire ad hitlerum, tout pays qui refuse des migrants ou
érige des murs. Nous considérons la question de l'immigration comme un
drame. Un drame est une situation grave dans laquelle on sait où est le
Bien, sans savoir si l'on parviendra à le rejoindre, étant donné les
difficultés. Le Bien consiste à accueillir chez nous les immigrés
demandeurs, mais y parviendrons-nous? Voilà le drame.
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Cependant, pour les démocraties
illibérales, la question de l'immigration n'est pas un drame, mais une
tragédie. La tragédie est une situation dans laquelle deux valeurs se
combattent, l'une et l'autre tout aussi importante et affamée. Ici, le Bien
consiste à accueillir les réfugiés errants, et le Bien consiste aussi à
préserver notre culture et notre identité. En situation de tragédie, la
décision ne consiste pas à courir vers le Bien à toutes jambes en s'oubliant
soi-même, mais à mesurer au regard de la situation les deux valeurs qui se
contredisent. Il faut ajouter que, dans toute situation de tragédie,
qu'elle soit personnelle ou collective, la conscience seule peut
décider, tant la chose est complexe.
Vouloir réduire une tragédie à
un drame, c'est tronquer la réalité.
C'est pourquoi les peuples en
question jugent assez répugnantes les admonestations morales venues des autres.
Les peuples d'Europe centrale, par exemple, ont fait le choix
d'assumer l'accueil des réfugiés ukrainiens (sans doute près de
2 millions à ce jour en Pologne) et trouvent assez mal venu qu'on leur
reproche de ne pas s'ouvrir aux Syriens ou aux Afghans. De quoi se mêle-t-on?
La situation de tragédie n'a d'instance surplombante que la conscience -
j'entends la sienne propre, et non celle des autres!
Vouloir réduire une tragédie à un
drame, c'est tronquer la réalité. La situation actuelle est très grave parce
qu'elle ne concerne pas seulement un combat idéologique, mais une guerre de
classes. Il est peu probable que nous ayons à choisir entre la démocratie
et la liberté. Les démocraties illibérales ne réclament pas des
dictatures, comme c'était le cas pour plusieurs pays européens dans les
années 1930. Elles réclament de replacer la liberté dans la réalité - la
liberté de circuler ne saurait être absolue, elle se heurte à la question
de l'identité culturelle. Cependant, si les élites s'entêtent à récuser les
réalités, elles finiront par rendre les peuples fous, menaçant ainsi les
libertés: on finit toujours par perdre ce qu'on a refusé de définir - donc de
limiter.
* Membre de l'Institut, Chantal
Delsol dirige, avec Joanna Nowicki, le Dictionnaire
encyclopédique des auteurs d'Europe centrale et orientale depuis 1945,
en préparation, et qui sera publié en 2019 aux Éditions Robert Laffont.
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Chantal Delsol
Luc Ferry : «Le RGPD ? Une colossale erreur !»
(30.05.2018)
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Depuis le
25 mai dernier, un nouveau réglement européen de protection des données est
entré en vigueur en Europe. Pour notre chroniqueur, ceci est «comme l'enfer,
pavé de bonnes intentions autant que d'effets pervers».
De quoi il s'agit? Du
«règlement général de protection des données» chargé, du moins à
ce que la bureaucratie européenne prétend, de protéger nos données
personnelles en obligeant les entreprises qui les récoltent à nous en
informer, à préciser les usages qu'elles en font, à nous permettre de les
refuser et de garantir ainsi la vie privée des résidents européens partout dans
le monde. A priori, qui pourrait être contre? C'est justement là le
piège, car ce RGPD, comme l'enfer, est pavé de bonnes intentions autant que
d'effets pervers au plus haut point calamiteux.
Au premier abord, le citoyen ne
peut qu'applaudir… sans rien comprendre toutefois aux véritables enjeux de
cette catastrophe programmée. Car ce dispositif sera au final infiniment plus
pénalisant pour
les TPE-PME européennes que pour les Gafa (Google, Apple,
Facebook, Amazon NDLR) , qui disposent à l'année d'une armée de juristes
et de logiciels parfaitement aptes à nous arroser de messages les mettant en
conformité avec le RGPD. Pour 99 % des utilisateurs de Google et des
principaux réseaux sociaux (qui, notons-le déjà au passage, sont
tous américains!), les services rendus sont infiniment supérieurs à la
protection de données dont ils n'ont en vérité pas grand-chose à faire.
Pour l'usager de base, que Google
connaisse son nom, son âge, sa profession ou son adresse IP est si indifférent
qu'il ne perdra pas trois minutes à lire le message écrit en caractères
minuscules mettant son site de navigation favori en conformité avec la nouvelle
usine à gaz concoctée par l'Europe. La
position dominante des Gafa fait que quasiment personne ne
renoncera à les utiliser quoi qu'ils fassent de nos données. On ajoutera
qu'en toute hypothèse, les géants du Net pourront toujours les pomper
sans vergogne attendu qu'ils disposent de «portes de derrière» qu'ils pourront
utiliser d'autant mieux que Trump a déjà pris un décret ouvrant une brèche dans
ce RGPD qui devait servir l'Europe mais va s'avérer une formidable aubaine pour
les Gafa.
Si nous voulons, nous Européens,
éviter de devenir une colonie de l'est de la Chine et de la Silicon Valley,
il vaudrait mieux éviter de nous tirer en permanence des balles dans le
pied
Ils ne pouvaient rêver meilleur
coup de pouce pour eux et plus pesant boulet pour nous, cette réglementation
étant chronophage et coûteuse
pour nos TPE-PME qui devront le cas échéant faire appel à une
entreprise spécialisée, voire à un emploi dédié pour se mettre et surtout
rester en permanence dans les clous. Au passage, ce machin conçu et mis en
place par une alliance de fonctionnaires anticapitalistes et de bureaucrates
ignorant tout du monde de l'entreprise comme des enjeux cruciaux de la
troisième révolution industrielle ajoutera un nouveau frein à l'innovation
continentale, contribuant à accroître le retard déjà presque irréparable
de la recherche européenne en matière d'intelligence artificielle (IA).
Si nous voulons, nous Européens,
éviter de devenir une colonie de l'est de la Chine et de la Silicon Valley,
il vaudrait mieux éviter de nous tirer en permanence des balles dans le
pied. On sait en effet que le principal facteur de progression de l'IA réside,
en dehors de la puissance des machines et des algorithmes, dans la
quantité de données qu'on leur fait avaler. On essaie d'empêcher
les données européennes de partir vers les USA, mais où sont les Gafa européens
qui pourraient seuls éviter que ce ne soit le cas? Nulle part!
Tant que nous n'aurons pas de
Gafa européens, mettre des barrières ne servira à rien d'autre qu'à nous
pénaliser nous-mêmes
Il faut donc être d'une naïveté
insondable pour s'imaginer que les Gafa renonceront à utiliser nos data,
qui sont leur principale source de revenu. Au reste, les assistants domestiques
de Google et autres géants du Net, les télévisions connectées et les nouveaux
sites de rencontre de Facebook se chargeront de continuer à les collecter comme
jamais.
A-t-on bien pris conscience, j'y
insiste, que toutes ces firmes, sans aucune exception notable, sont
américaines? Tant que nous n'aurons pas de Gafa européens, mettre des
barrières ne servira à rien d'autre qu'à nous pénaliser nous-mêmes en
faisant plaisir à une poignée de moralistes indifférents au réel.
Alors que faire? Rien? Évidemment
non, mais comme pour les «fake news», ce n'est certainement pas par
la loi, surtout quand elle prend la forme d'une véritable usine à
gaz, qu'on y arrivera, mais d'abord et avant tout en créant nos propres
Gafa, ensuite par l'information dès le collège sur les «fake news»
et l'usage des data. Il faut faire comprendre à nos enfants en quoi
consistent exactement les risques qu'ils prennent en naviguant sur
Facebook, YouTube, Snapchat, Messenger, Tweeter, Instagram et les autres.
Pour le quart d'heure, le seul effet réel du RGPD est de confirmer ce fait
navrant qu'en effet les Américains ont les Gafa et nous, la Cnil.
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est concerné par le RGPD?
Islam de France en crise : des musulmans veulent une
gestion départementale (30.05.2018)
Dans un contexte de conflit
chronique entre organisations, une fédération avance quatorze propositions
innovantes.
L'homme est discret mais très
efficace. L'islam
de France, il le connaît comme sa poche. Mais aujourd'hui, Mohammed
Moussaoui, marocain d'origine, mathématicien de métier - il enseigne cette
matière à l'université de Lyon - sort de sa réserve, parce que ce président
d'honneur du Conseil français du culte musulman (CFCM), qu'il a dirigé de 2008
à 2013, est las de voir
l'organisation de sa religion se déliter en France.
En publiant, mercredi, «quatorze
propositions» innovantes pour donner une nouvelle impulsion aux instances de
représentation de l'islam - propositions qui n'éludent aucun des sujets qui
fâchent au sein de la communauté musulmane, comme la
formation des imamsou le financement du culte -, ce responsable
musulman entend, «par des mesures fortes en matière de gouvernance», mettre fin
à «la défiance d'une partie de la communauté musulmane à l'égard des instances
représentatives du culte musulman». Et contribuer à lutter «contre les courants
extrémistes» et le «radicalisme».
La grande nouveauté de ce
document est sa méthode d'approche : c'est en analysant ce qui ne marche pas
dans l'islam de France que ce projet cherche à corriger le tir
Ces propositions sont portées par
l'Union des mosquées de France (UMF), présidée par Moussaoui, qui est l'une des
grandes fédérations de l'islam dans l'Hexagone. L'UMF revendique 700 mosquées
et salles de prière sur les 2600 lieux de culte musulman qui sont en France.
Elle est considérée comme proche du «Palais», c'est-à-dire du roi du Maroc.
La grande nouveauté de ce
document est sa méthode d'approche. C'est en analysant ce qui ne marche pas
dans l'islam de France que ce projet cherche à corriger le tir. Avec une leçon
majeure: la décentralisation de l'organisation par la création d'un véritable
échelon départemental de l'islam, base nouvelle des instances nationales et
régionales. L'équivalent, même si la comparaison est incongrue, des diocèses
catholiques.
Un imam référent
Avec, par exemple, dans chaque
département, le choix d'un imam référent, l'établissement d'un financement
local, transparent et contrôlé par le terrain. Mais aussi une collaboration accrue
de terrain entre les différentes tendances de l'islam pour être au plus près
des familles dont les adolescents seraient pris par la radicalisation. Ce qui
revient, en clair, à un contrôle plus étroit des dérives extrémistes par un
travail de proximité.
«Dès que nous agissons au niveau
départemental, observait, mercredi, Mohammed Moussaoui, en présentant ces
mesures, nous trouvons beaucoup plus facilement des accords entre nous alors
qu'au niveau national joue le poids des grandes fédérations». De
fait, l'islam de France est encore très lié à ses appartenances d'origine -
algérienne, marocaine, turque - qui l'empêchent d'agir d'une seule voix. Quant
au niveau régional, il existe avec les CRCM (conseils régionaux du culte
musulman) qui sont perçus comme trop éloignés des réalités de terrain.
Le document propose la
création de deux instances séparées, l'une « administrative », l'autre «
religieuse », qui vérifierait notamment « le contenu du prêche »
Plus concrètement, ces nouvelles
propositions sont regroupées en trois chapitres. «L'organisation du culte
musulman» tout d'abord, qui propose notamment la création de deux instances
séparées, l'une «administrative», l'autre «religieuse», qui vérifierait
notamment «le contenu du prêche» et des moyens concrets pour «faire face aux
propagandes extrémistes».
Deuxième partie, la formation des
imams. Avec l'idée de créer «un socle commun» fondé sur les «29 livres
couvrant la
formation des imams à l'Institut Mohammed VI» et un effort sur la
pratique du français par les imams, dont «un bon tiers ne parle pas ou très
difficilement le français et un petit tiers s'exprime moyennement». Le tout
couronné par une procédure «d'agrément» des imams, au niveau départemental mais
confirmé par l'échelon régional, voire national.
«Transparence» financière
Troisième chapitre, le
financement, avec un mot-clé, «la transparence», qui n'est pas effective
aujourd'hui. Au lieu de commencer par créer une superstructure nationale qui
suscite «les rivalités» et donc la paralysie, le document propose de lancer des
associations départementales, notamment abondée par les revenus du marché halal
et soumises à des comptabilités transparentes. Idée innovante enfin: une
«plate-forme numérique» qui permettrait aux donateurs de choisir des projets
tous présentés à égalité et assorties d'informations précises sur leur suivi
comptable.
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Mohammed Moussaoui : « Il faut rétablir la confiance des
musulmans de France en leurs instances » (30.05.2018)
Le président d'honneur du Conseil
français du culte musulman (CFCM) estime qu‘il faut se rapprocher des fidèles
«par des mesures de moralisation et de transparence».
Mohammed Moussaoui, président
d'honneur du Conseil français du culte musulman (CFCM), est le leader de
l'Union des mosquées de France, proche du royaume du Maroc.
LE FIGARO: La décentralisation
à l'échelon départemental est au cœur de vos propositions. Pourquoi ce choix?
Mohammed MOUSSAOUI: Notre
ambition est de rapprocher les institutions musulmanes des fidèles via la
départementalisation et de rétablir la confiance dans ces institutions par des
mesures de moralisation et de transparence. De nombreuses enquêtes d'opinion
montrent que les institutions actuelles sont considérées comme trop éloignées
des préoccupations des musulmans de France et qu'elles ne sont pas en mesure
d'interagir efficacement avec les nombreuses attentes qui sont essentiellement
d'ordre local.
Jamais les autres fédérations
ne seront d'accord avec vos propositions d'un «tronc commun» pour la formation
des imams et une mise en commun des financements…
Une meilleure coordination entre
fédérations est possible, c'est tout notre effort! La mise en place de ce socle
commun de formation faciliterait notamment la procédure d'agrément des cadres
religieux. Quant à la
gestion des moyens et des sources de financement, elle nécessite une
coopération accrue, mais la solidarité n'a jamais empêché des initiatives
individuelles.
«Les conseils départementaux
des imams et aumôniers, par leur proximité, peuvent être des espaces d'écoute
pour les familles touchées par la radicalisation de leurs enfants»
Mohammed Moussaoui
Vous semblez peu insister sur
la formation à la laïcité pour les imams?
Au contraire! Nous insistons sur
la complémentarité entre la formation théologique dispensée par les instituts
musulmans et la formation profane des diplômes universitaires. Ces derniers
abordent l'interculturalité, les principes et les institutions de la République
et l'islamologie universitaire. Notre ambition est d'accéder à une meilleure
connaissance des autres cultes ainsi que des institutions de la République. Et
pour traiter efficacement l'ensemble de ces sujets, dont la laïcité, l'une de
nos propositions appelle à doubler le volume horaire de ces formations
diplômantes.
» REPORTAGE - Le
Maroc forme des imams français
Pourquoi le CFCM - dont
ce serait le travail - n'arrive-t-il pas à formuler de telles réformes?
Nous voulons lancer un processus,
et non pas remplacer le CFCM. J'ai d'ailleurs demandé au président du CFCM de
saisir les différentes fédérations afin qu'elles mènent ce travail avec leurs
adhérents respectifs. Le CFCM doit ouvrir ensuite un espace de dialogue
- qui pourrait prendre la forme d'un séminaire - permettant la
présentation des contributions des fédérations, puis leur synthèse en un projet
commun. Nous espérons que notre réflexion puisse contribuer à une accélération
de cet agenda et que l'ensemble des composantes de l'islam de France puissent
se l'approprier et l'enrichir.
Que peuvent faire les
communautés locales pour repérer et traiter à temps la radicalisation
des jeunes?
C'est l'une des raisons qui nous
confortent dans notre choix de départementalisation. Les conseils
départementaux des imams et aumôniers, par leur proximité, peuvent être des
espaces d'écoute pour les familles touchées par la radicalisation de leurs
enfants. Ces espaces permettront aux imams et aux aumôniers de multiplier les
rencontres avec les jeunes et de mieux accompagner les détenus qui ont pu
croiser des radicaux pendant leur incarcération.
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Des sénateurs veulent une loi pour encadrer la formation des
imams (30.05.2018)
La sénatrice Nathalie Goulet
insiste sur la formation civique obligatoire des ministres du culte, aussi
importante que la formation religieuse.
Le Sénat prépare une nouvelle proposition
de loi visant notamment à renforcer la formation des imams. Portée par la
sénatrice Nathalie Goulet (UDI-UC, centriste), qui travaille en étroite
collaboration avec le sénateur André Reichardt (Les Républicains), elle
pourrait être présentée à la mi-juin par le groupe centriste.
Ces deux élus, respectivement de
l'Orne et du Bas-Rhin, ne sont pas des débutants en la matière. Ils sont les
auteurs de deux rapports remarqués sur les «filières djihadistes» en 2015 et
sur «l'islam de France» en 2016. Quant à Françoise Gatel (Union centriste),
rapporteur de ce texte, elle fut la cheville ouvrière de la proposition de loi
sur le renforcement des contrôles des écoles hors contrat.
« Nous cherchons à déclencher
un débat sur la formation des imams en France. Notre proposition de loi touche
tous les cultes»
Nathalie Goulet, sénatrice
Cette nouvelle initiative reprend
en réalité une proposition de loi lancée en 2017 sur le même thème par le
sénateur Reichardt. «Nous cherchons à déclencher un débat sur la formation des
imams en France, explique la sénatrice Nathalie Goulet. Notre proposition de
loi touche tous les cultes. Mais quand on va à l'étranger, et particulièrement
dans les pays musulmans, on nous dit: “Contrôlez vos imams”, mais quand on
revient en France, les juristes nous disent: “On ne peut rien faire”! Combien
de temps allons-nous attendre pour prendre en main ces questions? Il est vrai
que le
président de la République prépare des annonces importantes à
ce sujet. Mais nous voulons contribuer à cette prise de conscience. C'est bien
de bâtir des procédures judiciaires pour fermer des mosquées et faire taire des
prédicateurs radicaux, ce serait encore mieux de travailler à la source, au
niveau de la formation pour neutraliser le radicalisme.»
«Un sujet très délicat sur le
plan constitutionnel»
La formation des ministres du
culte est précisément au cœur de cette proposition de loi. Mais elle voudrait
aussi définir ce qu'est un ministre du culte pour la République car «aucune
définition juridique n'existe», note la sénatrice qui reconnaît toutefois que
«c'est un sujet très délicat sur le plan constitutionnel». Le texte entend
aussi créer une «formation civique obligatoire» des ministres du culte, aussi
importante que la formation religieuse qui, elle, «n'est pas du ressort de la
République», insiste Nathalie Goulet. «Il n'est pas question de violer l'esprit
de la loi de 1905, tient à souligner la parlementaire, ni de limiter la liberté
d'expression religieuse» et encore moins «de se substituer à la responsabilité
des communautés, qu'il faut soutenir par tous les moyens possibles parce
qu'elles ont les clés du terrain». Pour autant, «il faut vraiment que le débat
s'engage», martèle-t-elle.
Les auditions ont eu lieu mais
le travail en commission sur cette proposition de loi risque toutefois
d'aboutir à son rejet pour des raisons d'inconstitutionnalité.
Les auditions ont eu lieu mais le
travail en commission sur cette proposition de loi risque toutefois d'aboutir à
son rejet pour des raisons d'inconstitutionnalité. En cause: l'interprétation
de la notion «d'intérêt de l'ordre public» (article 1er de la loi du 9 décembre
1905). En effet, pour la commission des lois du Sénat, il n'est pas évident
d'établir un lien entre la formation des ministres du culte et la sauvegarde de
l'ordre et de la sécurité publics.
Les sénateurs Goulet et Reichardt
considèrent, quant à eux, que le principe de neutralité de l'État ne peut être
compris comme un «principe d'inaction et d'incompétence pour tout ce qui touche
à la sphère religieuse». Ils estiment qu'une meilleure définition des ministres
du culte, qui ont «une fonction primordiale» dans la direction et l'animation
d'un culte, «légitime parfaitement le fait d'exiger que ce personnel reçoive une
formation appropriée». À l'image, observent-ils, de «toutes personnes exerçant
des responsabilités au sein de la société».
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Dans le nord du Mozambique, l'inquiétant éveil de l'islamisme
armé (30.05.2018)
Un groupe djihadiste a signé
plusieurs attaques dans cette zone qui regorge de ressources gazières.
Ils se sont abattus à l'aube sur
deux villages perdus, d'un coin plus perdu encore de l'extrême nord du
Mozambique. Dimanche matin, ces assaillants, armés de machettes et de couteaux,
ont massacré dix personnes, dont deux adolescents et le chef de la communauté.
Puis ils se sont renfoncés dans les forêts environnantes.
«Personne n'a encore été arrêté
en relation avec cette attaque», a déploré un porte-parole de la police.
L'identité des assassins ne fait pourtant aucun doute pour personne. Les lieux
comme les méthodes sont ceux d'«al-Shabab», un groupe islamiste radical qui
sévit dans la région depuis l'automne. Le
5 octobre, plusieurs dizaines d'hommes armés avaient attaqué le
commissariat et pris d'assaut la caserne de Mocimboa da Praia, une
petite ville côtière proche de la Tanzanie. L'invraisemblable occupation
djihadiste avait duré deux jours, le temps pour l'armée de s'organiser et de
reprendre la cité. Le bilan fut de 16 morts, dont 2 policiers.
Officiellement, seul un civil aurait perdu la vie.
Baptisée «al-Shabab»,
l'insurrection, selon Maputo, ne disposerait que de peu d'hommes, et surtout
d'aucun lien avec la puissante milice éponyme somalienne, liée à al-Qaida.
Cette poussée de l'islam radical
aux confins oubliés du pays a semblé prendre un peu à froid le gouvernement de
Maputo. L'islam pèse, certes, selon les statistiques, 17 % des habitants,
et sans doute le double en réalité, mais les imans sont réputés proches du
pouvoir. Dans les campagnes du Nord, la violence n'a qu'à moitié surpris. Depuis
des mois, les élites voyaient des jeunes adopter un discours toujours plus dur.
Comme ailleurs en Afrique, au Nigeria ou au Mali, ils venaient d'une secte
islamiste, fondée en 2014, al-Sunna Wa Jama, s'en prenant aux élites locales,
aux chefs traditionnels, à l'école et à l'État, traités indifféremment de
mécréants. Sur cette terre miséreuse, les mots ont vite porté, profitant des
querelles entre soufis et wahhabites creusant aussi les tensions tribales.
Baptisée «al-Shabab» («les
jeunes» en arabe) par les locaux, l'insurrection, toujours selon Maputo, ne
disposerait que de peu d'hommes, et surtout d'aucun lien avec la puissante
milice éponyme somalienne, liée à al-Qaida. Ses contours sont toujours mal
connus, comme ses véritables moyens. Des témoins laissent entendre que certains
des responsables auraient fait des études dans des pays du Golfe ou au Soudan.
Très vite les autorités affirment avoir réglé le problème, minimisant les
risques posés.
Le gouvernement n'a pas tenté de
comprendre. Une répression musclée s'est abattue sur le groupe, contraignant
les militants à gagner l'abri des forêts. Plus de 300 personnes
soupçonnées d'être proches de la mouvance sont arrêtées et 7 mosquées
rasées. Aujourd'hui, plus de 130 personnes sont encore détenues et attendent un
procès.
Des multinationales italiennes
et américaines se sont installées à Palma, à quelques dizaines de kilomètres
seulement des fiefs djihadistes.
Mais les incursions islamistes
continuent. Beaucoup sont petites, de simples raids pour piller des vivres. Les
habitants évoquent des menaces, des enlèvements de femmes, des rackets. Puis,
fin avril, deux villages sont la cible de djihadistes. Dimanche, deux autres
communautés sont endeuillées, des hommes décapités après avoir été accusés de
collaborer avec la police. «Cette attaque est inquiétante et montre une
détérioration de la situation. Il y a plus d'actions et les méthodes, notamment
les décapitations, semblent se radicaliser», détaille Éric Morier-Genoud, de
l'université de Belfast. Le gouvernement, lui, insiste toujours sur le
caractère secondaire de cette implantation islamiste.
Une posture qui n'est pas de
l'aveuglement. Cette sale petite guerre tombe très mal. L'extrême Nord revêt
depuis peu une importance majeure, si ce n'est capitale, pour le Mozambique. En
2010, de fabuleuses réserves de gaz (5.000 milliards de mètres cubes) ont
été découvertes au large, promettant une manne vertigineuse. Des
multinationales italiennes et américaines se sont installées à Palma, à
quelques dizaines de kilomètres seulement des fiefs djihadistes. Pour éviter
tout reflux, Maputo vient de conclure avec l'Ouganda un accord pour former les
policiers. D'après la presse du Mozambique, une entreprise para-étatique a
engagé, pour protéger les investissements, Erik Prince, le sulfureux fondateur
de Blackwater,
la plus grande armée privée du monde, aujourd'hui démantelée.
Pour l'heure, les investissements
colossaux prévus, qui s'élèvent à près de 15 milliards d'euros, n'ont pas
été freinés. L'argent peut donc encore un jour entrer dans les caisses
asséchées de l'État. Le Mozambique, après des années de croissance euphorique,
est au plus mal. Sa dette s'élève officiellement à 120 % du PIB, les
spécialistes estimant ce chiffre très optimiste. «Cet argent est important pour
le pays. Mais on peut douter de l'efficacité de la méthode entièrement
répressive choisie pour vaincre une insurrection de faible intensité», remarque
Éric Morier-Genoud.
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Béchara Raï : «On donne de la valeur au pétrole, mais pas aux
chrétiens d'Orient» (31.05.2018)
INTERVIEW - En visite en France,
le patriarche des maronites a rencontré Emmanuel Macron pour évoquer les
tensions liées à la présence des réfugiés syriens au Liban.
Il en impose, le patriarche
Béchara Boutros Raï. Ce patriarche de l'Église maronite - une des grandes
Églises orientales de l'Église catholique, qui autorise notamment
les prêtres
mariés - est l'une des grandes figures du Liban. Dans cet univers
politique et social complexe, il incarne la stabilité d'une Église qui a forgé
ce pays depuis des siècles et qui garde toujours un rôle «politique», au sens
sociétal du terme. En particulier aux heures sombres, quand cette Église a aidé
ce peuple à traverser tant d'épreuves. Mais l'Église maronite, dont il est le
chef, n'est pas seulement une institution au pays du Cèdre, elle joue aussi un
rôle décisif sur le plan international pour la défense des chrétiens d'Orient.
Rayonnement d'autant plus efficace que les maronites libanais vivent en partie
en diaspora sur tous les continents du monde. Tous les deux ans environ, le
patriarche Raï, 78 ans, qui est aussi cardinal, parfait francophone,
visite ses communautés en France, une occasion d'entretenir des contacts au
plus haut niveau. Cet homme qui compte sur l'échiquier du Moyen-Orient a
notamment été reçu cette semaine, en France, par le président de la République
et le premier ministre.
Il est vraiment temps de
terminer cette guerre. La communauté internationale est-elle incapable de
parler de paix ? Faut-il ne parler que de guerre ! C'est une honte pour notre
siècle
LE FIGARO. - Vous avez
rencontré le président Macron pour la première fois à l'Élysée. Le Liban
découvre-t-il en lui un ami proche?
Béchara RAÏ. - Emmanuel Macron
est une personne qui n'entend pas seulement avec les oreilles, mais aussi avec
le cœur. Il comprend ce que vous dites. Il «sent» avec vous. Il n'est pas figé
sur ses positions. Il vous donne confiance. Ça, c'est grand! Nous disons
qu'écouter avec le cœur, c'est déjà résoudre la moitié du problème de votre
interlocuteur. Et, parfois, on a vraiment besoin d'avoir quelqu'un qui vous
écoute. Évidemment, en France, nous sommes toujours à l'aise: nous parlons avec
des amis, parce que mille ans de vie avec les Français, cela crée une amitié
vraie. Ce ne sont pas des amis de circonstances… Ainsi, la France, qui est une
voix importante, a toujours été du côté du Liban dans toutes les péripéties de
son histoire, même si les décisions pour le Moyen-Orient dépendent de la
communauté internationale.
L'avez-vous alerté sur le sort
des chrétiens d'Orient?
Les chrétiens sont arrivés 600
ans avant l'islam. Cela veut dire que la culture de base de tout le
Moyen-Orient est une culture chrétienne. Nous avons aussi formé la modération
musulmane
Ce fut l'un des points de notre
conversation. Au Moyen-Orient, les chrétiens ne sont pas des intrus. Et encore
moins une «minorité». Les chrétiens sont arrivés 600 ans avant l'islam. Cela
veut dire que la culture de base de tout le Moyen-Orient est une culture
chrétienne. Nous avons aussi formé la modération musulmane. Car il faut
distinguer les musulmans du Moyen-Orient de ceux qui font la guerre. Or, si la
présence chrétienne se réduit encore, nous perdrons un élément essentiel qui
assure la modération musulmane. Nous transmettons aussi nos valeurs
chrétiennes, les valeurs de la francophonie, l'aspect moderne de la vie, la
liberté, l'égalité, le pluralisme, des droits de l'homme. Je ne nie pas la
culture musulmane, elle a ses valeurs. Mais, quand les chrétiens ne sont plus
suffisants en nombre, nous perdons beaucoup. On donne une valeur au pétrole,
aux ressources naturelles, on ne donne pas une valeur aux chrétiens du
Moyen-Orient. Cette ressource importante est négligée.
Pourquoi les chrétiens
quittent-ils le Liban?
On nous félicite parce que
nous accueillons 1.750.000 réfugiés syriens et 500.000 Palestiniens, soit plus
de la moitié de notre population, mais la Syrie est trois fois plus grande que
le Liban
Ce fut le point essentiel de
notre conversation. Si les chrétiens - comme les musulmans - quittent
le Liban, c'est parce que le pays va très mal économiquement. On nous
félicite parce que nous accueillons 1.750.000 réfugiés syriens et 500.000
Palestiniens, soit plus de la moitié de notre population, mais la Syrie est
trois fois plus grande que le Liban. Il y a des zones immenses qui sont
sécurisées. Les Syriens peuvent donc rentrer chez eux. C'est leur droit, c'est
leur pays, c'est leur culture, leur civilisation. Mais ces réfugiés ne sont pas
encouragés à rentrer pour des raisons politiques. J'ai donc demandé au
président Macron de nous aider à les encourager à rentrer. Nous sommes très
solidaires avec les réfugiés, humainement et socialement, mais nous avons aussi
une population qui vit à 30 % en dessous du seuil de pauvreté. Il est donc
temps de laisser le peuple syrien rentrer chez lui. Sinon le Liban encourra un
sort fatal à long terme. Cette guerre en Syrie nous a aussi détruits, et nous
ne voyons pas venir la paix. C'est pourquoi nous avons aussi évoqué la
possibilité et l'utilité d'organiser une conférence internationale de paix pour
le Moyen-Orient. Il est vraiment temps de terminer cette guerre. La communauté
internationale est-elle incapable de parler de paix? Faut-il ne parler que de
guerre! C'est une honte pour notre siècle.
Vous êtes très inquiet pour la
francophonie?
En août 2017, le Parlement a voté
une loi pour augmenter le salaire des professeurs, mais cette mesure menace les
écoles privées et catholiques qui ne sont pas du tout subventionnées. La
scolarité doit augmenter d'environ 500 euros. Imaginez si vous avez trois
enfants! La majorité des parents sont incapables de payer cela. C'est une
catastrophe sociale. Résultat: ces écoles vont fermer leurs portes et, avec
elles, une éducation de qualité, en particulier pour l'enseignement du
français. J'ai aussi évoqué ce sujet avec Emmanuel Macron, car le lycée
français, qui a dû fermer ses portes, est aussi concerné. La francophonie est
en jeu.
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Guillaume Tabard : «Pour Marion Maréchal, la bataille
culturelle avant le combat politique» (31.05.2018)
CONTRE-POINT - Toujours à
distance du monde politique, l'ancienne benjamine de l'Assemblée poursuit son
ambition de prendre un jour la tête d'une droite recomposée, sans griller les
étapes.
«Débranchons Mai 68»,
oui ; mais méditons Mai 68, aussi. Tel pourrait être la leçon de la
soirée organisée ce jeudi par le mouvement les Éveilleurs d'espérance et par la
revue l'Incorrect, et dont l'intervenante principale était Marion
Maréchal. «Débranchons Mai 68» - c'était l'intitulé de la soirée - sur le
plan idéologique, mais méditons-le sur le plan politique.
Ce que révèle l'événement dont le
cinquantenaire est célébré est le décalage chronologique entre les victoires
culturelles et les victoires électorales. Sur l'évolution des mœurs et
l'effritement des institutions (l'école, la famille, l'Église, les syndicats…),
personne ne conteste la fracture qui s'est opérée en mai 68. Et ça n'est
que treize ans plus tard, en mai 1981 que fut présentée la facture
politique, avec l'arrivée de la gauche au pouvoir ; une bascule
institutionnelle préparée par une lente installation de l'esprit et des enfants
de Mai 68 dans les sphères culturelles, associatives et locales. Avec,
rappelons-le, un effet trompe-l'œil. À la sortie des événements, aux
législatives de juin, c'était pourtant le pouvoir gaulliste qui, ébranlé dans
la rue et dans les usines, avait triomphé dans les urnes.
Cette impossibilité immédiate
de jouer au chamboule-tout, de refaire à droite le «coup» de Macron, est une
chance pour Marion Maréchal
Les circonstances, les enjeux et
les rapports de force ne sont évidemment pas les mêmes. Mais il y a de cela
dans le projet de l'ancienne benjamine de l'Assemblée. Nourrir d'abord un
terreau culturel avant de poser les jalons d'une offensive politique. C'est la
raison d'être de son
Institut de sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP). Et
c'est l'espoir de toute une mouvance qui espère la voir prendre un jour la tête
d'une droite recomposée. Les Éveilleurs de l'espérance sont par exemple
issus des
veilleurs, créés par Pierre Nicolas et Benoît Sévillia en marge de la Manif
pour tous. Et si, comme nombre d'initiatives étudiantes de mai 68,
la Manif pour Tous fut un échec politique - même à droite la page a été tournée
-, elle a conduit à s'engager une génération de jeunes, le plus souvent
catholiques, ne se reconnaissant dans aucune structure politique actuelle. Plus
globalement, Marion Maréchal fait le pari de l'impossibilité de reconstruire
idéologiquement une droite capable d'incarner une alternative majoritaire à Emmanuel
Macron à partir des partis existants, que ce soit les Républicains ou le
Rassemblement national - comme il faudra appeler le FN à partir de demain. Tout
comme elle fait le constat de l'impossibilité à renverser aujourd'hui la table
de jeu actuel. «Il ne sert à rien de parler dès maintenant de recomposition
alors que la décomposition est loin d'être arrivée à son terme», confie-t-elle.
Cette impossibilité immédiate de
jouer au chamboule-tout, de refaire à droite le «coup» de Macron, est une
chance pour Marion Maréchal. Elle lui donne le temps de travailler sur le fond
et de former ces futures élites pour l'heure minoritaires et isolées. Elle lui
permet aussi de faire fructifier le capital de popularité qu'elle a acquis sans
attaquer frontalement ou même verbalement sa tante, consciente que des Atrides
familiales ne font que des vaincus et aucun vainqueur. La percée de 5 points
qu'elle enregistre dans le
baromètre Kantar-Sofres-Figaro
Magazineconfirme qu'elle peut jouer en première division tout en
restant sur le banc de touche. Une position confortable. Même si, en politique,
aucun fruit ne tombe jamais de lui-même. Mai 68 le rappelle.
Les méthodes musclées du lobby vegan (28.05.2018)
Par Olivia
Détroyat et Eric
de La ChesnaisMis à jour le 30/05/2018 à 15h58 | Publié le 28/05/2018
à 17h32
ENQUÊTE - Depuis trois ans,
l'association vegan L214, qui multiplie les vidéos chocs sur la maltraitance
des animaux dans les abattoirs, est sortie de l'ombre. Elle est devenue un
lanceur d'alerte redouté des agriculteurs et de toute la filière
agroalimentaire.
«J'attends avec impatience le
jour où ils seront reçus sur le plateau du 20 heures de TF1. C'est sûr, ça
arrivera.» De l'avis d'un fin connaisseur des coulisses agroalimentaires, le
récent coup d'éclat de l'association L214, qui
a mobilisé il y a peu Sophie Marceau pour défendre le sort des
poules en cage dans un élevage des Côtes-d'Armor, est loin d'être anodin. Après
Allain Bougrain-Dubourg, Raphaël Mezrahi ou Laurence Parisot sur la question de
la fourrure, mais aussi Stéphane Bern sur le sort des poules pondeuses,
l'association végan signe, avec l'une des actrices préférées des Français, un
gros coup d'éclat. Un coup d'éclat couronné ce dimanche jusque dans les travées
de l'Assemblée nationale. Après des jours de polémique, les députés ont ainsi
donné leur feu vert à l'expérimentation de la vidéosurveillance dans les
abattoirs volontaires. Même si l'association plaidait pour une obligation, ce
vote est une petite victoire de L214 contre ceux, FNSEA en tête, qui jugent ce
dispositif inefficace, voire contre-productif.
Créée il y a dix ans, L214, dont
le nom fait référence à l'article L214 du Code rural relatif à la protection
animale, prône un mode de vie excluant toute consommation de protéines
animales. Mais aussi toute utilisation de produits issus des animaux. Exit,
donc, les œufs, le miel, le cuir ou encore la fourrure. «Aux yeux du grand
public, leur motivation reste de faire évoluer les pratiques d'élevage et
d'améliorer le bien-être animal», souligne Amaury Bessard, de l'agence de
conseils en communication stratégique Shan, coauteur d'une étude sur les
méthodes explosives du lobby. Mais la finalité reste bien d'abolir toute
exploitation des animaux, placés au même niveau que les hommes. «En utilisant
des ambassadeurs comme Sophie Marceau, L214 élargit son audience bien au-delà
des militants végan. C'est une stratégie marketing rondement bien menée»,
ajoute ce dernier. Une avance semi-masquée qui est devenue son fonds de
commerce.
« Derrière les bonnes
intentions, avec lesquelles on ne peut être que d'accord pour faire reculer la
maltraitance des animaux, il s'agit d'un mouvement idéologique radical
antispéciste, qui veut convertir les êtres humains sur l'égalité de toutes les
espèces sur cette terre »
Pascal Perri, journaliste
indépendant, spécialiste des questions agricoles
«Derrière les bonnes intentions,
avec lesquelles on ne peut être que d'accord pour faire reculer la maltraitance
des animaux, il s'agit d'un mouvement idéologique radical antispéciste, qui
veut convertir les êtres humains sur l'égalité de toutes les espèces sur cette
terre», remarque Pascal Perri, journaliste indépendant, spécialiste des
questions agricoles. «Je regrette que L214 ne dénonce jamais publiquement les
actions violentes commises pour défendre la cause végan, comme le saccage d'une
boucherie, d'un McDonald ou l'intrusion dans des lieux privés comme les
bâtiments d'élevage», complète Thierry Coste, lobbyiste pour la Fédération
nationale des chasseurs (FNC) et plume pour les questions rurales et agricoles
auprès d'Emmanuel Macron. Consciente de ces critiques, L214 se défend de toute
stratégie de communication. «Sophie Marceau fait partie de nos sympathisants
sur les réseaux sociaux, nous l'avons simplement contactée et elle a dit oui
tout de suite pour nous aider, explique Brigitte Gothière, cofondatrice de L214
avec son compagnon Sébastien Arsac en 2008. Nous sommes sincères et le grand
public le sent. Nous n'avons jamais changé de discours depuis que l'association
existe. Nous sommes végan et prônons un mode de vie consistant à ne plus
consommer aucun produit issu des animaux ou de leur exploitation.»
Considérée comme infréquentable à
sa création, l'association est en train de se faire une place de choix sur la
scène médiatique. «Ils sont passés d'une communication ultramilitante et
agressive à une approche plus pédagogique et informative, avec de nombreux
chiffres et rapports pour étayer leurs images brutes», indique Amaury Bessard.
«Les gens que nous rencontrions lors de nos tractages dans la rue ne nous
croyaient pas quand on leur parlait des conditions d'élevage cruelles. Ils
pensaient que cela n'existait pas en France. Nous leur avons apporté les
preuves grâce aux images», appuie la fondatrice.
Place de choix dans les médias
Après des sorties au
compte-gouttes, leurs enquêtes vidéo se multiplient à partir de 2015. Comme des
actes de cruauté dénoncés dans l'abattoir
d'Alès, dans le Gard, puis celui de Mauléon-Licharre, dans le Pays
basque, en 2016, ou encore lors du gazage de cochons filmés à l'abattoir de
Houdan, en 2017… Des images qui non seulement captent de nouveaux adhérents -
ils sont aujourd'hui plus de 30.000, soit trois fois plus qu'en 2015 -, mais
qui entraînent aussi un afflux des dons. «Nous sommes passés de
700.000 euros en 2014 à 3 millions d'euros de recettes en 2017,
reconnaît Brigitte Gothière. C'est un budget qui reste limité lorsqu'on le
compare à celui d'Interbev, l'interprofession de la viande, 10 fois plus
élevé.»
Médiatiquement, l'apport des
vidéos fait sortir L214 de l'anonymat. Le tournant viendra le 6 septembre
dernier. Les activistes arrivent à négocier la diffusion en exclusivité des
images dans un «access prime time» phare du PAF: «Quotidien», de Yann Barthès.
Ces nouvelles images coups de poing dévoilent les conditions de vie
désastreuses de poulets dans un élevage suspecté de travailler pour un grand
industriel de la volaille. Soit une audience de plus d'un million de personnes
pour cette enquête baptisée: La Souffrance des poulets Doux. L'objectif est
clair: s'attaquer aux grands noms de la chaîne alimentaire pour faire bouger
les lignes: Système U, Panzani, Doux, Hénaff… Avec cette large audience, la
notoriété de l'association franchit un cap. Elle devient plus fréquentable et
entre dans les réseaux d'influence qui comptent. «L214 s'est imposée comme un
lanceur d'alerte crédible, pertinent et efficace, avoue Olivier Falorni, député
radical de La Rochelle. Brigitte Gothière domine parfaitement le sujet.
Son expertise, notamment sur l'installation de caméras dans les abattoirs, a
nourri notre travail lors de la commission d'enquête sur le bien-être animal de
2016 à l'Assemblée nationale.» Au-delà du combat des idées, l'association
contribue aussi à faire du véganisme une niche de croissance aussi bien sur le
marché alimentaire que sur celui des cosmétiques. Le géant L'Oréal a lui-même
cédé à la vague, en lançant récemment une gamme végan.
Mais, après dix années de combat,
le principal fait d'armes de L214 reste d'avoir fait bouger la filière œufs, en
bannissant les élevages hors sol où les poules sont enfermées dans de toutes
petites cages à l'abri de la lumière du jour. Les producteurs tricolores,
leaders en Europe avec plus de 14 milliards d'œufs pondus par an, ont dû
se rendre à l'évidence. Même s'ils dénoncent un acharnement du lobby contre
leur filière, le tsunami du bien-être animal peut les faire couler s'ils ne
changent pas de méthodes. «D'ici à 2022, au moins une poule pondeuse sur deux
sera élevée dans un élevage alternatif à la cage aménagée, s'est engagé
récemment le CNPO (Comité national pour la promotion de l'œuf). Il pourra s'agir
d'élevages au sol, en plein air ou bio.» Le CNPO pouvait difficilement faire
autrement, le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron ayant repris cet
objectif dans ses promesses de campagne. Surtout, sentant le vent tourner, les
enseignes et les agro-industriels se sont engagés à bannir les œufs de poules
élevées en cage d'ici à 2022 ou 2025. Des engagements savamment relayés par
L214, à grands coups de communiqués.
«Ça frôle la désinformation»
Ces méthodes chocs font grincer
les dents des principaux mis en cause: les agriculteurs et leurs représentants.
«Le problème de L214, c'est qu'ils n'en ont rien à foutre du bien-être animal,
fustige sur France Info, Étienne Gangneron, éleveur dans le Cher et responsable
du bien-être animal à la FNSEA. Ces vidéos, ils les ont en stock depuis un
moment. Si, vraiment, ils voulaient protéger les animaux, ils les auraient
sorties au moment où ils ont filmé […] Ils inscrivent cela dans un calendrier
médiatique qui est lié à la loi post-EGA (États généraux de l'alimentation,
NDLR)». Certains parlementaires concernés au premier plan ne sont pas en reste.
«Ces méthodes violentes aux dérives sectaires, où l'on persécute les éleveurs,
sont difficilement supportables, explique le député LaREM Jean-Baptiste Moreau,
lui-même éleveur et rapporteur du projet de loi alimentation. Ça frôle la
désinformation.» «Il y a une déconnexion totale entre la réalité des abattoirs
et ceux qui en parlent, juge Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, qui
est aussi à la tête d'une porcherie dans le Maine-et-Loire. Au-delà des dérives
qui peuvent exister, c'est scandaleux de décrédibiliser à ce point la totalité
d'une profession pour des raisons militantes.»
En attendant, la profession de la
viande devra être créative pour ne plus broyer vivants les poussins mâles qui
ne pondront pas d'œufs ou ces canetons femelles qui ne produiront pas de foie
gras. L'opinion publique ne veut plus voir non plus ces porcelets castrés à vif
ou leur queue coupée au sécateur. Tant que ces images existeront, L214 aura
encore un bel avenir devant elle. «D'une poignée de bénévoles à nos débuts,
nous en comptons 2000 dans toute la France, se réjouit Brigitte Gothière. Mais
avec 50 salariés, nous devons encore nous structurer.» L'avenir semble pourtant
plus dégagé qu'aux premières heures du combat. L'assise financière de L214 lui
permet de multiplier le nombre de ses actions de lobbying et de ses enquêtes
coups de poing. Quitte à supporter le poids des amendes lorsque ses membres
vont trop loin. Comme en octobre 2017, quand deux de ses militants, dont
Sébastien Arsac, ont été condamnés pour «violation de domicile». Ils avaient
dissimulé quelques mois plus tôt des caméras dans un abattoir de porcs à Houdan
dans les Yvelines, filmant les conditions d'étourdissement des porcs.
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La route du lithium (25.05.2018)
REPORTAGE - Ce métal alcalin
destiné aux batteries des voitures électriques annonce une nouvelle révolution
industrielle. Des mines boliviennes du salar d'Uyuni jusqu'aux usines
chinoises, cet or blanc fait l'objet de toutes les convoitises. Un travail à
découvrir, l'espace d'un été, au Festival Photo La Gacilly.
De nos envoyés spéciaux
Bostjan Videmsek (texte) et Matjaz Krivic (photos)
Un bruit mécanique déchire le
silence du salar d'Uyuni, le plus grand désert de sel au monde, posé à
4000 mètres d'altitude. A l'extrémité de la route qui serpente à travers
la cordillère des Andes, incongrues dans cette immensité blanche, des pompes
aspirent sans relâche la saumure des profondeurs. Haletant comme des bêtes de
somme, des centaines de camions hors d'âge chargent la poussière saline,
crachant leur fumée noire dans l'haleine fraîche des montagnes alentour. Sous
un soleil implacable, encombrés d'une combinaison rouge et d'une cagoule, des
employés de l'entreprise d'Etat Comibol aux allures de cosmonautes s'affairent
autour de piscines creusées dans la croûte de sel pour en extraire l'or blanc
de Bolivie: le
lithium, une matière première très recherchée, nécessaire à la
construction des batteries de téléphones portables, d'ordinateurs et de
voitures électriques. Pierre angulaire de la révolution électrique annoncée par
Elon Musk et les autres magnatsdes nouvelles technologies, le marché mondial de
ce métal alcalin pourrait dépasser les 40 milliards d'euros d'ici à 2022.
Depuis le XVIIIe siècle, le
monde a connu trois révolutions industrielles. L'une avec le charbon, l'autre
avec le pétrole et la dernière avec le nucléaire. Le lithium, véritable éponge
énergétique découverte en 1817, pourrait bienentraîner la quatrième. Selon les
experts, la demande devrait tripler d'ici à une dizaine d'années. Alors que les
prix s'envolent - la tonne atteint désormais 7500 euros à l'exportation -
la ruée vers le «triangle du lithium», un territoire à cheval entre la Bolivie,
l'Argentine et le Chili, a déjà commencé. La Bolivie dispose d'une des plus
importantes réserves mondiales: 9 millions de tonnes, sur les quelque
50 millions que compte la planète. Aujourd'hui, le pays le plus pauvre
d'Amérique latine caresse le fol espoir de devenir l'émirat énergétique du
XXIe siècle.
Depuis l'arrivée au pouvoir
d'Evo Morales en 2006, le gouvernement veille jalousement sur son lithium
Une chance historique, mais
également un sacré défi. Comment se protéger des appétits étrangers tout en
parvenant à faire fructifier ce trésor national? Depuis l'arrivée au pouvoir
d'Evo Morales en 2006, le gouvernement a nationalisé de larges pans des secteurs
du gaz et du pétrole, et veille jalousement sur son lithium. La Paz a déjà
repoussé des offres de partenariat du japonais Mitsubishi ou du français
Bolloré. Un choix revendiqué par le président socialiste: «C'est notre argent,
nous n'avons aucun partenaire, nous sommes les propriétaires. D'ici peu, la
Bolivie décidera du prix du lithium pour le monde entier!» Pour nourrir les
rêves de grandeur de l'Etat bolivien, Evo Morales s'est engagé à débourser
925 millions de dollars pour développer l'usine pilote de Llipi, dans
la plaine d'Uyuni. L'un des plus grands investissements jamais réalisés dans le
pays, à la démesure des espoirs suscités par le précieux minerai.
Par temps clair, le salar d'Uyuni
prend l'aspect d'un gigantesque mirage avec le ballet des camions venant
charger la poussière saline qui, une fois transformée, donnera le précieux
métal. - Crédits photo : MATJAZ KRIVIC
Le marché du siècle
«Nous sommes bien conscients de
l'immense potentiel stratégique que le lithium représente pour l'avenir de
notre patrie», explique Miguel Parra, responsable de la productionà Llipi.
L'homme ne sait plus où donner de la tête depuis que les travaux de
construction d'une deuxième usine, qui devrait ouvrir ses portes en avril
prochain,ont débuté à quelques kilomètres de la première. La seconde phase d'un
projet gouvernemental pharaonique censé offrir un développement économique et
social sans précédent.
Depuis son bureau installé sur
les rives du salar, Miguel Parra reconnaît cependant avancer à petits pas, à la
fois déterminé et un peu effaré face à l'immensité de la tâche à accomplir. Les
lourdeurs administratives - chaque décision émane de la lointaine capitale -
tout comme les défis logistiques, dans ce désert dénué de routes asphaltées,
pèsent lourdement sur le rendement du site. Le manque de qualification des 250
employés, tous boliviens, également. En charge de la recherche de nouveaux
gisements, de l'extraction et du produit fini - obtenu par un savant mélange
d'évaporation et de précipitation chimique - les ingénieurs recrutés par la
compagnie nationale ont tous appris cette technologie de pointe sur le tas. De
tâtonnements en nouvelles expériences, la production reste pour l'instant
marginale comparée à celles du Chili et de l'Argentine, pays qui se sont ouverts
aux investisseurs étrangers, bénéficiant du même coup de capitaux et d'un
savoir-faire qui fait défaut en Bolivie.
A rebours de l'optimisme affiché
par son Président, certains experts locaux craignent que le pays, loin
d'imposer son leadership, ne parvienne jamais à s'inviter dans le «marché du
siècle» face à ses concurrents sud-américains déjà bien implantés. Dans les
villages désolés de la région de Potosí, où se trouve le salar d'Uyuni, le
miracle du lithium ressemble pour l'instant à un mirage. Ses habitants, qui
survivent avec quelques arpents de quinoa et un maigre troupeau de lamas, ont à
peine entendu parler de ce grand projet qui pourrait les arracher à leur
pauvreté ancestrale. «Nous vivons à quelques centaines de mètres du salar, et
pourtant personne n'est jamais venu nous expliquer ce qu'il se passe», déplore
Luisa Flores de Laso. Il y a six mois, des émissaires de Comibol sont bien
venus dans son petit village de Villa Martin, mais uniquement pour effectuer
des essais de pompage. «Ils nous ont expliqué qu'ils avaient besoin d'eau pour
leur usine. Nous leur avons dit que nous avions à peine de quoi subvenir à nos
besoins, mais ils nous ont répondu que l'eau ne nous appartenait pas, que
c'était une ressource nationale.» La vieille femme, qui survit grâce à de
petits travaux effectués sur des chantiers de construction, ne se fait aucune
illusion: loin de tirer un quelconque bénéfice, la population locale risque au
contraire de payer un lourd tribut dans cette course effrénée à l'or blanc
bolivien.
La masse minérale est abandonnée
au soleil durant au moins trois mois, dans d'immenses bassins
d'évaporation. - Crédits photo : MATJAZ KRIVIC
De graves conséquences
environnementales
La technologie utilisée pour
extraire le lithium, basée sur des bassins d'évacuation dans lesquels la masse
minérale est abandonnée au soleil pendant trois mois, génère un déséquilibre
hydrogéologique qui a des conséquences terribles sur l'agriculture locale et
les réserves d'eau disponibles. L'usine de Llipi pompe également l'eau de la
rivière río Grande, aujourd'hui pratiquement à sec. «Nous n'avons pas vu une
goutte de pluie depuis deux ans. La sécheresse nous a déjà coûté une année de
récolte de quinoa. Qu'allons-nous devenir si le gouvernement pollue la seule
source de revenus que nous avons?», s'inquiète Luisa Flores de Laso. Son mari,
Eustacio, 51 ans, a le sentiment amer d'un immense gâchis. Lelithium
aurait pu être une chance inespérée pour les habitants de ces terres ingrates,
si la compagnie nationale voulait bien employer et former les populations
locales. «Mais ils ne cherchent que des experts! Comme si ce coin oublié de
Dieu pouvait en produire…», soupire-t-il.
A Colcha K, chef-lieu de la
province du Nor Lípez, Grover Baptista Ali scrute chaque jour avec une inquiétude
grandissante le ballet des camions qui défigure la région. Les flamants roses,
qui passaient traditionnellement plusieurs mois dans le salar d'Uyuni, sont de
moins en moins nombreux depuis que les travaux ont commencé autour du lac il y
a une dizaine d'années.
Des usines qui tournent à
plein régime
La beauté des lieux est la seule
richesse de ses habitants, qui désespèrent de voir arriver de nouvelles écoles,
des hôpitaux et des routes. Le secrétaire général de la province est terrifié
par la perspective d'imaginer ce petit village endormi au charme pittoresque
devenir un jour un Dubaï andin. Membre du parti d'opposition, son bureau est
l'un des rares bâtiments officiels à échapper à l'omniprésence virtuelle
deMorales, dont le portrait, le nom ou le buste s'étalent partout dans le pays.
Loin de verser dans l'hagiographie officielle du président socialiste, Grover
Baptista Ali accuse sans détour La Paz de spolier les populations
indigènes: «Comme pour le plomb ou le zinc, 15 % des revenus générés par
le lithium devraient revenir à la communauté locale. En 2016, la Bolivie a
gagné 1,2 milliard d'euros grâce au lithium. Mais nous n'avons pas reçu un
centime. Pas un!», tonne le jeune élu.
«On peut trouver du lithium
dans d'autres parties du monde. Si la Bolivie traîne trop, elle sortira vite du
jeu»
Juan Carlos Zuleta Calderón,
économiste bolivien
Il n'y a guère que dans le petit
village de Río Grande, qui compte 650 âmes pour presque autant de camions,
qu'on trouve des voix enthousiastes. Tous les hommes en âge de conduire
travaillent comme chauffeurs routiers pour Comibol. Depuis que la compagnie a
commencé à creuser des bassins d'évaporation en 2015, l'avenir s'annonce
radieux pour Juan Carlos Ali, 44 ans: «Le lithium est une véritable
bénédiction pour notre communauté. Il y a même trop de travail par rapport au
nombre de chauffeurs disponibles. Je gagne beaucoup plus d'argent que je
n'aurais pu l'espérer, et ce n'est qu'un début!» L'an dernier, l'usine de Llipi
a produit 12.000 tonnes de carbonate de lithium. L'objectif affiché est
d'en produire 30.000 tonnes à partir de 2019, soit l'équivalent de la
production mondiale actuelle. Le pays souhaite également être capable, à terme,
de fabriquer ses propres batteries au lithium. Un scénario prometteur aux yeux
du chauffeur, mais jugé irréaliste par Juan Carlos Zuleta Calderón. Cet
économiste bolivien pointe en effet le retard technologique accumulé et le
manque de ressources humaines qualifiées: «Les autorités font comme si le
marché allait nous attendre, ce qui est complètement faux! On peuttrouver du
lithium dans d'autres parties du monde. Si la Bolivie traîne trop, elle sortira
vite du jeu.» La conclusion de l'expert est sans appel: le pays n'a pas les
moyens de ses ambitions et ne pourra pas longtemps faire l'économie d'un
partenariat avec une ou plusieurs compagnies étrangères expérimentées.
La Chine fait sa révolution
énergétique
Jusqu'à présent, seuls les
Chinois sont tolérés dans l'élaboration de ce grand projet d'Etat. L'empire du
Milieu, champion de l'exploitation sauvage des matières premières et des ressources
naturelles à travers le monde, est paradoxalement considéré par le président
Morales comme un rempart à l'impérialisme occidental. 90 % du lithium
produit sur le site de Llipi est aujourd'hui vendu au géant asiatique, qui
s'est lancé dans la production de voitures électriques à grande échelle. En
2017, plus de 300000 automobiles électriques sont sorties des usines du pays,
soit trois fois plus qu'aux Etats-Unis. Alors que l'attention médiatique se
concentre sur la belle épopée du constructeur Tesla, qui construit une usine de
batteries au Nevada, la Chine est en train d'en construire une vingtaine à
l'intérieur de ses frontières. M. Lee, directeur des ventes chez ZD, une
entreprise basée dans la province du Shandong, à l'est du pays,l'assure: «Le marché
automobile mondial sera bientôt méconnaissable. Le prix des batteries va chuter
et tout le monde sera transporté grâce à l'énergie électrique. Le pétrole est
mort, l'avenir appartient au lithium!» Dans un pays où l'énergie dépend encore
à 70 % du charbon, cette révolution annoncée ressemble presque à de la
science-fiction. Et pourtant! Il y a quelques mois, le premier cargo
fonctionnant entièrement grâce à des batteries au lithium a quitté le port de
Guangzhou. Un bateau 100 % green qui transportait… des montagnes de
charbon!
Une ouvrière de l'usine
chinoise ZD assemble le châssis de ce nouveau véhicule électrique
révolutionnaire, un modèle à deux places destiné au marché urbain. -
Crédits photo : MATJAZ KRIVIC
Une nouvelle guerre commence
Afin d'endiguer la pollution
endémique qui gangrène ses mégalopoles, le gouvernement chinois a publié l'an
dernier un décret stipulant que d'ici à 2025, tout véhicule sortant de ses
usines devrait être un modèle électrique ou hybride. Les entreprises refusant
de respecter cette norme seront retirées du marché. Mais les motivations
chinoises ne sont pasuniquement d'ordre environnemental. Simon Moores,
directeur de Benchmark Mineral Intelligence, une société spécialisée dans la
recherche et le renseignement économique, en est convaincu: l'objectif est bel
et bien de s'arroger le monopole d'un marché en pleine expansion. «Pékin achète
des mines dans le monde entier. Une guerre du lithium est déjà en train de se
jouer», assure l'expert. Dans l'entreprise de haute technologie de Soundon New
Energy (SNE) située dans les faubourgs pollués de Xiangtan, au sud du pays,
Sophia Peng, l'élégante responsable marketing, n'en fait pas mystère: «Nous
devrions bientôt acheter une mine au Canada ou en Australie. Les prix et la
demande ne cessant de monter, nous nous devons d'être parés à toute
éventualité.» En raccompagnant ses visiteurs perdus dans le dédale futuriste
dela société, Sophia Peng avertit: «Et l'Europe serait bien avisée d'en faire
autant…»
Ce reportage photographique de
Matjaz Krivic est à découvrir à partir du 1er juin au Festival Photo La
Gacilly, qui fête cette année ses 15 ans avec 27 expositions en plein
air au cœur du Morbihan, toutes liées à la relation entre l'homme et la Terre.
Entrée libre. Jusqu'au 30 septembre 2018 (Festivalphoto-lagacilly.com).
Natacha Polony : «Les fossoyeurs du rêve européen»
(01.06.2018)
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Les
villages se vident, les centres-villes meurent, les petits patrons se sentent
assommés... On peut reconnaître, dans ce qui fait la colère italienne, une
image de ce que vit la France.
«Les com… missaires européens, ça
ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît», aurait sans doute ironisé Michel
Audiard. Il est même assez fascinant de voir comment, à chaque fois que
l'Union européenne est au bord du gouffre, un de ses plus hauts dignitaires
s'ingénie à la faire détester un peu plus. Le 29 mai, lors d'une émission
télévisée, Günther
Oettinger a livré sa vision de la situation italienne. Résumé par
un tweet de la chaîne de télévision, cela donnait: «Les marchés vont apprendre
aux Italiens à bien voter.» Scandale en Italie. Du côté du Mouvement 5 étoiles,
on s'insurge: «Ces gens traitent l'Italie comme une colonie de vacances où
venir passer l'été.» Et c'est l'ensemble de la Commission européenne qui a
tenté de sauver les meubles.
Les journalistes de la chaîne ont
plaidé coupable, expliquant qu'ils avaient tronqué les propos. Qui étaient les
suivants: «Je suis inquiet et je m'attends à ce que dans les semaines à venir
les développements pour l'économie de l'Italie pourraient être si drastiques
que cela pourrait être un signal possible aux électeurs de ne pas choisir des
populistes de gauche et de droite.» Effectivement, les choses sont plus
élégamment dites. Mais le sens est le même: les marchés vont attaquer l'Italie
jusqu'à faire peur aux électeurs italiens pour les inciter à revenir dans le
droit chemin. Mais tout cela dans le respect absolu de la démocratie et des
électeurs italiens… C'est à peu près ce qu'a expliqué le président de la
Commission, Jean-Claude Juncker. Celui qui avait prévenu les Grecs: «Il n'y a
pas de démocratie en dehors des traités européens.» Une phrase qui n'était pas
moins explicite que celle du commissaire allemand.
C'est tout le problème des
dignitaires allemands : ils n'ont que rarement de scrupules à expliciter leur
vision de l'Europe.
C'est tout le problème des
dignitaires allemands: ils n'ont que rarement de scrupules à expliciter leur
vision de l'Europe. Au grand dam des défenseurs, notamment français, de l'UE
qui, eux, se donnent le mal d'enrober la réalité de mots admirables, qui
parlent «Europe sociale», «approfondissement démocratique», «souveraineté européenne».
Tant d'efforts pour qu'un commissaire allemand sûr du bon droit de son peuple
vertueux face aux paresseux du Sud, ne vienne dissiper les doux rêves et dire
clairement ce qui est: l'ensemble de la mécanique financière et politique se
mettra en place pour faire rendre gorge aux fous qui ont cru pouvoir changer
les choses par le suffrage universel.
Et d'ailleurs, quelles étaient
leurs attentes, à ces électeurs italiens? On a tant décrit, en France, une
Ligue largement plus à droite que le FN. On a tant évoqué la crise migratoire
majeure que vit une Italie abandonnée par ses voisins. Pourtant, dans son
édition datée du 29 mai, Le Monde, peu soupçonnable de
complaisance avec la coalition hétéroclite italienne, partait à la rencontre
des «petits patrons séduits par la Ligue». On est dans la région de Milan, là
où la riziculture a organisé la vie sociale. Mais les rizières disparaissent,
laissant des friches où Amazon installe ses entrepôts géants. Les villages se
vident, les centres-villes meurent. Les petits patrons se sentent assommés par
des règles tatillonnes imposées depuis Rome. Comme si l'État, pour faire
oublier son impuissance, produisait de la norme et l'imposait à ceux qui n'ont
pas les moyens de lui échapper. La cause de ce désastre? Le riz asiatique
importé à bas coût et produit sans aucune norme sociale ou environnementale.
Pour leur répondre, la Ligue a fait campagne sur le Made in Italy. Contre ces
traités de libre-échange négociés dans le secret des couloirs bruxellois.
La démocratie sous
surveillance à Rome est aussi notre démocratie.
Qui ne reconnaîtrait dans ce
portrait de la colère italienne une image de ce que vit la France? Qui ne
comprend que ces deux économies ont subi de plein fouet l'idéologie du
libre-échange portée par les structures même de l'UE? Encore l'Italie a-t-elle
préservé une part de son industrie, la deuxième d'Europe, quand nous sommes
bons derniers.
Le cri du cœur du commissaire
allemand a le mérite de la franchise: les marchés se moquent de la riziculture
dans la plaine du Po, même si l'agencement des rizières fut dessiné par Léonard
de Vinci. Comme ils se moquent des villes moyennes de Creuse ou de Lozère. Les
marchés financiers ne voient que cette dette italienne creusée par une monnaie
surévaluée, et garantie par le système bancaire allemand. Et si Sergio
Mattarella a finalement accepté la
liste de ministres proposée par Giuseppe Conte, c'est à la condition
que l'eurosceptique
Paolo Savona ne tienne pas le ministère de l'Économie: on ne remet
pas en cause le dogme.
L'Italie et la France sont deux
pays liés par l'histoire et la culture, l'amour du beau et des plaisirs de la
vie. Nos Constitutions diffèrent, ce qui explique des moments politiques
divergents. Mais nous aurions tort de nous en tenir à ces apparences, car la
démocratie sous surveillance à Rome est aussi notre démocratie. Et nous sommes
ces citoyens italiens humiliés et ruinés.
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eurosceptiques?
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Italie : la Piazza à l'assaut du Palazzo (01.06.2018)
ENQUÊTE- L'Italie a accouché dans
la douleur d'un gouvernement « populiste », mélangeant
l'extrême-droite et les logiques « antipolitiques » du
« ni-droite-ni-gauche ». Cette situation résulte notamment du
sentiment de décrochage des classes moyennes italiennes, phénomène par trop
négligé par les forces politiques traditionnelles.
Après une multitude de coups de
théâtre durant toute la semaine, les forces dites «populistes» ont finalement
pu constituer jeudi soir leur «gouvernement
du changement», coupant court à tous les discours contre les poteri
forti, comme on désigne en Italie «l'establishment» financier et européen,
accusé de comploter contre les peuples. Oubliées, les accusations de «coup
d'État» du président de la République ou les désirs de «marche sur Rome».
Tout est-il réglé pour autant? Tant
s'en faut. Désormais, ces forces «populistes» vont être confrontées au dur
exercice du pouvoir. Et l'attelage «hétérogène» du Mouvement 5 étoiles (M5S),
qui arrive pour la première fois au pouvoir, et de la Ligue ne va pas se
révéler d'un usage commode, d'autant que les rixes entre Salvini et Di Maio ne
risquent guère d'être gérées par un président du Conseil totalement
inexpérimenté, le juriste Giuseppe
Conte, qui pourrait vite se retrouver, sauf révélation, ballotté comme
Arlequin dans la comédie fameuse de Goldoni, Arlequin valet de deux maîtres.
» LIRE AUSSI - L'Italie
embourbée dans la crise politique
Il faut certes se garder de
plaquer nos schémas hexagonaux sur ce qui se passe à Rome. La Ligue et le M5S
se retrouvent sur une rhétorique anti-Bruxelles, à défaut d'être ouvertement
antieuro, et sur la conviction de fond que les clivages politiques ont changé.
Les divisions horizontales droite-gauche sont dépassées, notamment pour le M5S.
Alors qu'en France ce constat est regardé par les commentateurs comme une
«modernité», en Italie, cette fin des clivages horizontaux ouvre la voie au
retour des clivages verticaux les plus archaïques, le haut contre le bas, la
«Piazza» contre le «Palazzo», comme l'avait théorisé Guichardin, un
contemporain de Machiavel, dont se réclame le M5S depuis sa fondation.
La «courbe de l'éléphant»
Il ne faut nullement sous-estimer
cette rhétorique particulière du discours populiste italien. C'est le danger
insoupçonné de l'abandon du clivage droite-gauche, né en 1789, qui correspond à
un tournant historique majeur en Occident. Dans le discours de la Ligue, comme
dans celui du M5S, la clé gagnante est d'avoir opposé très clairement la
nécessaire protection (économique et sociétale) du peuple des «perdants» de la
mondialisation contre les «surclasses» gagnantes globales, partisanes des
réformes toujours plus «libérales» sur le plan économique et culturel («société
ouverte»).
Protection versus liberté ;
démocratie versus libéralisme. La plupart des analystes convergent pour
souligner que ce fut une rhétorique gagnante en Italie, les forces «populistes»
du M5S et de la Ligue ayant su arriver au pouvoir du fait de l'incapacité des
forces traditionnelles, notamment de gauche, de prendre acte du déclassement
des classes moyennes, qui ont commencé en Occident à s'appauvrir depuis
les années 1980 (avec les réformes Reagan-Thatcher), comme vient de le
confirmer la fameuse «courbe de l'éléphant» des économistes de la Banque
mondiale Milanovic et Lakner.
Ce qui se profile à Rome est la
fin définitive de la «troisième voie» blairiste, reprise par Matteo Renzi sous
le vocable de «social-libéralisme». Cette gauche classique a été balayée par sa
défense d'une «société ouverte» et d'une «mondialisation heureuse».
« Les peuples veulent des
sociétés démocratiques, pas des sociétés ouvertes ».
Viktor Orban
Toutefois, malgré ses points
communs, les
différences entre la Ligue et le M5S ne vont pas manquer de
s'accentuer à l'épreuve du pouvoir. La Ligue de Salvini est assez proche d'un
parti de droite dure à la Trump ; elle possède une forte expérience de
gouvernement ; elle dirige notamment deux des plus riches régions
italiennes, la Lombardie et la Vénétie, et représente les forces vives du petit
patronat italien, les PME-PMI, base de la vivacité économique de la troisième
économie d'Europe.
Conformément à cette logique de
protection, elle plaide surtout, outre des mesures d'allègement fiscal (flat
tax), pour des mesures antimigrants et anti-islam (référendum local pour toute
construction de mosquée) ; c'est la raison pour laquelle Matteo Salvini a
demandé et obtenu le ministère de l'Intérieur. Il sait qu'il peut engranger des
résultats à court terme en ce domaine. Il ne manquera pas de se faire condamner
par la justice européenne, ce qui accroîtra sa popularité auprès de son
électorat ; il est convaincu comme Orban que les «peuples veulent des
sociétés démocratiques, pas des sociétés ouvertes».
Hotel California
Tout autre est l'esprit du M5S.
Ce nouveau venu dans le paysage politique, né en 2009, déroute toutes les
analyses. Car ce mouvement, qui refuse le terme de «parti», n'a quasiment
aucune expérience du pouvoir ; il se veut «antipolitique», comme on dit en
Italie, fédérant un électorat, surtout du Sud, hanté par le culte de la probité
et de la transparence (d'où leur hostilité à toute société secrète comme la
franc-maçonnerie).
Constitué à l'origine
essentiellement par des déçus de la gauche classique (notamment le PD), le M5S
flirte avec les thèses de la «décroissance», hostiles à tous les grands projets
d'infrastructure (no-Tav, no-Tap, Tav: Ligne TGV Lyon-Turin. Tap: gazoduc
Russie-Europe), ce qui suscitera sur ce point de vives frictions avec les
petits patrons de la Ligue. Les militants du M5S traquent sur les réseaux
sociaux les dérives des «élites» avec la hargne des sycophantes de l'Antiquité,
ceux-là mêmes que Démosthène, à l'époque de la décadence de la démocratie
athénienne, désignait comme «les chiens du peuple».
Mais le plus préoccupant, c'est
que le M5S rejette au fond la démocratie représentative au profit de la
démocratie directe, jouant sur la puissance de la Toile (démocratie 2.0), avec
sa plateforme Rousseau. Un «clic vaut un vote». Une partie des dirigeants du
M5S, derrière Luigi Di Maio, désireux de gouverner, essayent de se dégager
aujourd'hui de ces illusions, mais d'autres restent profondément attachés à ce
«directisme» (Giovanni Sartori). Et ils ont le vent en poupe, comme Alessandro
Di Battista, qui entretient la crainte des électeurs de voir leur vote «trahi»
par les élus. Di Battista proclame qu'il sera le Marat de ce nouveau mouvement,
en se réclamant du directeur de L'Ami du peuple, journal qui appelait en 1792
aux massacres des aristocrates, avant d'être assassiné par Charlotte Corday.
Voilà l'univers mental de certains M5S. Qui l'emportera de ces deux tendances?
«Rien n'est plus dangereux
qu'une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s'exprime
sa liberté, c'est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin »
Philippe Séguin, en 1992
D'autant que le M5S pourrait bien
être le grand perdant de cette expérience gouvernementale car, outre les fortes
espérances qu'il a suscitées en matière de démocratie directe (logiques de
«mandat impératif» qui sont inconstitutionnelles), il a surtout l'ambition de
changer la donne en matière économique (revenu universel). Luigi Di Maio, qui a
pris le ministère du Développement économique et du Travail, va tenter
d'obtenir de Bruxelles un assouplissement de la politique d'austérité, en
particulier sur l'euro, qui étrangle l'économie italienne. Or, il est peu
probable qu'il obtienne le moindre résultat.
La rigidité des pays du Nord a
ses raisons ; les dirigeants allemands sont poussés par des forces «populistes»
en plein essor, comme
l'AfD, hostiles à toute forme de «cadeaux» à l'égard de ceux qu'elles
désignent comme des «fainéants» du Sud. Cette guerre entre «populistes»
conforte les ordolibéraux dogmatiques à rappeler les obligations des traités
qui n'ont rien prévu (en dehors de la sortie dramatique de l'article 50 du
traité de Lisbonne). Comme dans toute véritable crise, chacun a ses bonnes
raisons pour camper sur ses positions et les populistes du Sud vont se
retrouver dans une impasse. Certains comparent déjà l'euro à l'Hotel California
de la célèbre chanson des Eagles («You can check out any time you like, But you
can never leave»): l'euro étrangle mais personne ne peut en sortir (ou ce
serait encore pire).
Le cas italien va soulever cette
ultime question qui sera mère des futures tensions entre Rome et Bruxelles: n'y
a-t-il aucune solution pour échapper à ce piège? C'est là qu'on se rend compte
que le ver était dans le fruit dès l'origine, et on ne peut rétrospectivement
que citer la lucidité visionnaire d'un Philippe Séguin, qui décrypta dès
Maastricht l'impasse révélée par la «poudrière italienne» : «Quand,
prophétisait Séguin en 1992, le coût de la dénonciation (de l'euro) sera devenu
exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire,
quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce
qui aura été fait. Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à
force d'être étouffés, ne s'exacerbent jusqu'à se muer en nationalismes et ne
conduisent l'Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien
n'est plus dangereux qu'une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté
par laquelle s'exprime sa liberté, c'est-à-dire son droit imprescriptible à
choisir son destin.»
C'est exactement ce qui se
dessine à Rome. La grande crise institutionnelle à laquelle nous venons
d'assister pourrait bien n'être, si rien n'est fait, que la première étape
d'une crise bien plus profonde. L'habileté du président de la République la
laisse pour l'instant en suspens.
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La présence de l'islam réveillerait la conscience chrétienne
de l'Europe (01.06.2018)
SONDAGE - L'identité chrétienne
demeure un marqueur identitaire important en Europe de l'Ouest, même parmi ceux
qui n'assistent que rarement à des services religieux.
Il faut être américain pour
aborder un tel sujet. Ou plutôt non européen, tant la question posée de
«l'identité chrétienne de l'Europe», mise en balance avec la montée de l'islam,
est, au mieux, taboue, au pire, explosive car politiquement incorrecte. Des
Américains pourtant l'ont fait. Le très sérieux et reconnu Pew Research Center,
basé à Washington, centre de sondage, d'étude et de recherche sur les
évolutions des sociétés, a publié une passionnante enquête cette semaine,
intitulée «Être chrétien en Europe de l'Ouest», sur la base de sondages récents
réalisés dans 15 pays du Vieux Continent.
Elle offre d'abord une
photographie saisissante de la permanence du christianisme comme religion
d'appartenance, spontanément et majoritairement citée par les habitants:
91 % sont baptisés, 71 % se disent chrétiens, 22 % pratiquent
régulièrement.
Une permanence qui conduit les
concepteurs de l'étude à observer: «L'identité chrétienne demeure un marqueur
identitaire important en Europe de l'Ouest, même parmi ceux qui n'assistent que
rarement à des services religieux.»
Une appartenance qui n'est pas
seulement anecdotique: «Il ne s'agit pas simplement d'une identité symbolique
sans importance», insistent ces analystes, car elle a un impact direct sur
l'opinion des Européens sur des questions de société, dont l'islam et
l'immigration.
C'est ainsi que les chrétiens
pratiquants européens seraient plus enclins à déclarer l'islam
«fondamentalement incompatible avec la culture et les valeurs» de son pays.
Avec des pointes particulièrement frappantes en Autriche, Finlande et Italie où
ce rejet de l'islam par des chrétiens pratiquants dépasse la barre des
60 %.
La France, sur cette même
question et comparée à ses voisins, apparaît plutôt comme tolérante, puisque
les chrétiens pratiquants qui jugeraient l'islam «incompatible» avec la culture
du pays sont 45 %.
C'est, au reste, l'un des grands
enseignements de ce sondage pour l'Hexagone. Plusieurs sondages nationaux
récents - de différents instituts mais tous liés à la période des attentats -
avaient en effet mis en évidence la montée d'un rejet de l'islam comme culture
et comme religion en France. Mais, pour la première fois, ce sondage met en
perspective cette tendance vérifiée avec les autres pays européens. Et démontre
que les Français - bien que plus frappés par les attentats commis au nom de
l'islam que leurs voisins - demeurent en fait dans une moyenne européenne sur
ce thème, alors qu'ils s'accusent volontiers d'être très intolérants.
«Culture chrétienne»
«Les catholiques sont plus
susceptibles que les protestants d'exprimer une opinion négative à l'égard des
musulmans»
Selon l'étude
L'étude appelle pourtant à la
prudence sur l'interprétation de ces chiffres, car l'opinion face à l'islam
n'est pas seulement liée à l'appartenance religieuse. L'histoire et la culture
des pays et le sens de l'identité nationale jouent également à plein dans la
perception de ce sujet. Certes, affirme l'étude, «les catholiques sont plus
susceptibles que les protestants d'exprimer une opinion négative à l'égard des
musulmans» mais, corrigent les auteurs, il faut vraiment nuancer en plongeant
dans la réalité culturelle de chaque pays européen. «Par exemple, au
Royaume-Uni, 35 % des catholiques et 16 % des protestants disent que
les femmes musulmanes qui vivent dans leur pays ne devraient pas être
autorisées à porter des vêtements religieux. À l'inverse, en Suisse, 35 %
des protestants expriment ce point de vue contre 22 % des catholiques.»
Mêmes nuances sur la question de
l'immigration. Comme celle de l'islam, elle est foncièrement liée à la
situation réelle des pays. En France, par exemple, 35 % des chrétiens,
pratiquants ou non, déclarent que le «taux d'immigration devrait diminuer»,
contre 21 % des «sans religion». Mais en Finlande, un chrétien sur cinq
est en faveur d'une réduction de l'immigration, soit 19 %, alors que ceux
qui n'ont pas de religion repoussent l'immigration à 33 %. Attention donc
aux idées reçues…
Islam, immigration, l'étude
aborde enfin la question de l'identité européenne avec cette question crue,
très débattue implicitement ou explicitement ces derniers temps en Europe:
«L'identité chrétienne et l'immigration musulmane sont-elles liées ?».
Réponse: «Certains spécialistes ont affirmé que l'afflux de réfugiés, notamment
en provenance de pays majoritairement musulmans, a suscité un renouveau de
l'identité chrétienne», mais «l'enquête ne peut prouver que l'identité
chrétienne est en croissance en Europe». Et au cas où ce processus serait réel,
l'enquête ne peut pas «non plus prouver que la croissance de l'identité
chrétienne est une conséquence de l'immigration»…
Sans doute, suggère prudemment
l'étude, qu'une attention nouvelle «à la culture chrétienne» des Européens se
serait davantage développée.
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Terrorisme : la «task force» se déploie sur tous les
fronts (01.06.2018)
L'équipe élyséenne travaille sur
un suivi renforcé des radicalisés et des fichés S.
Un an après sa création, la
Coordination nationale du renseignement (CNR) a trouvé sa vitesse de croisière.
Et rien ne semble échapper à cette structure entièrement dévolue à Emmanuel
Macron, conçue comme un «outil de pilotage» dans le champ tourmenté de la lutte
antiterroriste et du contre-espionnage. Se voulant souple et réactive, cette
équipe composée à l'origine d'une trentaine d'experts dirigés par le préfet
Pierre de Bousquet de Florian, figure incontestée du renseignement, a déjà
produit 200 notes classifiées à l'intention du président de la République. Sans
parler de celles que le chef de l'État reçoit en provenance des services de
renseignement qui gardent la haute main sur l'opérationnel.
«Daech conserve sa capacité
d'organiser des attentats, de projeter vers l'Europe des équipes qui existent
encore, même si l'organisation a faibli après la neutralisation de nombre de
ses cadres»
Une source à l'Élysée
L'ensemble offre un panorama
guère rassurant de la menace islamiste où il apparaît que, selon une source à
l'Élysée, «Daech conserve sa capacité d'organiser des attentats, de projeter
vers l'Europe des équipes qui existent encore, même si l'organisation terroriste
a faibli après la neutralisation de nombre de ses cadres». En embuscade,
al-Qaida, «distancé médiatiquement», semble reprendre du terrain au Levant
tandis que son chef, Ayman al-Zawahiri, «désigne de manière périodique la
France comme un pays à abattre». Dans l'Hexagone, poursuit-on de même source,
le «terrorisme endogène reste une vraie réalité», mettant en scène «des garçons
jeunes, sans consistance, peu formés, pas toujours dans le haut du spectre».
» LIRE AUSSI - À
quoi sert la «task force» antiterroriste de l'Élysée
Pour mieux assurer la détection
de ces terroristes ourdissant leur projet à «bas bruit», les stratèges élyséens
proposent de muscler encore les «groupes d'évaluations départementaux», les
fameux GED réunissant les services de renseignement autour du préfet pour
«cribler», au cas par cas, tous les radicaux susceptibles de passer à l'action.
Outre la police judiciaire et la gendarmerie, des «GED thématiques» pourraient
très prochainement voir le jour en association avec l'inspection d'académie, la
direction départementale de la cohésion sociale, les services sociaux longtemps
rétifs à coopérer avec la police ou les services pénitentiaires dont le rôle
est devenu déterminant dans l'évaluation des «sortants» de prison, où
s'entassent quelque 500 condamnés dans des affaires de terrorisme ainsi que
1.200 à 1.300 détenus de droit commun qui se sont radicalisés derrière les
barreaux. Face au flux massif des libérations qui se profilent d'ici fin 2019,
des décisions devraient être prises dès la semaine prochaine au plus haut
sommet de l'État.
Face à cette impression de
trop-plein, les experts du renseignement, bravant le paradoxe, maintiennent
cependant que plus les fichiers sont garnis, plus la police sera efficace
Attentat après attentat, la «task
force», qu'Emmanuel Macron avait appelée de ses vœux lors de la campagne, mène
avec méthode de véritables retours d'expérience, très prisés par les militaires
et que Beauvau a trop longtemps négligés. «Il s'agit de réunir les acteurs non
pas pour les mettre en cause, mais pour comprendre ce qui a été bien fait et
qui a été loupé», précise-t-on à l'Élysée. Exemple? Le déménagement de Khamzat
Azimov, l'auteur des attaques au couteau perpétrées le 12 mai dernier dans
le quartier de l'Opéra, qui n'avait pas été identifié par les services. Par
ailleurs, il faisait l'objet d'une fiche S en raison de sa présence dans
l'entourage de son complice, a priori considéré comme plus venimeux. «On
ne peut mettre des agents aux basques de chacun des 25.000 individus
fichés S et des quelque 10.000 autres ayant une fiche active au fichier
des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste
(FSPRT)», confie-t-on à l'Élysée.
» LIRE AUSSI - Terrorisme:
l'Élysée reprend en main le renseignement
Face à cette impression de
trop-plein, les experts du renseignement, bravant le paradoxe, maintiennent
cependant que plus les fichiers sont garnis, plus la police sera efficace.
Notamment parce qu'une «purge» des bases de données handicaperait les capacités
de repérages, mais aussi parce qu'un tel nettoyage viserait d'abord les
individus placés en bas de spectre.
Des réflexions sont menées
pour tenter de mieux judiciariser des renseignements obtenus par des « sources
humaines » infiltrées
C'est-à-dire ceux qui ont commis
les derniers attentats. En revanche, les fiches S devraient être
«complétées» et «enrichies» en mentionnant systématiquement la nationalité des
intéressés, mais aussi leurs alias, les différentes orthographes de leur nom ou
encore… les déménagements connus. Si les services se montrent peu enclins à
transmettre leurs fiches S aux maires, le ministère de l'Intérieur met la
dernière main à une «charte d'interaction» entre les élus et les préfets afin
de suivre au plus près l'évolution d'une salle de prière ou de familles
gangrenées par la radicalisation.
Enfin, sur le plan opérationnel,
des réflexions sont menées pour tenter de mieux judiciariser des renseignements
obtenus par des «sources humaines» infiltrées, sans que celles-ci soient
soupçonnées de complicité dans des associations de malfaiteurs terroristes. Ces
«taupes» pourraient ainsi bénéficier du statut de repenti. Sur le papier,
l'idée d'une procédure «dissymétrique» est évoquée: elle permettrait au
magistrat d'avoir un accès privilégié à des notes confidentielles sans que
celles-ci circulent entre les mains des avocats. Si l'opinion apprécierait,
l'État de droit ne le permet pas. Et les juristes ne sont pas mûrs pour
bouleverser la donne.
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Éditorial : «Europe : le fossé qui se creuse» (01.06.2018)
Par Arnaud de La Grange
C'est ainsi, les temps sombres de
la Seconde Guerre mondiale continuent à servir de vivier sémantique quand les
crises surviennent. En témoigne la pièce tragique que viennent de jouer les
politiques italiens. Les antisystème n'ont pas hésité à comparer la politique
d'Angela Merkel à celle de l'Allemagne nazie. Et à parler d'«occupation», non
plus militaire mais financière de l'Italie…
Derrière ces outrances verbales
pointe une sourde colère. Le patron de la Ligue, Matteo Salvini, a traité «les
Allemands, les Français et les bureaucrates de Bruxelles» de nouveaux
occupants. Son acolyte, le chef de file du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio,
a fustigé les «agences de notation, les lobbies financier et bancaire», qui
font les gouvernements en lieu et place des électeurs. On voulait leur voler le
pouvoir. C'était le diktat des technocrates contre la volonté populaire.
Finalement, un armistice a été signé, un compromis trouvé…
On oppose facilement deux
logiques, celle des dogmes et celle des peuples. En l'occurrence, ici, celle
des «élites européanistes» et celle de la rue italienne. L'affaire est moins
simple. Et s'en tenir à cette grille de lecture risque de faire le lit des
utopies démagogues. Mais on ne peut non plus nier l'existence du fossé qui se
creuse. Ce serait encore plus sûrement leur ouvrir la voie.
Sur la carte de l'Europe, la
tache des pays qui ruent dans les brancards bruxellois ne cesse de s'agrandir.
On peut déplorer la percée de ces mouvements «populistes», on ne peut l'ignorer.
Ils sont là, au pouvoir, par les urnes. Au lieu de pousser des cris d'orfraie,
il est urgent de proposer autre chose. L'Europe ne peut camper sur des
institutions, des procédures et des habitudes. Elle doit aussi asseoir sa
légitimité sur l'efficacité et la réponse aux aspirations populaires. Et l'on
voit monter partout les profondes inquiétudes en matière de sécurité,
d'immigration et d'identité culturelle.
Si l'Europe s'enferme dans son
rôle de censeur et de grand horloger de nos démocraties sans se remettre en
question, on ne peut donner cher de sa peau.
Enrico Colombatto : «La situation en Italie permettra-t-elle
de repenser l'Union européenne ?» (01.06.2018)
FIGAROVOX/ANALYSE - Le professeur
d'économie à l'université de Turin, président du comité scientifique de
l'Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), analyse le programme
de la Ligue et du M5S, désormais au pouvoir à Rome.
Un
gouvernement formé par la Ligue et le Mouvement 5 étoiles a
été, après de nombreuses péripéties, constitué en Italie. Les souverainistes
partisans de la flat
tax et les dépensiers militants du revenu minimum ont bâti une
improbable alliance.
Personne ne saurait sans doute se
retrouver complètement dans le fatras de leur programme commun. Et pourtant!
Cette montée italienne d'un nouveau populisme exprime en même temps un malaise
bien justifié: l'insatisfaction suscitée par une classe politique corrompue et
incompétente, le mécontentement à l'égard de lourds impôts dont le produit est
fréquemment gaspillé, l'irritation face à l'arrogance des centralisateurs bien
installés - et bien rémunérés - à Bruxelles et à Strasbourg.
Ils veulent laisser le choix
aux individus de prendre leur retraite quand ceux-ci le voudront, pour autant
que le total de leur âge et de leur durée de cotisation dépassera 100
Le
programme de l'alliance de la Ligue et du M5S est à la fois intéressant et
inquiétant. Les deux partis proposent une réduction drastique des
impôts en instaurant une flat tax à 15 % et 20 % pour les sociétés et
sur le revenu des particuliers (avec une franchise de 20.000 € pour les
familles). Ils veulent laisser le choix aux individus de prendre leur retraite
quand ceux-ci le voudront, pour autant que le total de leur âge et de leur
durée de cotisation dépassera 100. Les deux partis proposent aussi un revenu de
citoyenneté de 780 euros (en fait, il s'agit d'une allocation de chômage
conditionnée à l'acceptation d'une des offres d'emploi qui pourront, le moment
venu, être proposées aux chômeurs) ; la création d'une banque publique
pour financer les investissements ; la nationalisation des entreprises
d'intérêt national, surtout celles qui sont en difficulté.
Jusqu'à la semaine dernière, la
Ligue et le M5S déclaraient aussi leur volonté de sortir de l'euro afin d'avoir
libre accès à l'imprimerie de la Banca d'Italia, qui serait soumise au Trésor
et chargée de créer une «nuova lira». Tout compris, le plan économique
de l'alliance prévoit une dépense supplémentaire de quelque 100 milliards
d'euros et une baisse des impôts de 50 à 60 milliards. Le déficit
budgétaire supplémentaire s'élèverait donc à 7 % à 8% du PIB et, en
cas de sortie de l'euro (qui ne saurait être exclue), le taux
d'inflation pourrait facilement atteindre les deux chiffres.
Un texte-liste de Prévert
Ce programme commun a néanmoins
le mérite de ne pas oublier les missions régaliennes de l'État: embauche
de forces de l'ordre et augmentation des places de prison ; contrôle des frontières ; priorité aux expulsions et à la lutte contre le «business des migrants» ; instauration d'un registre des imams ; fermeture immédiate des mosquées non autorisées ; organisation d'un référendum municipal avant toute installation d'un nouveau lieu de culte musulman dans la commune. Par ailleurs, ce programme commun prévoit d'assouplir le principe de légitime défense pour permettre aux particuliers d'ouvrir le feu si quelqu'un s'introduit chez eux, même en l'absence de menace physique claire.
de forces de l'ordre et augmentation des places de prison ; contrôle des frontières ; priorité aux expulsions et à la lutte contre le «business des migrants» ; instauration d'un registre des imams ; fermeture immédiate des mosquées non autorisées ; organisation d'un référendum municipal avant toute installation d'un nouveau lieu de culte musulman dans la commune. Par ailleurs, ce programme commun prévoit d'assouplir le principe de légitime défense pour permettre aux particuliers d'ouvrir le feu si quelqu'un s'introduit chez eux, même en l'absence de menace physique claire.
Il y a dans cette liste à la
Prévert de quoi satisfaire les uns et inquiéter vivement les autres
Certes, le texte est une liste à
la Prévert: il évoque aussi l'environnement, les nouvelles technologies
(développement de l'«économie verte» et des voitures électriques), l'abandon
des sanctions contre la Russie, le développement du référendum d'initiative
populaire, l'annulation de la vente d'Alitalia, la remise à plat du projet
Lyon-Turin ou la lutte contre les jeux de hasard. Le «code éthique» du
programme prévoit certaines mesures communément admises. Ne pourraient pas
entrer au gouvernement des personnes condamnées au pénal, ou sous le coup
d'un procès pour de graves crimes supposés. D'autres mesures rappellent en
revanche des souvenirs funestes. Il est prévu que des membres de «la
franc-maçonnerie» ne pourront pas devenir ministres. Par ailleurs, la lutte
contre la corruption des fonctionnaires sera renforcée. Il y a dans cette liste
à la Prévert de quoi satisfaire les uns et inquiéter vivement les autres.
Au
plan financier, l'impasse ne tarderait pas. Une sortie de l'euro est
désormais très peu probable dans l'immédiat (compte tenu des personnalités en
charge des portefeuilles des Finances et des Affaires européennes dans le
nouveau gouvernement, NDLR). Si cette hypothèse radicale survenait,
l'augmentation du déficit public, le risque d'inflation et de dévaluation de la
nouvelle lire engendreraient des tensions considérables: les deux tiers de la
dette publique (133 % du PIB) sont détenus par les familles et les banques
italiennes. La faillite des banques et le pillage des épargnants ne seraient
pas bien reçus, surtout par les électeurs de la Ligue et du M5S.
Populisme bon marché
En d'autres termes, dans le
domaine financier, le programme de l'alliance relève de l'amateurisme et ne
répond pas aux besoins de réforme structurelle de l'économie italienne. Bien au
contraire! Mais ce
populisme bon marché n'exprime-t-il pas aussi ce que ressentent
les majorités silencieuses dans de nombreux pays européens? Finalement, les
deux partenaires se sont mis d'accord pour rester dans
l'Europe et renoncer à leur extravagante prétention, un moment
évoquée, d'exiger l'abandon de 250 milliards de créances de la Banque
centrale européenne sur l'Italie. Mais ce qu'ils vont exiger, c'est une refonte
de la «gouvernance» de l'Union européenne, notamment économique. Au fond, la
Ligue et le M5S ne veulent plus que Bruxelles leur dicte leurs comportements.
Ils ne le veulent pas plus que les Britanniques qui ont voté le Brexit et tous
les Européens, de plus en plus nombreux, qui refusent que la Commission vienne
nous dire quels camemberts nous pouvons manger et quel taux de pollution nous
devons accepter dans nos villes.
Les Européens veulent une
autre Europe, plus vigilante sur le contrôle de ses frontières, plus ouverte à
l'échange des personnes et des marchandises à l'intérieur, mais moins pesante,
moins tatillonne
Au-delà des excès et des
incohérences, ce qui se passe en Italie devrait être un déclic pour l'Europe.
Les dirigeants des pays européens n'ont jamais manqué jusqu'à présent de
considérer que chaque crise économique ou politique devait être résolue avec plus
d'Europe. En réalité, les Européens veulent plutôt moins d'Europe, ou du moins
une autre Europe, plus vigilante sur le contrôle de ses frontières extérieures,
plus ouverte à l'échange des personnes et des marchandises à l'intérieur, mais
moins pesante, moins tatillonne, moins technocratique. Les Européens ne veulent
pas de l'uniformité que les bureaucrates déguisent sous le nom trompeur
d'harmonisation.
Les pères de la Constitution
américaine, à la fin du XVIIIe siècle, avaient indiqué la bonne route: il faut
s'engager à défendre la liberté des échanges, l'esprit d'entreprise et la
propriété privée, sans attenter à la personnalité des citoyens et sans
démanteler l'éthique de la responsabilité individuelle, pierre d'angle de notre
civilisation. Les Européens sont attachés à leurs racines communes, à leur
culture riche de sa variété et ils souhaitent que l'Europe laisse chacun libre
de grandir.
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Général Jean-Pierre Bosser: «Il faut maintenir l'esprit
guerrier» (01.06.2018)
INTERVIEW - Pour le chef
d'état-major de l'armée de terre, technologie et rusticité du soldat doivent
aller de pair.
Le général Jean-Pierre Bosser
était vendredi l'invité du «Talk stratégique».
LE FIGARO: Comment se porte
l'armée de terre?
Général Jean-Pierre BOSSER: Le
moral est bon. D'abord parce que c'est une armée professionnelle, mature et
expérimentée. Ensuite parce qu'elle remonte en puissance depuis deux ans.
Enfin, elle est déployée sur le territoire national et a la confiance des Français.
Emmanuel Macron a fixé à nos
armées l'ambition de parvenir au premier rang en Europe. Êtes-vous prêt à
relever ce défi?
«L'enjeu n'est pas seulement
de gagner la guerre sur le plan militaire, mais aussi de gagner la paix»
Six grands critères ont été
retenus pour cela. Un modèle complet, une masse critique, des équipements de
dernière génération, une capacité à agir sur un mode global, car l'enjeu n'est
pas seulement de gagner la guerre sur le plan militaire, mais aussi de gagner
la paix. J'y ajoute la spécificité du métier des armes, et l'«esprit guerrier»,
qui combine la capacité à agir dans des milieux difficiles, l'utilisation de la
haute technologie et les traditions.
» LIRE AUSSI - Budget
de l'armée: pourquoi Macron a encore tout à prouver
La loi de programmation
militaire (2019-2025) vous donne-t-elle les moyens d'accomplir vos missions?
Oui, le soldat reste l'instrument
premier du combat. Cette
LPM «à
hauteur d'homme»répond à nos attentes. Cela signifie des soldats bien
équipés, bien entraînés, bien commandés, avec des familles bien dans leur peau.
Elle prend aussi en compte la réparation de capacités comme l'artillerie, le
renouvellement de nos véhicules blindés et l'innovation pour garder l'ascendant
sur l'ennemi.
Qu'attendez-vous d‘EuroSatory,
le grand salon des armements terrestres, qui s'ouvrira le 11 juin?
J'attends beaucoup des
équipements qui seront présentés, ainsi que de la mise en synergie entre les
industriels, la Délégation générale à l'armement (DGA) et l'armée de terre.
Pour répondre aux objectifs de la modernisation capacitaire, nous devons
améliorer nos dispositifs d'acquisition, qui sont encore trop longs, et marcher
du même pas.
«La cuirasse parfaite n'existe
pas, mais il ne faut pas être pris en flagrant délit d'impréparation»
L'opération «Sentinelle»
est-elle toujours nécessaire?
Je pense que oui. Ce
dispositif est pertinent s'il s'adapte à la menace, qui se
caractérise par l'effet de surprise et la capacité d'évitement. Le dispositif
est aménagé en trois échelons. Le premier est déployé en permanence, le
deuxième vient en renfort et permet aussi de s'entraîner sur des scenarii de
crise. Le troisième est une réserve stratégique. La cuirasse parfaite n'existe
pas, mais il ne faut pas être pris en flagrant délit d'impréparation.
Il y a 9 % de femmes dans
l'armée de terre. Est-ce suffisant?
Elles ont toute leur place dans
l'armée de terre, et nous avons de plus en plus de femmes volontaires, motivées
et compétentes. Que disent-elles? Militaire, au masculin ou au féminin, s'écrit
de la même façon - les filles que nous recrutons ont la même motivation que les
garçons et refusent la discrimination positive. Cela impose de créer les
conditions d'une mixité bien vécue, et d'une véritable égalité des chances dans
le parcours professionnel. Sous l'impulsion de la ministre des Armées, nous lancerons
un grand plan sur ce sujet à la rentrée.
Avez-vous des réserves
concernant le projet de service national universel?
Je n'ai aucune réserve
concernant cette
ambition. Nous avons des savoir-faire et des savoir-être, et nous
pouvons apporter notre compétence auprès de cette jeunesse qui est notre pâte
quotidienne. Aujourd'hui, les dispositifs existant sont relativement
artisanaux. Avec
un service national universel pour 700.000 jeunes, on passe au stade
industriel. Ma responsabilité est d'être attentif à ce que cela ne comporte pas
de risques pour notre remontée en puissance.
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de terre: «Former est notre nouveau challenge»
Allemagne : la Bavière impose le crucifix dans les bâtiments
publics (01.06.2018)
Désormais chaque bâtiment
officiel devra avoir, à l'entrée, une croix chrétienne. Une décision qui met le
gouvernement allemand mal à l'aise.
Depuis ce vendredi, chaque
bâtiment officiel de «l'État libre de Bavière» doit arborer dans son entrée une
croix chrétienne. Ainsi en a décidé Markus Söder. À moins de cinq mois d'une
élection régionale sensible, le ministre président CSU du Land adresse un
message clair à l'électorat catholique conservateur, qui pourrait être tenté de
voter en partie pour la droite radicale AfD, et une fin de non-recevoir aux
tenants de la diversité culturelle. «Il s'agit d'une reconnaissance de notre
identité bavaroise et de nos valeurs chrétiennes», s'est félicité celui qui
s'est imposé à la tête du Land en début d'année.
Si l'Allemagne ne connaît pas la
laïcité à la française, l'État est censé respecter une neutralité religieuse.
Markus Söder a balayé la remarque en ne voyant dans le crucifix qu'un signe
«culturel et historique» imprégnant la Bavière. Sur les 12,9 millions
d'habitants du Land le plus conservateur du pays, près de 6,7 millions se
disent catholiques (et 2,6 millions protestants). Face aux protestations,
Söder a consenti à des exceptions pour les écoles supérieures, les théâtres ou
les musées.
Le gouvernement fédéral est
mal à l'aise face à l'offensive bavaroise
Alors que les Allemands
s'interrogent sur l'intégration des centaines de milliers de musulmans qui ont
rejoint le pays lors de la vague migratoire de 2015-2016, le sujet est
explosif. Le gouvernement fédéral est mal à l'aise face à l'offensive
bavaroise. Horst Seehofer, le prédécesseur et rival de Söder en Bavière, devenu
ministre de l'Intérieur en mars, s'est gardé de tout commentaire. L'Église a
aussi pris ses distances. L'effet escompté ne s'est pas fait sentir: à
41 % d'intentions de vote dans la dernière enquête, la CSU recule par
rapport au vote de 2013 (47,7 %) et pourrait perdre sa majorité absolue.
Donnée à 13 %, l'AfD veut troubler le jeu.
La CSU a donc opéré un virage à
droite. Mais le débat sur la place du christianisme en Bavière ne date pas de
Söder et on trouve depuis longtemps des croix dans nombre d'administrations ou
dans presque toutes les écoles. En 1985, un parent d'élève avait protesté
contre ce signe ostentatoire. En 1995, la Cour constitutionnelle lui avait
donné raison. Après d'importantes manifestations catholiques, le pouvoir
bavarois avait introduit une possibilité de retrait des croix dans les écoles
quand des parents présentaient «des motifs sérieux» de plainte. Mais en 2011,
la Cour européenne des droits de l'homme avait considéré que les croix dans les
écoles ne portaient pas atteinte aux droits fondamentaux, fermant, apparemment,
le débat.
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