samedi 2 juin 2018

Islamisme et politique 31.05.2018


«Les élections italiennes prouvent que la zone euro a basculé dans la post-démocratie» (31.05.2018)
Ivan Rioufol : « L'Europe se perd, en étouffant les peuples » (31.05.2018)
Italie: l’Europe contre les peuples (épisode 3) (28.05.2018)
Fusillade à Liège: le terroriste était un multirécidiviste (30.05.2018)
Liège : les faits qualifiés «d'assassinat terroriste» par le parquet fédéral belge (30.05.2018)
Quand Gérard Collomb évoque le «benchmarking» des migrants en Europe (30.05.2018)

Le Pen propose à Dupont-Aignan de faire «liste commune» pour les européennes (31.05.2018)
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La parole libérée affole l'Union européenne (30.05.2018)
Comment la lutte contre les «fake news» est devenue une affaire d'États (02.02.2018)
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«Les élections italiennes prouvent que la zone euro a basculé dans la post-démocratie» (31.05.2018)

Par Le figaro.fr
Publié le 31/05/2018 à 12h43
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Guillaume Bigot voit dans la situation italienne une crise majeure pour la zone euro, qu'il juge anti-démocratique. Pour lui, les déséquilibres entre les économies de la zone euro sont trop importants pour que l'union monétaire puisse éviter l'explosion.

Guillaume Bigot est essayiste et directeur général du groupe Ipag Business School Paris Nice.

FIGAROVOX.- Pourquoi estimez-vous que le président italien s'est enfermé dans une contradiction insurmontable?
Guillaume BIGOT.- En refusant d'entériner la constitution d'un gouvernement appuyé par les deux partis arrivés en tête aux législatives, le président Mattarella serait dans son bon droit mais il ne fait aucun doute qu'il a politiquement tort.
On peut considérer que les Italiens se sont trompés en consacrant une majorité eurosceptique. On peut également penser que rompre le cadre ordo-libéral est suicidaire. Mais si l'on reste démocrate, on ne peut vouloir décider contre le peuple. Mattarella aurait dû se souvenir de cette réplique mémorable mise par Brecht dans la bouche de son personnage, Arturo Ui: «Puisque le peuple vote contre (...), il faut dissoudre le peuple.»
La méfiance à l'égard du suffrage universel formait déjà l'un des fondements inavoués d'une construction européenne conçue par Jean Monnet comme une camisole de force destinée à maintenir les peuples dans le cadre des droits de l'homme et du marché.
La réaction de Mattarella, comme celle du Commissaire Oettinger souhaitant que les marchés apprennent aux Italiens à bien voter, font franchir à l'UE un cap, celui qui sépare la défiance originelle de l'hostilité assumée.
Le projet européen n'a jamais été franchement compatible avec le fonctionnement régulier d'institutions démocratiques mais les événements actuels font basculer l'utopie européiste dans une phase ouvertement post-démocratique de son histoire.
Pourquoi le pari européiste de Mattarella serait-il perdu d'avance?
La réaction des peuples européens en général et des Italiens en particulier est facile à prévoir. Lorsque l'on prêche le mépris et la défiance à l'égard d'un souverain, c'est-à-dire d'un supérieur hiérarchique, on a toutes les chances de l'irriter, de le provoquer et de l'inciter à réagir. Mais les réactions menaçantes des européistes telles que Mattarella, Le Maire ou Oeninger ne tiennent aucun compte des rapports de force.
Ce que les élites du vieux continent, massivement favorables à Bruxelles, semblent avoir du mal à comprendre, c'est que tant que les démocraties ne sont pas abolies, elles ne disposent que du pouvoir que les peuples leur ont confié. Pas une once de plus, ni de moins. Que cela leur plaise ou non, dans le vieux monde, le patron demeure la vox populi nationale.
Le projet européen n'a jamais été franchement compatible avec le fonctionnement régulier d'institutions démocratiques.
Pour sortir de ce système dans lequel le peuple est le souverain, il faudrait que la majorité du peuple renonce démocratiquement à son pouvoir.
Or, c'est tout le contraire qui se produit. Partout en Europe, même outre-Atlantique, alors même que l'offre politique est extrêmement limitée et se résume parfois à des bouffons (le fondateur du Mouvement Cinq étoiles), à des personnages outranciers et caricaturaux (Donald Trump, Marine Le Pen ou Viktor Orban), les peuples préfèrent brandir ces épouvantails plutôt que de se laisser dicter une conduite contraire à leurs aspirations mais aussi, disons-le, à leurs intérêts par une élite soi-disant compétente.
Pourquoi, selon vous, la zone euro est-elle condamnée à exploser?
Tout simplement car la zone euro connaît des déséquilibres croissants que les violentes thérapies austéritaires non seulement ne peuvent résoudre mais qu'elles tendent à aggraver. Il y a d'un côté les pays du nord, Allemagne en tête, qui affichent d'insolents excédents commerciaux et un bel équilibre budgétaire ; et de l'autre, des pays du Sud qui voient leurs déficits commerciaux se creuser et/ou leur dette publique s'envoler. Les premiers prêtent, les seconds empruntent. L'Italie dispose d'un excédent commercial mais celui-ci est à mettre en regard de l'endettement massif du pays qui devrait aboutir à une dépréciation de sa monnaie et des créances de ses prêteurs.
Mais l'institution d'une monnaie unique bloque ce mécanisme naturel d'ajustement qui pourrait s'opérer de manière indolore via des dévaluations. L'Allemagne et ses voisins du nord ne veulent pas entendre parler d'un desserrement de l'étau monétaire: d'abord, de leur point de vue, cela reviendrait à s'appauvrir, et ensuite leur industrie se porte comme un charme et n'a nullement besoin d'un tel remontant. Et la théorie économique néo-classique qui intoxique nos dirigeants les persuade que le rétablissement de la compétitivité et de l'équilibre des finances publiques passe par une déflation ou une dépression salariale.
D'autres mécanismes de correction des déséquilibres économiques entre le Nord et le Sud de l'Europe sont pourtant possibles?
Certes, mais ils sont interdits.
Berlin et les autres capitales du Nord de l'Euroland ne se contentent pas d'imposer une monnaie forte, ils interdisent également tout rééquilibrage par transferts budgétaires. La théorie de la zone monétaire optimale de Robert Mundell démontre de manière implacable que si une zone monétaire connaît en son sein des déséquilibres de niveau de productivité, les écarts vont se creuser sauf si un budget vient redistribuer les excédents des zones les plus riches vers les zones les plus pauvres ; sinon les écarts ne peuvent que se creuser. Les pauvres devenant de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. C'est ce que l'on observe puisque la monnaie unique surévaluée, en l'absence d'un budget fédéral compensateur, aboutit à la désindustrialisation croissante du Sud et au renforcement constant des industries du Nord. Les pays du Sud ont beau se désindustrialiser, ils ne peuvent totalement cesser de consommer et achètent donc de plus en plus à l'Allemagne qui produit de plus en plus ce qu'eux produisent de moins en moins. Cet ajustement par les quantités de PIB ou de production s'opère car l'ajustement par la baisse des salaires est limité par ce qu'Orwell aurait appelé des considérations de «décence commune». Le pouvoir d'achat au Sud de l'Europe ne peut descendre en dessous du minimum de subsistance, c'est donc la production en volume qui se réduit et les usines qui ferment au Sud.
Cela ne suffit pourtant pas à rendre le système intenable et explosif.
L'Allemagne veut maintenir une monnaie forte et ne cédera jamais sur le budget fédéral. Mais elle impose également à ses partenaires de la zone euro de renoncer à actionner leur propre budget pour éponger les dégâts sociaux engendrés par le caractère non optimal de la zone euro. Interdiction leur est également faite de subventionner leurs entreprises. Berlin prend ainsi la majeure partie des pays de la zone euro en tenaille: la pince monétaire (avec une BCE qui lutte éternellement contre l'inflation comme si l'euro était un Deutsche Mark étendu au continent) creuse les déficits commerciaux et la pince de l'orthodoxie budgétaire empêche toute reprise durable comme le suggère le léger trou d'air économique actuel.
La zone euro est un cercle vicieux pour les pays du sud mais est-elle pour autant un cercle vertueux pour les pays du Nord, Allemagne en tête?
Le système fonctionne jusqu'à présent à l'avantage de Berlin et des autres économies fortes: tandis que les pays du Sud doivent assumer le fardeau d'une monnaie surévaluée, l'industrie allemande profite d'une monnaie sous-évaluée (le Mark serait naturellement plus fort que l'euro et minimiserait les excédents records du commerce extérieur germanique). Ces excédents, pour partie réalisés sur le dos des autres pays européens, ne sont pas redistribués par un budget fédéral. Les écarts se creusent, les chômeurs du sud de l'Europe, s'ils veulent travailler sont contraints de se déplacer en Allemagne pour s'employer dans les usines allemandes. Le salaire étant rigide à la baisse et les gouvernements du sud de l'Europe ne voulant pas laisser la misère éclater (Ceux qui l'ont fait, à l'instar de la Grèce ou les salaires ont baissé de près de 40 % en valeur réelle depuis 2011 ne s'en portent pas mieux pour autant), les déficits se creusent avec moins de cotisants et plus de bénéficiaires (les charges sociales augmentant les entreprises deviennent de moins en moins compétitives et c'est la faillite).
Si le mouvement eurosceptique s'amplifie, la zone euro telle que nous la connaissons aujourd'hui aura bientôt cessé d'exister.
Mais les Allemands et leurs alliés refusent que les États du Sud laissent filer leur déficit. Le déséquilibre va croissant. La solution de maîtriser les déficits et de laisser une partie de l'Europe s'appauvrir ne fonctionne pas, ou plutôt elle fonctionne trop bien, mais ce dumping au profit de l'Allemagne arrive au bout de sa course. C'est là où nous retrouvons le résultat des prochaines élections italiennes.
Dans un tel contexte, quel risque le deuxième scrutin italien fait-il courir à la zone euro?
Si le mouvement eurosceptique s'amplifie, la zone euro telle que nous la connaissons aujourd'hui aura bientôt cessé d'exister.
Les dirigeants du M5S et de la Ligue sont bien plus futés que Marine Le Pen et que Jean-Luc Mélenchon. Ils ne vont pas commettre les erreurs de leurs homologues français: d'abord, et c'est toute la différence, ils sont d'accord pour gouverner ensemble. Ensuite, ils savent très bien deux choses: primo, le système monétaire européen est irréformable de l'intérieur. Les pays forts de l'euro-zone refuseront pour les raisons déjà indiquées toute relance continentale autre que cosmétique. Deuxio, en l'absence de réforme, le système est voué à l'explosion. Tertio, on ne peut sortir sans coup férir d'une monnaie unique, et ceci autant pour des raisons techniques que pour des raisons d'exposition du pays à des effets spéculatifs ravageurs. Voilà une autre différence de taille d'avec nos propres populistes.
Bruxelles a donc raison de paniquer car les Italiens sont sérieux: ils ne vont pas sortir de l'euro sur un coup de tête, mais ils risquent d'en faire sortir l'Allemagne.
L'Allemagne pourrait finir par être éjectée de la zone euro?
Par en être éjectée ou par la quitter d'elle-même. Car in fine, lorsqu'il faudra prendre ses pertes, l'Allemagne ne voudra pas jouer ce que les banquiers appellent le rôle de prêteur en dernier ressort. Après avoir accumulé des excédents, les Allemands pourraient choisir de claquer la porte de l'euro-zone.
Pour le comprendre, commençons par rappeler que la production monétaire reste entre les mains des pays membres et des banques centrales locales.
Or, 12 pays sur 19, une majorité de pays de la zone euro pâtissent de l'euro fort et auraient besoin d'une dépréciation et d'une bonne dose d'inflation pour apurer leur dette. Certes l'Italie affiche des excédents commerciaux, mais son tourisme et ses belles entreprises exportatrices familiales verraient dans ce coup de pouce monétaire un moyen commode de gagner davantage en compétitivité.
L'UE est un système de lâcheté institutionnelle organisée.
Le gouvernement italien pourrait donner l'ordre à la Banque d'Italie d'émettre des liquidités. Rome se comporterait ainsi comme un passager clandestin: en faisant du déficit ou en fabriquant de la monnaie, le pays ne sera pas du tout attaqué par les marchés financiers tout en restant à l'abri de l'appétit des spéculateurs protégés par l'euro.
La Banque d'Italie forcerait l'euro à se déprécier. Le résultat pour Rome sera le même que si les Allemands avaient consenti à un mécanisme de redistribution par le budget.
Les Allemands et les eurocrates fanatiques partisans d'un euro fort hurleraient à la mort, dénonceraient la violation des traités mais ils ne pourraient pas s'y opposer.
Pourquoi l'UE ne pourrait-elle pas sanctionner l'Italie et sortir le fraudeur de la zone euro?
Ceci pour trois raisons.
L'UE est un système de lâcheté institutionnelle organisée: c'est une sorte de super État conçu et organisé pour ne prendre aucune décision. Pour ne fâcher personne.
L'UE n'a ni armée, ni police, ni légitimité d'aucune sorte, c'est une chimère juridique qui n'a de consistance que celle que ses adeptes lui reconnaissent.
Ensuite, l'Italie est trop grosse pour être lâchée. Le risque bancaire qu'elle emporte est trop «systémique», comme disent les spécialistes: c'est la théorie dite du «too big to fail».
Enfin, l'exemple italien finirait fatalement par créer des émules. C'est alors que l'on assisterait à l'éclatement de la zone euro.
Une fois le précédent italien survenu, c'est-à-dire, une fois que la situation sociale et économique de l'Italie se sera améliorée, que se diront les autres peuples?
On leur a promis que la foudre des marchés allait s'abattre sur eux s'ils refusent l'austérité. Au contraire, en cessant de vouloir rembourser ses dettes, on cesse de se surendetter et on peut même finir par aller mieux... Ils finiront par quitter le navire à leur tour.
Les peuples européens vont ainsi découvrir la supercherie: l'euro n'est qu'un mécano de subvention de l'industrie allemande, qui peut faire du dumping monétaire sur le dos des pays moins productifs, et cette BCE que l'on nous vend comme un paratonnerre anti-mondialisation financière est en fait là la solde des grandes institutions financiers et bancaires mondiales.
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Ivan Rioufol : « L'Europe se perd, en étouffant les peuples » (31.05.2018)

Par Ivan Rioufol
Publié le 31/05/2018 à 19h23
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Crise politique en Italie, «fake news», liberté d'expression... tant de sujets que notre chroniqueur déplore comme «une violation d'un processus démocratique», où la volonté du peuple est mise à l'écart.
La politique de l'étouffoir, encouragée par l'Union européenne aux abois, ne fera pas taire la colère des peuples. C'est à un jeu dangereux que se prêtent les dirigeants, à commencer par Emmanuel Macron, qui justifient la censure sur Internet, veulent interdire les «fake news»(fausses nouvelles), rejettent les votes des électeurs indociles. Les sermonnaires dénoncent en Vladimir Poutine une injure à la démocratie. Mais eux-mêmes se comportent en autocrates quand ils craignent la parole libérée. Cette intolérance attise les braises. Il faut vouloir être sourd pour ne pas entendre les protestations des réseaux sociaux ou des consultations électorales.
Le sommet dans la provocation de la caste a été atteint, dimanche, avec le pied de nez de Sergio Mattarella, le président italien, aux électeurs de la péninsule. Ceux-ci avaient donné, le 4 mars, une majorité parlementaire aux mouvements antisystème: un choix que l'UE et ses soutiens ont jugé inacceptable.
Il est loisible de parler de coup d'État légal pour qualifier la décision de Mattarella d'entraver la formation du gouvernement issu des urnes. Certes, la Constitution italienne permet au président d'avoir son mot à dire sur la préservation des intérêts supérieurs de l'Italie. Mais lui-même est dépourvu de légitimité: Mattarella a été désigné par l'ancienne majorité parlementaire du Parti démocrate, qui a perdu les élections.
Son refus de nommer à l'Économie Paolo Savona, coupable d'avoir qualifié l'euro de «prison allemande», s'est opposé à la volonté des vainqueurs du scrutin (la Ligue et le Mouvement 5 étoiles). La pression de l'UE, c'est-à-dire des marchés financiers et des agences de notation, a été plus forte que l'expression majoritaire. Or c'est ce coup de force que Macron a approuvé en déclarant: «Mattarella a fait preuve de courage et d'un grand esprit de responsabilité.»
La décision de Sergio Mattarella révèle la dérive autocratique de l'UE, dont le chef de l'État français est l'avocat de moins en moins convaincant
Cette violation d'un processus démocratique révèle la dérive autocratique de l'UE, dont le chef de l'État français est l'avocat de moins en moins convaincant. Ceux qui reprochent à cette Union sans affect son éloignement des gens et son mépris des nations ont, avec cette déclaration de guerre aux populistes, confirmation de leurs accusations.
Lors de l'accord de coalition passé entre les deux mouvements antisystème, le ministre français de l'Économie, Bruno Le Maire, avait déjà jugé bon, l'autre jour, de faire la leçon aux Italiens: «Chacun doit comprendre en Italie que l'avenir de l'Italie est en Europe et nulle part ailleurs.»Matteo Salvini (la Ligue) avait eu beau jeu de lui rétorquer: «Que les Français s'occupent de la France et ne mettent pas leur nez dans les affaires des autres.» Les nouvelles élections, rendues nécessaires depuis ce blocage institutionnel, s'annoncent risquées pour l'avenir de l'UE, voire de l'euro. La chute du Système est envisageable.
Le rejet des États souverains a toujours été la faille de cette Europe de la globalisation. En 2015, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, avait avoué: «Il ne peut pas y avoir de choix démocratique entre les traités européens. On ne peut pas sortir de l'euro sans sortir de l'Union européenne.» Mardi, le commissaire Günther Oettinger a renchéri: «Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter.» Cette arrogance souligne l'irresponsabilité des eurocrates.
Qui pleurerait leur mise en congé? Dans C'était de Gaulle, Alain Peyrefitte relate sa conversation avec le Général, en 1964, à propos de l'impossibilité de quitter le traité de Rome. De Gaulle: «C'est de la rigolade! Vous avez déjà vu un grand pays s'engager à rester couillonné […]? Non. Quand on est couillonné, on dit: “Je suis couillonné. Eh bien, voilà, je fous le camp!”» Les Italiens, et bien d'autres, commencent à penser tout pareillement…
Despotisme bruxellois
Plus l'UE peine à séduire, plus elle se fait despote. Les citoyens réclament, partout, plus de démocratie directe et moins d'interdictions de penser. Mais Bruxelles s'entête dans une résistance incongrue. L'Europe force au silence des urnes insolentes et veut mettre sous surveillance le trop libre Internet. Au prétexte de lutter contre les «discours de haine», l'UE impose depuis 2016 un «Code de conduite»  aux acteurs des réseaux sociaux. Facebook, Twitter, YouTube, Microsoft, Instagram, Google+, Snapchat ont avalisé la traque au politiquement incorrect, également promu par la Silicon Valley et la macronie.
Cette préoccupation est légitime quand il s'agit de terrorisme ou de pédophilie en ligne. Elle est inquiétante quand l'UE prétend lutter contre des «propos racistes ou xénophobes». Quiconque émet des réserves sur les bienfaits de l'immigration ou de l'islam peut tomber sous ces accusations des censeurs. C'est ainsi que le compte Facebook de Génération identitaire a été fermé à la demande des pouvoirs publics, tandis que celui des black blocs, néofachos d'extrême gauche, reste ouvert.
En apparence, Macron se montre sensible à la liberté d'expression.
En apparence, Macron se montre sensible à la liberté d'expression. À ceux de la communauté turque en France qui ont exigé cette semaine le retrait des kiosques de la une duPointqualifiant le président turc de «dictateur», il a tweeté: «La liberté de la presse n'a pas de prix: sans elle, c'est la dictature.» C'est pourtant le chef de l'État qui est à l'origine de la proposition de loi liberticide sur les «fake news», actuellement examinée en commission des lois.
Cette législation viserait à faire cesser en référé la diffusion d'informations «manipulées» en période électorale. Cependant, le risque est de voir la justice décider ce qu'il serait permis de dire, en fonction d'une vérité d'État qui entrerait en contradiction avec la liberté d'expression et ses inévitables excès. Alors que les lois sur la presse multiplient, depuis 1881, les entraves à la libre parole, rien n'est moins urgent que ces nouveaux obstacles qui s'ajoutent à la dictature de la pensée officielle. Le nouveau monde ne se reconnaît pas dans cette macrocrature.
Geste héroïque
Même le FN n'a pas émis la moindre réserve après la décision du chef de l'État d'honorer Mamoudou Gassama pour son geste héroïque, filmé et diffusé sur Internet. Ce jeune clandestin malien, qui a sauvé un enfant en escaladant quatre étages d'un immeuble parisien en moins de 40 secondes, a été reçu à l'Élysée avant d'être régularisé. Sa naturalisation sera accélérée. Le geste de Marin, jeune Lyonnais grièvement blessé en 2016 pour être venu à l'aide d'un couple agressé parce qu'il s'embrassait, n'a pas eu droit à un tel engouement. La naturalisation des héros étrangers accélèrera-t-elle semblablement la déchéance de nationalité des crapules?

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Italie: l’Europe contre les peuples (épisode 3) (28.05.2018)
Quand le peuple a tort, il faut lui faire entendre raison
Par Henri Temple  - 28 mai 2018
Le chef de gouvernement désigné, Giuseppe Conte, a renoncé à devenir président du Conseil. Ici à Rome, le 23 mai 2018. SIPA. AP22204946_000013

L’Irlande et la France l’ont appris lors des référendums européens de 2005 et 2008: quand le peuple a tort, il faut lui faire entendre raison. En Italie, le chef du gouvernement désigné, Giuseppe Conte, a renoncé à devenir président du Conseil après que le président de la République, Sergio Mattarella, a refusé la nomination d’un ministre des Finances eurosceptique.

Sergio Mattarella, président de la quatrième économie européenne, a donc pris la lourde responsabilité de bloquer le processus démocratique en Italie. Il s’est, en effet, opposé à la désignation de certains ministres proposés par le président du Conseil, Giuseppe Conte, mandaté par Luigi Di Maio (M5S) et Matteo Salvini (Ligue du Nord), larges vainqueurs du dernier scrutin législatif. Giuseppe Conte voulait notamment nommer aux Finances l’eurosceptique Paolo Savona.
Le peuple italien sera « européen » ou ne sera pas
La presse en général, française en particulier, diffuse massivement la fausseté selon laquelle ce président serait dans son droit en garantissant le respect des traités européens et l’euro. Or les pouvoirs du président de la République sont strictement délimités par les articles 87 et 92 de la constitution italienne. « Il représente l’unité nationale (…) ratifie les traités internationaux après, s’il y a lieu, l’autorisation des Chambres (ratifica i trattati internazionali, previa, quando occorra, l’autorizzazione delle Camere). Il a le commandement des Forces armées, préside le Conseil suprême de défense constitué suivant la loi, déclare l’état de guerre décidé par les Chambres », précise l’article 87. Quand l’article 92 déclare : « Le président de la République nomme le président du Conseil des ministres et, sur proposition de ce dernier, les ministres (Il Presidente della Repubblica nomina il Presidente del Consiglio dei ministri e, su proposta di questo, i ministri) ».
Or, ce dimanche soir, le chef du gouvernement désigné par la coalition représentant plus des deux tiers des Italiens, Giuseppe Conte, a renoncé à ses fonctions en raison du refus juridiquement injustifié de Sergio Mattarella de nommer le gouvernement choisi par les vainqueurs de l’élection. On voit bien que le maintien dans l’euro et dans l’Europe est l’impératif sous-jacent. Il y aura donc probablement de nouvelles élections et entre-temps, pendant 3 ou 4 mois, un gouvernement transitoire désigné par Sergio Mattarella, et sans doute présidé par Carlo Cottarelli, un apparatchik du Fonds monétaire international (FMI), convoqué dès lundi par Mattarella, ce qui en dit long sur les puissances effectives qui se substituent désormais aux démocraties en Europe.
« Il est inutile d’aller voter… »
Comment le peuple italien va-t-il réagir, ainsi frustré de son choix démocratique ? Le système européen, euro compris, est à bout de souffle et discrédité, et ceux qui en tirent des profits personnels, ainsi que le système financier mondial, ont décidé de ployer les peuples. Sergio Mattarella (cynisme ou inconscience ?) l’a même clairement reconnu : « La désignation du ministre de l’Économie constitue toujours un message immédiat de confiance ou d’alarme pour les opérateurs économiques et financiers », a-t-il expliqué à la presse. « J’ai demandé pour ce ministère un représentant politique de la majorité cohérent avec l’accord de programme (…) qui ne soit pas vu comme le soutien à une ligne qui pourrait provoquer la sortie inévitable de l’Italie de l’euro. » Matteo Salvini et Luigi Di Maio ont immédiatement pris le pays à témoin et dénoncé un coup de force contre la démocratie: « Il est inutile d’aller voter, puisque les gouvernements ce sont les agences de notation, les lobbies financier et bancaire qui les font », a osé Luigi Di Maio. « Nous ne sommes pas une colonie des Allemands ou des Français », a rappelé Matteo Salvini.
Sergio Mattarella, ministre membre de la démocratie chrétienne jusqu’à la disparition de ce parti dans des scandales de corruption en 1994, a tout de même surnagé. Il est devenu président grâce à l’appui de Matteo Renzi en 2015. Une certaine eurocratie défend, semble-t-il, ses privilèges et tente de subjuguer le peuple italien comme elle l’a fait avec son cousin grec. Tout s’est mis en place pour le grand dénouement final européen. Les responsables n’en seront pas les peuples d’Europe mais ceux qui ont essayé d’en profiter.

Fusillade à Liège: le terroriste était un multirécidiviste (30.05.2018)

Par Jean Comte
Mis à jour le 30/05/2018 à 21h19 | Publié le 30/05/2018 à 19h19
VIDÉO - L'auteur des faits, un Belge de 31 ans, qui s'était il y a peu orienté vers l'islam radical, a très tôt versé dans la délinquance.
À Bruxelles
Sous le choc, la Belgique essayait mercredi de retracer l'itinéraire de Benjamin Herman, le détenu de 31 ans qui avait assassiné la veille deux policières et un étudiant dans la ville de Liège avant d'être à son tour abattu par les forces de l'ordre. Habitué aux démêlés judiciaires depuis ses 16 ans, le jeune Belge purgeait en prison une série de courtes peines cumulées. Il était coupable de faits d'incendie, de coups et blessures et d'un braquage, et était libérable en 2020, selon les médias belges.
«J'avais vu qu'il s'était radicalisé, d'ailleurs il me disait qu'il était vraiment musulman»
Un des codétenus de Benjamin Herman
Le parquet essaie actuellement de confirmer qu'il a agi seul. Une enquête séparée a été ouverte sur le meurtre d'un de ses anciens codétenus, qu'il aurait assassiné à coups de marteau lundi soir. La présence de Benjamin hors de la prison, mardi, avait été autorisée par les autorités pénitentiaires dans le but de préparer sa réinsertion. «Une décision normale», a précisé mercredi matin Koen Geens, le ministre de la Justice. «Il avait déjà eu 13 congés pénitentiaires de cette sorte, qui s'étaient bien passés.»
Radicalisation en prison
Selon les services pénitentiaires, Benjamin «ne représentait pas un danger terroriste». Le motif de ses actes ne fait pourtant aucun doute. Outre le fait qu'il ait hurlé «Allah akbar» durant son épopée meurtrière, le parquet belge a pointé le mode d'action typique de l'État islamique (attaque de deux policiers avec un couteau, puis utilisation de leur arme de service), ainsi que les contacts que le tueur aurait eus avec d'autres détenus radicalisés, fin 2016 et début 2017. «J'avais vu qu'il s'était radicalisé, d'ailleurs il me disait qu'il était vraiment musulman», a témoigné l'un de ses codétenus à la Radio-télévision belge (RTBF). Mercredi soir, l'État islamique a revendiqué l'attaque, via son agence de propagande Amaq.
«Le dispositif en place est inefficace, voire contre-productif»
Georges Dallemagne, député belge
Dans un pays encore sous le choc des attentats survenus le 22 mars 2016, l'attaque risque de relancer le débat sur la prévention de la radicalisation en prison. «Le dispositif en place est inefficace, voire contre-productif», explique au Figaro le député belge Georges Dallemagne (Centre démocrate humaniste, centriste).
Lancé en mars 2015, le plan belge de lutte contre la radicalisation en prison s'appuie principalement sur la création de cellules très isolées (baptisée «D-Rad: ex») pour les détenus les plus radicalisés. «Mais le confinement n'est que relatif, et ses individus ont des contacts hors de la cellule», précise Georges Dallemagne. Le député ajoute qu'il manque de nombreux autres éléments cruciaux, dont la possibilité d'un soutien psychologique pour les nouveaux détenus à leur arrivée en prison ou l'existence de conditions plus strictes pour ceux répertoriés comme en phase de radicalisation lorsqu'ils accèdent à une sortie.
Un rapport publié par le Parlement belge en octobre dernier pointait également le manque de stratégie de déradicalisation auprès des détenus les plus extrêmes. Selon Georges Dallemagne, citant des chiffres fournis il y a quelques mois par le ministère de la Justice, le système carcéral belge compterait environ 450 détenus radicalisés, dont 46 représentants une menace grave de prosélytisme. Seuls 22 seraient incarcérés dans les cellules «D-Rad: ex».

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Liège : les faits qualifiés «d'assassinat terroriste» par le parquet fédéral belge (30.05.2018)

Par Valentine Arama
Mis à jour le 30/05/2018 à 15h11 | Publié le 30/05/2018 à 12h13
VIDÉO - La porte-parole du parquet est revenue sur le déroulé précis de la fusillade survenue mardi à Liège, où trois personnes ont perdu la vie. L'auteur des faits est aussi suspecté d'un meurtre commis avant la tuerie.
Il s'agit bien d'un «assassinat terroriste et d'une «tentative d'assassinat terroriste». La justice belge a en effet retenu cette qualification pour l'attaque qui a fait trois morts mardi à Liège, avant que son auteur ne soit abattu. «Les premiers éléments de l'enquête indiquent qu'il pourrait s'agir d'un attentat terroriste», a expliqué Wenke Roggen, la porte-parole du parquet fédéral, précisant que l'enquête sur l'auteur «se concentre actuellement sur la question de savoir s'il a agi seul».
● Le déroulé de l'attaque
«L'assaillant a d'abord asséné plusieurs coups de couteau à deux policières qui se tenaient de dos puis il a volé l'arme de service de l'une d'elles avant de leur tirer dessus. Avec cette arme, l'assaillant a ensuite tiré à plusieurs reprises sur un véhicule, dans lequel se trouvait un passager. Ce dernier a été blessé mortellement», a précisé la porte-parole. Il s'agissait d'un étudiant de 22 ans.
Devant la presse, Wenke Roggen a confirmé que l'assaillant avait crié à plusieurs reprises «Allah akbar!» lors de son parcours meurtrier. Après avoir tiré sur un autre véhicule, cet homme de 31 ans est entré dans une école où il a pris une femme en otage. Cette dernière s'en est sortie indemne. «Il est ensuite sorti l'arme à la main et a échangé plusieurs coups de feu avec les forces de l'ordre», selon la porte-parole du parquet. Quatre policiers de la brigade anticriminalité ont été blessés lors de cet échange de coup de feu. Selon Wenke Roggen, l'enquête sera longue, mais il pourrait s'agir du «modus operandi de l'État islamique». Et de rappeler: «Dans cette attaque, les policiers étaient clairement visés».
● L'auteur des faits s'était radicalisé en prison
Quant au profil de l'assaillant, il se précise petit à petit. Il s'agit de Benjamin Herman, un Belge de 31 ans. Entré en prison à 17 ans pour des faits de droit commun, il s'est converti à l'islam pendant sa détention. L'administration pénitentiaire s'est récemment rendu compte qu'il fréquentait des détenus radicalisés depuis 2016. Il était d'ailleurs fiché par la police pour ses contacts en prison.
Selon des détenus interrogés dans la prison où il était incarcéré, il avait une pratique «rigoureuse» de l'islam. Lundi, il a quitté sa prison dans le cadre d'un congé pénitentiaire. Une permission qui devait lui permettre de préparer sa réinsertion. Selon la porte-parole du parquet, «il a profité de cette permission pour passer à l'acte». En effet, Benjamin Herman devait rejoindre sa prison dès mardi.
● Suspecté d'avoir commis un meurtre avant la fusillade
Cet homme est également suspecté d'un autre meurtre, survenu dans la nuit de lundi à mardi à On, près de Rochefort, commune d'origine de l'assaillant. La victime est un SDF, qui s'est avéré être toxicomane. Selon le parquet belge, ce meurtre serait donc déroulé sur fond de trafic de stupéfiants. Une analyse toxicologique va par ailleurs être réalisée sur Benjamin Herman.
L'homme de 31 ans «est aussi suspecté d'un meurtre commis à On, près de Marche-en-Famenne», a rapporté Wenke Roggen, porte-parole du parquet fédéral lors d'une conférence de presse. «Les circonstances exactes de ces faits font l'objet d'une enquête distincte», a-t-elle ajouté.
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Quand Gérard Collomb évoque le «benchmarking» des migrants en Europe (30.05.2018)
Par Arthur Berdah et Jules PecnardMis à jour le 30/05/2018 à 20h05 | Publié le 30/05/2018 à 17h46
LE SCAN POLITIQUE - En commission des lois au Sénat, le ministre de l'Intérieur a ironisé sur les migrants qui se dirigent vers «les législations» considérées comme «les plus fragiles». Il a immédiatement été critiqué à gauche.
Sur les bancs du Sénat, certaines polémiques se suivent et se ressemblent. Après que la ministre des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, a évoqué le «shopping de l'asile» en avril dernier (une «expression malheureuse» dont elle a regretté l'emploi), son collègue Gérard Collomb, l'a quasiment paraphrasée ce mercredi. En commission des lois au Palais du Luxembourg, le ministre de l'Intérieur a estimé que certains migrants faisaient une étude de marché avant de choisir leur lieu d'arrivée en Europe.
«Il n'y a pas que le Sénat qui fait du benchmarking. Les migrants aussi font un peu de benchmarking pour regarder les législations à travers l'Europe qui sont, on va dire, les plus fragiles. Et voyez encore que telle nationalité - là encore, je ne citerai pas - se dirige plutôt sur tel pays, non pas parce qu'elle est plus francophile, mais tout simplement parce que jusque-là, c'est plus facile», a-t-il ironisé en suscitant les rires de son auditoire, comme le rapporte la séquence captée par Public Sénat.
«Entendre tout ça est inadmissible», déplore Esther Benbassa
Estimant qu'il «vaut mieux aller (en France) plutôt que de se faire rejeter assez vite dans un autre pays», le locataire de Beauvau a cité l'exemple de l'Allemagne et regretté que «nous, on peine à traiter (les demandes d'asile) en trois ans» alors que certains «pays voisins» les traitent «quelques fois» en «deux semaines» seulement. «Donc, évidemment, les gens comparent un peu et se disent: “bah voilà, vaut mieux essayer d'aller dans tel pays”», a-t-il finalement conclu.
Une sortie qui a immédiatement suscité des critiques à gauche. Invitée de Public Sénat, la sénatrice EELV Esther Benbassa a jugé qu'«entendre tout ça est inadmissible». «On utilise des mots qui sont vraiment inadmissibles pour parler de ces humains qui sont dans les rues, qui traînent», a-t-elle déploré, estimant que la France était «un shopping meurtrier» pour eux. Sur Twitter, la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie a abondé en jugeant que le propos de Gérard Collomb était «honteux».
Contacté par Le Figaro, le ministère de l'Intérieur assume le terme, affirmant que l'idée derrière était avant tout «d'expliquer que le gouvernement avait fait un benchmarking pour s'aligner sur le droit européen, parce que les migrants faisaient leur propre benchmarking». Une harmonisation rendue d'autant plus nécessaire, selon Beauvau, que l'Union européenne «est un espace de libre-circulation où les migrants eux-mêmes, souvent manipulés par des filières, se glissent dans les différences de législation».

Le Pen propose à Dupont-Aignan de faire «liste commune» pour les européennes (31.05.2018)

Par Jules Pecnard
Mis à jour le 31/05/2018 à 18h02 | Publié le 31/05/2018 à 17h34
LE SCAN POLITIQUE - Dans une lettre ouverte, la présidente du FN propose au député de l'Essonne la rédaction d'une «charte commune pour établir les priorités pour transformer l'Union européenne.
Elle a bon espoir de réparer le couple. Dans une lettre ouverte publiée ce jeudi, la présidente du Front national, Marine Le Pen, propose à son homologue de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, de faire liste commune pour les élections européennes de 2019. Un an après leur alliance «historique» scellée durant l'entre-deux-tours de la présidentielle, la dirigeante frontiste appelle le député de l'Essonne à participer à la rédaction d'une «charte commune qui établira les priorités et les mesures essentielles pour transformer l'Union européenne en une Europe des Nations, des coopérations et des libertés».
«Je t'ai suggéré notre présence symbolique aux deux dernières places de cette liste avec un double objectif: pousser la liste vers les sommets en démontrant notre totale implication dans ces élections européennes et nous mettre, nous deux, présidentiables, chefs de partis et députés nationaux, au seul service de l'intérêt supérieur de notre pays au-delà de toute ambition personnelle», écrit Marine Le Pen au député souverainiste de l'Essonne.
Stratégie de rassemblement
Ce propos, la députée frontiste du Pas-de-Calais l'avait esquissé la veille durant l'émission «Zemmour & Naulleau» sur Paris Première. «Je souhaite faire une alliance avec le mouvement de Nicolas Dupont-Aignan. Nous avons la même vision de l'UE, (...) comme nous sommes tous les deux des chefs de parti, il fallait que l'on mette en avant cette alliance, (...) et j'attends la réponse de Nicolas Dupont-Aignan. J'attends qu'il revienne vers moi. Et nous ouvrirons cette liste d'alliance à des LR (Les Républicains), car il y a des LR qui pensent comme nous», déclarait-elle.
Selon l'intéressée, FN et DLF sont devenus «des acteurs incontournables d'une recomposition autour du véritable clivage mondialistes/nationaux». Depuis sa défaite à l'élection présidentielle, Marine Le Pen tente péniblement de construire une stratégie d'alliance avec les autres formations souverainistes françaises. Et ce malgré les distances prises par Nicolas Dupont-Aignan vis-à-vis du FN et le départ de Florian Philippot, à la tête des Patriotes, qui peine à exister mais qui joue malgré tout sur le même terrain. Rien que ce mardi, Le Figaroet L'Opinion révélaient que l'ex-conseiller économique de la députée du Pas-de-Calais, Bernard Monot, claquait la porte du FN pour rejoindre Debout la France.
Pour atteindre son objectif, la fille de Jean-Marie Le Pen a décidé de rebaptiser le FN «Rassemblement national». Une appellation qui devrait voir le jour ce vendredi, à l'issue d'un conseil national (le parlement du parti) organisé à Lyon. De son côté, Nicolas Dupont-Aignan a constitué une plateforme des «Amoureux de la France», à laquelle se sont ralliés le président du Parti Chrétien-Démocrate, Jean-Frédéric Poisson, et le patron du Centre national des indépendants et paysans (Cnip), Bruno North. Les trois leaders ont présenté lundi une ébauche de «programme commun» en vue des élections européennes.
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Yémen : plongée dans le chaos de la guerre oubliée (31.05.2018)
Par Georges Malbrunot et Service InfographieMis à jour le 31/05/2018 à 20h11 | Publié le 31/05/2018 à 18h26
REPORTAGE - Plus de 10.000 morts, 2 millions d'enfants malnutris, un choléra menaçant et une guerre qui n'en finit pas... Coupé en deux, le Yémen est livré à la loi des groupes armés.
De notre envoyé spécial à Aden, Lahej et Bab el-Mandab,
Du jour au lendemain, Abdel Khalek a troqué ses filets de pêche contre un kalachnikov. Son village d'Abnazer, sur la mer Rouge, était menacé par les rebelles houthistes, qui s'en approchaient. «Ils sont rentrés en progressant maison par maison. Ils avaient des listes d'habitants ayant rejoint la résistance, qui leur avait été fournies par certains collaborateurs», se rappelle ce jeune pêcheur à la peau cuivrée, vêtu de la fouta traditionnelle, sorte de kilt version yéménite.
Comme tant d'autres, la guerre s'est imposée à lui. «On était incapable de manier un kalachnikov, dit-il. Mais avec mes amis, on a décidé de faire le maximum pour chasser les houthistes.» À Abnazer, les miliciens chiites ont transformé certaines maisons en postes d'observation quand d'autres, comme celle d'Abdel Khalek, ont été dynamitées. «Dès qu'ils attaquent un village, les houthistes disent à la population: ne vous inquiétez pas! On est là pour lutter contre Daech, pas contre le peuple yéménite. Le problème, c'est qu'ils nous prennent tous pour des djihadistes.» Abdel Khalek s'est retrouvé «piégé» : «On pensait que la résistance allait rapidement chasser les houthistes», mais les combats ont duré. Ils ont fait plus de quarante martyrs chez les «résistants». Finalement, la coalition anti-houthistes a repris Hays. Mais autour, la guerre fait toujours rage.
Comme des milliers d'autres déplacés, Abdel Khalek a tout laissé derrière lui, avant de partir seul. Puis, son épouse et leurs deux enfants l'ont rejoint. La famille s'entasse désormais dans une masure en brique d'un camp de réfugiés à 130 km plus au sud, près du mythique détroit de Bab al-Mandab, à la pointe sud de la péninsule arabique, où se mêlent les eaux de l'océan Indien et de la mer Rouge.
«Les houthistes et la coalition sont tous méchants!»
Sans climatisation ni électricité, la chaleur est écrasante. Mais Abdel Khalek est accoutumé. Ce qui manque cruellement, c'est l'eau potable. «On doit aller loin, au pied de la montagne pour en récupérer», se plaint le pêcheur. Ailleurs, sur la ligne de front, les mines laissées par les houthistes dans leur retraite empêchent les villageois d'aller en quête du précieux liquide. Depuis Moka jusqu'à Bab al-Mandab, la région côtière est submergée de déplacés. Plus de 100.000 personnes ont été jetées sur les routes, depuis décembre. «Bien sûr que je veux rentrer chez moi, même si je dois mourir sur une mine, je ne veux pas être un immigré», peste Abdel Khalek, nu-pieds dans le sable.
À deux pas d'une mer turquoise, un autre groupe de déplacés sort de ses abris de fortune. Eux aussi voudraient rentrer dans leur village de Simar, maintenant qu'il a été libéré par les hommes de Tareq Saleh, le neveu de l'ancien président du Yémen, assassiné en fin d'année dernière. «Les houthistes et la coalition sont tous méchants!» s'emporte Ahmed. Pendant de longs mois, les Émiriens leur ont interdit la pêche autour de Moka. Ils redoutaient les attaques houthistes au bateau kamikaze. Maher, 50 ans, enrage, lui aussi, mais pour une autre raison. Depuis deux ans, Dubab, sa ville, un peu plus au nord, a été reprise aux houthistes, mais elle reste occupée par des soldats soudanais de la coalition, qui interdisent le retour des déplacés. «Il y a un mois, des habitants de Dubab ont essayé de revenir, mais la coalition nous a tiré dessus, regrette Maher. Tout notre matériel de pêche est là-bas, on voudrait au moins le récupérer pour pêcher ici.» Des femmes et leurs enfants font la queue pour récupérer de la nourriture, au Yémen, en mai 2018.

Des femmes yéménites font la queue avec leurs enfants pour récupérer de la nourriture. - Crédits photo : ABDO HYDER/AFP
La ligne de front n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres. Elle n'a guère bougé en quatre ans de conflit. Le prochain objectif, c'est le port de Hodeïda au nord, et une fois de plus, les ONG redoutent un afflux de déplacés. Les forces de la coalition, qui n'en sont plus qu'à 20 km, veulent couper la route de Sanaa aux houthistes qui tiennent la capitale, avant d'encercler Hodeïda et son port, par lequel l'Iran livrerait des armes, notamment des missiles, aux houthistes. À 80 km dans les terres, plus à l'est, il y a aussi le front de Taizz, où 39 groupes armés s'affrontent dans cette guerre oubliée qui a coupé le Yémen en deux. Dans six provinces du Nord, les houthistes. Au sud et à l'ouest, un gouvernement légitime d'un pays failli, livré à une myriade de factions armées, souvent instrumentalisées par ses voisins, où l'Arabie saoudite et l'Iran s'affrontent par relais interposés.
« Le Yémen n'existe plus ! » Combien de fois a-t-on entendu cette complainte en une semaine de reportage dans ce pays meurtri ? À côté, la Syrie ou l'Irak font presque figure de havre de stabilité
Depuis 2014, le pays le plus pauvre de la péninsule arabique est déchiré par une guerre entre les forces loyales au président Abd Rabbo Mansour Hadi, soutenues par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, et les houthistes, des rebelles chiites venus du Nord, appuyés par l'Iran. Ces derniers, qui se plaignaient d'être marginalisés, se sont emparés en septembre 2014 de Sanaa et en ont chassé le gouvernement, avant de progresser jusque dans le Sud. Grâce à l'intervention en mars 2015 d'une coalition militaire arabe, conduite par l'Arabie saoudite avec les Émirats arabes unis en appui, et épaulée par les Occidentaux, les troupes gouvernementales ont reconquis une partie du Sud, y compris le siège du gouvernement à Aden.
«Le Yémen n'existe plus!» Combien de fois a-t-on entendu cette complainte en une semaine de reportage dans ce pays meurtri? À côté, la Syrie ou l'Irak font presque figure de havre de stabilité. Le Yémen et ses 25 millions d'habitants, majoritairement sunnites avec une forte minorité chiite, est quasiment coupé du monde. L'Arabie a fermé l'aéroport de Sanaa aux vols internationaux. Riyad n'autorise que les avions de certaines ONG à se poser dans la capitale, mais sans journalistes. Celui d'Aden au sud reste ouvert à quelques liaisons improbables vers l'Égypte, la Jordanie et le Soudan. Le bâtiment sans panache garde encore les stigmates d'affrontements. À la sortie, un premier barrage est tenu par des forces sudistes, qui déploient leur drapeau, frappé de l'étoile verte.
«Il n'y a plus d'État, c'est le chaos»
À Aden, le conflit contre les houthistes s'est terminé fin 2015. Mais depuis, c'est le règne des chefs de guerre, et des liquidations. Le 16 mai, la doyenne de l'Université des sciences a été assassinée avec son fils et sa petite-fille. Avant l'occupation houthiste, Ayman, 27 ans, était comptable dans un hôtel. Il a participé à la libération d'Aden, mais depuis, il est au chômage, et rumine sa rancœur. «Au début, dit-il, le rôle de la coalition était clair, il s'agissait de chasser les houthistes. Mais depuis leur départ, l'objectif de la coalition a dérivé vers une occupation de la région par les Émirats. Ils ont formé des milices armées, qui opèrent en dehors de l'armée du président Hadi. Dans chaque gouvernorat, à Aden, Lahej, Hadramaout et Shabwa, les Émirats ont établi une base militaire qui recrute ce qu'ils appellent les élites de la région qu'ils paient bien.»
Libérés des houthistes, les Adénis n'en continuent pas moins de tirer le diable par la queue. Dans une rue du quartier de Khor Matsar, trois fois par semaine, des dizaines de personnes attendent pour s'approvisionner en gaz de cuisine. «La vie est très difficile, s'insurge Zaïd Saleh, 64 ans, en poussant sa bonbonne vide. On ne peut acheter qu'une bouteille par famille. Et le prix a beaucoup augmenté. On n'a de l'électricité que par tranches de deux heures. La plupart des stations d'essence sont fermées. Il n'y a plus d'État. C'est le chaos.» Ce général en retraite de l'ancienne armée du Yémen du Sud est nostalgique de la période (1967-1990) où le Sud s'était séparé du Nord. «Cela fait huit mois que je n'ai pas touché ma retraite, et 25 ans qu'on réclame une amélioration de notre condition», grogne-t-il, les lunettes de soleil sous son chaal, le keffieh yéménite.

À Aden, la nostalgie s'est estompée. Tel un écrin autour de la ville, les crêtes des pitons volcaniques du mont Shamsan se découpent sur un ciel invariablement bleu. Mais ses lieux mythiques sont délabrés. En face de la mosquée al-Rihab, la maison, où séjourna Arthur Rimbaud, s'appelle le Rambo Tourist Hotel. Les fenêtres sont murées, et personne ne se souvient plus de l'écrivain, sauf quelques jeunes, persuadés qu'il se dénommait en fait Rambo. L'époque coloniale britannique, qui prit fin en 1967 avec le départ de 30.000 soldats, n'est plus qu'un lointain souvenir.
Alors que les chants des muezzins résonnent des mosquées en contrebas, des enfants jouent au ballon au pied de l'édifice en briques grises, dont trois horloges sont arrêtées depuis bien longtemps
Au coin d'une rue, une pancarte kitsch signale le parc de la reine Victoria. La réplique en miniature de Big Ben a survécu tant bien que mal, au sommet du quartier Tawahi. Entre chiens et loups, alors que les chants des muezzins résonnent des mosquées en contrebas, des enfants jouent au ballon au pied de l'édifice en briques grises, dont trois horloges sur quatre sont arrêtées depuis bien longtemps. Une grappe de jeunes en haillons mâche le qat - l'herbe euphorisante dont la culture absorbe la moitié des réserves en eau du pays - assis par terre avec une vue imprenable sur le port où quelques navires de commerce mouillent encore. Difficile d'imaginer qu'en 1958, Aden était le deuxième port du monde en volume de trafic, derrière New York. Au pied de Big Ben, une église témoigne encore d'un passé révolu: il y a bien longtemps qu'il n'y a plus de chrétiens à Aden, sauf une poignée d'Indiens.
Les plus jeunes ne regrettent pas l'Aden cosmopolite - sublimée par Joseph Kessel ou les guérilleros révolutionnaires Carlos, Georges Habache et la bande à Baader. Mais certains anciens si. Chaque matin, la canne à la main, Ahmed, un charpentier de 74 ans, s'assoit dans la rue Arwa et ressasse le glorieux passé. «Dans le monde arabe, chaque groupe de musulmans se mange entre eux, dit-il. Mais au Yémen, c'est encore pire, chacun dépèce l'autre. À l'époque des Britanniques, c'était parfait. Il y avait des Somaliens, des Juifs, des Perses, des chrétiens, et personne ne t'empêchait de vivre, comme tu l'entendais. Il y avait des cafés, des cinémas! Regardez, en face c'était un cinéma. Maintenant, le bâtiment est muré.»
L'indépendance du Sud
Sur la corniche, les grands hôtels, comme le Mercure, sont éventrés. La guerre de libération des houthistes a été sanglante. Mais quand les miliciens chiites ont été chassés d'Aden, ce sont les djihadistes de Daech et d'al-Qaida, qui ont comblé le vide. «Ils tenaient des barrages avec leurs drapeaux noirs dans certains quartiers comme al-Mansoura», se souvient un employé d'une ONG. Des gangs criminels, agissant pour le compte de Daech, pillèrent le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui fut contraint de quitter Aden.
Le piège se refermait: les djihadistes, qui avaient participé aux côtés des sudistes et des forces de Hadi à la guerre contre les houthistes, attaquèrent le gouvernement loyaliste et des troupes de la coalition. Les alliés américains et français de cette dernière s'inquiétèrent de la complaisance saoudienne envers les extrémistes. En coulisses, les Émirats, alliés de Riyad mais obsédés par la menace islamiste, passèrent à l'action et formèrent la «ceinture de sécurité». C'est le plus puissant des groupes armés aujourd'hui à Aden. Milice? Escadrons de la mort? Force régulière? Ses hommes circulent sans plaque minéralogique. «OK, mais en juin 2016, le président Hadi m'a nommé par décret à leur tête», fait valoir leur chef Mounir al-Yafeï, dit Abou Yamamah.
En tenue léopard, l'écouteur de son portable à l'oreille, il nous reçoit, flanqué d'une escouade de gardes du corps. Sa tête est mise à prix, il a échappé à plusieurs attentats. «Notre mission, dit-il, est de réagir dans l'urgence contre les terroristes». Daech et al-Qaida? «Bien sûr, mais aussi les Frères musulmans, qui ont créé al-Qaida et Daech.» La preuve? «On a arrêté le 16 mars le fils de Mohammed al-Makhtiari. Ce dernier était le garde du corps d'Abdel Majid al-Zindani, le chef d'al-Islah, le parti lié ici aux Frères musulmans. Un de ses fils est parti au djihad en Syrie, l'autre commandait une cellule de Daech à Aden qui a commis des assassinats, mais le père lui a réussi à fuir à Marib». Le fils a parlé pendant les interrogatoires, probablement musclés. S'en est suivie l'arrestation d'une centaine de personnes liées à cette cellule, dont des anciens prisonniers yéménites, rentrés de Guantanamo.
De son portable, Abou Yamamah exhibe des photos montrant des talkies-walkies, des ordinateurs, des caméras, de nombreux téléphones portables, pris aux djihadistes. «Et regardez ça: des caméras de haute qualité que les terroristes collaient à leur front pour filmer leurs crimes. Elles ont été données par la CIA aux unités antiterroristes du gouvernement, avant la révolution de 2011!»
«Les généraux de la garde présidentielle ont été écartés, ne restent que les troufions comme moi qui n'ont qu'une arme légère et restent à la maison»
Un combattant pro-saoudiens
Au Yémen, la lutte antiterroriste a toujours pris la forme d'un gruyère. Dans ce pays de tribus, les alliances sont éminemment fragiles. Mais ce qui rend furieux Abou Yamamah, c'est que le père Makhtiari ait réussi à trouver refuge dans la province de Marib plus au nord, où al-Qaida dispose encore de sanctuaires, ainsi que dans la région d'al-Bayda où les drones américains éliminent régulièrement des ténors djihadistes. «Il est protégé par Ali Mohsen», jure-t-il. Qui est Ali Mohsen? Le vice-président de Hadi, que tout le monde accuse d'avoir partie liée avec des islamistes radicaux. «Comment la France peut-elle appuyer un tel gouvernement?» interpelle Abou Yamamah.
À Aden et dans le Sud, le président soutenu par la communauté internationale est nu. Ses portraits jalonnent les artères du bord de mer. Mais ses ministres sont absents. «C'est un gouvernement en décomposition», confirme un humanitaire. Depuis plus d'un an, Hadi lui-même n'a pas remis les pieds à Aden. Et lorsqu'il venait, il prenait un hélicoptère de l'aéroport jusqu'au siège de la garde présidentielle au camp d'al-Maashiq sur un fortin. Un camp presque vide aujourd'hui. En janvier, les hommes de la «ceinture de sécurité» ont affronté pendant 40 heures les militaires pro-Hadi, retranchés dans le camp. Il a fallu une intervention des Émirats pour que leurs relais ne fassent pas une bouchée des pro-saoudiens. Depuis, se plaint un de ces derniers, «les généraux de la garde présidentielle ont été écartés, ne restent que les troufions comme moi qui n'ont qu'une arme légère et restent à la maison».
Gouvernement fantoche
Surfant sur l'impopularité du gouvernement Hadi, les Sudistes poussent les feux de l'indépendance. «C'est notre objectif à moyen terme que même nos enfants répètent chaque matin dans les écoles», affirme Ahmed Lamlas, secrétaire général du Conseil de transition du Sud, sorte de gouvernement en attente.
Après l'épisode djihadiste, les Sudistes ont ramené un certain calme à Aden grâce à la «ceinture de sécurité». Mais à quel prix? Certains les soupçonnent d'être derrière la récente campagne d'assassinats d'une vingtaine d'imams, proches des islamistes d'al-Islah, leur bête noire. Les Sudistes ne contrôlent qu'une partie d'Aden. Certains quartiers où vivent de nombreux islamistes leur échappent encore. Entre Sudistes pro-émiriens et islamistes soutenus par l'Arabie, l'indépendance du Sud ne sera pas une partie de plaisir.

Des échanges de tirs ont eu lieu entre les troupes yéménites, soutenues par les Saoudiens, et les rebelles houthistes, lors d'une offensive sur la ville portuaire d'al-Hodeïda, le 15 mai. - Crédits photo : Asmaa Waguih/REDUX-REA/Asmaa Waguih/REDUX-REA
Émiriens et Saoudiens sont alliés à l'ouest et au nord contre les houthistes, mais ils n'ont pas le même ordre de priorité. Riyad veut d'abord le départ des miliciens pro-iraniens de Sanaa, pour sécuriser sa frontière sud avec le Yémen. Les Émirats, de leur côté, jouent à fond la carte d'un Sud indépendant qui leur donnerait un contrôle sur le trafic maritime dans l'océan Indien. Entre alliés, le fossé s'est encore creusé avec la tentative récente d'OPA des Émirats sur l'île yéménite de Socotra, où Abu Dhabi a installé une base militaire.
«Les Saoudiens qui dirigent la coalition sont agacés, relève un autre humanitaire, mais comme c'est du sud que l'offensive anti-houthistes progresse, les Émiriens peuvent leur répondre que ce sont eux qui se battent au sol, tandis que les Saoudiens ne font que bombarder depuis le ciel.» Et les Sudistes sont, désormais, écoutés du nouvel envoyé des Nations unies pour le Yémen, le Britannique Martin Griffith, qui vient de rencontrer les leaders sudistes à Abu Dhabi, après avoir été interdit de le faire à Aden, par le gouvernement Hadi.
L'effondrement des structures de santé
Allongé sur son lit à l'hôpital Ibn-Khaldoun de Lahej, Racha crie. Visage décharné, joues creuses, le bébé de deux mois a contracté une diarrhée aiguë et souffre de malnutrition, un fléau qui touche deux millions d'enfants. Racha fait partie du flot des déplacés de Moka. Ses parents ont dû parcourir 200 km avant de trouver un centre de santé. «La pauvreté, la mauvaise qualité de l'eau et l'éducation familiale sont les causes de ces maladies», répond Dounia, l'infirmière qui veille sur Racha. Ses parents sont réfugiés au camp de Fiyouch à une dizaine de kilomètres. Une séance de vaccination se tient ce matin-là au centre de l'ONG Save The Children. «Ah, vous êtres français!» lance Mohammed, un assistant. «On avait des Français au centre salafiste de Fiyouch, se rappelle notre interlocuteur. Mais au début de la guerre, le cheikh qui dirige la madrasa leur a demandé de partir. Il avait peur qu'ils rejoignent les djihadistes. Le gouverneur de Lahej et le consul algérien à Aden sont venus. Le consul leur a fourni des passeports algériens. La plupart sont rentrés en France ou en Algérie, mais deux ou trois Français sont restés et ont ouvert des restaurants à Aden.» Quant au cheikh, il a été liquidé ensuite par al-Qaida.
«L'école qu'on voulait intégrer réclamait nos certificats de naissance, mais comme on a tout laissé au village, on ne les avait pas. Ils nous ont alors demandé de retourner dans notre village !»
Rima, 15 ans
Sans chef pour tenir les composantes de la mosaïque tribale, le Yémen se meurt, mais Ubu y est roi. Dans le bidonville d'al-Eswa, près d'Aden, Rima, 15 ans et ses trois sœurs, des déplacés du front de l'ouest, ont voulu retourner à l'école. «L'école qu'on voulait intégrer réclamait nos certificats de naissance, mais comme on a tout laissé au village, on ne les avait pas. Ils nous ont alors demandé de retourner dans notre village! Mais il est occupé, leur a-t-on répondu.» C'est pourtant dans ce pays maudit que débarquent encore chaque jour des dizaines de migrants, venus de la Corne de l'Afrique. Croisés sur la route de Bab al-Mandab, Ali et cinq copains, âgés de 15 à 20 ans, étaient arrivés la veille de Somalie. Ils marchaient sous le soleil, avec une bouteille d'eau sous le bras. «On cherche à rejoindre Marib. Peut-être qu'il y a du travail là-bas», lâche Ali. Vérification faite, il s'agissait d'Érythréens chrétiens qui, de peur de représailles, se faisaient passer pour des Somaliens musulmans.
Un million de cas de choléra ont été recensés dans le pays l'an dernier, 10.000 à 12.000 morts liés directement au conflit. Mais au-delà, s'alarme Alexandre Faite, qui a fait le tour des capitales occidentales après avoir passé trois ans à la tête du CICR à Sanaa, «le plus inquiétant, c'est l'effondrement des structures sanitaires et en eau du pays, mais aussi de ses ministères, où les fonctionnaires ne sont plus payés depuis trois ans». Le tableau est encore plus dramatique chez les houthistes au Nord, inaccessible à la presse, soumis à un blocus étouffant de la part de l'Arabie et des Émirats. «J'ai fait au Yémen ce que je n'ai jamais fait en 22 ans de Croix-Rouge, lâche Alexandre Faite: fournir des kits de dialyse pour malades.» Emmanuel Macron organise le 25 juin une conférence internationale pour sauver le Yémen. Il y a urgence.

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La parole libérée affole l'Union européenne (30.05.2018)
Par Ivan Rioufol le 30 mai 2018 12h42 | 182 Commentaires
L’Union européenne creuse sa tombe. De la même manière que la glasnost avait précipité la chute de l’Union soviétique, la libération de la parole des peuples ébranle la citadelle bruxelloise. La pression exercée par l’UE sur le président italien, Sergio Mattarella, pour qu’il s’oppose au gouvernement choisi par les populistes vainqueurs des élections législatives a toutes les caractéristiques d’un coup de force. Le déni de la démocratie est flagrant, d’autant que Mattarella avait été désigné par l’ancienne majorité du parti démocrate, battue le 4 mars. Le comble de la provocation a été atteint avec la nomination comme président du Conseil de Carlo Cotharelli, ancien membre du FMI. Les Italiens, qui ont donné la majorité parlementaire à deux formations antisystème (La Ligue, le Mouvement 5 étoiles) vont donc être dirigés… par ce que le Système peut produire de plus caricatural. La trahison est tellement énorme qu’elle laisse deviner la panique qui s’empare du pouvoir européen. Ceux qui lui reprochaient, notamment sur ce blog, d’être coupé des gens et des nations n’ont plus à démontrer l’accusation. L’Union européenne a déclaré la guerre aux souverainetés nationales. Et Emmanuel Macron a apporté, avec Angela Merkel, son soutien au coup d’Etat légal du président italien. Ce ruissellement de fautes bouscule l’histoire.
La dérive autoritaire et anti-démocratique de l’UE risque d’accélérer sa chute ou du moins sa refondation. C’est cette pente qu’a imprudemment prise Mattarella : il peut très bien se retrouver demain dans la situation du président français Patrice de Mac Mahon en 1877, sommé par le vainqueur des législatives, Léon Gambetta, de "se soumettre ou se démettre". Reste cette autre infâmie qui se profile chez les populophobes, qui laissent déjà entendre qu’un néo fascisme se dissimulerait derrière la nouvelle peuplocratie, ce monde de demain que Macron ne veut pas suivre. Parce que des manifestations de protestations sont prévues le 2 juin en Italie, des commentateurs veulent y voir un parallèle avec la Marche sur Rome de 1922organisée par les faisceaux de Mussolini. Or les mouvements souverainistes, qui s'accroissent partout en Europe, sont tout au contraire en demande de démocratie directe, alimentée par les référendums d’initiative populaire et les réseaux sociaux. Le Mouvement 5 étoiles est lui-même l’expression novatrice de ce pouvoir de l’internet, qui permet de soutenir que le roi est nu. Il est peu probable que cette libération de la parole, que cherche à entraver l’UE aussi bien que la macrocrature, se laisse docilement canaliser. Face au camp du rappel à l’ordre, celui de la liberté a tout mon soutien.


Comment la lutte contre les «fake news» est devenue une affaire d'États (02.02.2018)
Par Arthur BerdahBenjamin Ferran et Chloé WoitierMis à jour le 05/02/2018 à 14h41 | Publié le 02/02/2018 à 19h21
ENQUÊTE - Alors que les géants américains de l'Internet enregistrent des résultats financiers records, des lois, notamment en France, sont en préparation pour les sanctionner quand ils diffusent des informations mensongères sur leurs réseaux sociaux.
Emmanuel Macron en est resté médusé. En plein débat d'entre-deux-tours de la présidentielle, et alors que la tension est à son comble sur le plateau, Marine Le Pen sombre dans les approximations et peine à sortir la tête de l'eau. Consciente que l'Élysée est en train de lui échapper, la candidate d'extrême droite tente un  coup de poker: «J'espère qu'on n'apprendra pas  que vous avez un compte offshore aux Bahamas…», lâche-t-elle mystérieusement. Devant leurs téléviseurs, 16 millions de Français découvrent l'existence de cette fake news , une information mensongère, montée de toutes pièces et diffusée sur les réseaux sociaux dans le seul but de nuire au candidat. Apparue quelques heures plus tôt, cette énième rumeur malveillante était passée sous les radars de la cellule numérique d'En marche!, qui n'avait pas averti son champion sur le sujet. «On avait passé la journée à préparer la riposte sur le programme, et on s'était un peu déconnecté du reste. Quand elle lui a balancé ça, on s'est tous demandé ce qu'elle racontait. Personne n'était au courant», se souvient Mounir Mahjoubi, aujourd'hui secrétaire d'État au Numérique. À l'époque, Emmanuel Macron ne laisse pourtant rien transparaître de sa surprise et répond du tac au tac. «Ça, c'est de la diffamation. (…) La grande différence entre vous et moi, c'est que vous vous avez des affaires, moi, je n'en ai pas Mme Le Pen», assène-t-il sèchement. Il n'empêche, l'épisode a laissé des traces.
Huit mois plus tard, jour pour jour, le chef de l'État a profité de ses vœux à la presse, début janvier, pour annoncer une loi et lutter ainsi contre les fausses nouvelles en période électorale. Dévoilé à la surprise générale, ce texte n'avait jamais été évoqué par le président. «C'est lui qui nous a demandé de travailler dessus courant novembre», indique-t-on à l'Élysée, où l'on explique avoir collaboré avec le ministère de la Culture et le secrétariat général du gouvernement pour en définir les contours. La copie lui a été remise en décembre. «Si vous êtes candidat à une élection, que quelqu'un diffuse des fake news sur vous, vous n'avez pas les moyens de le stopper rapidement, d'interdire ce site, et de faire retirer l'information. Moi je l'ai vécu: c'est impossible», déplorait-il. Emmanuel Macron plaide donc pour «un référé qui permet, en 24-48 heures, de faire retirer le contenu et, éventuellement, de sanctionner celui qui l'a diffusé».
Une proposition de loi au printemps
Selon nos informations, le texte devrait prendre la forme d'une proposition de loi. Il sera présenté par le groupe LREM à l'Assemblée nationale (plutôt que par le gouvernement) au printemps. Pas question de ravaler les mesures à une vengeance personnelle. «Cette loi est une nécessité, compte tenu de l'évolution du rapport à l'information, pour donner aux citoyens la capacité de discerner le vrai du faux», estime-t-on dans l'entourage d'Emmanuel Macron, où l'on souhaite «une réponse globale à cette menace». «Dans l'idéal, il faudrait une réaction au niveau européen… Mais on ne peut pas attendre! On ne peut pas prendre le risque que ça traîne», explique un ministre du premier cercle. Objectif: avoir un arsenal opérationnel pour les élections européennes de 2019. Le président de la République a l'opinion pour lui: 71 % des Français estiment que les fausses nouvelles représentent un «problème important» en France, et 79 % jugent qu'une loi serait une bonne initiative, selon un sondage Odoxa pour France Info et Le Figaro.
«Le drame de la désinformation est la discréditation de l'autre, sa représentation comme ennemi, jusqu'à une diabolisation susceptible d'attiser des conflits»
Le pape François
Dans les autres capitales européennes, l'heure est aussi à la mobilisation. À Berlin, Londres, Madrid et Bruxelles, la prolifération des fausses nouvelles sur Internet inquiète au plus haut niveau. Dès le mois de mars 2017, le vice-président de la Commission européenne Andrus Ansip qualifiait de «menaces pour les démocraties occidentales» ces mensonges pernicieux qui prolifèrent sur le Web. Des missions d'experts ont été montées. La Commission européenne prépare une feuille de route. Une cellule d'action de l'Otan a été dotée d'un budget de 1,1 million d'euros pour s'attaquer à ce poison. Des lois ou des mesures contraignantes ont été partout envisagées en catastrophe, à l'approche d'échéances électorales. Les fake news se sont même invitées dans le message du pape François pour la 52e Journée mondiale des communications sociales. «Le drame de la désinformation est la discréditation de l'autre, sa représentation comme ennemi, jusqu'à une diabolisation susceptible d'attiser des conflits», a-t-il énoncé.
De l'aveu général, personne n'avait anticipé que les campagnes de désinformation sur le Web deviendraient un sujet politique de premier plan. «Nous n'avons collectivement pas assez pris au sérieux ni mesuré le phénomène», reconnaît Mounir Mahjoubi. Les rumeurs et calomnies, après tout, n'avaient pas attendu le Web et les réseaux sociaux pour proliférer. Les médias traditionnels jouaient jusqu'alors leur rôle de filtre. Prétendre que les fake news, concept un peu fourre-tout, puissent concourir à manipuler les opinions publiques, à fausser le résultat du Brexit ou de l'élection présidentielle américaine, n'était-ce pas non plus déresponsabiliser les peuples, qui avaient exprimé leur colère lors de ces deux scrutins en 2016? Habilement, Donald Trump joué de cette dialectique, en accusant les médias traditionnels de propager eux-mêmes des fake news .
Aux États-Unis, où une enquête parlementaire a été ouverte sur l'ingérence russe dans la campagne présidentielle, il a fallu attendre l'automne pour mesurer le niveau des manipulations dont les électeurs ont été victimes, des torrents de messages ont diffusé à tout-va des informations mensongères, attisant les peurs et les divisions. Les publications, sinon par leur caractère excessif et grossier, paraissaient souvent anodines. Il pouvait s'agir de propos déformés d'Hillary Clinton diffusés par une mère de famille nombreuse «pro-Trump», d'une vidéo sur YouTube révélant la soi-disant existence d'un fils caché de Bill Clinton avec une prostituée, ou d'un meurtre inventé impliquant un Noir américain.
126 millions d'Américains exposés
Les millions d'électeurs américains qui ont partagé de bonne foi ces nouvelles avec leurs proches étaient loin de se douter de la manipulation qui se tramait. Derrière ces messages diffusés à plein régime, se cachaient deux types de faussaires. Une première catégorie d'escrocs, sur le sol américain ou à l'étranger, était mue par des intérêts financiers. Ces arnaqueurs à la petite semaine ont inondé les réseaux sociaux de fausses nouvelles, afin de renvoyer du trafic vers des pages surchargées de publicité, et ainsi gagner de l'argent. Mais si la course à la désinformation a pris des proportions uniques, c'est en raison de l'irruption d'une officine de propagande russe qui s'est servie du Web pour agir sur l'opinion à des fins politiques. Cette mystérieuse société écran, l'Internet Research Agency, que les services américains ont connectée au Kremlin, a acheté des milliers de publicités sur les réseaux sociaux afin d'accentuer les divisions entre les Américains et répandre le chaos. Quelque 126 millions de membres de Facebook ont été exposés à des messages achetés par cette agence, a révélé le réseau social en novembre. La situation n'était pas meilleure sur Twitter, où 1,4 million de personnes ont interagi sans le savoir avec des  fake news  propagées par le même organisme, qui a également diffusé 1100 vidéos vues 309.000 fois sur YouTube. En Angleterre, un réseau de 13.000 robots aurait mis en ligne des messages en faveur du Brexit.
Une «stratégie orchestrée par le Kremlin»
18% des Français affirment que les réseaux sociaux sont leur première source d'information sur Internet
Sondage Kantar pour La Croix
«La campagne de désinformation en faveur du Kremlin, cela ne fait guère de doute, est une stratégie orchestrée. Si nous regardons les sondages d'opinion, nous devons hélas conclure qu'elle peut être extrêmement efficace», a prévenu le Britannique Julian King, commissaire chargé de l'Union de la sécurité, devant les parlementaires européens à Strasbourg.
Mais il est hautement risqué de s'attaquer frontalement à la Russie. Toute l'attention se focalise donc sur les «plateformes» Internet américaines, qui ont servi de relais aux fake news. Utilisés par plus de 2 milliards de personnes, Facebook, Twitter et YouTube sont devenus une des principales portes d'entrée pour suivre l'actualité, sur smartphone ou ordinateur. Dans le dernier Baromètre de la confiance dans les médias de Kantar pour La Croix, 18 % des Français affirment que les réseaux sociaux sont leur première source d'information sur Internet. Une autre étude du Pew Research Center montre que 36 % des internautes américains s'informent sur Facebook.
Et lorsqu'on leur demande quelle est la source du dernier article qu'ils ont lu, 10 % nomment le réseau social comme un média à part entière.
Les créateurs de fake news ont tout compris du fonctionnement de ces outils. Sur les réseaux sociaux, et en particulier sur Facebook, pas de rédacteurs en chef ni de charte journalistique. Les choix sont faits par des algorithmes, qui décident si une publication sera plus ou moins bien exposée sur le fil d'actualité en fonction du nombre de clics, de commentaires, de «pouces», de «cœurs» ou de partages de la publication. Titres racoleurs, scandales imaginaires, faits divers déformés pour appuyer sur des thématiques sensibles comme l'immigration… Les instigateurs des fake news ont prospéré sans contrôle. Grâce aux outils de ciblage publicitaire, ils sont aussi parvenus à diffuser leurs messages auprès de catégories précises de la population, pour quelques dollars. Certaines fake news russes ont été spécialement adressées aux hommes blancs dans le Kansas. Une fois publiées, elles émergeaient en tête de leurs fils d'actualité.
Facebook en accusation
Mis à l'index dès l'élection de Donald Trump, accusé par ses compatriotes d'avoir servi des intérêts étrangers, le site de Mark Zuckerberg a commencé par nier toute responsabilité, avant de changer de posture. «Prévenir la propagation des fausses informations est l'une de nos priorités», a affirmé, jeudi, le PDG. Entre-temps, le réseau social ainsi que Twitter et Google ont été rudoyés par l'enquête parlementaire américaine. «Pourquoi Facebook a-t-il mis 11 mois à s'expliquer et à nous aider à comprendre l'étendue du problème des fake news?», a lancé le sénateur démocrate Chris Coon. En mettant sur un pied d'égalité articles de médias de qualité et textes de désinformation, les plateformes ont contribué à brouiller les frontières entre le vrai et le faux.
«Nous souhaitons que les informations que vous lisez chez nous viennent de médias sûrs et de grande qualité»
Mark Zuckerberg
Selon le dernier baromètre Edelman sur la confiance dans les institutions, 63 % des sondés disent ne plus pouvoir faire la différence entre une information vérifiée et un mensonge. «Votre pouvoir me terrifie», a résumé le sénateur républicain de la Louisiane John Kennedy, lors des auditions.
Acculé, Mark Zuckerberg a annoncé, en janvier, qu'il voulait «réparer» son réseau social. «Nous souhaitons que les informations que vous lisez chez nous viennent de médias sûrs et de grande qualité», a-t-il déclaré. Le PDG a donc décrété que les éditeurs de confiance auront une large visibilité sur les fils d'actualité. Mais ce sont les internautes eux-mêmes qui établiront la liste des heureux élus. Des panels représentatifs d'utilisateurs devront répondre à deux simples questions: «Connaissez-vous ce média? Lui faites-vous confiance?» Facebook refuse toujours de se considérer comme un éditeur et un «arbitre de la vérité». Bref, de contribuer au tri de l'information crédible, comme le font les médias traditionnels. Ce statut l'obligerait à être responsable de chaque contenu et commentaire publié sur sa plateforme.
Ces mesures, censées éteindre l'incendie, n'ont pas eu l'effet escompté. «Facebook et Google sont devenus de puissants monopoles et causent des quantités de problèmes dont nous prenons à peine conscience», a encore dénoncé, la semaine dernière, le milliardaire George Soros lors du Forum de Davos. Il craint «de lourdes conséquences pour la démocratie». Comme lui, des voix s'élèvent pour tordre fortement le bras des plateformes. Tant qu'il sera possible de gagner beaucoup d'argent en diffusant des informations mensongères, et de les promouvoir auprès de catégories précises de population, le problème ne sera pas réglé à la base. Une solution radicale serait de s'attaquer au cœur même du modèle économique des plateformes Web, en les rendant moins attrayantes pour propager de la désinformation en ligne. Autrement dit, de casser l'arme qui s'est retournée contre les Américains.
«Tous ceux qui tentent de manipuler le débat public avec des mensonges doivent savoir qu'ils en subiront les conséquences»
Heiko Maas, ministre allemand de la Justice
Roger McNamee en a fait un combat personnel. Cet investisseur renommé, mentor de Mark Zuckerberg, a été l'un des premiers à croire dans le célèbre réseau social. Depuis un an, il parcourt les couloirs de Washington et publie des tribunes dans la presse pour alerter des dangers posés par le réseau social. Pour lui, les mesures visant à stopper les diffusions de fausses nouvelles reviennent à vider l'océan avec un verre d'eau.
Les plateformes, en raison de leur impact sociétal dans nos vies, devraient ouvrir leurs algorithmes, être d'une transparence totale sur leurs contrats publicitaires, voire être contraintes de séparer leurs activités en plusieurs entités par des autorités antitrust. Dans des États-Unis traumatisés par les fake news , le débat sur la toute-puissance des champions nationaux, encore inimaginable il y a quelques mois, commence à porter.
Lassés d'attendre des mesures efficaces venant des plateformes, certains États ont donc décidé de sévir. Dès la fin d'année 2016, le ministre allemand de la Justice, Heiko Maas, a souligné la nécessité de légiférer contre la désinformation et, plus largement, les discours de haine sur Internet. «La justice doit pouvoir attaquer leurs auteurs, même s'ils agissent sur Internet. Tous ceux qui tentent de manipuler le débat public avec des mensonges doivent savoir qu'ils en subiront les conséquences.» Le gouvernement allemand avait alors en tête les futures élections fédérales de septembre 2017. Hors de question que l'opinion soit la cible d'intox venues de l'étranger. Les réseaux sociaux devront mettre en place un service supprimant tous les messages signalés par la communauté comme étant violents, racistes, antisémites ou mensongers, dans un délai allant de 24 heures à sept jours. Ils remettront aussi un rapport tous les six mois détaillant leurs actions. En cas de manquement, ils pourraient se voir infliger des amendes de 50 millions d'euros. Pour appuyer son raisonnement, le ministre de la Justice a publié une enquête révélant que YouTube retire 90 % des contenus illégaux dans la semaine, contre 39 % pour Facebook et 1 % pour Twitter.
La France prend ses distances avec l'Allemagne
Adoptée par le Parlement en novembre, la loi contre la haine sur Internet est entrée en application début janvier. Elle s'est retrouvée sous le feu des critiques.
«Dans un État constitutionnel, ce sont les tribunaux et non les entreprises qui déterminent ce qui est légal et ce qui ne l'est pas»
Sahra Wagenknecht, chef du groupe parlementaire de Die Linke
À aucun moment, le texte ne prévoit l'examen des messages délictueux par la justice. Twitter a supprimé sans distinction des messages racistes de députés d'extrême droite, mais aussi leurs parodies par l'hebdomadaire satirique Titanic. «Les fournisseurs privés ne sont pas toujours en mesure de prendre les bonnes décisions quand il s'agit de déterminer si des déclarations sont illégales, satiriques ou simplement l'expression d'un mauvais goût», a souligné Nicola Beer, secrétaire général des libéraux du FDP. Dit autrement, «cette loi est un camouflet à tous les principes démocratiques. Dans un État constitutionnel, ce sont les tribunaux et non les entreprises qui déterminent ce qui est légal et ce qui ne l'est pas», a fustigé Sahra Wagenknecht, chef du groupe parlementaire de Die Linke.
Le gouvernement allemand a promis que la loi sera évaluée et potentiellement modifiée. Paris voit aussi d'un mauvais œil l'initiative d'outre-Rhin. «Cet exemple nous fait peur: les plateformes y sont devenues des censeurs privés», déplore-t-on au ministère de la Culture. En mettant le référé au centre de son dispositif, la France veut préserver le rôle du juge. Pas question, donc, de toucher à loi de 1881 sur la presse, cette «grande loi républicaine» qui définit déjà le délit de fausses nouvelles. «Nous cherchons à la rendre applicable dans un univers où des médias et des télévisions sous influence d'États étrangers diffusent des fake news de manière virale», explique-t-on Rue de Valois. Le «devoir de coopération» qui existe déjà avec les plateformes numériques sur les publications pédopornographiques ou incitant au terrorisme sera étendu aux fake news en période électorale. De même, si l'attaque «est massive et que les dommages sont évidents», la victime ou la justice pourront  «mettre en cause la responsabilité de la plateforme qui a diffusé une telle information».
«On ne va pas chasser les fake news, mais les fausses informations qui troublent l'ordre public et la démocratie»
Si la France entend éviter l'écueil allemand, la quasi-totalité de l'opposition s'est inquiétée du risque de censure que faisait peser cette loi selon eux. La ligne est fine entre le contrôle et la censure. «Le terme fake news est une expression rhétorique sans définition précise. Macron s'en sert pour aboutir à un contrôle gouvernemental d'Internet», a réagi Glenn Greenwald, le journaliste britannique à l'origine des révélations de l'affaire Snowden. «On ne va pas chasser les fake news, mais les fausses informations qui troublent l'ordre public et la démocratie», rétorque le ministère de la Culture.
L'autre critique porte sur le périmètre d'action de la loi française. Il n'est pas question de sortir l'artillerie lourde pour s'attaquer aux fausses nouvelles en dehors des périodes électorales. Or, si les fake news  politiques ont beaucoup fait parler d'elles, elles ne représentent qu'une partie du phénomène. La désinformation a une portée bien plus large, touchant à des sujets sociétaux, ou de santé publique. D'après une étude de l'Institut Reuters, les émetteurs de fausses nouvelles les plus puissants en France traitent de la santé. Le plus populaire est Santéplusmag, avec 7,4 millions d'abonnés sur sa page Facebook - soit deux fois plus que Le Figaro. Créé au Maroc, ce site multiplie les articles fantaisistes, comme «Trempez vos pieds dans le vinaigre et ces 9 problèmes vont disparaître» ou «Boire un demi-verre de cette boisson va complètement dissoudre vos calculs rénaux». Les sites Santé nature innovation ou Santé nutrition suivent la même logique et propagent des discours dangereux remettant en cause la nécessité de vacciner les enfants. Malgré tout, le gouvernement français n'entend pas s'attaquer à ce problème, «sauf si une fausse nouvelle sanitaire faisait son apparition en période électorale», précise-t-on au ministère de la Culture.
Une cible bien précise
Combattre une partie des fake news politiques, plutôt que la désinformation dans son ensemble. En réalité, Emmanuel Macron aurait, selon ses proches, une cible bien précise en tête: Russia Today (RT), le média de «propagande» russe financé par le Kremlin et qui vient d'ouvrir une antenne en France.
En conflit ouvert avec le président depuis la campagne, la chaîne embauche des journalistes titulaires d'une carte de presse française. Cela embarrasse l'Élysée, qui avait pris l'habitude de refuser d'accréditer RT sur la plupart de ses événements. «Une expertise est menée avec le Quai d'Orsay pour arrêter une position», indique-t-on au palais.
Sans jamais citer Russia Today ni Sputnik (l'autre média pro-russe, qui a relayé des sous-entendus sur l'homosexualité supposée d'Emmanuel Macron), le chef de l'État avait d'ailleurs lui-même abordé cette problématique le 3 janvier dernier: «Est-ce que des gens qui ont, dans un certain contexte, des cartes de presse sont des journalistes ou autre chose?», interrogeait-il. De son côté, le ministère de la Culture semble avoir trouvé la parade: «Renforcer les pouvoirs du CSA à l'égard des médias sous influence d'États étrangers» pour lutter contre leur pouvoir de nuisance. «Outre la possibilité de ne pas conventionner ou de résilier une convention, le CSA pourra également suspendre cette convention en période électorale si la diffusion d'une fake news pouvant déstabiliser la campagne est avérée», indique-t-on. La cible est désignée.

Vie privée, train de vie… Macron a été ciblé de toutes parts
«Le “banquier des juifs” qui a épousé une femme de 25 ans son aînée, c'est un cocktail magique et un terreau fantastique pour les fake news.» Dans l'entourage d'Emmanuel Macron, les souvenirs de la campagne sont encore vifs… Et pour cause. Pendant près de six mois, le candidat d'En marche! a été visé par une multitude de fausses nouvelles (lire ci-dessus), sur des thématiques diverses.
L'argent a souvent été l'un des angles d'attaque de ses détracteurs. Ainsi, dès qu'il s'est lancé dans la course à la présidentielle, l'ex-ministre a été ciblé sur son train de vie. Plusieurs sites d'extrême droite l'ont notamment accusé d'avoir «dépensé un smic par jour» pendant plusieurs années, en prétendant s'appuyer sur sa déclaration de patrimoine… Ce que Florian Philippot - alors vice-président du FN - avait relayé sur RMC-BFMTV à une heure de très grande écoute. Idem concernant la supposée homosexualité d'Emmanuel Macron, qui a été évoquée par l'ex-député LR Nicolas Dhuicq lors d'une interview à l'agence de presse russe Sputnik.
Enfin, le président a également été attaqué sur son programme: plusieurs sites d'extrême droite ont rapporté une soi-disant «fuite» selon laquelle il envisagerait d'exproprier les propriétaires de terrain construit d'une partie de leur bien pour ensuite leur faire payer une taxe.
«Il était tellement habitué à ce que des trucs délirants sortent de partout et nulle part à la fois, qu'à la fin il n'était même plus surpris…», assure un proche, selon qui «il a souvent été outragé, voire en colère, parce que sa dignité était attaquée».

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Tania de Montaigne : « Il faut pouvoir dire noir, jaune, juif » (24.05.2018)
INTERVIEW. La journaliste publie « L'Assignation. Les Noirs n'existent pas », un essai universaliste démontant les clichés racistes et le communautarisme.
Propos recueillis par Clément Pétreault
Modifié le 24/05/2018 à 17:19 - Publié le 24/05/2018 à 16:54 | Le Point.fr

Tania de Montaigne, journaliste et auteure de L'Assignation. Les Noirs n'existent pas.
© ALAIN JOCARD / AFP

L'antiracisme est entré dans une nouvelle ère. Il y a d'un côté ceux qui militent pour une action politique radicale, érigeant leurs différences en identité et brandissant leur particularisme en bouclier. De l'autre, des associations essoufflées qui rabâchent un discours d'indifférenciation inaudible dans un monde où chacun se doit de cultiver sa différence. Avec L'Assignation. Les Noirs n'existent pas, Tania de Montaigne se faufile habilement au milieu de ce champ de bataille. La journaliste propose un essai stimulant sur la question du racisme et de l'altérité. Parce que lutter contre le racisme, ce n'est pas céder au premier bricoleur identitaire venu, elle nous interpelle sur les logiques tacites qui nous dissuaderaient d'employer les adjectifs « noir », « arabe » ou « juif ». À lire.

Le Point : Pourquoi ce livre L'Assignation. Les Noirs n'existent pas ?
Tania de Montaigne : On sent la société travaillée par des contractions racistes et on voit se démultiplier en réponse des « petites boutiques antiracistes » qui versent elles aussi dans un registre raciste... On a tendance à l'oublier, mais une personne victime de racisme peut, elle aussi, être traversée par cette question.
Assiste-t-on à l'émergence d'un affrontement identitaire dans l'antiracisme ?
Tout ce qui a été fait jusqu'au 11 septembre 2001 consistait à dire : « Ne relevons pas les différences, faisons comme si tout le monde était blanc et catholique. » Bon, ça ne marche pas. Ça fonctionne peut-être sur une génération, mais on voit bien que la suivante ne veut plus de ce discours. Ce silence a eu pour conséquence de faire émerger des gens qui ne veulent exister que par leur différence..., alors que ce qui serait intéressant aujourd'hui serait de pouvoir dire qu'il existe différentes couleurs que l'on peut tout à fait nommer, mais que, pour autant, on ne peut rien en déduire !
Alors d'après vous, pourquoi n'ose-t-on jamais dire « noir », « blanc », « juif », ou « musulman » ?
Parce qu'on confond les noms et les adjectifs ! C'est le principe même de l'essentialisation. Si l'on n'ose pas dire noir, c'est parce qu'on y met toutes les choses qui font qu'on pense qu'un Noir est un Noir. Lorsque j'ai sorti mon précédent livre, Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, j'ai rencontré plein de journalistes blancs qui, voulant que je comprenne qu'ils n'étaient pas racistes, ne voulaient pas dire que j'étais noire... Et dans les conférences, il y avait des gens noirs qui me disaient que je ne parlais pas comme les Noirs... Bref, on se comporte comme si chacun devait parler depuis l'endroit qu'on lui a assigné.
Entre Michelle Obama et une migrante érythréenne, je ne sais pas ce qu'est une femme noire !

Tout le monde céderait, consciemment ou pas, à la tentation de l'assignation ?
Même si vous êtes élevé dans un grand esprit de partage et de fraternité, vous avez, comme moi, des interprétations de ce qu'est un Noir, un juif ou un musulman. Du coup, on se dit que si on sacralise le mot en y ajoutant une majuscule, un Noir, un Juif, ou un Musulman, on ne pourra pas se voir accusé de racisme. C'est pour cela qu'on croise des gens qui vous disent qu'ils adorent les Noirs, en ajoutant « Il y a une telle richesse en vous », ou quelque chose de ce type... C'est très gentil, mais ça revient à la même chose qu'une parole raciste, car les deux me dénient le droit d'être un être de culture. Je suis française depuis cinq siècles, mais comme je suis noire, je serais forcément d'ailleurs. Si vous êtes sympa, vous vous émerveillez de ma capacité à être là, si vous êtes raciste, vous me proposez de rentrer « chez moi ». En fait, dans les deux cas, vous supposez que je n'ai pas d'appartenance possible : les Noirs ne seraient traversés ni par l'histoire, ni par la singularité, ni par toute forme de culture. Cela signifierait que nous serions toujours étrangers à tout ce qui se passe ici et que nous ne pourrions nous imprégner de rien... En fait, l'organisation sociale produit de la nature à l'endroit où il y avait de la culture.
Si l'on suit votre raisonnement, les expressions « communauté noire », « communauté juive » ou « communauté musulmane » n'ont aucun sens...
Elles sont en effet absurdes, car elles supposent l'existence d'un bloc unifié qui agit en un seul nom. Cela laisserait supposer que tout Noir qui s'exprime le fait au nom de tous les autres. Or, on peut être un Noir sans papiers ou un Noir originaire du pays ; un Noir qui a de l'argent ou un Noir qui n'en a pas ; un Noir qui a grandi dans le 16e ou qui a grandi dans une cité... Bref, quand on me dit : « Quand même, ça doit pas être facile d'être une femme noire », je réponds qu'entre Michelle Obama et une migrante érythréenne, je ne sais pas ce qu'est une femme noire !
Je suis française depuis cinq siècles, mais comme je suis noire, je serais forcément d'ailleurs

Comment expliquer les divisions au sein de l'antiracisme ?
Si n'importe qui se fait insulter ou frapper pour ce qu'il est, le sujet, c'est le racisme. Si vous décidez de combattre le racisme, mais de n'intervenir que pour des gens qui vous ressemblent exactement, l'objet du combat n'est plus le racisme, mais l'identité. Et que faire lorsque ceux que je défends sont mis en cause dans des actes répréhensibles ? Se taire pour protéger le groupe ? Ce n'est pas sérieux. On confond la question des identités et celle de l'antiracisme. Ces groupes-là viennent chercher une culpabilité, ce qui leur permet de sanctuariser les combats en interdisant à d'autres d'entrer dans le sujet. Il y a dans cette manière de mener les combats l'idée d'une singularité à préserver, une singularité qui dispenserait de faire corps avec le reste de la société. Mais cette idée que l'on puisse être des individus très particuliers travaille avec le même dictionnaire que le racisme, l'antisémitisme ou l'esclavagisme ! Pour que quelque chose bouge, il faut que ce soit le sujet de tout le monde.
Que pensez-vous des réunions en « non-mixité racisée » ?
Je ne sais pas ce que cela représente en nombre, mais probablement moins que la place qu'on leur accorde dans les médias. Dans ces réunions, il y a toujours l'idée que « quelqu'un » est responsable de votre malheur, mais ce quelqu'un n'est pas convié. Plus fort encore, malgré son absence, ce quelqu'un occupe tout l'espace. La non-mixité ne m'intéresse pas. Si elle était destinée à produire des choses à transmettre et à partager, on pourrait en discuter, mais en réalité elle ne sert à rien, c'est juste un exutoire. On qualifie ces mouvements d'antiracistes, alors que si on écoutait ce qu'ils disent sans regarder leur couleur de peau, on n'aurait jamais l'idée de les désigner de la sorte...
Aucune couleur de peau n'autorise à faire son marché dans l'histoire. Car être français, ce n'est pas une affaire de couleur

Vous ne semblez pas spécialement préoccupée par les polémiques à répétition autour de l'appropriation culturelle...
Non, car nous ne sommes pas organisés sur une logique communautaire, et plaquer des notions anglo-saxonnes sur la société française ne fonctionne pas. Car la première difficulté en France, c'est que les gens couchent ensemble ! Voilà pourquoi en France la question des quotas est problématique. Quand les gens sont mélangés, comment déterminer qui est de quelle couleur ? C'est absurde. Sur la question de l'appropriation culturelle, c'est la même chose. Il faudrait définir ce qui relève de la culture d'un Français noir... Bon, noir comment ? Quel Noir ? C'est quoi, un Français noir ? Pour qu'il y ait appropriation culturelle, il faut être capable de définir qui est dépositaire de la « propriété culturelle », ce n'est pas gagné. J'ai vu cette pauvre Camelia Jordana se prendre des tombereaux de haine sur Twitter au motif qu'elle se serait « approprié la culture noire » en s'affichant avec des tresses africaines – dont je crains qu'elles ne soient d'origine égyptienne – lors de la cérémonie des César.
Cette radicalité vous inquiète-t-elle ?
La vie est trop courte pour se donner les moyens d'être pessimiste. On est entrés dans une ère du flou qui produit de la radicalité. Mais il ne faut pas se laisser sidérer par la radicalité morbide et ne pas la prendre pour ce qu'elle n'est pas : c'est bruyant, c'est impressionnant, mais cela ne représente pas grand-chose. Il faut pouvoir dire « noir », « jaune », « juif », il faut pouvoir s'interroger sur ce qu'est être français et mettre en garde les jeunes générations : ne vous laissez pas voler ce que vous êtes. Vous êtes français, quoi qu'en pensent les identitaires de tout poil. La langue que vous parlez, c'est comme le sang qui coule dans vos veines, cela fait partie de votre personne. On ne peut pas s'arranger et faire le tri dans ce que l'on aimerait garder ou pas, être français, c'est être le protestant qui a été assassiné à Paris comme celui qui l'a découpé, c'est être le juif qui est mort à Auschwitz comme celui qui l'a livré, c'est être le Noir qui est mort dans les bateaux comme l'esclavagiste... C'est tout cela, être français. Aucune couleur de peau n'autorise à faire son marché dans l'histoire. Car être français, ce n'est pas une affaire de couleur.

L'Assignation. Les Noirs n'existent pas, par Tania de de Montaigne, Grasset, 96 pages.
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Royaume Uni : la demi-sœur de Meghan Markle, Samantha, demande la libération de l’activiste Tommy Robinson (01.06.2018)
Par Aloysius le 01/06/2018

La demi-sœur de la duchesse de Sussex, Samantha Markle, s’est servi de Twitter pour demander la libération de Tommy Robinson. Elle a relayé une pétition demandant au Premier ministre britannique, Theresa May, de « libérer » l’ancien dirigeant de l’English Defence League [EDL, Ligue de Défense Anglaise].

La pétition a été signée par plus de 500 000 personnes […].
Tommy Robinson a été condamné à 10 mois de prison pour outrage au tribunal, et à 3 mois supplémentaires correspondant au sursis d’une peine précédente.
Il avait été averti qu’il était « sur le fil du rasoir » lors de sa condamnation en mai 2017, pour avoir tenté de filmer quatrehommes jugés au tribunal de Canterbury […] pour le viol en réunion d’une adolescente.
Après l’avoir condamné [en 2017], le juge Norton avait déclaré: « Il est placardé clairement partout dans le tribunal que filmer ou prendre des photos est un délit, et peut être un outrage à la cour. »
Merci à TheSheriff


Georges Bensoussan : «Nous entrons dans un univers orwellien où la vérité c'est le mensonge» (07.07.2017)

Par Alexandre Devecchio
Publié le 07/07/2017 à 09h00
ENTRETIEN - L'auteur des Territoires perdus de la République (Fayard) et d'Une France soumise (Albin Michel) revisite la campagne présidentielle. Fracture sociale, fracture territoriale, fracture culturelle, désarroi identitaire : pour l'historien, les questions qui nourrissent l'angoisse française ont été laissées de côté.
En 2002, Georges Bensoussan publiait Les Territoires perdus de la République, un recueil de témoignages d'enseignants de banlieue qui faisait apparaître l'antisémitisme, la francophobie et le calvaire des femmes dans les quartiers dits sensibles.«Un livre qui faisait exploser le mur du déni de la réalité française», se souvient Alain Finkielkraut, l'un des rares défenseurs de l'ouvrage à l'époque.
Une France soumise, paru cette année, montrait que ces quinze dernières années tout s'était aggravé. L'élection présidentielle devait répondre à ce malaise. Mais, pour Georges Bensoussan, il n'en a rien été. Un voile a été jeté sur les questions qui fâchent. Un symbole de cet aveuglement? Le meurtre de Sarah Halimi, défenestrée durant la campagne aux cris d'«Allah Akbar» sans qu'aucun grand média ne s'en fasse l'écho. Une chape de plomb médiatique, intellectuelle et politique qui, selon l'historien, évoque de plus en plus l'univers du célèbre roman de George Orwell, 1984.
Selon un sondage du JDD paru cette semaine, le recul de l'islam radical est l'attente prioritaire des Français (61 %), loin devant les retraites (43 %), l'école (36 %), l'emploi (36 %) ou le pouvoir d'achat (30 %). D'après une autre étude, 65 % des sondés considèrent qu'«il y a trop d'étrangers en France» et 74 % que l'islam souhaite «imposer son mode de fonctionnement aux autres».
LE FIGARO. - Des résultats en décalage avec les priorités affichées par le nouveau pouvoir: moralisation de la vie politique, loi travail, construction européenne… Les grands enjeux de notre époque ont- ils été abordés durant la campagne présidentielle?
Georges BENSOUSSAN. - Une partie du pays a eu le sentiment que la campagne avait été détournée de son sens et accaparée, à dessein, par les «affaires» que l'on sait, la presse étant devenue en la matière moins un contre-pouvoir qu'un anti-pouvoir, selon le mot de Marcel Gauchet. Cette nouvelle force politique pêche par sa représentativité dérisoire, doublée d'un illusoire renouvellement sociologique, quand 75 % des candidats d'En marche appartiennent à la catégorie «cadres et professions intellectuelles supérieures». Le seul véritable renouvellement est générationnel, avec l'arrivée au pouvoir d'une tranche d'âge plus jeune évinçant les derniers tenants du «baby boom».
Fracture sociale, fracture territoriale, fracture culturelle, désarroi identitaire, les questions qui nourissent l'angoisse française ont été laissées de côté
Pour une «disparue», la lutte de classe se porte bien. Pour autant, elle a rarement été aussi occultée. Car cette victoire, c'est d'abord celle de l'entre-soi d'une bourgeoisie qui ne s'assume pas comme telle et se réfugie dans la posture morale (le fameux chantage au fascisme devenu, comme le dit Christophe Guilluy, une «arme de classe» contre les milieux populaires). Fracture sociale, fracture territoriale, fracture culturelle, désarroi identitaire, les questions qui nourrissent l'angoisse française ont été laissées de côté pour les mêmes raisons que l'antisémitisme, dit «nouveau», demeure indicible.
C'est là qu'il faut voir l'une des causes de la dépression collective du pays, quand la majorité sent son destin confisqué par une oligarchie de naissance, de diplôme et d'argent. Une sorte de haut clergé médiatique, universitaire, technocratique et culturellement hors sol.
Toutefois, le plus frappant demeure à mes yeux la façon dont le gauchisme culturel s'est fait l'allié d'une bourgeoisie financière qui a prôné l'homme sans racines, le nomade réduit à sa fonction de producteur et de consommateur. Un capitalisme financier mondialisé qui a besoin de frontières ouvertes mais dont ni lui ni les siens, toutefois, retranchés dans leur entre-soi, ne vivront les conséquences.
Ce gauchisme culturel est moins l'«idiot utile» de l'islamisme que celui de ce capitalisme déshumanisé qui, en faisant de l'intégration démocratique à la nation un impensé, empêche d'analyser l'affrontement qui agite souterrainement notre société. De surcroît, l'avenir de la nation France n'est pas sans lien à la démographie des mondes voisins quand la machine à assimiler, comme c'est le cas aujourd'hui, fonctionne moins bien.
Dans un autre ordre d'idées, peut-on déconnecter la constante progression du taux d'abstention et l'évolution de notre société vers une forme d'anomie, de repli sur soi et d'individualisme triste? Comme si l'exaltation ressassée du «vivre-ensemble» disait précisément le contraire. Cette évolution, elle non plus, n'est pas sans lien à ce retournement du clivage de classe qui voit une partie de la gauche morale s'engouffrer dans un ethos méprisant à l'endroit des classes populaires, qu'elle relègue dans le domaine de la «beauferie» méchante des «Dupont Lajoie».Certains analystes ont déjà lumineusement montré (je pense à Julliard, Le Goff, Michéa, Guilluy, Bouvet et quelques autres), comment le mouvement social avait été progressivement abandonné par une gauche focalisée sur la transformation des mœurs.
La France que vous décrivez semble au bord de l'explosion. Dès lors, comment expliquez-vous le déni persistant d'une partie des élites?
La perpétuation de la doxa est inséparable de cet ordre social dont ils sont les bénéficiaires et qui leur vaut reconnaissance, considération et avantages matériels
Par le refus de la guerre qu'on nous fait dès lors que nous avons décidé qu'il n'y avait plus de guerre («Vous n'aurez pas ma haine» ) en oubliant, selon le mot de Julien Freund, que «c'est l'ennemi qui vous désigne». En privilégiant cette doxa habitée par le souci grégaire du «progrès» et le permanent désir d'«être de gauche», ce souci dont Charles Péguy disait qu'on ne mesurera jamais assez combien il nous a fait commettre de lâchetés.Enfin, en éprouvant, c'est normal, toutes les difficultés du monde à reconnaître qu'on s'est trompé, parfois même tout au long d'une vie. Comment oublier à cet égard les communistes effondrés de 1956?
Quant à ceux qui jouent un rôle actif dans le maquillage de la réalité, ils ont, eux, prioritairement le souci de maintenir une position sociale privilégiée. La perpétuation de la doxa est inséparable de cet ordre social dont ils sont les bénéficiaires et qui leur vaut reconnaissance, considération et avantages matériels.
Le magistère médiatico-universitaire de cette bourgeoisie morale (Jean-Claude Michéa parlait récemment dans la Revue des deux mondes, (avril 2017) d'une «représentation néocoloniale des classes populaires […] par les élites universitaires postmodernes», affadit les joutes intellectuelles. Chacun sait qu'il lui faudra rester dans les limites étroites de la doxa dite de l'«ouverture à l'Autre». De là une censure intérieure qui empêche nos doutes d'affleurer à la conscience et qui relègue les faits derrière les croyances. «Une grande quantité d'intelligence peut être investie dans l'ignorance lorsque le besoin d'illusion est profond», notait jadis l'écrivain américain Saul Bellow.
Avec 16 autres intellectuels, dont Alain Finkielkraut, Jacques Julliard, Elisabeth Badinter, Michel Onfray ou encore Marcel Gauchet, vous avez signé une tribune pour que la vérité soit dite sur le meurtre de Sarah Halimi. Cette affaire est-elle un symptôme de ce déni que vous dénoncez?
La chape de plomb qui pèse sur l'expression publique détourne le sens des mots pour nous faire entrer dans un univers orwellien où le blanc c'est le noir et la vérité le mensonge. Nous avons signé cette tribune pour tenter de sortir cette affaire du silence qui l'entourait, comme celui qui avait accueilli, en 2002, la publication des Territoires perdus de la République.
C'était il y a quinze ans et vous alertiez déjà sur la montée d'un antisémitisme dit «nouveau»…
Faut-il parler d'un «antisémitisme nouveau»? Je ne le crois pas. Non seulement parce que les premiers signes en avaient été détectés dès la fin des années 1980. Mais plus encore parce qu'il s'agit aussi, et en partie, d'un antijudaïsme d'importation. Que l'on songe simplement au Maghreb, où il constitue un fond culturel ancien et antérieur à l'histoire coloniale. L'anthropologie culturelle permet le décryptage du soubassement symbolique de toute culture, la mise en lumière d'un imaginaire qui sous-tend une représentation du monde.
Pour la doxa d'un antiracisme dévoyé, l'analyse culturelle ne serait qu'un racisme déguisé
Mais, pour la doxa d'un antiracisme dévoyé, l'analyse culturelle ne serait qu'un racisme déguisé. En septembre 2016, le dramaturge algérien Karim Akouche déclarait: «Voulez-vous devenir une vedette dans la presse algérienne arabophone? C'est facile. Prêchez la haine des Juifs […]. Je suis un rescapé de l'école algérienne. On m'y a enseigné à détester les Juifs. Hitler y était un héros. Des professeurs en faisaient l'éloge. Après le Coran, Mein Kampf et Les Protocoles des sages de Sion sont les livres les plus lus dans le monde musulman.» En juillet 2016, Abdelghani Merah (le frère de Mohamed) confiait à la journaliste Isabelle Kersimon que lorsque le corps de Mohamed fut rendu à la famille, les voisins étaient venus en visite de deuil féliciter ses parents, regrettant seulement, disaient-ils, que Mohamed «n'ait pas tué plus d'enfants juifs»(sic).
Cet antisémitisme est au mieux entouré de mythologies, au pire nié. Il serait, par exemple, corrélé à un faible niveau d'études alors qu'il demeure souvent élevé en dépit d'un haut niveau scolaire. On en fait, à tort, l'apanage de l'islamisme seul. Or, la Tunisie de Ben Ali, longtemps présentée comme un modèle d'«ouverture à l'autre», cultivait discrètement son antisémitisme sous couvert d'antisionisme (cfNotre ami Ben Ali, de Beau et Turquoi, Editions La Découverte). Et que dire de la Syrie de Bachar el-Assad, à la fois violemment anti-islamiste et antisémite, à l'image d'ailleurs du régime des généraux algériens? Ou, en France, de l'attitude pour le moins ambiguë des Indigènes de la République sur le sujet comme celle de ces autres groupuscules qui, sans lien direct à l'islamisme, racialisent le débat social et redonnent vie au racisme sous couvert de «déconstruction postcoloniale»?
Justement, le 19 juin dernier, un collectif d'intellectuels a publié dans Le Monde un texte de soutien à Houria Bouteldja, la chef de file des Indigènes de la République.
Que penser de l'évolution sociétale d'une partie des élites françaises quand le même quotidien donne la parole aux détracteurs de Kamel Daoud, aux apologistes d'Houria Bouteldja et offre une tribune à Marwan Muhammad, du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qualifié par ailleurs de «porte-parole combatif des musulmans»?
Les universitaires et intellectuels signataires font dans l'indigénisme comme leurs prédécesseurs faisaient jadis dans l'ouvriérisme. Même mimétisme, même renoncement à la raison, même morgue au secours d'une logorrhée intellectuelle prétentieuse (c'est le parti de l'intelligence, à l'opposé des simplismes et des clichés de la «fachosphère»). Un discours qui fait fi de toute réalité, à l'instar du discours ouvriériste du PCF des années 1950, expliquant posément la «paupérisation de la classe ouvrière». De cette «parole raciste qui revendique l'apartheid», comme l'écrit le Comité laïcité république à propos de Houria Bouteldja, les auteurs de cette tribune en défense parlent sans ciller à son propos de «son attachement au Maghreb […] relié aux Juifs qui y vivaient, dont l'absence désormais créait un vide impossible à combler».Une absence, ajoutent-ils, qui rend l'auteur «inconsolable». Cette forme postcoloniale de la bêtise, entée par la culpabilité compassionnelle, donne raison à George Orwell, qui estimait que les intellectuels étaient ceux qui, demain, offriraient la plus faible résistance au totalitarisme, trop occupés à admirer la force qui les écrasera. Et à préférer leur vision du monde à la réalité qui désenchante. Nous y sommes.
Vous vous êtes retrouvé sur le banc des accusés pour avoir dénoncé l'antisémitisme des banlieues dans l'émission «Répliques» sur France Culture. Il a suffi d'un signalement du CCIF pour que le parquet décide de vous poursuivre cinq mois après les faits. Contre toute attente, SOS-Racisme, la LDH, le Mrap mais aussi la Licra s'étaient associés aux poursuites.
En dépit de la relaxe prononcée le 7 mars dernier, et brillamment prononcée même, le mal est fait: ce procès n'aurait jamais dû se tenir. Car, pour le CCIF, l'objectif est atteint: intimider et faire taire. Après mon affaire, comme après celle de tant d'autres, on peut parier que la volonté de parler ira s'atténuant. A-t-on remarqué d'ailleurs que, depuis l'attentat de Charlie Hebdo, on n'a plus vu une seule caricature du Prophète dans la presse occidentale?

Une France soumise. Les voix du refus,collectif dirigé par Georges Bensoussan. Albin Michel, 672 p., 24,90 €. Préface d'Elisabeth Badinter. - Crédits photo : ,
L'islam radical use du droit pour imposer le silence. Cela, on le savait déjà. Mais mon procès a mis en évidence une autre force d'intimidation, celle de cette «gauche morale» qui voit dans tout contradicteur un ennemi contre lequel aucun procédé ne saurait être jugé indigne. Pas même l'appel au licenciement, comme dans mon cas. Un ordre moral qui traque les mauvaises pensées et les sentiments indignes, qui joue sur la mauvaise conscience et la culpabilité pour clouer au pilori. Et exigera (comme la Licra à mon endroit) repentance et «excuses publiques», à l'instar d'une cérémonie d'exorcisme comme dans une «chasse aux sorcières» du XVIIe siècle.
Comment entendre la disproportion entre l'avalanche de condamnations qui m'a submergé et les mots que j'avais employés au micro de France Culture? J'étais entré de plain-pied, je crois, dans le domaine d'un non-dit massif, celui d'un antisémitisme qui, en filigrane, pose la question de l'intégration et de l'assimilation. Voire, en arrière-plan, celle du rejet de la France. En se montrant incapable de voir le danger qui vise les Juifs, une partie de l'opinion française se refuse à voir le danger qui la menace en propre.
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Chantal Delsol : « Devrons-nous choisir entre la démocratie et notre modèle de liberté ? » (31.05.2018)

Par Chantal Delsol
Publié le 31/05/2018 à 18h44
FIGAROVOX/TRIBUNE - Les Italiens rejoignent désormais Polonais, Hongrois et Tchèques dans leur volonté, non pas de sacrifier les libertés individuelles, mais de prendre aussi en compte leurs mœurs et leurs valeurs nationales, explique la professeur de philosophie politique*.
L'Italie s'ajoute à la Grèce, au Royaume-Uni, à la Pologne, à la Hongrie, à l'Autriche, à la République tchèque et à la Slovaquie, soit à la très longue liste des pays qui ont annoncé démocratiquement ne plus vouloir du modèle européen. Même si nombre d'entre eux ne souhaitent pas, contrairement au Royaume-Uni, sortir de l'Europe, ils expriment pourtant la ferme détermination de la transformer de l'intérieur. C'est dans cet espoir que s'est maintenu le groupe de Visegrad, lequel, encore sous présidence hongroise, a tenu ces derniers jours à Budapest un important colloque sur le thème «L'avenir de l'Europe», avec la participation de nombreux universitaires et politiques de tous les pays d'Europe centrale.
L'euroscepticisme, développé à ce point, par tant de pays et tant d'acteurs, traduit pour commencer un échec de l'Europe institutionnelle, sur lequel il faut réfléchir et dont il faudra tenir compte. Au reste, on voit bien que les critiques de l'Europe s'affichent au nom d'une vision plus générale, qu'on pourrait dire illibérale - d'où l'existence d'une internationale dépassant les frontières de l'Europe: l'un des invités du colloque de Budapest était Steve Bannon.
Il apparaît clairement que l'euroscepticisme est une conséquence de l'illibéralisme : l'Europe est fustigée parce que trop libérale.
Il apparaît clairement que l'euroscepticisme est une conséquence de l'illibéralisme: l'Europe est fustigée parce que trop libérale. D'où la surprise: les peuples refusent-ils donc d'être libres? D'où la question angoissée des élites de nos pays: faudra-t-il donc «les forcer à être libres», selon le mot d'ordre de Lénine - effaçant ainsi la démocratie?
Ou bien faudra-t-il, démocratiquement, nous plier  à cette volonté populaire et abandonner des pans de liberté? Allons-nous devoir choisir entre la démocratie et notre modèle de liberté?
La vieille Europe tremble et se défait devant cette question. La réponse a déjà été amorcée: une partie de nos élites ne croient plus à la démocratie, en raison précisément des préférences à leurs yeux inacceptables des peuples. L'Europe institutionnelle est dominée par une «idéologie des professionnels», pour utiliser l'expression de Thomas Frank  (dans son livre Pourquoi les riches votent à gauche ), Europe institutionnelle qui défend la liberté postmoderne contre les peuples. Ces derniers arguent de la démocratie (le nombre est de leur côté) pour imposer leurs opinions illibérales.
Cette querelle idéologique est à la fois lutte des classes et guerre des dieux, bataille entre deux nouveaux  «grands récits», énième combat des antimodernes contre les modernes. Parce qu'elle est lutte des classes, elle porte le ressentiment et le mépris ; parce qu'elle est guerre des dieux, elle porte la colère et la mauvaise foi. Elle brise nos sociétés en clans irréconciliables, ouvrant des brèches profondes au sein même des familles, comme toute brisure nouvelle et, à ce titre, cruelle.
C'est la plus mauvaise passe que nous traversons depuis la chute du communisme
C'est la plus mauvaise passe que nous traversons depuis la chute du communisme. Le rejet de la modernité ou de certains de ses aspects commence au début du XIXe siècle, anime le romantisme allemand, inspire les fascismes et corporatismes d'entre-deux-guerres et voit finalement sa légitimité fracassée  par le nazisme, qui, au nom d'une idéologie antimoderne, a fait ce que l'on sait. Le nazisme a profané la contestation antimoderne. Ainsi, la raison moderne devenue entre-temps postmoderne, dès lors privée  de contradicteurs (aussitôt assimilés au nazisme, donc jetés à la géhenne),  a exalté au-delà de toute limite les libertés diverses, récusant les identités particulières et les définitions, effaçant, comme le disaient Horkheimer et Adorno, «les dieux et les qualités».
L'Europe institutionnelle, à cet égard, n'a pas échappé aux excès, en termes de déni de l'identité, par exemple. Mais l'apparition sur la scène des peuples d'Europe centrale, dont l'histoire est assez douloureuse pour leur épargner la crainte de la reductio ad hitlerum, a changé la donne. Aussitôt entrés, ils entament la récusation des modèles libéraux postmodernes - incluant la liberté politique, économique et sociétale - et, au fond, la société de marché, où, par la grâce de la liberté toute-puissante, l'esprit lui-même a valeur marchande. Il s'agit encore d'une résistance au déploiement de la vision moderne, ici postmoderne: mondialisme  et cosmopolitisme, émancipation, libéralisme sur tous les plans.
Un gouvernement qui réclame un certain protectionnisme économique n'est pas pour autant une injure à l'État de droit
Tout courant politique peut s'avérer dangereux en raison des fous furieux qui naviguent sur ses bords. Et les démocraties illibérales, qu'on appelle ainsi parce que ce ne sont pas des dictatures, nous donnent l'impression de se tenir tout près des gouffres. Un gouvernement qui réclame un certain protectionnisme économique n'est pas pour autant une injure à l'État de droit. Remplacer les directeurs des grands médias, redécouper à son avantage les circonscriptions: ce sont des mesures que prennent la plupart de nos gouvernements, quelle que soit leur obédience.
Mais mettre en cause les pouvoirs de la Cour constitutionnelle? Il faut dire qu'en ce qui concerne les gouffres, nous avons tout connu au long du XXe siècle. Il est donc naturel et plutôt sain que nous soyons vigilants. Cependant, nous ne pouvons plus continuer à décrire tous ces acteurs comme des imbéciles et des extrémistes. Car l'affaire est infiniment plus complexe et vaut qu'on s'y attarde. Face aux élites qui ont tendance à vouloir une liberté absolue, c'est-à-dire indépendante des facteurs et des circonstances, les peuples ont tendance à vouloir une liberté située, inscrite dans les réalités.
Prenons l'exemple périlleux de l'immigration. Nous avons l'habitude de considérer comme des xénophobes et des racistes, donc à réduire ad hitlerum, tout pays qui refuse des migrants ou érige des murs. Nous considérons la question de l'immigration comme un drame.  Un drame est une situation grave dans laquelle on sait où est le Bien, sans savoir si l'on parviendra à le rejoindre, étant donné les difficultés. Le Bien consiste à accueillir chez nous les immigrés demandeurs, mais y parviendrons-nous? Voilà le drame.
Cependant, pour les démocraties illibérales, la question de l'immigration n'est pas un drame, mais une tragédie. La tragédie est une situation dans laquelle deux valeurs se combattent, l'une et l'autre tout aussi importante et affamée. Ici, le Bien consiste à accueillir les réfugiés errants, et le Bien consiste aussi à préserver notre culture et notre identité. En situation de tragédie,  la décision ne consiste pas à courir vers le Bien à toutes jambes en s'oubliant soi-même, mais à mesurer au regard de la situation les deux valeurs qui se contredisent. Il faut ajouter que, dans toute situation de tragédie, qu'elle soit personnelle ou collective, la conscience seule peut décider, tant la chose est complexe.
Vouloir réduire une tragédie à un drame, c'est tronquer la réalité.
C'est pourquoi les peuples en question jugent assez répugnantes les admonestations morales venues des autres. Les peuples d'Europe centrale, par exemple,  ont fait le choix d'assumer l'accueil des réfugiés ukrainiens  (sans doute près de 2 millions à ce jour en Pologne) et trouvent assez mal venu qu'on leur reproche de ne pas s'ouvrir aux Syriens ou aux Afghans. De quoi se mêle-t-on? La situation de tragédie n'a d'instance surplombante que la conscience - j'entends la sienne propre,  et non celle des autres!
Vouloir réduire une tragédie à un drame, c'est tronquer la réalité. La situation actuelle est très grave parce qu'elle ne concerne pas seulement un combat idéologique, mais une guerre de classes. Il est  peu probable que nous ayons à choisir entre la démocratie et la liberté.  Les démocraties illibérales ne réclament pas des dictatures,  comme c'était le cas pour plusieurs pays européens dans les années 1930. Elles réclament de replacer la liberté dans la réalité - la liberté de circuler ne saurait être absolue, elle se heurte  à la question de l'identité culturelle. Cependant, si les élites s'entêtent à récuser les réalités, elles finiront  par rendre les peuples fous, menaçant ainsi les libertés: on finit toujours par perdre ce qu'on a refusé de définir - donc de limiter.
* Membre de l'Institut, Chantal Delsol dirige, avec Joanna Nowicki,  le Dictionnaire encyclopédique  des auteurs d'Europe centrale et orientale depuis 1945, en préparation, et qui sera publié en 2019 aux Éditions Robert Laffont.

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Chantal Delsol

Luc Ferry : «Le RGPD ? Une colossale erreur !» (30.05.2018)

Par Luc Ferry
Publié le 30/05/2018 à 17h47
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Depuis le 25 mai dernier, un nouveau réglement européen de protection des données est entré en vigueur en Europe. Pour notre chroniqueur, ceci est «comme l'enfer, pavé de bonnes intentions autant que d'effets pervers».
De quoi il s'agit? Du «règlement général de protection des données» chargé, du moins à ce  que la bureaucratie européenne prétend, de protéger nos données personnelles en obligeant les entreprises qui les récoltent  à nous en informer, à préciser  les usages qu'elles en font, à nous permettre de les refuser et de garantir ainsi la vie privée des résidents européens partout dans le monde.  A priori, qui pourrait être contre? C'est justement là le piège, car ce RGPD, comme l'enfer, est pavé de bonnes intentions autant que d'effets pervers au plus haut point calamiteux.
Au premier abord, le citoyen ne peut qu'applaudir… sans rien comprendre toutefois aux véritables enjeux de cette catastrophe programmée. Car ce dispositif sera au final infiniment plus pénalisant pour les TPE-PME européennes que pour les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon NDLR) , qui disposent à l'année d'une armée  de juristes et de logiciels parfaitement aptes à nous arroser de messages les mettant en conformité avec le RGPD. Pour 99 % des utilisateurs de Google  et des principaux réseaux sociaux  (qui, notons-le déjà au passage,  sont tous américains!), les services rendus sont infiniment supérieurs à la protection de données dont ils n'ont  en vérité pas grand-chose à faire.
Pour l'usager de base, que Google connaisse son nom, son âge, sa profession ou son adresse IP est si indifférent qu'il  ne perdra pas trois minutes à lire le message écrit en caractères minuscules mettant son site de navigation favori en conformité avec la nouvelle usine à gaz concoctée par l'Europe. La position dominante des Gafa fait que quasiment personne ne renoncera à les utiliser quoi qu'ils fassent de nos données. On ajoutera qu'en toute hypothèse,  les géants du Net pourront toujours les pomper sans vergogne attendu qu'ils disposent de «portes de derrière» qu'ils pourront utiliser d'autant mieux que Trump a déjà pris un décret ouvrant une brèche dans ce RGPD qui devait servir l'Europe mais va s'avérer une formidable aubaine pour les Gafa.
Si nous voulons, nous Européens, éviter de devenir une colonie de l'est de la Chine et de la Silicon Valley,  il vaudrait mieux éviter de nous tirer en permanence des balles dans le pied
Ils ne pouvaient rêver meilleur coup de pouce pour eux et plus pesant boulet pour nous, cette réglementation étant chronophage et coûteuse pour nos TPE-PME qui devront le cas échéant faire appel à une entreprise spécialisée, voire à un emploi dédié pour se mettre et surtout rester en permanence dans les clous. Au passage, ce machin conçu et mis en place par une alliance de fonctionnaires anticapitalistes et de bureaucrates ignorant tout du monde de l'entreprise comme des enjeux cruciaux de la troisième révolution industrielle ajoutera un nouveau frein à l'innovation continentale, contribuant à accroître le retard déjà presque irréparable de la recherche européenne en matière d'intelligence artificielle (IA).
Si nous voulons, nous Européens, éviter de devenir une colonie de l'est de la Chine et de la Silicon Valley,  il vaudrait mieux éviter de nous tirer en permanence des balles dans le pied. On sait en effet que le principal facteur de progression de l'IA réside,  en dehors de la puissance des machines et des algorithmes, dans la quantité  de données qu'on leur fait avaler.  On essaie d'empêcher les données européennes de partir vers les USA, mais où sont les Gafa européens qui pourraient seuls éviter que ce ne soit  le cas? Nulle part!
Tant que nous n'aurons pas de Gafa européens, mettre des barrières ne servira à rien d'autre qu'à nous pénaliser nous-mêmes
Il faut donc être d'une naïveté insondable pour s'imaginer que les Gafa renonceront  à utiliser nos data, qui sont leur principale source de revenu. Au reste, les assistants domestiques de Google et autres géants du Net, les télévisions connectées et les nouveaux sites de rencontre de Facebook se chargeront de continuer à les collecter comme jamais.
A-t-on bien pris conscience, j'y insiste, que toutes ces firmes,  sans aucune exception notable, sont américaines? Tant que nous n'aurons pas de Gafa européens, mettre des barrières ne servira à rien d'autre qu'à nous pénaliser nous-mêmes en faisant plaisir à une poignée de moralistes indifférents au réel.
Alors que faire? Rien? Évidemment non, mais comme pour les «fake news», ce n'est certainement pas par la loi, surtout quand elle prend  la forme d'une véritable usine à gaz, qu'on y arrivera, mais d'abord  et avant tout en créant nos propres Gafa, ensuite par l'information dès  le collège sur les «fake news»  et l'usage des data. Il faut faire comprendre à nos enfants en quoi consistent exactement les risques  qu'ils prennent en naviguant  sur Facebook, YouTube, Snapchat, Messenger, Tweeter, Instagram et  les autres. Pour le quart d'heure, le seul effet réel du RGPD est de confirmer ce fait navrant qu'en effet les Américains ont les Gafa et nous, la Cnil.

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Islam de France en crise : des musulmans veulent une gestion départementale (30.05.2018)

Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 30/05/2018 à 19h41 | Publié le 30/05/2018 à 19h34
Dans un contexte de conflit chronique entre organisations, une fédération avance quatorze propositions innovantes.
L'homme est discret mais très efficace. L'islam de France, il le connaît comme sa poche. Mais aujourd'hui, Mohammed Moussaoui, marocain d'origine, mathématicien de métier - il enseigne cette matière à l'université de Lyon - sort de sa réserve, parce que ce président d'honneur du Conseil français du culte musulman (CFCM), qu'il a dirigé de 2008 à 2013, est las de voir l'organisation de sa religion se déliter en France.
En publiant, mercredi, «quatorze propositions» innovantes pour donner une nouvelle impulsion aux instances de représentation de l'islam - propositions qui n'éludent aucun des sujets qui fâchent au sein de la communauté musulmane, comme la formation des imamsou le financement du culte -, ce responsable musulman entend, «par des mesures fortes en matière de gouvernance», mettre fin à «la défiance d'une partie de la communauté musulmane à l'égard des instances représentatives du culte musulman». Et contribuer à lutter «contre les courants extrémistes» et le «radicalisme».
La grande nouveauté de ce document est sa méthode d'approche : c'est en analysant ce qui ne marche pas dans l'islam de France que ce projet cherche à corriger le tir
Ces propositions sont portées par l'Union des mosquées de France (UMF), présidée par Moussaoui, qui est l'une des grandes fédérations de l'islam dans l'Hexagone. L'UMF revendique 700 mosquées et salles de prière sur les 2600 lieux de culte musulman qui sont en France. Elle est considérée comme proche du «Palais», c'est-à-dire du roi du Maroc.
La grande nouveauté de ce document est sa méthode d'approche. C'est en analysant ce qui ne marche pas dans l'islam de France que ce projet cherche à corriger le tir. Avec une leçon majeure: la décentralisation de l'organisation par la création d'un véritable échelon départemental de l'islam, base nouvelle des instances nationales et régionales. L'équivalent, même si la comparaison est incongrue, des diocèses catholiques.
Un imam référent
Avec, par exemple, dans chaque département, le choix d'un imam référent, l'établissement d'un financement local, transparent et contrôlé par le terrain. Mais aussi une collaboration accrue de terrain entre les différentes tendances de l'islam pour être au plus près des familles dont les adolescents seraient pris par la radicalisation. Ce qui revient, en clair, à un contrôle plus étroit des dérives extrémistes par un travail de proximité.
«Dès que nous agissons au niveau départemental, observait, mercredi, Mohammed Moussaoui, en présentant ces mesures, nous trouvons beaucoup plus facilement des accords entre nous alors qu'au niveau national joue le poids des grandes fédérations». De fait, l'islam de France est encore très lié à ses appartenances d'origine - algérienne, marocaine, turque - qui l'empêchent d'agir d'une seule voix. Quant au niveau régional, il existe avec les CRCM (conseils régionaux du culte musulman) qui sont perçus comme trop éloignés des réalités de terrain.
Le document propose la création de deux instances séparées, l'une « administrative », l'autre « religieuse », qui vérifierait notamment « le contenu du prêche »
Plus concrètement, ces nouvelles propositions sont regroupées en trois chapitres. «L'organisation du culte musulman» tout d'abord, qui propose notamment la création de deux instances séparées, l'une «administrative», l'autre «religieuse», qui vérifierait notamment «le contenu du prêche» et des moyens concrets pour «faire face aux propagandes extrémistes».
Deuxième partie, la formation des imams. Avec l'idée de créer «un socle commun» fondé sur les «29 livres couvrant la formation des imams à l'Institut Mohammed VI» et un effort sur la pratique du français par les imams, dont «un bon tiers ne parle pas ou très difficilement le français et un petit tiers s'exprime moyennement». Le tout couronné par une procédure «d'agrément» des imams, au niveau départemental mais confirmé par l'échelon régional, voire national.
«Transparence» financière
Troisième chapitre, le financement, avec un mot-clé, «la transparence», qui n'est pas effective aujourd'hui. Au lieu de commencer par créer une superstructure nationale qui suscite «les rivalités» et donc la paralysie, le document propose de lancer des associations départementales, notamment abondée par les revenus du marché halal et soumises à des comptabilités transparentes. Idée innovante enfin: une «plate-forme numérique» qui permettrait aux donateurs de choisir des projets tous présentés à égalité et assorties d'informations précises sur leur suivi comptable.

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Mohammed Moussaoui : « Il faut rétablir la confiance des musulmans de France en leurs instances » (30.05.2018)

Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 30/05/2018 à 19h29 | Publié le 30/05/2018 à 19h17
Le président d'honneur du Conseil français du culte musulman (CFCM) estime qu‘il faut se rapprocher des fidèles «par des mesures de moralisation et de transparence».
Mohammed Moussaoui, président d'honneur du Conseil français du culte musulman (CFCM), est le leader de l'Union des mosquées de France, proche du royaume du Maroc.
LE FIGARO: La décentralisation à l'échelon départemental est au cœur de vos propositions. Pourquoi ce choix?
Mohammed MOUSSAOUI: Notre ambition est de rapprocher les institutions musulmanes des fidèles via la départementalisation et de rétablir la confiance dans ces institutions par des mesures de moralisation et de transparence. De nombreuses enquêtes d'opinion montrent que les institutions actuelles sont considérées comme trop éloignées des préoccupations des musulmans de France et qu'elles ne sont pas en mesure d'interagir efficacement avec les nombreuses attentes qui sont essentiellement d'ordre local.
Jamais les autres fédérations ne seront d'accord avec vos propositions d'un «tronc commun» pour la formation des imams et une mise en commun des financements…
Une meilleure coordination entre fédérations est possible, c'est tout notre effort! La mise en place de ce socle commun de formation faciliterait notamment la procédure d'agrément des cadres religieux. Quant à la gestion des moyens et des sources de financement, elle nécessite une coopération accrue, mais la solidarité n'a jamais empêché des initiatives individuelles.
«Les conseils départementaux des imams et aumôniers, par leur proximité, peuvent être des espaces d'écoute pour les familles touchées par la radicalisation de leurs enfants»
Mohammed Moussaoui
Vous semblez peu insister sur la formation à la laïcité pour les imams?
Au contraire! Nous insistons sur la complémentarité entre la formation théologique dispensée par les instituts musulmans et la formation profane des diplômes universitaires. Ces derniers abordent l'interculturalité, les principes et les institutions de la République et l'islamologie universitaire. Notre ambition est d'accéder à une meilleure connaissance des autres cultes ainsi que des institutions de la République. Et pour traiter efficacement l'ensemble de ces sujets, dont la laïcité, l'une de nos propositions appelle à doubler le volume horaire de ces formations diplômantes.
Pourquoi le CFCM - dont ce serait le travail - n'arrive-t-il pas à formuler de telles réformes?
Nous voulons lancer un processus, et non pas remplacer le CFCM. J'ai d'ailleurs demandé au président du CFCM de saisir les différentes fédérations afin qu'elles mènent ce travail avec leurs adhérents respectifs. Le CFCM doit ouvrir ensuite un espace de dialogue - qui pourrait prendre la forme d'un séminaire - permettant la présentation des contributions des fédérations, puis leur synthèse en un projet commun. Nous espérons que notre réflexion puisse contribuer à une accélération de cet agenda et que l'ensemble des composantes de l'islam de France puissent se l'approprier et l'enrichir.
Que peuvent faire les communautés locales pour repérer et traiter à temps la radicalisation des jeunes?
C'est l'une des raisons qui nous confortent dans notre choix de départementalisation. Les conseils départementaux des imams et aumôniers, par leur proximité, peuvent être des espaces d'écoute pour les familles touchées par la radicalisation de leurs enfants. Ces espaces permettront aux imams et aux aumôniers de multiplier les rencontres avec les jeunes et de mieux accompagner les détenus qui ont pu croiser des radicaux pendant leur incarcération.

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Des sénateurs veulent une loi pour encadrer la formation des imams (30.05.2018)

Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 30/05/2018 à 20h38 | Publié le 30/05/2018 à 19h48
La sénatrice Nathalie Goulet insiste sur la formation civique obligatoire des ministres du culte, aussi importante que la formation religieuse.
Le Sénat prépare une nouvelle proposition de loi visant notamment à renforcer la formation des imams. Portée par la sénatrice Nathalie Goulet (UDI-UC, centriste), qui travaille en étroite collaboration avec le sénateur André Reichardt (Les Républicains), elle pourrait être présentée à la mi-juin par le groupe centriste.
Ces deux élus, respectivement de l'Orne et du Bas-Rhin, ne sont pas des débutants en la matière. Ils sont les auteurs de deux rapports remarqués sur les «filières djihadistes» en 2015 et sur «l'islam de France» en 2016. Quant à Françoise Gatel (Union centriste), rapporteur de ce texte, elle fut la cheville ouvrière de la proposition de loi sur le renforcement des contrôles des écoles hors contrat.
« Nous cherchons à déclencher un débat sur la formation des imams en France. Notre proposition de loi touche tous les cultes»
Nathalie Goulet, sénatrice
Cette nouvelle initiative reprend en réalité une proposition de loi lancée en 2017 sur le même thème par le sénateur Reichardt. «Nous cherchons à déclencher un débat sur la formation des imams en France, explique la sénatrice Nathalie Goulet. Notre proposition de loi touche tous les cultes. Mais quand on va à l'étranger, et particulièrement dans les pays musulmans, on nous dit: “Contrôlez vos imams”, mais quand on revient en France, les juristes nous disent: “On ne peut rien faire”! Combien de temps allons-nous attendre pour prendre en main ces questions? Il est vrai que le président de la République prépare des annonces importantes à ce sujet. Mais nous voulons contribuer à cette prise de conscience. C'est bien de bâtir des procédures judiciaires pour fermer des mosquées et faire taire des prédicateurs radicaux, ce serait encore mieux de travailler à la source, au niveau de la formation pour neutraliser le radicalisme.»
«Un sujet très délicat sur le plan constitutionnel»
La formation des ministres du culte est précisément au cœur de cette proposition de loi. Mais elle voudrait aussi définir ce qu'est un ministre du culte pour la République car «aucune définition juridique n'existe», note la sénatrice qui reconnaît toutefois que «c'est un sujet très délicat sur le plan constitutionnel». Le texte entend aussi créer une «formation civique obligatoire» des ministres du culte, aussi importante que la formation religieuse qui, elle, «n'est pas du ressort de la République», insiste Nathalie Goulet. «Il n'est pas question de violer l'esprit de la loi de 1905, tient à souligner la parlementaire, ni de limiter la liberté d'expression religieuse» et encore moins «de se substituer à la responsabilité des communautés, qu'il faut soutenir par tous les moyens possibles parce qu'elles ont les clés du terrain». Pour autant, «il faut vraiment que le débat s'engage», martèle-t-elle.
Les auditions ont eu lieu mais le travail en commission sur cette proposition de loi risque toutefois d'aboutir à son rejet pour des raisons d'inconstitutionnalité.
Les auditions ont eu lieu mais le travail en commission sur cette proposition de loi risque toutefois d'aboutir à son rejet pour des raisons d'inconstitutionnalité. En cause: l'interprétation de la notion «d'intérêt de l'ordre public» (article 1er de la loi du 9 décembre 1905). En effet, pour la commission des lois du Sénat, il n'est pas évident d'établir un lien entre la formation des ministres du culte et la sauvegarde de l'ordre et de la sécurité publics.
Les sénateurs Goulet et Reichardt considèrent, quant à eux, que le principe de neutralité de l'État ne peut être compris comme un «principe d'inaction et d'incompétence pour tout ce qui touche à la sphère religieuse». Ils estiment qu'une meilleure définition des ministres du culte, qui ont «une fonction primordiale» dans la direction et l'animation d'un culte, «légitime parfaitement le fait d'exiger que ce personnel reçoive une formation appropriée». À l'image, observent-ils, de «toutes personnes exerçant des responsabilités au sein de la société».

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Dans le nord du Mozambique, l'inquiétant éveil de l'islamisme armé (30.05.2018)
Par Tanguy Berthemet
Mis à jour le 30/05/2018 à 19h09 | Publié le 30/05/2018 à 18h11
Un groupe djihadiste a signé plusieurs attaques dans cette zone qui regorge de ressources gazières.

Ils se sont abattus à l'aube sur deux villages perdus, d'un coin plus perdu encore de l'extrême nord du Mozambique. Dimanche matin, ces assaillants, armés de machettes et de couteaux, ont massacré dix personnes, dont deux adolescents et le chef de la communauté. Puis ils se sont renfoncés dans les forêts environnantes.
«Personne n'a encore été arrêté en relation avec cette attaque», a déploré un porte-parole de la police. L'identité des assassins ne fait pourtant aucun doute pour personne. Les lieux comme les méthodes sont ceux d'«al-Shabab», un groupe islamiste radical qui sévit dans la région depuis l'automne. Le 5 octobre, plusieurs dizaines d'hommes armés avaient attaqué le commissariat et pris d'assaut la caserne de Mocimboa da Praia, une petite ville côtière proche de la Tanzanie. L'invraisemblable occupation djihadiste avait duré deux jours, le temps pour l'armée de s'organiser et de reprendre la cité. Le bilan fut de 16 morts, dont 2 policiers. Officiellement, seul un civil aurait perdu la vie.
Baptisée «al-Shabab», l'insurrection, selon Maputo, ne disposerait que de peu d'hommes, et surtout d'aucun lien avec la puissante milice éponyme somalienne, liée à al-Qaida.
Cette poussée de l'islam radical aux confins oubliés du pays a semblé prendre un peu à froid le gouvernement de Maputo. L'islam pèse, certes, selon les statistiques, 17 % des habitants, et sans doute le double en réalité, mais les imans sont réputés proches du pouvoir. Dans les campagnes du Nord, la violence n'a qu'à moitié surpris. Depuis des mois, les élites voyaient des jeunes adopter un discours toujours plus dur. Comme ailleurs en Afrique, au Nigeria ou au Mali, ils venaient d'une secte islamiste, fondée en 2014, al-Sunna Wa Jama, s'en prenant aux élites locales, aux chefs traditionnels, à l'école et à l'État, traités indifféremment de mécréants. Sur cette terre miséreuse, les mots ont vite porté, profitant des querelles entre soufis et wahhabites creusant aussi les tensions tribales.
Baptisée «al-Shabab» («les jeunes» en arabe) par les locaux, l'insurrection, toujours selon Maputo, ne disposerait que de peu d'hommes, et surtout d'aucun lien avec la puissante milice éponyme somalienne, liée à al-Qaida. Ses contours sont toujours mal connus, comme ses véritables moyens. Des témoins laissent entendre que certains des responsables auraient fait des études dans des pays du Golfe ou au Soudan. Très vite les autorités affirment avoir réglé le problème, minimisant les risques posés.
Le gouvernement n'a pas tenté de comprendre. Une répression musclée s'est abattue sur le groupe, contraignant les militants à gagner l'abri des forêts. Plus de 300 personnes soupçonnées d'être proches de la mouvance sont arrêtées et 7 mosquées rasées. Aujourd'hui, plus de 130 personnes sont encore détenues et attendent un procès.
Des multinationales italiennes et américaines se sont installées à Palma, à quelques dizaines de kilomètres seulement des fiefs djihadistes.
Mais les incursions islamistes continuent. Beaucoup sont petites, de simples raids pour piller des vivres. Les habitants évoquent des menaces, des enlèvements de femmes, des rackets. Puis, fin avril, deux villages sont la cible de djihadistes. Dimanche, deux autres communautés sont endeuillées, des hommes décapités après avoir été accusés de collaborer avec la police. «Cette attaque est inquiétante et montre une détérioration de la situation. Il y a plus d'actions et les méthodes, notamment les décapitations, semblent se radicaliser», détaille Éric Morier-Genoud, de l'université de Belfast. Le gouvernement, lui, insiste toujours sur le caractère secondaire de cette implantation islamiste.
Une posture qui n'est pas de l'aveuglement. Cette sale petite guerre tombe très mal. L'extrême Nord revêt depuis peu une importance majeure, si ce n'est capitale, pour le Mozambique. En 2010, de fabuleuses réserves de gaz (5.000 milliards de mètres cubes) ont été découvertes au large, promettant une manne vertigineuse. Des multinationales italiennes et américaines se sont installées à Palma, à quelques dizaines de kilomètres seulement des fiefs djihadistes. Pour éviter tout reflux, Maputo vient de conclure avec l'Ouganda un accord pour former les policiers. D'après la presse du Mozambique, une entreprise para-étatique a engagé, pour protéger les investissements, Erik Prince, le sulfureux fondateur de Blackwater, la plus grande armée privée du monde, aujourd'hui démantelée.
Pour l'heure, les investissements colossaux prévus, qui s'élèvent à près de 15 milliards d'euros, n'ont pas été freinés. L'argent peut donc encore un jour entrer dans les caisses asséchées de l'État. Le Mozambique, après des années de croissance euphorique, est au plus mal. Sa dette s'élève officiellement à 120 % du PIB, les spécialistes estimant ce chiffre très optimiste. «Cet argent est important pour le pays. Mais on peut douter de l'efficacité de la méthode entièrement répressive choisie pour vaincre une insurrection de faible intensité», remarque Éric Morier-Genoud.

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Béchara Raï : «On donne de la valeur au pétrole, mais pas aux chrétiens d'Orient» (31.05.2018)
Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 31/05/2018 à 19h55 | Publié le 31/05/2018 à 19h36
INTERVIEW - En visite en France, le patriarche des maronites a rencontré Emmanuel Macron pour évoquer les tensions liées à la présence des réfugiés syriens au Liban.
Il en impose, le patriarche Béchara Boutros Raï. Ce patriarche de l'Église maronite - une des grandes Églises orientales de l'Église catholique, qui autorise notamment les prêtres mariés - est l'une des grandes figures du Liban. Dans cet univers politique et social complexe, il incarne la stabilité d'une Église qui a forgé ce pays depuis des siècles et qui garde toujours un rôle «politique», au sens sociétal du terme. En particulier aux heures sombres, quand cette Église a aidé ce peuple à traverser tant d'épreuves. Mais l'Église maronite, dont il est le chef, n'est pas seulement une institution au pays du Cèdre, elle joue aussi un rôle décisif sur le plan international pour la défense des chrétiens d'Orient. Rayonnement d'autant plus efficace que les maronites libanais vivent en partie en diaspora sur tous les continents du monde. Tous les deux ans environ, le patriarche Raï, 78 ans, qui est aussi cardinal, parfait francophone, visite ses communautés en France, une occasion d'entretenir des contacts au plus haut niveau. Cet homme qui compte sur l'échiquier du Moyen-Orient a notamment été reçu cette semaine, en France, par le président de la République et le premier ministre.
Il est vraiment temps de terminer cette guerre. La communauté internationale est-elle incapable de parler de paix ? Faut-il ne parler que de guerre ! C'est une honte pour notre siècle
LE FIGARO. - Vous avez rencontré le président Macron pour la première fois à l'Élysée. Le Liban découvre-t-il en lui un ami proche?
Béchara RAÏ. - Emmanuel Macron est une personne qui n'entend pas seulement avec les oreilles, mais aussi avec le cœur. Il comprend ce que vous dites. Il «sent» avec vous. Il n'est pas figé sur ses positions. Il vous donne confiance. Ça, c'est grand! Nous disons qu'écouter avec le cœur, c'est déjà résoudre la moitié du problème de votre interlocuteur. Et, parfois, on a vraiment besoin d'avoir quelqu'un qui vous écoute. Évidemment, en France, nous sommes toujours à l'aise: nous parlons avec des amis, parce que mille ans de vie avec les Français, cela crée une amitié vraie. Ce ne sont pas des amis de circonstances… Ainsi, la France, qui est une voix importante, a toujours été du côté du Liban dans toutes les péripéties de son histoire, même si les décisions pour le Moyen-Orient dépendent de la communauté internationale.
L'avez-vous alerté sur le sort des chrétiens d'Orient?
Les chrétiens sont arrivés 600 ans avant l'islam. Cela veut dire que la culture de base de tout le Moyen-Orient est une culture chrétienne. Nous avons aussi formé la modération musulmane
Ce fut l'un des points de notre conversation. Au Moyen-Orient, les chrétiens ne sont pas des intrus. Et encore moins une «minorité». Les chrétiens sont arrivés 600 ans avant l'islam. Cela veut dire que la culture de base de tout le Moyen-Orient est une culture chrétienne. Nous avons aussi formé la modération musulmane. Car il faut distinguer les musulmans du Moyen-Orient de ceux qui font la guerre. Or, si la présence chrétienne se réduit encore, nous perdrons un élément essentiel qui assure la modération musulmane. Nous transmettons aussi nos valeurs chrétiennes, les valeurs de la francophonie, l'aspect moderne de la vie, la liberté, l'égalité, le pluralisme, des droits de l'homme. Je ne nie pas la culture musulmane, elle a ses valeurs. Mais, quand les chrétiens ne sont plus suffisants en nombre, nous perdons beaucoup. On donne une valeur au pétrole, aux ressources naturelles, on ne donne pas une valeur aux chrétiens du Moyen-Orient. Cette ressource importante est négligée.
Pourquoi les chrétiens quittent-ils le Liban?
On nous félicite parce que nous accueillons 1.750.000 réfugiés syriens et 500.000 Palestiniens, soit plus de la moitié de notre population, mais la Syrie est trois fois plus grande que le Liban
Ce fut le point essentiel de notre conversation. Si les chrétiens - comme les musulmans - quittent le Liban, c'est parce que le pays va très mal économiquement. On nous félicite parce que nous accueillons 1.750.000 réfugiés syriens et 500.000 Palestiniens, soit plus de la moitié de notre population, mais la Syrie est trois fois plus grande que le Liban. Il y a des zones immenses qui sont sécurisées. Les Syriens peuvent donc rentrer chez eux. C'est leur droit, c'est leur pays, c'est leur culture, leur civilisation. Mais ces réfugiés ne sont pas encouragés à rentrer pour des raisons politiques. J'ai donc demandé au président Macron de nous aider à les encourager à rentrer. Nous sommes très solidaires avec les réfugiés, humainement et socialement, mais nous avons aussi une population qui vit à 30 % en dessous du seuil de pauvreté. Il est donc temps de laisser le peuple syrien rentrer chez lui. Sinon le Liban encourra un sort fatal à long terme. Cette guerre en Syrie nous a aussi détruits, et nous ne voyons pas venir la paix. C'est pourquoi nous avons aussi évoqué la possibilité et l'utilité d'organiser une conférence internationale de paix pour le Moyen-Orient. Il est vraiment temps de terminer cette guerre. La communauté internationale est-elle incapable de parler de paix? Faut-il ne parler que de guerre! C'est une honte pour notre siècle.
Vous êtes très inquiet pour la francophonie?
En août 2017, le Parlement a voté une loi pour augmenter le salaire des professeurs, mais cette mesure menace les écoles privées et catholiques qui ne sont pas du tout subventionnées. La scolarité doit augmenter d'environ 500 euros. Imaginez si vous avez trois enfants! La majorité des parents sont incapables de payer cela. C'est une catastrophe sociale. Résultat: ces écoles vont fermer leurs portes et, avec elles, une éducation de qualité, en particulier pour l'enseignement du français. J'ai aussi évoqué ce sujet avec Emmanuel Macron, car le lycée français, qui a dû fermer ses portes, est aussi concerné. La francophonie est en jeu.
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Guillaume Tabard : «Pour Marion Maréchal, la bataille culturelle avant le combat politique» (31.05.2018)

Par Guillaume Tabard
Publié le 31/05/2018 à 20h25
CONTRE-POINT - Toujours à distance du monde politique, l'ancienne benjamine de l'Assemblée poursuit son ambition de prendre un jour la tête d'une droite recomposée, sans griller les étapes.
«Débranchons Mai 68», oui ; mais méditons Mai 68, aussi. Tel pourrait être la leçon de la soirée organisée ce jeudi par le mouvement les Éveilleurs d'espérance et par la revue l'Incorrect, et dont l'intervenante principale était Marion Maréchal. «Débranchons Mai 68» - c'était l'intitulé de la soirée - sur le plan idéologique, mais méditons-le sur le plan politique.
Ce que révèle l'événement dont le cinquantenaire est célébré est le décalage chronologique entre les victoires culturelles et les victoires électorales. Sur l'évolution des mœurs et l'effritement des institutions (l'école, la famille, l'Église, les syndicats…), personne ne conteste la fracture qui s'est opérée en mai 68. Et ça n'est que treize ans plus tard, en mai 1981 que fut présentée la facture politique, avec l'arrivée de la gauche au pouvoir ; une bascule institutionnelle préparée par une lente installation de l'esprit et des enfants de Mai 68 dans les sphères culturelles, associatives et locales. Avec, rappelons-le, un effet trompe-l'œil. À la sortie des événements, aux législatives de juin, c'était pourtant le pouvoir gaulliste qui, ébranlé dans la rue et dans les usines, avait triomphé dans les urnes.
Cette impossibilité immédiate de jouer au chamboule-tout, de refaire à droite le «coup» de Macron, est une chance pour Marion Maréchal
Les circonstances, les enjeux et les rapports de force ne sont évidemment pas les mêmes. Mais il y a de cela dans le projet de l'ancienne benjamine de l'Assemblée. Nourrir d'abord un terreau culturel avant de poser les jalons d'une offensive politique. C'est la raison d'être de son Institut de sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP). Et c'est l'espoir de toute une mouvance qui espère la voir prendre un jour la tête d'une droite recomposée. Les Éveilleurs de l'espérance sont par exemple issus des veilleurs, créés par Pierre Nicolas et Benoît Sévillia en marge de la Manif pour tous. Et si, comme nombre d'initiatives étudiantes de mai 68, la Manif pour Tous fut un échec politique - même à droite la page a été tournée -, elle a conduit à s'engager une génération de jeunes, le plus souvent catholiques, ne se reconnaissant dans aucune structure politique actuelle. Plus globalement, Marion Maréchal fait le pari de l'impossibilité de reconstruire idéologiquement une droite capable d'incarner une alternative majoritaire à Emmanuel Macron à partir des partis existants, que ce soit les Républicains ou le Rassemblement national - comme il faudra appeler le FN à partir de demain. Tout comme elle fait le constat de l'impossibilité à renverser aujourd'hui la table de jeu actuel. «Il ne sert à rien de parler dès maintenant de recomposition alors que la décomposition est loin d'être arrivée à son terme», confie-t-elle.
Cette impossibilité immédiate de jouer au chamboule-tout, de refaire à droite le «coup» de Macron, est une chance pour Marion Maréchal. Elle lui donne le temps de travailler sur le fond et de former ces futures élites pour l'heure minoritaires et isolées. Elle lui permet aussi de faire fructifier le capital de popularité qu'elle a acquis sans attaquer frontalement ou même verbalement sa tante, consciente que des Atrides familiales ne font que des vaincus et aucun vainqueur. La percée de 5 points qu'elle enregistre dans le baromètre Kantar-Sofres-Figaro Magazineconfirme qu'elle peut jouer en première division tout en restant sur le banc de touche. Une position confortable. Même si, en politique, aucun fruit ne tombe jamais de lui-même. Mai 68 le rappelle.

Les méthodes musclées du lobby vegan (28.05.2018)
Par Olivia Détroyat et Eric de La ChesnaisMis à jour le 30/05/2018 à 15h58 | Publié le 28/05/2018 à 17h32
ENQUÊTE - Depuis trois ans, l'association vegan L214, qui multiplie les vidéos chocs sur la maltraitance des animaux dans les abattoirs, est sortie de l'ombre. Elle est devenue un lanceur d'alerte redouté des agriculteurs et de toute la filière agroalimentaire.
«J'attends avec impatience le jour où ils seront reçus sur le plateau du 20 heures de TF1. C'est sûr, ça arrivera.» De l'avis d'un fin connaisseur des coulisses agroalimentaires, le récent coup d'éclat de l'association L214, qui a mobilisé il y a peu Sophie Marceau pour défendre le sort des poules en cage dans un élevage des Côtes-d'Armor, est loin d'être anodin. Après Allain Bougrain-Dubourg, Raphaël Mezrahi ou Laurence Parisot sur la question de la fourrure, mais aussi Stéphane Bern sur le sort des poules pondeuses, l'association végan signe, avec l'une des actrices préférées des Français, un gros coup d'éclat. Un coup d'éclat couronné ce dimanche jusque dans les travées de l'Assemblée nationale. Après des jours de polémique, les députés ont ainsi donné leur feu vert à l'expérimentation de la vidéosurveillance dans les abattoirs volontaires. Même si l'association plaidait pour une obligation, ce vote est une petite victoire de L214 contre ceux, FNSEA en tête, qui jugent ce dispositif inefficace, voire contre-productif.
Créée il y a dix ans, L214, dont le nom fait référence à l'article L214 du Code rural relatif à la protection animale, prône un mode de vie excluant toute consommation de protéines animales. Mais aussi toute utilisation de produits issus des animaux. Exit, donc, les œufs, le miel, le cuir ou encore la fourrure. «Aux yeux du grand public, leur motivation reste de faire évoluer les pratiques d'élevage et d'améliorer le bien-être animal», souligne Amaury Bessard, de l'agence de conseils en communication stratégique Shan, coauteur d'une étude sur les méthodes explosives du lobby. Mais la finalité reste bien d'abolir toute exploitation des animaux, placés au même niveau que les hommes. «En utilisant des ambassadeurs comme Sophie Marceau, L214 élargit son audience bien au-delà des militants végan. C'est une stratégie marketing rondement bien menée», ajoute ce dernier. Une avance semi-masquée qui est devenue son fonds de commerce.
« Derrière les bonnes intentions, avec lesquelles on ne peut être que d'accord pour faire reculer la maltraitance des animaux, il s'agit d'un mouvement idéologique radical antispéciste, qui veut convertir les êtres humains sur l'égalité de toutes les espèces sur cette terre »
Pascal Perri, journaliste indépendant, spécialiste des questions agricoles
«Derrière les bonnes intentions, avec lesquelles on ne peut être que d'accord pour faire reculer la maltraitance des animaux, il s'agit d'un mouvement idéologique radical antispéciste, qui veut convertir les êtres humains sur l'égalité de toutes les espèces sur cette terre», remarque Pascal Perri, journaliste indépendant, spécialiste des questions agricoles. «Je regrette que L214 ne dénonce jamais publiquement les actions violentes commises pour défendre la cause végan, comme le saccage d'une boucherie, d'un McDonald ou l'intrusion dans des lieux privés comme les bâtiments d'élevage», complète Thierry Coste, lobbyiste pour la Fédération nationale des chasseurs (FNC) et plume pour les questions rurales et agricoles auprès d'Emmanuel Macron. Consciente de ces critiques, L214 se défend de toute stratégie de communication. «Sophie Marceau fait partie de nos sympathisants sur les réseaux sociaux, nous l'avons simplement contactée et elle a dit oui tout de suite pour nous aider, explique Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 avec son compagnon Sébastien Arsac en 2008. Nous sommes sincères et le grand public le sent. Nous n'avons jamais changé de discours depuis que l'association existe. Nous sommes végan et prônons un mode de vie consistant à ne plus consommer aucun produit issu des animaux ou de leur exploitation.»
Considérée comme infréquentable à sa création, l'association est en train de se faire une place de choix sur la scène médiatique. «Ils sont passés d'une communication ultramilitante et agressive à une approche plus pédagogique et informative, avec de nombreux chiffres et rapports pour étayer leurs images brutes», indique Amaury Bessard. «Les gens que nous rencontrions lors de nos tractages dans la rue ne nous croyaient pas quand on leur parlait des conditions d'élevage cruelles. Ils pensaient que cela n'existait pas en France. Nous leur avons apporté les preuves grâce aux images», appuie la fondatrice.
Place de choix dans les médias
Après des sorties au compte-gouttes, leurs enquêtes vidéo se multiplient à partir de 2015. Comme des actes de cruauté dénoncés dans l'abattoir d'Alès, dans le Gard, puis celui de Mauléon-Licharre, dans le Pays basque, en 2016, ou encore lors du gazage de cochons filmés à l'abattoir de Houdan, en 2017… Des images qui non seulement captent de nouveaux adhérents - ils sont aujourd'hui plus de 30.000, soit trois fois plus qu'en 2015 -, mais qui entraînent aussi un afflux des dons. «Nous sommes passés de 700.000 euros en 2014 à 3 millions d'euros de recettes en 2017, reconnaît Brigitte Gothière. C'est un budget qui reste limité lorsqu'on le compare à celui d'Interbev, l'interprofession de la viande, 10 fois plus élevé.»
Médiatiquement, l'apport des vidéos fait sortir L214 de l'anonymat. Le tournant viendra le 6 septembre dernier. Les activistes arrivent à négocier la diffusion en exclusivité des images dans un «access prime time» phare du PAF: «Quotidien», de Yann Barthès. Ces nouvelles images coups de poing dévoilent les conditions de vie désastreuses de poulets dans un élevage suspecté de travailler pour un grand industriel de la volaille. Soit une audience de plus d'un million de personnes pour cette enquête baptisée: La Souffrance des poulets Doux. L'objectif est clair: s'attaquer aux grands noms de la chaîne alimentaire pour faire bouger les lignes: Système U, Panzani, Doux, Hénaff… Avec cette large audience, la notoriété de l'association franchit un cap. Elle devient plus fréquentable et entre dans les réseaux d'influence qui comptent. «L214 s'est imposée comme un lanceur d'alerte crédible, pertinent et efficace, avoue Olivier Falorni, député radical de La Rochelle. Brigitte Gothière domine parfaitement le sujet. Son expertise, notamment sur l'installation de caméras dans les abattoirs, a nourri notre travail lors de la commission d'enquête sur le bien-être animal de 2016 à l'Assemblée nationale.» Au-delà du combat des idées, l'association contribue aussi à faire du véganisme une niche de croissance aussi bien sur le marché alimentaire que sur celui des cosmétiques. Le géant L'Oréal a lui-même cédé à la vague, en lançant récemment une gamme végan.
Mais, après dix années de combat, le principal fait d'armes de L214 reste d'avoir fait bouger la filière œufs, en bannissant les élevages hors sol où les poules sont enfermées dans de toutes petites cages à l'abri de la lumière du jour. Les producteurs tricolores, leaders en Europe avec plus de 14 milliards d'œufs pondus par an, ont dû se rendre à l'évidence. Même s'ils dénoncent un acharnement du lobby contre leur filière, le tsunami du bien-être animal peut les faire couler s'ils ne changent pas de méthodes. «D'ici à 2022, au moins une poule pondeuse sur deux sera élevée dans un élevage alternatif à la cage aménagée, s'est engagé récemment le CNPO (Comité national pour la promotion de l'œuf). Il pourra s'agir d'élevages au sol, en plein air ou bio.» Le CNPO pouvait difficilement faire autrement, le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron ayant repris cet objectif dans ses promesses de campagne. Surtout, sentant le vent tourner, les enseignes et les agro-industriels se sont engagés à bannir les œufs de poules élevées en cage d'ici à 2022 ou 2025. Des engagements savamment relayés par L214, à grands coups de communiqués.
«Ça frôle la désinformation»
Ces méthodes chocs font grincer les dents des principaux mis en cause: les agriculteurs et leurs représentants. «Le problème de L214, c'est qu'ils n'en ont rien à foutre du bien-être animal, fustige sur France Info, Étienne Gangneron, éleveur dans le Cher et responsable du bien-être animal à la FNSEA. Ces vidéos, ils les ont en stock depuis un moment. Si, vraiment, ils voulaient protéger les animaux, ils les auraient sorties au moment où ils ont filmé […] Ils inscrivent cela dans un calendrier médiatique qui est lié à la loi post-EGA (États généraux de l'alimentation, NDLR)». Certains parlementaires concernés au premier plan ne sont pas en reste. «Ces méthodes violentes aux dérives sectaires, où l'on persécute les éleveurs, sont difficilement supportables, explique le député LaREM Jean-Baptiste Moreau, lui-même éleveur et rapporteur du projet de loi alimentation. Ça frôle la désinformation.» «Il y a une déconnexion totale entre la réalité des abattoirs et ceux qui en parlent, juge Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, qui est aussi à la tête d'une porcherie dans le Maine-et-Loire. Au-delà des dérives qui peuvent exister, c'est scandaleux de décrédibiliser à ce point la totalité d'une profession pour des raisons militantes.»
En attendant, la profession de la viande devra être créative pour ne plus broyer vivants les poussins mâles qui ne pondront pas d'œufs ou ces canetons femelles qui ne produiront pas de foie gras. L'opinion publique ne veut plus voir non plus ces porcelets castrés à vif ou leur queue coupée au sécateur. Tant que ces images existeront, L214 aura encore un bel avenir devant elle. «D'une poignée de bénévoles à nos débuts, nous en comptons 2000 dans toute la France, se réjouit Brigitte Gothière. Mais avec 50 salariés, nous devons encore nous structurer.» L'avenir semble pourtant plus dégagé qu'aux premières heures du combat. L'assise financière de L214 lui permet de multiplier le nombre de ses actions de lobbying et de ses enquêtes coups de poing. Quitte à supporter le poids des amendes lorsque ses membres vont trop loin. Comme en octobre 2017, quand deux de ses militants, dont Sébastien Arsac, ont été condamnés pour «violation de domicile». Ils avaient dissimulé quelques mois plus tôt des caméras dans un abattoir de porcs à Houdan dans les Yvelines, filmant les conditions d'étourdissement des porcs.

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La route du lithium (25.05.2018)
Par Bostjan Videmsek
Publié le 25/05/2018 à 06h15
REPORTAGE - Ce métal alcalin destiné aux batteries des voitures électriques annonce une nouvelle révolution industrielle. Des mines boliviennes du salar d'Uyuni jusqu'aux usines chinoises, cet or blanc fait l'objet de toutes les convoitises. Un travail à découvrir, l'espace d'un été, au Festival Photo La Gacilly.
De nos envoyés spéciaux Bostjan Videmsek (texte) et Matjaz Krivic (photos)
Un bruit mécanique déchire le silence du salar d'Uyuni, le plus grand désert de sel au monde, posé à 4000 mètres d'altitude. A l'extrémité de la route qui serpente à travers la cordillère des Andes, incongrues dans cette immensité blanche, des pompes aspirent sans relâche la saumure des profondeurs. Haletant comme des bêtes de somme, des centaines de camions hors d'âge chargent la poussière saline, crachant leur fumée noire dans l'haleine fraîche des montagnes alentour. Sous un soleil implacable, encombrés d'une combinaison rouge et d'une cagoule, des employés de l'entreprise d'Etat Comibol aux allures de cosmonautes s'affairent autour de piscines creusées dans la croûte de sel pour en extraire l'or blanc de Bolivie: le lithium, une matière première très recherchée, nécessaire à la construction des batteries de téléphones portables, d'ordinateurs et de voitures électriques. Pierre angulaire de la révolution électrique annoncée par Elon Musk et les autres magnatsdes nouvelles technologies, le marché mondial de ce métal alcalin pourrait dépasser les 40 milliards d'euros d'ici à 2022.
Depuis le XVIIIe siècle, le monde a connu trois révolutions industrielles. L'une avec le charbon, l'autre avec le pétrole et la dernière avec le nucléaire. Le lithium, véritable éponge énergétique découverte en 1817, pourrait bienentraîner la quatrième. Selon les experts, la demande devrait tripler d'ici à une dizaine d'années. Alors que les prix s'envolent - la tonne atteint désormais 7500 euros à l'exportation - la ruée vers le «triangle du lithium», un territoire à cheval entre la Bolivie, l'Argentine et le Chili, a déjà commencé. La Bolivie dispose d'une des plus importantes réserves mondiales: 9 millions de tonnes, sur les quelque 50 millions que compte la planète. Aujourd'hui, le pays le plus pauvre d'Amérique latine caresse le fol espoir de devenir l'émirat énergétique du XXIe siècle.
Depuis l'arrivée au pouvoir d'Evo Morales en 2006, le gouvernement veille jalousement sur son lithium
Une chance historique, mais également un sacré défi. Comment se protéger des appétits étrangers tout en parvenant à faire fructifier ce trésor national? Depuis l'arrivée au pouvoir d'Evo Morales en 2006, le gouvernement a nationalisé de larges pans des secteurs du gaz et du pétrole, et veille jalousement sur son lithium. La Paz a déjà repoussé des offres de partenariat du japonais Mitsubishi ou du français Bolloré. Un choix revendiqué par le président socialiste: «C'est notre argent, nous n'avons aucun partenaire, nous sommes les propriétaires. D'ici peu, la Bolivie décidera du prix du lithium pour le monde entier!» Pour nourrir les rêves de grandeur de l'Etat bolivien, Evo Morales s'est engagé à débourser 925 millions de dollars pour développer l'usine pilote de Llipi, dans la plaine d'Uyuni. L'un des plus grands investissements jamais réalisés dans le pays, à la démesure des espoirs suscités par le précieux minerai.
Par temps clair, le salar d'Uyuni prend l'aspect d'un gigantesque mirage avec le ballet des camions venant charger la poussière saline qui, une fois transformée, donnera le précieux métal. - Crédits photo : MATJAZ KRIVIC
Le marché du siècle
«Nous sommes bien conscients de l'immense potentiel stratégique que le lithium représente pour l'avenir de notre patrie», explique Miguel Parra, responsable de la productionà Llipi. L'homme ne sait plus où donner de la tête depuis que les travaux de construction d'une deuxième usine, qui devrait ouvrir ses portes en avril prochain,ont débuté à quelques kilomètres de la première. La seconde phase d'un projet gouvernemental pharaonique censé offrir un développement économique et social sans précédent.
Depuis son bureau installé sur les rives du salar, Miguel Parra reconnaît cependant avancer à petits pas, à la fois déterminé et un peu effaré face à l'immensité de la tâche à accomplir. Les lourdeurs administratives - chaque décision émane de la lointaine capitale - tout comme les défis logistiques, dans ce désert dénué de routes asphaltées, pèsent lourdement sur le rendement du site. Le manque de qualification des 250 employés, tous boliviens, également. En charge de la recherche de nouveaux gisements, de l'extraction et du produit fini - obtenu par un savant mélange d'évaporation et de précipitation chimique - les ingénieurs recrutés par la compagnie nationale ont tous appris cette technologie de pointe sur le tas. De tâtonnements en nouvelles expériences, la production reste pour l'instant marginale comparée à celles du Chili et de l'Argentine, pays qui se sont ouverts aux investisseurs étrangers, bénéficiant du même coup de capitaux et d'un savoir-faire qui fait défaut en Bolivie.
A rebours de l'optimisme affiché par son Président, certains experts locaux craignent que le pays, loin d'imposer son leadership, ne parvienne jamais à s'inviter dans le «marché du siècle» face à ses concurrents sud-américains déjà bien implantés. Dans les villages désolés de la région de Potosí, où se trouve le salar d'Uyuni, le miracle du lithium ressemble pour l'instant à un mirage. Ses habitants, qui survivent avec quelques arpents de quinoa et un maigre troupeau de lamas, ont à peine entendu parler de ce grand projet qui pourrait les arracher à leur pauvreté ancestrale. «Nous vivons à quelques centaines de mètres du salar, et pourtant personne n'est jamais venu nous expliquer ce qu'il se passe», déplore Luisa Flores de Laso. Il y a six mois, des émissaires de Comibol sont bien venus dans son petit village de Villa Martin, mais uniquement pour effectuer des essais de pompage. «Ils nous ont expliqué qu'ils avaient besoin d'eau pour leur usine. Nous leur avons dit que nous avions à peine de quoi subvenir à nos besoins, mais ils nous ont répondu que l'eau ne nous appartenait pas, que c'était une ressource nationale.» La vieille femme, qui survit grâce à de petits travaux effectués sur des chantiers de construction, ne se fait aucune illusion: loin de tirer un quelconque bénéfice, la population locale risque au contraire de payer un lourd tribut dans cette course effrénée à l'or blanc bolivien.

La masse minérale est abandonnée au soleil durant au moins trois mois, dans d'immenses bassins d'évaporation. - Crédits photo : MATJAZ KRIVIC
De graves conséquences environnementales
La technologie utilisée pour extraire le lithium, basée sur des bassins d'évacuation dans lesquels la masse minérale est abandonnée au soleil pendant trois mois, génère un déséquilibre hydrogéologique qui a des conséquences terribles sur l'agriculture locale et les réserves d'eau disponibles. L'usine de Llipi pompe également l'eau de la rivière río Grande, aujourd'hui pratiquement à sec. «Nous n'avons pas vu une goutte de pluie depuis deux ans. La sécheresse nous a déjà coûté une année de récolte de quinoa. Qu'allons-nous devenir si le gouvernement pollue la seule source de revenus que nous avons?», s'inquiète Luisa Flores de Laso. Son mari, Eustacio, 51 ans, a le sentiment amer d'un immense gâchis. Lelithium aurait pu être une chance inespérée pour les habitants de ces terres ingrates, si la compagnie nationale voulait bien employer et former les populations locales. «Mais ils ne cherchent que des experts! Comme si ce coin oublié de Dieu pouvait en produire…», soupire-t-il.
A Colcha K, chef-lieu de la province du Nor Lípez, Grover Baptista Ali scrute chaque jour avec une inquiétude grandissante le ballet des camions qui défigure la région. Les flamants roses, qui passaient traditionnellement plusieurs mois dans le salar d'Uyuni, sont de moins en moins nombreux depuis que les travaux ont commencé autour du lac il y a une dizaine d'années.
Des usines qui tournent à plein régime
La beauté des lieux est la seule richesse de ses habitants, qui désespèrent de voir arriver de nouvelles écoles, des hôpitaux et des routes. Le secrétaire général de la province est terrifié par la perspective d'imaginer ce petit village endormi au charme pittoresque devenir un jour un Dubaï andin. Membre du parti d'opposition, son bureau est l'un des rares bâtiments officiels à échapper à l'omniprésence virtuelle deMorales, dont le portrait, le nom ou le buste s'étalent partout dans le pays. Loin de verser dans l'hagiographie officielle du président socialiste, Grover Baptista Ali accuse sans détour La Paz de spolier les populations indigènes: «Comme pour le plomb ou le zinc, 15 % des revenus générés par le lithium devraient revenir à la communauté locale. En 2016, la Bolivie a gagné 1,2 milliard d'euros grâce au lithium. Mais nous n'avons pas reçu un centime. Pas un!», tonne le jeune élu.
«On peut trouver du lithium dans d'autres parties du monde. Si la Bolivie traîne trop, elle sortira vite du jeu»
Juan Carlos Zuleta Calderón, économiste bolivien
Il n'y a guère que dans le petit village de Río Grande, qui compte 650 âmes pour presque autant de camions, qu'on trouve des voix enthousiastes. Tous les hommes en âge de conduire travaillent comme chauffeurs routiers pour Comibol. Depuis que la compagnie a commencé à creuser des bassins d'évaporation en 2015, l'avenir s'annonce radieux pour Juan Carlos Ali, 44 ans: «Le lithium est une véritable bénédiction pour notre communauté. Il y a même trop de travail par rapport au nombre de chauffeurs disponibles. Je gagne beaucoup plus d'argent que je n'aurais pu l'espérer, et ce n'est qu'un début!» L'an dernier, l'usine de Llipi a produit 12.000 tonnes de carbonate de lithium. L'objectif affiché est d'en produire 30.000 tonnes à partir de 2019, soit l'équivalent de la production mondiale actuelle. Le pays souhaite également être capable, à terme, de fabriquer ses propres batteries au lithium. Un scénario prometteur aux yeux du chauffeur, mais jugé irréaliste par Juan Carlos Zuleta Calderón. Cet économiste bolivien pointe en effet le retard technologique accumulé et le manque de ressources humaines qualifiées: «Les autorités font comme si le marché allait nous attendre, ce qui est complètement faux! On peuttrouver du lithium dans d'autres parties du monde. Si la Bolivie traîne trop, elle sortira vite du jeu.» La conclusion de l'expert est sans appel: le pays n'a pas les moyens de ses ambitions et ne pourra pas longtemps faire l'économie d'un partenariat avec une ou plusieurs compagnies étrangères expérimentées.
La Chine fait sa révolution énergétique
Jusqu'à présent, seuls les Chinois sont tolérés dans l'élaboration de ce grand projet d'Etat. L'empire du Milieu, champion de l'exploitation sauvage des matières premières et des ressources naturelles à travers le monde, est paradoxalement considéré par le président Morales comme un rempart à l'impérialisme occidental. 90 % du lithium produit sur le site de Llipi est aujourd'hui vendu au géant asiatique, qui s'est lancé dans la production de voitures électriques à grande échelle. En 2017, plus de 300000 automobiles électriques sont sorties des usines du pays, soit trois fois plus qu'aux Etats-Unis. Alors que l'attention médiatique se concentre sur la belle épopée du constructeur Tesla, qui construit une usine de batteries au Nevada, la Chine est en train d'en construire une vingtaine à l'intérieur de ses frontières. M. Lee, directeur des ventes chez ZD, une entreprise basée dans la province du Shandong, à l'est du pays,l'assure: «Le marché automobile mondial sera bientôt méconnaissable. Le prix des batteries va chuter et tout le monde sera transporté grâce à l'énergie électrique. Le pétrole est mort, l'avenir appartient au lithium!» Dans un pays où l'énergie dépend encore à 70 % du charbon, cette révolution annoncée ressemble presque à de la science-fiction. Et pourtant! Il y a quelques mois, le premier cargo fonctionnant entièrement grâce à des batteries au lithium a quitté le port de Guangzhou. Un bateau 100 % green qui transportait… des montagnes de charbon!

Une ouvrière de l'usine chinoise ZD assemble le châssis de ce nouveau véhicule électrique révolutionnaire, un modèle à deux places destiné au marché urbain. - Crédits photo : MATJAZ KRIVIC
Une nouvelle guerre commence
Afin d'endiguer la pollution endémique qui gangrène ses mégalopoles, le gouvernement chinois a publié l'an dernier un décret stipulant que d'ici à 2025, tout véhicule sortant de ses usines devrait être un modèle électrique ou hybride. Les entreprises refusant de respecter cette norme seront retirées du marché. Mais les motivations chinoises ne sont pasuniquement d'ordre environnemental. Simon Moores, directeur de Benchmark Mineral Intelligence, une société spécialisée dans la recherche et le renseignement économique, en est convaincu: l'objectif est bel et bien de s'arroger le monopole d'un marché en pleine expansion. «Pékin achète des mines dans le monde entier. Une guerre du lithium est déjà en train de se jouer», assure l'expert. Dans l'entreprise de haute technologie de Soundon New Energy (SNE) située dans les faubourgs pollués de Xiangtan, au sud du pays, Sophia Peng, l'élégante responsable marketing, n'en fait pas mystère: «Nous devrions bientôt acheter une mine au Canada ou en Australie. Les prix et la demande ne cessant de monter, nous nous devons d'être parés à toute éventualité.» En raccompagnant ses visiteurs perdus dans le dédale futuriste dela société, Sophia Peng avertit: «Et l'Europe serait bien avisée d'en faire autant…»
Ce reportage photographique de Matjaz Krivic est à découvrir à partir du 1er juin au Festival Photo La Gacilly, qui fête cette année ses 15 ans avec 27 expositions en plein air au cœur du Morbihan, toutes liées à la relation entre l'homme et la Terre. Entrée libre. Jusqu'au 30 septembre 2018 (Festivalphoto-lagacilly.com).

Natacha Polony : «Les fossoyeurs du rêve européen» (01.06.2018)
Par Natacha Polony
Publié le 01/06/2018 à 18h10
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Les villages se vident, les centres-villes meurent, les petits patrons se sentent assommés... On peut reconnaître, dans ce qui fait la colère italienne, une image de ce que vit la France.
«Les com… missaires européens, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît», aurait sans doute ironisé Michel Audiard. Il est même assez fascinant de voir comment, à chaque fois que l'Union européenne est au bord du gouffre, un de ses plus hauts dignitaires s'ingénie à la faire détester un peu plus. Le 29 mai, lors d'une émission télévisée, Günther Oettinger a livré sa vision de la situation italienne. Résumé par un tweet de la chaîne de télévision, cela donnait: «Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter.» Scandale en Italie. Du côté du Mouvement 5 étoiles, on s'insurge: «Ces gens traitent l'Italie comme une colonie de vacances où venir passer l'été.» Et c'est l'ensemble de la Commission européenne qui a tenté de sauver les meubles.
Les journalistes de la chaîne ont plaidé coupable, expliquant qu'ils avaient tronqué les propos. Qui étaient les suivants: «Je suis inquiet et je m'attends à ce que dans les semaines à venir les développements pour l'économie de l'Italie pourraient être si drastiques que cela pourrait être un signal possible aux électeurs de ne pas choisir des populistes de gauche et de droite.» Effectivement, les choses sont plus élégamment dites. Mais le sens est le même: les marchés vont attaquer l'Italie jusqu'à faire peur aux électeurs italiens pour les inciter à revenir dans le droit chemin. Mais tout cela dans le respect absolu de la démocratie et des électeurs italiens… C'est à peu près ce qu'a expliqué le président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Celui qui avait prévenu les Grecs: «Il n'y a pas de démocratie en dehors des traités européens.» Une phrase qui n'était pas moins explicite que celle du commissaire allemand.
C'est tout le problème des dignitaires allemands : ils n'ont que rarement de scrupules à expliciter leur vision de l'Europe.
C'est tout le problème des dignitaires allemands: ils n'ont que rarement de scrupules à expliciter leur vision de l'Europe. Au grand dam des défenseurs, notamment français, de l'UE qui, eux, se donnent le mal d'enrober la réalité de mots admirables, qui parlent «Europe sociale», «approfondissement démocratique», «souveraineté européenne». Tant d'efforts pour qu'un commissaire allemand sûr du bon droit de son peuple vertueux face aux paresseux du Sud, ne vienne dissiper les doux rêves et dire clairement ce qui est: l'ensemble de la mécanique financière et politique se mettra en place pour faire rendre gorge aux fous qui ont cru pouvoir changer les choses par le suffrage universel.
Et d'ailleurs, quelles étaient leurs attentes, à ces électeurs italiens? On a tant décrit, en France, une Ligue largement plus à droite que le FN. On a tant évoqué la crise migratoire majeure que vit une Italie abandonnée par ses voisins. Pourtant, dans son édition datée du 29 mai, Le Monde, peu soupçonnable de complaisance avec la coalition hétéroclite italienne, partait à la rencontre des «petits patrons séduits par la Ligue». On est dans la région de Milan, là où la riziculture a organisé la vie sociale. Mais les rizières disparaissent, laissant des friches où Amazon installe ses entrepôts géants. Les villages se vident, les centres-villes meurent. Les petits patrons se sentent assommés par des règles tatillonnes imposées depuis Rome. Comme si l'État, pour faire oublier son impuissance, produisait de la norme et l'imposait à ceux qui n'ont pas les moyens de lui échapper. La cause de ce désastre? Le riz asiatique importé à bas coût et produit sans aucune norme sociale ou environnementale. Pour leur répondre, la Ligue a fait campagne sur le Made in Italy. Contre ces traités de libre-échange négociés dans le secret des couloirs bruxellois.
La démocratie sous surveillance à Rome est aussi notre démocratie.
Qui ne reconnaîtrait dans ce portrait de la colère italienne une image de ce que vit la France? Qui ne comprend que ces deux économies ont subi de plein fouet l'idéologie du libre-échange portée par les structures même de l'UE? Encore l'Italie a-t-elle préservé une part de son industrie, la deuxième d'Europe, quand nous sommes bons derniers.
Le cri du cœur du commissaire allemand a le mérite de la franchise: les marchés se moquent de la riziculture dans la plaine du Po, même si l'agencement des rizières fut dessiné par Léonard de Vinci. Comme ils se moquent des villes moyennes de Creuse ou de Lozère. Les marchés financiers ne voient que cette dette italienne creusée par une monnaie surévaluée, et garantie par le système bancaire allemand. Et si Sergio Mattarella a finalement accepté la liste de ministres proposée par Giuseppe Conte, c'est à la condition que l'eurosceptique Paolo Savona ne tienne pas le ministère de l'Économie: on ne remet pas en cause le dogme.
L'Italie et la France sont deux pays liés par l'histoire et la culture, l'amour du beau et des plaisirs de la vie. Nos Constitutions diffèrent, ce qui explique des moments politiques divergents. Mais nous aurions tort de nous en tenir à ces apparences, car la démocratie sous surveillance à Rome est aussi notre démocratie. Et nous sommes ces citoyens italiens humiliés et ruinés.

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Italie : la Piazza à l'assaut du Palazzo (01.06.2018)

Par Jacques de Saint Victor
Mis à jour le 01/06/2018 à 18h48 | Publié le 01/06/2018 à 18h25
ENQUÊTE- L'Italie a accouché dans la douleur d'un gouvernement « populiste », mélangeant l'extrême-droite et les logiques « antipolitiques » du « ni-droite-ni-gauche ». Cette situation résulte notamment du sentiment de décrochage des classes moyennes italiennes, phénomène par trop négligé par les forces politiques traditionnelles.
Après une multitude de coups de théâtre durant toute la semaine, les forces dites «populistes» ont finalement pu constituer jeudi soir leur «gouvernement du changement», coupant court à tous les discours contre les poteri forti, comme on désigne en Italie «l'establishment» financier et européen, accusé de comploter contre les peuples. Oubliées, les accusations de «coup d'État» du président de la République ou les désirs de «marche sur Rome».
Tout est-il réglé pour autant? Tant s'en faut. Désormais, ces forces «populistes» vont être confrontées au dur exercice du pouvoir. Et l'attelage «hétérogène» du Mouvement 5 étoiles (M5S), qui arrive pour la première fois au pouvoir, et de la Ligue ne va pas se révéler d'un usage commode, d'autant que les rixes entre Salvini et Di Maio ne risquent guère d'être gérées par un président du Conseil totalement inexpérimenté, le juriste Giuseppe Conte, qui pourrait vite se retrouver, sauf révélation, ballotté comme Arlequin dans la comédie fameuse de Goldoni, Arlequin valet de deux maîtres.
Il faut certes se garder de plaquer nos schémas hexagonaux sur ce qui se passe à Rome. La Ligue et le M5S se retrouvent sur une rhétorique anti-Bruxelles, à défaut d'être ouvertement antieuro, et sur la conviction de fond que les clivages politiques ont changé. Les divisions horizontales droite-gauche sont dépassées, notamment pour le M5S. Alors qu'en France ce constat est regardé par les commentateurs comme une «modernité», en Italie, cette fin des clivages horizontaux ouvre la voie au retour des clivages verticaux les plus archaïques, le haut contre le bas, la «Piazza» contre le «Palazzo», comme l'avait théorisé Guichardin, un contemporain de Machiavel, dont se réclame le M5S depuis sa fondation.
La «courbe de l'éléphant»
Il ne faut nullement sous-estimer cette rhétorique particulière du discours populiste italien. C'est le danger insoupçonné de l'abandon du clivage droite-gauche, né en 1789, qui correspond à un tournant historique majeur en Occident. Dans le discours de la Ligue, comme dans celui du M5S, la clé gagnante est d'avoir opposé très clairement la nécessaire protection (économique et sociétale) du peuple des «perdants» de la mondialisation contre les «surclasses» gagnantes globales, partisanes des réformes toujours plus «libérales» sur le plan économique et culturel («société ouverte»).
Protection versus liberté ; démocratie versus libéralisme. La plupart des analystes convergent pour souligner que ce fut une rhétorique gagnante en Italie, les forces «populistes» du M5S et de la Ligue ayant su arriver au pouvoir du fait de l'incapacité des forces traditionnelles, notamment de gauche, de prendre acte du déclassement des classes moyennes, qui ont commencé en Occident à s'appauvrir depuis les années 1980 (avec les réformes Reagan-Thatcher), comme vient de le confirmer la fameuse «courbe de l'éléphant» des économistes de la Banque mondiale Milanovic et Lakner.
Ce qui se profile à Rome est la fin définitive de la «troisième voie» blairiste, reprise par Matteo Renzi sous le vocable de «social-libéralisme». Cette gauche classique a été balayée par sa défense d'une «société ouverte» et d'une «mondialisation heureuse».
« Les peuples veulent des sociétés démocratiques, pas des sociétés ouvertes ».
Viktor Orban
Toutefois, malgré ses points communs, les différences entre la Ligue et le M5S ne vont pas manquer de s'accentuer à l'épreuve du pouvoir. La Ligue de Salvini est assez proche d'un parti de droite dure à la Trump ; elle possède une forte expérience de gouvernement ; elle dirige notamment deux des plus riches régions italiennes, la Lombardie et la Vénétie, et représente les forces vives du petit patronat italien, les PME-PMI, base de la vivacité économique de la troisième économie d'Europe.
Conformément à cette logique de protection, elle plaide surtout, outre des mesures d'allègement fiscal (flat tax), pour des mesures antimigrants et anti-islam (référendum local pour toute construction de mosquée) ; c'est la raison pour laquelle Matteo Salvini a demandé et obtenu le ministère de l'Intérieur. Il sait qu'il peut engranger des résultats à court terme en ce domaine. Il ne manquera pas de se faire condamner par la justice européenne, ce qui accroîtra sa popularité auprès de son électorat ; il est convaincu comme Orban que les «peuples veulent des sociétés démocratiques, pas des sociétés ouvertes».
Hotel California
Tout autre est l'esprit du M5S. Ce nouveau venu dans le paysage politique, né en 2009, déroute toutes les analyses. Car ce mouvement, qui refuse le terme de «parti», n'a quasiment aucune expérience du pouvoir ; il se veut «antipolitique», comme on dit en Italie, fédérant un électorat, surtout du Sud, hanté par le culte de la probité et de la transparence (d'où leur hostilité à toute société secrète comme la franc-maçonnerie).
Constitué à l'origine essentiellement par des déçus de la gauche classique (notamment le PD), le M5S flirte avec les thèses de la «décroissance», hostiles à tous les grands projets d'infrastructure (no-Tav, no-Tap, Tav: Ligne TGV Lyon-Turin. Tap: gazoduc Russie-Europe), ce qui suscitera sur ce point de vives frictions avec les petits patrons de la Ligue. Les militants du M5S traquent sur les réseaux sociaux les dérives des «élites» avec la hargne des sycophantes de l'Antiquité, ceux-là mêmes que Démosthène, à l'époque de la décadence de la démocratie athénienne, désignait comme «les chiens du peuple».
Mais le plus préoccupant, c'est que le M5S rejette au fond la démocratie représentative au profit de la démocratie directe, jouant sur la puissance de la Toile (démocratie 2.0), avec sa plateforme Rousseau. Un «clic vaut un vote». Une partie des dirigeants du M5S, derrière Luigi Di Maio, désireux de gouverner, essayent de se dégager aujourd'hui de ces illusions, mais d'autres restent profondément attachés à ce «directisme» (Giovanni Sartori). Et ils ont le vent en poupe, comme Alessandro Di Battista, qui entretient la crainte des électeurs de voir leur vote «trahi» par les élus. Di Battista proclame qu'il sera le Marat de ce nouveau mouvement, en se réclamant du directeur de L'Ami du peuple, journal qui appelait en 1792 aux massacres des aristocrates, avant d'être assassiné par Charlotte Corday. Voilà l'univers mental de certains M5S. Qui l'emportera de ces deux tendances?
«Rien n'est plus dangereux qu'une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s'exprime sa liberté, c'est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin »
Philippe Séguin, en 1992
D'autant que le M5S pourrait bien être le grand perdant de cette expérience gouvernementale car, outre les fortes espérances qu'il a suscitées en matière de démocratie directe (logiques de «mandat impératif» qui sont inconstitutionnelles), il a surtout l'ambition de changer la donne en matière économique (revenu universel). Luigi Di Maio, qui a pris le ministère du Développement économique et du Travail, va tenter d'obtenir de Bruxelles un assouplissement de la politique d'austérité, en particulier sur l'euro, qui étrangle l'économie italienne. Or, il est peu probable qu'il obtienne le moindre résultat.
La rigidité des pays du Nord a ses raisons ; les dirigeants allemands sont poussés par des forces «populistes» en plein essor, comme l'AfD, hostiles à toute forme de «cadeaux» à l'égard de ceux qu'elles désignent comme des «fainéants» du Sud. Cette guerre entre «populistes» conforte les ordolibéraux dogmatiques à rappeler les obligations des traités qui n'ont rien prévu (en dehors de la sortie dramatique de l'article 50 du traité de Lisbonne). Comme dans toute véritable crise, chacun a ses bonnes raisons pour camper sur ses positions et les populistes du Sud vont se retrouver dans une impasse. Certains comparent déjà l'euro à l'Hotel California de la célèbre chanson des Eagles («You can check out any time you like, But you can never leave»): l'euro étrangle mais personne ne peut en sortir (ou ce serait encore pire).
Le cas italien va soulever cette ultime question qui sera mère des futures tensions entre Rome et Bruxelles: n'y a-t-il aucune solution pour échapper à ce piège? C'est là qu'on se rend compte que le ver était dans le fruit dès l'origine, et on ne peut rétrospectivement que citer la lucidité visionnaire d'un Philippe Séguin, qui décrypta dès Maastricht l'impasse révélée par la «poudrière italienne» : «Quand, prophétisait Séguin en 1992, le coût de la dénonciation (de l'euro) sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait. Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à force d'être étouffés, ne s'exacerbent jusqu'à se muer en nationalismes et ne conduisent l'Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n'est plus dangereux qu'une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s'exprime sa liberté, c'est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin.»
C'est exactement ce qui se dessine à Rome. La grande crise institutionnelle à laquelle nous venons d'assister pourrait bien n'être, si rien n'est fait, que la première étape d'une crise bien plus profonde. L'habileté du président de la République la laisse pour l'instant en suspens.

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La présence de l'islam réveillerait la conscience chrétienne de l'Europe (01.06.2018)
Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 01/06/2018 à 20h33 | Publié le 01/06/2018 à 20h12
SONDAGE - L'identité chrétienne demeure un marqueur identitaire important en Europe de l'Ouest, même parmi ceux qui n'assistent que rarement à des services religieux.
Il faut être américain pour aborder un tel sujet. Ou plutôt non européen, tant la question posée de «l'identité chrétienne de l'Europe», mise en balance avec la montée de l'islam, est, au mieux, taboue, au pire, explosive car politiquement incorrecte. Des Américains pourtant l'ont fait. Le très sérieux et reconnu Pew Research Center, basé à Washington, centre de sondage, d'étude et de recherche sur les évolutions des sociétés, a publié une passionnante enquête cette semaine, intitulée «Être chrétien en Europe de l'Ouest», sur la base de sondages récents réalisés dans 15 pays du Vieux Continent.

Elle offre d'abord une photographie saisissante de la permanence du christianisme comme religion d'appartenance, spontanément et majoritairement citée par les habitants: 91 % sont baptisés, 71 % se disent chrétiens, 22 % pratiquent régulièrement.
Une permanence qui conduit les concepteurs de l'étude à observer: «L'identité chrétienne demeure un marqueur identitaire important en Europe de l'Ouest, même parmi ceux qui n'assistent que rarement à des services religieux.»
Une appartenance qui n'est pas seulement anecdotique: «Il ne s'agit pas simplement d'une identité symbolique sans importance», insistent ces analystes, car elle a un impact direct sur l'opinion des Européens sur des questions de société, dont l'islam et l'immigration.
C'est ainsi que les chrétiens pratiquants européens seraient plus enclins à déclarer l'islam «fondamentalement incompatible avec la culture et les valeurs» de son pays. Avec des pointes particulièrement frappantes en Autriche, Finlande et Italie où ce rejet de l'islam par des chrétiens pratiquants dépasse la barre des 60 %.
La France, sur cette même question et comparée à ses voisins, apparaît plutôt comme tolérante, puisque les chrétiens pratiquants qui jugeraient l'islam «incompatible» avec la culture du pays sont 45 %.
C'est, au reste, l'un des grands enseignements de ce sondage pour l'Hexagone. Plusieurs sondages nationaux récents - de différents instituts mais tous liés à la période des attentats - avaient en effet mis en évidence la montée d'un rejet de l'islam comme culture et comme religion en France. Mais, pour la première fois, ce sondage met en perspective cette tendance vérifiée avec les autres pays européens. Et démontre que les Français - bien que plus frappés par les attentats commis au nom de l'islam que leurs voisins - demeurent en fait dans une moyenne européenne sur ce thème, alors qu'ils s'accusent volontiers d'être très intolérants.
«Culture chrétienne»
«Les catholiques sont plus susceptibles que les protestants d'exprimer une opinion négative à l'égard des musulmans» 
Selon l'étude
L'étude appelle pourtant à la prudence sur l'interprétation de ces chiffres, car l'opinion face à l'islam n'est pas seulement liée à l'appartenance religieuse. L'histoire et la culture des pays et le sens de l'identité nationale jouent également à plein dans la perception de ce sujet. Certes, affirme l'étude, «les catholiques sont plus susceptibles que les protestants d'exprimer une opinion négative à l'égard des musulmans» mais, corrigent les auteurs, il faut vraiment nuancer en plongeant dans la réalité culturelle de chaque pays européen. «Par exemple, au Royaume-Uni, 35 % des catholiques et 16 % des protestants disent que les femmes musulmanes qui vivent dans leur pays ne devraient pas être autorisées à porter des vêtements religieux. À l'inverse, en Suisse, 35 % des protestants expriment ce point de vue contre 22 % des catholiques.»
Mêmes nuances sur la question de l'immigration. Comme celle de l'islam, elle est foncièrement liée à la situation réelle des pays. En France, par exemple, 35 % des chrétiens, pratiquants ou non, déclarent que le «taux d'immigration devrait diminuer», contre 21 % des «sans religion». Mais en Finlande, un chrétien sur cinq est en faveur d'une réduction de l'immigration, soit 19 %, alors que ceux qui n'ont pas de religion repoussent l'immigration à 33 %. Attention donc aux idées reçues…
Islam, immigration, l'étude aborde enfin la question de l'identité européenne avec cette question crue, très débattue implicitement ou explicitement ces derniers temps en Europe: «L'identité chrétienne et l'immigration musulmane sont-elles liées ?». Réponse: «Certains spécialistes ont affirmé que l'afflux de réfugiés, notamment en provenance de pays majoritairement musulmans, a suscité un renouveau de l'identité chrétienne», mais «l'enquête ne peut prouver que l'identité chrétienne est en croissance en Europe». Et au cas où ce processus serait réel, l'enquête ne peut pas «non plus prouver que la croissance de l'identité chrétienne est une conséquence de l'immigration»…
Sans doute, suggère prudemment l'étude, qu'une attention nouvelle «à la culture chrétienne» des Européens se serait davantage développée.

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Terrorisme : la «task force» se déploie sur tous les fronts (01.06.2018)

Par Christophe Cornevin
Mis à jour le 01/06/2018 à 21h37 | Publié le 01/06/2018 à 19h25
L'équipe élyséenne travaille sur un suivi renforcé des radicalisés et des fichés S.
Un an après sa création, la Coordination nationale du renseignement (CNR) a trouvé sa vitesse de croisière. Et rien ne semble échapper à cette structure entièrement dévolue à Emmanuel Macron, conçue comme un «outil de pilotage» dans le champ tourmenté de la lutte antiterroriste et du contre-espionnage. Se voulant souple et réactive, cette équipe composée à l'origine d'une trentaine d'experts dirigés par le préfet Pierre de Bousquet de Florian, figure incontestée du renseignement, a déjà produit 200 notes classifiées à l'intention du président de la République. Sans parler de celles que le chef de l'État reçoit en provenance des services de renseignement qui gardent la haute main sur l'opérationnel.
«Daech conserve sa capacité d'organiser des attentats, de projeter vers l'Europe des équipes qui existent encore, même si l'organisation a faibli après la neutralisation de nombre de ses cadres»
Une source à l'Élysée
L'ensemble offre un panorama guère rassurant de la menace islamiste où il apparaît que, selon une source à l'Élysée, «Daech conserve sa capacité d'organiser des attentats, de projeter vers l'Europe des équipes qui existent encore, même si l'organisation terroriste a faibli après la neutralisation de nombre de ses cadres». En embuscade, al-Qaida, «distancé médiatiquement», semble reprendre du terrain au Levant tandis que son chef, Ayman al-Zawahiri, «désigne de manière périodique la France comme un pays à abattre». Dans l'Hexagone, poursuit-on de même source, le «terrorisme endogène reste une vraie réalité», mettant en scène «des garçons jeunes, sans consistance, peu formés, pas toujours dans le haut du spectre».
Pour mieux assurer la détection de ces terroristes ourdissant leur projet à «bas bruit», les stratèges élyséens proposent de muscler encore les «groupes d'évaluations départementaux», les fameux GED réunissant les services de renseignement autour du préfet pour «cribler», au cas par cas, tous les radicaux susceptibles de passer à l'action. Outre la police judiciaire et la gendarmerie, des «GED thématiques» pourraient très prochainement voir le jour en association avec l'inspection d'académie, la direction départementale de la cohésion sociale, les services sociaux longtemps rétifs à coopérer avec la police ou les services pénitentiaires dont le rôle est devenu déterminant dans l'évaluation des «sortants» de prison, où s'entassent quelque 500 condamnés dans des affaires de terrorisme ainsi que 1.200 à 1.300 détenus de droit commun qui se sont radicalisés derrière les barreaux. Face au flux massif des libérations qui se profilent d'ici fin 2019, des décisions devraient être prises dès la semaine prochaine au plus haut sommet de l'État.
Face à cette impression de trop-plein, les experts du renseignement, bravant le paradoxe, maintiennent cependant que plus les fichiers sont garnis, plus la police sera efficace
Attentat après attentat, la «task force», qu'Emmanuel Macron avait appelée de ses vœux lors de la campagne, mène avec méthode de véritables retours d'expérience, très prisés par les militaires et que Beauvau a trop longtemps négligés. «Il s'agit de réunir les acteurs non pas pour les mettre en cause, mais pour comprendre ce qui a été bien fait et qui a été loupé», précise-t-on à l'Élysée. Exemple? Le déménagement de Khamzat Azimov, l'auteur des attaques au couteau perpétrées le 12 mai dernier dans le quartier de l'Opéra, qui n'avait pas été identifié par les services. Par ailleurs, il faisait l'objet d'une fiche S en raison de sa présence dans l'entourage de son complice, a priori considéré comme plus venimeux. «On ne peut mettre des agents aux basques de chacun des 25.000 individus fichés S et des quelque 10.000 autres ayant une fiche active au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT)», confie-t-on à l'Élysée.
Face à cette impression de trop-plein, les experts du renseignement, bravant le paradoxe, maintiennent cependant que plus les fichiers sont garnis, plus la police sera efficace. Notamment parce qu'une «purge» des bases de données handicaperait les capacités de repérages, mais aussi parce qu'un tel nettoyage viserait d'abord les individus placés en bas de spectre.
Des réflexions sont menées pour tenter de mieux judiciariser des renseignements obtenus par des « sources humaines » infiltrées
C'est-à-dire ceux qui ont commis les derniers attentats. En revanche, les fiches S devraient être «complétées» et «enrichies» en mentionnant systématiquement la nationalité des intéressés, mais aussi leurs alias, les différentes orthographes de leur nom ou encore… les déménagements connus. Si les services se montrent peu enclins à transmettre leurs fiches S aux maires, le ministère de l'Intérieur met la dernière main à une «charte d'interaction» entre les élus et les préfets afin de suivre au plus près l'évolution d'une salle de prière ou de familles gangrenées par la radicalisation.
Enfin, sur le plan opérationnel, des réflexions sont menées pour tenter de mieux judiciariser des renseignements obtenus par des «sources humaines» infiltrées, sans que celles-ci soient soupçonnées de complicité dans des associations de malfaiteurs terroristes. Ces «taupes» pourraient ainsi bénéficier du statut de repenti. Sur le papier, l'idée d'une procédure «dissymétrique» est évoquée: elle permettrait au magistrat d'avoir un accès privilégié à des notes confidentielles sans que celles-ci circulent entre les mains des avocats. Si l'opinion apprécierait, l'État de droit ne le permet pas. Et les juristes ne sont pas mûrs pour bouleverser la donne.

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Éditorial : «Europe : le fossé qui se creuse» (01.06.2018)
Par Arnaud de La Grange
Publié le 01/06/2018 à 21h07
Par Arnaud de La Grange
C'est ainsi, les temps sombres de la Seconde Guerre mondiale continuent à servir de vivier sémantique quand les crises surviennent. En témoigne la pièce tragique que viennent de jouer les politiques italiens. Les antisystème n'ont pas hésité à comparer la politique d'Angela Merkel à celle de l'Allemagne nazie. Et à parler d'«occupation», non plus militaire mais financière de l'Italie…
Derrière ces outrances verbales pointe une sourde colère. Le patron de la Ligue, Matteo Salvini, a traité «les Allemands, les Français et les bureaucrates de Bruxelles» de nouveaux occupants. Son acolyte, le chef de file du Mouvement 5 étoiles, Luigi Di Maio, a fustigé les «agences de notation, les lobbies financier et bancaire», qui font les gouvernements en lieu et place des électeurs. On voulait leur voler le pouvoir. C'était le diktat des technocrates contre la volonté populaire. Finalement, un armistice a été signé, un compromis trouvé…
On oppose facilement deux logiques, celle des dogmes et celle des peuples. En l'occurrence, ici, celle des «élites européanistes» et celle de la rue italienne. L'affaire est moins simple. Et s'en tenir à cette grille de lecture risque de faire le lit des utopies démagogues. Mais on ne peut non plus nier l'existence du fossé qui se creuse. Ce serait encore plus sûrement leur ouvrir la voie.
Sur la carte de l'Europe, la tache des pays qui ruent dans les brancards bruxellois ne cesse de s'agrandir. On peut déplorer la percée de ces mouvements «populistes», on ne peut l'ignorer. Ils sont là, au pouvoir, par les urnes. Au lieu de pousser des cris d'orfraie, il est urgent de proposer autre chose. L'Europe ne peut camper sur des institutions, des procédures et des habitudes. Elle doit aussi asseoir sa légitimité sur l'efficacité et la réponse aux aspirations populaires. Et l'on voit monter partout les profondes inquiétudes en matière de sécurité, d'immigration et d'identité culturelle.
Si l'Europe s'enferme dans son rôle de censeur et de grand horloger de nos démocraties sans se remettre en question, on ne peut donner cher de sa peau.

Enrico Colombatto : «La situation en Italie permettra-t-elle de repenser l'Union européenne ?» (01.06.2018)

Par ENRICO COLOMBATTO
Publié le 01/06/2018 à 19h35
FIGAROVOX/ANALYSE - Le professeur d'économie à l'université de Turin, président du comité scientifique de l'Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), analyse le programme de la Ligue et du M5S, désormais au pouvoir à Rome.
Un gouvernement formé par la Ligue et le Mouvement 5 étoiles a été, après de nombreuses péripéties, constitué en Italie. Les souverainistes partisans de la flat tax et les dépensiers militants du revenu minimum ont bâti une improbable alliance.
Personne ne saurait sans doute se retrouver complètement dans le fatras de leur programme commun. Et pourtant! Cette montée italienne d'un nouveau populisme exprime en même temps un malaise bien justifié: l'insatisfaction suscitée par une classe politique corrompue et incompétente, le mécontentement à l'égard de lourds impôts dont le produit est fréquemment gaspillé, l'irritation face à l'arrogance des centralisateurs bien installés - et bien rémunérés - à Bruxelles et à Strasbourg.
Ils veulent laisser le choix aux individus de prendre leur retraite quand ceux-ci le voudront, pour autant que le total de leur âge et de leur durée de cotisation dépassera 100
Le programme de l'alliance de la Ligue et du M5S est à la fois intéressant et inquiétant. Les deux partis proposent une réduction drastique des impôts en instaurant une flat tax à 15 % et 20 % pour les sociétés et sur le revenu des particuliers (avec une franchise de 20.000 € pour les familles). Ils veulent laisser le choix aux individus de prendre leur retraite quand ceux-ci le voudront, pour autant que le total de leur âge et de leur durée de cotisation dépassera 100. Les deux partis proposent aussi un revenu de citoyenneté de 780 euros (en fait, il s'agit d'une allocation de chômage conditionnée à l'acceptation d'une des offres d'emploi qui pourront, le moment venu, être proposées aux chômeurs) ; la création d'une banque publique pour financer les investissements ; la nationalisation des entreprises d'intérêt national, surtout celles qui sont en difficulté.
Jusqu'à la semaine dernière, la Ligue et le M5S déclaraient aussi leur volonté de sortir de l'euro afin d'avoir libre accès à l'imprimerie de la Banca d'Italia, qui serait soumise au Trésor et chargée de créer une «nuova lira». Tout compris, le plan économique de l'alliance prévoit une dépense supplémentaire de quelque 100 milliards d'euros et une baisse des impôts de 50 à 60 milliards. Le déficit budgétaire supplémentaire s'élèverait donc à 7 % à 8% du PIB et, en cas de sortie de l'euro (qui ne saurait être exclue), le taux d'inflation pourrait facilement atteindre les deux chiffres.
Un texte-liste de Prévert
Ce programme commun a néanmoins le mérite de ne pas oublier les missions régaliennes de l'État: embauche
de forces de l'ordre et augmentation des places de prison ; contrôle des frontières ; priorité aux expulsions et à la lutte contre le «business des migrants» ; instauration d'un registre des imams ; fermeture immédiate des mosquées non autorisées ; organisation d'un référendum municipal avant toute installation d'un nouveau lieu de culte musulman dans la commune. Par ailleurs, ce programme commun prévoit d'assouplir le principe de légitime défense pour permettre aux particuliers d'ouvrir le feu si quelqu'un s'introduit chez eux, même en l'absence de menace physique claire.
Il y a dans cette liste à la Prévert de quoi satisfaire les uns et inquiéter vivement les autres
Certes, le texte est une liste à la Prévert: il évoque aussi l'environnement, les nouvelles technologies (développement de l'«économie verte» et des voitures électriques), l'abandon des sanctions contre la Russie, le développement du référendum d'initiative populaire, l'annulation de la vente d'Alitalia, la remise à plat du projet Lyon-Turin ou la lutte contre les jeux de hasard. Le «code éthique» du programme prévoit certaines mesures communément admises. Ne pourraient pas entrer au gouvernement  des personnes condamnées au pénal, ou sous le coup d'un procès pour de graves crimes supposés. D'autres mesures rappellent en revanche des souvenirs funestes. Il est prévu que des membres de «la franc-maçonnerie» ne pourront pas devenir ministres. Par ailleurs, la lutte contre la corruption des fonctionnaires sera renforcée. Il y a dans cette liste à la Prévert de quoi satisfaire les uns et inquiéter vivement les autres.
Au plan financier, l'impasse ne tarderait pas. Une sortie de l'euro est désormais très peu probable dans l'immédiat (compte tenu des personnalités en charge des portefeuilles des Finances et des Affaires européennes dans le nouveau gouvernement, NDLR). Si cette hypothèse radicale survenait, l'augmentation du déficit public, le risque d'inflation et de dévaluation de la nouvelle lire engendreraient des tensions considérables: les deux tiers de la dette publique (133 % du PIB) sont détenus par les familles et les banques italiennes. La faillite des banques et le pillage des épargnants ne seraient pas bien reçus, surtout par les électeurs de la Ligue et du M5S.
Populisme bon marché
En d'autres termes, dans le domaine financier, le programme de l'alliance relève de l'amateurisme et ne répond pas aux besoins de réforme structurelle de l'économie italienne. Bien au contraire! Mais ce populisme bon marché n'exprime-t-il pas aussi ce que ressentent les majorités silencieuses dans de nombreux pays européens? Finalement, les deux partenaires se sont mis d'accord pour rester dans l'Europe et renoncer à leur extravagante prétention, un moment évoquée, d'exiger l'abandon de 250 milliards de créances de la Banque centrale européenne sur l'Italie. Mais ce qu'ils vont exiger, c'est une refonte de la «gouvernance» de l'Union européenne, notamment économique. Au fond, la Ligue et le M5S ne veulent plus que Bruxelles leur dicte leurs comportements. Ils ne le veulent pas plus que les Britanniques qui ont voté le Brexit et tous les Européens, de plus en plus nombreux, qui refusent que la Commission vienne nous dire quels camemberts nous pouvons manger et quel taux de pollution nous devons accepter dans nos villes.
Les Européens veulent une autre Europe, plus vigilante sur le contrôle de ses frontières, plus ouverte à l'échange des personnes et des marchandises à l'intérieur, mais moins pesante, moins tatillonne
Au-delà des excès et des incohérences, ce qui se passe en Italie devrait être un déclic pour l'Europe. Les dirigeants des pays européens n'ont jamais manqué jusqu'à présent de considérer que chaque crise économique ou politique devait être résolue avec plus d'Europe. En réalité, les Européens veulent plutôt moins d'Europe, ou du moins une autre Europe, plus vigilante sur le contrôle de ses frontières extérieures, plus ouverte à l'échange des personnes et des marchandises à l'intérieur, mais moins pesante, moins tatillonne, moins technocratique. Les Européens ne veulent pas de l'uniformité que les bureaucrates déguisent sous le nom trompeur d'harmonisation.
Les pères de la Constitution américaine, à la fin du XVIIIe siècle, avaient indiqué la bonne route: il faut s'engager à défendre la liberté des échanges, l'esprit d'entreprise et la propriété privée, sans attenter à la personnalité des citoyens et sans démanteler l'éthique de la responsabilité individuelle, pierre d'angle de notre civilisation. Les Européens sont attachés à leurs racines communes, à leur culture riche de sa variété et ils souhaitent que l'Europe laisse chacun libre de grandir.

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Général Jean-Pierre Bosser: «Il faut maintenir l'esprit guerrier» (01.06.2018)
Par Alain Barluet
Mis à jour le 01/06/2018 à 18h13 | Publié le 01/06/2018 à 17h58
INTERVIEW - Pour le chef d'état-major de l'armée de terre, technologie et rusticité du soldat doivent aller de pair.
Le général Jean-Pierre Bosser était vendredi l'invité du «Talk stratégique».
LE FIGARO: Comment se porte l'armée de terre?
Général Jean-Pierre BOSSER: Le moral est bon. D'abord parce que c'est une armée professionnelle, mature et expérimentée. Ensuite parce qu'elle remonte en puissance depuis deux ans. Enfin, elle est déployée sur le territoire national et a la confiance des Français.
Emmanuel Macron a fixé à nos armées l'ambition de parvenir au premier rang en Europe. Êtes-vous prêt à relever ce défi?
«L'enjeu n'est pas seulement de gagner la guerre sur le plan militaire, mais aussi de gagner la paix»
Six grands critères ont été retenus pour cela. Un modèle complet, une masse critique, des équipements de dernière génération, une capacité à agir sur un mode global, car l'enjeu n'est pas seulement de gagner la guerre sur le plan militaire, mais aussi de gagner la paix. J'y ajoute la spécificité du métier des armes, et l'«esprit guerrier», qui combine la capacité à agir dans des milieux difficiles, l'utilisation de la haute technologie et les traditions.
La loi de programmation militaire (2019-2025) vous donne-t-elle les moyens d'accomplir vos missions?
Oui, le soldat reste l'instrument premier du combat. Cette LPM «à hauteur d'homme»répond à nos attentes. Cela signifie des soldats bien équipés, bien entraînés, bien commandés, avec des familles bien dans leur peau. Elle prend aussi en compte la réparation de capacités comme l'artillerie, le renouvellement de nos véhicules blindés et l'innovation pour garder l'ascendant sur l'ennemi.
Qu'attendez-vous d‘EuroSatory, le grand salon des armements terrestres, qui s'ouvrira le 11 juin?
J'attends beaucoup des équipements qui seront présentés, ainsi que de la mise en synergie entre les industriels, la Délégation générale à l'armement (DGA) et l'armée de terre. Pour répondre aux objectifs de la modernisation capacitaire, nous devons améliorer nos dispositifs d'acquisition, qui sont encore trop longs, et marcher du même pas.
«La cuirasse parfaite n'existe pas, mais il ne faut pas être pris en flagrant délit d'impréparation»
L'opération «Sentinelle» est-elle toujours nécessaire?
Je pense que oui. Ce dispositif est pertinent s'il s'adapte à la menace, qui se caractérise par l'effet de surprise et la capacité d'évitement. Le dispositif est aménagé en trois échelons. Le premier est déployé en permanence, le deuxième vient en renfort et permet aussi de s'entraîner sur des scenarii de crise. Le troisième est une réserve stratégique. La cuirasse parfaite n'existe pas, mais il ne faut pas être pris en flagrant délit d'impréparation.
Il y a 9 % de femmes dans l'armée de terre. Est-ce suffisant?
Elles ont toute leur place dans l'armée de terre, et nous avons de plus en plus de femmes volontaires, motivées et compétentes. Que disent-elles? Militaire, au masculin ou au féminin, s'écrit de la même façon - les filles que nous recrutons ont la même motivation que les garçons et refusent la discrimination positive. Cela impose de créer les conditions d'une mixité bien vécue, et d'une véritable égalité des chances dans le parcours professionnel. Sous l'impulsion de la ministre des Armées, nous lancerons un grand plan sur ce sujet à la rentrée.
Avez-vous des réserves concernant le projet de service national universel?
Je n'ai aucune réserve concernant cette ambition. Nous avons des savoir-faire et des savoir-être, et nous pouvons apporter notre compétence auprès de cette jeunesse qui est notre pâte quotidienne. Aujourd'hui, les dispositifs existant sont relativement artisanaux. Avec un service national universel pour 700.000 jeunes, on passe au stade industriel. Ma responsabilité est d'être attentif à ce que cela ne comporte pas de risques pour notre remontée en puissance.

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Allemagne : la Bavière impose le crucifix dans les bâtiments publics (01.06.2018)

Par Nicolas Barotte
Publié le 01/06/2018 à 17h14
Désormais chaque bâtiment officiel devra avoir, à l'entrée, une croix chrétienne. Une décision qui met le gouvernement allemand mal à l'aise.
Depuis ce vendredi, chaque bâtiment officiel de «l'État libre de Bavière» doit arborer dans son entrée une croix chrétienne. Ainsi en a décidé Markus Söder. À moins de cinq mois d'une élection régionale sensible, le ministre président CSU du Land adresse un message clair à l'électorat catholique conservateur, qui pourrait être tenté de voter en partie pour la droite radicale AfD, et une fin de non-recevoir aux tenants de la diversité culturelle. «Il s'agit d'une reconnaissance de notre identité bavaroise et de nos valeurs chrétiennes», s'est félicité celui qui s'est imposé à la tête du Land en début d'année.
Si l'Allemagne ne connaît pas la laïcité à la française, l'État est censé respecter une neutralité religieuse. Markus Söder a balayé la remarque en ne voyant dans le crucifix qu'un signe «culturel et historique» imprégnant la Bavière. Sur les 12,9 millions d'habitants du Land le plus conservateur du pays, près de 6,7 millions se disent catholiques (et 2,6 millions protestants). Face aux protestations, Söder a consenti à des exceptions pour les écoles supérieures, les théâtres ou les musées.
Le gouvernement fédéral est mal à l'aise face à l'offensive bavaroise
Alors que les Allemands s'interrogent sur l'intégration des centaines de milliers de musulmans qui ont rejoint le pays lors de la vague migratoire de 2015-2016, le sujet est explosif. Le gouvernement fédéral est mal à l'aise face à l'offensive bavaroise. Horst Seehofer, le prédécesseur et rival de Söder en Bavière, devenu ministre de l'Intérieur en mars, s'est gardé de tout commentaire. L'Église a aussi pris ses distances. L'effet escompté ne s'est pas fait sentir: à 41 % d'intentions de vote dans la dernière enquête, la CSU recule par rapport au vote de 2013 (47,7 %) et pourrait perdre sa majorité absolue. Donnée à 13 %, l'AfD veut troubler le jeu.
La CSU a donc opéré un virage à droite. Mais le débat sur la place du christianisme en Bavière ne date pas de Söder et on trouve depuis longtemps des croix dans nombre d'administrations ou dans presque toutes les écoles. En 1985, un parent d'élève avait protesté contre ce signe ostentatoire. En 1995, la Cour constitutionnelle lui avait donné raison. Après d'importantes manifestations catholiques, le pouvoir bavarois avait introduit une possibilité de retrait des croix dans les écoles quand des parents présentaient «des motifs sérieux» de plainte. Mais en 2011, la Cour européenne des droits de l'homme avait considéré que les croix dans les écoles ne portaient pas atteinte aux droits fondamentaux, fermant, apparemment, le débat.

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