Un médecin juif de Bagdad avait publié une critique des trois grandes monothéistes.
Pour l’auteur, un certain Ibn Kammuna, le prophète Muhammad était un personnage tout à fait ordinnaire : « Nous ne concéderons pas, écrivait-il, que (Muhammad) ait ajouté à la connaissance de Dieu et à son culte rien de plus que ce qui se trouvait dans les religions antérieures. »
Les qualités morales du Prophète n’ont rien d’exceptionnel : « Il n’existe aucune preuve que Muhammad ait atteint la perfection ou le pouvoir de rendre d’autres parfaits, ainsi qu’on le prétend. » Les non-musulmans ne se convertissent à l’islam que « par peur, pour acquérir le pouvoir, pour échapper à de lourds impôts, pour ne pas être humiliés, parce qu’ils ont été faits prisonniers, ou parce qu’ils se sont entichés d’une femme musulmane. Vous ne verrez jamais un riche non-musulman, bien versé dans sa propre religion, se convertir à l’islam, si ce n’est pour une de ces raisons ». Finalement, Kammuna estimait que les musulmans sont tout à fait incapables de fournir une seule bonne raison qui justifierait le titre de Prophète qu’ils donnent à Muhammad.
Comment les musulmans accueillirent-ils autant de septicisme ? En décrivant les évènements qui eurent lieu quatre ans après la publication de ce traité, le chroniqueur Fuwati (1244-1323) nous donne la réponse :
« En cette année 1284, on sut à Bagdad que le juif Ibn Kammuna avait écrit un livre dans lequel il faisait preuve d’irrévérence envers les prophéties. Allah nous préserve de répéter ce qu’il a dit. Une foule en colère s’insurgea, se rassembla poue attaquer sa maison et pour le mettre à mort. L’émir (…) et un groupe de notables se rendirent à la madrasa Mustansiriya et convoquèrent le juge suprême et les maîtres de la loi pour régler cette affaire. Ils cherchèrent Ibn Kammuna, mais il se cachait. Ce jour-là était un vendredi.
Le juge suprême se prépara donc pour la prière, mais voyant que la foule l’en empêchait, il retourna à la madrasa. L’émir sortit pour calmer la foule, mais elle l’accabla d’injures, l’accusa d’être du côté d’Ibn Kammuna et de prendre sa défense. Alors, sur ordre de l’émir, il fut proclamé dans Bagdad que, tôt le lendemain matin, Ibn Kammuna serait brûlé hors des murs de la ville. La foule se dispersa et nul se parla plus jamais d’Ibn Kammuna. Quant à lui, on le mit dans une malle recouverte de cuir et on le porta à Hilla, où son fils était fonctionnaire, et il y demeura jusqu’à sa mort. »
Cette histoire montre de quelle manière le commun des musulmans, et non pas uniquement ceux que l’on nomme les intégristes, a réagi tout au long de l’Histoire aux soi-disant insultes que l’on aurait faites à sa religion. Les musulmans qui osent émettent des critiques sont habituellement accusés d’hérésie puis décapités, crucifiés ou brûlés.
Ali Dashti, homme de lettres iranien dans son livre Vingt-trois ans…
Ce texte fut rédigé en 1937, mais il ne fut publié anonymement qu’en 1974, et probablement à Beyrouth, après que le régime du shah eut interdit en 1971 la diffusion de toute critique religieuse. Après la révolution iranienne de 1979, Dashti en autorisa la publication par des groupes clandestins d’opposition. Cet ouvrage, dont le titre fait référence à la carrière prophétique de Muhammad, s’est probablement vendu, entre 1980 et 1986, à plus d’un demi-million d’exemplaires, en éditions pirates.
Dashti prend la défense du rationalisme et critique toute foi aveugle, car « les croyances peuvent émousser la raison humaine et le bon sens », même chez les érudits. La pensée rationnelle exige donc que l’on fasse plus « d’études impartiales ». Il refuse vigoureusement tous les miracles attribués postérieurement à Muhammad par des commentateurs trop zélés et il soumet à un examen minitueux et contradictoire le dogme orthodoxe qui affirme que le Coran est la parole d’Allah Lui-même, et qu’il est miraculeux par la seule vertu de son éloquence et du sujet qu’il traite. Il démontre également que même les anciens érudits musulmans, « reconnaissent ouvertement, avant que la bigoterie et l’hyperbole ne prédominent, que le style et la syntaxe du Coran ne sont pas miraculeux et que des œuvres de valeur égale oun supérieure pourraient tout aussi bien être produites par n’importe quel individu qui craint
« Le Coran contient des phrases qui sont incomplètes et incompréhensibles sans l’aide de gloses. On y trouve des mots étrangers, des mots arabes peu courants, des adjectifs et des verbes accordés sans respect de la concordance du genre et du nombre, des pronoms utilisés illogiquement ou de façon agarammaticale et qui n’ont quelquefois pas de référent, des prédicats qui, dans les passages en vers, sont souvent éloignés de nouveaux champs d’investigation aux critiques qui récusent la perfection littéraire du Coran. (…) En résumé, plus d’une centaine d’aberrations par rapport aux règles habituelles de la grammaire ont été relevées dans le Coran. »
En ce qui concerne l’aspect miraculeux du Coran, Ali Dashti remarque, tout comme Ibn Kammuna, que le Coran « ne contient rien de neuf, c’est-à-dire aucune idée qui n’ait pas été déjà exprimée par d’autres. Tous les préceptes moraux contenus dans le Coran sont évidents par eux-mêmes et sont communéments admis. Les histoires qu’ils contient sont reprises telles quelles, ou avec seulement des modifications mineures, des traditions juives ou chrétiennes, que Muhammad a recueillies auprès des rabbins et des moines qu’il a rencontrés au cours de ses pérégrinations en Syrie, et de la mémoire conservée par les descendants des peuples d’Ad et de Talmud ( fréquemment mentionnés dans le Coran et dont on a perdu toute trace). Dans le domaine de l’éducation morale, le Coran ne peut pas être considéré comme miraculeux. Muhammad répète des principes que l’humanité avait déjà élaborés en d’autres lieux et en d’autres siècles. Confucius, Boudha, Zoroastre , Socrate, Moïse et Jésus avaient dit des choses semblabes (…) La plupart des rites et des obligations religieuses de l’islam ne sont que le prolongement des pratiques juives que les Arabes païens avaient adoptées. »
Dashti tourne en ridicule les superstitions qui entourent de nombreux rites, et particulièrement celui du pèlerinage à la Mecque. Muhammad lui-même apparaît comme un personnage versatile qui s’abaisse à l’assassinat politique, au meurtre et à l’élimination systématique de tout opposant. D’ailleurs, parmi les partisans du Prophète, les meurtres étaient considérés comme des services rendus à l’islam. Dieu, tel que les musulmans l’imaginent , est critiqué. C’est un Dieu cruel, colérique et orgueilleux, trois qualités qui ne forcent pas particulièrement l’admiration. Enfin, il est clair pour Dashti que le Coran n’est pas la parole divine, car il contient de nombreux passages où il est impossible de dire qui, d’Allah ou de Muhammad, prend la parole.
Dashti mourut en 1984 après avoir passé trois ans dans les geôles de Khomeyni où il fut torturé, malgré qu’il eut 83 ans. Avant d’expirer, il put dire à un ami : « Si le shah avait autorisé la publication et la lecture de livres comme celui-ci, nous n’aurions jamais eu une révolution islamique.»
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