Regardez bien ces lignes verticales. Selon vous, parmi les lignes 1, 2 et 3, laquelle est identique à la ligne A ?
Sans difficulté, vous avez su reconnaître que c’est la ligne 1 qui est identique à la ligne A. Lorsque l’on pose cette question à une personne seule, le taux d’erreur est en effet proche de 0%. Mais ce qui est surprenant, c’est que lorsque l’on pose cette même question à une personne dans un groupe où tout le monde identifie la ligne 2 comme étant identique à la ligne A, alors dans 40% des cas, cette personne répond aussi que c’est la ligne 2 qui est identique à la ligne A.
Cet effet du groupe sur l’individu est ce que l’on appelle en psychologie sociale, le conformisme : lorsque votre jugement entre en conflit avec celui du groupe, vous avez tendance à conformer votre jugement à celui du groupe. Encore plus surprenant, votre jugement conformé à celui du groupe à tendance à « s’internaliser », c’est-à-dire que même en l’absence du groupe vous persistez dans votre jugement erroné.
À l’origine du conformisme : l’expérience de Asch
Solomon Asch (1907-1996) était un psychologue américain d’origine polonaise. Dans les années 50, il réalise une expérience pour étudier les effets de la pression sociale sur le comportement. Il s’agissait, à peu de chose près, d’une expérience similaire à celle des lignes verticales vue plus haut :
Les expériences de Asch ont été répliquées plus d’une centaine de fois dans près d’une vingtaine de pays de cultures variées. Les résultats obtenus diffèrent assez peu : les gens conforment 20 à 40% de leurs réponses à celles du groupe. Ce taux peut vous sembler faible, mais rappelez-vous que la tâche demandée était très simple. « C’est presque comme si les gens disaient voir un chat quand on leur présentait l’image d’un chien parce que d’autres l’avaient fait avant eux » (Thaler, R. H. et Sunstein T. R., p.107).
Comment expliquer le conformisme ?
Il existe plusieurs hypothèses pour expliquer pourquoi les gens ont tendance à se conformer à l’avis du groupe. L’explication la plus sérieuse est que cela permettrait d’échapper à l’inconfort relatif au jugement du groupe. Une question se pose alors : les gens qui se conforment à l’avis du groupe par peur d’être exclu se forcent-ils à modifier leur jugement ou bien finissent-ils par percevoir réellement la même chose que le groupe ? Pour le dire autrement, est-ce que la pression sociale pourrait altérer votre perception ?
Les bases neurobiologiques du conformisme
Dans une recherche en neurobiologie parue en 2005, les auteurs ont utilisé l’IRM pour observer les mécanismes neurologiques de participants en condition de pression sociale versus en situation individuelle face à une information erronée. Les auteurs ont alors observé grâce aux imageries du cerveau que les participants finissaient par voir effectivement la situation comme tous les autres. Ainsi, la pression sociale peut altérer la perception que l’individu peut avoir de son environnement.
Une illustration moderne du conformisme
Les effets du conformisme peuvent s’observer régulièrement au quotidien. Ainsi, j’ai soumis ma nièce âgée de 13 ans à l’expérience des lignes verticales. Sans surprise, elle a répondu que c’est la ligne 1 qui est identique à la ligne A. Lorsque je lui ai expliqué que les gens faisaient plus d’erreur en situation de groupe, elle n’était pas étonnée et m’a dit qu’elle observait régulièrement ce type de comportement dans sa classe.
La vidéo suivante illustre à quel point les effets du conformisme peuvent être puissants, et peuvent vous amener à agir d’une façon parfois très absurde :
Les effets néfastes du conformisme
Le conformisme a pour inconvénient que les groupes sociaux peuvent devenir « la proie du conservatisme collectif : la tendance à rester attaché à des modèles établis même quand survient de nouveaux besoins. (…). Il nous arrive parfois d’adopter une pratique ou de respecter une tradition non parce que nous l’aimons, ni même parce que nous la croyons défendable, mais simplement parce que nous croyons que la plupart des gens y sont attachés » (Thaler, R. H. et Sunstein T. R., p.110).
Les effets positifs du conformisme
A l’inverse, les effets puissants du conformisme pourraient être utilisés pour améliorer nos sociétés. Par exemple, ces effets ont été expérimentés pour améliorer les comportements des automobilistes, notamment pour leur faire respecter les vitesses et les panneaux de signalisation d’une façon plus efficace et moins cher que les radars :
Une des stratégies actuelle : les radars de feu. Inconvénients des radars de feu :
- couteux,
- stratégie critiquée par les populations
- efficacité limité (revenus annuels engendrés en 2015 pour violation au code de la route : 48, 90 et 41 millions de dollars respectivement pour les villes d’Edmonton au Canada, Chicago et NYC).
Nous sommes donc nombreux à ne pas respecter le code de la route.
Exemple de stratégie alternative : installation d’une signalisation indiquant régulièrement aux automobilistes le pourcentage d’automobilistes respectant la vitesse autorisée (étude princeps en 1981, répliquée en 1991).
>> Résultat : stratégie 10 fois plus efficace et moins coûteuse que les stratégies classiques car pour ne pas être l’objet de la désapprobation du groupe, les gens ont tendance à se conformer aux comportements de la majorité. Donc : les groupes unanimes fournissent des modèles puissants pour modifier les comportements.
Sources :
Berns, G. S., Chappelow, J., Zink, C. F., Pagnoni, G., Martin-Skurski, M. E. et Richards, J. (2005). Neurobiological Correlates of Social Conformity and Independence During Mental Rotation. Biological Psychiatry, 58 : 245-253.
Thaler, R. H. et Sunstein T. R. (2010). Nudge. Paris : Vuibert.
https://blog.francetvinfo.fr/dans-vos-tetes/2016/08/21/le-conformisme-ou-comment-letre-humain-devient-un-mouton.html
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