jeudi 23 janvier 2020

Qu'est-ce que la France ? - Débat Zemmour/Finkielkraut 2ème partie


Voici la deuxième partie de la retranscription du débat entre Éric Zemmour et Alain Finkielkraut animé par Claire Kelly, diffusé le 20 janvier sur CNews et qui portait sur la question : Qu'est-ce que la France ?


Première partie : voir ici.

Retrouvez toutes les interventions d'Eric Zemmour sur https://ericzemmour.org/
https://youtu.be/V-Dmj-E2n94?t=1580

Claire Kelly : Alors, on va avancer un petit peu dans le débat puisque vous dites, Alain Finkielkraut que votre identité juive vous donne un penchant pour la France faible plutôt que la France forte.

Alain Finkielkraut : Non. Non. je ne dis pas ça, non, non, non, non, non. Je n'ai pas de penchant particulier pour la France faible. Il est vrai que le patriotisme est né en moi quand j'ai compris que ma patrie, que la France était ma patrie et qu'elle était mortelle, voilà, et qu'il pouvait y avoir quelque chose comme une post-France et que peut-être nous étions entrés dans une époque postérieure à la nation. C'est cela qui a fait de moi un patriote.

Simplement je rappelle une phrase d'un patriote exigeant, intransigeant, Marc Bloch : "C'est un pauvre cœur que celui auquel il est interdit de renfermer plus d'une tendresse." Il s'est passé quelque chose pour les juifs avec la deuxième guerre mondiale. Ils avaient cru au 19e siècle après la Révolution à quelque chose qu'ils ont appelé le franco-judaïsme. La France devenait la terre des accomplissements messianiques. La Révolution française, si vous voulez, réalisait les promesses de justice de la Bible. Cette croyance ne peut plus avoir cours après ce qui s'est passé. Il y a eu la Solution finale. Comme l'a écrit Vladimir Rabbinovich, dit Rabbi, les juifs ont recouvré la condition d'homme libre, mais ils ne peuvent pas oublier qu'ils ont été la ******** du monde, qu'il y a pour les juifs un "plus jamais ça" spécifique, plus jamais cette solitude, plus jamais ce délaissement, plus jamais cet abandon. Il faut qu'il y est quelque part un lieu où nous retrouvions si vous voulez nos prérogatives de peuple, d'où le rapport particulier des juifs à Israël qui n'est pas un sionisme délirant, qui est le souci de cette nation. Voilà. (28'11) Et ça ne m'empêche pas d'être un patriote français.

Claire Kelly : Juste avant de donner la parole à Éric Zemmour.

Éric Zemmour : Non, non, non, je veux répondre à ça.

Claire Kelly : Juste une petite seconde.

Éric Zemmour : Non, non, non

Claire Kelly : Il aime la France forte, vous aimez la France faible ?

AF : Non, non,

EZ : Il aime la France parce qu'elle est fragile. On a compris. Moi, je ne pense pas que le franco-judaïsme ait failli. Moi, je suis toujours un enfant de ce franco-judaïsme. Je pense que c'est une réécriture de l'histoire que de dire que la Seconde Guerre Mondiale a changé le rapport des Juifs et de la France et, si vous me permettez, je vais vous expliquer pourquoi. Je pense d'abord, c'est très très complexe, la Solution finale n'est pas française, elle est allemande. La France était vaincue par l'Allemagne, la France devait se soumettre à l'Allemagne, il y avait dans la convention de l'armistice le fait que la police française devait obéir à l'Allemagne, c'était écrit noir sur blanc.

AF : D'où le rapport de de Gaulle à l'armistice.

EZ : Mais oui, mais oui d'accord, on peut critiquer l'armistice.

AF : Ah bah oui.

EZ : La France aurait été écrasée, hein, aurait été laminée, il n'y aurait plus eu de Français. Donc ça, c'est autre chose, hein. Je vous rappelle ce qu'a dit Raymond Aron, hein : "La France a failli mourir de sa victoire en 14-18 et elle a été sauvée par sa défaite de 40." Il y a un problème démographique.

AF : Raymond Aron a dit ça ?

EZ : Oui, il a dit ça.

AF : Raymond Aron était à Londres.

EZ : Oui, il était à Londres. Je veux dire par là : il n'y aurait pas eu de Londres s'il n'y avait pas eu de Vichy, il n'y aurait pas eu de résistance s'il n'y avait pas eu un État qui contrôlait et je vous ai déjà dit que Vichy a dû faire la part des choses entre les juifs français et les juifs étrangers.

AF : C'est horrible !

EZ : Oui, c'est horrible.

AF : C'est horrible !

EZ : Oui, c'est horrible, mais ça a permis de sauver les juifs français.

AF : On ne peut pas raisonner comme ça.

EZ : Bah si, on raisonne comme ça.

AF : Bah on a tort.

EZ : Bah, on a peut-être tort, mais c'est comme ça. La vie est plus compliquée que l'idéal.

AF : C'est pas un idéal.

EZ : Si, c'est l'idéal. Je vous rappelle qu'il y a des pays comme la Hollande qui ont voulu résister : 98% des juifs ont été massacrés. Et avec Hitler, on ne venait pas à la télévision pour dire "C'est pas bien, tonton." Ça marchait pas comme ça.

CK : Alain Finkielkraut.

EZ : Je continue, non, non, je continue. Les Juifs ont redécouvert un sentiment identitaire non pas  cause de la Seconde Guerre Mondiale, mais à cause de la victoire d'Israël pendant la guerre des Six Jours. Il y a eu une hybris (orgueil fou, démesuré) de la victoire et c'est à ce moment-là qu'on a redécouvert l'extermination des Juifs et le rapport particulier à ce qu'on a appelé plus tard - ce qu'on appelait pas à l'époque - la Shoah. D'ailleurs, il y a un livre là-dessus qui explique très bien ça, qui détermine tout ça, par un historien français. Ce que vous dites, vous, c'est postérieur à la guerre des Six Jours. On ne le disait pas dans les années 50-60. D'ailleurs, il n'y avait pas de rapport particulier à Israël. Romain Gary à qui on demande dans les années 50 ce qu'il pense d'Israël dit : "C'est intéressant, mais mon pays étranger préféré, c'est l'Italie." Moi, je ferais tout à fait mienne cette phrase donc c'est pas vrai, c'est une réécriture de l'histoire que vous faites dans les années 70.

CK : Alain Finkielkraut.

AF : Non, ce qui s'est passé en 67, ce n'est pas l'hybris de la victoire. C'est le sentiment soudain qu'Israël pouvait disparaître...

EZ : Oui, aussi.

AF : ... un sentiment qui a étreint Raymond Aron, le juif le plus assimilé qui se puisse concevoir, modèle d'assimilation pour Sartre dans son essai...

EZ : Tout à fait.

AF : ... sur la question juive. Et voici ce qu'écrivait au lendemain de la guerre Jacqueline Mesnil-Amar dont les textes ont été réunis par sa fille Sylvie Jessua : "Après treize ans d'hitlérisme, après l'Occupation, les camps et les fours, il n'est pas un seul juif, croyant ou incroyant, qui ne se souvienne qu'il est juif. La routine, la négligence des uns, la honteuse ignorance des autres, tout a fondu au destin d'Israël." Quelque chose s'est passé qui a mis du temps à s'exprimer, mais moi je l'ai bien vu. Si vous voulez, il y avait des oppositions entre les juifs. Il y avait les assimilés, il y avait les bundistes, il y avait les sionistes, mais tout ça a complètement disparu du fait même d'un sentiment de fragilité en Europe. Cela peut se reproduire, il peut y avoir quelque chose encore comme une rafle du Vel d'Hiv. Mes grands-parents devaient entrer en zone libre, ils ont été dénoncés par un passeur. Mon père a subi le billet vert, il a été déporté  Beaune-la-Rolande, mais tout ça, c'était fait avec la police française donc il ne s'agit pas simplement de fustiger ou de stigmatiser la France, il y a un sentiment d'insécurité fondamental que l'idée et la réalité d'Israël ont pu apaiser à un certain moment et aujourd'hui...

EZ : Mais non, parce que après on va me dire que moi j'ai pas le temps.

CK : Vous avez deux minutes.

EZ : Je voudrais dire plusieurs choses. D'abord, vous avez dit vous-même "il voulait passer en zone libre"...

AF : Mais il n'est pas passé, je vous signale.

EZ : Oui, mais cher Alain Finkiekraut, s'il avait atteint la zone libre, il aurait été sauvé. Le fait même qu'il y ait une zone libre, c'est parce qu'il y a eu un armistice et parce qu'il y avait le régime de Vichy.

CK : On nous donne encore un peu de temps.

EZ : Deuxièmement, il y a eu effectivement, vous avez raison, une étreinte, une peur de la destruction qui s'est très vite évanouie puisqu'Israël a écrasé les armées arabes en six ours. Et là, je maintiens qu'il y a eu une hybris de la victoire, je tiens à vous dire quand même que Raymond Aron, vous avez raison, a partagé cette peur et c'était l'incarnation du juif assimilé, vous avez raison. Je vous rappelle quand même qu'à la même époque, Lévi-Strauss, lui, n'a pas eu la même réaction et a contesté le propos de Raymond Aron et Raymond Aron lui-même explique que le général de Gaulle a été très choqué par les jeunes manifestants juifs qui se sont baladés dans les rues de Paris avec des drapeaux israéliens et que c'est sans doute à l'origine de sa réaction, la fameuse phrase "peuple d'élite, sûr de lui et dominateur". Donc, voyez, c'est beaucoup plus complexe que vous avez l'air de le dire.

AF : Ce n'est pas plus complexe.

EZ : Mais si, simplement, on ne peut pas abandonner l'assimilation pour les juifs et l'exiger pour les autres, ça ce n'est pas possible, Alain Finkiekraut. C'est incohérent.

AF : Je n'abandonne pas l'assimilation pour les juifs, je me réclame d'une école assimilatrice, non pas une école qui nous oblige  nous fondre dans la masse, mais une école qui nous permettais d'assimiler la culture française et l'histoire de France et je regrette que l'école aujourd'hui ne le fasse plus...

EZ : Et pour tout le monde !

AF : Et pour tout le monde pour les raisons que j'ai dites. Et il n'y a aucune incohérence.

EZ : Si.

AF : Je dirais même qu'aujourd'hui un nouveau franco-judaïsme est apparu, une sorte de communauté de destin parce que l'injure la plus communément répandu dans ce qu''on appelle "les quartiers", les banlieues, il y en a deux : "sale Français" et "sale Juif" ou plutôt, j'en ai fait l'expérience récemment, "sale sioniste" parce que c'est ça qui arrive aujourd'hui aux juifs. On ne les traite pas, très souvent de sale juif, mais de sale merde de sioniste, et moi-même, alors que, depuis très longtemps, je préconise la solution de deux États. Et ça, ça veut dire qu'en effet la francophobie et la judéophobie vont de pair aujourd'hui en France et que les juifs et les autres Français ou les Français d'origine française - je ne sais pas comment les appeler - sont un peu dans un même bateau et que c'est ce bateau qui est en train de couler. Mais j'ai les mêmes exigences vis-à-vis de tout le monde et j'ai bénéficié d'une culture assimilatrice au bon sens du terme et je regrette que précisément l'école ne fasse plus cela et que comme Zemmour, là je le rejoins, et que les épreuves de culture générale soient supprimées des concours sous prétexte que la culture serait élitiste et discriminatoire. C'est une catastrophe pour la France et pour les nouveaux venus comme pour les Français de vieille date.

EZ : Alors, moi aussi je vais le rejoindre sur un point, c'est qu'effectivement, aujourd'hui, dans les banlieues islamisées, l'insulte "sale français" est équivalente à l'insulte "sale juif" ou comme vous l'avez dit, "sale sioniste". Là, nous sommes d'accord. Il y a une communauté de destin, d'ailleurs qui est très vécue par les gens qui sont concernés.

Je pense que là où vous avez tort, c'est de... si vous voulez.... Il y a eu un vrai problème dans la communauté représentative juive, dans les gens du CRIF qui se sont affichés comme uniquement les avocats d'Israël et de la politique d'Israël, qui ont été vus comme des agents, qui ont convoqué lors de fameux dîners absolument surréalistes le gouvernement français et les présidents de la République eux-mêmes pour leur donner des injonctions sur la politique qu'ils devaient suivre vis-à-vis d'Israël. Ceci est un scandale. Il faut le dire. Ceci est honteux. Je suis absolument hostile à ce genre de pratique et il y a effectivement eu un problème là-dessus. Quand aujourd'hui je vous dis "on ne peut pas exiger l'assimilation pour les uns et pas pour les autres", c'est l'impression qu'ont eu beaucoup de gens dans les années 70, 80, 90. Ça l'est moins aujourd'hui car, là vous avez tout à fait raison, les juifs qui ne se sentaient plus français sont partis en Israël - et c'était tout à fait cohérent, tout à fait légitime de leur part, c'est plus honnête que de vivre ici et de cracher sur la France.

CK : On a bien compris votre critique du CRIF qui peut choquer certains. Un dernier mot, Alain Finkielkraut ?

AF : J'étais un des premiers à critiquer les dîners du CRIF. Il ne s'agit pas simplement d'Israël, maintenant, il s'agit aussi beaucoup de la montée de l'antisémitisme, de l'inquiétude des juifs, mais en même temps, cela ne me paraît pas, comment dire, un décorum tout à fait adapté à notre situation. Je trouve cela regrettable, comme Eric Zemmour, mais vous voyez, vous avez par exemple Jean-Luc Mélenchon aujourd'hui (38'48). Jeremy Corbyn a connu une déroute. Son parti (le Labour) a été sévèrement battu aux élections britanniques et cela a à voir avec l'antisémitisme très fort chez les travaillistes, un antisémitisme que Corbyn a d'autant moins combattu qu'il était partiellement le sien. Et Jean-Luc Mélenchon, au lieu de prendre acte de cette défaite et des raisons de cette défaite, a dit : "Corbyn a composé avec la doxa, avec les diktats du Likoud et du rabbin d'Angleterre. Moi, je ne ferai pas pareil, je ne me laisserai pas intimider par les oukases arrogantes du Crif." Et à chaque fois qu'on lui demande de dénoncer le communautarisme, il pointe le Crif, comme s'il y avait un risque de séparatisme juif aujourd'hui en France, comme s'il y avait un équivalent juif de l'islam politique ou radical. Tout cela vient du fait qu'il y a une population musulmane en France de plus en plus nombreuse, une population juive qui reste faible. C'est un calcul clientéliste, un calcul électoral, mais qui visera bientôt à favoriser l'antisémitisme au nom de ces considérations du comptage des voix, et ça fait peur.

CK : Le mot de la fin.

EZ : Oui, mon cher Alain Finkielkraut, vous avez tout à fait raison. Ils sont tous passés dans le camp de l'islamogauchisme à cause justement de ces nombreuses voix musulmanes qu'ils guignent (considèrent avec convoitise), que ce soit Jeremy Corbyn, que ce soit d'ailleurs le parti démocrate américain ou que ce soit Mélenchon. Mais vous voyez, si vous aviez apprécié à sa juste mesure le livre de Simon Epstein (Le Paradoxe français, voir partie 1), vous l'auriez anticipé parce que c'est exactement la même logique que celle d'avant-guerre, c'est-à-dire qu'on devient antisémite non pas parce qu'on est antisémite, mais par pacifisme et parce qu'on veut pactiser avec le totalitarisme qui est le plus menaçant

CK : On s'arrête là.

AF : Bien, il y aurait beaucoup à dire, je voudrais juste dire un petit mot pour finir. Dans les salles de rédaction du progressisme autoproclamé, Zemmour-Finkielkraut, ça s'écrit en un seul mot (extrême-droite, conservatisme ?). Eh bien, là, c'est un peu comme les frères siamois, on les a étirés (pas très audible) et on voit qu'il y a de profondes divergences.

CK : Ça, c'est Face à l'info (CNews, 19h-20h, lundi, mardi, mercredi, jeudi), excellente suite de programme sur Cnews. Merci messieurs d'avoir été avec nous et à demain à 19h pour un autre Face à l'Info.
(Mardi 21 : débat Zemmour-Onfray. Mercredi 22 : Zemmour-Julien Dray. Jeudi 23 : Zemmour-invité?)

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