mercredi 15 janvier 2020

Pour une véritable politique de l’immigration (Pierre Brochand, ex-directeur de la DGSE)


"Je souligne la folie d’avoir laissé entrer dans notre pays des flux d’immigration en provenance d’ex-colonies, au moment même où l’indépendance consacrait l’incompatibilité du vivre ensemble !"

Pour une véritable politique de l’immigration

Intervention de Pierre Brochand, ambassadeur de France, ancien directeur général de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) de 2002 à 2008, lors du séminaire "Immigration et intégration - Table ronde autour de Pierre Brochand" du mardi 2 juillet 2019.



Note de la Fondation Res Publica : M. Brochand nous a fait parvenir une version écrite de son intervention qui en amplifie le propos tout en respectant son contenu et son déroulé. C’est ce texte qu’en raison de sa cohérence interne nous avons choisi de publier.

Résumé et commentaires ici :
https://lislampourlesnuls.blogspot.com/2020/01/lancien-directeur-de-la-dgse-dresse-un.html



Monsieur le président,



Permettez-moi de commencer par trois avertissements, en forme d’excuses anticipées.



Premièrement, je serai long et sans doute trop long.

Mais l’immigration est un sujet qui me tient à cœur et dont on ne saurait se débarrasser rapidement. Ce qui n’est, hélas, que trop souvent le cas.



Deuxièmement, mon but n’est pas de vous apporter des informations ou de vous faire des révélations, à la suite d’un travail scientifique approfondi, mais de vous présenter un point de vue, par définition SUBJECTIF.



Ce point de vue sera critique, et même systématiquement critique, voire à charge, sur l’impact d’une certaine immigration (je préciserai laquelle plus tard). Là, aussi, je le reconnais, dans l’intention de contrebalancer quelque peu l’irénisme qui, à mon sens, entoure la question.



En outre, ce regard se voudra qualitatif. Car, sur le plan quantitatif, la cause me paraît entendue : tous les « seuils de tolérance », évoqués par François Mitterrand et Claude Lévi-Strauss au début des années 90 (ces deux-là ne voyaient pas d’objection à la notion) ont été pulvérisés depuis, sans contestation possible.



Pourquoi cette vision à contre-courant ?



Tout simplement – autant mettre d’emblée les points sur les i – parce que je considère, en mon âme et conscience (et en espérant me tromper), que, de tous les énormes défis que doit affronter notre pays, l’immigration, telle qu’on l’a laissée se développer depuis près de 50 ans, est le plus redoutable.

Pourquoi le plus redoutable ?



Parce qu’il est le seul, à mes yeux, susceptible de mettre directement en cause la paix civile, dans une société non seulement fragile mais volontairement aveugle à ce danger.



De sorte que, pour moi, une véritable politique de l’immigration est, d’une certaine manière, un préalable à toutes les autres et que, faute d’en vouloir une, nous allons au-devant de grandes infortunes et de terribles déconvenues.



Qui suis-je pour porter un tel jugement ?



Certainement pas un spécialiste de la question, à la différence des préfets Lucas et Leschi, qui viennent de nous faire la démonstration de leur expertise, et de l’ambassadeur Teixeira, qui fera de même dans quelques instants.



Je ne suis pas davantage un sociologue, un anthropologue, un démographe, un historien, un philosophe ou un économiste de métier.

Seulement un citoyen inquiet, qui tire cette inquiétude de l’expérience d’une vie.



J’ai servi l’État, dans sa dimension extérieure, pendant 45 ans. Durant ce demi-siècle, je me suis mis, avec dévouement et conviction, au service de l’intérêt national, à une époque où il était difficile de le distinguer de ce qu’il est désormais inconvenant de nommer, la préférence nationale. À cette école, j’ai vite compris que, par-delà les discours, personne en ce monde ne faisait de cadeaux à personne et que, si nous ne prenions pas en charge nos intérêts vitaux, nul ne le ferait à notre place.



Tout au long de ce parcours – coopérant en Afrique, boursier aux États-Unis, diplomate sur trois continents, responsable d’un Service de renseignement et même comme époux –, j’ai fréquenté infiniment plus d’étrangers que de Français. À l’occasion de ces milliers de relations de toutes natures, je n’ai eu d’autre objectif que d’entrer en empathie avec l’Autre, cet être énigmatique, qui n’est notre semblable que jusqu’au moment où il ne l’est plus. À son contact j’ai pu vérifier la pertinence de lieux autrefois communs : à savoir que, si le biologique nous rassemble, le culturel interpose entre nous une distance variable, et parfois insurmontable. Il m’a aussi permis des observations que je ne saurais rapporter sans frissons, par exemple que rien n’est plus universel que la xénophobie et que les configurations « multi » (culturelles, nationales, ethniques) sont le plus souvent vouées au déchirement. Et j’ai même constaté, « horresco referens », que les « minorités » pouvaient être violentes et les « victimes » avoir tort.



Par ailleurs, il m’est arrivé de pratiquer un métier – le renseignement –, qui est l’un des derniers où l’on est obligé d’appeler un chat un chat, où il est interdit – littéralement sous peine de mort – de prendre ses désirs pour des réalités, et où la compassion reste une vertu mais certainement pas une priorité.



Enfin, privilège de l’âge, je suis en mesure de comparer la France d’hier et celle d’aujourd’hui, sans le secours de personne.



Troisième avertissement : avant d’aborder l’immigration proprement dite, je me sens tenu de vous parler d’autre chose.



En effet, je suis incapable de manier les concepts, émotionnellement chargés, qu’appelle ce sujet sans les définir et je suis incapable de les définir sans les renvoyer à une grille de lecture historique. Bien entendu, faute de temps, ce « modèle » restera ridiculement schématique, mais il aura au moins le mérite de fournir la base de discussion qui manque le plus souvent au débat.



Ce détour par l’Histoire se heurtera aussi probablement au reproche, aujourd’hui sans réplique, de « l’essentialisation » ou de ce que les médias appellent « l’amalgame ». Ce qui ne me dérange pas. Car si pour moi les immigrés et leurs descendants, autant d’ailleurs que les autochtones, sont des individus estimables en tant que tels, ils demeurent, à des degrés divers et qu’ils le veuillent ou non, les vecteurs de forces collectives, ancrées dans des continuités qui les dépassent. Ne pas l’admettre, refuser de voir des « groupes » là où il y en a encore, c’est refuser de comprendre ce qui nous arrive. Et ce n’est pas, pour autant, déroger à la règle d’or que je me suis fixée : ne jamais juger un individu en fonction de ses appartenances, ne jamais juger un groupe à partir du comportement d’un de ses membres.



Je commencerai donc par une diversion, qui, vous le verrez, n’en sera pas vraiment une.



Je poursuivrai, à la lumière de ces considérations, en cernant au plus près la nature de l’immigration qui me préoccupe, et en tentant d’évaluer son impact sur notre pays sous ses divers aspects.



Enfin, je terminerai en tentant de répondre à quelques lancinantes questions. Que faire ? Pourquoi ne fait-on rien ? Doit-on faire ? Peut-on faire ? Et, si oui, quoi ?





1. UNE GRILLE DE LECTURE HISTORIQUE POUR L’IMMIGRATION.





Le tissu de l’Histoire est fait d’une double trame : « l’histoire de l’espèce », que j’appellerai Histoire Évolution, et « les histoires dans l’espèce », que je dénommerai Histoire Événement.



Ces deux Histoires sont à la fois imbriquées, complémentaires et concurrentes dans la conduite des affaires des hommes. Combinées, elles nous en donnent une vision stéréoscopique, qui, à mon sens, éclaire ce qui nous a précédés et, en conséquence, nous aide à décrypter ce que nous vivons.



1.1. L’histoire évolution : l’auto-détermination linéaire et les trois strates.



L’Histoire de l’espèce est linéaire et irréversible, car son moteur est la connaissance cumulative qui, en tant que régime de vérité validé par l’efficacité de la technique, se diffuse tôt ou tard à l’ensemble de la planète.



Ce devenir, commun à l’humanité, balise un chemin par lequel tous sont sommés de passer selon un calendrier recommandé.



Ce chemin est celui d’une émancipation progressive par rapport au donné, c.-à-d. aux déterminations naturelles et sociales, ou, si l’on préfère, à tout ce que l’homme n’a pas voulu et qui « fait obstacle » à son désir.



C’est pourquoi on peut désigner ce processus général de « sortie de l’existant » et d’arrachement aux pesanteurs, par le terme d’auto-détermination. Soit l’élargissement continu de la marge de choix ouverte aux humains grâce aux artefacts, matériels et immatériels, qu’ils fabriquent sans désemparer.

Soit, encore, un mouvement de fuite en avant, irrésistible et irréversible, procédant par éviction du « naturel », du « substantiel », de « l’organique » et du « réel », au profit de « l’artificiel », du « formel », du « contractuel » et du « virtuel ».



À partir de maintenant, j’appellerai donc Réel ce qui subsiste de l’antérieur, c.-à-d. ce avec quoi l’Histoire Évolution entend rompre et qu’elle cherche à broyer, dissoudre, évider ou assujettir, mais qu’elle est obligée de laisser derrière elle, comme autant de coquilles plus ou moins vides ou de foyers de résistance plus ou moins actifs, faute de jamais parvenir à terminer son travail. Le Réel, c’est donc ce sur quoi bute l’Histoire Évolution, mais qui ne l’empêche pas, pour autant, de poursuivre sa marche en avant.



Il n’en reste pas moins que cette Histoire-là exerce une pression incessante en faveur de la convergence qui la rend objectivement « progressiste » : en rapportant toute la Culture humaine (majuscule, singulier) à une seule et même échelle de valeurs – la connaissance –, elle produit toujours plus de commensurable et, donc, d’échanges, entre des êtres présumés toujours plus indistincts, donc semblables, donc égaux. Comme la voie la plus courte vers le commensurable est le quantifiable, elle tend à donner la préséance à la technique et à l’économie, au détriment du politique, facteur de divergence qualitative, dont elle restreint peu à peu le cercle.



En cela, l’Histoire Évolution est aussi « optimiste » : dans la mesure où elle fait le pari constant de l’unité et de l’amitié du genre humain, on peut aussi la qualifier d’Histoire du « wishful thinking » ou, si l’on préfère, du vœu pieux.



Car, même si l’on s’en tient au seul axe du temps qu’elle dessine – ce qui on le verra est insuffisant –, certains seront toujours « en avance » et d’autres

« en retard » par rapport à l’horloge commune, décalage qui est la première cause de discrimination entre les hommes, lorsque l’aléa les force à cohabiter, indépendamment de la diversité de leurs parcours.



En bout de chaîne, aspect qui nous intéresse le plus aujourd’hui, ce mouvement cristallise des formes successives de l’être-ensemble, dont le niveau d’auto-détermination (de liberté, d’égalité et d’extraversion) va croissant et le degré d’hétéronomie (d’assignation, de cohésion et d’intraversion) décroissant. Ces formes constituent, à mes yeux, l’une des clés d’intelligibilité de l’immigration actuelle.



Par commodité, n’en citons que trois (oublions, à ce stade, les empires et les cités-États) :



- les communautés naturelles, prémodernes, pré-politiques, hétérodéterminées,



- l’État national moderne, berceau du politique, fruit de l’auto-détermination collective,



- la Société des individus, hypermoderne, post-politique, issue de l’auto-détermination individuelle.



Appelons-les S 1, S 2 et S 3 pour simplifier, étant entendu que, selon cette classification, S Zéro représenterait la Nature.

Donc, essayons de garder à l’esprit que, désormais, S 1 désignera les communautés, S 2, les États Nationaux, et S 3, la Société des individus. Ce qui nous évitera nombre de répétitions.



Ces différentes strates font système, se pensent comme ultimes et prétendent donc à une légitimité exclusive. Sauf que leurs rapports sont dialectiques : chacune naît des contradictions de la précédente, dont elle prend le contre-pied et qu’elle s’emploie à disqualifier et soumettre mais sans jamais parvenir à l’effacer. Ce sont ces rémanences sous-jacentes, plus substantielles, qui forment une des dimensions du Réel, c.-à-d., comme je viens de le définir, ce qui ne cède pas au rouleau compresseur de l’Histoire Évolution, plie sans rompre et peut à l’occasion contre-attaquer par retour du refoulé.



De sorte que successives dans le temps, ces couches sont aussi superposées et antagonistes dans l’espace. Elles y composent des formations géologiques tripartites, dont l’épaisseur, la vitalité et la conflictualité varient grandement selon les lieux et les époques.



Plus ces hybrides diffèrent, en un lieu donné, de l’orthodoxie chronologique de l’Histoire Évolution (c.-à-d. plus les sous-couches, composant le Réel, y restent virulentes), plus ils sont crisogènes et, comme nous le verrons, plus l’Histoire Événement reprend ses droits.



Notons d’ores et déjà, car elle nous concerne directement et nous servira de leitmotiv, la singularité d’une de ces aberrations, en vertu de laquelle, les ennemis de nos ennemis étant nos amis, le palier le plus élevé – la Société des individus – se retrouve en situation de connivence objective avec son antipode – le stade communautaire –, pour prendre en sandwich la tranche du milieu – l’État national –, obligé de rendre les armes des deux côtés.



Disons un mot de ces idéaux-types, dans l’esprit du sujet qui nous intéresse.



1.1.1. Les communautés naturelles S 1.



Elles représentent la couche primordiale, le degré zéro de l’auto-détermination et de l’égalité, mais le point culminant de l’appartenance et de l’identité collectives, au plus près de la Nature, dont elles demeurent dans la zone d’attraction.



Tout y est hiérarchisé, subi et prescrit une fois pour toutes, sans marge de choix, dès la naissance, au nom d’absolus non négociables, offrant réponse à tout, dictés d’en haut, par la religion, et d’avant, par la tradition.



Ces groupes, peu portés sur l’échange et tout entiers dédiés à la répétition d’eux-mêmes, n’ont d’autre vocation que leur survie, qu’ils assurent par les liens du sang et, donc, le contrôle des femmes.



Autant dire que, pour ces collectifs quasi-autarciques, holistes, disait-on autrefois, il n’est pas d’acculturation qui soit pacifique, ni d’immigration qui ne soit une invasion : les personnes y sont enfermées dans une loyauté inconditionnelle, sans abjuration possible.



C’est d’ailleurs le point faible de ces groupements dominés par la fierté d’être soi et la peur de ne plus pouvoir l’être : dépourvus d’espaces juridiquement délimités, ils se frottent à des voisins dont les absolus (et le sens de l’honneur, qui va avec) ne sont pas davantage négociables.



De sorte que toute dispute de territoire finit par tourner, de proche en proche, à une réaction en chaîne non maîtrisée, synonyme de guerre de tous contre tous. D’autant plus facilement que les moyens de la violence sont largement distribués, entre des unités d’auto-défense décentralisées et mal contrôlées. D’autant, aussi, que la certitude d’être entouré de forces unanimement hostiles, fait régner la paranoïa, mère du complotisme et de l’erreur de calcul.



Ne commettons pas la faute de croire que ces communautés se résument à des clans, tribus, chefferies, castes ou ethnies lointaines. Non seulement elles sont très vivaces chez les immigrés d’aujourd’hui mais elles constituent aussi la forme par défaut de l’interaction humaine, quand des circonstances extrêmes font disparaître les autres, forme que nous verrons ainsi s’installer dans les quartiers, sur la base de l’endogamie, de bandes et de clientèles.



1.1.2. L’Etat national moderne S 2.



Il vise à mettre un terme aux hostilités sans fin de la strate communautaire (en Europe, les guerres de religion), en détrônant les vérités révélées qui en sont la cause. Pour ce faire, il confère à une autorité centrale, neutre, impersonnelle et surplombante, le monopole de la violence et de ses instruments, et introduit, ipso facto, le plan de l’égalité entre ses ressortissants, tous pareillement désarmés.



S 2 représente donc un « progrès » objectif : celui que traduit le passage au Politique, c.-à-d. à la première phase de l’auto-détermination, celle qui permet de procéder à des choix et décisions collectifs.



À cette fin, l’État national découpe, dans le fatras des communautés qu’il démantèle, un territoire aux frontières précises et une population présumée désireuse et capable de prendre son destin en mains, hic et nunc.



Cette ambition volontariste s’appuie, là aussi, sur des dogmes non négociables, mais, cette fois, de nature séculière, et forgés par la seule raison : la Souveraineté, pouvoir temporel sans rival sur un espace donné ; le Peuple, fiction unanimiste, auquel ce pouvoir est théoriquement confié (de manière implicite en monarchie, explicite en république) ; l’Institution, c.-à-d. l’État et ses satellites, qui l’exerce in concreto et au sein de laquelle ne doivent pas être confondus la fin (le Politique comme capacité de décision) et le moyen (la bureaucratie, en tant qu’instrument).



Le travail politique de l’Institution, développé dans la durée, tend à « lever les obstacles » qui, à l’intérieur du territoire, séparent la population d’origine, par définition hétérogène, de l’idéal d’un Peuple pur et parfait.



Le résultat de cette entreprise, jamais achevée, est la Nation. C.-à-d. une communauté, non plus naturelle, mais culturelle et historique, à la fois actrice et produit de l’Histoire. Son homogénéité n’est plus donnée seulement par le sang, mais façonnée par la symbolique, la langue, l’éducation, les mœurs, l’habitude, les épreuves partagées et, plus encore, leur souvenir, soit « l’héritage indivis » dans le miroir duquel elle se reconnaît et s’admire.



Grâce à quoi, la Nation se transforme peu à peu en cercle vertueux de confiance et même d’affection, au sein duquel ce qui était impossible chez S 1 – l’altruisme par-delà les liens familiaux – devient possible.



Cette transmutation a pour nom le civisme, qui autorise l’impôt, la redistribution, la conscription, la primauté du public sur le privé, du général sur le particulier, et finalement la règle de la majorité, entre des citoyens qui ne sont plus des parents. Toutefois, l’égalité entre eux ne va pas jusqu’à nier leurs différences de « vertus et de talents », que prend en compte la notion de mérite.



Puisque l’État national moderne est un dessein, avant d’être un fait, il n’est pas fermé à l’autre. Mais sous la double condition – expresse – que, d’une part, celui-ci adhère à la continuité historique du projet, symbolisée par le Récit National, et, d’autre part, se considère redevable à l’égard de ceux qui l’ont écrit par leurs sacrifices. En somme, on n’entre « dedans » qu’en souscrivant une dette vis-à-vis de « l’avant », auquel on reconnaît préséance.

C’est pourquoi l’acculturation et l’immigration y sont possibles, mais uniquement par la voie de l’assimilation. Soit, ne le nions pas, une forme de cooptation asymétrique, exercée en toute souveraineté par le corps politique (ceux qui sont « déjà là » et ont la nationalité), au titre de son auto-détermination collective. S 2 n’est, donc, pas une collectivité spontanément inclusive. Si son extraversion est réelle, elle reste limitée et contrôlée : bien que tendant historiquement à l’égalité entre ses membres, elle n’hésite pas à maintenir une claire et forte discrimination entre les siens et les autres, et entend garder l’entière maîtrise politique des flux franchissant ses frontières.



Pour de nombreux esprits de ma génération, l’État national, tel qu’incarné par la France, a représenté un point d’équilibre indépassable et c’est d’ailleurs largement sur la base des critères qu’il m’a inculqués que cet exposé est bâti.



Malheureusement, S 2 a été « dépassé », comme le veut la loi de l’Histoire Évolution, mais aussi comme l’y ont conduit de manière accélérée ses propres excès totalitaires ou coloniaux.



De toutes façons, en libérant l’individu du carcan communautaire, S 2 avait ouvert la porte à un dangereux concurrent, qui, en Occident tout au moins, a fini par lui dérober la Souveraineté, après des siècles de lutte au sein de l’État démocratique, figure de la transition entre S 2 et S 3.



1.1.3. La Société des individus S 3.



Ce qui nous amène au dernier stade en date de l’auto-détermination, celui dans lequel nous baignons désormais au quotidien : l’auto-détermination individuelle, dont le support collectif est la Société des individus, autre nom de la « société civile » (la face « privée » de S 2) quand celle-ci s’empare du pouvoir.



Ce sont maintenant tous les êtres vivants, sans distinction, présents sur terre à un moment donné, qui détiennent chacun l’autorité de dernier ressort. Ils sont laissés libres de choisir leurs contenus de vie, grâce à une panoplie, toujours plus étendue, de « droits de » et de « droits à », élargie à toujours plus de bénéficiaires : en cela, S 3 réussit le prodige de convertir les satisfactions différées de l’État national, où chaque génération se sacrifie pour les suivantes, en droits immédiatement disponibles.



C’est pourquoi, si les absolus demeurent – l’homme ne saurait vivre sans –, ils sont inversés : ils ne dictent plus les conduites, mais créent les conditions de leur libre choix. Ils ne fixent plus des contenus, devenus individuels donc relatifs, mais des contenants procéduraux, sous forme de prescriptions (la liberté, la tolérance) et de proscriptions (ne pas discriminer, ne pas stigmatiser), en vertu d’une équivalence de principe des êtres humains, étendue à l’espèce.



D’où, aussi, des mécanismes horizontaux de régulation par l’échange, fondés sur des réseaux sans tiers surplombant ni limites fixes, dont la vocation est d’auto-produire en continu cette équivalence virtuelle : le marché, le droit, la communication, conçus délibérément pour ne générer que des liens pluriels, faibles, réciproques et réversibles, respectueux de l’auto-détermination de chacun.



D’où, également, la certitude qu’il n’est pas de problèmes que l’argent, le contrat ou la parole ne soient en mesure de régler.



Puisqu’aussi bien, sous S 3, pointe avancée de l’Histoire Évolution, aucun contenu d’existence n’est tenu pour culturellement incompatible. Tout est, au contraire, supposé « acculturable », convertible, fongible, miscible et donc négociable, bref commensurable, entre des humains interchangeables, dont les différences, parce qu’elles ignorent la possibilité de l’inimitié, ne sauraient excéder les étroites limites du folklore, dénommé « diversité ».



[Soit, on l’aura aussi compris, un pas supplémentaire dans le hors-sol et vers l’apesanteur. Soit, également, une source de déception et d’amertume, quand cette infinité des possibles se heurte aux impossibilités du Réél.]



Quid de l’État national ? Eh bien, il est encore là et porte le même nom, au titre de la persistance des strates, mais n’est plus que l’ombre de lui-même, au titre de leur dialectique. Autrefois au-dessus, il est passé en-dessous et le politique avec lui : fort logiquement, et quasi mécaniquement, l’élargissement des droits individuels provoque, à proportion, la restriction des marges de choix collectives.



Réduit ainsi à sa dimension bureaucratique, S 2 est tenu de mettre ses immenses moyens au service de son propre abaissement : S 3 l’a domestiqué pour en faire non seulement une énorme agence apolitique (c.-à-d. ouverte à tous, incapable de dire non) de distribution des droits et des prestations afférentes, mais aussi un formidable outil d’ingénierie sociale, traquant partout les inégalités, à travers la lutte contre les « discriminations », censées en être l’unique source.



En particulier, S 3 s’attache en permanence à raboter toutes les distinctions, telles que la nationalité, voire le mérite, tenus pour des résidus de S 2, qui peuvent encore distinguer les résidents sur le territoire « national ».



Le tout en parfaite harmonie avec le niveau supranational de l’Union Européenne, version augmentée de S 3, qui ordonne, amplifie et accélère l’aplatissement politique des étages inférieurs, dont je ne dirai pas davantage, faute de temps.



Certes, on continue de confier à l’État national ce que les droits de l’homme sont impuissants à gérer tout seuls : soit, à l’intérieur, essentiellement le maintien de l’ordre public mais en lui imposant aussitôt un « état de droit » extérieur à lui-même, qu’on ne saurait mieux définir que comme l’antonyme de la raison d’État souveraine. De toutes façons, ces limitations ne sont ni graves, ni illégitimes, puisque, dans la Société des individus, non discriminés et non stigmatisés, aucune violence n’est concevable hors de la rubrique des faits divers, c.-à-d. d’infractions au cas par cas, auxquelles on ne saurait trouver de causes collectives.



On comprend qu’à la différence de la clôture de S 1 et de la semi-fermeture de S 2, S 3 se présente comme une société extravertie, ouverte à tous, sans dedans ni dehors, au sein d’un espace indifférencié, où la circulation est jugée bonne en soi et où l’immigration n’est qu’un flux parmi d’autres (économiques, financiers, informationnels), qu’il convient de « laisser passer », parce que tout le monde gagne à la « levée des obstacles », étendue cette fois à la planète entière.



En symbiose avec la Globalisation qu’elle incarne et projette, S 3 ne connaît, donc, d’autre horizon que le monde, car, entre l’humanité et lui, l’individu autodéterminé n’admet rien qui lui soit « ontologiquement » supérieur. Le seul regroupement dont il admette la légitimité est celui des ONG, associations issues de lui-même, transitoires et réversibles, chargée de remplacer ou de contrôler les institutions, héritées de S 2, désormais décriées, car non volontaires et ancrées dans la durée.



Autant dire que la Société des individus, privée du moyen d’auto-défense que procure le sentiment d’appartenance à des groupes circonscrits, devient vulnérable quand il lui faut entrer en interactions avec eux dans un même espace. Car, si ses valeurs se veulent universelles, en théorie, elles ne sont, malheureusement pour elle, pas universalisables, en pratique.



De fait, la « zone de viabilité » de S 3 est aussi restreinte que celle d’un magasin de porcelaine, à un carrefour où se croisent des éléphants : pour fonctionner sans heurts, elle requiert de ses sociétaires une autocensure, une intériorisation des interdits, un adoucissement des mœurs, un surmoi à toute épreuve.



D’où la nécessité, pour elle, de diffuser un sentiment persistant de culpabilité, aux causes sans cesse renouvelées (régime de Vichy, guerres coloniales, pauvreté dans le monde, migrants naufragés, émissions de CO2...), qui apparaît comme l’ultime cadenas capable de discipliner, dans la durée et sans avoir l’air d’y toucher, le libre jeu des pulsions individuelles.



Pour la même raison, et non sans un autre paradoxe, la Société des individus nécessite une homogénéité culturelle hors du commun, alors même qu’elle se déclare disponible à la diversité du monde.



En effet, s’étant auto-amputée du levier de la coercition politique, il ne lui reste plus, pour perdurer, qu’à emprisonner les esprits, à défaut des corps, dans une doxa prophylactique – le « cercle formidable autour de la pensée », dont parlait Tocqueville –, pour éviter toute velléité de « dérapages », hors de son étroit couloir de survie, et des lignes « jaunes » ou « rouges » qui le délimitent.



Ce qui explique que le seul magistère vertical qu’elle laisse subsister, hors l’appareil judiciaire, est celui des media, porte-voix et gardiens du dogme de l’auto-détermination individuelle, dans une société d’interconnexion et de communication. Elle atteste ainsi du fait que, de tous les flux qu’elle suscite et encourage, la Société des individus considère celui de l’information comme le plus stratégique pour sa pérennité, aveugle aux risques que peuvent lui faire courir les autres, à commencer par l’immigration.



Au final, S3 se perçoit, sans oser véritablement l’avouer, comme l’avant-garde de ce qu’on appelait autrefois la Civilisation (singulier, majuscule, c.-à-d. l’artefact le plus élaboré, le virtuel le plus avancé, le distillat le plus épuré de l’Histoire Évolution, seul miroir dans lequel elle veut se reconnaître.

Mais patatras ! Voici que le Réel se rebiffe et que l’Histoire Évolution doit compter avec le retour en fanfare de sa « némésis » : l’Histoire Événement.



1.2. L’Histoire Événement : le bruit et la fureur de la lutte cyclique pour le pouvoir.



Ce n’est plus l’Histoire unilatérale et convergente de la Civilisation et de la Culture (singuliers, majuscules), mais celle, multilatérale et divergente, des civilisations et des cultures (pluriels, minuscules), incarnées dans les sous-couches communautaires S 1, nationales S 2, voire impériales dissimulées, toutes toujours bien vivantes, malgré les assauts portés contre elles.



Ce sont les histoires « dans » l’espèce, qui retracent les rivalités entre ces groupes d’appartenance, mus par la passion (et non plus la seule raison, rabaissée au rang d’instrument), pour la conservation de soi et sa reconnaissance par autrui (on dirait aujourd’hui le « respect »).



Autrement dit, le pouvoir des uns sur les autres, au nom des identités collectives substantielles qui saturent S 2 et encore plus S 1 mais que renie S 3 sans pouvoir les abolir.



Autrement dit encore, ce qui relève de l’incommensurable, à un double titre.



Alors que l’Histoire Évolution, je l’ai dit, fait se succéder des « formes » de l’être-ensemble (les trois S) qui s’enchaînent « logiquement », l’Histoire Événement, non seulement oppose ces différentes « formes », quand les circonstances les amènent à cohabiter de manière « illogique » sur un même espace, mais elle confronte aussi des « formes » de même nature, quand leurs « contenus » culturels sont antagonistes, voire incompatibles.



Comme nous le verrons, l’immigration relève de ces deux cas de figure : elle importe des « formes » communautaires et nationales, aussi bien que des « contenus » culturels et religieux, non aisément conciliables avec les Sociétés des individus qui les accueillent.



En d’autres termes, donc, avec l’Histoire Événement, c’est le Réel sous ces deux aspects – « formes » archaïques et « contenus » séculaires – qui se rebelle contre l’Histoire Évolution, la machine qui travaille sans relâche à sa disparition.



À ce niveau d’analyse, l’action rencontre la réaction, le linéaire fait place au circulaire et le cumulatif à des jeux à somme nulle. Il n’y a plus de logique interne, ni de fil conducteur cohérent, mais des invariants, des récurrences, des parallèles, en bref des régularités : l’axe du temps est battu en brèche par celui de l’espace, le progrès continu par l’éternel retour des montées et descentes du cycle.



Cette circularité fait qu’on peut tirer, sinon des leçons, du moins des enseignements du passé (une « sagesse » transhistorique). Ce que S 3 répugne à faire, tant elle a du mal à imaginer un autre narratif que celui de l’Histoire Évolution, qui, avançant toujours, ne se répète jamais et fait table rase de ce qui l’a précédé.



Pourtant les exemples pertinents de sens contraire ne manquent pas.



Exemple d’invariant : dans toutes les sociétés – S 1, S 2, mais aussi S 3 –, il y a pouvoir. Et ce pouvoir est détenu par le petit nombre qui légitime sa domination par des croyances « non falsifiables » en des absolus (les doxa religieuses ou séculières), auxquels le grand nombre est tenu d’adhérer : ainsi, la croyance, dans son acception la plus large, au fond peu différente de celle de culture, est ce par quoi tiennent ensemble les groupes circonscrits, en tous temps et en tous lieux, la seule variable étant le degré d’affichage et de coercition, dont l’accompagne l’oligarchie aux commandes.



Exemple de récurrence : le mouvement de balancier action/réaction, qui, depuis 1 300 ans, fait osciller Islam et Occident, en tant que formes historiques et contenus culturels, de part et d’autre de la Méditerranée et dont on n’oserait dire qu’il est achevé...



Exemple de parallèle : les troublantes similitudes démographiques, économiques et sociales entre l’empire romain finissant et l’Occident d’aujourd’hui.



Et surtout, cette permanence décisive : alors que l’Histoire Évolution – « optimiste » et « progressiste » – peut être interprétée, je l’ai dit, comme une longue fuite devant le Réel, y compris sa forme la plus irréductible, la mort, l’Histoire Événement – « pessimiste » et « réactionnaire » – assume et affronte cette ultime échéance, dont elle fait même le but de la vie, puisque la victoire revient à celui qui n’a pas peur de la risquer.



Ainsi, pour l’Histoire Évolution, la vie est un absolu, alors que le reste est relatif. Pour l’Histoire Événement, la vie est relative, alors que le reste est absolu.



D’où une distinction cruciale : on répugne à mourir pour S 3 (pour laquelle aucune vérité ne vaut la peine de se faire tuer), mais on est encore prêt à se sacrifier inconditionnellement pour S 1 (voir nos jihadistes) et, dans certaines circonstances, pour S 2 (voir nos soldats devenus professionnels, engagés sur des théâtres extérieurs).



1.3. L’Occident dominateur a fusionné les deux histoires par la Colonisation, puis la Globalisation.



Il va de soi que les deux Histoires sont et resteront toujours inextricablement imbriquées. Mais elles sont aussi en compétition pour savoir laquelle imposera sa direction à l’autre.



Or, de ce point de vue, deux développements extraordinaires se sont produits il y a cinq siècles.



En tout premier lieu, une minuscule fraction de l’humanité – l’Europe occidentale – est devenue le Tout. Par une sorte de coup d’État à l’échelle planétaire, elle s’est emparée du monopole absolu de l’Histoire Évolution, grâce à la révolution scientifique qu’elle a impulsée dans la production de la connaissance cumulative. À tel point que deux de nos trois strates – l’État national moderne et la Société des individus – lui sont exclusivement imputables et peuvent dès lors être considérées comme dictées au reste du monde.



De ce fait, et en second lieu, l’Occident s’est assuré le contrôle, pareillement intégral, de l’Histoire Événement, qu’il a prise en remorque. Laquelle, à partir de ce moment, s’est résumée à la chronique de ses querelles intestines et aux péripéties de la diffusion, plus ou moins mouvementée, de ses modèles S 2 (par la Colonisation) et S 3 (par la Globalisation).



De cette double confiscation, ont découlé trois phénomènes, particulièrement pertinents pour notre évaluation de l’immigration.



- D’abord, le monde s’est retrouvé divisé en deux, entre un Premier Monde, seul pro-actif, créateur de virtuel et diffuseur de connaissance, donc de puissance, et un Second Monde, détenteur du Réel, mais récepteur passif, dépourvu de moyens de réagir.



Cette projection de l’Occident hors de lui-même s’est faite en deux temps : Colonisation, puis Globalisation.



- Le couple Colonisation/Décolonisation peut s’analyser – in fine – comme l’exportation, par la force, du paradigme de l’État national moderne S 2, dans des contrées qui n’y étaient pas préparées, car encore dominées par des communautés S 1 vivaces et tenaces. Elle y a, de ce fait, semé les graines d’un nationalisme, le plus souvent hors sol, d’autant plus exacerbé qu’il a connu presque partout l’échec et l’humiliation.



Avec le recul, cette tentative de redonner vie outre-mer à la forme Empire, jusque-là purement continentale, s’analyse non seulement comme un énorme échec, mais aussi une erreur stratégique de première grandeur, pour les colonisateurs comme pour les colonisés, erreur dont nous payons aujourd’hui les conséquences sur notre propre territoire.



En effet, dans notre schéma historique, l’Empire continental peut être considéré comme le chaînon manquant entre S 1 et S 2 : en regroupant d’un seul tenant des communautés naturelles limitrophes, sous le joug de l’une d’entre elles, il a formé les premiers proto-États, disposant d’une esquisse de bureaucratie et de monopole de la violence. Structurellement fragile, c’est son éclatement inévitable qui a donné « rationnellement » naissance aux États nationaux modernes, lesquels n’ont fait que peaufiner, à échelle plus raisonnable, ce qu’il avait initié.



En revanche, vouloir reconstituer, à rebours du calendrier de l’Histoire Évolution, un ersatz d’Empire, associant, par-delà les océans, carpes et lapins, c.-à-d. des États nationaux modernes – les métropoles – à des populations, géographiquement et culturellement très éloignées, ne pouvait que conduire à de graves mécomptes. Le moindre d’entre eux n’étant pas d’avoir légué aux populations décolonisées le modèle de l’État national, conçu par et pour l’Occident, comme seule voie d’émancipation possible. Surimposé partout dans le monde, tel un pavage continu, mais terriblement bosselé, faute des transitions indispensables, à des strates communautaires pleines de vigueur, ce modèle importé ne pouvait qu’échouer.



C’est pourquoi, aujourd’hui, les immigrés, restés fidèles au stade communautaire, non seulement fuient ces États plus ou moins faillis, mais, volens nolens, en apportent avec eux les mauvaises pratiques et, surtout, viennent nous présenter une double addition : celle de la domination que nous leur avons fait subir et celle des structures dysfonctionnelles que nous sommes censés leur avoir infligées en partant. En quelque sorte, la facture de la fracture...



- La Globalisation peut faire l’objet d’une interprétation similaire, en tant qu’exportation – cette fois pacifique, par accroissement du volume et de la vitesse des flux de circulation – du « software » de la Société des individus vers le Second Monde, à nouveau pris au dépourvu par ce « bombardement » inédit.



Sauf que le retrait physique de l’Occident, consécutif à la décolonisation, donne maintenant les moyens de répliquer à ceux qui n’en avaient pas. Et, parmi ces nombreuses répliques, figurent des mouvements migratoires de masse, dont la mise en marche a été précisément rendue possible, et d’une certaine manière encouragée, par la propagation planétaire des dogmes de S 3.



En bref, la Globalisation a donné aux anciens colonisés une sorte de « feu vert » pour venir chez nous solder les comptes des chapitres précédents.



1.4. La Globalisation ou le chant du cygne de l’Occident : le réveil de l’Histoire Événement.



Nous voici donc à un nouveau tournant, d’importance comparable à celui d’il y a cinq siècles.



Pour la première fois, le Second Monde, débarrassé de la présence des colonisateurs, mais plus que jamais porteur de la force de contestation qu’est le Réel, dispose de la capacité de réagir aux diffusions unilatérales de l’Occident.



Et il ne s’en prive pas, renouant ipso facto avec la confusion de l’Histoire circulaire, au détriment du bel ordonnancement de l’Histoire linéaire.



En simplifiant, ces rétroactions de base – la revanche du Réel, les « éléphants dans le magasin de porcelaine » – sont au nombre de quatre.



On peut les appeler les « quatre R » : le Rebond R 1, la Rente R 2, le Refus R 3, le Rejet R 4.



Les deux premières – le Rebond économique sino-asiatique et la Rente, légale (notamment pétrolière et gazière) ou illégale, prélevée sur les flux – ne remettent pas en cause les principaux paramètres de la Globalisation, telle qu’imposée par l’Occident : elles contestent son unilatéralisme et visent à une redistribution des revenus, et donc des pouvoirs, à l’intérieur du processus.



Les deux autres – le Refus (dont le porte-drapeau est l’Islam) et le Rejet (qu’exhalent les trous noirs creusés par les États les plus faillis) – remettent en question non seulement l’unilatéralisme occidental, mais aussi les fondements mêmes de la Globalisation, en raison d’écarts culturels insurmontables.

Il va de soi que ces rétroactions se combinent pour former des variantes composites, l’une des plus congruentes avec notre sujet étant celle qui associe la Rente pétrolière au Refus musulman, pour favoriser l’expansion mondiale de l’islamisme, à travers, notamment, les diasporas, dont je parlerai plus tard.



En outre, ces quatre rétroactions, si différentes, se nourrissent d’un sentiment commun, le Ressentiment, qu’on pourrait dénommer R 5, né de cinq siècles de Colonisation directe ou indirecte.



C’est pourquoi la Globalisation, en créant les conditions de sa propre contestation, marque, à la fois, l’apogée et le commencement du déclin relatif de l’Occident, qui, l’ayant suscitée, va perdre, de son fait, sa suprématie absolue.



C’est ainsi que notre planète change de visage.



L’ordre occidental, après avoir bataillé pour imposer à tous la même logique « progressiste » et « fonctionnelle » de l’Histoire Évolution, cède la place à un multidésordre, « régressiste » et « dysfonctionnel », où l’Histoire Événement reprend la main, sans autre programme que la lutte pour un pouvoir remis en jeu.



Il n’en faut pas davantage pour que le monde globalisé devienne un chaudron, où se télescopent et s’entrechoquent – sur le mode action/réaction – des formes de l’être ensemble et des contenus culturels, qui « normalement » (c.-à-d. selon le narratif de l’Évolution) n’auraient dû ni se télescoper ni s’entrechoquer.



D’où des effets de surprise, mais aussi des « incohérences » dans le temps et dans l’espace, dont l’immigration va nous fournir une manifestation exemplaire.



Nous voici arrivés au bout de notre vaste fresque qui, quoique terriblement rudimentaire, devrait nous fournir quelques outils pour mieux situer l’immigration aujourd’hui.



L’immigration, mais au fait, quelle immigration ?





2. QUELLE IMMIGRATION ? TROIS VAGUES, MAIS SURTOUT LA DEUXIÈME.





La France a connu au moins trois vagues d’immigration de masse. Deux sont toujours en cours, alors que la première, achevée, offre l’exemple d’une assimilation réussie au modèle de l’État national français.



Ce qui n’est malheureusement pas le cas des deux autres.



2.1. La première vague – V 1 – va de la fin du XIXème siècle aux années 70. Elle répond à une pure logique de travail : la France manque de bras, l’Europe catholique les lui fournit.



C’est une immigration laborieuse et discrète, non revendicative et culturellement proche, qui rentre – ou que le pouvoir politique force à rentrer – chez elle si la besogne vient à manquer et qui, si elle reste, devient la référence absolue en matière d’assimilation.



L’expérience historique de la colonisation en Afrique du Nord offre un exemple saisissant de cette spécificité : les Italiens, les Espagnols et autres Maltais, qui y vivaient, sont devenus d’excellents Français, alors que la majorité indigène et musulmane s’y est à l’évidence refusée.



2.2. Or, c’est précisément celle-ci qui va devenir une des composantes majeures de la deuxième immigration – V 2 –, laquelle commence dans les années 70, au moment précis où s’imposent le paradigme de la Société des individus et son déploiement planétaire, la Globalisation.



Cette vague est, en effet, à l’opposé de la précédente : la logique du peuplement, habillée par le Droit, se substitue à celle de l’emploi régulé par le politique, tandis que les pays d’origine sont d’ex-colonies, la plupart à majorité musulmane et à fort écart culturel avec le pays d’accueil.



C’est cette immigration qui retiendra principalement mon attention, dans la mesure où, d’une part, elle est déjà là et, donc, permet d’évaluer ses répercussions sur plusieurs générations (lesquelles, fait sans précédent, s’avèrent divergentes) et où, d’autre part, elle se poursuit massivement, mais à bas bruit, dans l’ombre de la troisième vague qui tend à la faire injustement oublier.



2.3. Celle-ci – V 3 – garde des points communs avec V 2, notamment son auto-engendrement juridique, mais elle se singularise par son déclenchement soudain, consécutif aux guerres de Syrie et de Libye, qui lui donne le caractère d’une crise, ajoutant la logique de l’urgence à celle du droit.



Elle possède en outre quatre traits spécifiques : l’élargissement des origines au-delà du cercle colonial, la dimension européenne de l’accueil (elle affecte simultanément la plupart des pays signataires des accords de Schengen), le recours au droit d’asile plutôt qu’au regroupement familial comme subterfuge, le versement de tributs aux « barbares des confins » (gouvernement turc, milices libyennes) pour qu’ils consentent à ralentir ou retenir le flot.



Je n’entends pas minimiser cette troisième déferlante, mais, comme je l’ai dit, je traiterai en priorité de la deuxième, qui a eu le temps de provoquer des effets de diaspora, dont nous verrons qu’ils sont le nœud du problème.





3. LA DEUXIÈME VAGUE, PASSÉE AU CRIBLE DE NOTRE GRILLE DE LECTURE.





Commençons donc par nous pencher sur V 2, à la lumière de notre modèle historique. Que nous dit-il ?



3.1. L’immigration « chauve-souris ».



La Globalisation, expression dynamique du logiciel de la Société des individus (« lever les obstacles à l’échelle planétaire »), génère à la fois des facilités de déplacement et des écarts de revenus qu’elle incite à combler en projetant partout les images qui les symbolisent. Elle actionne ainsi des flux de toutes sortes, y compris humains, soit internes au Second Monde, soit de celui-ci vers le Premier (les seuls qui nous préoccupent ici).



Ces mouvements de personnes, reliant deux Mondes, provoquent des proximités non désirées, des « voisinages obligatoires », des courts-circuits, propices aux effets pervers.



En effet, les populations, ainsi déplacées, une fois introduites, légalement ou non, dans les pays du Premier Monde, ne peuvent ni ne veulent abandonner les codes collectifs, culturellement fort éloignés, de leurs pays de départ. En bref, elles entendent bien récupérer le différentiel de niveau de vie qu’offre le Premier Monde et qui est le motif de leur venue, mais en continuant de vivre grosso modo selon les mœurs du Second : en somme, « vivre mieux, tout en vivant pareil ».



Plus précisément, la couche communautaire S 1 reste, chez elles, très prégnante, comme aussi, dans certains cas (Maghreb, en particulier Algérie), un nationalisme S 2, récent, à fleur de peau, car né de la décolonisation et exaspéré par son échec.



De sorte qu’entrés comme des individus, censés relever de S 3, les immigrés de la deuxième vague s’installent comme des diasporas, fortement lestées de Réel, c.-à-d. d’allégeances communautaires S 1 et nationales S 2, à contre-courant de l’Histoire Évolution. Le tout en continuant à se réclamer imperturbablement des droits individuels, que leur accorde la Société des individus, pour légitimer ces singularités collectives, présentées, pour la circonstance, comme une somme de choix personnels. En somme, et ils auraient grand tort de ne pas exploiter cette contradiction offerte sur un plateau : « Je suis oiseau : voyez mes ailes... Je suis souris : vivent les rats... ».



3.2. L’immigration comme rétroaction et contradictions.



En fait, l’immigration s’inscrit dans le contexte des quatre rétroactions de base par lesquelles le Second Monde, champion du Réel, réplique à la Globalisation, propagatrice de virtuel.



Rétroactions qui, à travers elle, vont s’introduire au cœur même de la Société des individus, comme autant de dissonances fondamentales.



Ainsi, on constate que V 2 démarre précisément au moment (la deuxième moitié des années 70) où le Rebond asiatique R 1 (l’avènement de Deng Xiao Ping en 1978 ) et la Rente pétrolière R 2 (les deux « chocs » de 1973 et 1979) sèment, chez nous, les graines de ce qui va devenir un chômage de masse : les immigrés arrivent au moment où vont partir les emplois...



La deuxième vague importe aussi avec elle les différentes formes de Rente illégale R 2, fortement corrélées à l’immigration (trafics d’êtres humains, travail au noir, fraude sociale, commerce de drogues), dans une société se voulant transparente et se croyant à l’abri de la délinquance systémique.



À majorité musulmane, V 2 se relie également à la rétroaction du Refus R 3, qui a pareillement commencé à monter en puissance à la fin des années 70 (révolution iranienne, siège de la mosquée de la Mecque, invasion soviétique de l’Afghanistan), avec l’appui financier de la Rente pétrolière R 2 et, comme résultat, la transplantation massive d’une religion, en tous points exotique, dans un milieu français radicalement sécularisé.



Enfin, une bonne partie de ces flux humains émanent des « trous noirs » qui expriment la rétroaction du Rejet R 4, aux antipodes d’une société qui, comme la nôtre, s’auto-proclame « avancée ».



Mais, surtout, la deuxième vague, provenant de pays anciennement colonisés, porte en elle le ressentiment R 5, né d’un siècle ou plus d’humiliation ravalée. C’est là la dernière incohérence – mortelle celle-ci – d’une immigration, qui se met en branle vers l’ancienne métropole, à l’instant où la décolonisation vient d’établir un constat de divorce irréversible entre les deux parties.



En bref, V 2 présente toutes les caractéristiques d’un effet boomerang multiforme, typique du retour de l’Histoire Événement, qui va reproduire en abyme, sur le territoire français, la marmite dysfonctionnelle du monde globalisé.



C.-à-d. une plate-forme, où des flux, politiquement non contrôlés, amènent à se heurter, en désordre et à contretemps, des configurations de l’être ensemble et des contenus culturels, qui « logiquement », selon l’Histoire Évolution, auraient dû se succéder dans le temps, sans se télescoper dans l’espace, mais qui vont, là, entrer dans des collisions anachroniques – au sens littéral – pour se disputer le pouvoir sur un même territoire.



3.3. L’hégémonie de la Société des individus en toile de fond.



Pour être complet, il faut garder à l’esprit que tout ce que je viens de décrire est soumis à l’emprise de la strate dominante S 3, dont la moulinette ravageuse n’épargne personne : les immigrés pas davantage que les autochtones, ne serait-ce qu’à travers la décomposition, subie par tous, de la communauté naturelle de base qu’est la famille ou la néo-religion partagée de la consommation. De sorte qu’il serait plus juste de parler de néo-communautarismes et de néonationalismes, plus ou moins déglingués, mais néanmoins tenaces, par rapport aux idéaux types que j’ai décrit il y a quelques instants, dans une société que tout le monde s’accorde à considérer, par ailleurs, comme fragmentée ou, selon l’expression à la mode, archipelisée.



Après l’avoir ainsi resituée, tentons maintenant de mesurer l’impact de la deuxième vague d’immigration V 2 sur notre pays ou, plutôt, sur le « magasin de porcelaine » en quoi l’a transformé la Société des individus.



Pour cela, il faut nous munir d’instruments d’analyse supplémentaires, propres aux flux humains, auxquels j’ai fait référence en passant, mais qui, à partir de maintenant, vont devenir d’autant plus pertinents qu’ils sont le plus souvent ignorés ou discrédités par la doxa en vigueur.

J’y vois, pour ma part, des sortes de lois de Newton de l’immigration, sous V 2 et V 3.





4. QUELQUES NOTIONS CLÉ POUR ANALYSER LA DEUXIÈME VAGUE : DISTANCE CULTURELLE / EFFET DE SEUIL / AUTO-ENGENDREMENT / « BAS BRUIT » / ACCÉLÉRATION SPONTANÉE / DIASPORAS.





4.1. La distance « culturelle » entre les groupes : le fait déterminant.



4.1.1. Si mon exposé devait reposer sur une seule notion, ce serait bien celle de distance culturelle, au sens le plus large.



Si on refuse d’en admettre la validité, si on estime, par exemple, que des comptables suédois et des guerriers pachtoun peuvent sans difficultés faire société et vivre en harmonie, tout en pratiquant volontiers le métissage, mon propos perd l’essentiel de sa justification et il est quasiment inutile d’en écouter la suite.



Si, en revanche, on partage mon point de vue sur le fait que l’individu ne vit qu’en groupes, plus (S 1 et S 2) ou moins (S 3) circonscrits, et que ces groupes se caractérisent par des formes et cultures collectives propres, foyers d’identités subies (S 1), voulues (S 2) ou niées (S 3), dont l’observation empirique confirme les discordances, alors, j’estime, sans fausse modestie, fort du patronage lointain d’un penseur de l’envergure de C. Lévi-Strauss, que ce que j’essaye de vous dire doit être pris au sérieux.



Ce qui, j’en conviens, exige un certain effort sur nous-mêmes, tant l’idéologie de S 3 brouille les pistes sur ce terrain. En principe, elle ne veut entendre parler que d’individus, auxquels elle concède pourtant le droit d’avoir une « culture », mais à la condition que celle-ci soit de nature personnelle et « minoritaire », c.-à-d. apporte sa pierre à la déconstruction de l’État national, grand dessein de S 3.



Pour ma part, et sans m’engager dans l’impasse d’une définition, j’entends par culture les contenus de vie partagés qui permettent de distinguer un groupe humain d’un autre : soit les comportements, conduites, pratiques ou attitudes de ses membres, selon des coutumes, mœurs, habitudes ou usages, et en fonction de valeurs, normes, règles, références, repères et représentations, non réfutables parce que relevant de la croyance, issus d’héritages et formant patrimoine, pour définir, au final, une mentalité, une identité, un sentiment commun d’appartenance durable. Pour faire plus court : un code permettant de se reconnaître comme membre d’une entité.



Toutes ces caractéristiques ne sont certes pas immuables, mais elles présentent un haut degré d’adhérence dans le temps, qui les font perdurer sous la forme d’une identité, malgré la puissante traction vers l’avant qu’opère l’Histoire Évolution pour les effacer.



Dans la mesure où la culture, ainsi cernée, est porteuse de différenciation, elle crée inévitablement de la distance entre les groupes, de sorte que l’expression « distance culturelle » est au fond pléonastique.



Cet écart peut, cependant, être plus ou moins grand : il fut, à l’évidence, moindre dans le cas des immigrés de V 1 qu’il ne l’est aujourd’hui avec ceux de V 2 et V 3.



En effet, la distance peut être considérée comme minimale lorsque les groupes appartiennent à une même aire de civilisation, c.-à-d. une aire culturelle de plus grande taille, englobant, sous un large chapeau, plusieurs cultures aux contenus voisins : ce dont l’Occident, mais aussi l’espace chinois ou l’Islam arabe offrent des exemples achevés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les civilisations sont en résonance historique avec la configuration de l’Empire continental, que, faute de temps, nous n’avons mentionnée qu’en passant.



Entre les civilisations mêmes, les décalages peuvent varier : ainsi, ils sont logiquement moins profonds avec les civilisations du Rebond (R 1), qui partagent avec l’Occident un socle commun plus large que celles du Refus (R 3), de la Rente (R 2) et, a fortiori, du Rejet (R 4).



Est-il besoin de répéter que ces concepts de culture et de civilisation sont étroitement liés à l’Histoire Événement, qui met en scène leurs rivalités et leurs alliances, et qu’au contraire, leur persistance contredit le logiciel de l’Histoire Évolution, qui entend les obliger à converger au plus vite, au nom de l’unité de l’espèce ?



Dans ce contexte, j’en reviens à la notion de commensurable. Soit ce qui, par le jeu de cette Histoire linéaire, et de l’économie qui en est le fer de lance, permet de réduire les distances, aussi bien physiques que culturelles, entre les humains et, donc, supposément, de fluidifier et pacifier leurs rapports, grâce à la « levée des obstacles » s’y opposant.



Qui dit incommensurable, dit simplement le contraire, et notamment qu’il est proprement loufoque d’imaginer que la réduction de l’écart physique entre populations différentes puisse contribuer à adoucir leurs mœurs, alors que l’Histoire Événement enseigne exactement l’inverse.



Dans S 1, la question ne se pose même pas, puisque rien n’y est commensurable et ne veut le devenir : la différence est partout, à l’intérieur comme à l’extérieur, où l’inégalité et la verticalité règnent une fois pour toutes.



Au sein de S 2, le commensurable est réservé aux nationaux, qui, une fois la nation formée et sa culture façonnée, finissent par tous s’équivaloir (« one man, one vote » ; la vie des conscrits pèse du même poids ; l’école publique et l’État-providence sont ouverts à tous les détenteurs de la nationalité, etc.), sauf à distinguer les uns des autres par le mérite. Si une claire discrimination subsiste entre dehors et dedans, nationaux et non-nationaux, elle devient néanmoins surmontable par la rencontre des volontés, d’une part, de l’étranger, qui désire s’assimiler, et, d’autre part, du corps politique national, qui avalise (ou non) ce ralliement sans réserve et sans retour.



Chez S 3, en revanche, la commensurabilité se veut, d’emblée, universelle, grâce au « doux commerce », c.-à-d. aux mécanismes horizontaux d’équivalence et de conversion généralisées que j’ai déjà mentionnés : le marché (qui, par la monnaie, fixe un prix à toutes choses désirées, y compris celles qui n’en ont pas...), le juridique (qui ramène l’ensemble des rapports sociaux à la réciprocité des droits et des contrats entre sujets égaux) et la communication (dont le dénominateur commun, le mot transformé en « bits », est supposé arrondir tous les angles...).



La seule exception à cette identité universelle est la « diversité », soit le miracle par lequel la différence ne produit jamais de conflit : présentée comme une richesse, la diversité recouvre en fait l’idée que les particularités humaines ne sont que superficielles, décoratives et touristiques, et que, loin de créer de la distance entre les hommes, elles les rapprochent.



Avec cette conséquence que, s’il persiste de l’incommensurable et de l’incompatible dans la société, ils ne peuvent résulter que de la malveillance humaine, en l’occurrence celle, résiduelle, des nostalgiques de l’État national, au besoin qualifiés de « racistes », et des discriminations qu’ils s’obstinent à vouloir perpétuer : il suffit de combattre inlassablement ces dernières ou, en d’autres termes, de pratiquer un « antiracisme » militant à très large spectre, pour que l’écart culturel s’efface de lui-même.



4.1.2. Le problème de l’immigration V 2 est qu’elle apporte un démenti flagrant à cette vision enchanteresse, à proprement parler utopique, d’une humanité entièrement réconciliée avec elle-même, sous la bannière des droits individuels et du commerce.



Il crève les yeux, en tous cas les miens, que cette deuxième vague importe dans ses bagages des clivages si profonds, des blocs de Réel si compacts, en termes de formes de l’être-ensemble et de contenus de vie, que les mécanismes d’accommodement que proposent le marché, le droit ou la communication sont incapables d’en venir à bout.



Clivages qui non seulement subsistent mais s’approfondissent avec le temps. D’où cette incongruité – inconnue chez les immigrés de la première vague – qui veut que les difficultés, issues de la deuxième, se prolongent chez ses descendants et les descendants des descendants.



En somme, comme le rappelle la psychologie sociale, toute immigration se ramène à un phénomène d’acculturation, classiquement décomposé en une première phase de déstructuration et une seconde de restructuration : quand la distance n’est pas trop grande, cette restructuration conduit à l’adoption, volontaire ou résignée, des valeurs de la culture d’accueil ; quand le décalage est trop important, elle se traduit par une contre-acculturation, c.-à-d. une tentative rageuse de restauration du mode de vie antérieur à l’immigration.



4.1.3. La vérité m’oblige à ajouter que ce que je viens de dire est très largement démenti par l’exemple contraire de l’immigration asiatique, sino-vietnamienne en particulier, pour laquelle ni le décalage culturel, ni le passé colonial (pour les Indochinois) ne semblent avoir été un obstacle sur la voie d’une intégration, sinon d’une assimilation, réussie. Il s’agit là d’une exception embarrassante à l’axiome selon lequel, sous le règne de la diversité, il n’est pas d’inégalité sans discrimination.



J’y verrai, pour ma part, le résultat du contraste, dont j’ai déjà dit un mot, entre les différentes manières dont les civilisations et les cultures ont réagi à l’emprise occidentale et, en particulier, à son dernier avatar, la Globalisation : alors que les Asiatiques ont choisi de prendre au mot le Premier Monde et de le défier sur son terrain d’excellence, l’économie, en attendant mieux (R 1), suivis en cela (mais de loin) par une partie de l’Amérique Latine, le reste du Second Monde, d’où provient l’essentiel de V 2, s’est abandonné à la relative facilité de la Rente R 2, du Refus R 3 et du Rejet R 4, toutes rétroactions qui ont en commun de ne pas faire de l’excellence éducative la réponse prioritaire à la mainmise occidentale.



4.2. L’effet de seuil, une évidence devenue tabou.



Le mot barbare de scalabilité, emprunté à l’anglais et au langage de l’informatique, recouvre l’idée simple qu’une grandeur peut augmenter en quantité sans que sa qualité en soit affectée, autrement dit qu’elle échappe plus ou moins aux effets de seuil.



Il est clair que l’immigration massive à fort écart culturel n’entre pas dans cette catégorie (à l’instar, par exemple, dans un ordre différent, mais selon une courbe semblable, de l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère) : au-delà d’une certaine masse critique (« tipping point »), les règles du jeu se modifient et ce qui était encore possible avant – en l’espèce, le comblement de l’écart – ne l’est plus après. D’autant moins que, la direction de l’osmose s’inversant, s’enclenche aussitôt un processus de sens contraire, de type boule de neige, impossible à arrêter.



On le comprendra aisément en estimant, avec bon sens, qu’accueillir 1 immigré afghan dans cent villages français de mille habitants n’est pas tout à fait la même chose qu’installer cent afghans dans un seul village de mille habitants. De même, trente classes de collège comptant chacune un élève descendant d’immigrés non francophones n’ont pas la même physionomie qu’une classe en rassemblant trente à elle seule.



Dans une optique voisine, on est pareillement obligé de reconnaître que le charme de la « diversité », prise comme norme, obéit à la loi des rendements décroissants : en effet, en doublant de 100 à 200, le nombre d’immigrés afghans dans notre village, on a peu de chance d’en doubler les bienfaits attendus.



On aurait honte de distiller de telles lapalissades si cette notion de seuil, communément admise quand S 2 prévalait, n’était devenue tabou dans la Société des individus, et ce pour la raison évidente qu’elle oblige à reconnaître, noir sur blanc, qu’au-delà d’un certain volume de flux, un certain type de distance culturelle n’est plus soluble dans le « commerce ».



De même, la notion de seuil de tolérance, familière, je l’ai dit, à François Mitterrand, a été rapidement bannie, parce qu’elle semblait poser des conditions et mettre des limites à la vertu impérative de tolérance, qui, s’il fallait n’en choisir qu’une, pourrait être qualifiée de pierre de touche de S 3.

C’est en raison de ce refus dogmatique qu’à partir de la deuxième vague, l’immigration en France s’est mise à fonctionner selon le postulat insensé de la scalabilité des flux humains, laquelle revient à n’établir aucune différence de nature entre mille réfugiés et un million d’immigrés.



4.3. L’auto-engendrement par le droit : entrer sans frapper.



En effet, à partir des années 70, quand la Société des individus a pris le dessus sur l’État national, la circulation des flux, immigration comprise, est passée en pilotage automatique.



Ou plutôt, au lieu d’être calibrés par la conjugaison du politique et de l’économique, comme avant-guerre (le levier du premier veillant à faire respecter le critère du second), ce sont, depuis 40 ans, les immigrés eux-mêmes qui fixent la taille des courants d’arrivée, en se bornant à demander l’application des droits que leur accorde la Société des individus : droit au regroupement familial, droit du sol, droit à la nationalité par mariage, « droit » à faire des études en France, et, plus récemment, droit d’asile, sans compter le droit à la régularisation par lassitude (au bout de 5 ans) ou le droit d’accéder aux prestations de l’État-providence sans condition de nationalité et même de légalité, etc.



De sorte que l’asymétrie qui gouvernait l’assimilation – le demandeur étant susceptible d’être recalé – persiste, mais inversée : le pays d’arrivée, ligoté par l’état de droit, n’est plus en mesure de dire non, sauf à se faire retoquer par ses propres tribunaux, à la décision desquels il est désormais soumis.



4.4. À bas bruit.



N’étant pas consécutive à un événement particulier – à la différence de V 3 –, cette immigration juridique se développe en continu, à l’abri des regards, comme une rivière souterraine, dont l’existence ne se révélerait qu’à sa sortie à l’air libre, quand ses flots se répandent dans la plaine pour y causer des effets que nul n’avait pu ou voulu imaginer.



En effet, les flux, même s’ils sont considérables (400 000 personnes en 2018 pour les seuls légaux et semi-légaux, mineurs non compris), ne provoquent pas de choc immédiat : pour reprendre un autre anglicisme, ils sont incrémentaux, c.-à-d. s’additionnent, au jour le jour et d’année en année, pour produire des effets de « stock » progressifs, auxquels les esprits ont le temps de s’habituer. Illusion d’optique bien naturelle, puisque les courants annuels ne représentent « que » 3 à 4 % du « stock ».



Ce processus de la (grosse) goutte d’eau est néanmoins néfaste en ce qu’il fournit un alibi à la passivité de la classe politique, qui, comme je le soulignerai plus tard, ne demande que ça, quoiqu’elle puisse en penser par ailleurs.



Ainsi, dès lors qu’il n’en résulte pas de catastrophe immédiate et spectaculaire, tout peut continuer comme si de rien n’était. Et même, si des événements dramatiques, liés de près ou de loin à l’immigration (émeutes de 2005, attentats de 2015), viennent occuper le devant de la scène, ils sont peu à peu normalisés et banalisés, voire oubliés, par une sorte d’effet de cliquet propre à encourager l’aveuglement volontaire.



4.5. L’accélération spontanée.



D’autant que ce mouvement de l’immigration par le droit, dans la mesure où il est auto-entretenu – l’effet devenant la cause qu’il renforce –, s’accélère spontanément sans crier gare, selon une loi mise en évidence par Paul Collier, éminent économiste d’Oxford. En vertu de ses recherches, 10 immigrés installés en font venir 7 autres par le jeu du droit (regroupement familial, mariages, études, naturalisations) et ces 17 en appellent 12 autres, et ainsi de suite à l’infini, comme dans une pyramide de Ponzi, dont il faut bien payer un jour la note.



Cette note, c’est la formation de « diasporas ».



4.6. La formation des diasporas : l’ébauche d’une contre-colonisation qui ne dit pas son nom.



On appelle diaspora l’entité formée par des immigrés et leurs descendants qui, refusant de s’assimiler et même de s’intégrer au pays d’accueil, préfèrent maintenir allégeances aux communautés et pays d’origine, ainsi qu’à leurs modes de vie et de croyances. Elle se caractérise ainsi par un comportement qui tend à aider la venue et l’installation de nouveaux immigrants, en leur offrant des structures d’accueil qui ne les dépaysent pas.



Puisqu’une image est souvent plus explicite que les mots, il suffit de contempler les façades de nos « grands ensembles » et d’y dénombrer les paraboles, fixées sur les fenêtres et balcons, toutes tournées dans la même direction...



Ces diasporas ont, elles aussi, tendance à croître spontanément sous l’influence de trois facteurs : non seulement elles génèrent d’elles-mêmes – comme je viens de le dire – des flux croissants d’immigration par aspiration juridique et réduction du coût de l’exil, non seulement elles connaissent des excédents naturels plus élevés que la population autochtone ( fécondité supérieure, moyenne d’âge plus basse ), mais aussi, une fois atteinte une certaine masse critique, elles grossissent par « rétention » ou « osmose inverse ». Se suffisant de plus en plus à elles-mêmes, elles tendent à se regrouper physiquement, alimenter un marché matrimonial propre (sites de rencontres ethnicisés et islamisés sur les réseaux sociaux), pratiquer l’endogamie et transmettre plus aisément les mœurs d’origine aux deuxième et troisième générations, qui sont ainsi moins incitées à se laisser absorber par la société d’accueil.



En grandissant, les diasporas tendent aussi à réduire la fréquence et la qualité des interactions avec les natifs, dans la mesure où il existe des limites physiques et psychologiques bien connues au nombre de relation approfondies qu’un individu peut nouer (150 est le nombre habituellement retenu).



De tous ces points de vue, les immigrations V 2 et V 3 peuvent être considérées comme des systèmes « amplificateur de déviations », dépourvus de forces de rappel, puisque l’immigration produit des diasporas qui produisent de l’immigration.



Récapitulons. La gestion par le droit, inhérente à S 3, suscite des flux d’immigration sans cesse plus importants, indépendamment de la distance qui sépare le mode d’être-ensemble et la culture des nouveaux arrivants de ceux du pays d’arrivée.



Cette distance, démultipliée par le nombre, contribue, au-delà d’un certain seuil, à créer des groupes fermés, appelés diasporas, qui, reproduisant les manières de vivre du pays de départ, forment autant de noyaux durs, non solubles dans la Société des individus. Nodules qui, à leur tour, suscitent de nouveaux courants d’immigration, en fournissant des structures d’accueil par définition plus familières que celles du pays d’arrivée. Le taux d’absorption des immigrés par la société d’arrivée est ainsi inversement corrélé à la taille croissante de sa diaspora.



On se retrouve donc pris au piège d’un système d’autarcie culturelle et communautaire, structuré pour croître et embellir sans le moindre frein politique. Dans ces conditions, comment ne pas voir, dans ces contre-sociétés en gestation continue, un symptôme de contre-colonisation.



Car ce qui différencie l’immigré du colon est le fait que ce dernier emporte sa société dans ses bagages, avec l’intention bien arrêtée de l’implanter dans le territoire où il s’installe, alors que l’immigré se contente de rechercher une vie meilleure en quittant une société pour une autre, qu’il prend pour telle et à laquelle il cherche au minimum à s’adapter.



Si, donc, la Globalisation peut être qualifiée, comme je l’ai laissé entendre, de tentative de néo-colonisation virtuelle par le haut, la rétroaction de l’immigration peut tout aussi bien être perçue comme une contre-colonisation réelle par le bas...



Nous disposons maintenant des divers prismes lus permettant d’évaluer plus précisément l’impact de l’immigration sur notre pays, d’abord en vue synchronique, puis diachronique.





5. L’IMPACT DE L’IMMIGRATION EN VUE SYNCHRONIQUE : LES TROIS CLIVAGES, SOURCES DE LA DIVERGENCE.





Je l’ai déjà dit. L’immigration arrive chargée de lourds impedimenta : les blocs de Réel que j’évoquais à l’instant.



Là où la doxa de S 3 ne veut voir que l’apport d’une enrichissante diversité, je constate, pour ma part, la renaissance des trois clivages non négociables, qui ont causé nos pires malheurs dans le passé : la discorde religieuse, l’antagonisme colonial, le prisme racial.



On remarquera que je ne fais pas mienne l’explication par la disparité sociale, à quoi l’on voudrait hypocritement résumer les problèmes que pose l’immigration, afin précisément d’en éluder la dimension historique et culturelle, que je choisis précisément de mettre en avant.



Je commencerai donc par là.



5.1. L’immigration n’est pas la nouvelle question sociale.



Parmi les techniques d’évitement du sujet, dont je parlerai dans un instant, il y a celle qui consiste à voir, dans les immigrés extra-européens et leurs descendants, un prolétariat de substitution au monde ouvrier disparu ou, plus généralement, la manifestation contemporaine de la misère sociale, dont la persistance, sous des formes renouvelées, serait indissociable de la société capitaliste.



Pour ma part, je récuse cette présentation. Non que la pauvreté ne soit dominante dans les quartiers à forte présence immigrée. Mais l’honnêteté oblige, d’abord, à apporter quelques correctifs aux données brutes, en particulier quand celles-ci n’incorporent pas les effets – massifs – de la redistribution sociale, des revenus indirects et de l’économie parallèle. N’oublions pas que les diasporas font parvenir chaque année, par les seuls transferts bancaires, 14 milliards d’euros aux familles restées au pays (non compris, donc, les compensations et versements informels, soit au moins le double) : épargne non négligeable, puisqu’elle équivaut peu ou prou au montant de la facture réglée en 2018 pour apaiser l’insurrection des « gilets jaunes » et que, depuis 2003, elle représente le triple des crédits consacrés à la rénovation urbaine, pourtant substantiels (43 milliards).



Ensuite, la pauvreté, quand elle est réelle, n’est pas un trait distinctif de l’immigration en tant que telle, dans la mesure où, d’une part, tous les nouveaux venus n’y sont pas condamnés (c’est le cas, je viens de le rappeler, des immigrés d’Asie orientale et du Sud-Est) et où, d’autre part, la précarité est partagée par des segments importants, voire de plus en plus importants, de la population autochtone.



Enfin et surtout, il faut garder à l’esprit que la décision d’immigration est toujours une décision volontaire rationnelle, et, hormis le cas – très minoritaire – des réfugiés authentiques, cette décision a pour unique motif de combler, par un déplacement physique, l’énorme différentiel de niveau de vie entre pays de départ et d’arrivée (entre 1 à 10 et 1 à 20). Si, donc, une comparaison doit être faite, il me paraît plus honnête de commencer à la faire à ce niveau.



La meilleure preuve en est que, loin de faiblir, l’immigration ne cesse de croître depuis 40 ans et en particulier au cours des 20 dernières années. S’il s’agissait de venir en France pour y vivre l’enfer sur terre, on comprendrait mal cet engouement soutenu.



En revanche, bien réels et propres à l’immigration, sont les trois clivages qui ne doivent rien à l’économie.



5.2. Le clivage religieux : l’implantation massive de l’islam ou le pavé dans la mare.



Le clivage religieux, théoriquement disparu chez nous depuis 1905, fait un retour en force, à travers la présence sur notre sol de 6 à 8 millions de musulmans, français et étrangers, plus jeunes que la moyenne et aux effectifs en croissance très rapide.



Je vais m’efforcer de lister, de la manière la plus objective possible, les raisons pour lesquelles cet agrégat collectif – et non bien sûr les personnes qui le composent – fait problème, aujourd’hui, en France.



5.2.1. Un. À l’évidence, l’islam n’est pas l’homologue du christianisme, seule religion avec laquelle l’État national français ait eu maille à partir jusqu’ici et qu’il a d’ailleurs fini par réduire à l’état de zombie. C’est ce que nous appelons la laïcité.



Pour moi, l’islam n’entre pas – et, je le crains, n’entrera pas avant longtemps, sinon jamais – dans ces vêtements taillés sur mesure pour une religion, dont les racines culturelles, passées au tamis gréco-romain, sont les mêmes que celles de l’État français, son frère ennemi.



La religion musulmane, dont il faut quand même rappeler qu’elle serait absente de notre sol, si elle n’avait été entièrement et récemment importée par V 2, ne participe en rien de cet héritage.



Par ailleurs, sans même remonter à ses origines guerrières, elle reste une croyance à nulle autre pareille : à la fois, jeune et dynamique mais archaïque et littéraliste, spirituelle et universaliste mais aussi temporelle et communautaire, elle ne se limite pas au for intérieur de l’individu isolé, mais se présente comme un code englobant de conduites visibles, de type communautaire S 1, dont le respect peut et doit être socialement vérifié.



Encore plus que cela, en s’identifiant à un mode de vie, l’islam-croyance homogénéise ses adeptes et devient l’Islam-civilisation, agent historique de première grandeur, force collective qui va et cherche à prévaloir. En ce sens, il est tout ce que n’est plus, ou même n’a jamais été, le christianisme.



Projeté, tel un pavé dans la mare de la Société des individus, il s’avère, ainsi, une religion non seulement difficilement soluble dans l’individualisme, mais qui n’a de cesse de jouer de la limite, devenue incertaine, entre public et privé, pour s’imposer dans le champ visuel de tous.



5.2.2. Deux. Il est difficile d’ignorer que ces singularités créent non seulement de la distance, mais aussi de la discorde.



D’un côté, les codes propagés par l’islam, pris à la lettre, sont en porte-à-faux à peu près complet avec ceux de la Société des individus. On l’a déjà dit : c’est du plein qui s’engouffre dans du vide. La condition inférieure de la femme et l’interdiction de l’apostasie – les deux clés de la clôture communautaire – sont les plus flagrants de ces points d’achoppement orthogonaux.



D’un autre côté, c’est une régularité de l’Histoire Événement que la colonisation réciproque de l’Islam, en tant qu’empire, et de l’Occident, plus ou moins unifié sous bannière chrétienne. Comme je l’ai indiqué, oublier cette oscillation guerrière, c’est se mettre la tête dans le sable. En posture défensive pendant la phase d’expansion occidentale, l’Islam, force collective toujours vigoureuse, entrevoit aujourd’hui la possibilité d’un retour du balancier.



5.2.3. Trois. Ce renversement est d’autant plus plausible que, comme je l’ai déjà souligné, l’Islam est le vecteur principal de la rétroaction du Refus à la Globalisation occidentale.



Vu sous cet angle, il devient même le porte-étendard de toutes les causes en décalage avec l’esprit du temps : la tradition, le patriarcat, le virilisme, la pudibonderie, le conservatisme en général, mais aussi l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme. En fait, il apparaît comme le seul altermondialisme digne de ce nom, en mesure de récupérer tout ce qui se dresse « contre » l’Histoire Évolution et que celle-ci, impuissante à l’éradiquer, a dû laisser sur le bord de la route.



Ainsi, il n’y a rien de surprenant si, tel un volcan mal éteint, il est entré de nouveau en éruption, au moment où le passage de S 2 à S 3 lui en a offert, à la fois, le motif et la possibilité. J’en veux pour preuve le fait que 85 % à 90 % des crises chaudes en cours sur la planète impliquent des musulmans aux prises soit avec eux-mêmes, soit avec des hindouistes, des bouddhistes, des confucianistes/communistes, des juifs, des chrétiens... Ce qui, on en conviendra, fait beaucoup.



S’agit-il de pures coïncidences ? Ou bien d’une malveillance générale, dont seuls les musulmans seraient exempts ?



Pour moi qui ai vécu tous ces conflits en direct à la DGSE, j’ai du mal à le croire : il me paraît peu discutable que l’Islam, vecteur d’une religion insatisfaite du statu quo, soit devenu aujourd’hui un facteur massivement crisogène, qu’il en porte ou non la responsabilité.



5.2.4. Quatre. Si, vu de loin, l’islam fait système, vu de près, il est aussi un kaléidoscope de sous-systèmes, en interaction positive ou négative.



En fait, chez les sunnites, ces variations ne font que marquer les différents degrés du Refus de la matrice globale : par ordre décroissant, le jihadisme, le salafisme, l’islamisme, l’islamisation des mœurs, la pratique intérieure, l’islam socio-culturel.



On peut discerner, dans cette gradation, soit un reflet de violentes luttes internes – ce qui est vrai -, soit un continuum entre sous-systèmes poreux – ce qui n’est pas faux.



Cette double lecture n’est d’ailleurs possible que parce que l’islam sunnite est une religion inorganisée, à la merci des plus disants et des plus actifs, à la différence de la pyramide de l’Église catholique qui lui permet de gérer, à peu près dans l’ordre, sa retraite accélérée.



Cette prédominance, au moins morale, mais quasi mécanique, des extrêmes – à l’instar des « bolcheviks », en d’autres temps et lieux – est, en outre, facilitée par la littéralité du dogme et l’ostentation de la pratique, lesquels soumettent la masse des fidèles à la surenchère et à la surveillance panoptique des plus rigoureux.



5.2.5. Cinq. Cette modulation dans la dissidence porte, hélas, un coup sérieux, sans doute le plus sévère, à la crédibilité des efforts visant à instaurer une sorte de gallicanisme musulman.



En effet, on retrouve sur notre sol, là aussi en abyme, exactement la même gamme de contestation qui prévaut dans le reste de l’Oumma, même si les proportions en sont évidemment différentes.



Le nuage du Refus ne s’est pas arrêté à nos frontières. Nous avons, nous aussi, nos jihadistes, prêts à mourir pour une cause (à ma connaissance, les seuls en France aujourd’hui), nos salafistes (désireux de vivre en Europe, en 2019, comme au Moyen-Âge dans la péninsule arabique), nos islamistes (soucieux de pouvoir et d’influence, hic et nunc), nos musulmans ostensibles (portant foulard et jeûnant au Ramadan), et tous ceux qui gardent leur religion pour eux ou n’y voient qu’un lointain identifiant familial.



Ce sans-frontiérisme, appliqué à la religion, non seulement nous vaut de devenir partie intéressée aux nombreux conflits extérieurs, où des musulmans sont impliqués, mais ouvre aussi notre porte aux ingérences d’États nationaux, qui entendent garder le contrôle de leurs diasporas (pays du Maghreb), promouvoir leur version de l’islam (pays du Golfe) ou les deux (Turquie).



Au total, donc, la présence d’une importante immigration musulmane, en rapide augmentation, et présentant, chose surprenante, un taux de transmission entre générations lui aussi croissant (plus de 90 % quand les deux parents sont musulmans, soit plus de 80 % des cas) nous confronte à un foyer d’hétéronomie collective de plus en plus puissant, hermétique au doute, divergent et turbulent, que notre laïcité, adaptée au christianisme, ne parvient pas à apprivoiser ni enrayer.



Cette impossibilité de dissoudre l’islam dans la Société des individus représente un défi d’autant plus sérieux que ce culte montre un tout autre visage là où il est dominant. Or, il l’est devenu à une vitesse impressionnante, dans plusieurs centaines de quartiers de nos villes, où il dicte sa loi selon le bon vieux principe « cujus regio, ejus religio ».



Cette discorde – ou, à tout le moins, cette discordance – religieuse est considérablement démultipliée et aggravée par sa coïncidence quasi parfaite avec l’antagonisme colonial, qui pose, lui, la question de l’allégeance impossible à l’ancienne métropole.



5.3. Le clivage colonial : l’inexpiable guerre des mémoires.



5.3.1. Sous l’empire de S 3, on l’a dit, S 2 est passée à la trappe.



Sauf dans un domaine, le seul où la manifestation publique d’un attachement national est encore « tolérée » : le sport.



En effet, la doxa en vigueur commet l’erreur de croire que cette activité humaine, en organisant des compétitions pacifiques autour de règles communément acceptées, est un moyen sans danger de produire du commensurable et qu’il convient donc de l’encourager, comme avait semblé superficiellement le confirmer la victoire de l’équipe de France de football en 1998.



C’est, à mon sens, tenir pour plein un verre aux trois quarts vide. Non seulement le sport ne favorise que modérément le « vivre ensemble », mais, seul point de passage autorisé pour la passion nationale, il est devenu le miroir le plus révélateur du fossé que creuse celle-ci entre certains immigrants post-coloniaux et la France.



Les exemples en sont innombrables. J’en retiendrai un, particulièrement emblématique de cette déchirure, dans la mesure où il l’a révélée au grand jour : je veux parler du match de football France/Algérie d’octobre 2001. Cette rencontre, avant laquelle La Marseillaise fut rendue inaudible par les sifflets de plusieurs milliers de jeunes français et qui dut être interrompue, après envahissement du terrain par les mêmes. Démonstrations d’hostilité rééditées par des franco-marocains et tunisiens, dans des circonstances analogues, les années suivantes.



Cet événement n’est pas anodin. À ma connaissance, il est même unique au monde (sauf exceptions subnationales comme en Catalogne ou en Corse).

Le footballeur Thierry Henry en avait sobrement tiré les enseignements, en concluant qu’en battant l’Algérie au Stade de France, la France avait « gagné à l’extérieur », remarque aussi amusante que glaçante.



5.3.2. Pourquoi tant de haine ?



C’est que le passé colonial comporte des enjeux qui, pas davantage que les dogmes religieux, ne sont négociables : en l’occurrence des mémoires, qui, tout en se référant à des séquences historiques communes, les perçoivent de manière parfaitement antipodique.



Avec un terrible facteur aggravant : la Société des individus, on l’a dit, tout entière vouée à domestiquer l’État-Nation, va, pour l’abaisser, jusqu’à le dénigrer, voire le diaboliser, et en faire le bouc-émissaire de la fracture coloniale.



Mais elle dénie ainsi aux arrivants, issus de V 2, toute chance d’accéder à la référence positive d’un Récit National, fier de lui-même, auquel les immigrants européens de la première vague avaient pu finir par s’identifier.



Mieux, le discours dominant fait peser sur le seul État-Nation français la responsabilité des turpitudes auxquelles la Colonisation a donné lieu, le chef de ce même État n’hésitant pas à s’auto-accuser de « crimes contre l’humanité ».



Il ne s’agit, donc, plus là seulement d’une incompatibilité des mémoires, mais de la reconnaissance unilatérale d’une dette éternelle et illimitée – imprescriptible juridiquement – de la France, personne morale, vis-à-vis des immigrés ex-colonisés et de leurs descendants, puis des descendants de leurs descendants et ainsi de suite.



5.3.3. Ces derniers, convaincus – on le serait à moins – par le discours victimaire que leur tiennent les autorités du pays d’accueil, ne se font pas prier pour adopter cette thèse d’une continuité entre leur situation et celle de leurs ancêtres, ainsi que de la créance inépuisable qu’elle leur ouvre.



D’où l’état d’esprit, pour le moins étrange et en tous cas inédit, d’immigrés ne se sentant pas tenus à la gratitude et se montrant, au contraire, mécontents et revendicatifs, en tant qu’ayant-droits, se réclamant à la fois de la généralité humaine et de leur particularité historique.



D’où aussi une tendance spontanée et compréhensible à l’incivisme, à la fois parce qu’il est dans les habitudes du pays de départ de le pratiquer, mais aussi parce que tout prélèvement légal ou illégal sur la société d’accueil peut être tenu pour un juste retour.



D’où, enfin, cette autre extraordinaire apparition dans notre paysage : celle du français francophobe.



5.3.4. Mais la plus dramatique conséquence du différend colonial – on ne le dira jamais assez – est de couper définitivement la route de l’assimilation pour le plus grand nombre.



Car, au fond, accepter de s’assimiler, c’est trahir ses ancêtres et ses parents. En bref, c’est donner son consentement à l’Algérie française, c.-à-d. renier non seulement une mémoire, mais aussi un des murs porteurs de sa propre identité familiale.



C’est particulièrement vrai, lorsque, comme dans le cas de l’Algérie, ladite identité, inexistante auparavant, s’est forgée dans la lutte armée contre la France (l’hymne algérien est le seul, à ma connaissance, faisant une référence explicite, de surcroît négative, à un pays étranger, en l’espèce le nôtre).



Ce qui – là aussi, il convient de le redire inlassablement – souligne la folie d’avoir laissé entrer dans notre pays des flux d’immigration en provenance d’ex-colonies, au moment même où l’indépendance consacrait l’incompatibilité du « vivre ensemble » avec l’ancienne métropole et la volonté des affranchis d’affirmer leur différence, sur une base qui, à l’époque, ne pouvait être qu’ethnique et religieuse. En Algérie, exemple toujours emblématique car extrême, l’embarquement précipité des « pieds noirs », puis celui, plus discret et différé, des « pieds rouges », a bien montré la nature et la profondeur de cette rupture.



Devant cette évidence, comment a-t-on pu raisonnablement faire en sorte qu’un couple divorcé, dont le mariage venait de mal se terminer, poursuive son face à face dans le même appartement ? C’est pourtant ce à quoi nous avons cédé en transférant sur le territoire métropolitain le jeu de rôle de la colonisation, qui continue de nous placer en position structurelle d’accusé, près de 60 ans après les indépendances.



[Ce dont F. Braudel, ancien professeur à Alger et Constantine, a fait lui-même le constat : « pour la première fois, l’immigration pose à la France un problème colonial, mais cette fois planté à l’intérieur d’elle-même », tout en évoquant « le rôle angoissant de l’immigration étrangère dans l’équilibre, présent et à venir, de la population française ».]



5.3.5. Ainsi, par glissements successifs sur ce terrain savonneux du post-colonial, on en est arrivé à caresser des idées parfaitement extravagantes. Par exemple, que « nos » immigrés, au fond, n’en sont pas : ils sont « chez eux chez nous », soit parce qu’en tant qu’anciens colonisés, ils n’ont jamais perdu une sorte de droit acquis à y être, soit, même, parce que le voyage de leurs ancêtres primo-arrivants n’ayant pas été tout à fait volontaire, ils entreraient davantage dans la catégorie des déportés aux fins d’exploitation que des migrants en quête d’un sort plus favorable.



Ce qui, de proche en proche, nous amène à ce que l’on pourrait appeler « l’américanisation » de la deuxième vague d’immigration, à son rapprochement implicite avec la population noire des États-Unis (qu’on ne saurait certes qualifier d’immigrée), et, par-là, au clivage racial, ou plutôt racialiste, désormais omniprésent dans notre société



5.4. Le clivage racial : « nous sommes tous des noirs ou des blancs américains ».



5.4.1. En effet, si les immigrés de la deuxième vague sont ici de plein droit ou sans l’avoir vraiment voulu, ils ne sont plus des immigrants au sens strict.



Ils deviennent des quasi-nationaux se prétendant de « deuxième classe », et requérant, sur la base des absolus de la Société des individus, leur montée en « première » et, donc, un traitement « égalitaire » (c.-à-d. asymétrique, pour compenser les inégalités héritées, qualifiées de discriminations).



Cas de figure qui, à l’évidence, les rapproche davantage de descendants d’esclaves (présents en Amérique avant la création des États-Unis), et luttant depuis pour leurs « droits civiques », que d’immigrés classiques, venus chercher une vie meilleure sans demander leur reste.



De sorte que le triste sort des uns et des autres ne serait plus imputable qu’à une seule – mais la pire – discrimination, celle de la « race », et leur situation peut être alors comparée à rien moins qu’un régime d’apartheid (autre expression reprise au plus haut niveau de notre gouvernement). Perversion intellectuelle, qui n’en reste pas moins confortée, là aussi, par la coïncidence indubitable entre l’apparence physique de la plupart des immigrants de la deuxième vague et leurs antécédents coloniaux.



5.4.2. Les conséquences ne sont pas minces.



La moindre est l’attraction qu’exercent les États-Unis et, plus particulièrement, la culture afro-américaine, sur les deuxième et troisième générations d’immigrés, fascinées par les discours de révolte tels que le rap, mais aussi les voies d’accession rapide aux consommations ostentatoires, que sont le sport professionnel, le show business ou le trafic de drogue. Le fait que le qualificatif « black » soit régulièrement utilisé par les médias et l’opinion branchée, comme s’il allait de soi, en porte témoignage. Et je ne parle pas de la profession de « dealer », qui a désormais pignon sur rue.



Plus perturbante est l’introduction, dans notre vocabulaire et nos pratiques officiels, de mots et de concepts, importés d’outre-Atlantique et jamais utilisés auparavant à propos des immigrés de la première vague, car non conformes aux canons de l’assimilation : discrimination positive, carte scolaire, busing, ghetto et même intégration (concept lui aussi importé mais désormais avalisé par tous).



5.4.3. Reste le plus pernicieux.



Une fois introduite, la racialisation des rapports sociaux se propage comme un mauvais virus et instille une grille d’intelligibilité consistant à juger les gens sur leur mine, certes non dite, mais intériorisée par tous sur la base d’expériences personnelles aussi bien que de stéréotypes indéracinables. Mieux encore, chez les plus « conscientisés » des immigrés et de leurs descendants, la visibilité des origines est maintenant brandie comme un étendard, de façon à ce qu’aucun doute ne subsiste quant aux nouvelles lignes de partage de la société.



D’autant que, là aussi, à l’instar de la surenchère anti coloniale, la doxa en rajoute une couche, en faisant de l’anti-racisme – donc de la race et donc du racisme – la clé de voûte de sa croisade contre les discriminations.



Ainsi, le fléau du racisme, que l’on avait cru exorcisé en France après la Deuxième Guerre mondiale, opère un retour en force à la suite de l’arrivée d’une immigration extra-européenne, à laquelle il est de bon ton – c’est même le vocabulaire officiel – d’accoler le qualificatif de « minorités visibles », soit rien moins que le critère de la couleur de la peau.



Critère dont la généralisation est confirmée par la transformation des autochtones en majorité « blanche », adjectif de couleur lui aussi repris publiquement par les plus hautes sphères de l’État et du secteur public.



Enfin, ultime clou sur le cercueil des bienfaits de la diversité multi-ethnique, l’importation d’un antisémitisme de type « oriental » fait renaître, sur le sol de l’Europe, le cauchemar de ses cauchemars.



Voilà ce qu’il en est de ce triple fossé – religieux, post colonial, racial –, régressif au sens propre du terme, que notre société croyait comblé pour toujours grâce aux « progrès » de l’Histoire Évolution, mais qu’elle a elle-même rouvert en acceptant sur son sol des populations lourdes de ces anciens conflits.



Après cette évaluation synchronique, il est temps d’en venir aux conséquences qui en résultent en termes diachroniques ou, si l’on préfère, dynamiques.





6. L’IMPACT DIACHRONIQUE DE L’IMMIGRATION : DÉFIANCE, SÉPARATION, RIVALITÉ, VIOLENCE.





« Ce qui doit arriver, arrive ». Les dissensions, ranimées par la deuxième vague d’immigration, ont inévitablement provoqué des conséquences dans le temps.



Ces conséquences se présentent comme un processus de divergence par enchaînement, en quatre phases :



- la chute de la confiance sociale,



- la séparation physique,



- la rivalité pour le contrôle du sol,



- la propension à la violence.



Étant entendu que tous ces phénomènes – rappelons-le – ne sont préoccupants que parce que les immigrations V 2 et V 3 sont « en roue libre », et produisent des effets de seuil irréversibles, qui changent la nature et la portée de leur impact au fur et à mesure de leur extension.



6.1. La perte de la confiance sociale : l’inévitable dilemme diversité /solidarité.



6.1.1. La confiance, soit l’espérance de fiabilité dans la conduite d’autrui, est la condition sine qua non du mystère que constitue la coopération sociale. Soit le fait que des hommes puissent s’atteler ensemble à des buts collectifs dépassant leurs misérables personnes.



Chez S 1, où le but est de « survivre ensemble », la confiance est présumée garantie par les liens du sang.



Chez S 2, où l’objectif est de « faire ensemble », la confiance est l’aboutissement du processus de formation de la Nation par la médiation de l’Institution. Nation que j’ai, d’ailleurs, précisément définie comme un cercle élargi de confiance, nourri par le civisme, entre des gens qui ne sont pas des parents, ni même des connaissances, mais entre lesquels l’Histoire partagée et la médiation d’institutions respectées (école, armée, police, justice) ont fini par établir des rapports de sympathie, au sens premier. Ces mêmes rapports qui, au-delà du régalien, ont rendu possible la solidarité de l’État-providence, forme modernisée du don.



Chez S 3, la confiance ne va pas de soi. La Société des individus, qui s’en remet à la « main invisible » et amorale des réseaux horizontaux pour harmoniser les rapports sociaux, ne la produit pas spontanément, alors que, paradoxalement, sa fragilité structurelle lui en intime l’exigence impérieuse. En fait, elle continue de vivre sur le capital que lui a légué l’État-Nation, lequel, ne se régénérant pas, est en voie d’épuisement rapide. D’autant que, sciant, une fois de plus, la branche sur laquelle elle est assise, S 3 travaille consciencieusement à déconstruire le prestige des institutions médiatrices, héritées de S 2, qui, au long des siècles, ont engendré ce cumul de confiance, la démolition de l’école n’étant pas la moins dramatique de ces destructions suicidaires.



6.1.2. Il est triste, mais juste, d’ajouter que les deuxième et troisième vagues d’immigration contribuent à accélérer et amplifier ce phénomène de montée de la défiance.



Comme l’a montré, de manière empirique, mais à mes yeux irréfutable compte tenu de mes propres expériences, le politologue/sociologue américain Robert Putnam, le niveau de confiance d’une société, quelle qu’elle soit, est en relation inverse de sa diversité ethnoculturelle.



Ce qui, au demeurant, n’est pas illogique, dès lors que cette même diversité recoupe des différends aussi peu négociables que ceux que nous avons mentionnés.



De plus, les immigrés, qu’ils le veuillent ou non, apportent, à la semelle de leurs souliers, les habitudes et pratiques des pays d’origine, dont la quasi-totalité offre le spectacle d’un incivisme flagrant – corruption, fraudes, népotisme –, incivisme compensé au quotidien par des relations de confiance interpersonnelles, familiales, claniques, tribales ou communautaires, de type S 1.



À quoi s’ajoute, ainsi qu’on l’a dit, l’auto-légitimation du « passager clandestin » vis à vis d’une société sur laquelle il estime posséder une créance illimitée : « free riding » d’autant plus ravageur qu’il apparaît, à tort ou à raison, comme faiblement sanctionné. Or, plus la confiance est présumée, plus les auteurs de manquements doivent être lourdement punis, afin de préserver autant que faire se peut l’intégrité de ce capital intangible et, donc, fragile. Dans le cas contraire, c’est la fraude qui devient la conduite rationnelle par défaut.



6.1.3. Ainsi, s’instaure, par connivence objective entre la Société des individus S 3 et les nouveaux arrivants à dominante S 1 – connivence capitale déjà mentionnée et sur laquelle je ne reviendrai jamais assez –, ainsi s’instaure, donc, un rejet des institutions grâce auxquelles l’État national, devenu État-Nation, était parvenu à instaurer un cercle vertueux de confiance, sans que soient bien mesurées les énormes conséquences de ce démantèlement en règle.



À commencer par la mort programmée d’un État-providence largement ouvert aux non-nationaux, incapable de dire non à personne, dont les contributeurs nets sont de moins en moins en « sympathie » avec les bénéficiaires nets, et qui, au final, n’a plus d’autre ressource que de combler son déficit structurel par la dette.



La multiplication des prestations accordées sous conditions de ressources (et, par conséquent, déséquilibrées au profit des immigrés et descendants d’immigrés, dont les revenus fiscalisés sont inférieurs à la moyenne) ne fait qu’illustrer et accélérer cet effilochage annoncé du « welfare state » à visée universelle, que seul l’État-Nation avait rendu possible.



6.1.4. Ce phénomène d’effondrement est d’autant plus grave qu’il n’existe pas d’état intermédiaire entre, d’une part, la confiance et, d’autre part, la défiance ou la méfiance, qui prennent immédiatement sa place, en vertu d’un glissement, dont la peur, comme sentiment dominant, et le complotisme, comme principe d’explication, figurent la prochaine étape.



En outre, si la confiance nécessite des siècles pour s’installer, il ne lui faut que quelques années pour s’effacer.



C’est ce qui s’est produit en France depuis 40 ans, comme en témoigne la séparation spatiale impitoyable établie entre autochtones et une partie importante des immigrés.



6.2. La ségrégation spatiale, preuve par neuf de la faillite.



Dans un environnement multi-ethnique et multiculturel, tout le monde s’évite et se fuit, au minimum pour ce qui est de la résidence et de ce qui lui est lié, notamment l’école. Chacun vote avec ses pieds et tente de se recroqueviller. Les mots n’y peuvent rien : regardons ce que font les gens, plutôt qu’écouter ce qu’ils nous disent...



Ce processus de séparation, que nul ne discute plus, sauf à diverger sur ses causes, me paraît le signe le plus éclatant de la faillite de la deuxième vague d’immigration.



En effet, ce fait massif, à lui seul, ridiculise les mantras du « vivre ensemble » et de la « mixité », dont se berce le prêche universaliste de S 3, et qui, du même coup, deviennent autant d’antiphrases à donner en exemple dans les manuels de rhétorique.



Ainsi, en France, la ségrégation ou le refus de la cohabitation forcée – un Président de la République a parlé de partition, un autre de sécession, un Premier Ministre d’apartheid – est maintenant la loi commune. Car, tel un séisme causant des répliques, une immigration non-commensurable de masse provoque inévitablement des mouvements secondaires et mêmes tertiaires.



Secondaires, comme la « fuite » sans retour des autochtones, des assimilés de la première vague et d’une partie des intégrés de la deuxième, hors des quartiers où se concentrent les immigrés des deuxième et troisième vagues.



Mouvements tertiaires, comme l’alya d’une partie des juifs français vers Israël, après avoir, dans un premier temps, quitté ces mêmes quartiers « populaires », gangrenés par la modalité orientale de l’antisémitisme.



En bref, et sans surprise, le sans-frontiérisme de la Société des individus se révèle une utopie, qui, comme tant d’autres auparavant, s’écrase sur le mur du Réel : il est clair qu’ont été recréées à l’intérieur de l’espace national les clôtures que S 3 avait eu l’outrecuidance de vouloir supprimer à l’extérieur.



Résultat : le territoire de la République « une et indivisible » – et il s’agit là d’une confirmation non contestable de son acte de décès - est criblé de plusieurs centaines d’enclaves (700 ? 1 000 ? 1 200 ? 1 500 ? On ne sait plus trop...), abritant 5 ou 6 millions de personnes, quasiment dépourvues de toute population d’origine européenne, dans un pays regardé comme le cœur du continent européen. Enclaves, en « peau de léopard », situées à la périphérie des aires métropolitaines ou dans le centre des villes petites ou moyennes, parfois délimitées par de véritables check-points tenus par des veilleurs, le plus souvent par les frontières invisibles mais non moins strictes, qu’imposent les mœurs, la religion, l’apparence physique, le sexe et le contrôle social.



En tous cas, si tous les immigrés et leurs descendants ne vivent pas dans ces zones, la majorité de ceux qui y habitent en sont.



Cette discontinuité sur le sol de ce qui demeure, de jure, un État national ne peut qu’entraîner le retour sur ce territoire des rivalités de pouvoir propres à l’Histoire Événement.



6.3. La rivalité pour le contrôle des enclaves : l’Histoire Événement revient au galop.



6.3.1. La lutte pour le contrôle des quartiers n’est rien d’autre qu’une version – ultra caricaturale, s’entend – des guerres coloniales, décoloniales et post coloniales, opposant Occident et peuples du Second Monde.



Version caricaturale car, dans le cas particulier, il s’agit, d’une part, d’un État national, qui « n’y croit plus », revu et corrigé par la Société des individus, donc soumis à l’état de droit, sur son propre territoire, et, d’autre part, des communautés identitaires importées, à base religieuse, alternationale, ethnique ou générationnelle, s’abritant derrière les droits individuels et sociaux que leur attribue ce même état de droit.



Sur la forme, les Institutions – comme autrefois l’administration outre-mer – s’efforcent de sauver les apparences par toutes sortes de gesticulations, rejouées en farce : commissariats transformés en quasi fortins, caves d’immeubles remplaçant les grottes et les tunnels, opérations « coups de poing »

(« hit and run ») des forces de l’ordre, « plans de Constantine » déguisés en « politique de la ville », médiocre alphabétisation des « indigènes » par une école à la peine, recherche tâtonnantes « d’interlocuteurs valables » (sous la forme d’ONG auto-désignées et parfois unipersonnelles…), intronisation de notables aussi peu représentatifs et grassement subventionnés que les bachagas d’autrefois, et, pour couronner le tout, rétablissement de l’état d’urgence en 2005 et 2015 (« pour la première fois depuis la guerre d’Algérie »...) et même du couvre-feu en 2005, quand gagne la panique.



Bien entendu, je force le trait, mais à peine : n’oublions pas que notre gouvernement vient de dénommer de « reconquête » républicaine un énième programme de discrimination positive en faveur des quartiers « défavorisés », sans même se rendre compte ce que ce terme recouvrait de signification implicite.



Sur le fond, cet air de « déjà vu » est confirmé par le résultat sur le terrain, puisque la partie y est d’ores et déjà perdue, comme si ce genre de « match » n’était pas davantage gagnable « à domicile » qu’il ne l’est à « l’extérieur ». Le critère généralement utilisé pour en désigner le vainqueur – qui est le maître de la nuit ? – est hélas sans ambiguïté.



En effet, les minorités immigrées à l’échelle nationale, devenues majorités au niveau local (les diasporas...), ont réussi à inverser la pression sociale et atteindre l’objectif principal de ce type de conflit : la prise en main d’une population pour l’essentiel passive. Ce que les théoriciens de la guerre subversive appellent la conquête des « cœurs et des esprits » (« hearts and minds »…).



6.3.2. Pour autant, et c’est une autre différence avec les insurrections outre-mer d’autrefois, aucune autorité structurée, aucun appareil top-down, aucun FLN ne remplit le vide de pouvoir, pour ramasser le flambeau de la souveraineté que l’État a laissé choir.



La contre-société ainsi installée est, par nature, inorganisée et même anarchique. N’en émergent que les plus forts physiquement et les plus déterminés psychologiquement – les hommes jeunes – qui tiennent le haut du pavé, où ils forment des bandes rivales, localisées et éphémères, de type bottom-up.



Frustrés et humiliés pour toutes les raisons déjà dites, en crise aiguë d’identité, ils ne rencontrent plus d’entraves à l’expression de leurs pulsions de contestation.



D’autant moins que la structure familiale, pierre angulaire de S 1 mais déconstruite par S 3, ne les freine plus efficacement : l’absence ou la démission du père au sein de familles souvent devenues monoparentales (autre similitude avec la population afro-américaine), la transmission par les parents d’une adulation fantasmée du pays d’origine, l’indulgence illimitée des mères, la surpopulation de logements exigus, le faible niveau éducatif, tous ces facteurs favorisent la bascule dans une dissidence masculine à trois dimensions.



- D’abord – toutes les études sont formelles sur ce point –, la recherche de repères alternatifs conduit à un réinvestissement dans la croyance, même s’il reste souvent superficiel : on parle dans ce cas de réislamisation, de désécularisation, d’halalisation (ou à l’inverse d’haramisation) de la vie quotidienne, de durcissement des pratiques, de raidissement des observances, de transmission croissante de la religion. D’où aussi la porte ouverte à l’émergence d’un leadership religieux, coexistant avec celui des bandes et des gangs, à l’audience démultipliée par les réseaux sociaux.



Soit une réfutation magistrale de l’irréversibilité de l’Histoire Évolution et un recommencement non moins spectaculaire de l’Histoire Événement, sur le territoire national. Soit, du même coup, un clair effet de ciseaux avec le reste de la population française, dont la sécularisation paraît achevée et définitive.



- Une autre voie de divergence consiste en la fuite en avant dans une délinquance anomique, centrée sur la rente du trafic de drogue, en interface entre les producteurs du Second Monde et les consommateurs du Premier Monde. Délinquance, d’une part, parfaitement consonante avec ces causes classiques que sont l’âge et les faibles niveaux de revenus et d’éducation, mais, d’autre part, d’autant moins retenue et plus portée à récidiver qu’elle s’estime en phase avec la vision d’une France, débitrice illimitée à l’égard de ses anciens colonisés.



- Enfin, on l’a déjà dit, l’apparition d’un nationalisme de pacotille à l’égard du pays d’origine, le plus souvent mal ou pas connu, et donc idéalisé, est davantage une modalité du rejet de la nation française que l’expression d’un loyalisme effectif pour cette « patrie » mythifiée où l’on n’irait vivre pour rien au monde.



Ces trois voies peuvent s’exclure, mais aussi s’additionner, pour former dans ce cas un mélange particulièrement détonnant.



De là, la quatrième phase : la propension à la violence.



6.4. La propension à la violence : ce qui doit arriver arrive.



6.4.1. En tous lieux et à toutes époques, la propension à la violence est corrélée à la prédominance d’une jeunesse masculine (« youth bulge »), avide de manifester son trop plein de fougue et sa virilité. Loi qui se vérifie dans nos quartiers, activée par les clivages dont nous avons parlé.



Cette résurgence d’une insécurité extrême est un choc pour un pays qui croyait en être débarrassé, grâce aux développements successifs de l’Histoire Évolution : à travers, d’abord, le monopole pacificateur de l’État national, puis les pressantes injonctions de S 3 à la bienveillance de tous envers tous.



6.4.2. Les attaques contre les gens et les biens ont lieu le plus fréquemment là où c’est le plus facile, c.-à-d. à l’intérieur des enclaves, qui ne font bloc que vues de l’extérieur et où prévalent des codes prémodernes de comportement de type communautaire, c.-à-d. fondés sur la préservation de l’honneur, individuel et collectif, et la vengeance à l’égard de qui cause la honte.



Cette violence « interne » nous ramène à une sorte d’état de nature, où, faute du surplomb d’un État arbitre, chacun règle personnellement ses comptes « œil pour œil, dent pour dent », en vendettas interminables couvertes par l’omerta générale.



Ces zones – faussement qualifiées de non-droit, car elles sont, de fait, soumises à des règles que nous ne reconnaissons pas, car n’étant plus les nôtres –, ces zones, donc, sont celles où s’esquissent le plus clairement les prémices d’une guerre de tous contre tous.



En effet, les heurts peuvent relever des empoignades entre bandes ou des luttes de gangs pour la maîtrise du territoire des trafics. Ils peuvent aussi avoir pour motif les innombrables querelles qu’entraîne la surveillance des femmes par les hommes.



Plus intermittents, mais un cran au-dessus dans la gravité, sont les affrontements directs entre communautés ethniques ou nationales, dont on sait qu’elles ne se portent pas toujours dans leur cœur. Toutes les combinaisons sont à cet égard possibles : entre Africains du Nord et du Sud du Sahara, immigrés de la deuxième et de la troisième vague, Afghans contre les autres, et ainsi de suite.



L’unanimité peut néanmoins se reconstituer contre une minorité rejetée par tous (les Roms, par exemple), mais surtout et de manière préférentielle contre les représentants des institutions françaises (policiers, mais aussi pompiers et même médecins !), quand ces derniers sont tenus par leur mission de mener une incursion et se trouvent alors confrontés à une sorte « d’intifada des pierres », escarmouches et échauffourées pouvant aller jusqu’à des actions de guérilla de basse intensité (usage de cocktails Molotov ou de mortiers primitifs).



C’est d’ailleurs toujours à la suite de telles interventions policières, elles-mêmes consécutives à la commission d’infractions de droit commun par des adolescents, qu’un nouveau pas est franchi : celui de l’émeute, copie conforme des explosions des ghettos américains, combinant attaques contre les forces de l’ordre, incendies et pillages. Ces flambées destructrices et prédatrices sont, en général, très localisées et le demeurent. Sauf en 2005, où pour la première et la seule fois, elles se sont étendues à tout le territoire national, créant un précédent qui, depuis, ne cesse de nourrir les inquiétudes et les attitudes des politiques au pouvoir et des responsables du maintien de l’ordre. En revanche, les saccages ponctuels intervenus depuis se sont poursuivis avec une telle régularité que l’agenda médiatique et donc l’opinion n’y prêtent plus guère attention.



D’ailleurs, d’une manière générale, l’effet d’accoutumance amène à perdre de vue ce que toutes ces violations de l’ordre public peuvent avoir d’aberrant, dans le cadre d’une démocratie « avancée » et pacifiée. De cet effet de cliquet, délibéré ou non, résulte une sorte d’anesthésie de l’opinion, préparée à accueillir sans émotion excessive la prochaine étape dans la gradation de l’ensauvagement et de la déroute de l’ordre public.



Car, de même que l’immigration tend à l’auto-accélération, la violence s’accroît d’elle-même par désinhibition, dès lors que l’Institution supposée en détenir le monopole ne l’exerce plus que par intermittences ou pas du tout. L’impunité, de moins en moins relative, pour des délits tels qu’outrages ou rébellion, appelle l’escalade des provocations et, au final, la perte totale de ce mélange de prestige et de crainte, qui, au-delà de la loi, fonde le respect de l’autorité.



Ce qui s’établit ainsi, c’est le retour à la loi de la jungle et au règne du plus fort, sur des poches du territoire français, colorées en orange et rouge, gris et noir, en fonction de ce que nous dit le croisement des données qui y mesurent l’insécurité ou l’hostilité.



6.4.3. Il arrive que ces poussées de fièvre sortent des limites des enclaves, pour pénétrer dans la zone verte (« green zone »), où la plupart d’entre nous coulons des jours heureux. Soit, dans ce cas, un nouveau palier franchi dans « l’escalier » redouté par M. Collomb, qui nous fait passer du « côte à côte » au « face à face ».



Le plus souvent, ces échappées s’apparentent à de brèves razzias, mêlant pillage et vandalisme, qui, à la manière des coucous, s’insèrent dans des manifestations (gilets jaunes...) ou fêtes (Nouvelle année, 14 juillet...) d’une toute autre nature. Il faut toutefois noter, comme une exception, mais à ne pas oublier, les mini-ratonnades « anti-blanches » ayant accompagné les démonstrations lycéennes du début des années 2000.



Il convient, aussi, de faire un sort particulier aux célébrations des victoires des équipes sportives des pays d’origine, qui, tout en se terminant le plus souvent par des déprédations et confrontations avec les forces de l’ordre, sont surtout l’occasion d’une prise de possession de lieux emblématiques de l’histoire de France (Champs-Élysées, place de l’Etoile). L’étalage ostentatoire de drapeaux, autres que le tricolore, dans ces circonstances, n’ayant d’autre but que d’afficher, aux yeux de tous, l’allégeance étrangère des deuxième et troisième générations d’immigrés, que j’évoquais précédemment.



6.4.4. Mais, quelle que soit leur extravagance, ces différentes modalités de sécession violente font figure d’événements mineurs, au regard de la guerre ouverte que nous déclare le terrorisme jihadiste, dont les auteurs – il ne faut pas avoir honte de le dire – proviennent, jusqu’ici, à 100 % de l’immigration et se réclament à 100 % d’une sorte de suprématisme musulman, religion elle-même importée à 100 %.



C’est, à l’heure actuelle, le stade ultime de la violence et de l’expression des clivages, auxquels notre société est exposée, attaques que, même avec beaucoup de bonne volonté, personne ne saurait classer parmi les faits divers.



En effet, malgré tous ses efforts pour y discerner des causes sociales ou psychiatriques, la doxa de S 3 a beaucoup de mal à faire entrer ce type d’agressions dans la boîte à chaussures de l’Histoire Évolution, tout en se refusant à admettre la résurrection de l’Histoire événement, ce « sein qu’on ne saurait voir ». Obstination dans l’erreur de diagnostic qui augure mal des remèdes.



Mais avant d’en arriver à la question du « que faire ? », il me faut traiter d’une dernière forme d’impact des deuxième et troisième vagues d’immigration, même si je la considère comme relativement secondaire dans l’ordre des difficultés.



Il s’agit de l’impact économique, que je me dois d’évoquer, ne serait-ce que parce qu’il est souvent présenté comme l’argument le plus favorable à l’immigration.





7. L’IMPACT ÉCONOMIQUE : SECOND DANS L’ÉCHELLE DE GRAVITÉ, MAIS PAREILLEMENT NÉGATIF ET OCCULTÉ.





7.1. Globalement, il n’est pas besoin d’être un économiste nobélisable pour comprendre qu’une immigration n’est positive pour l’économie du pays d’accueil que si le niveau moyen de qualification et « d’employabilité » des immigrés et de leurs descendants est supérieur au niveau moyen de qualification et « d’employabilité » de la main d’œuvre dudit pays.



De même, l’apport démographique n’est bénéfique que s’il vient soulager des taux d’emploi et d’activité proches de la saturation.



Si ces conditions ne sont pas remplies, l’immigration ne profite qu’à des catégories particulières et non au pays tout entier. Aux immigrés, en tout premier lieu, la meilleure preuve en étant l’amplification incessante de leurs flux. À leurs employeurs, ensuite, quand ils en ont un, qui les rémunèrent à des tarifs défiant toute concurrence. Enfin, accessoirement aux pays de départ, destinataires de transferts financiers et pour lesquels une jeunesse oisive et remuante, largement excédentaire, ne peut qu’être source d’ennuis.



7.2. Mais ni la population autochtone (en particulier, sa fraction la moins qualifiée), ni les immigrés déjà là, ni l’économie en général ne trouvent leur compte à l’arrivée de regroupés familiaux, de demandeurs d’asile ou d’illégaux, appelés à ne pas travailler, ou dépourvus des compétences adaptées à une économie du Premier Monde, et qui, dans tous les cas, fourniront à la collectivité une contribution inférieure à leur rétribution.



En particulier, l’argument classique « les immigrés vont payer nos retraites » apparaît fortement biaisé, car fondé sur un taux de soutien démographique purement théorique, qui se borne à établir un rapport entre classes d’âge, sans tenir compte des taux d’emploi, ni des taux d’activité et encore moins de l’employabilité des uns et des autres.



Or, d’une part, comme l’a fait remarquer un expert au-dessus de tout soupçon, Hervé Le Bras, « la France n’a pas besoin de l’immigration » (sic) car elle dispose de réserves d’activité très importantes (chômeurs, femmes, seniors, robots) et, d’autre part, la main d’œuvre issue de l’immigration est, si l’on ose dire, non seulement sous-employée mais aussi sous-active (moins 10 points pour les hommes, moins 15 pour les femmes) et sous-employable.

Pour toutes ces raisons, le taux de soutien théorique, auquel on aime à se référer sans nuance, doit être corrigé par le taux réel, lequel, dans la mesure où il combine âge et occupation, en diverge substantiellement.



7.3. Tout confirme, en effet, que la deuxième vague d’immigration obéit à ce cas de figure.



Sauf exceptions, elle est peu qualifiée et le demeure dans le temps, car ses descendants sont en forte proportion sous-éduqués (taux d’échec et de sortie du système scolaire double de la moyenne). Le taux de chômage y est, lui aussi, deux fois plus élevé que dans le reste de la population, en particulier chez les jeunes, et le taux d’activité y est sensiblement inférieur pour des raisons qui sont aussi culturelles (travail des femmes).



Les conséquences d’un tel apport humain, motivé par le revenu plus que le travail, et activé par le droit au lieu de l’emploi, sont inéluctables : baisse de la productivité nationale par tête, pression sur les salaires vers le bas, frein à la substitution du travail par le capital et donc à l’automation, alourdissement d’un chômage de masse déjà élevé, encouragement à une économie parallèle, compétition accrue pour accéder à des biens publics rares, etc...



7.4. On en vient ainsi à la notion de « coût » de l’immigration, qui a fait l’objet de nombreux calculs, tous plus catastrophiques les uns que les autres (entre 55 et 85 milliards d’euros par an !), variables selon que l’on considère les comptes publics ou l’économie dans son ensemble.



Que ces calculs soient proches ou non de la réalité, ils ont l’avantage d’inclure un ensemble de dépenses que l’économie « officielle » préfère ignorer : coût des infrastructures supplémentaires nécessitées par l’afflux de population dans des métropoles congestionnées (écoles, hôpitaux, logements sociaux, transports, etc...), coûts résultant du différentiel entre la surconsommation en prestations sociales (de plus en plus liées à des conditions de ressources) et la sous-imposition fiscale (les deux s’expliquant par des revenus déclarés inférieurs à la moyenne), coûts dus à la discrimination positive (politique de la ville, éducation prioritaire, ZSP, etc...), coûts dérivés des effets négatifs de l’immigration (délinquance, sécurité, justice, économie parallèle), coûts des transferts de fonds vers le pays d’origine (14 milliards officiellement soustraits à la consommation et à l’investissement nationaux et sans doute plus du double en réalité), etc.



Il est à la fois significatif et déplorable qu’un pays comme le nôtre ait été incapable, jusqu’ici, de réunir une commission indépendante chargée de clarifier une fois pour toutes cette question, en procédant à une évaluation objective des bénéfices, mais aussi des coûts et surcoûts, d’un phénomène qui dure depuis un demi-siècle et dont chacun peut percevoir à l’œil nu – dans une cour d’école, la salle des urgences d’un hôpital, un parloir de prison ou une voiture de métro – l’incidence sur la saturation des services publics.



7.5. Si l’on s’en tient à ce dernier point, il est quand même étonnant que, dans un État consacrant 57 % de son PIB à la dépense publique, les complaintes ne cessent d’augmenter quant à la qualité et la quantité des services fournis en retour.



Il n’est pas interdit de penser (mais prohibé de dire...) que ce décalage, unique au monde, puisse entretenir un certain rapport avec une immigration de masse.



En effet, tout nouvel immigré se comporte inévitablement en « passager clandestin » à l’égard de biens publics qu’il va utiliser dès le premier jour, sans avoir contribué un centime à leur coût antérieur d’investissement.



À partir de là, son installation sur le territoire va nécessiter un investissement public, et donc une épargne, supplémentaires, que le prix Nobel Maurice Allais avait sommairement évalué à 4 fois le revenu potentiel de l’arrivant (en fonction du ratio 1/4 entre revenu et capital national), soit, en prenant le SMIC pour revenu de référence, pas loin de 80 000 euros. Si on applique ce montant au nombre d’entrants légaux et demandeurs d’asile, appelés à rester (400 000), on en arrive à 32 milliards de biens publics à produire annuellement pour satisfaire ces nouveaux besoins (irréguliers non compris...). Comme un investissement de cette taille est exclu (presque la moitié du déficit annuel de l’État), on comprend mieux les tensions que l’immigration est susceptible de faire porter sur l’accès aux biens publics.



Il en va de même des formidables contraintes pesant de toutes façons sur l’État-providence (vieillissement de la population) que l’immigration vient alourdir de son côté : d’une part, nous l’avons dit, la chute de la confiance sociale, liée à la société diversitaire, refroidit de plus en plus la propension à payer des contributeurs nets, et, d’autre part, l’influx massif d’immigrés suscite, par lui-même, une soif jamais étanchée d’équipements et personnels sociaux.



On en revient par là au dilemme, déjà évoqué, entre diversité et solidarité : alors que l’accroissement de la première par l’immigration nécessite, théoriquement, un renforcement de la seconde, en pratique, le Réel nous renvoie à l’inverse. Soit un nouvel effet de ciseaux, qui rend intenable le maintien du « welfare state » tel que nous l’avons perfectionné, puisque l’échappatoire de son financement par la dette rencontre, lui aussi, d’inévitables butoirs.



Du tableau délibérément sombre que nous venons de brosser de l’immigration, subie depuis 50 ans, découle inévitablement la question « Que faire ? », dernier volet de notre réflexion, car il est clair que pour moi, et je l’espère pour vous après m’avoir entendu, la prolongation de l’inaction n’est pas une option.



Je ferai une réponse en trois temps :



- circonscrire le problème,



- identifier les obstacles à l’action,



- proposer des mesures.





8. QUE FAIRE ?





8.1. D’abord, de quel objectif parle-t-on ? Assimilation, intégration, insertion, inclusion, interruption, remigration.



Tous les immigrés et leurs descendants originaires du Second Monde – disons au moins 10 millions de personnes – sont loin, Dieu merci, d’être en état de sécession. Il convient, donc, de tenter de préciser les différentes positions du curseur marquant leur attachement à la France et/ou à la société française, puis d’évaluer – de manière SUBJECTIVE s’entend, car il n’existe évidemment aucune statistique donnant leur mesure directe – les effectifs de population correspondant à chacune de ces positions.



L’assimilation, l’intégration, l’insertion, l’inclusion sont les outils conceptuels qui, désignant, à la fois, une action et une situation, permettent de rendre compte des degrés d’allégeance d’une population allochtone et de définir les objectifs d’une politique à son égard.



L’interruption des flux et la remigration éventuelle sont, en revanche, les modalités d’une inversion radicale de ces différentes politiques, que l’on pourrait à des degrés divers qualifier de fatalistes – assimilation comprise –, dès lors qu’elles se refusent toutes à faire de l’immigration une variable d’ajustement.



8.1.1. L’assimilation : 5 à 10 %.



Ce très faible pourcentage ne fait que refléter l’anachronisme de cette voie d’acculturation.



Je l’ai déjà suffisamment souligné. Pour moi, l’assimilation (« rendre semblable à ») n’est concevable qu’en rapport avec un État national, en pleine possession de ses moyens, « sûr de lui et dominateur », assumant pleinement son histoire et la culture qui l’a et qu’il a produit.



Puisqu’il s’agit de rien moins, pour l’assimilé en puissance, que d’abandonner tout ce qui le rattache à sa culture d’origine, pour en adopter entièrement une autre, une rupture aussi asymétrique ne peut s’envisager qu’au profit d’une structure, déjà inscrite dans la durée, assurée d’elle-même et disposant d’une forte capacité d’attraction et de perpétuation.



En outre, ce ralliement inconditionnel, abolissant tout clivage, est à l’évidence d’autant plus facile à opérer que le fossé culturel à sauter est moins large.



Enfin, tous s’accordent sur le fait que le mariage exogamique est le moyen le plus sûr et le plus fréquent de générer l’assimilation, les enfants de ces unions se voyant symboliquement attribuer des prénoms qui ne laissent subsister aucun doute quant à leur nouvelle affiliation.



Ces trois conditions ont été remplies jusqu’aux années 70, c.-à-d. avant que S 3 ne prenne le dessus sur S 2 et que l’immigration extra européenne ne succède à l’européenne. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la dernière immigration eurochrétienne à avoir franchi le portillon – la portugaise – a subi l’influence de ce changement de paradigme, puisque, tout en donnant de nombreux gages d’assimilation, elle est aussi celle qui a conservé le plus de liens avec le pays d’origine.



Ce mouvement d’adhésion sans nuance – de fusion, pourrait-on dire – n’est plus concevable aujourd’hui que pour une petite minorité, dont on peut penser, sans lui manquer de respect, qu’elle a oublié de mettre sa montre à l’heure.



Dans la Société des individus, en effet, tout conspire, par construction, à nier ce que peut avoir de positif la continuité historique de l’État national et, au contraire, mettre en relief ce qu’elle peut révéler de négatif.



En fait, depuis que S 3 est devenue dominante, non seulement nul moyen public n’est plus déployé pour promouvoir l’assimilation, mais celle-ci, dénoncée, fait figure de repoussoir néocolonial (M. Erdogan, prêchant pour sa chapelle, est allé jusqu’à parler de « crime contre l’humanité », à Strasbourg, en 2015 !). Il n’y a donc rien d’étonnant si elle se voit remplacée par l’intégration, en tant que processus optimal d’acculturation.



8.1.2. L’intégration : 30 à 35 %.



L’intégration (« réparer, remettre en état ») n’est pas facile à définir autrement que je ne viens de le faire : elle est ce qui se substitue à l’assimilation, quand l’État national cède la prééminence à la Société des individus.



Il reste que ce « signifiant » demeure habité par des « signifiés » historiques qui ne manquent pas d’interférer avec sa compréhension, d’autant que ces signifiés ont en commun de ne pas s’appliquer à des immigrés mais à des populations déjà là.



Citons, et pas seulement pour mémoire, l’utilisation du mot intégration, par l’aile généreuse des partisans de l’Algérie française, pour désigner le processus d’accession à la pleine citoyenneté de la population musulmane, après 1958, population à propos de laquelle – il convient de le relever – il ne fut jamais question d’assimilation.



Plus prégnante, et nuisible, est l’importation du terme depuis les États-Unis, dans la mesure où, en posant un parallèle entre la condition des noirs américains, descendants d’esclaves, et celle des immigrés en France, il introduit une confusion déplorable entre des situations fort différentes, contribue à répandre chez nous la petite musique du racialisme et suggère des remèdes qui, pour avoir été essayés de l’autre côté de l’Atlantique, ne sont pas nécessairement les plus adaptés au nôtre (discrimination positive, hypertrophie de l’antiracisme, etc.).



Disons plus objectivement que, dans la France d’aujourd’hui, l’intégration est le processus d’acculturation par lequel des immigrés et descendants d’immigrés extra-européens nouent une relation apaisée avec la Société des individus, conçue au fond comme une Grande Entreprise, dont ils respectent les règles et à laquelle ils s’incorporent, d’abord, par le canal de l’emploi.



Il s’agit là d’un contrat d’ambition bien plus limitée que l’assimilation, puisqu’il n’implique nul renoncement au quant-à-soi, c.-à-d. aux liens avec la culture de départ, à la pratique de la religion d’origine ou au choix endogamique du conjoint (et des prénoms des enfants qui vont avec), tous supposés relever des droits individuels et donc de la sphère privée. En quelque sorte, l’intégration n’abolit pas les clivages, mais les transcende par le droit et l’économie.



Une autre différence majeure avec l’assimilation est que l’intégration va de pair avec une société d’accueil, qui accepte d’évoluer pour la faciliter : il s’agit donc d’un mouvement interactif et se voulant plus ou moins symétrique (« un processus dynamique à double sens d’acceptation mutuelle », nous dit l’Union Européenne), où le système se recompose et se transforme pour prendre en compte les apports extérieurs. Un excellent exemple de cette réciprocité théorique est fourni par les modifications des programmes scolaires d’histoire, ajustés afin de ne pas choquer les arrivants et leurs enfants, auxquels il n’est plus demandé d’endosser un récit national, dont il est admis une fois pour toutes qu’il n’est pas le leur et ne doit pas le devenir.



Une évaluation, toujours arbitraire, mais qui n’ignore pas les statistiques, sondages et enquêtes disponibles, permet d’estimer à 30/35 % le pourcentage de ces intégrés, accueillis chez nous comme individus souverains et qui, en retour, se montrent respectueux des règles du jeu qui en découlent.



Les femmes, les adultes d’âge mûr, les exfiltrés des « quartiers », les asiatiques y sont surreprésentés.



Les assimilés et les intégrés peuvent être considérés comme des « absorbés », à temps plein ou partiel : ils forment la petite moitié qui « s’en sort », ne met pas en péril le « vivre ensemble » et y ajoute même une dose variable de « faire ensemble ». Il existe, en outre, une volonté de confondre les uns et les autres sous une même bannière : celle, ô combien ambiguë, des « valeurs de la République », brandie à tort et à travers pour donner à croire que l’intégration n’est rien d’autre qu’une assimilation, qui ferait abstraction de l’Histoire (sauf 1789) et recentrerait l’adhésion sur quelques abstractions éternelles. Ce qui ne serait qu’un tour de passe-passe, si la laïcité, elle aussi très diversement conçue, ne fournissait à ses partisans les plus actifs l’occasion, non avouée, de réintroduire du culturel national là où la Société des individus ne veut plus en mettre.



8.1.3. L’insertion et l’inclusion : autres noms de la sécession pour 50 % des immigrés issus de la deuxième vague.



On ne sait trop quoi faire de ces deux catégories aux contours imprécis et définitions fluctuantes, sinon qu’elles recouvrent – en tant que situations – des populations dont on peut seulement dire qu’elles ne sont ni assimilées ni intégrées, et qu’elles correspondent – en tant qu’actions publiques – à un traitement minimal, qui, dans la pratique, revient à considérer ces ensembles comme marginaux, alors qu’ils sont peut-être majoritaires.



Tout se passe comme s’il s’agissait de préserver un lien social basique, grâce à des programmes spécialement calibrés, avec des groupes, dont on se résigne à ce qu’ils demeurent périphériques et que l’on désigne désormais ouvertement sous le nom de « communautés » ou de « diasporas » (africaine, maghrébine, musulmane, turque, etc.), regroupées dans des « quartiers » (sensibles, difficiles, populaires, etc...) qui leurs sont propres.



Au sein de cette grosse moitié de non-assimilés et non-intégrés, 20 à 25 % sont entre deux rives : ni inclus, ni exclus, respectant plus ou moins la loi, mais sans vraiment partager les valeurs qui la fonde, un pied dedans, un pied dehors, ils sont de ce fait un enjeu flottant.



Restent 30 à 35 % très problématiques, car dans une posture négative, parfois agressive, et même haineuse, vis-à-vis de la France. Ils englobent bien sûr les délinquants, mais ils sont aussi surreprésentés chez les jeunes (et même les mineurs...), les hommes, les chômeurs « volontaires » (il y en a), les bénéficiaires directs ou indirects des trafics, les musulmans endoctrinés, ainsi que, bien évidemment, dans les enclaves, à l’intérieur desquelles leur détermination vaut à certaines de ces catégories de jouer un rôle supérieur à leur nombre.



8.1.4. L’interruption : réduire les flux et même les « stocks ».



Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces quatre « familles imaginaires », dont les nombres estimés, j’y insiste, ne relèvent de rien d’autre que d’une intuition raisonnable, ne sont pas entièrement étanches, ni ne recoupent exactement nos trois clivages, comme l’a, hélas, démontré l’éclectisme surprenant du recrutement jihadiste.



Mon sentiment, qui confirme ma crainte, est que, si on continue de laisser les choses glisser sur leur erre, les deux derniers groupes, favorisés par la dilatation et l’autonomisation auto-entretenues des diasporas, se renforceront au détriment des deux premiers, avec les graves conséquences qu’on peut en déduire sur le plan de l’extension de la violence.



C’est pourquoi il me paraît raisonnable d’abord d’examiner la possibilité – puis, le cas échéant, d’essayer – de ce qui n’a jamais encore été sérieusement tenté, mais que le bon sens me semble dicter, à savoir réduire les flux d’entrée, voire les « stocks » qu’ils ont accumulés.



Rappelons, en effet, qu’une politique de l’immigration peut et doit se décomposer en deux volets : d’une part, l’action sur les flux avant qu’ils n’arrivent et, d’autre part, après qu’ils sont arrivés.



8.2. Qu’a-t-on fait jusqu’ici ? Rien, pour contrôler les flux avant leur arrivée. Beaucoup, mais sans succès, après.



Tout se passe depuis 50 ans comme si l’immigration devait être prise pour une donnée incontournable, à laquelle nous n’aurions d’autre choix que de nous adapter, notamment en menant une politique d’intégration (dégradée éventuellement en insertion et inclusion), en conformité avec les dogmes de la Société des individus, inspirés par la foi exclusive en une Histoire Évolution progressiste, linéaire, cumulative, convergente et irréversible.



Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, car la passivité vis-à-vis des flux, qui continuent d’arriver en vagues grandissantes, se double d’un activisme brouillon pour traiter des conséquences, lesquelles placent quotidiennement la Société des individus face à ses immenses contradictions. En effet, comment résoudre un problème dont la racine est culturelle, au sens large, par des mesures dont l’inspiration récuse absolument cette évidence ? Avec en corollaire, cette troublante interrogation : comment accueillir des « individus » qui se comportent comme des « communautés », auxquelles on refuse une reconnaissance légale, tout en avalisant verbalement leur existence à longueur de journée ?



8.2.1. La passivité face aux flux : les accès au territoire et à la nationalité, abandonnés au droit et à l’incurie.



Le drame s’est noué à la fin des années 70, quand, après quelques péripéties et simulacres de résistance, le politique a passé la main à S 3, consacrant l’assujettissement de l’État national à un état de droit extérieur à lui-même (c.-à-d. les « droits », auxquels il lui faut se soumettre, en lieu et place des « libertés publiques », qu’il octroie lui-même), le tout donnant le dernier mot à l’individu mondialisé et aux « gate keepers », chargés de veiller sur sa souveraineté fraîchement acquise.



8.2.1.1. En matière d’immigration, c’est l’arrêt Gisti de 1978 qui a marqué cette prise de pouvoir par les instances judiciaires, en l’occurrence le Conseil d’État, lequel, à partir de cette date, est devenu, en connivence avec les ONG (et les médias), le gardien vigilant du refus d’une politique de maîtrise des flux, agissant soit proprio motu, soit à l’abri du droit et de la jurisprudence européens.



L’État, réduit à sa dimension bureaucratique, a mis tous ses moyens au service de sa propre démission. Il est même allé au-delà en consentant à la régularisation permanente de ceux qui ne respectaient pas la règle de droit (qualifiés de « sans-papiers »), soit à l’occasion de mises à jour spectaculaires, soit de manière continue et subreptice. Bouclant la boucle, il a fini par reconnaître à ces mêmes arrivants illicites une sorte de statut légal, leur accordant une aide médicale gratuite, ainsi que divers avantages matériels. Sans mentionner ceux, plus substantiels, qui sont attribués, dès le dépôt de leur requête, aux demandeurs d’asile, pourtant eux aussi entrés illégalement.



N’oublions pas que les candidats à l’immigration, s’ils agissent indiscutablement sous de fortes contraintes, sont aussi des stratèges qui utilisent à plein la marge de choix rationnel que leur offrent les politiques des pays d’accueil potentiels. De ce point de vue, les signaux de laxisme qu’envoie notre pays ne peuvent qu’encourager ces mêmes candidats à y tenter leur chance : ces messages implicites, adressés à la « communauté » mondiale des migrants potentiels, constituent ce que l’on appelle communément des « appels d’air », contribuant à l’auto-accélération dont j’ai déjà parlé.



8.2.1.2. Quant à l’accession à la nationalité, pas moins importante que celle au territoire, elle est, elle aussi, automatisée par l’application de règles juridiques (droit du sol, mariage) dans la moitié des cas, et favorisée, pour le reste, par la mise en œuvre de critères très généreux de naturalisation, dont le résultat final n’est pas très différent de l’automatisme.



Le tout aboutissant, malheureusement trop souvent, à des Français de papier ou, pire, à cette curiosité historique que sont des Français francophobes.



8.2.2. La « politique d’intégration » : un bricolage massif, pour un objectif et un résultat minimalistes.



La politique d’intégration, menée depuis un demi-siècle, après le renoncement à l’assimilation, pratiquée sous S 2, n’est pas du tout négligeable « en quantité », bien que personne n’ait encore pu, ou voulu, calculer son coût réel, qui n’est lui-même qu’une dimension du coût de l’immigration en général.



Ces programmes, destinés, en principe, à faire en sorte que les immigrés et leurs descendants puissent s’adapter à la Société des individus, conçue comme une Grande Entreprise, dont il suffit d’accepter le règlement intérieur et jouer les jeux de rôle, n’ont « réussi » qu’à hauteur de 50 %. À supposer évidemment que cette évaluation, à laquelle je me suis risqué il y a un instant, soit en rapport avec la réalité. À supposer, aussi, que ceux qui ont opté pour l’intégration (ou, accessoirement, l’assimilation) aient fait leur choix sous l’influence des politiques menées plutôt qu’à la suite de décisions personnelles ou familiales.



Quoiqu’il en soit, pour l’autre moitié des arrivants, de leurs enfants et petits-enfants, ces différentes techniques d’intervention, même requalifiées en programmes d’insertion et d’inclusion, n’ont pas fonctionné : la dimension des flux et la distance culturelle qui les caractérisent (les « trois clivages » et leurs conséquences) ont fini par déborder des moyens publics, réduits à l’impuissance par des effets de seuil, des taux de concentration et des vitesses de rotation, dépassant toutes les capacités disponibles. Exemple remarquable, je l’ai évoqué tout à l’heure, de l’échec de l’Histoire Évolution quand elle bute sur un trop plein de Réel.



D’autant que ces programmes, officiellement placés sous le signe d’une intégration conforme aux valeurs de S 3 (c.-à-d. offrant des « contenants » de vie), et non plus d’une assimilation rigide (imposant des « contenus »), présentent, derrière la cohérence apparente du jargon, l’aspect d’un vaste bricolage, dont l’agenda caché est, au final, très prosaïque : prévenir, ou retarder, une explosion générale des quartiers à majorité immigrée.



Explosion éventuelle que je tiens – et je ne suis pas le seul – pour le risque sécuritaire principal en France aujourd’hui, le terrorisme, habituellement cité à ce propos, n’étant, à mes yeux, qu’une forme paroxystique et ultra-minoritaire d’une conflictualité plus vaste et plus complexe.



On comprend que, pour toutes ces raisons, les mesures adoptées et les pratiques suivies évitent avec soin d’enjoindre aux immigrés et descendants toute convergence culturelle avec les autochtones. Quand on vise la paix sociale à tout prix, autant ne fâcher ni provoquer personne. Au fond, les programmes d’intégration visent bien à la réduction de la distance entre deux masses de populations, mais, de fait, renvoient à l’une d’entre elles - la société d’accueil - tous les efforts nécessaires à ce rapprochement.



8.2.2.1. Les velléités autoritaires : les lois « vestimentaires », exceptions sans lendemain.



À deux exceptions près, toutefois : je veux parler des lois « vestimentaires » sur le port des signes religieux à l’école et du niqab dans l’espace public, qui apparaissent comme des coups d’arrêt, certes de portée limitée mais réels, à l’affichage d’une distance culturelle ostensible.



Ces restrictions sont remarquables, non seulement parce qu’elles mordent sur la frontière de l’assimilation, mais surtout en ce que, même si les motifs invoqués sont flottants (laïcité, sécurité), elles représentent une incursion de fait, quasi hérétique, sur le terrain honni du « culturel » et de ses pratiques.



En somme, par deux fois (mais par deux fois seulement), la Société des individus (ou ce qui restait en elle d’un État national souverain...) a répliqué aux contenus « durs » du communautarisme, non par le « mou » qu’elle privilégie normalement (c.-à-d. des contenants), mais par du « dur » de sens contraire (c.-à-d. des contenus de conduites), qu’en effet, n’aurait pas renié S 2.



Il faut cependant reconnaître que ces deux décisions, déjà lointaines, non seulement n’ont pas eu de prolongements (interdiction des signes religieux à l’université ou pendant les sorties scolaires, par exemple), mais rencontrent, au moins pour la deuxième, de sérieuses difficultés d’application. Avec le recul, elles font un peu figure d’OVNI, dont l’audace laisse perplexe et même donne rétrospectivement à frémir...



D’ailleurs, pour le reste, l’effort public en direction des immigrants « arrivés » et de leurs descendants « installés », s’est avéré parfaitement conforme à la doxa en vigueur :



- discrimination positive par le budget et la géographie,



- petits arrangements raisonnables,



- velléités d’injonctions au « vivre ensemble »,



- omniprésence d’un discours négationniste et incantatoire.



Avec, pour toile de fond commune, je l’ai dit, l’objectif d’éviter un embrasement incontrôlable.



Le tout sans que soit jamais posée la question de bon sens : puisque l’installation d’une immigration de masse est si compliquée et potentiellement redoutable, pourquoi ne pas commencer par en arrêter les frais ?



8.2.2.3. La discrimination positive par le budget et la géographie : un médicament universel qui finit en placebo.



L’engagement massif en faveur de la discrimination positive se justifie par le fait que son envers – la discrimination, tout court – est considéré, par la dogmatique individualiste, comme l’unique obstacle sur la voie de l’égalité réelle entre tous.



La difficulté, dans le cas des immigrés et a fortiori de leur progéniture, vient de ce que des actions à leur seul profit ne peuvent être logiquement fondées que sur le critère de l’origine, voire de la « race ». Car, s’ils sont étrangers, il reste quand même difficile de leur accorder un traitement de faveur sur cette base et, s’ils sont français, il n’est pas moins délicat de leur appliquer une approche différenciée par rapport à leurs concitoyens. Or, le critère ethnique est le seul que la Société des individus ne saurait ouvertement entériner (même si elle n’en pense pas moins : le fichier, entériné par la CNIL, « Traces d’antécédents judiciaires » reconnaît officiellement 12 catégories « ethniques » pour distinguer les mis en cause...).



Pour contourner cet inconvénient, il lui faut emprunter le détour géographique et social de la « politique de la ville », laquelle concentre ses actions préférentielles en matière de logement, d’éducation, de sécurité, de création d’entreprises, à coup de plans, d’investissements, de subventions, d’incitations fiscales, de personnels de renfort (récompensés par des primes, comme pour un service outre-mer autrefois...), sur un millier de zones et périmètres spécialisés, désignés par des sigles barbares (ZUS, ZEP, REP, ZSP, QPV, QRR, etc.), dont la formulation évolue au rythme des alternances politiques, sans qu’on sache s’il s’agit chaque fois d’enregistrer un succès ou d’oublier un échec.



En bref, si on ne peut pas aider directement les immigrés en tant que tels, on privilégie les enclaves où ils sont fortement présents, pour leur offrir des conditions matérielles censées compenser des handicaps dont, par définition, ils ne sauraient être responsables.



Ce « plan de Constantine » permanent a sans doute évité que la situation n’empire, mais on a du mal à croire qu’il l’ait rendue meilleure. Et s’il en est ainsi, on ne le répétera jamais assez, c’est parce que les problèmes que pose l’immigration, au-delà d’un certain seuil, ne sont pas – et ne seront jamais – solubles dans la redistribution budgétaire, ni même l’urbanisme ou des programmes sociaux ciblés.



Avant d’être économique et social, le défi est culturel, religieux, historique, et même ethnique, tous décalages que la hauteur abaissée et le confort amélioré des bâtiments dans des parcs arborés, ne sont pas en mesure de combler.



Sans doute ces conditions matérielles, plus satisfaisantes qu’elles ne l’auraient spontanément été, ont pu être d’un précieux secours pour ceux que leur personnalité et/ou leur environnement familial poussaient de toutes façons à s’intégrer. On peut douter qu’elles aient réussi à en faire basculer beaucoup d’autres.



Et surtout, j’y reviens, on ne peut s’empêcher de penser qu’elles ont pour visée minimale de maintenir le couvercle sur la cocotte-minute. La meilleure preuve en est que les différentes relances de la « politique de la ville », qui, quoique non-stop, procède par saccades, ont toujours été consécutives à des flambées d’émeutes, voire d’attentats, qu’elles ont en quelque sorte légitimés en y répondant positivement. Comme si, en vertu d’une doctrine que l’on pourrait appeler le « borlooisme », l’argent était la seule réponse que nous sachions apporter à ces violences...



De même, le volontarisme éducatif, autre volet de la politique d’intégration, cher aux nostalgiques des « hussards noirs », ne fonctionne guère que pour les élèves motivés, mais se heurte rapidement au mur de l’hétérogénéité culturelle pour les autres. Mur auquel, il faut le reconnaître, s’attaque courageusement le dédoublement des classes de CP, en attendant mieux, lequel constitue sans doute la mesure la plus intelligente prise dans ce registre de la discrimination budgétaire.



Tout ceci pour dire que, sauf surprise à venir, les politiques publiques dites d’intégration, d’insertion ou d’inclusion, ne me semblent jouer qu’un rôle d’appoint – en l’occurrence très coûteux – pour des décisions dont la motivation essentielle demeure personnelle et/ou familiale.



8.2.2.4. Les « petits » accommodements : le « pas de vagues » du quotidien.



Dans la pratique, ces ajustements désignent toutes les actions complémentaires, théoriquement menées de part et d’autre, pour que, en sus des crédits déversés, « ça ne dégénère pas ».



En fait, ces gestes sont, largement encore, unilatéraux et relèvent de la seule société recevante, puisque ceux attendus de « l’autre côté » se bornent au respect des lois, c.-à-d. à la normalité.



Ces arrangements, parfois qualifiés de « raisonnables », ne le sont précisément pas, dans la mesure où ils consistent à faire des pas dans la direction, non pas tellement de ceux qui cherchent à s’intégrer, mais de ceux qui, ne le voulant pas, font pression et exercent un chantage au quotidien pour que la société française entérine leur mode de vie et leur reconnaisse la capacité de l’imposer autour d’eux.



Qu’on les appelle compromis ou renoncements, qu’elles soient le fruit de la lassitude, de la complaisance ou de la crainte, ces concessions n’épargnent aucun niveau.



- A tout seigneur, tout honneur, l’État s’y distingue par d’innombrables accrocs à ses devoirs, y compris envisagés sur le mode mineur de l’intégration. Ils correspondent généralement à une réduction du niveau d’exigence, scolaire, civique ou sécuritaire, pour l’adapter aux nouveaux habitants. Citons en quatre parmi les plus graves.



• En premier lieu, bien davantage que la révision rampante des programmes d’histoire, dont j’ai dit qu’elle était l’un des prix à payer pour passer de l’assimilation à l’intégration, c’est le consentement donné de facto à l’effondrement du niveau scolaire, symbolisé par la dévaluation délibérée du baccalauréat, qui interpelle. Certes, il serait ridicule d’attribuer ce nivellement par le bas, tout comme le recul de la France dans les classements PISA, à la seule immigration et à la nécessité d’accommoder sa distance culturelle par l’indulgence. Mais il serait, à mon sens, tout aussi stupide de la considérer comme totalement étrangère à ce recul et à l’assentiment que lui donne une institution « qui n’y arrive plus ».



• De même, une autre abdication, moins souvent citée, mais d’un ordre voisin, est celle relative à l’abandon de la conscription. Certes, là aussi, l’immigration est loin d’être la seule cause d’une décision, dont le caractère historique fut largement sous-estimé au moment où elle a été prise. Il n’empêche que l’extrême difficulté que commençait à éprouver la hiérarchie militaire pour gérer la deuxième génération d’immigrés maghrébins, arrivée à l’âge du service au début des années 90 (cf. le rapport Biville, demandé par le Ministre de la défense de l’époque), a été un facteur additionnel de la délibération finale. La quasi disparition des colonies de vacances, encore moins évoquée, peut aussi s’interpréter, en partie, de cette manière.



• Ensuite, il y a tous les renoncements à nos mœurs, qui sont, si j’ose dire, entrés dans les mœurs, et qui apparaissent comme autant de concessions à une sorte de « statut personnel » des immigrés : l’abattage halal, qui, malgré sa cruauté, ne suscite guère la réprobation, y compris des anti-spécistes, et qui, pourtant, affecte désormais au moins la moitié de notre consommation de viande ; les abattoirs privés de l’Aïd ; la polygamie cachée des familles subsahariennes ; l’excision pratiquée sur les petites filles pendant les vacances au pays ; les autolimitations à la liberté d’expression depuis que les journalistes de Charlie Hebdo l’ont payée de leur vie et, notamment, l’acquiescement quasi général à l’idée selon laquelle une religion serait l’équivalent d’une race et que toute critique à son égard tomberait sous le coup de la législation pertinente ; dans la foulée, l’intériorisation de l’interdiction du blasphème et, de manière plus générale, la retraite précipitée de la critique voltairienne vis-à-vis de l’islam, etc.



• Enfin, autre non-dit, encore plus grave, est l’espèce de modus vivendi malsain concédé aux enclaves, dont on redoute à tout moment le pire.



Car il est temps d’insister sur un point essentiel, que je n’ai encore abordé qu’en oblique. En effet, si la diversité suscite la défiance, un cran au-dessus, ses dérives (délinquance, terrorisme, religiosité ostensible) génèrent la peur, non seulement chez les autochtones, les assimilés et même les intégrés, mais aussi chez les dirigeants politiques, effrayés (et, en privé, obsédés) par la perspective d’un grand affrontement dépassant leurs capacités de contrôle des masses.



D’où, un peu comme dans le domaine de l’éducation, une baisse du niveau d’attente en matière d’ordre public et de lutte contre la délinquance, qui tolère dans les « quartiers » un taux de criminalité et de récidive largement au-dessus de la moyenne. Car, au fond – beaucoup de situations concrètes l’ont hélas confirmé – les trafiquants, comme d’une autre manière les religieux, contribuent à la stabilisation d’espaces où la puissance publique a perdu le monopole de la violence.



De même, la hantise que la répression d’une émeute en banlieue puisse provoquer le décès d’un participant (syndromes Oussekine et Zyed/Bouna), conduit à des modalités différenciées du maintien de l’ordre, selon qu’il s’exerce ou non dans les quartiers. Au bout du compte, on en arrive à ce renversement à 180 degrés, où ce sont les interventions des forces de « l’ordre » qui deviennent cause de « troubles à l’ordre public ».



- Les élus locaux ne sont pas en reste, qui n’ont pas tardé à percevoir les possibilités infinies qu’ouvrait le clientélisme dans un milieu fortement communautarisé. Ils sont ainsi devenus, dans beaucoup de cas, les acteurs zélés du statu quo, voire de son aggravation, en négociant avec les imams, les notables islamistes, les « grands frères » ou parfois mêmes les caïds de la délinquance, le maintien de la paix et la livraison des votes, en échange d’avantages sonnants et trébuchants (subventions à des associations, locations de terrains pour la construction de mosquées, confusion entretenue entre le cultuel et le culturel, etc.).



- Les médias jettent de leur côté un regard pudique et/ou enjolivant sur ces situations, que l’on peut qualifier d’auto-censure, d’abord pour tenter d’occulter les faits les plus gênants, en espérant que les réseaux sociaux ne les révéleront pas (les précautions de sioux prises pour dissimuler les noms et prénoms des fauteurs de troubles seraient comiques si le sujet n’était aussi grave), mais surtout pour formater les événements ou les situations, afin que leur interprétation ne contredise pas les dogmes en vigueur. J’y reviendrai dans un instant.



- Enfin, il y a les petits soldats du quotidien – enseignants, soignants, policiers, pompiers... – plus ou moins contraints de « mettre les pouces », s’ils veulent pouvoir continuer à remplir, au moins partiellement, leurs missions, voire préserver leur intégrité physique. Ce dont on ne saurait évidemment les blâmer. Mais ils sont autant de témoins silencieux de ce Réel, qui prévaut à l’extérieur des boulevards périphériques et parfois à l’intérieur.



8.2.2.5. Les quotas et l’obligation de mixité : ça ne marche pas.



Les velléités autoritaires en direction des « déjà là », donc de sens contraire aux injonctions vestimentaires adressées aux immigrés, ne sont pas non plus très nombreuses. Car elles ne font que souligner, en creux – et accentuer, en fait – l’échec des exhortations à l’intégration « cool », qualifiée de « vivre ensemble ». En outre, elles ne font pas bon ménage avec les « valeurs de la République », même prises dans leur version la plus étroitement individualiste, dans la mesure où elles sous-entendent l’existence d’un racisme institutionnel, pas évident à reconnaître au cœur de la « patrie des droits de l’homme ».



Ces « sommations » prennent deux formes : des esquisses de quotas au profit des « minorités » d’une part, des obligations de mixité d’autre part.



- La première, variante non budgétaire de la discrimination positive, consiste à essayer d’installer des quotas à l’américaine, au niveau de l’accès à l’enseignement supérieur et de certaines professions.



La tâche est malaisée dans la mesure où les règles de droit en France se veulent « aveugles à la couleur » (« colourblind »), mais où la pratique sociale de fait est celle d’une société multi-ethnique.



D’où les jugements incongrus, au plus haut niveau d’une République où les statistiques ethniques sont interdites, sur la fâcheuse omniprésence des « blancs » (parfois déclinés en « mâles » et « hétérosexuels »), sur les bancs des grandes écoles, dans certains métiers et dans les postes de responsabilité en général.



Il s’agit donc là encore de biaiser en usant de moyens indirects : l’approche géographique (les lycées en « zone d’éducation prioritaire » comme porte d’entrée spécifique à Sciences Po), la fausse mesure d’ordre général (la suppression des épreuves de culture générale dans les concours administratifs, qu’on peut aussi ranger sous la rubrique des petits arrangements...), l’émulation bien-pensante (la Charte de la diversité, ouverte à la signature des entreprises de bonne volonté pour favoriser la représentation de la diversité), etc.



Comme il se doit, le monde de l’information et du spectacle est en pointe, en réclamant de manière plus directe (et d’ailleurs en obtenant) une plus forte présence des « minorités visibles » sur les écrans subventionnés. Notons, au passage, une nouvelle fois, combien cette expression de « minorité visible », entrée dans le langage officiel, porte à la perplexité : elle semble, en effet, entériner, sous l’angle le plus cru (la couleur de la peau), le fait que la « race » soit devenue un facteur déterminant de distinction au sein de la société, alors que, par ailleurs, le législateur entend rayer ce mot de la Constitution, où il figure depuis la Révolution.



- Les mesures les plus autoritaires sont celles qui visent à favoriser, voire à ordonner, la « mixité », jugée – à juste titre – insuffisante, dans les deux domaines auxquels les ménages attachent le plus de prix : le logement et l’éducation.



Les lois et règlements, édictés à ce titre, sont à la pointe extrême de la politique d’intégration, puisqu’ils s’attaquent, bille en tête, à ce que nous avons identifié comme la règle de fer d’une société diversitaire : la volonté des uns et des autres de NE PAS vivre ensemble.



C’est pourquoi, là aussi, on prend grand soin de ne parler que de « mixité sociale », au prétexte, désormais passablement éventé, que les inégalités fondamentales ne sauraient avoir d’autre origine qu’économique (alors pourquoi diable, dans ce cas, se référer à des « minorités visibles », tout en faisant l’impasse sur la « visibilité » des asiatiques ?).



La carte scolaire est l’un des enjeux majeurs de cet « entre deux » embarrassé.



Au départ, elle est le contraire d’un bon terrain, puisqu’elle affecte les élèves à l’école la plus proche du domicile et renforce la ségrégation spatiale. On cherche donc à élargir cet espace en créant des zones regroupant plusieurs établissements, supposés plus divers, à l’intérieur desquels les enfants sont répartis. Mais par définition, une telle innovation ne peut toucher que les zones frontières et accentuer la fuite vers le privé – autre modalité du sauve-qui-peut en société diversitaire –, quand les parents n’ont pas d’autre choix pour exprimer leur refus de la cohabitation. Notons néanmoins que la France s’est arrêtée en route et n’est pas allée, pour une fois à la différence des États-Unis, jusqu’à imposer le « busing » pour lutter contre la ségrégation scolaire.



L’autre approche consiste à disperser directement ou indirectement les immigrés et leurs descendants à travers le territoire.



C’est le cas des arrivants de la troisième vague, disséminés dans les coins les plus reculés de nos provinces, qu’une partie d’entre eux quitte d’ailleurs rapidement pour rejoindre des villes, comme si cet éparpillement autoritaire ne leur convenait pas, à eux non plus.



Mais l’effort le plus important pour forcer la coexistence vise à obliger toutes les communes d’une certaine importance à accueillir un certain pourcentage de logements sociaux sur leur territoire, sachant que leurs occupants sont, pour une part beaucoup plus que proportionnelle, d’origine étrangère. Je suis personnellement incapable de mesurer les effets positifs ou négatifs de cette politique. Ce qu’en revanche je comprends, c’est qu’elle est perçue par les intéressés – habitants et élus – des agglomérations concernées comme une volonté, venue d’en haut, de mieux « répartir le fardeau » de l’immigration, entre communes « pauvres » et « riches », autre manière de souligner en creux que ladite immigration entraîne un « coût » multiforme lourd à supporter.



Quand on mesure ainsi combien il est compliqué d’accueillir en masse des populations supplémentaires d’origine extra européenne, on en vient à se demander, encore une fois, pourquoi il n’est pas fait davantage pour en limiter le nombre. Question de bon sens qu’il est malheureusement impossible d’aborder sous cet angle.



Pourquoi ? Parce que comme je l’ai déjà souligné à maintes reprises, toute société humaine, quelle qu’elle soit, est fondée sur des dogmes censés en assurer la cohérence et la cohésion au profit d’une oligarchie.



Dans le cas qui nous intéresse, cette idéologie est la clé de voûte d’un système de facto « immigrationiste », qui, par principe, « lève les obstacles » aux mouvements, en général, et à ceux de populations, en particulier, puis se trouve « fort dépourvu quand la bise fut venue ».



Quand je dis clé de voûte, je pèse mes mots, dans la mesure où dans le « magasin de porcelaine » S 3, le langage et son contrôle constituent, au fond, la seule ligne de défense contre le chaos qui menace.



8.2.2.6. Un discours public d’évitement et d’incantation : le Réel occulté par le vœu pieux.



Je l’ai dit et répété maintes fois. La croyance dominante dans notre société nous commande d’admettre – en fait, d’imaginer – que tous les humains sont absolument semblables, égaux non seulement en droit mais aussi en aptitude et compétences, que leurs différences ne relèvent que de la « diversité » (c.-à-d. sont à la fois superficielles et enrichissantes) et que les uns et les autres n’aspirent qu’à se brasser et se métisser.



Même si le propre de l’idéologie est de tordre le Réel pour qu’il se conforme au paradigme dominant, il est difficile de trouver divorce plus profond entre l’un et l’autre que dans le présent discours. À vrai dire, fondé sur mon expérience, je ne vois rien qui puisse lui être comparé, depuis qu’un contraste de même nature a fini par provoquer l’effondrement de l’Union Soviétique sur elle-même, tel que j’en ai été, d’ailleurs, le témoin en Hongrie, première carte du château à tomber.



La priorité du discours dominant étant de paralyser toute velléité politique de restreindre l’immigration et pratiquer l’assimilation, il vise, d’abord, à « interdire de dire » et « empêcher de faire » et, pour ce, à peindre un paysage qui serait chatoyant, si la méchanceté des nostalgiques de l’État national, assez difficiles à distinguer en pratique des « racistes », ne venait l’assombrir par toutes sortes de discriminations injustifiées (jusques et y compris selon le mérite).



- Il est, d’abord, significatif de constater que cette vaste opération d’évitement est conçue et conduite par un consortium qui n’a pas de compte à rendre au suffrage universel.



N’y voyez surtout pas là, je vous en conjure, une quelconque théorie du complot, ce qui me vaudrait condamnation immédiate et sans recours.



Il s’agit seulement, à mes yeux, d’un processus parfaitement logique : celui de la fabrication et de l’installation, en position aussi exclusive que possible, de la croyance légitimante, dont chaque société a besoin pour exister et se perpétuer. Croyance dominante, dont, en l’occurrence, le refus de la maîtrise politique des mouvements migratoires et leur prise en charge à travers la seule lutte contre les discriminations ne sont que des aspects parmi d’autres.



Ainsi, des intellectuels organiques, sociologues et démographes engagés, mais aussi des philosophes de plateau, fixent la ligne et donnent le ton, tout en fournissant une caution « scientifique ».



Les médias mainstream et les ONG militantes, la plupart subventionnées, formatent le discours, lui donnent couleur morale, puis le diffusent, en gardant la haute main sur l’essentiel : la fixation de l’ordre du jour et le tempo de son examen, puisque, dans la Société des individus, synonyme de société de communication, ce qui n’est pas « communiqué » n’existe pas.



Or, il est frappant de constater que l’immigration en tant que telle n’est que très rarement mise à l’agenda (à la différence, par exemple, j’y reviens, du changement climatique) : ce n’est que lorsque surviennent des événements, gênants mais inescamotables (terrorisme, délinquance, émeutes), ou tragiques mais culpabilisants (naufrages en Méditerranée), que le sujet est abordé, avec toutes les prudences de l’euphémisation, dans le premier cas, et les grandes orgues de l’emballement compassionnel, dans le second.



Enfin, les instances judiciaires françaises et européennes, pas davantage soumises au contrôle du vote, mettent en application le tout, en veillant à ne laisser échapper aucun cas de figure.



Pendant ce temps, les « people » entretiennent la flamme en se livrant à des démonstrations sans cesse renouvelées de « solidarité » verbale vis-à-vis des migrants.



Ce vaste appareil, dont, répétons-le, l’objectif est d’éviter le retour du politique dans un domaine d’où la « doxa » l’a expulsé, doit aussi se préoccuper de neutraliser la classe dite dirigeante, au cas où certains de ses membres auraient le projet de manigancer un « retour en arrière ».



- D’où la mise en place d’un double verrou de sûreté, dès le début des années 80, peu après la prise de pouvoir par la Société des individus.



Le premier dispositif consiste à tracer un signe égal entre critique de l’immigration et racisme, au nom du « plus jamais ça », le tout assorti d’une montée immédiate aux extrêmes, de Sétif à Auschwitz, en passant par l’Afrique du Sud de l’apartheid.



Le second mécanisme vise à confiner l’innommable, à la manière de déchets radioactifs, dans le béton d’un parti politique paria, rendu de ce fait infréquentable, avec la complicité tacite, mais effective, de la famille propriétaire dudit parti, trop heureuse d’échanger un rôle d’épouvantail contre l’exclusivité du discours anti-immigration, transformé ipso facto en fonds de commerce intouchable. Fonds de commerce néanmoins passé, il faut le rappeler, de 0 à 35 % de l’électorat en 30 ans...



- Ainsi agencée, la mécanique de l’esquive a plutôt bien fonctionné. La Société des individus, dont le politiquement correct constitue, on l’a dit, l’unique ligne de défense, ne recule devant aucun moyen pour combattre les dérapages hors de la route qu’elle trace : le bannissement social et l’isolement intellectuel, le discrédit personnel et le port d’étiquettes infamantes sont les prix à payer pour ceux qui se risquent à jouer le messager, porteur de mauvaises nouvelles. Sans compter les reproches d’égoïsme, de sécheresse de cœur, d’absence de compassion, propres à culpabiliser les plus endurcis.



On comprend dans ces conditions que toute personne soucieuse d’honorabilité ou, plus prosaïquement, de poursuivre sans ennui une carrière sans histoire, opte pour ce que Timur Kuran appelle pudiquement la « falsification des préférences », autre nom du double langage. À défaut de résoudre les problèmes, autant faire taire ceux qui les posent...



Comme vous le savez, un diplomate en poste à l’étranger a l’occasion de recevoir, à tour de rôle, la quasi-totalité des hommes et femmes politiques français en visite dans son pays de résidence. Ces séjours offrent la possibilité de longues conversations privées à bâtons rompus, où ces personnalités s’expriment beaucoup plus librement qu’elles ne le feraient en public ou sur le territoire national. Je puis vous assurer, sans compromettre personne, que, sur l’immigration extra-européenne et la situation dans les quartiers, ces propos, assurés de la discrétion, sont à des années lumières de ceux habituellement tenus face aux médias. On se rend vite compte, dans le cadre élégant et feutré d’un salon d’ambassade, que, même si toutes ces personnalités s’empresseront de parler à nouveau le « républicain », une fois rentrées en France, elles pensent et agissent en langue « communautaire », encore que sans illusions excessives sur les bienfaits de cette approche. Je vous laisse le soin d’en tirer vos propres conclusions.



- D’ailleurs, l’idéologie de l’immigration dimensionnée par les droits de l’individu souffre de telles dissonances cognitives qu’on ne peut s’empêcher d’y voir un signe de perplexité et même de malaise, face à un phénomène, dont les outils intellectuels de l’individualisme s’avèrent inaptes à rendre compte.



Qu’on en juge ! La parole officielle nous invite, dans le même souffle, à constater que l’immigration de masse est un « fantasme », mais qu’en fait, « elle a toujours existé ». Et que de toutes façons, peu importe, car elle est une « chance », une « richesse » pour notre pays. Mais, même si ce n’était pas tout à fait le cas, il conviendrait de s’y résigner, car c’est aussi une « fatalité » : que cela plaise ou non, il faut « faire avec », s’habituer et « s’adapter ». Avec pour dernière ligne de défense, des arguments de type sidérant, auxquels les plus coriaces des sceptiques ne sauraient trouver réplique : l’humanitaire culpabilisant (« on ne peut pas laisser des gens se noyer sans rien faire »), l’égoïsme économique (« c’est le seul moyen de payer votre retraite »), l’évidence paralysante (« ils sont déjà là, ils sont français, nous n’y pouvons plus rien ») ou le dicton rassurant (« rien de nouveau sous le soleil »).



- Il me semble, pourtant, que ce discours de l’évitement passe les bornes de l’indécence démocratique, lorsqu’il devient sciemment manipulation ou mensonge, à l’abri de l’interdiction des statistiques ethniques, qu’à mon sens, on peut qualifier de préférence concertée pour l’ignorance.



Manipulation, quand aucune ressource de la rhétorique n’est négligée pour minimiser ce qui pourrait dévaloriser l’immigration et exalter ce qui peut la valoriser. Dans le premier cas, fleurissent les figures de l’atténuation : euphémismes (« jeunes », « quartiers sensibles, difficiles, populaires, défavorisés »), métonymie (« camion fou »), antiphrases (« vivre ensemble »), litotes (« sans-papiers », « incivilités »), oxymores (« jihadiste strasbourgeois », « islamiste toulousain »). Dans le second cas, les figures de l’amplification prennent le relais : hyperboles laudatives (« Mamadou, héros national ») ou explicatives (exclusion, misère sociale, désespoir, ghetto, relégation, contrôle au faciès, apartheid).



Manipulation, aussi, quand nous sommes sommés d’acquérir, sinon un nouveau lexique, du moins des éléments de langage, hiérarchisant clairement mélioratifs et péjoratifs. Dans la catégorie des mots à applaudir : ouverture, partage, diversité, mixité, métissage, brassage, nomadisme, accueil, accompagnement, inclusion, régularisation, tolérance, hospitalité, générosité, solidarité, etc. Dans la catégorie des vocables à conspuer : fermeture, distance, exclusion, rejet, repli, allergie, égoïsme, entre soi, crispation, dérapage, race, intolérance, xénophobie, etc. Avec en prime, des mots, jusque-là entièrement neutres, tels que « seuil » ou « remplacement », devenus du jour au lendemain imprononçables, car « sulfureux » et « nauséabonds », lorsque utilisés dans le contexte de l’immigration.



Manipulation, aussi, quand on cherche à bloquer le jugement par l’élargissement indéfini du périmètre du racisme (étendu à la critique d’une religion, par exemple), ou le redoutable vecteur de la fausse analogie : à partir d’une ressemblance très partielle (des bateaux en Méditerranée, transportant des immigrants et dont les noms se terminent en ‘us’), on fait un rapprochement avec le pire (Aquarius = Exodus). De manière plus générale, toute approche un tant soit peu critique de l’immigration est aussitôt renvoyée aux années 30, en vertu de ce même parallèle entre Juifs cherchant à quitter l’Allemagne nazie et migrants économiques africains en 2019.



Participe de la même entreprise disqualifiante, la psychiatrisation du discours non conforme, grâce à laquelle on peut pareillement s’abstenir d’argumenter, en démasquant directement des déviances pathologiques chez l’interlocuteur, toutes affublées du suffixe « phobie » et toutes présentées comme des rameaux dérivés de l’arbre indéracinable du racisme. J’allais oublier, sous ce registre, « l’hystérisation » du débat, opposée à ceux qui cherchent simplement à l’ouvrir.



Manipulation, encore, lorsque des leurres sont délibérément lancés pour faire diversion. On connaît bien celui, classique, qui consiste à renvoyer tous les problèmes de la société à leur dimension économique et sociale : il suffirait que la croissance « reparte » et le chômage diminue, pour qu’on n’entende plus parler d’immigration. Plus subtil est le recours à la figure de la synecdoque, quand pour faire oublier le grand sujet, on donne à croire qu’il se résume à l’un de ses petits aspects : par exemple, le retour annoncé d’un débat sur des quotas d’immigration économique, serpent de mer dont on sait pourtant pertinemment qu’il ne s’appliquerait qu’à 5 % des entrées.



Mais il y a pire, en termes de brouillage des faits.



En fait, rien n’est assez grossier : par exemple, quand on suggère que la problématique de l’immigration se limite à V 3 et que, comme celle-ci a quelque peu diminué depuis la pointe de 2015, la « crise est dernière nous » (sic), ou encore que ladite problématique se résume à l’immigration « illégale » (avec couplets indignés sur les gangs de passeurs, les marchands de sommeil et autres employeurs exploiteurs), ou, enfin, qu’il n’y a pas vraiment de différence entre V 2 et V 1, pour nous convaincre que tout est bien qui finira bien.



À quoi s’ajoutent des sophismes purs et simples, confondant cause et effet, problème et solution : l’un des plus communs est celui qui nous rabâche que l’accession à la nationalité est la clé de l’intégration, alors que l’expérience enseigne exactement l’inverse, à savoir qu’elle n’en est, au mieux, que l’aboutissement.



Un autre contresens majeur, régulièrement infligé, est celui qui justifie l’accueil inconditionnel des immigrés par la vertu d’hospitalité, alors que celle-ci n’est que la version la plus raffinée de la méfiance et même de la xénophobie : il suffit d’avoir vécu et travaillé dans le Second Monde, pour comprendre que non seulement l’hospitalité y est ritualisée afin d’entériner le statut particulier de l’étranger, ainsi maintenu à distance, mais aussi pour lui faire comprendre qu’il n’est qu’un invité temporaire, non destiné à s’incruster. S’il ne le comprend pas, il devient un intrus et l’aimable accueil se transforme instantanément en son contraire, loi tristement vérifiée par la fin malheureuse du Capitaine Cook.



Dernier tour de prestidigitation, que j’ai déjà évoqué, grâce auquel l’expression-valise des « valeurs de la République », invoquée à tout bout de champ, qui au départ était fortement liée au concept d’assimilation à l’État national, puis est devenue synonyme, par glissements successifs, de « droits de l’individu ». Ce qui revient carrément à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.



Mais il me semble que, quand on passe de la manipulation au mensonge, une ligne rouge est franchie, qui devrait interpeller tous les esprits éclairés, indépendamment de leurs positions sur le sujet. Il en va ainsi lorsque, au-delà de leur présentation ou de leur interprétation, les faits eux-mêmes sont niés, trafiqués ou enterrés.



Ils sont niés par le rituel du « rien-à-voirisme », qui rejette absolument, non seulement tout lien de causalité mais aussi de corrélation, entre l’immigration extra-européenne et tous phénomènes sociaux que l’opinion commune tient pour négatifs : terrorisme, délinquance, fraude sociale, pénurie d’équipements publics.



Faits trafiqués, quand on tripatouille les statistiques avec un cynisme qui ne trompe que les journalistes paresseux.



Parmi les plus fréquents trouvailles : la substitution de la notion de solde migratoire à celle de flux d’arrivée (sans la moindre interrogation sur la composition de ce solde : Français qui s’en vont, étrangers qui arrivent) ; la suggestion que le grand nombre de mariages « mixtes » illustre la soif de métissage de la société française (alors qu’elle se borne à dénombrer les unions entre « Français » et « étrangers », dont la grande majorité se révèle en fait intra-communautaires) ; le raisonnement à la moyenne (soit pour écrêter, au niveau national, des statistiques explosives au niveau local, soit pour normaliser ce qui pourrait choquer, comme le différentiel de fécondité entre « autochtones » et « allochtones ») ; la référence au nombre d’étrangers (« qui n’augmente pas... »), plutôt qu’à celui des immigrés (qui augmente...) ; la référence aux seuls « immigrés », en oubliant les difficultés que cause le comportement divergent de leurs descendants, etc.



Faits enterrés enfin, lorsqu’ils deviennent vraiment trop dérangeants. Deux exemples.



Le premier est relatif aux tests de la drépanocytose, pratiqués sur certains nouveau-nés à risque : maniées avec précaution (elles incluent les Antillais), ces statistiques permettaient de se faire une idée de la proportion des naissances issues de familles d’immigration extra-européenne (39 % en 2016, 75 % en Île-de-France). Il a, tout simplement, été décidé de mettre fin à ce dénombrement, en fermant les portes de l’agence qui en était chargée, pour d’obscures raisons administratives.



Un autre thermomètre qu’on a préféré casser est celui de l’Indicateur national des violences urbaines (donc centré sur les « quartiers sensibles »), qui, après en avoir dénombré 11 000 en 2005, a vu sa publication aussitôt interrompue. Comme si un chirurgien avait précipitamment recousu l’abdomen de son patient après avoir découvert ce qu’il contenait... Grâce aux compagnies d’assurance, on peut néanmoins se rabattre sur la plus innocente des « incivilités », à savoir le nombre de voitures brûlées chaque année (45 000), en grande majorité dans les mêmes « quartiers populaires ».



Au final, l’immigration est le seul domaine non militaire où se pratique une sorte de « secret défense » officieux, avec l’intention éminemment louable de ne pas « mettre de l’huile sur le feu », « attiser la braise » ou « faire le jeu de l’extrême droite ». Observons, néanmoins, que cette triple mise en garde reconnaît implicitement la gravité du problème, puisque, dans un cas, on admet qu’il y a le « feu » ou, à tout le moins de la « braise », et, dans l’autre, on ne fait que choisir entre deux maux, ceux résultant d’une éventuelle montée de l’extrême-droite étant jugés pires que ceux provoqués par la poursuite d’une immigration incontrôlée. En somme, le langage que nous tiendraient des autruches si elles avaient la possibilité de parler.



Serais-je le seul, je trouve personnellement ce type d’argumentation ahurissant, dans la mesure où il ne disconvient pas que le Réel pose question mais trouve de bonnes raisons pour l’occulter.



- Mais si le Réel de l’immigration pose effectivement problème, alors on peut s’interroger sur le « deux poids, deux mesures », entre son traitement et celui de la question climatique. Deux domaines entre lesquels je n’hésiterai pas à établir un parallèle, même si je comprends que celui-ci puisse interpeller : mais dès lors qu’il s’agit de questions qui, chacune à leur manière, devraient relever de la décision politique, ce rapprochement ne me gêne pas.



Comme je l’ai déjà souligné, dans les deux cas, nous avons à faire à des accroissements incrémentaux de grandeurs non-scalables, qui, au-delà de certains seuils, entraînent des effets qui, à tous le moins, interrogent. En outre, il est intéressant d’observer que, dans les deux cas également, se manifestent des négationnistes, qui, curieusement, ne sont pas les mêmes.



Mais pourquoi, pour ce qui est des risques pesant sur le climat, déclenche-t-on, au nom d’un principe de précaution impératif, une alerte rouge, de plus en plus impressionnante, saisissant la moindre occasion pour pratiquer de larges amalgames (notamment entre météo et climat, lorsque la corrélation va dans le bon sens) et pourquoi déploie-t-on, en ce qui concerne l’immigration, une pédagogie sophistiquée de l’innocuité, axée, à l’inverse, sur le refus de toute corrélation, même lorsqu’il ne serait pourtant pas illégitime d’établir des liens avec des phénomènes sociaux négatifs ?



8.3. Où en sommes-nous ? Une esquisse de point de situation.



Les « politiques » menées depuis un demi-siècle en matière d’immigration extra-européenne – dans lesquelles j’inclus évidemment l’absence délibérée de politique de gestion des flux – nous ont conduit à une situation que je n’ai jamais encore entendu personne décrire comme brillante.



Une dizaine de millions de personnes originaires du Second Monde sont soit venues s’installer sur notre territoire, soit y sont nées à la suite d’unions à majorité endogamique.



Une bonne moitié d’entre eux forment, selon moi, des diasporas non intégrées, géographiquement concentrées, et sources de dysfonctionnements majeurs, pour utiliser un terme volontairement neutre.



À mon sens, ce phénomène a de bonnes chances de s’aggraver, si rien n’est fait.



Pour le dire autrement, après 50 ans de renoncements ou de bricolages, nous en sommes venus à vivre, dans une société multiculturelle, multinationale et tacitement multi-ethnique, où, pour la première fois en mille ans d’histoire de France, le « multi » se réfère à une composante non européenne, comportant en outre une forte minorité, motivée par le primat de la religion sur tout autre considération.



Il est banal de le rappeler : cette évolution, dont le résultat non seulement bafoue concrètement la fiction d’une République une et indivisible, mais fait entrer la France dans une catégorie de pays où les réussites sont rares, n’a jamais été explicitement « voulue » par les autochtones et assimilés, lesquels l’ont subie sans s’y opposer autrement qu’à travers un parti protestataire, exclu de fait du jeu politique.



Avec le recul, on voit avec clarté par où le bât a blessé.



Nos dirigeants n’ont rien vu venir et, pour certains, ne l’ont pas voulu.



Quand, dans les années 70, s’est produit le changement de paradigme sous l’empire duquel nous vivons aujourd’hui, ils auraient dû avoir la lucidité et le courage de conserver les leviers politiques que l’État national mettait encore à leur disposition pour garder le contrôle de courants d’immigration, qui commençaient à grossir, tout en changeant de nature : il aurait alors fallu, selon une devise qui résume, à mon sens, les devoirs d’un gouvernant sous le règne de S 3, « gérer l’inévitable pour éviter l’ingérable », au nom de ce minimum régalien qui consiste à vouloir épargner à sa population les dissensions que l’expérience associe empiriquement aux sociétés « multi ».



Le pire est que c’est le courage plus que la lucidité qui semble avoir fait défaut. Car il est frappant de constater que les risques futurs d’une immigration de masse et de peuplement extra-européenne ont été alors perçus dans des termes qu’on pourrait utiliser aujourd’hui. Mais ces éclairs de clairvoyance n’ont pas pesé lourd, dès que le triumvirat intellectuels-juges-médias a fait comprendre aux politiques qu’il avait pris les choses en main et qu’il leur en cuirait s’ils n’en tiraient pas les conclusions appropriées. Il n’en a pas fallu davantage pour que, dès lors, la passivité des gouvernements successifs se drape dans le manteau de la nécessité faite vertu.



En effet, à partir de là, tout s’est passé comme si les partis au pouvoir avaient fait le choix de laisser l’Histoire Évolution suivre son cours, et fermé les yeux sur le retour, pourtant flagrant, de l’Histoire Événement, dont l’immigration allait devenir la principale manifestation sur notre territoire.



L’acharnement consécutif mis à dévaloriser l’État national, selon la dialectique propre à l’Histoire cumulative, a eu pour conséquence d’établir cette connivence objective, mais contre nature, entre S 3 et S 1, que j’ai déjà dénoncée.



Sous le signe commun des droits individuels et des aires métropolitaines, où ces deux couches sont juxtaposées, les normes substantielles des communautés sont tout naturellement venues s’emboîter dans les normes procédurales de la Société des individus. En perdant de vue que, ce faisant, c’était la fragile viabilité de la société tout court qui était remise en cause par la prise en tenailles de l’État national.



8.4. Les options encore ouvertes.



Face à ce bilan, à mon avis peu glorieux, trois options restent ouvertes :



- Poursuivre dans la voie du « panglossisme » : soit le choix de la théorisation de l’impuissance, dissimulée par un voile d’optimisme, choix le plus facile dans la mesure où il vaut à ses tenants applaudissements et reconnaissance sociale, dusse la société en payer un jour le prix (stratégie du « wishful thinking »).



- Estimer que la Globalisation est un bloc, une force irrésistible, dont l’immigration par le droit est une dimension, certes problématique, mais incontournable, dont il faut s’accommoder au mieux, en bricolant au jour le jour pour en limiter les dégâts et notamment en jetant de l’argent pas les fenêtres (stratégie du « damage control »).



- Juger que le processus d’immigration incontrôlée peut très mal finir et que cette perspective exige impérativement de changer de cap. Ce qui suppose de tenir la Globalisation pour un ensemble sécable, au sein duquel les flux humains peuvent et doivent faire l’objet d’un traitement à part des autres facteurs de production, en raison de leur impact direct sur la coopération sociale et, in fine, la paix civile (stratégie du « contre-courant »).



On aura sans doute deviné que cette dernière option est la mienne, même si je n’exclus pas la deuxième comme une position de repli résigné, en cas d’impossibilité avérée de l’appliquer.



À mes yeux, on PEUT et on DOIT FAIRE, comme nous le montrent certains pays qui ne sont pas tous des parias, à commencer par le Danemark ou les pays d’Europe centrale et orientale, que je connais bien pour y avoir été en poste et qu’il serait aussi présomptueux qu’insultant de tenir pour moins « européens » que nous.



Mais pour sortir des faux-semblants qui nous paralysent, et notamment le parallélisme mensonger qui voudrait que toute politique migratoire restrictive et sélective soit le signe d’un nazisme renaissant, il faudrait que les « dirigeants » (avec guillemets) que nous avons sous la main redeviennent, au moins sur ce plan, des dirigeants (sans guillemets), c.-à-d. n’hésitant pas à rembobiner le film jusqu’aux années 70 et 80, quand leurs prédécesseurs ont jeté l’éponge du politique avec l’eau du bain de l’État national. Autrement dit aient le courage surhumain de prendre le contre-pied, au moins sur ce terrain de l’immigration, du credo autour duquel est structurée la Société des individus, pour renouer avec ces privilèges spécifiques du politique que sont la capacité de « dire non » et de prendre des décisions osant contrarier la norme, tout en cessant de raisonner comme si les marges étaient centrales.



Je ne crois guère à cette rédemption, dans la mesure où même des catastrophes, comme les émeutes de 2005, ou des cataclysmes, comme les attentats de masse, ne sont pas parvenus à la susciter. Mais rien ne m’interdit de rêver à tout ce qui pourrait et devrait être fait pour corriger une trajectoire, que je considère – personne ne peut m’en empêcher – comme périlleuse pour l’avenir de mon pays.



8.5. Quelques idées pour une alternative.



- La voie la plus directe serait évidemment de faire valider d’emblée, par référendum, une loi, si possible constitutionnelle, donnant au gouvernement de la République les moyens d’une révolution copernicienne en matière d’immigration.



Ce serait en effet la seule possibilité de confirmer, par un texte, l’imperturbable constance des sondages, à travers lesquels 55 à 80 % des Français nous font part de leurs réserves, inquiétude, méfiance ou hostilité à l’égard de l’immigration et/ou de l’islam.



Ce serait aussi conférer la légitimité de la souveraineté populaire (que S 3 n’aime guère, mais ne peut encore contester de front) au bras de fer, qui ne manquerait pas de s’ensuivre avec les instances non politiques ayant pris en charge la gestion de nos frontières : CEDH, CJE, Commission, Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de Cassation.



Mais, il faut se rendre à l’évidence : nous ne sommes pas en Suisse. Si je n’ai, pour ma part, aucun doute sur l’issue d’un tel scrutin, je n’imagine guère qu’il puisse être organisé un jour, même si 76 % de nos compatriotes en expriment clairement le souhait (IFOP, 2018).



- Une voie indirecte serait celle, j’en conviens très étroite, que s’ouvrirait un homme ou une femme d’État, tombé du ciel, car doté de qualités devenues aussi rares que la pluie par un été de grande sécheresse : l’énergie, la ruse, l’intrépidité, la force de conviction.



Dans un premier temps, il testerait les limites de ses capacités d’action à droit égal. Et si celles-ci s’avéraient trop étroites, la nation en étant prise pour témoin, il n’hésiterait pas, à travers une réforme constitutionnelle, à « renverser la table » de ce que l’on appelle très abusivement « l’état de droit » (au sens de l’état « du » droit), puisque celui-ci n’est qu’un certain état d’un certain droit. Comme nous le rappelle d’ailleurs la situation dans les enclaves, où ce même « état de droit » est tout simplement remplacé par un autre. À moins qu’il ne s’agisse de « l’État de droit » (au sens où l’État est tenu de respecter la règle de droit), expression floue qui laisse ouverte la question clé de savoir comment et par qui ce même droit est élaboré.



- Ces préalables remplis, il existe un clavier presque infini de mesures, coercitives ou incitatives pour restreindre, d’une part, les flux, d’autre part, les diasporas.



Je dis bien restreindre, car je suis le premier à reconnaître, ne serait-ce que pour le salut de mon âme, qu’une immigration réduite et strictement contrôlée est non seulement inévitable, mais positive pour un pays comme le nôtre.



En fait, l’objectif n’est autre que de remonter dans l’habitacle et reprendre le volant d’un camion, d’où le chauffeur a sauté il y a 50 ans et qui depuis roule tout seul, à vive allure, en commettant nombre de dégâts sur sa route. « Take back control », disaient les Brexiters : mutatis mutandis, ce slogan me paraît parfaitement approprié à la reprise en mains des courants d’immigration.



- En matière de législation, je me reconnais tous les défauts et lacunes de l’amateur, éclairé par le seul bon sens.



Cette réserve faite, je discernerai trois points d’application possibles (lesquels se recoupent en partie et concernent aussi bien V 2 que V 3) : l’entrée sur le territoire, l’absorption des diasporas, l’accès à la nationalité.



Étant entendu que tout commence par de la communication, c.-à-d. des signaux non équivoques indiquant que le vent a tourné (mesure 1). Car, on l’a dit, pour un immigré, le choix de la destination finale est toujours le fruit d’une décision. Y compris dans le cas des réfugiés authentiques, puisqu’ils proviennent tous de territoires dont aucun n’est limitrophe du nôtre. L’immigrant se dirige donc, sous l’effet d’un bouche à oreille démultiplié par les smartphones (dont ils sont tous munis...), vers le maillon le plus faible, c.-à-d. le plus ouvert et généreux, de la chaîne des pays d’accueil.



C’est pourquoi, soit dit en passant, il conviendrait d’établir le principe que toute demande d’asile doit être présentée auprès de la représentation diplomatique ou consulaire française, dans le premier pays d’accueil, voisin de celui que l’on fuit (2). J’ai pu moi-même observer la remarquable efficacité de cette méthode, ayant eu la responsabilité de superviser, au sein de l’ambassade de France en Thaïlande, l’octroi de visas aux réfugiés d’Indochine qui s’y pressaient à la fin des années 70.



* Ceci posé, et le terrain ainsi préparé, il est possible d’envisager la réduction des flux d’arrivée par des mesures directes ou indirectes.



Parmi les premières, on pourrait commencer par ne plus régulariser les illégaux « à l’usure » (3), comme l’habitude en a été prise au bout de 5 ans de présence, soit 20 à 40 000 légalisations annuelles effectuées en catimini.



D’une manière générale, il n’y a d’ailleurs aucune raison de « récompenser » l’illégalité par l’octroi d’un quelconque avantage ou prestation, Aide Médicale d’État comprise (sauf urgences, bien entendu) (4) : il en va d’ailleurs au moins autant de la cohérence de la politique d’immigration que du respect général de la loi sur le territoire, lequel ne se divise pas.



Toujours dans le but de réduire les flux, on peut mettre des conditions à leur composante la plus importante – le regroupement familial –, en testant des procédures de plafonnement par listes d’attente étalées dans le temps (5) et par l’allongement du délai à partir duquel cette faveur peut être accordée (10 ans ?) (6). Car il s’agit bien d’une faveur, dès lors que, en supposant acquis son principe, il n’y a aucune raison pour qu’il ne puisse s’effectuer qu’en France : si l’immigré y tient vraiment, il peut tout aussi logiquement le provoquer par retour au pays d’origine. D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas, qui sont à 57 % partisans de la suppression pure et simple de cette procédure (IFOP, 2017).



Il n’est pas, non plus, impensable de contingenter à des niveaux inférieurs – le cœur serré, mais la main ferme – le nombre d’étudiants provenant des pays dont les diasporas sont les plus nombreuses (7). Là encore, en tant qu’ancien directeur général des relations culturelles au Ministère des Affaires étrangères, je peux vous assurer que, par-delà les discours ronflants sur le rayonnement intellectuel de la France, beaucoup reste à faire pour éviter que cette filière ne constitue une voie d’immigration clandestine (alors même que le nombre d’étudiants accueillis, dont une moitié d’Africains, augmente à la vitesse grand V).



Pour la même raison – le fait que l’immigration illégale arrive moins par la mer et les montagnes qu’elle ne s’installe par extension indue de séjours légaux –, il conviendrait de restreindre les visas touristiques accordés aux ressortissants de pays à risque (8) (dont aucun ne figure parmi les dix plus gros générateurs de recettes touristiques).



Afin d’atténuer les « appels d’air », il s’agit aussi de diminuer la capacité d’attraction sociale de notre pays, non seulement vis à vis des illégaux, mais également des étrangers en situation régulière, en différant dans le temps l’attribution de prestations sociales non contributives et/ou non liées à une activité productive (RSA, aide au logement, etc.) (9), ou en attribuant à tous, Français compris, des allocations familiales limitées à trois enfants pour un même père ou une même mère (10) (afin notamment de mettre un terme au pur scandale de la polygamie de fait dans certaines familles d’Afrique sub-saharienne). Et, encore, suis-je en retrait par rapport aux 67 % de nos compatriotes, qui sont partisans de réserver APL et allocations familiales aux seuls Français et ressortissants de l’UE (IFOP, 2015).



* Quant à réduire la taille des diasporas, ou du moins interrompre leur croissance continue, il faudrait commencer par bannir ce terme toxique du langage officiel, où il s’est récemment introduit, comme, d’ailleurs, celui de communauté, utilisé couramment par ministres et politiques depuis la fin des années 80 (le Président Mitterrand remerciant les « communautés » juives et musulmanes pour leur comportement irréprochable pendant la première guerre du Golfe ) (11).



On peut ensuite agir soit en favorisant les départ hors de France, soit, au contraire, en usant d’injonctions plus fermes à l’intégration (voire, si l’on prend son courage à deux mains, à l’assimilation).



Pour inciter à quitter le territoire ceux qui n’ont pas vocation à y rester, il serait loisible de ne pas renouveler systématiquement à expiration les 4 millions de titres de séjour en cours de validité, par une décision souveraine d’une simplicité biblique, que personne n’évoque jamais (12). L’application de ce type de mesure serait sans doute facilitée par le retard à l’allumage imposé au regroupement familial, que je viens d’évoquer.



Au premier rang de ces refus de prolongations figureraient ceux des étrangers ayant eu maille à partir avec la justice et même l’administration en général (13), les plus graves de ces infractions étant sanctionnées d’une expulsion, soit le retour de la fameuse « double peine », que la novlangue a transformé en pratique honteuse, alors qu’elle me paraît – comme à 84 % des Français (IFOP, 2015) – chose la plus naturelle (14).



Un goulot d’étranglement à l’application de ces réformes tient évidemment aux réticences des pays de départ à récupérer leurs nationaux immigrés illégaux, en leur délivrant des laissez-passer : je pense qu’un des leviers pour les y inciter plus fortement serait de pratiquer un rationnement des visas à l’égard de ces pays, mais plus particulièrement vis-à-vis des élites et de leur progéniture, afin qu’elles mesurent mieux le prix que nous attachons à cet enjeu, avant de rejoindre leurs appartements parisiens (15).



Un grand pas en avant serait également accompli, si l’Europe s’engageait à financer un vaste plan de développement de l’état-civil et de distribution de pièces d’identité infalsifiables en Afrique sub-saharienne, du type de celui que l’Inde, pays de plus d’un milliard d’habitants, a réussi à mener à bien (16).



Pour ce qui est des incitations/injonctions à l’intégration/assimilation, il ne devrait y avoir aucun mal à les rendre plus fermes.



Afin de contrer les débordements du religieux, qui s’y opposent, le biais de la laïcité demeure sans rival, car, du fait de son ambiguïté (neutralité de l’État, de l’espace public ou de la société ?), il est le seul qui permette de jeter un pont inavoué entre les « valeurs de la République », elles-mêmes terriblement équivoques (mais tenues pour politiquement correctes) et les mœurs prévalant au sein de l’État national français depuis au moins 200 ans (référence considérée, elle, comme politiquement incorrecte). En effet, si la puissance publique n’a rien à professer, il n’est pas contraire aux droits de l’homme qu’elle puisse se montrer normative quant à la pratique sociale des religions.



Ainsi, au nom d’une « laïcité » active et d’une vision large de l’ordre public, on peut se fixer des objectifs très divers : ne plus autoriser le foulard à l’université, tout en l’interdisant aux mineurs (17), prohiber le financement étranger des lieux de culte et les prêches en langues autres que le français (18), étendre la pratique des « testings » effectués par le Défenseur des droits – jusqu’ici réservés aux discriminations à l’encontre des « minorités visibles » - aux débits de boisson de facto interdits aux femmes et au port de certaines tenues vestimentaires féminines, jugées trop « françaises », dans certains quartiers (19), etc.



Pour encourager l’allégeance nationale, il me paraîtrait judicieux de faire de l’enseignement chronologique du Récit national l’un des piliers de la scolarité du primaire (20). Tout comme il est urgent de mettre un terme définitif à l’absurdité scandaleuse des ELCO (enseignement des langues et cultures d’origine), même transformés en section internationales (au niveau du CE1 !), qui consiste, pour des descendants d’immigrés, entre autres Maghrébins, à apprendre la langue et les cultures de leurs parents, alors même qu’ils ne maîtrisent pas le français et ignorent tout de la culture française. Il serait cohérent de cesser les subventions publiques aux associations qui enseignent les langues d’origine (21). Dans le même esprit, quelles objections peut-on opposer à l’uniforme obligatoire dans le primaire et au collège, que cela plaise ou non aux parents ? (22)



Concernant l’accès à la nationalité – très important, car, une fois ce seuil franchi, l’impunité juridique devient totale –, il n’y a aucune raison valable pour faire du droit du sol un marqueur de la République, encore moins de la tradition française (car si on invoque celle-ci dans un domaine, pourquoi pas dans d’autres ? ) : en fait, si je comprends bien, ledit droit du sol a été introduit au XIXème siècle pour piéger les descendants d’étrangers résidents qui fuyaient la conscription. Il n’y a donc aucune justification métaphysique à le conserver en tant que tel (23). 56 % des Français partagent ce sentiment (IFOP, 2017).



En toute hypothèse, l’acquisition de la nationalité française par une personne étrangère n’est ni un droit, ni un dû. Elle doit, en toute hypothèse, être le résultat d’un acte volontaire d’adhésion, en forme de serment d’allégeance (24), condition nécessaire, éventuellement suivie d’une période probatoire, assortie de conditions suffisantes, tel un niveau de connaissance élevé de la langue et au moins élémentaire de l’Histoire de France (25). 82 % des Français souhaitent ce renforcement des critères d’obtention de la nationalité. Fort de cette approbation, on pourrait faire passer le nombre de nouveaux Français de 100 000 à 20 000 par an.



Dans le même esprit, il n’y aurait aucun inconvénient à retarder jusqu’à 10 ans la possibilité de devenir Français par mariage (26). Et, si l’on n’a vraiment plus peur de rien, on peut aller jusqu’à envisager la suppression de la double nationalité hors UE et, ce faisant, amener ceux qui la possèdent à faire un choix (27), au passage lourd de conséquences pour certaines équipes africaines de football, en faveur desquelles plusieurs joueurs de nationalité française ont déclaré avoir fait le « choix du cœur » (formule stéréotypée, utilisée à l’envi pour justifier leur geste, mais qui en dit long a contrario sur la nature de leur attachement à la France).



Si l’on tenait à conserver ce signe objectif de double allégeance, il serait loisible de faciliter la déchéance de nationalité, en multipliant les cas de figure et en assouplissant la procédure (28). De même, suivant en cela le gouvernement algérien, pourrait-on réserver certains postes de très haute responsabilité aux simples nationaux (29).



- Si toutes ces dispositions s’avéraient insuffisantes ou, plus probablement, impossibles à mettre en œuvre, il conviendrait de passer à la vitesse supérieure, afin que l’entité France recouvre, au moins partiellement, mais au besoin unilatéralement, sa souveraineté dans un domaine où il en va de sa sécurité intérieure, objectif premier car condition de tous les autres. Ce qui exigerait la renégociation, voire la dénonciation, des textes européens (Convention européenne des droits de l’homme, directives de l’Union) ou internationaux (pacte de Marrakech) qui s’interposent sur le chemin de cette souveraineté retrouvée (30).



- J’ajouterai, en tant qu’ancien diplomate, nourri au lait de la « realpolitik », qu’il me paraîtrait judicieux de dissocier totalement le traitement de l’islam, en tant que religion intérieure à notre pays, et l’Islam, comme enjeu de notre politique extérieure : bien que je conçoive que notre époque ne soit plus celle de François Ier, je crois néanmoins indispensable que ces deux volets soient gardés le plus étanches possible (31).



Ce qui impliquerait que les turpitudes du wahhabisme ou du « frérisme » ne nous soient plus renvoyées au visage chaque fois qu’il en va de l’intérêt national de conclure un accord avec l’Arabie Saoudite ou la Turquie, mais qu’inversement celles-ci s’abstiennent de toute interférence avec la pratique de l’islam ou le comportement de leurs ressortissants à l’intérieur de nos frontières.



Autrement dit, une trentaine de mesures qui reviendraient à nous mettre à dos la terre entière ! À commencer par les « groupes de veto », auxquels j’ai fait référence – experts, intellectuels, médias, ONG, juges –, producteurs et gardiens vigilants de l’idéologie de l’inaction et de l’indignation.





9. OÙ ALLONS-NOUS ?





C’est pourquoi je ne nourris aucune illusion sur les chances d’application de « mon » programme, tant il est à contre-courant de l’esprit du temps. Sauf à envisager – ce qu’évidemment personne ne souhaite – l’hypothèse d’un Grand Soir, où, sous la pression de contraintes devenues insupportables ou d’événements encore plus tragiques que ceux déjà vécus, la fameuse « résilience », si souvent vantée, de la population française finirait par craquer et l’utopie du « sans frontières », comme tant d’autres avant elle, s’écrouler sous le poids d’un Réel, trop longtemps camouflé par l’enflure du discours.

Mais, là non plus, je ne crois pas probable, Dieu merci, qu’une crise soudaine de cette nature puisse se produire dans la décennie à venir.



- En revanche, ce que l’on peut prévoir sans grand risque d’erreur, c’est la poursuite de la fission lente et de la dégradation continue, pour ne pas dire le pourrissement, de notre vie collective, dont la fragmentation autochtone, d’un côté, la communautarisation allochtone, de l’autre, seraient les manifestations dangereusement dissonantes. Soit des effets de ciseaux multiples – démographiques, culturels, religieux, et même ethniques (en raison de la faible proportion des mariages authentiquement mixtes) –, ne pouvant qu’éloigner encore davantage les îles de l’archipel français.



Si, en effet, on continue de laisser les flux d’arrivée s’auto-engendrer par le droit, il ne fait aucun doute qu’ils se poursuivront à des niveaux très élevés et sans filtre sélectif. Il en ira de même des diasporas, dont le développement autonome s’auto-amplifiera aussi par accroissement naturel et rétention. Comment imaginer, dans ces conditions, que la ségrégation n’empire pas, compte tenu d’un renouvellement générationnel qui, contre toute attente, semble voué à élargir les fractures plutôt qu’à les ressouder ?



En fait, si on reprend, en l’infléchissant, la classification d’Hirschman distinguant les différents types de réaction à une situation ou une institution dysfonctionnelles, on peut prévoir que, dans le cas de l’immigration, la défection/sécession (« exit ») et l’interpellation (« voice »), y compris par le biais de la violence, ne feront que croître, et la troisième issue possible, la loyauté (« loyalty »), décroître.



- Que ceux qui ne sont pas d’accord avec ces prévisions réfléchissent néanmoins sur deux faits qu’ils ne peuvent objectivement contester : celui du non vivre ensemble, d’une part, la trajectoire divergente d’une partie des deuxième et troisième générations, d’autre part.



Même si l’on en attribue la responsabilité aux discriminations subies (ce qui n’est pas mon point de vue), ne serait-il pas temps de s’interroger sur le pourquoi de ces « discriminations » ? Ont-elles pour seule cause la malveillance d’une fraction de l’humanité, celle des natifs et assimilés français en l’occurrence ? Ne pourrait-il y avoir une explication moins sommaire et d’application plus générale, par exemple en rapport avec la notion de « distance culturelle », laquelle, si elle est trop grande et les masses en présence trop importantes, suscite PARTOUT dans le monde méfiance et séparation et finalement peur et hostilité ?



- Si, donc, comme je le redoute, nous nous dirigeons vers « more of the same » et, par le jeu de l’exponentiel, « more and more of the same », c’est la validité de la « loi de Collomb » qui va devenir la grande inconnue.



Mon pronostic est qu’à défaut d’un peu probable Grand Soir, la violence ne va en rien diminuer dans les enclaves et que ses incursions en « zone verte » seront plus fréquentes, incursions que le discours officiel s’efforcera de banaliser le plus longtemps possible grâce à un rituel désormais bien rodé.



Cette violence accrue restera largement chaotique et fragmentée, faute, je l’ai dit, d’un comité central et/ou d’une mafia susceptibles de la coordonner à l’échelle du territoire.



En effet, parmi les rares candidats à une telle prise en mains, les jihadistes resteront groupusculaires et ultra minoritaires (d’ailleurs davantage au niveau de l’action que de l’approbation, loin d’être nulle chez les jeunes des cités).



Les « Frères musulmans », seule force digne de ce nom, capable de fournir un début d’encadrement aux immigrés musulmans et à leurs descendants, sont, à ce stade, d’humeur pacifique : leur stratégie vise à acquérir du pouvoir dans la société où ils opèrent, afin d’y imposer leur vision du monde et leur conception d’un ordre islamique conservateur, tandis que leur tactique, proche de celle des communistes autrefois, consiste à grignoter des positions de responsabilité en pratiquant l’entrisme (exemple : leur prise de contrôle du Conseil français du culte musulman, CFCM), la négociation (les modus vivendi avec les élus locaux) et/ou le fait accompli (exemple : le voile dans les sorties scolaires, le burqini sur les plages et dans les piscines).



- Pour autant, on ne peut exclure que, malgré (ou à cause de) ce vide de pouvoir structurel, des circonstances imprévues conduisent à un nouvel embrasement simultané de centaines de quartiers dispersés à travers la France. On ne peut, non plus, écarter, dans cette hypothèse, que les forces de l’ordre classiques se montrent incapables de mettre un terme à des déprédations massives de biens publics et privés aux quatre coins du territoire, mais surtout dans la ceinture de feu qui ne manquerait d’entourer les métropoles, à commencer par la parisienne.



Je suis convaincu que cette perspective n’est pas un fantasme d’obsédés qui, voyant le mal partout, ne savent qu’envisager le pire. J’ai au contraire de bonnes raisons de penser qu’elle est au cœur des préoccupations des responsables de notre sécurité, même si, je le reconnais volontiers, mes anciennes fonctions ne m’ont jamais donné l’occasion d’en connaître directement.



Mais ce n’est pas livrer un secret d’État que d’imaginer que, si une situation d’anarchie ouverte s’étendait et se prolongeait au-delà de ce que furent son extension et sa durée en 2005, il n’y aurait plus d’autres recours pour la contenir que l’appel aux forces armées, sous des formes d’ailleurs peu évidentes à définir, sauf à abandonner des pans entiers du territoire, ainsi que leurs habitants, à une résurgence de l’état de nature au sens hobbesien du terme.



Mais aussi un « remake », qui ne serait plus un simulacre, de la « guerre d’Algérie », lequel marquerait à n’en pas douter un nouveau saut qualitatif, beaucoup plus difficile à digérer par le système que les précédents.





10. EXAMEN DE CONSCIENCE.





Voilà. Vous n’imaginez pas à quel point je souhaite me tromper, en formulant des constats aussi peu souriants.



Vous n’imaginez pas à quel point j’aimerais que l’avenir me donne tort et que ce très long exposé ne reflète que les préjugés et nostalgies d’un homme âgé, incapable de vivre avec son temps.



Je voudrais tellement qu’il en soit ainsi.



Mais, quand on a vécu, comme moi, en Afrique tribale, aux États-Unis en proie aux émeutes raciales, au Vietnam en guerre, au Proche-Orient déchiré, à la porte des Balkans en feu, quand on a dû pendant quatre ans traiter des affaires de l’Afghanistan insurgé, au contact des farouches moudjahidines, quand, durant presque sept ans, on s’est retrouvé en première ligne de la défense de la sécurité extérieure du pays, quand on a scruté jour après jour, parfois heure par heure, les affrontements circulaires, mêlant États et communautés, dans les arcs de crises de Dakar à Manille et d’Alger au Cap, il est inévitable d’en retirer une vision du monde qui n’est ni fraîche ni joyeuse.



Ces expériences tragiques pouvaient, dans un passé pas si lointain, sembler réservées au Second Monde. Ce n’est plus vrai, pour le cas où ce le fût jamais : entre autres manifestations de la Globalisation, l’immigration extra-européenne nous conduit désormais à partager tous ces risques, alors que, paradoxalement, elle tend à les fuir en venant chez nous.



Il est aussi normal, dans ce contexte, de nourrir une idée fixe : tout faire pour éviter que ce chaos ne s’installe dans son propre pays.



Malheureusement, ce que je vois s’y dessiner en filigrane ne me rappelle que trop le spectacle de la marmite infernale qu’est devenu le monde globalisé et dont le Liban, si proche, offre une sorte de maquette à ne pas imiter.



Il m’a paru de mon devoir de le dire, comme il m’a paru évident de vouloir continuer à penser par moi-même sur un sujet où ce droit est carrément dénié.



Car, autant je ne revendique aucune compétence particulière en matière d’Histoire Évolution et de ce qu’elle nous réserve, autant je pense connaître de l’Histoire Événement bien davantage que ceux qui nous gouvernent et dont la naïveté en la matière m’a toujours frappé (au cours de ces fameuses conversations privées auxquelles j’ai fait allusion tout à l’heure).





11. SOUVENIRS D’ENFANCE ET DE JEUNESSE.





Et puis comme toujours, dans toute évaluation subjective, vient se glisser un tout petit élément d’ordre personnel, qui, quoique mineur, tend à jouer son rôle.



Ainsi, quand, la retraite venue, on s’en retourne, plein d’usage et raison, vivre entre les siens le reste de son âge, et que l’on revient dans le quartier qui vous a vu naître et où vous avez passé une enfance et une adolescence heureuses, et que l’on constate que ce petit village au cœur de la petite ville est devenu une parcelle d’un autre continent, catapultée de l’autre côté de la mer par on ne sait quelle force supra humaine, comment ne pas en éprouver de l’étonnement ?



On cherche alors à se convaincre qu’il n’y a là qu’un reflet des changements du monde et qu’il faut d’autant plus facilement s’en accommoder que nos vies familiales n’en sont pas affectées.



D’ailleurs, ce modeste périmètre urbain n’est pas un quartier dangereux, encore moins une « no go zone », colorée en rouge ou noir, ni même en orange ou gris. Ce n’est même pas une banlieue où la police hésite à mettre les pieds : on peut s’y promener et y acheter son journal.



Et pourtant tout a changé. Les terrasses des deux ou trois cafés, autrefois fréquentées par des familles remuantes et joyeuses, souvent d’origine italienne, sont aujourd’hui occupées, du matin au soir, et depuis maintenant des décennies, uniquement par des hommes oisifs, aux regards indifférents ou inamicaux, que l’on préfère ne pas croiser. D’autres tiennent les murs. La plupart poursuivent d’interminables conversations en langue étrangère, aux heures habituelles de travail. La seule véritable activité se concentre autour du vaste supermarché d’alimentation halal, comme l’indique une enseigne au néon bien en vue. Moins visibles, d’autres offrent de la drogue, en quantités, il faut le reconnaître, artisanales, même si les autorités ont dû temporairement fermer le café où le trafic se concentrait de la manière la plus voyante.



Et, puis un beau jour, on apprend que la tenancière française du kiosque a eu de gros ennuis parce qu’elle persistait à vendre de la nourriture non halal. Et puis surtout, un autre jour, on découvre, avec une stupéfaction mêlée d’effroi, que ce quartier d’apparence paisible a vu naître et s’épanouir l’une des plus dangereuses cellules terroristes jihadistes que notre pays ait connues, heureusement démantelée (non sans dégâts collatéraux) avant d’avoir pu passer à l’action.



- Et alors se boucle la boucle. Quand le petit monde entre en résonance avec le grand, on se dit qu’on ne peut avoir tout à fait tort, que nos craintes ne peuvent être complètement infondées et que l’indignation vis-à-vis du discours d’évitement qu’on nous martèle n’est pas non plus entièrement injustifiée.



Je peux donc le dire en toute sincérité. De deux choses l’une. Soit mon diagnostic est erroné et votre fondation pourra regretter d’avoir mis en jeu sa réputation en m’invitant. Soit, si vous trouvez dans mes propos un écho de vos inquiétudes, il importe qu’un cercle de pensée aussi honorable que le vôtre le fasse savoir.



Car je ne vois pas comment, quand on porte ce beau nom de Res Publica, on ne puisse être attaché à ce que la France, en tant que corps politique, historiquement fondé et culturellement défini, recouvre sa capacité à décider de sa propre composition.



Sinon, je crains – et je viens de vous expliquer longuement pourquoi – que nous n’ayons plus que deux perspectives : au mieux, vivre dans un pays où il ne fera plus bon vivre, au pire, survivre dans un pays devenu inhospitalier à lui-même.



Personnellement, ce n’est pas l’alternative que je souhaite à mes enfants.



Merci.



Jean-Pierre Chevènement



Merci, Monsieur l’ambassadeur de cet exposé. Vous nous aviez promis d’approfondir un certain nombre de concepts et nous reconnaissons dans votre discours la trame de ce que nous avions déjà perçu dans votre exposé précédent. Ce n’est pas à moi de vous répondre. Le fait que vous ayez pu développer vos analyses aujourd’hui, 2 juillet 2019, est certainement le signe qu’il se passe quelque chose, en tout cas que les problèmes que vous posez méritent d’être débattus à la lumière de la raison. Il faudra naturellement poser le problème de ce que vous appelez vous-même la globalisation qui est quand même à l’origine de tout ce mouvement.



Pourquoi est-on passé de S2 à S3 ?



Qu’est-ce qui fait que la Res Publica n’est plus que le sigle de la petite fondation où nous sommes réunis mais n’anime plus véritablement un certain nombre de nos concitoyens et de nos responsables ?



Je ne développe pas. C’est un débat qui suivra l’exposé que va faire Monsieur l’ambassadeur Teixeira da Silva à qui je donne la parole.



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Le cahier imprimé du séminaire "Immigration et intégration - Table ronde autour de Pierre Brochand" est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.



Fondation Res Publica I Mercredi 9 Octobre 2019 I | Lu 17234 fois

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