https://web.archive.org/web/20180107193930/http://ostervald.free.fr/Castillon.pdf
CHAPITRE I.
De l'erreur & de l'incertitude des jugemens.
UN Voyageur trop imprudent s'est égaré dans les sinuosités d'une
vaste forêt, dont il ne connoit ni les détours ni les issues. Il
s'arrête, il hésite, il délibère, & prenant une route au hazard, il
marche, se fatigue, s'excède, & revient, sans s'en apperçevoir,
mille fois sur ses pas. Le silence du lieu, l'obscurité de la nuit, la
crainte de s'engager trop avant, l'agitent, le tourmentent. Inquiet,
abattu, épuisé, il ne sçait où il est, où il va, comment sortir de
l'horreur de ce labyrinthe, quand tout-à-coup, une pâle lumière se
montre dans l'éloignement : elle lui sert de phare ; il sent renaître
dans son ame le calme & l'espérance : il part ; rien ne l'arrête ; il
ne lui reste plus que quelques pas à faire; quand s'éteignant aussi
soudainement qu'elle s'étoit allumée, cette foible clarté disparoit,
& le laisse dans d'épaisses ténébres. Le phosphore perfide l'a
conduit au bord d'un précipice; il tombe, roule, & va se perdre
dans les profondeurs de l'abîme.