mercredi 10 janvier 2018

Islamisme et politique 07.01.2018

L'Éthiopie annonce la fermeture de la sinistre prison de Maekelawi (05.01.2018)
Mohsen Sazegara: «En Iran, la révolution ne va pas s'arrêter» (05.01.2018)
Khalifa Haftar, un maréchal face au chaos libyen (05.01.2018)
Un quart d'heure de lecture par jour, l'initiative du lycée d'Ankara fait des émules en France (07.01.2018)
Zineb El Rhazoui : «Quelles leçons ont été tirées de l'attentat de Charlie Hebdo» ? (10.01.2017)

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L'Éthiopie annonce la fermeture de la sinistre prison de Maekelawi (05.01.2018)
Par Shannah Mehidi
Publié le 05/01/2018 à 19h15
Le gouvernement éthiopien prévoit aussi la libération de prisonniers, parmi lesquels figureront des opposants politiques au pouvoir.
Le premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn, a annoncé la fermeture de la prison de Maekelawi, notoirement connue pour les actes de torture qu'elle abrite. Le centre de détention devrait laisser place à un musée. Il a ajouté que nombre de prisonniers politiques seraient prochainement libérés.
La fermeture est symbolique, tant Maekelawi évoque la dérive violente de l'État, que dénoncent régulièrement les ONG. Fisseha Tekle, chercheuse au sein d'Amnesty International évoque «une chambre de torture, dont se servaient les autorités éthiopiennes pour interroger brutalement tous ceux osant porter des opinions dissidentes, y compris les manifestants pacifiques, les journalistes et les figures de l'opposition.»
Les défenseurs des droits de l'homme ont accueilli ces déclarations avec prudence. Ils demandent la fin de la répression visant les voix dissidentes, ainsi qu'un accès aux médias étrangers et à Internet, dont l'accès a été largement restreint depuis le mois de décembre.
«Consensus national»
Suite à une erreur d'interprétation ayant conduit à annoncer une amnistie de l'ensemble des prisonniers, selon le cabinet du premier ministre, il a été précisé qu'une partie seulement des détenus seraient graciés. Aucune précision n'a encore été donnée sur l'identité et le nombre des dissidents concernés. C'est aussi la première fois que le gouvernement reconnaît l'existence de prisonniers politiques.
Le chef du gouvernement a ajouté que ceux-ci seraient invités à participer à la coalition qui dirige le pays depuis 1991, ce afin d'«établir un consensus national» et d' «élargir l'espace démocratique». Hailemariam Desalegn dit vouloir «encourager la réconciliation nationale». Le pays de plus de 100 millions d'habitants, connaît en effet, depuis deux ans une grande agitation populaire. Le pouvoir a «réalisé que le paysage politique ne cessait de changer, et qu'il devait accéder aux demandes du peuple s'il voulait se maintenir», souligne Awol Allo, analyste politique à l'Université de Keele en Grande-Bretagne, dans le Finantial Times.
Instabilité depuis 2015
Les manifestations, qui secouent le pays depuis 2015, ont commencé après que le gouvernement a annoncé vouloir étendre le périmètre d'Addis-Abeba sur plus d'un million d'hectares. L'expansion urbaine aurait entraîné l'expulsion des agriculteurs dont les terres entourent la capitale. La population oromo, majoritairement rurale, a dès lors accusé le gouvernement de vouloir l'exproprier de ses terres. Marginalisées face aux tigréens, qui ont accaparé le pouvoir depuis 1991 au sein du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRD), les deux ethnies majoritaires du pays, les oromo - qui comptent pour plus de 30% de la population du pays - et les amhara, se sont unies dans la contestation du gouvernement.
Les étudiants ont embrayé avec des manifestations qui se sont rapidement étendues dans la région d'Amhara. Celles-ci ont été sévèrement réprimées: près de 940 personnes y auraient trouvé la mort, selon la Commission éthiopienne des droits de l'Homme. La contestation a continué de gronder malgré l'abandon du plan, conduisant le gouvernement à décréter l'état d'urgence. Il a conduit à l'arrestation de plus de vingt-mille personnes: contestataires, journalistes, bloggeurs, ainsi que près de mille responsables politiques, parmi lesquels des figures importantes de l'opposition, sont emprisonnés.
Journaliste
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Mohsen Sazegara: «En Iran, la révolution ne va pas s'arrêter» (05.01.2018)
Par Laure Mandeville
Mis à jour le 05/01/2018 à 19h38 | Publié le 05/01/2018 à 18h53
INTERVIEW - L'ancien conseiller de Khomeini, passé à l'opposition, estime que la contestation actuelle, partie des classes populaires, est plus profonde qu'en 2009.
Après avoir été proche de l'ayatollah Khomeini et avoir été l'un des fondateurs du corps des gardiens de la révolution, Mohsen Sazegara, 62 ans, a basculé dans l'opposition démocratique au régime des mollahs. Il vit aujourd'hui en exil aux États-Unis. Selon lui, les forces armées pourraient rallier le peuple si la répression frappe aujourd'hui trop fort en Iran. Sur place, d'importantes forces de sécurité ont été déployées, ramenant un calme apparent depuis le milieu de la semaine.
LE FIGARO. - Quel est le sens de la révolte qui s'est allumée à travers toutes les provinces d'Iran?
Mohsen SAZEGARA. - Nous nous attendions à une implosion de ce genre en Iran, mais pas aussi vite, pas avant deux ans. Nous avons essayé d'être prêts en termes de programme et pour aider à structurer le mouvement, mais tout s'est allumé en deux jours. Je ne suis pas surpris car le système économique de ce régime est en train de s'effondrer. Mais pourquoi la mèche s'est-elle allumée si vite, personne ne le sait vraiment. Tout a commencé par une manifestation à Mashhad organisée devant la mairie par une organisation locale qui voulait protester contre les prix trop élevés. Je connais les gens qui ont lancé cette invitation, ils attendaient quelques centaines de personnes et des milliers sont venus! Ils se sont mis à crier «Mort au dictateur», et 24 heures plus tard, les manifestations s'étendaient à tout l'Iran, toutes les villes se sont mises en grève, partout! Ce mouvement est le mouvement des petites villes et des campagnes, c'est une première. Le régime essaie de garder Téhéran sous contrôle pour montrer que tout va bien. Les gardes révolutionnaires et les milices bassidjis représentent une force de 450.000 hommes qui peuvent être déployés sur le terrain. Mais ils en ont concentré 200.000 dans les grands centres urbains. Le problème est qu'ils ne peuvent contrôler le reste. Je suis iranien mais je vois poindre des manifestations dans des villes dont je ne connaissais pas le nom et que je suis incapable de placer sur la carte! Les gens sont en colère!
« Les gens ont faim, ils sont pauvres. Ils sont également furieux de la corruption des dirigeants du pays, des gardiens de la révolution qui contrôlent à eux seuls 50 % du PNB du pays. »
Mohsen Sazegara
Sont-ils en colère pour des seules raisons économiques ou également politiques?
Les gens ont faim, ils sont pauvres. Ils sont également furieux de la corruption des dirigeants du pays, des gardiens de la révolution qui contrôlent à eux seuls 50 % du PNB du pays et possèdent des milliers d'entreprises et de banques. Ils montrent une vraie haine de ce régime. Le Mouvement vert de 2009 était constitué des classes moyennes supérieures, qui voulaient le droit au vote. Mais cette fois-ci, ce sont les pauvres, les chômeurs, les classes moyennes et populaires qui se rebellent. Dans son ManifesteMarx parlait du prolétariat qui n'avait plus rien à perdre sauf ses chaînes. En Iran, les pauvres n'ont même plus de chaînes à voler. Pour cette raison, ce mouvement s'appelle la Révolution nationale iranienne et crie: «l'Iran d'abord!» Les protestataires disent non à Gaza, non à l'engagement en Syrie, au Yémen et au Liban. La politique étrangère de ce mouvement est très claire: on ne veut plus dépenser pour les autres pays. Rendez-nous l'argent. Je dirais que d'une certaine manière, cela ressemble à la Révolution française. C'est pour cela qu'ils brûlent les portraits du Guide et disent qu'il mérite la mort. La troisième demande clé de la révolte, c'est un référendum sur le maintien de la République islamique. Il y a trente-huit ans, Khomeini avait organisé un référendum semblable et les gens avaient voté oui! Mais maintenant, ils ont vu ce qu'il en était. Je pense que si ce référendum avait lieu, 94 % des gens diraient non à la République islamique.
C'est donc aussi pour vous un rejet de la théocratie?
Exactement. Les gens veulent une démocratie sécularisée. Comment ils y arriveront? À travers la désobéissance civile et en essayant de faire passer l'armée de leur côté. Tout le monde sait que les forces armées détestent ce régime et les gardiens de la révolution. Or l'armée est trois fois plus grande que ces derniers. Tôt ou tard, les forces armées rejoindront le peuple. Déjà aujourd'hui, nous savons que beaucoup de militaires vont aux manifestations, en civil. Certaines de mes sources m'ont dit avant-hier que, dans beaucoup de garnisons, les gardiens de la révolution contrôlent les dépôts d'armes parce qu'ils ne font pas confiance aux militaires et pensent qu'ils pourraient distribuer des armes.
Cette grogne militaire concerne-t-elle aussi les généraux?
Je ne sais pas car les échelons supérieurs sont souvent liés aux gardiens de la révolution, mais le corps militaire au niveau des colonels ou des capitaines est avec le peuple. Leurs salaires sont bas, ils sont pauvres, ils ne sont pas corrompus, ils n'interviennent pas en politique et croient au nationalisme, pas à l'idéologie religieuse. Les gens leur font confiance car ils n'ont pas fait de mal au peuple contrairement aux gardiens de la révolution et aux milices bassidjis. C'est donc un gros casse-tête pour le régime qui doit faire face au peuple tout en surveillant l'armée. Même chose avec la police, qui, dans de nombreux cas, laisse les gens faire ce qu'ils veulent dans les petites villes, comme le montrent de nombreuses vidéos. Je pense que le pouvoir va essayer de contrôler tout ça, en diminuant l'accès à Internet notamment. Il va dire que tout est normal, mais pour moi, cette Révolution ne va pas s'arrêter.
«Le président Trump est assez imprévisible mais pour l'instant, il réagit très bien. (…) En 2009, par comparaison, Obama n'a rien fait pour le peuple iranien qui scandait son nom»    
Mohsen Sazegara
Le régime peut faire comme en 2009: réprimer…
C'est vrai mais, en 2009, la révolution ne s'est pas étendue au-delà des classes supérieures des grandes villes. De plus, les leaders, Mousavi et Kharoubi, voulaient réformer le régime, pas le changer. Aujourd'hui, c'est très différent. L'expansion du mouvement est fantastique. De plus, les classes populaires ont fait surface: tous ces millions de chômeurs éduqués qui n'ont pas de travail notamment.
Que pensez-vous de la réponse de Donald Trump à cette situation?
Le président est assez imprévisible mais pour l'instant, il réagit très bien. Les généraux qui sont autour de lui, comme Mattis, se sont battus en Irak, ils connaissent la réalité de l'Iran. En 2009, par comparaison, Obama n'a rien fait pour le peuple iranien qui scandait son nom. Nous sommes allés trouver ses conseillers pour leur demander de soutenir le Mouvement vert, mais il s'est tu! Et nous avons réalisé ensuite qu'il envoyait des lettres au leader de l'Iran, pour essayer d'avoir un accord stratégique avec lui! Je suis très sévère pour Obama.

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Khalifa Haftar, un maréchal face au chaos libyen (05.01.2018)
Par Jean-Louis Tremblais
Publié le 05/01/2018 à 08h00
PORTRAIT - Personne ne misait sur lui. Surtout pas la communauté internationale. Mais grâce à ses succès militaires face à Daech, le maître de l'Est libyen, 74 ans, a retourné la situation à son avantage et se présente maintenant comme l'homme du recours.
C'était naguère le cœur battant de Benghazi, deuxième ville de Libye. De Souk al-Hout (le marché aux poissons), il ne reste plus que décombres et gravats, immeubles défoncés et façades éventrées. La désolation. Tandis que les MiG de l'ANL (Armée nationale libyenne) survolent l'agglomération à basse altitude, le capitaine qui nous sert de guide dans cet amas de ruines prévient: «Surtout, ne rien toucher. Avant de partir, Daech a tout miné, tout piégé.» Les habitants ne sont pas autorisés à revenir, pour l'instant. Car une trentaine de djihadistes tiennent encore un pâté de maisons et quelques ruelles dans le quartier tout proche d'Akribich. Assiégés, privés d'électricité, sans eau ni vivres, ils n'ont plus qu'une alternative: se rendre ou mourir. Avec une nette préférence pour la dernière option, ticket d'entrée au paradis et à ses 69 vierges. «Ils n'ont aucune chance, indique notre officier. Nous avons eu trop de pertes pour sacrifier de nouvelles troupes. Ils vont finir par pourrir et tomber comme des fruits mûrs.»

Voici ce qui subsiste du cœur de Benghazi: Souk al-Hout (le marché aux poissons). Daech en avait fait son fief. Haftar s'en est emparé, mais le quartier n'est plus qu'un champ de ruines. - Crédits photo : Noel Quidu
A quoi ressemble une ville (presque) libérée des islamistes, après trois ans de charia et de combats? A une décharge publique, congestionnée par les embouteillages et asphyxiée par la pollution, où le sachet plastique est le principal élément de décoration urbaine, avec le béton et les ordures. Néanmoins, les magasins, fermés par les barbus pendant leur règne, commencent à rouvrir, petit à petit. Au coucher du soleil, on s'y rend en famille. Pour musarder plus que pour acheter: le salaire moyen ne dépasse pas les 50 euros mensuels et l'inflation est galopante. C'est le seul moment de la journée où l'on peut croiser des silhouettes féminines, protégées des regards impies par plusieurs couches de foulards et autres textiles. Car si Fellini a inventé La Cité des femmes, Benghazi a engendré la cité des hommes. Non seulement le sexe faible y est quasiment invisible, mais il est interdit de le photographier! Les soldats qui nous escortent sont formels à ce sujet. On a beau combattre l'islamisme, on n'en demeure pas moins musulman…
Un guerrier
L'artisan de ce (timide) renouveau n'est autre que Khalifa Haftar, commandant de l'ANL et maréchal depuis septembre 2016. Un cheval sur lequel personne n'aurait misé un dinar. Qualifié de général de pacotille ou de militaire d'opérette par ses détracteurs, il a fait mentir tous les Cassandre en réussissant un pari osé: bouter Daech hors de Benghazi cet été et faire main basse sur le croissant pétrolier à l'automne. Il surveille désormais les quatre terminaux du littoral (al-Sedra, Ras Lanouf, Zueitina, Brega), par lesquels transitent 75 % des exportations d'hydrocarbures. Le nerf de la guerre. En effet, avec 48 milliards de barils, la Libye possède la neuvième réserve mondiale de pétrole, et la première du continent africain. A la tête d'une armée de 75 000 hommes, Haftar n'est plus seulement le roitelet de la Cyrénaïque (1), mais contrôle plus ou moins 80 % du territoire libyen, avançant ses pions jusqu'aux portes de Tripoli. C'est là que réside son principal concurrent, Fayez el-Sarraj, le président du GNA (Gouvernement d'union nationale), qui n'existe plus que par le soutien de milices cryptomafieuses et l'onction des Nations unies. Pour combien de temps?

8 décembre 2017, défilé des cadets de l'ANL à l'Académie militaire de Tokra, dans les environs de Benghazi. L'armée d'Haftar compte aujourd'hui 75.000 hommes. - Crédits photo : Noel Quidu
La Libye n'a jamais été aussi divisée
Car le maréchal ronge son frein. Le 17 décembre, dans une allocution télévisée, il a déclaré que les accords de Skhirat (Maroc), signés en 2015, n'étaient plus que «de l'encre sur du papier». Ce qui n'est pas faux: ce texte, qui prévoyait un règlement politique à la crise libyenne et la réconciliation des factions rivales, a légalement expiré, sans avoir atteint ses objectifs. La Libye n'a jamais été aussi divisée, aussi fragmentée. D'un côté, le GNA de Sarraj, à Tripoli, reconnu par la communauté internationale ; de l'autre le parlement de Tobrouk, à l'est, également reconnu par la communauté internationale, mais qui refuse de voter la confiance à Sarraj! Exécutif contre législatif. Sans parler des tribus et des ethnies (Touaregs et Toubous) qui jouent leur partition aux confins sableux du pays. Au milieu de ce chaos, Haftar, qui a l'avantage d'être adoubé par le parlement de Tobrouk, cherche ses marques. Va-t-il se contenter d'arbitrer ce match aux prolongations interminables? Ou bien va-t-il s'imposer comme l'homme du recours, quitte à lancer son armée à l'assaut de Tripoli? Une hypothèse que les chancelleries occidentales souhaitent éviter. Ce n'est pas un hasard si Emmanuel Macron a réuni Sarraj et Haftar au château de La Celle-Saint-Cloud, le 25 juillet. Pour le chef de l'Etat, il s'agissait de renouer le dialogue et de plaider en faveur d'une solution pacifique.

Des membres de l'armée nationale libyenne ouvrent le feu au cours de combats dans le centre de Benghazi, le 9 novembre 2017. - Crédits photo : ABDULLAH DOMA/AFP
Mais Khalifa Haftar est un guerrier. Jusqu'au bout des ongles. Longtemps coutumier des défaites, il tient peut-être enfin sa victoire et donc sa revanche… Né en 1943, il intègre l'Académie militaire royale de Benghazi à l'âge de 20 ans. Il se lie avec un dénommé Mouammar Kadhafi et fomente avec lui le coup d'Etat qui renverse le roi Idris Ier, le 1er septembre 1969. En 1973, il s'illustre pendant la guerre du Kippour, ce qui lui vaut de recevoir la médaille du Sinaï pour avoir franchi la ligne Bar-Lev à la tête de ses blindés. En 1978, le «Guide de la Révolution» l'envoie compléter sa formation en URSS, à l'Ecole militaire Frounze de Moscou. En 1986, le colonel Haftar commande le corps expéditionnaire qui s'en va guerroyer au Tchad contre Hissène Habré. Un fiasco. Fait prisonnier avec 350 camarades et lâché par Kadhafi, il bascule dans l'opposition. Avec l'appui de la CIA, il rejoint et anime le FSNL (Front de salut national de la Libye), basé au Tchad. Déclaré indésirable par le pouvoir tchadien en 1990, Haftar et les membres du FSNL sont exfiltrés vers les Etats-Unis. On l'installe dans une villa cossue de Virginie, sise à 10 kilomètres de Langley, le siège de la CIA! Son nom revient ensuite dans deux tentatives (avortées) de putsch anti-Kadhafi, en 1993 et 1996.
Secret et taiseux
En 2011, après vingt ans d'exil et la chute de Mouammar Kadhafi,le voici de retour. Propulsé général, il participe à la rébellion contre le régime honni. Suspecté d'être l'«homme des Américains», il doit se faire oublier quelque temps. Avant de procéder à un ultime come-back le 16 mai 2014. Ce jour-là, il déclenche l'opération «Dignité». Il faut alors constituer une armée, l'équiper (avec l'aide de l'Egypte et des Emirats arabes unis), en fédérer tous les volontaires (ex-kadhafistes, officiers en sommeil, chefs de clans) et chasser les islamistes de Benghazi et de la Cyrénaïque. Mission accomplie: hormis quelques poches de résistance (2), les djihadistes ont aujourd'hui reculé sur tous les fronts. Au passage, Haftar s'est rapproché de l'Occident, comme en témoigne la présence - discrète - d'agents français de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) sur l'aéroport de Benina, à Benghazi. Auprès de la population reconnaissante, il passe pour un sauveur et un héros. Une aura entretenue par le culte de la personnalité orchestré par ses supporters: la ville est parsemée d'affiches géantes à son effigie, où il pose sous toutes les coutures (y compris en tenue de pilote)!

L'un des énièmes check points entre Benghazi et la base de Rajma, unique lieu où Khalifa Haftar se sent en sécurité.
Si on peut admirer le maréchal en photo, il est plus difficile de le voir en chair et en os. Secret et taiseux, il reçoit peu de visiteurs et sort rarement de son QG de Rajma, à 25 kilomètres de Benghazi. Un site hautement sécurisé, placé sous la garde de prétoriens tatillons et paranos, qui démontent et inspectent jusqu'aux stylos des journalistes. Le syndrome Massoud (3), si l'on en croit le général Ferjani Aoun, patron de la Sécurité: «La tête du maréchal est mise à prix par les organisations terroristes. En 2014, il a échappé à un attentat kamikaze (3 tonnes d'explosif dans un camion). Il s'en est sorti avec des blessures minimes, mais nous avons compté 6 morts et 18 blessés. La prudence est de rigueur.» Une fois le rendez-vous fixé pour l'interview, il faut s'armer de patience. Rien n'est gagné, loin de là: en ces lieux, les mots comme le temps n'ont pas la même valeur que dans nos contrées. Une heure, deux heures, trois heures: on attend. Godot? Non, Haftar. Même si le spectacle relève du théâtre de l'absurde, à mi-chemin entre Samuel Beckett et Alfred Jarry. Dans le salon made in China où nous faisons antichambre, c'est un défilé permanent de quidams venus solliciter qui une audience qui une prébende. Nous ne savons pas qui ils sont. Ils ne savent pas qui nous sommes. Cela n'empêche pas l'affection: on se salue avec moult salamalecs et force banalités. Un sosie de Kadhafi s'installe à nos côtés. Au bout de trente minutes, le clone du «Guide» s'avère parler français (est-ce une coïncidence?) et confie être un fan de Brigitte Bardot!
«À cause de l'embargo sur les armes, nous avons dû combattre avec nos seuls moyens de l'armement récupéré sur le champ de bataille un adversaire impitoyable et fanatique»
Les meilleures choses ayant une fin, un officier d'ordonnance vient couper court à notre improbable papotage: nous sommes convoqués (et fissa!) dans le bureau du maréchal. Raide et grave, cheveux blancs et moustache noire, il nous reçoit dans son bureau, devant le drapeau libyen. L'hypergalonné est vêtu d'un uniforme vert olive (au style vaguement soviétique) et arbore un placard de décorations. Il commence par rappeler les sacrifices de l'ANL et le bilan de sa croisade: «Nous avons payé le prix du sang: entre 20 et 30.000 morts ou blessés. A cause de l'embargo sur les armes (4), nous avons dû combattre avec nos seuls moyens - de l'armement récupéré sur le champ de bataille - un adversaire impitoyable et fanatique. Un ennemi souvent venu de l'étranger: des pays arabes, mais aussi d'Afrique subsaharienne et même d'Europe. Si nous n'avions pas éradiqué le terrorisme en Libye, toute l'Afrique du Nord, voire tout le Moyen-Orient, seraient déstabilisés. C'est pourquoi je réclame ardemment la levée de cet embargo. Cela nous permettrait de sécuriser et de stabiliser complètement le pays. Telle est la condition sine qua non pour organiser des élections. En l'état actuel, l'ordre n'est assuré que dans les secteurs où l'ANL est présente. Dans l'Ouest, à Tripoli ou à Misrata, sous la prétendue administration du GNA, les milices font la loi et prospèrent sur le crime: enlèvements, trafic de migrants, marché aux esclaves. Sarraj, qui n'a aucune légitimité si ce n'est celle que lui accorde l'ONU, est leur otage. Il faut mettre un terme à ces pratiques.»

Manifestation de soutien au maréchal Haftar, le 17 décembre 2017, dans les rues de Benghazi. Spontanée ou organisée? Dieu seul le sait. - Crédits photo : Esam Al-Fetori/REUTERS
«Sur le principe, je ne suis pas opposé aux élections, mais le réalisme doit prévaloir : comment garantir un scrutin dans les conditions actuelles ?»
Khalifa Haftar
De quelle manière compte-t-il s'y prendre? La force ou le droit? «Sur le principe, explique-t-il, je ne suis pas opposé aux élections, mais le réalisme doit prévaloir: comment garantir un scrutin dans les conditions actuelles? C'est un vœu pieux. Nous devons classer les priorités: d'abord la sécurité, ensuite la démocratie. Et quelle est l'institution la plus apte à maintenir la sécurité, si ce n'est l'armée? L'idéal serait un pouvoir militaire pendant une période transitoire. Le temps de ramener l'ordre. Soyons clairs ; les accords de Skhirat sont caducs. Le peuple est fatigué de la guerre et a besoin de changement. Et si la volonté populaire me réclame, je ne décevrai pas ses attentes: je serai là!» Et d'évoquer le général de Gaulle, qui figure dans son panthéon personnel, juste derrière Omar al-Mokhtar, héros national pendu par les Italiens en 1931 (5), et Khalid al-Walid, compagnon et général de Mahomet, surnommé l'«épée d'Allah». L'homme providentiel: c'est à l'évidence le costume qu'il aimerait endosser. Il y croit d'autant plus que, lors de son voyage estival à La Celle-Saint-Cloud, affirme-t-il, le président Macron lui aurait glissé: «Vous me faites penser au général de Gaulle!» Comparaison certes valorisante, mais un brin excessive. Ainsi que le souligne le député Naserdin Mehana, député au parlement de Tobrouk: «Heureusement que le maréchal était là: il nous a vraiment sauvés. D'un point de vue militaire, c'est incontestablement the right man in the right place. Mais la différence entre lui et de Gaulle, c'est que ce dernier ne portait plus l'uniforme lorsqu'on est allé le chercher à Colombey. Il n'était pas n° 1 de l'armée!»
Leader politique?
Dont acte. Mais il n'est pas certain qu'Haftar ait envie du pouvoir. Chef de guerre? C'est indéniable: les faits sont là. Leader politique? On peut en douter. Il ne goûte ni les bains de foule ni les discours publics. Or, pour se dresser en porte-parole de ce «peuple» qu'il invoque à tout bout de champ, encore faudrait-il aller à sa rencontre! Une chose est sûre: pour les puissances impliquées dans le dossier libyen, le maréchal est devenu incontournable. Un interlocuteur obligé. Il multiplie les contacts avec l'étranger. Pas uniquement avec ses alliés égyptiens et émiratis, mais aussi avec Moscou et l'Union européenne, en insistant sur la lutte antidjihadiste. Des arguments qui font mouche. Si Londres et Rome penchent toujours du côté de Sarraj, Paris, engagé dans une guerre anti-terroriste au Sahel et conscient de sa dimension régionale, a choisi la realpolitik. Les relations entre le maréchal et Jean-Yves Le Drian sont plus que cordiales. Elles datent de l'époque où l'actuel ministre des Affaires étrangères était à la Défense. Quant à l'assistance militaire française dans le renseignement, c'est un secret de polichinelle depuis que trois sous-officiers de la DGSE ont été tués dans le crash de leur hélicoptère à Benghazi, en juillet 2016. Une coopération que Khalifa Haftar résume à sa manière, abrupte et directe: «La France et son président sont avec nous, pour la juste cause. Votre pays est un partenaire privilégié. Nous saurons nous montrer reconnaissants.» A bon entendeur, salut!
(1) La Libye est subdivisée en trois grandes provinces: la Cyrénaïque à l'est, la Tripolitaine à l'ouest, et le Fezzan au sud.
(2) Ils ne tiennent plus que le port de Derna (120 000 habitants), soumis au blocus de l'ANL.
(3) Ahmed Chah Massoud a été tué le 9 septembre 2001 en Afghanistan dans un attentat kamikaze. Les deux auteurs de cet assassinat étaient des islamistes tunisiens se faisant passer pour des journalistes et munis de faux passeports.
(4) Décrété en 2011 par la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l'ONU.
(5) La Libye fut colonie italienne de 1911 à 1947 (de facto, jusqu'en 1943 à cause de la Seconde Guerre mondiale).
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Un quart d'heure de lecture par jour, l'initiative du lycée d'Ankara fait des émules en France (07.01.2018)
Par Etienne de Montety
Mis à jour le 08/01/2018 à 10h43 | Publié le 07/01/2018 à 19h22
REPORTAGE - L'association « Silence on lit! » tente d'instaurer en France le rituel créé par le lycée francophone d'Ankara. Objectif : généraliser cette bonne pratique dans l'Éducation nationale.
Dans le quartier moderne Mustafa-Kemal d'Ankara, comment ne pas remarquer ce grand ensemble blanc liseré de rouge, aux couleurs de la Turquie: c'est le lycée francophone Tevfik-Fikret. S'y pressent les enfants de la société turque attachée à un enseignement de qualité, qui passe par l'apprentissage du français. Un lycée semblable à des milliers d'autres dans le monde, avec ses classes, ses laboratoires, ses terrains de sport, ses bons élèves et ses fumistes: sauf que tous les jours à 13 h 35, ce n'est pas le bruit de 1600 enfants et adolescents que l'on entend, une meute s'ébrouant après une matinée studieuse, mais une sonnerie puis le silence, porté par une musique douce: chut, on lit. En classe ou au gymnase, on lit. Pas seulement les élèves, tout le monde lit: des professeurs au personnel administratif. Des cuisines à la direction.
«Si un visiteur vient me voir sans rendez-vous à cette heure-là, il attend jusqu'à ce que j'aie fini ma lecture», raconte Ayse Basçavusoglu, la directrice du lycée Tevfik-Fikret.
Lecture pour tous: ce rituel du lycée Tevkif-Fikret n'est pas observé occasionnellement, à la faveur par exemple d'une semaine de la lecture, mais quotidiennement depuis seize ans. C'est devenu un temps qui rythme les journées de travail, au même titre que le cours d'histoire ou de mathématiques. Il est né un jour de 2001 où les enseignants s'interrogeaient sur le moyen de promouvoir la lecture, qu'ils jugeaient insuffisante ; l'une d'entre eux eut l'idée simple d'établir un temps quotidien de lecture obligatoire. Celle-ci s'imposa aussitôt non comme une contrainte, un allongement de la journée, mais comme une évidence. Et désormais, comme une habitude.
«La première année, ce moment de lecture avait été fixé à 10 minutes. Ce sont les élèves qui ont demandé qu'il soit allongé à 15 minutes.»

La directrice de l'établissement au cours de son quart d'heure de rituel quotidien. - Crédits photo : Courtesy
«Un besoin premier pour donner du sens à la vie»
Ce rituel, Ayse Basçavusoglu y tient tout particulièrement. Elle dirige l'établissement depuis 1993 (il compte deux sites, à Ankara et à Izmir). Ancienne élève du lycée Charles-de-Gaulle d'Ankara, puis de Tevfik-Fikret, elle y fut interprète (pour le personnel non francophone) puis professeur de français avant d'en prendre la direction. Cette femme élégante, qui dégage une autorité naturelle, explique ses choix pédagogiques: «La lecture n'est pas un loisir, mais un besoin premier pour donner du sens à la vie.»
«Un livre se rapporte à nos sens, on le touche d'abord, on sent le papier, et puis grâce à la vue on commence à le lire»
Ayse Basçavusoglu, la directrice du lycée Tevfik-Fikret
Son attachement à la lecture s'enracine dans sa propre histoire: elle se souvient, enfant, de son père qui ramenait chaque soir un livre à la maison. À huit ans, quoique orpheline, elle était déjà riche d'une solide bibliothèque. Elle est aujourd'hui une lectrice éclectique, formée aux classiques, amatrice de Fred Vargas et d'Amin Maalouf. Elle veille à ce qu'à Tevfik-Fikret, lecture rime avec livre. Les élèves peuvent choisir un ouvrage en turc ou en français, apporté par leurs soins ou choisi à la bibliothèque de l'établissement, riche et variée. Quel qu'en soit le genre littéraire - «à l'exception de la pornographie», tient-elle à préciser. La lecture se pratique sous le signe de la liberté. En revanche, pas question d'ouvrir un magazine, un manuel scolaire, encore moins une tablette numérique.
«Un livre se rapporte à nos sens, on le touche d'abord, on sent le papier, et puis grâce à la vue on commence à le lire», explique-t-elle.
Depuis seize ans, elle a vu passer les modes éditoriales: à Harry Potter a succédé Game of Thrones. Mais elle se souvient aujourd'hui avec émotion de cet élève réticent à l'exercice à qui le professeur avait mis entre les mains un livre de poésie. Face à ce qui ressemblait à un pari de Pascal (lis et tu aimeras lire), le récalcitrant l'ouvrit, se prit au jeu et demanda à garder le volume.
«La bande dessinée est autorisée, ajoute Ayse Basçavusoglu. Car nous avons observé avec plaisir que les élèves qui commencent par ce genre poursuivent au bout de quelques mois par la lecture de “vrais” livres.»

Un personnel de sécurité des établissements Tevfik Fikret, lit pendant le temps de lecture «SIlence on lit». - Crédits photo : Courtesy
Le lycée Tevfik-Fikret est un des fleurons de la francophonie en Turquie. Créé il y a cinquante ans, cet établissement privé est lié avec la France par le label «FrancEducation»: son diplôme de fin d'étude est reconnu comme équivalent du baccalauréat et les liens sont anciens et étroits avec l'Institut français à Ankara (Éric Soulier conseiller de coopération et d'action culturelle et Sébastien de Courtois). Ils sont nombreux dans la vie politique turque, la diplomatie, la culture ceux qui sont passés par Tevfik-Fikret. On trouve aussi bien l'écrivain Hakan Günday (auteur de Encore, prix Médicis étranger 2015) que Gülsüm Bilgehan, représentante de la Turquie au Conseil de l'Europe. Le nom du lycée, celui d'un grand poète francophile de la fin de l'Empire ottoman, comme les effigies d'Ataturk, apposées sur les casiers des élèves et les murs du lycée, disent son attachement à la laïcité, l'égalité et la démocratie, dans un pays en pleine tourmente.
La lecture quotidienne, entrée dans les mœurs de Tevfik-Fikret, aurait donc pu rester une sympathique spécificité d'un lycée d'excellence d'Ankara… C'était sans compter la visite en 2015 du cinéaste français Olivier Delahaye, familier de la Turquie, et venu à Tevfik-Fikret présenter son film Soleils. Aucun rapport avec la lecture, a priori.

Olivier Delahaye - Crédits photo : JACK BRULOT/HÉLOÏSE D'ORMESSON
Ce jour-là, à 13 h 35, la sonnerie retentit dans la salle des professeurs où il se trouve, et tout naturellement tout le monde s'interrompt et prend un livre. «C'est le temps de lecture», lui dit-on laconiquement. L'atmosphère de recueillement dans laquelle est plongé le lycée le saisit. De retour en France, il n'a de cesse qu'il ne fasse connaître cette initiative. Son propos parvient aux oreilles de Danièle Sallenave, écrivain, membre de l'Académie française, qui a longtemps enseigné la littérature à l'université. Elle est aujourd'hui très préoccupée par le recul de la lecture en France. «Une pratique sinistrée », résume-t-elle. Non pas comme phénomène culturel mais comme «mécanisme»: en France gagne un illettrisme qui ne dit pas son nom. Son cri d'alarme remonte à dix ans: un essai intitulé Nous, on n'aime pas lire.
«De nombreuses personnes ne peuvent pas déchiffrer plus de quelques lignes. Elles n'ont pas acquis la pratique de la lecture suivie. Pis: celle-ci leur fait peur.»
«De la volonté, et aussi de la méthode»
La venue d'Ayse Basçavusoglu à la Foire du livre de Brive que préside l'académicienne à l'automne 2015 sert de rampe de lancement. L'association des trois s'appellera «Silence on lit!».
«Le point d'exclamation est important, soulignent-ils de concert: organiser un temps de lecture quotidienne demande de la volonté, mais aussi de la méthode. Sinon, ça ne dure pas.»
Depuis deux ans, l'association se structure. Elle a établi une charte qu'elle propose aux établissements demandeurs. Olivier Delahaye a momentanément posé sa caméra et sillonne la France en ambassadeur de cette initiative. Il passe de longs moments au téléphone avec les recteurs d'académie, les directeurs d'établissement pour les conseiller dans la mise en place.
«Certains professeurs freinent. Certains confondent ce temps avec un allongement de l'enseignement du français au détriment de leur discipline. D'autres nous voient comme un cheval de Troie du ministère. Il faut rassurer»
Olivier Delahaye, cinéaste
«Certains professeurs freinent. Certains confondent ce temps avec un allongement de l'enseignement du français au détriment de leur discipline. D'autres nous voient comme un cheval de Troie du ministère. Il faut rassurer.»
Près de 400 établissements sont désormais membres de Silence on lit!. L'enthousiasme de Florence Robine, rectrice de l'académie Metz-Nancy, a donné un coup d'accélérateur à son installation dans la région Grand Est. Lorient, Vallauris, Nemours se sont lancées. Un collège d'Oujda (Maroc) aussi. La mairie de Strasbourg étudie l'idée d'instaurer ce temps de lecture non seulement dans les écoles de la ville mais à l'Hôtel de ville pour le personnel municipal.
«Ce temps de silence, si bénéfique, pourrait être généralisé aux collectivités et aux entreprises», rêve Delahaye qui cite Blanchot: «Une œuvre littéraire est, pour celui qui sait y pénétrer, un riche séjour de silence, une défense ferme et une haute muraille contre cette immensité parlante qui s'adresse à nous en nous détournant de nous.»
Et l'Éducation nationale? Cet automne, Jean-Michel Blanquer a reçu Danièle Sallenave et Olivier Delahaye: cette aventure insolite, née à Ankara, rejoint ses préoccupations. «Silence on lit!» attend maintenant un soutien concret.
Après la distribution des Fables de La Fontainepromise par le ministre en juin dernier, le moment est peut-être venu d'organiser leur lecture.
Pour en savoir plus: www.silenceonlit.com

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Etienne de Montéty est né en 1965. Il dirige le Figaro littéraire depuis 2006 mais fréquente les mots depuis qu'il a appris à parler, à lire et à écrire.
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Zineb El Rhazoui : «Quelles leçons ont été tirées de l'attentat de Charlie Hebdo» ? (10.01.2017)
Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 11/01/2017 à 15h48 | Publié le 10/01/2017 à 17h28
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Survivante de l'équipe de Charlie Hebdo, la journaliste considère que les sympathisants du terrorisme islamiste bénéficient toujours de la complaisance d'une partie des médias et des élus.
LE FIGARO. - Il y a tout juste deux ans, les attentats de Paris contre la rédaction de Charlie Hebdo puis à l'Hyper Cacher ensanglantaient la France. Il y eut la grande manifestation du 11 janvier. Depuis, rien n'a changé?
Zineb EL RHAZOUI. - Si, les Français vivent maintenant dans l'anxiété! On a l'impression - à raison - que ça pourrait se reproduire n'importe où, n'importe quand. Le souci de la sécurité fait désormais partie de notre quotidien et nos libertés se réduisent depuis deux ans. Mais en contrepartie, aucune prise de conscience du potentiel destructeur de l'islamisme n'a eu lieu. Les autorités publiques françaises continuent à traiter le terrorisme comme une question de droit commun ou, pis, comme un phénomène de violence exclusivement lié à l'existence de l'État islamique. Certes, la destruction de l'État islamique et le renforcement de la sécurité et du renseignement sont indispensables dans cette guerre contre le terrorisme, mais celle-ci ne pourra être gagnée que lorsque nous identifierons clairement l'ennemi: le fascisme islamique. Un fascisme ne peut être combattu uniquement avec une approche sécuritaire, car il s'agit avant tout d'une idéologie à invalider sur le plan intellectuel. Pour gagner cette guerre, il est impératif de sortir des représentations telles que «pas d'amalgame» et «l'islam religion de paix et d'amour».
Que reste-t-il de l'esprit Charlie?
«Le fascisme islamique, dans ses expressions non criminelles, est de plus en plus décomplexé en France»
C'est une question que je me pose souvent. À quoi a servi la mort de mes collègues, des victimes de l'Hyper Cacher, celles des terrasses, du Bataclan, de la promenade des Anglais à Nice… Le fascisme islamique, dans ses expressions non criminelles, est de plus en plus décomplexé en France. Ce qu'attendent les victimes des attentats et leurs proches, ce que réclame la société française qui a payé un très lourd tribut à cette idéologie, c'est que le procès des coupables ait enfin lieu. Je ne parle pas seulement du procès des terroristes en tant qu'individus, car la plupart d'entre eux ont été éliminés, mais du procès de l'islamisme en tant que fascisme, de ses idéologues et de leurs complices, qui jouissent non seulement de l'impunité morale, mais qui continuent en outre, de façon déterminée et imperturbable, leur œuvre de «normalisation» de l'islamisme au sein de la société française.
Selon vous, les sympathisants de l'islamisme réussissent à intimider journalistes et politiques?
«Le principal cheval de bataille des théoriciens de l'islamisme français, c'est de convaincre la société que tout refus de leur idéologie équivaudrait à du racisme. Malheureusement, une grande partie des médias et de la classe politique est tombée dans ce piège»
Les idéologues de l'islamisme en France sont souvent des personnes ayant pignon sur rue, et surtout insoupçonnables de tout lien opérationnel avec le terrorisme. Ces idéologues, qui prennent souvent le soin de bien «condamner» le terrorisme avant de justifier les attentats, travaillent de longue haleine à affaiblir les défenses intellectuelles des Français contre l'idéologie du fascisme islamique. L'essentiel de leur entreprise consiste à faire l'amalgame - ce stratagème se révèle très efficace - entre l'antiracisme et l'acceptation tous azimuts d'une idéologie en profonde contradiction avec les valeurs françaises. Le principal cheval de bataille des théoriciens de l'islamisme français, c'est de convaincre la société que tout refus de leur idéologie équivaudrait à du racisme. Malheureusement, une grande partie des médias et de la classe politique est tombée dans ce piège. Je pense que politiques et médias en France pêchent plus par médiocrité intellectuelle que par véritable attirance pour le fascisme islamique. Toutefois, je tiens à ajouter qu'une partie de la classe politique s'est consciemment alliée aux islamistes de façon cynique pour de vils petits calculs électoraux.
Dans votre livre, vous dénoncez les «collaborationnistes» de l'islam politique. N'est-ce pas un peu excessif?
Comment qualifier autrement les forces vives de la nation qui choisissent de se mettre au service d'une idéologie qui a pour aboutissement le crime de masse? Ces politiques, intellectuels, associations et médias qui adoubent les concepts des islamistes sans le moindre esprit critique leur servent de caution, de certificat de «fréquentabilité». C'est grâce à eux que les islamistes sont parvenus à convaincre une partie de la société française qu'ils étaient ses éternelles victimes, tout en lui faisant oublier que, partout ailleurs dans le monde, ils sont des persécuteurs. C'est grâce à leurs collaborationnistes français que les islamistes ont pu se positionner comme des interlocuteurs crédibles du débat public tout en faisant oublier la nature archaïque et totalitaire de leur projet de société.
«Il n'y a qu'un seul et unique moyen de réussir une déradicalisation, c'est de libérer la critique de l'islam»
Ceux qui ouvrent les yeux et font le bon diagnostic semblent souvent résignés. N'est-il pas déjà trop tard? Que faire?
Il n'est jamais trop tard pour bien faire, même si des années de compromissions et de laisser-faire nous ont légué une situation explosive aujourd'hui. Si nous n'agissons pas, nous continuerons à produire des terroristes et à saper les mécanismes intellectuels qui nous permettront de nous défendre contre leur idéologie impérialiste. Dès qu'on s'interroge sur le lien entre terrorisme et islam, les boucliers se lèvent pour rappeler que «tous les musulmans ne sont pas des terroristes». Personne n'a jamais prétendu le contraire! Cet amalgame n'est pas fait en France. La réaction civilisée des Français après les attentats de janvier 2015 l'a démontré hautement. En revanche, tous les attentats terroristes qui ont ensanglanté la France ces deux dernières années ont été commis au nom de l'islam.
Ce n'est pas en refoulant sans cesse ce lien entre le terrorisme et la religion islamique que nous réussirons à traiter le problème. Pointer l'islam du doigt n'est pas raciste, puisque l'islam n'est pas une race mais une religion née il y a quinze siècles dans le désert d'Arabie. Soustraire l'islam à la raison critique serait raciste, en revanche, parce que cela reviendrait à déroger à l'universalisme en considérant les musulmans comme une masse humaine incapable de prétendre aux fondements intellectuels de notre civilisation. Je ne cesse de le marteler: il n'y a qu'un seul et unique moyen de réussir une «déradicalisation», c'est de libérer la critique de l'islam.
* A récemment publié Détruire le fascisme islamique(Ring, 2016)
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 11/01/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Saint-Etienne: 10 policiers blessés pendant une course-poursuite (09.01.2018)
Par Le Figaro.fr - Mis à jour le 09/01/2018 à 14h20 | Publié le 09/01/2018 à 14h11
Selon les informations de France bleu Saint-Etienne Loire, dix policiers ont été blessés la nuit dernière à Saint-Etienne lors d'une course poursuite avec un automobiliste. 
Ce dernier a heurté une voiture de police et s'est enfui. Puis, il est rentré dans deux autres véhicules. L'homme a été arrêté et placé en garde à vue. 
Les policiers ont été appelés à un rassemblement national aujourd'hui devant les commissariats pour dénoncer les violences subies par les policiers. 

«Je ne suis pas islamophobe», dit le maire de Beaucaire (09.01.2018)
Par Le Figaro.fr avec AFP - Mis à jour le 09/01/2018 à 11h01 | Publié le 09/01/2018 à 10h48
Le maire Front national de Beaucaire (Gard) Julien Sanchez s'est défendu aujourd'hui d'être "islamophobe" après avoir supprimé les menus de substitution au porc à la cantine et décidé d'instituer du porc tous les lundis.
"Quand on défend les valeurs de la République et qu'on refuse certains passe-droit ou du communautarisme dans les lieux publics, on est islamophobe. Je ne suis pas islamophobe, je n'ai pas peur de qui que ce soit et je n'ai pas la volonté d'exclusion de qui que ce soit", a assuré Sanchez sur franceinfo. "Moi je dis simplement: quel est le problème avec le porc ? S'il y avait un problème médical je pourrais le comprendre mais il n'y a pas de problème médical", a estimé Sanchez, en soulignant que le porc "n'a pas de particularités particulièrement allergènes".
"C'est uniquement l'intrusion du fait religieux dans l'espace scolaire. Pour moi, l'école est un sanctuaire", a relevé Sanchez, avant de s'interroger : "parce que certains ne veulent pas en manger, on l'enlève totalement ?" Quelque 150 élèves demi-pensionnaires sur 600 bénéficiaient de ces repas de substitution au porc à Beaucaire.
Evoquant notamment une mesure de soutien à l'agriculture française, Sanchez a précisé que du porc était désormais proposé tous les lundis depuis la rentrée de janvier 2018. "On a décidé que ce serait le lundi comme cela chacun peut s'organiser", a-t-il expliqué, arguant que les élèves "peuvent aussi ne pas manger l'entrée si l'entrée est à base de porc" ou "le plat, si le plat est à base de porc".
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Attentats : débats sur les contours du futur parquet antiterroriste (07.01.2018)

Par Paule Gonzalès
Mis à jour le 07/01/2018 à 20h16 | Publié le 07/01/2018 à 18h28
Le périmètre de cette structure sera fixé par la Direction des affaires criminelles. Aujourd'hui, plus 500 individus sont en détention pour faits de terrorisme.
Un contentieux de masse et si spécifique que s'est imposée l'idée d'un parquet spécialisé à compétence nationale. Le 18 décembre dernier, Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, a annoncé la création d'un parquet national antiterroriste. Il revient désormais à la Direction des affaires criminelles et des grâces d'en proposer les contours d'ici au mois de mars prochain.
Tous les acteurs reconnaissent les défauts de la «cellule C1» mise en place au parquet de Paris en 1986, alors que sévissait le terrorisme basque, corse et de manière infinitésimale le terrorisme islamiste. L'ampleur actuelle de ce contentieux exige aujourd'hui une adaptation en profondeur. La France compte 2 370 ressortissants qui ont été impliqués sur les terrains d'opération. Aujourd'hui, plus 500 individus sont en détention pour faits de terrorisme et l'on compte 244 personnes ainsi que plus d'une soixantaine de mineurs revenus de Syrie et d'Irak.
Le premier clan préconise un parquet spécialisé qui resterait dans le ressort parisien, comme le parquet national financier créé en 2014
Deux clans de grands juristes et de hauts magistrats rivalisent de propositions pour déterminer le périmètre de cette future structure. Le premier préconise un parquet spécialisé qui resterait dans le ressort parisien, comme le parquet national financier créé en 2014. Un procureur, épaulé de trois autres magistrats de même rang, animerait une équipe d'une vingtaine de «parquetiers». De quoi répondre à trois défis majeurs: l'internationalisation d'un contentieux qui implique une entraide judiciaire croissante entre les États et les structures européennes. Mais aussi la nécessité d'assurer la remontée d'information - souvent de très basse intensité - en provenance de la province. Enfin s'assurer d'un dialogue d'égal à égal avec les grandes agences de renseignement, jugées trop autonomes par rapport aux magistrats du parquet anti-terroriste actuel. Ses jeunes substituts sont certes compétents mais absorbés par le suivi quotidien des affaires, depuis les gardes à vue jusqu'aux audiences, sans oublier les relations avec l'instruction et les juges de la liberté et de la détention. En ligne de mire aussi, le traumatisme de l'affaire Merah. Identifié par les services, il n'a jamais été «judiciarisé».
Conséquences politiques
D'autres magistrats penchent vers une structure complètement autonome élevée au rang d'un parquet général pilotant trois parquets spécialisés respectivement dédiés à l'antiterrorisme, à la criminalité organisée et au blanchiment d'argent. Cette solution est défendue par François Molins, le procureur de Paris, qui gère depuis 2015 les attentats, qui ont fait 241 victimes en France. Il a pour lui la légitimité d'une action que nul ne lui dispute et qui lui permet d'exiger un renforcement substantiel de ses effectifs et de ses pouvoirs.
Cette solution aurait actuellement le vent en poupe, mais beaucoup s'inquiètent des conséquences politiques d'une structure aussi autonome. Nicole Belloubet l'a promis, «il ne s'agit pas de créer une juridiction d'exception mais de mettre en place une structure efficace et plus lisible», a-t-elle affirmé lors de son annonce. «La création d'un parquet général spécialement dédié en ferait une structure complètement dérogatoire de l'organisation judiciaire actuelle et encourrait le risque de critiques de constitutionnalité», soulignent de bons connaisseurs de la lutte contre le terrorisme. De nombreux spécialistes font aussi remarquer qu'il «n'existe, en France, aucun lien avéré entre le terrorisme et la grande criminalité organisée. Aussi pourquoi les lier?». Derrière ces divergences, le choix entre une solution simple et pragmatique ou la création d'un superprocureur à la française.

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Attentats de janvier 2015 : une enquête complexe qui prendra peut-être fin cet été (07.01.2018)
Par Jean-Marc Leclerc
Mis à jour le 07/01/2018 à 20h01 | Publié le 07/01/2018 à 19h01
VIDÉO - À défaut d'avoir pu d'identifier le commanditaire des attaques, le travail d'expertises et de recoupements se concentre sur des personnages de second plan.
La justice tente depuis trois ans de remonter le film de la tragédie des attentats islamistes de janvier 2015. Les auteurs principaux sont morts. Les frères Kouachi, qui menèrent l'attaque contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, ont péri sous les balles des forces de l'ordre. Tout comme Amedy Coulibaly, qui tua une policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, à Montrouge (Hauts-de-Seine), le 8 janvier 2015, avant de s'en prendre, le 9, aux clients de l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes.
À ce jour, pas moins de 14 personnes sont mises en examen dans ces affaires, principalement des membres présumés des réseaux logistiques. Ce travail d'expertises et de recoupements se concentre sur des personnages de second plan, à défaut d'avoir pu d'identifier le commanditaire des attaques, dont la trace se perd quelque part entre la Syrie et l'Irak… s'il est toujours en vie.
Série d'arrestations
Les enquêteurs considèrent qu'Amedy Coulibaly a été un intermédiaire des Kouachi pour les fournir en armes. Les deux frères avaient beau nettoyer leur matériel, des recherches d'ADN ont permis de retrouver, en mai dernier, dans la graisse d'un fusil d'assaut des tueurs de Charlie Hebdo, l'empreinte génétique de Chérif Kouachi mêlée à celle d'Amedy Coulibaly.
Les expertises menées sur les armes de Coulibaly ont, quant à elles, permis de réaliser une série d'arrestations en avril 2017, avec une double filière d'approvisionnement identifiée. D'un côté, un réseau lillois, animé par un certain Claude Hermant, spécialiste de la revente d'armes démilitarisées en provenance des pays de l'Est ou des Balkans. Bien connu des services de police, ce personnage sulfureux, lié notamment aux milieux d'extrême droite, prétend être un «informateur» des gendarmes. Sept de ses armes sont passés entre les mains de Coulibaly. Elles ont été saisies dans l'Hyper Cacher mais aussi dans l'appartement de Gentilly (Hauts-de-Seine) où celui-ci avait préparé son ultime attaque. Le dossier dans lequel Hermant est poursuivi a été disjoint de la procédure principale.
En revanche, l'un de ses complices présumés, Samir L., petit voyou originaire de Roubaix, est bien mis en examen dans l'affaire de l'Hyper Cacher. Il était l'un des contacts présumés d'Hermant dans les milieux du grand banditisme. C'est ce Roubaisien qui aurait acheté les armes pour le compte de Coulibaly. Celles-ci auraient été livrées par au moins deux hommes de main, arrêtés et placés en détention depuis.
Filière belge
Une filière belge a également été mise au jour. Elle gravite autour d'un garagiste d'origine kurde, Metin K., entendu dès 2015, mais mis en examen seulement en juin 2017, avec son lieutenant présumé, d'origine italienne. Dans leur entourage, la police a pu identifier nombre de suspects. Deux d'entre eux, interpellés, étaient associés dans un garage de Charleville-Mézières, dans les Ardennes. Une ville où Saïd Kouachi était domicilié. Mais établir de possibles connexions entre les uns et les autres est une chose, déterminer le degré de connaissance du projet terroriste pour chacun en est une autre.
«Il y a comme une toile d'araignée entre les terroristes, qui les relie au plan local mais aussi international»
Me Samia Maktouf, conseil de parties civiles dans l'affaire de l'Hyper Cacher
Bien des zones d'ombre restent donc à éclaircir. Conseil de parties civiles dans l'affaire de l'Hyper Cacher, Me Samia Maktouf l'assure: «Il y a comme une toile d'araignée entre les terroristes, qui les relie au plan local mais aussi international.» L'expertise en cours des communications des membres du réseau pourrait l'étayer, mais elle se heurterait à des problèmes de «cryptage». L'avocate est convaincue que des djihadistes arrêtés en Syrie et en Irak depuis la chute de Mossoul et de Raqqa pourraient apporter des réponses et qu'il faut les juger en France.
Son confrère Thibault de Montbrial tire une autre leçon de cette enquête: «On a longtemps opposé al-Qaida dans la péninsule arabique (Aqpa), qui a revendiqué l'attaque contre Charlie Hebdo, et l'organisation État islamique (EI), qui a endossé les attentats contre Clarissa Jean-Philippe et contre l'Hyper Cacher. Mais finalement, les investigations démontrent que, sur le terrain, les hommes de main travaillent ensemble.» L'enquête pourrait se clôturer d'ici à l'été. Sauf rebondissements.

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Être ou ne pas être Charlie : la nouvelle guerre des gauches (07.01.2018)
Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 08/01/2018 à 15h46 | Publié le 07/01/2018 à 19h22
VIDÉO - L'union intellectuelle et politique de façade autour de Charlie a rapidement volé en éclats. Plus particulièrement au sein de la gauche qui se déchire entre multiculturalistes et universalistes, trois ans après le drame.
Le 11 janvier 2015, au fond de leur lit d'hôpital, le corps encore meurtri par les balles des djihadistes, le cœur brisé par la perte de leurs collègues et amis, Riss et Fabrice Nicolino trouvent matière à espérer. Ils voient dans la plus grande manifestation de l'histoire de France depuis la Libération le signe d'un profond sursaut.
Le slogan «#jesuisCharlie» a rassemblé quatre millions de personnes dans toute la France et semble faire consensus. Certes, le fameux hashtag, repris en boucle de manière pavlovienne par les médias, peut ressembler à une injonction. Mais «être “Charlie”» ne signifie pas nécessairement partager la ligne éditoriale de l'hebdomadaire satirique, ni aimer tous ses dessins, ni même le lire. C'est, comme l'a écrit Philippe Lançon, rescapé de Charlie Hebdo: «Refuser qu'on tue ceux qui le font». «Être Charlie», ce jour-là, c'est aussi défendre une certaine idée de la liberté, du bien commun et de la France. C'est enfin, comme l'a joliment résumé la journaliste Sonia Mabrouk, «une pulsion de vie face au dessein mortifère des islamistes».
Mais l'union intellectuelle et politique de façade autour de Charlie vole rapidement en éclats. En particulier à gauche. Celle-ci se déchire en deux camps. Celui des multiculturalistes, «antiracistes» autoproclamés, qui voient dans «le musulman» d'aujourd'hui «le juif» d'hier et qui font de la lutte contre l'«islamophobie» une priorité. Et celui des universalistes qui voient dans l'islamisme un totalitarisme et dans la notion d'«islamophobie» une «escroquerie intellectuelle» visant à rétablir un délit de blasphème.
Cette fracture vient de loin. En 1989, déjà, lors de l'affaire du foulard islamique de Creil, ces deux camps s'étaient affrontés. Dans un appel commun, publié dans Le Nouvel Observateur, Régis Debray, Élisabeth Badinter et Alain Finkielkraut avaient dénoncé un «Munich de l'école républicaine». En face, Harlem Désir, alors président de SOS Racisme, s'alarmait du «retour en force» des «idées assimilationnistes». Un an plutôt, François Mitterrand avait été réélu en partie grâce au travail idéologique de l'association. Le PS abandonnait alors notre modèle historique d'assimilation hérité précisément deux siècles plus tôt de la Révolution de 1789. L'affrontement autour de Charlie est une conséquence de cet abandon et une des nombreuses répliques de la controverse de Creil.
Querelle idéologique
«Blasphémer de matière systématique sur Mahomet, personnage central de la religion d'un groupe faible et discriminé, devrait être qualifié d'incitation à la haine»
Emmanuel Todd
C'est le 17 janvier 2015 à Brétigny-sur-Orge que commence la nouvelle guerre des gauches. Edwy Plenel et Tariq Ramadan y font meeting commun contre «l'islamophobie». L'auteur de Pour les musulmans précise que lui n'aurait pas publié de «caricatures qui offensent n'importe quelle religion». La rédaction de Charlie Hebdo le vit comme une trahison. En avril 2015, le petit livre rouge d'Emmanuel Todd, Qui est Charlie?, vient définitivement achever l'esprit du 11 janvier. Le démographe voit dans la marche républicaine une manifestation «islamophobe». «Blasphémer de matière systématique sur Mahomet, personnage central de la religion d'un groupe faible et discriminé, devrait être qualifié d'incitation à la haine», écrit-il. Le Printemps républicain naît en mars 2016, autour de Laurent Bouvet, de la volonté de faire entendre une autre voix: celle d'une gauche anti-communautariste. Le point d'orgue de cette querelle idéologique est l'affrontement entre Mediapart et Charlie Hebdo, en novembre dernier, après les caricatures du journal satirique visant Ramadan, puis Plenel. Le directeur de Mediapart réagit en accusant Charlie d'avoir déclaré «la guerre aux musulmans». Trois mots inacceptables pour Riss. Le directeur de Charlie Hebdo réplique dans un édito implacable en dénonçant «l'appel au meurtre» de Plenel, coupable, selon lui, d'adouber «ceux qui demain voudront finir le boulot des frères Kouachi».
«Une partie de la gauche est devenue la complice la plus active de ceux qui cherchent à détruire la laïcité»
Élisabeth Badinter
«Une partie de la gauche est devenue la complice la plus active de ceux qui cherchent à détruire la laïcité», a déclaré Élisabeth Badinter durant la journée d'hommage, Toujours Charlie, organisée par le Printemps républicain ce samedi. Trois ans après la tuerie du 7 janvier, les deux gauches sont plus que jamais irréconciliables. Alors que Valls entendait incarner la gauche républicaine, Hollande n'a jamais su trancher entre la ligne laïque de son premier ministre et la ligne «Terranoviste» qui avait contribué à son élection. Le PS en est peut-être mort. Chez Mélenchon, on est également tiraillé entre le jacobinisme d'un Alexis Corbière et l'islamo-gauchisme d'une Danièle Obono. La France insoumise a parfois des allures de gauche soumise. Enfin, Macron est-il Charlie? Durant toute la campagne, le candidat est resté ambivalent sur cette question. Récemment, il se serait dit vigilant face au risque de «radicalisation de la laïcité». Mais, bien qu'il ait annoncé qu'il allait s'exprimer officiellement sur le sujet en janvier, «le maître des horloges» reste pour l'heure évasif…

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Charlie Hebdo s'inquiète du coût de sa protection (07.01.2018)
Par Chloé Woitier
Mis à jour le 07/01/2018 à 19h49 | Publié le 07/01/2018 à 19h23
VIDÉO - Bureaux ultra-sécurisés à l'adresse gardée secrète, protection rapprochée... Depuis l'attentat de 2015, les journalistes et dessinateurs de l'hebdomadaire satirique exercent leur métier dans des conditions difficiles.
Trois ans après l'attaque à la kalachnikov ayant tué une grande partie de sa rédaction, le journal satirique Charlie Hebdo dévoile dans son dernier numéro les conditions de travail difficiles dans lesquelles exercent ses journalistes et dessinateurs. Pour assurer sa sécurité, la rédaction a déménagé dans des bureaux ultra-sécurisés à l'adresse gardée secrète. Si certains membres de l'hebdomadaire bénéficient d'une protection rapprochée assurée par la police nationale, le journal doit recourir à une société privée pour veiller sur ses locaux et protéger les autres salariés de Charlie. En ajoutant le coût des travaux pour sécuriser les bureaux (sas, blindage, panic room…), «ces investissements atteignent entre 1 et 1,5 million d'euros par an, entièrement à la charge du journal», écrit Riss, directeur de la publication, dans son éditorial.
«Est-il normal pour un journal d'un pays démocratique qu'un exemplaire sur deux vendus en kiosque finance la sécurité des locaux et des journalistes qui y travaillent ?»
Riss, directeur de la publication de « Charlie Hebdo »
«Chaque semaine, au moins 15.000 exemplaires doivent être vendus uniquement pour payer la sécurisation de Charlie Hebdo.» L'hebdomadaire parvient à assurer ces dépenses grâce aux millions d'euros récoltés avec le «numéro des survivants», publié après l'attaque du 7 janvier 2015. Mais «qu'arrivera-t-il le jour où nos réserves seront épuisées? prévient Riss. Est-il normal pour un journal d'un pays démocratique qu'un exemplaire sur deux vendus en kiosque finance la sécurité des locaux et des journalistes qui y travaillent?» En attendant, la rédaction vit dans une «boîte de conserve», avec, à chaque instant, la peur que l'horreur recommence.
À ce jour, Charlie Hebdo vend chaque semaine entre 30.000 et 40.000 exemplaires chez les marchands de presse, auxquels s'ajoutent 40.000 abonnés. On est loin des 260.000 abonnements souscrits au lendemain de l'attentat dans une vague de solidarité et de forte émotion. Mais ces chiffes sont encore largement supérieurs à ce que Charlie pouvait vendre avant janvier 2015: 30.000 exemplaires, dont 10.000 abonnements. Toutefois, les volumes baissent lentement. Il y a un an, le journal satirique vendait 100.000  exemplaires par semaine, soit 30.000 de plus qu'aujourd'hui.
Matelas financier
L'hebdomadaire peut compter sur un épais matelas financier, avec près de 20 millions d'euros en trésorerie, selon les informations de BFM Business. Cette somme a été collectée grâce aux importants chiffres d'affaires de 2015 (63,6 millions d'euros) et de 2016 (19,4 millions d'euros), pour un profit net après impôts de 17 millions d'euros. La quasi-totalité de ce bénéfice a été bloquée en banque pour constituer «une réserve statutaire obligatoire consacrée au maintien ou au développement de l'entreprise», comme l'exige le statut d'entreprise solidaire de presse créé après l'attentat. Aucun dividende n'a été reversé aux deux actionnaires du journal, Riss et Éric Portheault. La promesse d'ouvrir le capital à d'autres actionnaires, énoncée fin 2015, n'a pas encore été tenue.
«Politiquement, “être Charlie” ne fait plus recette»
Agathe André, présidente de l'association Dessinez Créez Liberté
Charlie Hebdo a utilisé une petite partie de ses réserves (1,15 million d'euros) pour éponger ses pertes passées. Une autre partie a financé le lancement fin 2016 d'une édition allemande. Cette dernière a été stoppée en novembre, faute d'un lectorat suffisant. Le projet d'une fondation pour la défense du dessin de presse semble être resté au point mort. L'association Dessinez Créez Liberté, lancée avec SOS-Racisme pour sensibiliser les écoliers à la liberté d'expression, a, elle, du plomb dans l'aile. Charlie Hebdo dénonce l'attitude du ministère de l'Éducation nationale, qui se serait dérobé à ses promesses après les attentats du Bataclan. «Politiquement, “être Charlie” ne fait plus recette», regrette la présidente de l'association, Agathe André.

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Le sobre hommage de Macron à Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher (07.01.2018)
Par Pierre Lepelletier
Mis à jour le 07/01/2018 à 19h34 | Publié le 07/01/2018 à 08h03
VIDÉO - Trois ans après les attentats, le chef de l'État s'est rendu dimanche sur les lieux des attaques de janvier 2015, sans prononcer de discours.
Le pas lourd et le regard ému. Trois ans après les attentats djihadistes contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, Emmanuel Macron s'est rendu dimanche matin sur les lieux des attaques pour rendre hommage aux victimes. Le chef de l'État était accompagné de son épouse, Brigitte Macron, de quatre membres du gouvernement, Gérard Collomb (Intérieur), Nicole Belloubet (Justice), Françoise Nyssen (Culture) et Benjamin Griveaux (porte-parole), ainsi que de la maire de Paris, Anne Hidalgo.
Lecture du nom des morts, dépôt de gerbes, minute de silence et Marseillaise… Comme lors de la commémoration des attaques du 13 novembre 2015, le chef de l'État a fait dans la sobriété, ne prenant à aucun moment la parole. «Les familles ont été claires sur leur souhait d'avoir un hommage très sobre. Cela nous a semblé normal de respecter cela», explique-t-on dans l'entourage du président de la République.
Que ce soit devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, dans le XIe, quelques mètres plus loin sur le boulevard Richard-Lenoir, où le policier Ahmed Merabet avait été tué après l'attaque contre le journal, ou devant l'Hyper Cacher, Emmanuel Macron a pris le temps de glisser quelques mots à l'oreille des familles des victimes.
«C'est un hommage nécessaire. Non seulement pour les familles, mais aussi pour la France, puisque ces attentats ont été dirigés contre tout le pays», estime, émue, Gala Romanov, la veuve de Michel Renaud. Le journaliste était à la rédaction du journal satirique le 7 janvier 2015 pour rendre à Cabu des dessins qu'il lui avait prêtés. Aucun des deux hommes ne survivra à l'attaque.
La commémoration a également été suivie de près par les habitants du quartier. «J'ai regardé l'hommage à la télévision, et j'ai pleuré. Tous les matins, je passe devant les anciens locaux et je leur dis “salut”», raconte une retraitée du coin.

- Crédits photo : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP
La veille, un premier hommage avait été rendu aux Folies Bergère à Paris, à l'initiative de trois associations:le Printemps républicain, le Comité Laïcité République et la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). L'ancien premier ministre Manuel Valls, Anne Hidalgo, la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, et le président de l'Assemblée nationale, François de Rugy, étaient notamment présents. Le but de la journée: rendre hommage aux victimes, mais aussi raviver la flamme de «l'esprit Charlie». Selon un sondage Ifop présenté samedi aux Folies Bergère, seuls 61 % des Français se disent «toujours Charlie», soit une baisse de 10 points par rapport à janvier 2016. «Il y avait une très forte émotion qui, forcément, retombe un peu avec le temps, c'est normal», tempère François de Rugy.
Aux Folies Bergère, il a aussi été question du combat pour la laïcité, souvent «menacée», selon les différents intervenants de la journée. La philosophe Élisabeth Badinter, présente sur scène, a notamment remercié Le Figaro - au même titre que Marianne - pour «ouvrir ses colonnes aux avocats de la laïcité».
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Après des tags antisémites, une épicerie casher incendiée à Créteil (09.01.2018)
Par Esther Paolini et AFP agenceMis à jour le 09/01/2018 à 17h21 | Publié le 09/01/2018 à 11h14
VIDÉO - Les tags avaient été découverts la semaine dernière. Le propriétaire, dont le commerce a été complètement détruit, se dit «écœuré». La piste criminelle est privilégiée.
Après avoir été la cible d'inscriptions de croix gammées mercredi dernier, une épicerie casher de Créteil (Val-de-Marne) a été incendiée dans la nuit de lundi à mardi. «La piste criminelle est privilégiée», a précisé la procureure de Créteil, Laure Beccuau.
Le feu a été signalé entre quatre et cinq heures du matin dans ce magasin du centre commercial Kennedy, situé dans le quartier du Mont-Mesly. «Il y a, a priori, de très gros dégâts», selon la procureure. L'épicerie est complètement détruite et les rayons à l'intérieur sont carbonisés, a constaté l'AFP. D'après des informations du Parisien, confirmées par la préfecture de police auprès du Figaro, «le rideau du commerce a été brisé par un ou plusieurs individus, avant d'y mettre le feu.» C'est maintenant le service départemental de la police judiciaire du Val-de-Marne qui est en charge de l'enquête.
Le propriétaire des lieux, un musulman de 44 ans, a été brièvement hospitalisé après avoir fait un malaise en découvrant l'étendue des dégâts. Il a affirmé à l'AFP être «écoeuré». D'après lui, les deux communautés vivent dans le «respect» à Créteil. «On essaie de créer un conflit qui n'existe pas en France. Qu'on arrête la polémique!», a-t-il lancé.
L'enseigne «Promo & Destock» fait partie des deux magasins casher dont les rideaux métalliques ont été tagués avec des croix gammées rouges le 3 janvier dernier. Le Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme avait alors parlé de criminels ayant «souhaité marquer à leur manière l'anniversaire de l'attentat antijuif» de l'Hyper Cacher de Vincennes. Le ministre de l'Intérieur avait fait part de sa «profonde indignation» face à ces «inscriptions antisémites». Depuis, l'enquête a été confiée au commissariat de Créteil.
Une volonté de semer «la terreur»
Cet incident intervient trois ans jour pour jour après l'attaque djihadiste d'Amedy Coulibaly contre l'Hyper Cacher - un supermarché de l'est parisien - qui avait causé la mort de trois clients et d'un employé juifs. Ce qu'a déploré l'ambassadrice d'Israël, Aliza Bin Noun, sur son compte Twitter: «Trois ans après le massacre de l'Hypercacher je condamne l'incendie d'une épicerie cacher à Créteil. Cette nouvelle attaque contre la communauté juive est une provocation honteuse et prouve l'importance de la poursuite du combat contre l'antisémitisme».
Albert Elharrar, président de la communauté juive de Créteil a également fait part de sa vive émotion: «C'est quelque chose qui nous remue. On essaie de vivre et d'oublier, de trouver la quiétude, mais il y a des éléments qui sèment la terreur», a-t-il regretté à l'AFP. Alors que le propriétaire est de confession musulmane, Albert Elharrar y voit la volonté, pour les auteurs de l'incendie, de «sanctionner à leur manière le gérant musulman de ce commerce et de le punir pour avoir osé ouvertement déclarer qu'il n'avait lui, un musulman, aucun problème à vendre des produits casher et israéliens destinés à la clientèle juive».
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Égypte : Noël sous tension pour les coptes (07.01.2018)

Par Jenna Le Bras
Mis à jour le 07/01/2018 à 22h18 | Publié le 07/01/2018 à 17h09
REPORTAGE - Endeuillés par une année meurtrière, les chrétiens d'Égypte ont célébré Noël sous haute surveillance policière.
Le Caire
Retransmise en direct à la télévision égyptienne, la cérémonie s'est voulue grandiose, même si elle a littéralement essuyé les plâtres. Devant une foule de 8200 fidèles, le pape copte orthodoxe Tawadros II, très proche des autorités actuelles, est apparu souriant et a salué «sa reconnaissance et sa gratitude envers les forces armées qui servent la nation, maintiennent la sécurité et la stabilité du pays».
À ses côtés de nombreux officiels, les représentants de l'institution musulmane al-Azhar et Abdel Fattah al-Sissi. Le président égyptien est devenu coutumier de cet événement: il est le premier chef d'État à se rendre aux messes de Noël copte et ce pour la troisième année consécutive. Dans l'église flambant neuve de la Nativité, la plus grande du Moyen-Orient, sortie de terre dans la nouvelle capitale administrative en construction, il a assuré que «l'inauguration partielle de cette cathédrale est un message de paix et d'amour de l'Égypte, pas seulement au pays et à la région mais au monde entier».
«Toute cette propagande fait oublier que 15 églises ont été fermées récemment car c'est plus simple pour les autorités de les fermer plutôt que de les protéger»
Ishak Ibrahim, militant de la défense des droits des chrétiens
Naguib Gibrail faisait partie des chanceux triés sur le volet présents dans la nef: «Je suis extrêmement content. Cette cérémonie prouve que l'Égypte ne fait qu'une, que musulmans et chrétiens sont ensemble. Le président al-Sissi l'avait promis et il l'a fait. Nous avons beaucoup souffert du terrorisme l'année passée, mais nous sommes heureux d'être témoins de ça et contents de célébrer ce Noël en dépit des incidents récents», assure cet avocat.
Pour Ishak Ibrahim, pourtant, cette cérémonie était «une mauvaise idée». «On envoie un message de bonheur, ce n'est pas approprié une semaine après une tuerie de masse contre des chrétiens, dit-il. Et toute cette propagande fait oublier que 15 églises ont été fermées récemment car c'est plus simple pour les autorités de les fermer plutôt que de les protéger. Cela fait oublier les 24 incidents sectaires qui ont eu lieu depuis octobre 2016. Cela fait oublier les refus de permis des autorités pour la construction de nouvelles églises», assure ce militant de la défense des droits des chrétiens. «Je n'ai pas souhaité y aller, je ne veux pas participer à cette mascarade», explique-t-il.
D'autres, comme Ishak, se sont aussi rendus dans leur église habituelle pour célébrer la naissance de Jésus, par manque de places disponibles ou juste par fidélité à leur communauté. Dans le centre-ville du Caire, l'église de Bab el-Louk a été barricadée comme un bunker. Le pâté de maison est bouclé depuis la veille. Devant un portail de sécurité métallique, plusieurs hommes en armes guettent les va-et-vient et balancent des mamnou' («interdit») à toutes les gueules qui ne leur reviennent pas.
Depuis un an, plus de 107 chrétiens ont perdu la vie dans des attentats d'envergure, beaucoup ont aussi dû fuir leur maison du Nord-Sinaï pour échapper aux exécutions ciblées
C'est finalement en plein service que le père Nader surgit sur le perron: «Laissez entrer!», s'agace-t-il. «Désolé, mais les policiers ont des instructions, il y a énormément de sécurité», s'excuse le religieux qui disparaît aussi vite. Il n'est pas 9 heures du matin, mais le lieu de culte voit ses premiers fidèles arriver.
Un nuage entêtant de myrrhe flotte dans l'air et s'élève dans la coupole marquetée. Les mains sont levées vers le ciel et, sous les voiles des femmes, la ferveur prend un visage paisible. Sous le regard des douze apôtres légèrement souriants, on s'échange des vœux en silence, balaye du bout des doigts le sol avant de les porter à sa bouche et ferme les yeux en recevant les éclaboussures d'eau bénite. Une porte s'entrouvre laissant entrer un vent d'air frais.
Dehors, des sirènes de police retentissent. «N'ayez pas peur, Dieu veille sur vous», assure l'homme qui officie. Depuis un an, la communauté copte est victime d'attaques ciblées de la part de l'organisation de l'État islamique: plus de 107 chrétiens ont perdu la vie dans des attentats d'envergure, beaucoup ont aussi dû fuir leur maison du Nord-Sinaï pour échapper aux exécutions ciblées dont ils sont victimes. Ces récentes attaques s'inscrivent dans un cycle de violences entamé en 2013 avec la destitution par l'armée du président islamiste Mohammed Morsi, qui a renforcé l'insurrection djihadiste dans le pays. Des centaines de policiers, de soldats et de civils ont été tués.
«On est un peu tout le temps dans l'attente de la bombe, de la balle ou du couteau du terroriste»
Ramy, copte
«Le contexte est difficile, mais pour nous ça ne change rien et, pour les fidèles, les derniers événements grandissent leur ferveur, ça les motive encore plus à se réunir, à prier, assure le prêtre Nader. Bien sûr, nous sommes profondément désolés pour les martyrs, mais il faut être persévérant dans sa foi. Nous n'avons pas peur, on s'en remet à Dieu et on prie quoi qu'il arrive. En vérité, ceux qui ont les jambes qui flageolent le plus, ce sont les policiers dehors», assure-t-il.
Sur le bitume, ce sont 230.000 policiers qui participent au plan de protection des 2626 églises à travers le pays. Si beaucoup se disent satisfaits de ces mesures, d'autres notent que la police a rarement empêché des attaques contre les coptes dans le passé. «Ce n'est pas le nombre qui fait la sécurité, c'est la préparation. Ce n'est pas tout d'avoir des armes, il faut savoir s'en servir», tranche Ramy, agacé par l'attaque de l'organisation de l'État islamique survenue la semaine dernière dans une église de Helwan. L'assaillant a tué dix personnes et a été poursuivi et arrêté par un badaud du voisinage.
Quelques minutes avant le début de la messe nocturne, des tanks et de longs corridors de sécurité ont aussi été installés devant l'église de la Vierge Marie à Dokki. À l'entrée, pièces d'identité et croix tatouées sur le poignet font office de pass d'entrée. À l'intérieur, les mêmes fronts posés contre les bancs de prière en bois, les mêmes nuages d'encens, les mêmes chants, les mêmes mains tendues vers la voûte ornée de dorures. S'étendant traditionnellement jusque tard dans la nuit, la messe de Noël, cette année, a été raccourcie et ne s'est tenue que jusqu'à minuit, ou 23 heures dans les zones les plus à risque. «Les fidèles ont aussi interdiction de rester devant le lieu de culte, avant et après la cérémonie», précise l'un des religieux. «On est contents de fêter Noël, mais il intervient dans le sang et les “booms”», se désole encore Ramy. «On est un peu tout le temps dans l'attente de la bombe, de la balle ou du couteau du terroriste, explique-t-il. J'ai le sentiment que si ce n'est pas moi, ce sera mon frère ; si ce n'est pas ce soir, ce sera demain.»

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Jenna Le Bras


Françoise de Bourbon Lobkowicz, au nom du Liban (08.01.2018)
Par Jean-Baptiste Semerdjian
Mis à jour le 08/01/2018 à 20h00 | Publié le 08/01/2018 à 18h54
Cette descendante de Saint Louis vient de célébrer les 30 ans de son association Malte-Liban, dont l'objet est de recueillir les fonds nécessaires pour promouvoir les opérations de l'Ordre de Malte au Liban
«Avoir peur? C'est impossible. J'avais peur pour les autres, pas pour moi.» C'est ce que répond Françoise de Bourbon-Lobkowicz quand on lui demande si l'idée de faire demi-tour aurait pu traverser son esprit, lorsqu'elle menait des convois de médicaments vers les victimes de bombardements au Sud-Liban, en 1985.
Héritière d'un nom qui porte l'histoire de France, mariée avec un prince de Bohême, Édouard de Lobkowicz, à Notre-Dame de Paris… Au premier abord, la fondatrice de l'association caritative de soutien à l'Ordre de Malte au Liban, avec ses bracelets en or qui cliquettent au poignet, fait bien plus princesse qu'amazone de l'humanitaire.
Il faut dire que princesse, Françoise de Bourbon-Lobkowicz l'est. Il sied d'ailleurs de l'appeler ainsi. À bientôt 90 ans, cette descendante directe de Saint Louis et Louis XIV a clairement hérité de la piété de l'un et de la force d'esprit de l'autre. Petit détail, elle entend mal. «Depuis la violente agression dont j'ai été victime, je suis de plus en plus sourde.» C'était en 1996, dans les rues de Paris. Une agression probablement liée au poste d'ambassadeur de l'Ordre souverain de Malte au Liban qu'occupait alors son époux. Elle fait donc répéter ses interlocuteurs en riant de ce léger handicap. Françoise de Bourbon-Lobkowicz rit beaucoup. Elle a pourtant côtoyé le pire.
8 juin 1928 : Naissance à Paris7 janvier 1960 : Mariage avec le Prince Edouard de Lobkowicz à Notre-Dame de Paris1979 : Rencontre le pape Jean-Paul II1980 : S'installe au Liban avec son époux1987 : Crée l'association Malte Liban1990-1995 : Participe à la délégation du Saint Siège aux Nations Unies à New-York2 août 1995 : Victime d'une agression à ParisJanvier 2016 : Met en ligne le site de son association Malte Liban
C'est un matin très tôt, durant l'Occupation, que son père fut arrêté par les nazis puis déporté au camp de Dachau, en Bavière. «Il les a tellement insultés qu'ils n'ont pas osé emmener le reste de la famille», affirme-t-elle en regardant une photo de ses parents accrochée au mur dans son appartement des beaux quartiers de Paris. «Le prince de Bourbon est un exemple pour tous, et je dois m'incliner devant une telle personnalité», écrivit alors son codétenu Léon Blum. Un «rouge» qui complimente le sang bleu! À la Libération, son père rentre sain et sauf.
«Comme je parlais allemand, je suis partie avec le Secours catholique en Autriche, car il y avait l'exode des Hongrois qui fuyaient la révolution de 1956. Et après avoir pris des risques là, je suis allée à Berlin-Ouest pour soigner ceux qui fuyaient l'URSS.»
L'actuel président du Sénat, Gérard Larcher, loue «une femme avec une foi exceptionnelle qui a consacré sa vie aux autres». Quand son mari est nommé au Liban en 1980, elle s'investit spontanément pour ce pays meurtri. Françoise de Bourbon-Lobkowicz parle beaucoup du Liban, son pays de cœur, déchiré par la guerre et les bouleversements régionaux depuis des années.
Elle raconte comment elle a accompagné son mari sur le terrain pour la construction et le développement des douze centres médico-sociaux de l'Ordre de Malte. Des centres ouverts à tous, fidèles à la formule de Pasteur, que l'Ordre de Malte a faite sienne «Je ne te demande pas quelle est ta race ou ta religion, mais quelle est ta souffrance.»
Dans les récits qu'elle fait avec passion, les réfugiés affluent, les médicaments manquent, les civils s'entraident miraculeusement et les balles sifflent. «Quand on a eu une kalachnikov pointée dans le dos, on en oublie la date», dit-elle, dans une pirouette, pour justifier un trou de mémoire. Le pape Jean-Paul II, à l'origine de la nomination de son mari, déclarait que ce pays était un message au monde entier («La disparition du Liban serait sans aucun doute l'un des grands remords du monde. Sa sauvegarde est l'une des tâches les plus urgentes et les plus nobles, que le monde d'aujourd'hui se doit d'assumer», avait-il notamment déclaré). La princesse l'a pris au pied de la lettre. Elle est devenue un messager. «C'est impossible de ne pas être sensible à 6000 années d'histoire. Tous les conquérants sont passés là! Quand on touche à ce pays, on touche aux racines culturelles du monde», tranche-t-elle.
«Évoquer nos religions pour trouver nos points communs»
En 1987, Françoise de Bourbon-Lobkowicz crée donc l'association Malte Liban grâce à laquelle elle récolte des fonds - auprès de donateurs surtout français - pour promouvoir les opérations de l'Ordre de Malte au Liban au service des pauvres et des malades.
Trente années plus tard, les résultats sont au rendez-vous: les centres soignent plus de 200.000 personnes par an grâce aux dons de particuliers et d'organisations comme la Fondation Pierre Fabre ou encore le ministère français des Affaires étrangères. Françoise de Bourbon-Lobkowicz tient à souligner la diversité de l'origine des fonds. Elle est très touchée par les plus modestes, accompagnés de lettres sur lesquelles il est parfois sobrement marqué: «Nous donnons 10 euros. Priez!», mais apprécie évidemment aussi les dons de «gens très fortunés». «Cela ne suffit jamais», déplore-t-elle cependant.
«Tous les jours, ses infirmières travaillent voilées avec la croix de l'ordre de Malte sur la poitrine. Elles en sont très fières !»
Françoise de Bourbon-Lobkowicz
Comme elle est peu prolixe pour égrener ses propres actes de bravoure, elle qui, aujourd'hui encore, se rend toujours sur le terrain pour visiter les centres, s'informer de leurs besoins, témoigner de leur quotidien, il faut interroger l'actuel ambassadeur de l'Ordre de Malte au Liban et président de l'association, Charles-Henri d'Aragon, pour en savoir plus. «Ils ont construit ces centres afin de protéger les chrétiens là où ils étaient le plus menacés, pour recréer du lien avec les autres communautés, principalement musulmanes.» La princesse aime d'ailleurs parler de Mme Rabab Sadr, une personnalité chiite très respectée qui gère l'un des centres près de Cana. «La seule chose qui l'intéresse, c'est d'évoquer nos religions pour trouver nos points communs. Tous les jours, ses infirmières travaillent voilées avec la croix de l'ordre de Malte sur la poitrine. Elles en sont très fières!»
Son engagement, Françoise de Bourbon-Lobkowicz l'a aussi porté aux Nations unies, entre 1990 et 1995, comme membre de la délégation du Saint-Siège. «On y voyait très bien le jeu international contre le Liban», glisse-t-elle. Les mêmes tensions internationales qui apparurent dans la lutte contre Daech. D'ailleurs, quand l'État islamique s'approcha d'un centre de l'ordre de Malte, au nord du pays, «il fallut littéralement ligoter la princesse pour l'empêcher d'y aller», assure, sourire en coin, d'Aragon. Elle avait peur pour les autres. Pas pour elle.

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L'île de Ngor, le refuge de France Gall au Sénégal, perd sa bienfaitrice (09.01.2018)
Par AFP agence et Léa DuboisMis à jour le 09/01/2018 à 15h30 | Publié le 09/01/2018 à 15h22
VIDÉOS - La chanteuse possédait une maison sur cette petite île face à Dakar. Elle y avait montré son amour par sa générosité et son investissement dans des œuvres caritatives. À l'annonce de son décès, les habitants du village étaient en deuil.
À trois minutes de pirogue de Dakar, la petite île de NGor, surnommée «NGor la belle», pleurait dimanche la chanteuse française France Gall, qui y possédait une maison. Les ruelles de l'îlot de tranquillité face à l'océan Atlantique étaient pratiquement vides.
Dans un quartier résidentiel de la capitale sénégalaise, son restaurant, le Noflaye Beach, a gardé les volets baissés. «Pour cause de décès de France Gall, le restaurant est fermé pour deux jours», indique une affiche. À travers la porte de l'établissement, situé en bord de mer, le gérant, visiblement ému, refuse de parler aux journalistes. «C'est trop douloureux», lâche-t-il simplement.
Abdoulaye Diallo, artiste peintre qui tient une galerie d'art sur l'île, la connaissait bien. Ensemble, ils avaient créé l'Association des Amis de l'île de Ngor, action/école pour venir en aide aux plus démunis. «Elle était d'une générosité extraordinaire et très discrète. C'était la première à participer pour faire avancer l'île et pour participer aux actions caritatives», se souvient-il.
Cette générosité discrète a beaucoup marqué les habitants de Ngor. Sans jamais revendiquer ses actions, France Gall s'engageait avec ferveur pour aider les plus démunis. En 2007, trois classes étaient créées par la chanteuse dans l'école maternelle du village. Le lundi 8 janvier, au lendemain de son décès, «les élèves lui ont rendu hommage en chanson», rapporte Samba Diop, pêcheur et guide du village.
En 1987, France Gall rendait déjà hommage au Sénégal. Écrite par Michel Berger, sa chanson Babacar demeure aujourd'hui encore l'une des plus appréciées de la chanteuse. Elle est inspirée d'une histoire vécue par l'interprète de Résiste quand elle était en mission humanitaire dans le pays.
Ainsi, c'est l'une des leurs que pleurent aujourd'hui les habitants de Ngor. «Elle appréciait la qualité des relations humaines ici; la gentillesse et la tolérance des gens de ce village», raconte Joel Mornet son voisin depuis six ans.
Pour l'auteur-compositeur Youssou N'Dour, France Gall était «une sœur pour nous au Sénégal.» Elle était celle qui avait «montré et démontré son amour pour le pays, et son attachement pour la ville de Dakar et pour l'île de Ngor».
Dimanche 7 janvier, le site d'information Dakaractu titrait dans un dernier hommage: «France Gall, la Française la plus sénégalaise est décédée».
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Cent femmes défendent la "liberté d'importuner" des hommes (09.01.2018)
Par Julie Mazuet | Le 09 janvier 2018

Dans une tribune au Monde, un collectif de cent femmes - dont l'actrice Catherine Deneuve et l'écrivain Catherine Millet - s'insurge contre les dérives du mouvement «Me Too».
Il y a eu les révélations fracassantes sur le producteur américain Harvey Weinstein, la libération de la parole des femmes à l'échelle mondiale, le mouvement «Time's Up» lancé par plus de 300 actrices hollywoodiennes en soutien aux victimes de harcèlement et d'agressions sexuels et la cérémonie engagée des Golden Globes avec son dress code «toutes et tous en noir». Restera, peut-être aussi, la tribune au Monde d'un collectif de cent femmes qui s'insurge contre les dérives du mouvement «Me Too».
Cent femmes, parmi lesquelles la star Catherine Deneuve, la dessinatrice Stéphanie Blake, l'animatrice Brigitte Lahaie ou encore l'actrice Ingrid Caven (retrouvez la liste ici), ont adhéré à ce long texte, co-écrit par cinq femmes, et intitulé : «Nous défendons une liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle
"Haine des hommes"
«La liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d'importuner», peut-on y lire. «Nous sommes aujourd’hui suffisamment averties pour admettre que la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage, mais nous sommes aussi suffisamment clairvoyantes pour ne pas confondre drague maladroite et agression sexuelle.»
Sans renier la «nécessaire» et «légitime prise de conscience des violences sexuelles exercées sur les femmes», les adhérentes craignent que cet affranchissement ne se retourne contre les principales intéressées, à savoir les femmes. «Nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui, au-delà de la dénonciation des abus de pouvoir, prend le visage d’une haine des hommes et de la sexualité», développent les signataires.
"Puritanisme"
Pour continuer la lutte contre les violences faites aux femmes, sans pour autant tomber dans un «puritanisme» qui consisterait à enchaîner les femmes à «un statut d'éternelles victimes» et de «pauvres petites choses» à la merci des hommes, le collectif estime «qu'il est plus judicieux d’élever nos filles de sorte qu’elles soient suffisamment informées et conscientes pour pouvoir vivre pleinement leur vie sans se laisser intimider ni culpabiliser». Quid de nos garçons ?

Les correcteurs de l'édition dénoncent «l'ubérisation» de leur statut (09.01.2018)
Par Le figaro.fr et AFP agenceMis à jour le 09/01/2018 à 13h55 | Publié le 09/01/2018 à 10h01
«Sous-salariés», «tarifs dérisoires»... Les correcteurs du monde de l'édition, soutenus par l'académie Goncourt, se réunissent ce mardi 9 janvier devant le siège du Syndicat national de l'édition. Ils dénoncent la précarisation de leur statut.
«Deliveroo de l'édition, coursiers de la langue française», les correcteurs ont prévu de manifester ce mardi matin 9 janvier devant le siège du Syndicat national de l'édition (SNE) à Paris. Ils dénoncent la précarisation croissante de leur statut et exigent la fin de «l'ubérisation de l'édition».
«Nos conditions de travail sont extrêmement précaires: travailleurs à domicile, isolés, nous avons le plus grand mal à faire valoir nos droits», a expliqué à l'AFP Michèle Fernandez, membre du collectif des correcteurs précaires qui appelle à cette manifestation. Une incompréhension d'autant plus grande pour les correcteurs, que, «sans préparateurs, sans correcteurs compétents et formés comme nous le sommes, les livres ne peuvent être publiés», rappellent ces derniers dans un communiqué.
Le SNE, organe professionnel représentatif des éditeurs, a de son côté annoncé lundi 8 janvier qu'une réunion aurait lieu ce mardi entre la Commission sociale du SNE et les organisations sociales représentatives pour discuter de «la refonte et la sécurisation» du statut des travailleurs à domicile dans l'édition de livres. Le SNE a souligné que quatre réunions sur ce thème ont déjà eu lieu depuis octobre 2017. «Fruit d'une concertation sérieuse et constructive, ces discussions devraient permettre une avancée concrète dans l'évolution du statut des travailleurs à domicile (TAD) dans l'édition de livres», affirme le SNE.
«Nos CDI nous contraignent à une rémunération fluctuante et à des périodes de chômage imposé non rémunéré et non indemnisé. Aucune obligation de salaire mensuel minimum n'est faite aux employeurs», déplorent les correcteurs qui ont lancé une pétition pour dénoncer leurs conditions de travail. Cette dernière a recueilli plus de 7.500 signatures dont celles de nombreux écrivains et de tous les membres de l'académie Goncourt.
Longtemps salariés des maisons d'édition, les correcteurs (au nombre d'environ 700 en France) sont aujourd'hui poussés vers l'autoentrepreneuriat pour travailler à des tarifs réduits, dénonce également le collectif.
«Les maisons d'édition nous laissant sans travail pour le confier à des autoentrepreneurs qui n'ont d'autre choix que d'accepter des tarifs horaires dérisoires, dans des conditions relevant du salariat déguisé», explique encore Michèle Fernandez.
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À Bagdad, l'haltérophilie au féminin renverse les clichés (08.01.2018)

Par Emilienne Malfatto
Mis à jour le 08/01/2018 à 17h53 | Publié le 08/01/2018 à 17h22
REPORTAGE - La banlieue chiite de Sadr City est plus réputée pour ses attentats sanglants que pour les exploits de ses sportives. C'est pourtant dans ce quartier ultraconservateur de Bagdad qu'une équipe de jeunes filles soulève de la fonte avec à sa tête Huda, championne d'Irak d'haltérophilie.
À Bagdad
Les mains sont blanchies par la magnésie, cette poudre qui permet une meilleure prise. Le regard est fixe. Le visage rougi. Les muscles bandés dans la préparation de l'effort à venir. Elle expire bruyamment, deux fois, dans l'air déjà saturé de sueur. Crispe le visage. Un cri. Alors Huda Salem, 20 ans, soulève soixante-dix kilos de fonte. Sa silhouette massive, musclée, moulée dans un caleçon de sport, se détache sur les parois du gymnase.
Derrière elle, sur le mur du fond, des lettres géantes rappellent que «Dieu est le plus grand». Allah akbar, la devise du drapeau irakien. La scène se passe à Sadr City, banlieue déshéritée du nord-est de Bagdad. Le quartier est plus renommé pour ses attentats que pour ses exploits sportifs. Habité quasi exclusivement par une population chiite, Sadr City est régulièrement visé par des groupes extrémistes sunnites, comme l'organisation État islamique (EI).
Le quartier est aussi et surtout un bastion des conservateurs - l'une des rares zones de la capitale irakienne où les femmes portent systématiquement l'abaya, le voile intégral noir, par-dessus leur hijab. Ce n'est pas pour rien qu'il s'appelle Sadr City, du nom du controversé leader politique et religieux Moqtada Sadr, ennemi juré de l'armée américaine dans les années 2000. Avant 2003, l'endroit s'appelait «Saddam City», en hommage à Saddam Hussein. Avant cela encore, «Madinat al Thawra», la ville de la révolution. Mais seuls les vieux s'en souviennent.
Plus de deux millions de personnes s'entassent dans cette banlieue délabrée. Alors, entraîner des jeunes filles à soulever de la fonte, au nez et à la barbe - c'est le cas de le dire - des interdits sociaux, il fallait oser
Le quartier, construit au début des années 1960, se voulait un espace de vie moderne, rationalisé, construit selon un plan en damier et divisé en «secteurs». Raté. Les familles s'entassent - les conflits successifs ont fait affluer des vagues de déplacés. Des habitations sauvages - presque des bidonvilles - ont vu le jour. L'électricité est une vaste plaisanterie, le tout à l'égout, une utopie. Plus de deux millions de personnes s'entassent dans cette banlieue délabrée. Alors, entraîner des jeunes filles à soulever de la fonte, au nez et à la barbe - c'est le cas de le dire - des interdits sociaux, il fallait oser.
Le «Professeur Abbas» entend garder ses filles sous une autorité incontestée et sans partage. Et, à ce titre, tient à ce que les athlètes soient célibataires. Être mariée ou fiancée, c'est incompatible, assure-t-il
L'idée est venue d'un homme. Originaire du quartier. La cinquantaine, grisonnant, râblé, Abbas Ahmed Abbas a le visage sévère et des lunettes dont les reflets empêchent de distinguer bien les yeux. Il les ôte promptement - accès de coquetterie inattendu - si on sort un appareil photo. Il dirige ses filles d'une main de fer. Pas de numéro de téléphone - l'appareil en lui-même est admis, pas la carte SIM -, pas de petit copain, pas d'e-mail ni de réseaux sociaux. «Tout ça, c'est dangereux», assène-t-il sans plus d'explication.
Il entend garder ses filles sous une autorité incontestée et sans partage. Et, à ce titre, tient à ce que les athlètes soient célibataires. Être mariée ou fiancée, c'est incompatible, assure-t-il. Une des jeunes filles avoue néanmoins avoir un «amoureux» dont elle montre furtivement le portrait, loin des yeux et des oreilles de celui qu'on appelle ici, respectueusement, Ustad Abbas. «Professeur Abbas».
«Au début j'étais entraîneur de l'équipe nationale masculine d'haltérophilie et, dans ce cadre, je voyageais à l'étranger», se souvient-il. «Dans les compétitions, je voyais les filles étrangères, asiatiques, arabes… C'est ça qui m'a donné l'idée de créer une équipe féminine.» C'était en 2011. Aujourd'hui, il entraîne neuf jeunes femmes âgées de 16 à 20 ans. Tous les jours sauf le vendredi - jour de repos musulman -, les athlètes se retrouvent dans une ancienne base militaire reconvertie en palestre de fortune.
Le salaire de la sueur
Les haltères sont vétustes, les tatamis élimés, les murs écaillés - sauf celui qui arbore le drapeau national. Peu ou pas d'aide gouvernementale, même si les athlètes reçoivent un salaire de l'État - 500 dollars par mois et 700 dollars pour Huda Salem, star de l'équipe, championne nationale. Elle peut soulever jusqu'à 111 kg en épaulé-jeté, technique qui consiste à tirer l'haltère depuis le sol jusqu'aux épaules, puis à la pousser au-dessus de la tête, bras tendus.
Ce record personnel date des Jeux asiatiques, tenus au Turkménistan en avril 2017. Huda s'y est classée quatrième dans sa catégorie. «Bientôt, inch'Allah, je soulèverai davantage.» Avant l'effort, elle crie le nom de l'imam Ali ou de l'imam Hussein, deux figures centrales de l'islam chiite. «Je les invoque, c'est comme une bénédiction, une façon de me donner de la force.»
Chacune, ici, est libre de s'habiller comme elle veut. Libre également de se couvrir ou non la tête
Les filles, toutes originaires de Sadr City, partagent la salle de sport avec d'autres clubs sportifs du quartier. Des clubs masculins, donc. Cela ne pose pas de problème. Un vent de liberté, un rapport serein au corps et au sexe opposé - du moins plus serein qu'il l'est d'ordinaire dans la société irakienne - semblent prévaloir entre les murs du gymnase.
Chacune, ici, est libre de s'habiller comme elle veut - manches longues ou courtes, par exemple. Libre également de se couvrir ou non la tête. Zohra laisse son chignon à l'air libre tandis que Khadija arbore un petit bonnet. Deux adolescents - dont le fils d'Abbas - s'entraînent parfois avec elles. En toute tranquillité. «C'est normal, c'est le sport. On est ici pour s'entraîner, pas pour autre chose», lâche Huda en haussant les épaules, comme pour montrer que la question des rapports hommes-femmes n'a, ici, que peu d'importance.
C'est pourtant la tendance inverse qui semble prévaloir dernièrement en Irak. Les femmes y ont vu de facto leurs libertés restreintes au cours des dernières années. Dernier exemple en date: en novembre 2017, des députés ont proposé de légaliser le mariage des fillettes chiites à partir de 9 ans, provoquant un tollé dans le pays et à l'étranger. La loi actuelle, qui date de 1959, interdit officiellement le mariage avant 18 ans.
«On va voir les parents, on leur explique, et ils voient qu'il ne se passe rien de choquant ni de répréhensible ici»
Abbas ­Ahmed Abbas, professeur d'haltérophilie
L'équipe d'Abbas Ahmed Abbas apparaît comme un ovni dans ce contexte. Une majorité d'Irakiens ignore même son existence. Mais, à Sadr City, les choses se passent étonnamment bien - la plupart du temps, du moins. Entraîneur et athlètes connaissent les codes, les limites à ne pas dépasser. «Les familles des filles sont d'accord pour qu'elles viennent s'entraîner», explique le coach, même s'il avoue devoir composer avec les sensibilités du quartier. «On va voir les parents, on leur explique, et ils voient qu'il ne se passe rien de choquant ni de répréhensible ici.» Abbas a même un minivan dans lequel il transporte les sportives, de la maison au gymnase, du gymnase à la maison.
Parfois pourtant, comme aujourd'hui, Huda rentre à pied avec sa petite sœur Hadeel, 17 ans, elle aussi membre de l'équipe. Leurs parents habitent à moins de cinq cents mètres de la salle d'entraînement. Une fois changées, avant de sortir du gymnase, les deux sœurs au teint cuivré enfilent un hijab et une chemise longue sur leurs jeans. Rien de plus - pas d'abaya.
Un père, milicien en survêtement
Sortie dans la rue. Retour à la réalité. D'immenses panneaux font la promotion de milices chiites. Sur l'un d'eux, un combattant, la tête couverte de vert émeraude - couleur de l'islam -, affronte seul une armée indistincte brandissant des drapeaux américains, britanniques et israéliens. Un peu partout, le visage agrandi de Moqtada Sadr flotte sur des drapeaux - l'œil torve mais les traits étonnamment poupins sous l'inévitable turban noir.
La famille Salem habite une maison de briquettes nues écrasée entre deux autres masures dans une rue de terre battue. Deux étages, un toit-terrasse. Des colombes qui roucoulent dans leur cage. Les filles regagnent leur chambre, au premier. Au mur, un ours en peluche géant rapporté d'une compétition à Doha. Et l'inévitable portrait de l'imam Hussein, stylisé, beau et tragique, les yeux fardés de khôl rivés à jamais sur l'écran plat qui, en face, diffuse des clips dignes de MTV - version monde arabe - que Hadeel regarde passionnément.
Et puis, dans deux boîtes, il y a les - nombreuses - médailles. Le père des deux sœurs fouille parmi les rubans, exhibe les récompenses. Salem Ne'am, grand et maigre, la cinquantaine bien tassée, ne pourrait pas être plus fier de ses filles. Lui-même adore le sport, il a été entraîneur de football, continue de s'habiller en survêtement, suit passionnément les matchs - la question classique ici, Real ou Barça, est rapidement soulevée.
Mais M. Ne'am, à l'image de l'Irak, est pétri de contrastes. Il est également membre des milices chiites Hashd al-Shaabi, plus connues pour leurs idées conservatrices que pour leur soutien au sport féminin. En 2014, il a même pris les armes pour se battre contre l'EI qui approchait dangereusement de Bagdad, raconte-t-il simplement, assis par terre dans le salon où son fils cadet sert le thé. La décoration elle-même est à l'image des nuances de la société irakienne: la pièce est tapissée de photos de football et de Huda en compétition. Et, collé sur la porte du frigo, Moqtada Sadr, en version sticker, observe la championne d'un œil sombre.
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