vendredi 22 décembre 2017

Islamisme et politique 29.12.2017

«Génération porno» : la fabrique du porc (29.10.2017)
Nouvel An à Berlin : une «zone de sécurité» dédiée aux femmes (30.12.2017)
Grèce : un militaire turc obtient l'asile (30.12.2017)
Saint-Sylvestre: 140.000 agents de sécurité et de secours mobilisés (29.12.2017)
Turquie : ceux qui résistent encore à Erdogan (29.12.2017)
Saint-Pétersbourg : l'auteur de l'attentat interpellé
Le président turc Erdogan en France vendredi prochain (30.12.2017)
Un médecin stagiaire jugé pour sa barbe (29.12.2017)
La démocratie face au danger des autoritarismes (28.12.2017)
À Menton, les policiers aux frontières se font porter pâle (29.12.2017)
Tom Wolfe : «Le politiquement correct est devenu l'instrument des classes dominantes» (29.12.2017)
Shiori Ito, l'affaire de viol qui secoue le Japon (27.12.2017)
Rencontre avec l'homme qui a éliminé Ben Laden (28.12.2017)
Histoire de France : arrêtons les mensonges (29.12.2017)


«Génération porno» : la fabrique du porc (29.10.2017)
Par Thérèse Hargot
Mis à jour le 30/10/2017 à 15h28 | Publié le 29/10/2017 à 17h12
FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour la sexologue Thérèse Hargot, il faut agir contre la pornographie et l'hypersexualisation de la jeunesse si on veut lutter contre le harcèlement.
Les porcs que l'on balance, ce sont nos maris, nos frères, nos fils, nos oncles, nos grands-pères, nos amis, nos collègues, nos professeurs, nos religieux, nos employeurs. Exit le grand méchant loup. Le porc est parmi nous. Un flot incessant de témoignages déferle sur la Toile. On a attendu l'aval des célébrités pour enfin dire, enfin dénoncer. Moi aussi, moi aussi. Oui, comme ces femmes adulées mondialement pour leur corps de rêve, objet de tous les fantasmes dans leur robe immensément sensuelle, moi aussi. Face à la perversité, nous sommes à égalité. Et c'est un soulagement. «Ah bon, je ne suis pas seule?» Pourtant, dans le secret de mon cabinet, c'est quotidiennement et plusieurs fois par jour qu'elles me confient l'agression, le harcèlement, l'attouchement, le viol subi.
J'ai fini par douter qu'il puisse exister une femme au monde qui n'ait jamais perçu dangereusement son corps féminin. J'ai fini par douter aussi qu'il puisse exister un homme sur terre qui n'ait jamais été «ce porc», en pensée ou en acte. Comment pourrait-il en être autrement? N'est-ce pas ce qui nous est demandé à nous, les femmes, que d'être objets de jouissance? N'est-ce pas ce qui est demandé à vous, les hommes, que d'être consommateurs de ces objets? Et ne dit-on pas qu'il faut «jouir sans entraves»? Je suis née en 1984 et pardonnez-moi si je n'ai pas bien compris la leçon. Je veux dire la leçon de morale à laquelle on assiste depuis quelques semaines. Pourquoi s'offusquer tout d'un coup?
La fabrique à pouf et à porc commence très tôt. Il s'agit, non pas d'une «culture», comme le disent les féministes, mais au contraire d'un principe d'acculturation
Déshumaniser femmes et hommes, faire des premières des appâts et des seconds des porcs à qui on peut faire avaler n'importe quoi en les maintenant au stade pulsionnel de leur développement pour favoriser l'achat compulsif, c'était l'objectif, non? Sinon comment voulez-vous que la société de consommation puisse-t-elle fonctionner? La fabrique à pouf et à porc commence très tôt. Il s'agit, non pas d'une «culture», comme le disent les féministes, mais au contraire d'un principe d'acculturation. Là où la différence des sexes était apprivoisée par la civilité, elle est aujourd'hui caricaturée dans l'univers marchand.
Pendant que des pseudo-féministes s'acharnent à faire disparaître les Blanche Neige et Belle aux Bois dormant des bibliothèques des enfants par peur, pensez donc, que les petites filles veuillent épouser des preux chevaliers, on bombarde ces jeunes esprits à coup d'images publicitaires mêlant femme et objets à vendre, on pose pour modèle féminin les Nabilla, Zahia et autres starlettes en «a» au corps ultrasexualisé, touchantes et désespérantes à la fois. Réussir quand on est une fille, c'est réussir à provoquer le désir. Au même moment, des millions d'heures de vidéos pornographiques sont consommées par des adolescents à peine pubères,que dis-je, des enfants laissant libre court à des pulsions sexuelles qui, pourtant, demandent à être éduquées pour vivre en société.
Par vengeance ou par revanche, nommer «porcs» des hommes qui ne respectent pas la dignité des femmes, revient à les déshumaniser à notre tour et entretenir de ce fait un rapport de domination
On y représente des morceaux de corps qui s'emboîtent et se désemboîtent à la faveur des fantasmes mis en scène pour exciter toujours plus l'individu qui les regarde tout en se masturbant et le faire revenir, encore et encore, habituant ainsi et le plus tôt possible et durablement à «consommer du sexe». La sexualité pulsionnelle, récréative, génitale, mécanique et technique est exaltée. Dans la rue, sur les écrans, au travail: sollicités à outrance, les hommes sont tout autant victimes de cette hypersexualisation de la société. Et personne ne semble s'émouvoir que cela puisse produire, et de façon massive, harceleurs, agresseurs, abuseurs, violeurs, c'est-à-dire des individus enchaînés dans un rapport compulsif au sexe, à l'autre sexe.
En France, mon inquiétude face au devenir de la «génération porno» me vaut le doux titre de puritaine parLes Inrocks , le même journal qui affiche en une un homme qui a battu à mort sa femme. Mais puisqu'il fait vendre, où est le problème? Le profit. Voilà à quoi concourt tout le système dans lequel libéralisme sexuel et libéralisme économique marchent main dans la main: pousser à la consommation en faisant de nous des enfants capricieux qui maximisent leur plaisir à coup de «C'est quand je veux, si je veux, comme je veux».
Par vengeance ou par revanche, nommer «porcs» des hommes qui ne respectent pas la dignité des femmes, revient à les déshumaniser à notre tour et entretenir de ce fait un rapport de domination. La condescendance des femmes à l'égard des hommes «Ils ont des besoins sexuels, eux» et «Ils ne savent pas se maîtriser, eux» est une forme de violence à l'encontre de ceux qui auraient préféré être nos preux chevaliers, eux. La délation sur les réseaux sociaux est basse, elle introduit de la suspicion. Entre la vierge et la putain, entre le gentil garçon et le macho, qui sait aujourd'hui sur quel pied danser? Si l'on ne comprend pas que les hommes sont aussi victimes de ce système tout en condamnant sévèrement les actes, la dénonciation est non seulement vaine mais intensifie la guerre des sexes. Trêve d'hypocrisie. Ne nous trompons pas de cible. Pour éviter d'avoir à instaurer une police des mœurs dans le monde adulte, la première des priorités est de protéger la jeunesse des ravages de la pornographie et de l'hypersexualisation.
Auteur d' «Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque)», éditions Albin Michel, 2016.
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Nouvel An à Berlin : une «zone de sécurité» dédiée aux femmes (30.12.2017)

  • Publié le 30/12/2017 à 13:54
La porte de Brandebourg, qui accueille chaque année une foule de fêtards pour le Nouvel An, s'est dotée d'une «zone de sécurité» réservée aux femmes pour prévenir les cas d'agressions ou de harcèlement sexuel.
À Berlin dimanche 31 décembre, des «centaines de milliers» de personnes sont attendues pour la soirée du Nouvel An qui se tiendra à la porte de Brandebourg. Parmi les mesures de sécurité mises en place pour accueillir cette foule, les autorités ont notamment prévu une «zone de sécurité» spécialement dédiée aux femmes.
La police a indiqué dans un communiqué que ce dispositif s'adressait aux femmes qui ont été «victimes d'une agression» ou qui «se sentent harcelées». Des tentes confiées à la Croix-Rouge allemande accueilleront les femmes qui le souhaitent, et des «psychologues» seront présents dans la zone toute la nuit, selon la porte-parole de l'évènement Anja Marx, qui précise que «ce dispositif a déjà été expérimenté avec succès à l'Oktoberfest de Munich», et que l'initiative vient de la police berlinoise.
Un porte-parole de la police berlinoise a également indiqué au journal britannique The Telegraph que des patrouilles surveilleront les lieux pour s'enquérir d'éventuelles agressions. Environ 500 agents de sécurité patrouilleront autour de la porte de Brandebourg et 1600 policiers supplémentaires seront déployés dans la capitale allemande, rapporte également The Telegraph.
Si les précédents réveillons de Berlin s'étaient «déroulés sans incident», ce dispositif innovant s'inscrit avant tout dans une politique de vigilance accrue sur l'espace public, deux ans après la tragique Saint-Sylvestre de Cologne, au cours de laquelle des centaines de femmes ont été menacées, agressées sexuellement ou même violées. Ces agressions massives, qui ont choqué le pays, avaient à l'époque provoqué un grand nombre de critiques à l'encontre de la politique migratoire d'Angela Merkel même si la police avait pointé la délinquance nord-africaine.
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Grèce : un militaire turc obtient l'asile (30.12.2017)
  • Par  Le Figaro.fr avec AFP 

  • Mis à jour le 30/12/2017 à 15:33 
  • Publié le 30/12/2017 à 15:27
Un des huit militaires turcs qui avaient trouvé refuge en Grèce en juillet 2016 après le coup d'État manqué en Turquie a obtenu l'asile en Grèce, a-t-on appris samedi de source judiciaire.
Le militaire était le copilote de l'hélicoptère avec lequel les huit militaires s'étaient échappés le 16 juillet 2016 et avaient atterri à Alexandroupoli, ville grecque à la frontière avec la Turquie. Il a obtenu l'asile vendredi soir par l'instance indépendante d'asile, selon la même source.
Toujours d'après cette source, l'instance a jugé que d'après les comptes rendus des groupes de défense des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe, la Turquie viole régulièrement les droits de l'homme depuis le coup d'État manqué et que le militaire turc serait en danger s'il était extradé.
Par ailleurs, les juges ont souligné qu'il n'y a aucune preuve que le copilote de l'hélicoptère a participé à la tentative de coup d'État, et qu'il ne savait même pas quelle était la destination finale de l'appareil quand il est parti de Turquie. La décision pour les sept autres militaires doit être rendue dans les semaines à venir.
En janvier, la Cour suprême grecque avait déjà refusé d'extrader vers la Turquie les huit militaires, malgré les pressions récurrentes d'Ankara.
Lors de sa visite officielle à Athènes début décembre, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait réitéré cette demande et avait assuré que le premier ministre grec Alexis Tsipras lui avait promis l'extradition des huit militaires au lendemain du coup d'État raté.

Saint-Sylvestre: 140.000 agents de sécurité et de secours mobilisés (29.12.2017)
  • Par  Le Figaro.fr avec AFP 

  • Mis à jour le 30/12/2017 à 07:51 
  • Publié le 29/12/2017 à 17:05
Près de 140.000 membres des forces de sécurité et de secours seront mobilisés pour assurer la sécurité de la nuit de la Saint-Sylvestre qui se déroulera dans un "contexte de menace terroriste toujours élevée", a indiqué aujourd'hui le ministère de l'Intérieur.
"Pour assurer la sécurisation du 31 décembre, ce sont 56.000 policiers, 36.000 gendarmes, et 7.000 militaires de l'opération "Sentinelle" et 39.800 sapeurs-pompiers, sapeurs-sauveteurs et démineurs, soit un total de 139.400 effectifs des forces de sécurité, qui seront mobilisés sur l'ensemble du territoire", a souligné la place Beauvau, dans un communiqué. Concilier la sécurité des Français mais aussi des touristes et le bon déroulement de ce moment festif "constitue une priorité absolue" du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, selon le communiqué qui rappelle le "contexte de menace terroriste toujours élevée" comme l'a encore démontré l'arrestation la semaine passée d'un homme et d'une femme, sans lien apparent mais projetant chacun de commettre un attentat.
Beauvau précise en outre que l'ensemble du pays est couvert par le dispositif Vigipirate, et qu'en cette période de fêtes de fin d'année, il met plus particulièrement l'accent sur "la sécurité des grands espaces commerciaux, des lieux de rassemblement, d'autre part, sur la sécurité dans les infrastructures de transports publics". Prévenir la menace terroriste n'est pas le seul objectif de ce déploiement sécuritaire puisqu'une attention particulière sera portée sur la sécurité routière avec de "nombreuses opérations ciblées" menées pour dissuader la conduite en état d'ivresse mais aussi les violences urbaines, affirme l'Intérieur.
En région parisienne, pas moins de 10.500 personnes seront également mobilisées lors de cette nuit du Nouvel An, a déclaré le préfet de police (PP) de Paris, Michel Delpuech, lors d'une conférence de presse. Ainsi, 4.200 fonctionnaires de la PP, épaulés par 1500 forces mobiles, auxquels s'ajoutent 2.300 sapeurs-pompiers et 2200 militaires de Sentinelle participeront à ce dispositif spécial complété par environ 350 secouristes.
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Turquie : ceux qui résistent encore à Erdogan (29.12.2017)
Par Olivier Michel
Mis à jour le 29/12/2017 à 10h59 | Publié le 29/12/2017 à 09h00
REPORTAGE - Depuis le coup d'État manqué de juillet 2016, le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, dont la popularité est en chute continue, gouverne en despote. Nous avons rencontré ces femmes et ces hommes qui osent encore défendre la laïcité et la démocratie.
Envoyé spécial en Turquie
Arrestations arbitraires par milliers, condamnations à de lourdes peines sans preuve, presse d'opposition muselée, justice cadenassée, islamisation intensive. Lorsqu'ils descendent de leurs bus colorés à Istanbul, entre la basilique Sainte-Sophie et le palais de Topkapi, les milliers de touristes n'imaginent pas les séismes politiques qui secouent la Turquie, depuis la tentative de coup d'État menée dans la nuit de 15 au 16 juillet 2016 par une faction des forces armées.
Une tentative de coup d'État, pourtant qualifiée de «don de Dieu» par l'islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, premier président de la République turque à être élu au suffrage universel en 2014, mais dont l'étoile décline après une ascension impressionnante. Diplômé de sciences économiques et administratives, ce passionné de football et de politique devient maire d'Istanbul en 1994, et annonce très vite la couleur. À une journaliste étonnée par les restrictions qu'il impose contre la consommation d'alcool dans les locaux gérés par la municipalité il répond: «Je suis l'imam d'Istanbul.» En 1997, il hurle, lors un meeting en province: «Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques/Les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats/Cette armée divine garde ma religion/Allahou akbar, allahou akbar». Ce discours lui vaudra dix mois de prison pour incitation à la haine et l'obligera à quitter la mairie d'Istanbul.
La modernité des premiers temps
Premier ministre de 2003 à 2014, l'homme va se montrer plus subtil ; il prononce tous ses discours sous les portraits de Mustafa Kemal (1881-1938), père de la Turquie moderne et laïque, qu'il refuse toutefois d'appeler Atatürk (père des Turcs) dans l'espoir d'en diminuer enfin le souvenir. Habile, il joue la piété et le conservatisme devant les militants du Parti de la justice et du développement (AKP), parti islamiste qu'il a fondé en 2001. Mais se veut le chantre de la modernité, du rapprochement avec l'Europe et du business, face à des adversaires séduits et décontenancés.
Ces derniers n'ont pas de projets, s'entre-dévorent, cherchent à survivre par le biais d'alliances improbables et tiennent pour certains la vedette dans des procès retentissants comme celui, en 2013, d'Ergenekon, un réseau criminel qui aurait eu pour objectif de renverser Erdogan Premier ministre et d'affaiblir son parti. Mais le reis (chef) semble survivre à tous les coups du sort - prison, cancer, ou tentative de coup d'État.
Istanbul, belle, festive et cosmopolite perd petit à petit son âme, au profit d'un islamiquement correct, moyen-oriental et petit-bourgeois
Plus puissant chaque jour, il poursuit une politique de grands travaux, avec des projets titanesques: un troisième pont sur le Bosphore, deux tunnels dessous, une mosquée et un aéroport gigantesques, un palais présidentiel de 1000 pièces et le doublement du Bosphore, par un canal qui reliera la mer Noire directement à la mer de Marmara transformant Istanbul en île.
Qui plus est, l'économie connaît un des plus forts taux de croissance du monde en moyenne sur les douze dernières années (4,5 % pour 2015) et triple son PNB par habitant pour la même période comme l'indique, dans son ouvrage La Turquie en 100 questions, Dorothée Schmid, directrice du programme Turquie Moyen-Orient à l'Ifri. Mais le vent va tourner. L'économie faiblit (avec un chômage à 12 % et une inflation à 10 %) et la modernisation du pays s'accompagne d'une réislamisation et d'une arabisation qui dénaturent l'identité même des Turcs, musulmans pratiquants dès le XIe siècle.
De nouveaux amis
Car, depuis que Bruxelles diffère l'entrée de la Turquie dans l'Europe, Erdogan donne des gages au Qatar et à l'Arabie saoudite, ses nouveaux amis. Istanbul, belle, festive et cosmopolite perd petit à petit son âme, au profit d'un islamiquement correct, moyen-oriental et petit-bourgeois. Les jeunes femmes sont de plus en plus voilées, y compris à l'université, les nouveaux programmes scolaires suppriment des chapitres portant sur la théorie de l'évolution et les réalisations d'Atatürk, et la vente d'alcool est strictement réglementée.
Sur l'Istiklal, le boulevard Saint-Germain local, on ne compte plus les affiches en arabe censées attirer dans les boutiques des femmes du Golfe dont on ne voit que les yeux. Les vitrines proposent une «mode pudique» qui décline voiles et tenues licites dans tous les coloris. Non loin de là, sur la place Taksim, lieu emblématique des mouvements de contestation, Erdogan fait construire une immense mosquée qui fera de l'ombre au Cumhuriyet Aniti, monument à la gloire des pères fondateurs de la république.

Dans tout le pays, de plus en plus de publicités vantent les mérites de la «mode pudique». - Crédits photo : Arnaud Andrieu pour Le Figaro Magazine
«Les gouvernements successifs de l'AKP au pouvoir depuis 2002 islamisent mon pays un peu plus chaque jour», nous confirme Mine Kirikkanat, journaliste, romancière et essayiste francophone, qui a travaillé pour de nombreux médias turcs et français. Récompensée trois fois dans son pays par le prix du «journaliste le plus courageux», elle tient une rubrique au Cumhuriyet (centre gauche), journal kémaliste fondé en 1924, l'un des derniers journaux d'opposition. Ses écrits lui ont valu 42 procès. «Je suis la cible privilégiée des islamistes car je pense que le problème en Turquie n'est pas l'islamisme mais l'islam, frein à l'égalité entre homme et femme. J'ai pu le dire en toute liberté, malgré les menaces de mort, avant l'arrivée de l'AKP au pouvoir qui menace de prison toute voix contradictoire.»

Mine Kirikkanat - Crédits photo : Arnaud Andrieu pour Le Figaro Magazine
La journaliste, qui a vécu la peur au ventre en fermant tous les soirs sa porte blindée renforcée par trois verrous pour retarder l'arrivée de la police, décrit la mort programmée de Cumhuriyet:
«C'est un journal qui est en train de couler. Dix-neuf de ses employés ont été inculpés, dont plusieurs journalistes accusés d'avoir soutenu des groupes terroristes par leurs écrits ou par des échanges publiés sur les réseaux sociaux. Le procès vise en réalité à faire taire l'un des rares titres encore critique à l'égard des actions du président turc. Les finances du journal vont très mal depuis ces arrestations, parce qu'aucune entreprise privée ne lui donne de publicité. Les gens ont peur. On ne sait pas combien de temps il pourra résister.»
Selon Mine Kirikkanat, le pays compterait aujourd'hui un million d'imams et la moitié des mosquées construites dans le monde. L'AKP a porté le nombre d'élèves des lycées religieux de 60.000 à 1,5 million. Les diplômes de ces établissements donnent accès aux écoles militaires, policières et à l'enseignement supérieur. Ce qui veut dire qu'officiers, policiers, ingénieurs et juristes sont formés par des imams et des prêcheurs.
Le budget du Diyanet Isleri Baskanligi (direction des Affaires religieuses, directement rattachée au bureau du Premier ministre), qui finance la construction des mosquées et rémunère les imams, a décuplé en quinze ans pour atteindre 1,75 milliard d'euros en 2016. Le double de celui du ministère de la Santé et le triple de celui du ministère des Affaires étrangères. Enfin, depuis le 3 novembre, les religieux peuvent célébrer des mariages. Et la journaliste de conclure: «Erdogan avait prévenu lorsqu'il disait qu'il voulait une jeunesse Dinci ve kinci, religieuse et vindicative.»
De concession en concession
À deux pas de la place Taksim, rencontre avec Bedri Baykam, artiste peintre à la réputation internationale. Fondateur du centre d'art Piramid Sanat, Baykam expose ses œuvres à Berlin, Venise, Paris, Londres, Barcelone, et Genève, et a écrit 28 livres autour de l'art et de la politique. Ex-membre de l'organe central du Parti républicain du peuple (centre gauche laïc), il a connu les moments les plus sombres de la vie politique turque et fait partie des résistants acharnés aux islamistes de l'AKP.
«Je suis entré en politique à mon retour des États-Unis en 1987, explique-t-il, lorsque j'ai vu le Premier ministre iranien en visite officielle à Ankara refuser de se rendre au mausolée d'Atatürk, et qu'il n'y avait pas de réaction des autorités. C'était une première concession, et j'étais persuadé qu'il y en aurait d'autres. Je ne me suis pas trompé: des journalistes naïfs et des idiots utiles, manipulés par les islamistes, ont ouvert la voie du pouvoir au Parti de la justice et du développement en 2002 en attaquant sans relâche les réformes et la laïcité chères à Atatürk. Résultat: la réforme constitutionnelle, voulue par Erdogan et validée en avril 2017, a fait passer la Turquie d'un régime parlementaire à un régime présidentiel, concentrant tous les pouvoirs entre les mains d'un seul homme!»

Un groupe scolaire en visite à Anitkabir, le mausolée de Mustafa Kemal Atatürk. Il est situé sur la colline d'Anittepe qui domine la ville d'Ankara. Lors des céremonies, l'esplanade peut recevoir jusqu'à 15.000 personnes. - Crédits photo : Arnaud Andrieu pour Le Figaro Magazine
«La France et ses intellectuels déconnectés de la réalité (...) portent une lourde responsabilité dans l'islamisation de la Turquie»
Bedri Baykam, peintre turc, opposant au régime
Bedri Baykam, qui a échappé de justesse à la mort après avoir reçu un coup de couteau dans le ventre à la sortie d'une conférence de presse en avril 2011, tente alors d'alerter l'Europe. Il rencontre Daniel Cohn-Bendit, qui lui dit que le problème de la Turquie c'est l'armée, et qu'Erdogan est le meilleur moyen pour le pays d'accéder à la démocratie. Bernard-Henri Lévy, lui, refusera de lui parler et de lui donner son adresse mail.

L'artiste peintre kémaliste orthodoxe, Bedri Baykam. - Crédits photo : Arnaud Andrieu pour Le Figaro Magazine
«L'Europe en général, la France et ses intellectuels déconnectés de la réalité en particulier portent une lourde responsabilité dans l'islamisation de la Turquie, affirme l'artiste. Quand je vois, vingt ans plus tard, les débats à la télévision française sur l'islamisation du pays, je me demande si ces mêmes intellectuels ne sont pas en train de creuser cette fois-ci le tombeau de votre laïcité.»
Et Bedri Baykam de décrire une laïcité turque ambiguë: «Si la Turquie est un État de droit démocratique laïque et social comme l'indique l'article 2 de la Constitution de 1982, notre laïcité ne signifie pas séparation de l'Église et de l'État mais contrôle du courant religieux majoritaire par la toute-puissante direction des Affaires religieuses. Mustafa Kemal s'en servait pour séculariser la société, l'AKP s'en sert aujourd'hui pour islamiser le pays et saper les réformes d'Atatürk. La laïcité idéale, c'est la laïcité française.»
10 à 20 millions d'alevis, défenseurs de la laïcité
Parmi les plus résistants à l'autoritarisme d'Erdogan et à l'islamisation de la société, les alévis bektachis. Membres d'une branche hétérodoxe issue de l'islam chiite et du soufisme, ils représentent de 15 à 20 % de la population, soit 10 à 20 millions d'individus. Leur croyance - ils ne parlent pas de religion - met l'homme et la nature au cœur de toutes leurs célébrations. Hommes et femmes sont considérés comme égaux, ne font pas le ramadan, ni le pèlerinage à La Mecque, les femmes ne se voilent pas et l'alcool n'est pas interdit.
Les alévis ne se réunissent pas dans des mosquées mais dans des Cem Evi (centres culturels). Ardents défenseurs de la laïcité, ils ont massivement voté non en 2017 au référendum destiné à modifier la Constitution pour présidentialiser le régime et n'ont toujours pas digéré qu'Erdogan appelle le troisième pont sur le Bosphore Yavuz Selim Sultan, du nom du sultan qui fit massacrer 40.000 alévis en 1514.

Turquie. Istanbul. Octobre 2017. Danse d'alevis durant le cem (rituel religieux) au cemevi (lieu de culte) du quartier d'Eyup. - Crédits photo : Arnaud Andrieu pour Le Figaro Magazine
«L'Europe a renforcé le pouvoir du président de la République en le soutenant financièrement pour stopper la vague d'immigration créée par le conflit avec l'État islamique»
Hüseyin Güzelgül, président du Conseil de la foi
«Les alévis ont toujours été méprisés ou persécutés, que ce soit sous les Ottomans ou sous Mustafa Kemal, qui a fermé les lieux de culte dont les nôtres», nous explique le dede (président du Conseil de la foi) Hüseyin Güzelgül, qui nous a invités à assister à un semah, rituel consistant en un ensemble de mouvements corporels mystiques et esthétiques exécutés en harmonie rythmique.
«Aujourd'hui, c'est pire. Erdogan nous traite d'athées, appellation qui peut envoyer n'importe qui en prison, tout en essayant de nous récupérer en proposant un partenariat Camii-Cem Evi (mosquée-centre culturel alévi) afin de nous assimiler. Ajoutez à cela que l'Europe a renforcé le pouvoir du président de la République en le soutenant financièrement pour stopper la vague d'immigration créée par le conflit avec l'État islamique.»
On peut juger de la nouvelle puissance d'Erdogan à l'aune des purges monstres qu'il a organisées au lendemain du coup d'Etat manqué: «93.000 fonctionnaires suspendus dont 60.000 licenciés ; 82.000 suspects dont 34.000 mis en détention et 26.000 libérés sous contrôle judiciaire ; 101 médias, quotidiens de presse, télévisions, radios et revues interdits sous prétexte d'“intelligence avec une organisation terroriste” ou de “menace pour la sécurité de l'État”», rappelle Ahmet Insel, économiste et politologue turc, auteur deLa Nouvelle Turquie d'Erdogan.
Oubliée la Turquie de Mustafa Kemal

Kemal Kiliçdaroglu, président du Parti républicain du peuple, a marché 450 kilomètres entre le 15 juin et le 9 juillet au nom de plus de justice. - Crédits photo : Arnaud Andrieu pour Le Figaro Magazine
Après la prolongation de l'état d'urgence, la répression s'est accélérée: les vagues de purges dans la fonction publique continuent, et plus de 300 associations sont interdites par décret-loi. Quelques jours plus tard, rendez-vous à Ankara, au quartier général du Parti républicain du peuple (CHP), où nous sommes reçus, dans son bureau dominant la capitale, par Kemal Kiliçdaroglu, son président.
Très actif sur les réseaux sociaux, ce leader kémaliste de 68 ans a retrouvé un second souffle après le succès de sa «marche pour la justice» du 15 juin au 9 juillet derniers. Une marche de 450 kilomètres entre Ankara et Istanbul pour protester contre la condamnation d'un de ses députés à vingt-cinq ans de réclusion, pour «révélation d'informations confidentielles» au quotidien d'opposition Cumhuriyet. «Gandhi», comme l'appellent ses militants pour sa ressemblance avec le guide spirituel indien, tente de capitaliser sur un rejet croissant de l'autoritarisme présidentiel, qui s'est renforcé depuis le coup d'État manqué.
«Notre président de la République est un dictateur qui croit être le seul à bien penser»
Kemal ­Kiliçdaroglu, président du Parti républicain du peuple (CHP)
«Depuis quinze ans, explique-t-il, les dirigeants de ce pays n'ont cessé de démanteler les apports et les acquis de la révolution d'Atatürk en provoquant de sérieux dommages dans les institutions qu'il avait créées. Les islamistes tentent de transformer la Turquie en un pays du Moyen-Orient avec des valeurs qui ont conduit les pays de cette région au chaos. Je n'oublierai jamais qu'il y a quelques années, nos intellectuels juraient, la main sur le cœur, qu'Erdogan allait faire entrer la Turquie dans la modernité. Ils ont été des idiots utiles qui présentaient le fondateur de l'AKP comme un démocrate. Ils s'en mordent aujourd'hui les doigts.»
Que représente Recep Tayyip Erdogan? Un nouveau Mustafa Kemal, un nouveau sultan ottoman, le nouveau calife du monde musulman? «Rien de tout cela, poursuit Kemal Kiliçdaroglu. Notre président de la République est un dictateur qui croit être le seul à bien penser. Et plus encore, depuis que l'Europe a validé le référendum constitutionnel de 2010 lui permettant finalement de tenir la justice, l'armée, la presse et d'envoyer n'importe qui, n'importe quand, en prison. C'est pour cela que des dizaines de milliers de personnes - bourgeois, petits fonctionnaires, entrepreneurs et jeunes -, m'ont suivi, en criant “Hak, Hukuk, Adalet” (droit, loi, justice) pour envoyer un signal fort aux islamistes car ils sont inquiets. Même les femmes qui portent le foulard ne voudraient pas voir disparaître les droits que leur a donné Atatürk.»
Dans l'avion qui nous ramène en France, un jeune homme porte en pin's le portrait de Mustafa Kemal. «Un visionnaire qui a réformé la Turquie en profondeur pour en faire une nation moderne, nous dit-il. Et ce devait être un homme d'État exceptionnel pour que, quatre-vingts ans après sa mort, Erdogan et l'AKP veuillent aujourd'hui encore, gommer son héritage et revenir en arrière.»
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Saint-Pétersbourg : l'auteur de l'attentat interpellé
  • Par  Le Figaro.fr avec agences 

  • Mis à jour le 30/12/2017 à 16:54 
  • Publié le 30/12/2017 à 16:07
Le FSB (Service de sécurité russe) a annoncé samedi l'arrestation du responsable de l'explosion d'une bombe qui a fait 18 blessés mercredi dans un supermarché de Saint-Pétersbourg, rapportent les agences de presse russes.
«L'organisateur et exécutant direct du déclenchement d'un engin explosif artisanal le 27 décembre dans un supermarché de Saint-Pétersbourg a été arrêté lors d'une opération spéciale du FSB le 30 décembre (samedi)», est-il indiqué dans un communiqué.
«Le suspect est en train d'être interrogé», a ajouté une porte-parole du Comité d'enquête russe, Svetlana Petrenko, citée dans un autre communiqué.
Dix-huit personnes ont été blessées dans l'explosion mercredi soir, à quatre jours du réveillon du Nouvel an, d'une bombe artisanale placée dans un casier de la consigne d'un supermarché de Saint-Pétersbourg. Huit d'entre elles restaient hospitalisées samedi.
Cet attentat a été revendiqué vendredi par le groupe jihadiste État islamique (EI), selon un communiqué diffusé par son organe de propagande Amaq.
La Russie a été menacée à plusieurs reprises par l'EI et par la branche syrienne d'Al-Qaïda après le début de son intervention militaire en Syrie, le 30 septembre 2015.
Saint-Pétersbourg avait déjà été visée par un attentat dans son métro qui a fait 15 morts et des dizaines de blessés le 3 avril et a été revendiqué par un groupe peu connu lié à Al-Qaïda.
Mi-décembre, les services de sécurité russes avaient en outre annoncé avoir démantelé, à l'aide de renseignements transmis par la CIA, une cellule de l'EI préparant des attentats le 16 décembre à Saint-Pétersbourg, notamment dans la très touristique cathédrale Notre-Dame-de-Kazan.
Après l'annonce mi-décembre par le président Vladimir Poutine d'un retrait partiel de ses troupes, les services de sécurité ont dit craindre une arrivée de jihadistes de retour de Syrie et d'Irak maintenant que le groupe État islamique a perdu la quasi-totalité de son territoire.

Le président turc Erdogan en France vendredi prochain (30.12.2017)
  • Par  Le Figaro.fr avec AFP 

  • Mis à jour le 30/12/2017 à 17:28 
  • Publié le 30/12/2017 à 16:54
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé samedi qu'il se rendrait en France vendredi 5 janvier pour discuter des relations bilatérales entre Paris et Ankara.
«Vendredi, j'irai en France. Nous discuterons des relations bilatérales entre la France et la Turquie», a déclaré le chef de l'État turc lors d'un discours télévisé prononcé devant des membres de son parti à Sinop (nord de la Turquie).

Un médecin stagiaire jugé pour sa barbe (29.12.2017)
Par Guillaume Poingt
Mis à jour le 29/12/2017 à 19h51 | Publié le 29/12/2017 à 18h30
La justice donne raison à l'hôpital de Saint-Denis, qui avait congédié cet Égyptien pour atteinte à la laïcité.
Le port d'une barbe, même imposante, ne constitue pas à lui seul un signe religieux ostentatoire. Mais, selon les circonstances, il peut justifier la résiliation d'une convention de stage en raison d'une incompatibilité avec la laïcité et le principe de neutralité du service public. C'est la conclusion de la cour administrative d'appel de Versailles (Yvelines), dans une décision du 19 décembre, donnant ainsi raison à la direction du centre hospitalier de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et confirmant le jugement rendu, en première instance, par le tribunal administratif de Montreuil.
«On ne sait même pas de quelle religion on parle, mon client aurait pu être un hipster»
Me Nawel Gafsia, avocate de Mohamed A.
L'affaire concerne Mohamed A., un médecin de 35 ans, venu de l'université égyptienne de Menoufiya. En poste au sein du service de chirurgie générale du centre hospitalier, il exerce dans le cadre d'un stage qui se déroule de novembre 2013 à novembre 2014. Un stage que le médecin commence dès le mois de septembre 2013. Dès le 2 octobre, le jeune homme est convoqué par la direction de l'hôpital à un entretien au cours duquel il lui est demandé de tailler sa barbe «afin qu'elle ne puisse pas être perçue par les agents et les usagers du service public comme la manifestation ostentatoire d'une appartenance religieuse incompatible avec les principes de laïcité et de neutralité du service public», rappelle l'arrêt de la cour d'appel. Les 10 et 14 octobre 2013, cette demande lui est réitérée sans qu'il «n'y réserve une suite favorable». Le centre hospitalier résilie finalement sa convention de stage le 13 février 2014. Une décision que le médecin conteste alors en justice.
Le respect de sa vie privée
Dans ce contentieux, la direction de l'hôpital estime que «l'environnement multiculturel de l'établissement rendait l'application des principes de neutralité et de laïcité du service public d'autant plus importante». De son côté, Mohamed A. s'est «borné à invoquer le respect de sa vie privée sans pour autant nier que son apparence physique était de nature à manifester ostensiblement un engagement religieux», souligne l'arrêt de la cour d'appel de Versailles. Pour les magistrats, il s'agit - dans ces conditions précises - d'un manquement aux obligations liées au respect de la laïcité et à la neutralité du service public, «alors même que le port de sa barbe ne s'est accompagné d'aucun acte de prosélytisme» ni «d'observations» de la part des usagers. Aux yeux de la justice, la sanction décidée par la direction de l'hôpital est donc légalement fondée.
L'avocate de Mohamed A., Me Nawel Gafsia - qui a été contactée par le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) pour le défendre -, explique que son client «a finalement pu faire son stage à l'hôpital Paul Brousse, à Villejuif (Val-de-Marne, NDLR), et (que) sa barbe de 5 centimètres n'a posé de problème à personne». Elle poursuit: «C'est l'appréciation personnelle de la directrice de l'hôpital de Saint-Denis qui a posé problème. On ne sait même pas de quelle religion on parle, mon client aurait pu être un hipster». L'avocate précise que son client va se pourvoir devant le Conseil d'État.

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La démocratie face au danger des autoritarismes

  • Mis à jour le 28/12/2017 à 17:01 

  • Publié le 28/12/2017 à 16:21


La démocratie face au danger des autoritarismes (28.12.2017)
Dans un écho de l’Histoire, les populistes accumulent les succès, se placent en leader d’opposition, se saisissent parfois des rênes du pouvoir. Les pratiques autoritaires se développent, en Chine, en Russie, et ailleurs, Autopsie d’un danger.
VIDÉO - Les populistes accumulent les succès, se placent en leader d'opposition, se saisissent même parfois des rênes du pouvoir. À la plus haute marche, les pratiques autoritaires se développent, en Chine, en Russie, en Turquie, à l'est de l'Europe, et ailleurs. Autopsie d'un danger.

À Menton, les policiers aux frontières se font porter pâle (29.12.2017)
Par Vincent-Xavier Morvan
Mis à jour le 29/12/2017 à 19h47 | Publié le 29/12/2017 à 18h42
Les fonctionnaires chargés de contrôler les flux migratoires entendent ainsi protester contre leurs conditions de travail.
Nice
C'est une véritable épidémie… d'arrêts maladie qui affecte les fonctionnaires de la Police aux frontières, la PAF, chargés à Menton de contrôler les flux migratoires, un flot incessant dans les Alpes-Maritimes avec 50.000 interpellations d'étrangers en situation irrégulière cette année. Mercredi, onze d'entre eux, sur une brigade de douze, se sont fait porter pâle auprès de leur hiérarchie. En catastrophe, des collègues de la brigade des chemins de fer de Nice les ont suppléés. Vendredi, sur la quinzaine de fonctionnaires qui devaient assurer la relève, seuls deux étaient présents.
Ne pouvant faire grève, tous protestent ainsi contre les conditions de travail auxquelles ils disent être soumis à Fanghetto, à l'entrée de la vallée de la Roya. Ce point de contrôle constitue l'une des portes d'entrée en France des migrants arrivant d'Italie.
«Ce qu'on veut c'est un Algeco équipé avec du chauffage, des sanitaires et de l'eau, car il ne faut pas se leurrer, on va rester là des années»
Jean-Luc Chaudron, du syndicat Unité-SGP police
Sur le parking improvisé le long de la route de montagne où les voitures en provenance de Vintimille sont scrutées une à une, un simple caisson métallique, prêté par les pompiers, a été installé depuis un mois. «Il y a un système de chauffage mais il pollue tellement qu'on ne peut pas le mettre en route», assure Jean-Luc Chaudron, délégué départemental en charge de la PAF au syndicat Unité-SGP police. Il y a aussi un four à micro-ondes et deux radiateurs à huile, mais le réservoir du groupe électrogène qui les alimente est vide… Et pas de toilettes. «Pour les hommes, ça va, mais les femmes, elles font comment?», lance, dépité, le syndicaliste, qui explique avoir alerté depuis longtemps sa hiérarchie.
Celle-ci, justement, a trouvé une solution: un bus transformé en poste de commandement que des fonctionnaires devaient aller chercher vendredi à Montpellier. «Mais c'est du rafistolage, ce qu'on veut c'est un Algeco équipé avec du chauffage, des sanitaires et de l'eau, car il ne faut pas se leurrer, on va rester là des années», affirme le représentant syndical, qui pointe d'autres revendications, comme des véhicules sécurisés pour le transport des migrants ou une formation pour se servir du nouveau pistolet-mitrailleur HK G36 dont la PAF a été dotée.
Du chocolat comme réconfort
«On a les armes, mais seulement deux d'entre nous sur soixante-dix ont été formés à leur utilisation», déplore Jean-Luc Chaudron, rappelant que récemment, un passeur a foncé à la sortie de l'autoroute sur un fonctionnaire, obligeant ce dernier à faire feu. Les hommes de la PAF ont, en revanche, obtenu satisfaction sur le paiement de leurs frais de mission, qui vient d'être rétabli.
«Nous ne remettons pas en cause notre mission, nous voulons juste des conditions de travail décentes pour la mener à bien»
Jean-Luc Chaudron, du syndicat Unité-SGP police
La préfecture des Alpes-Maritimes indique suivre «avec beaucoup d'attention» la situation de la PAF à Menton, en espérant qu'elle revienne «à la normale au plus vite». En attendant la sortie de crise, les fonctionnaires qui se relaient dans la vallée de la Roya tentent tant bien que mal, entre deux contrôles, de se réchauffer. Certains automobilistes remontant vers Breil-sur-Roya, première localité française après le poste de Fanghetto, leur offrent des chocolats au passage pour les réconforter.
«C'est pas normal, ils donnent tout aux migrants et vous, vous n'avez rien», leur lance Tony depuis sa camionnette. Et cet agenceur de magasins d'ajouter: «Heureusement qu'il y a la police, sinon on serait envahi. Faut pas croire, dans la vallée, il y en a deux cents qui sont pour les migrants, mais pas les autres.»
Visiblement, entre les partisans de l'aide aux réfugiés, emmenés par Cédric Herrou, figure de proue de l'association Roya Citoyenne basée juste à côté, et les réfractaires comme Tony, la vallée reste divisée. Les policiers, eux, n'ont pas ces états d'âme. «Nous ne remettons pas en cause notre mission, nous voulons juste des conditions de travail décentes pour la mener à bien», conclut Jean-Luc Chaudron.

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Tom Wolfe : «Le politiquement correct est devenu l'instrument des classes dominantes» (29.12.2017)

Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 29/12/2017 à 09h57 | Publié le 29/12/2017 à 07h00
ENTRETIEN - Pour Le Figaro Magazine, le Balzac new-yorkais scrute l'Amérique de Trump et de Harvey Weinstein. À 86 ans, l'inventeur du «nouveau journalisme» n'a rien perdu de sa verve et continue d'envoyer au «bûcher des vanités» les conformismes de son époque.
Il est l'un des plus importants écrivains vivants. Peut-être le plus grand «écrivain français» contemporain, tant son œuvre est imprégnée de celles de Zola et de Balzac. L'auteur d'Illusions perdues avait pour projet d'identifier les «espèces sociales» de l'époque, tout comme Buffon avait identifié les espèces zoologiques. Il voulait «écrire l'histoire oubliée par tant d'historiens, celle des mœurs» et «faire concurrence à l'état civil».
Comme Balzac est «le secrétaire de la société», Tom Wolfe, l'inventeur du «nouveau journalisme», est le secrétaire de son époque, l'ethnologue des tribus postmodernes: les psychédéliques sous acide (Acid Test, 1968), les gauchistes de Park Avenue (Radical Chic, 1970), les astronautes (L'Étoffe des héros, 1979), les golden boys de Wall Street (Le Bûcher des vanités, 1987), les étudiants décadents des grandes universités (Moi, Charlotte Simons, 2004), les Latinos immigrés en Floride (Bloody Miami, 2013)…
Son costume blanc, qu'il ne quitte jamais, est un instrument de diversion. Une manière de détourner l'attention pour ne pas avoir à en dire trop sur son art ou sur lui-même. Wolfe a toujours préféré les faits et les longues descriptions à la psychologie et aux explications de texte. Mais, à 86 ans, le dandy réac n'a plus rien à perdre et n'élude aucun sujet.
Au téléphone, d'un ton volontiers distancié et malicieux, il s'amuse des mœurs de l'Amérique progressiste et démasque son hypocrisie. Le phénomène #Balance ton porc - et ses conséquences - pourrait être, selon lui, «la plus grande farce du XXIe siècle». Dans son dernier essai, Tom Wolfe semble faire un pas de côté. Il y déboulonne les thèses évolutionnistes de Darwin. Pour autant, Le Règne du langage (Robert Laffont) n'est en rien un traité scientifique. À travers la figure de Darwin, dignitaire installé qui aura su ériger sa théorie en dogme, Wolfe continue d'observer la «comédie humaine».
LE FIGARO .- Dans votre dernier livre, Le Règne du langage, vous expliquez que c'est la langue qui fait la spécificité de l'être humain. En quoi?
Tom WOLFE .- Il existe entre l'être humain et l'animal une différence essentielle, une ligne de démarcation aussi escarpée et inamovible qu'une faille géologique: la parole! Le langage a donné à la «bête humaine» bien plus qu'un ingénieux outil de communication. C'est en réalité une innovation de la teneur de la bombe atomique! La parole a été la toute première invention, le premier artéfact, la première fois où une créature terrestre, l'homme, a prélevé des éléments de la nature, en l'occurrence des sons, pour les transformer en quelque chose d'entièrement nouveau et façonné par lui, des enchaînements de sonorités qui formaient des codes, lesquels ont reçu le nom de «mots».
Non seulement le langage est un outil mais c'est le premier d'entre tous, celui qui a rendu tous les autres possibles, de la plus sommaire des pioches à la première des massues jusqu'à la roue et à la fusée spatiale. Sans lui, pas de danse, pas de musique, pas même le fredonnement d'une ritournelle, le battement des tambours, pas de rythme d'aucune sorte ni de cadence pour taper dans les mains.
«Seul le langage permet à l'homme de questionner son existence, de la poursuivre ou d'y renoncer»
Bref, c'est le langage, et lui seul, qui a conféré à la «bête humaine» la force de conquérir chaque pouce de terre ferme sur cette planète et de se goinfrer de la moitié des ressources comestibles de l'océan. Et pourtant, cette mise en coupe réglée du globe terrestre n'est qu'un résultat mineur de la puissance des paroles: son principal exploit, c'est d'avoir créé l'ego, la conscience de soi. Seul le langage permet à l'homme de questionner son existence, de la poursuivre ou d'y renoncer.
Aucun animal ne pense à se suicider, ni à massacrer ses semblables à une vaste échelle. Seule la parole nous autorise à nous autoexaminer et à rendre la planète inhabitable juste comme ça, en l'espace de trente ou quarante minutes nucléarisées. Elle seule permet à l'homme de fantasmer des religions, et des dieux pour leur donner du corps. Jusqu'à notre époque - et plus encore aujourd'hui - les mots sortis de la bouche de Mahomet au VIIe siècle continuent à galvaniser et contrôler la vie de trente-cinq pour cent de la population mondiale. Tout au long d'un millénaire et demi, ceux de Jésus ont exercé la même influence sur une portion d'humanité comparable avant de perdre une part de leur résonance en Europeau cours de la deuxième moitié du XXe siècle.
Votre livre déboulonne Darwin…
Dans Le Règne du langage, j'oppose la figure de Charles Darwin et celle d'Alfred Wallace. Le premier est un parfait gentleman installé dans la haute société britannique du XIXe siècle. Le second, tout au contraire, est un homme de terrain, issu d'un milieu modeste. Le type d'autodidactes que l'aristocratie de l'époque surnommait «les attrapeurs de mouches». Wallace fut pourtant le premier, avant Darwin, à défendre la théorie de la sélection naturelle. Mais faute d'être bien né, la paternité de cette découverte ne lui fut jamais attribuée, l'auteur de L'Origine des espèces s'attribuant tout le mérite.
Si Wallace a été le premier à définir une théorie de l'évolution, il a été aussi le premier à questionner cette thèse. À se demander comment l'homme avait pu concevoir les chiffres, l'arithmétique, les formes géométriques, mais aussi penser un code moral, une exigence éthique, éprouver le plaisir dispensé par la musique ou l'art visuel. À la fin de sa vie, il conclut qu'aucun de ces attributs sublimes et consubstantiels à l'humanité n'a de relation avec la sélection naturelle.
En quoi votre vision du monde diffère-t-elle de celle des créationnistes?
Les créationnistes refusent toute idée d'évolution géologique ou biologique car ils voient en Dieu le seul créateur de la vie. Ce n'est pas mon cas. Je ne fais que montrer les limites de la théorie de l'évolution et entériner l'incapacité des chercheurs à déterminer l'origine du langage. Ma seule conclusion est que c'est le langage qui sépare l'être humain de la bête.
Pour le reste, je n'ai pas de réponse et je ne propose pas de récit ou d'idéologie de substitution. Personne ne peut prétendre raconter l'histoire vraie de la création. L'Origine des espèces de Darwin n'est qu'une version scientiste de la Genèse. Darwin est tombé dans le piège de la cosmogonie, ce besoin compulsif d'élaborer l'inatteignable «théorie du Tout», un concept ou une narration qui organiserait miraculeusement chaque élément de l'univers en un système clair et précis.
Depuis l'un de vos premiers livres, Radical Chic (Le Gauchisme de Park Avenue en français), vous fustigez le politiquement correct, le gauchisme culturel, la tyrannie des minorités. L'élection de Donald Trump est-elle la conséquence de ce politiquement correct?
Dans ce reportage, d'abord paru en juin 1970 dans leNew York Magazine, je décrivais une soirée organisée, le 14 janvier précédent, par le compositeur Leonard Bernstein dans son duplex new-yorkais de treize pièces avec terrasse. La fête avait pour objet de lever des fonds en faveur des Black Panthers… Les hôtes avaient pris soin d'engager des domestiques blancs pour ne pas froisser la susceptibilité des Panthers.
«Les gens doivent désormais faire attention à ce qu'ils disent. C'est de pire en pire, en particulier dans les universités.»
Le politiquement correct, que je surnomme PC, pour «police citoyenne», est né de l'idée marxiste que tout ce qui sépare socialement les êtres humains doit être banni pour éviter la domination d'un groupe social sur un autre. Par la suite, ironiquement, le politiquement correct est devenu l'instrument des «classes dominantes», l'idée d'une conduite appropriée pour mieux masquer leur «domination sociale» et se donner bonne conscience.
Peu à peu, le politiquement correct est même devenu un marqueur de cette «domination» et un instrument de contrôle social, une manière de se distinguer des «ploucs» et de les censurer, de délégitimer leur vision du monde au nom de la morale. Les gens doivent désormais faire attention à ce qu'ils disent. C'est de pire en pire, en particulier dans les universités. La force de Trump est sans doute d'avoir rompu avec cette chape de plomb. Par exemple, les gens très riches font généralement profil bas alors que lui s'en vante. Je suppose qu'une partie des électeurs préfère cela à l'hypocrisie des politiques conformistes.
Dans votre œuvre, le statut social est la principale clef de compréhension du monde. Le vote Trump est-il le vote de ceux qui n'ont pas ou plus de statut social ou dont le statut social a été méprisé?
À travers Radical Chic, je décrivais l'émergence de ce qu'on appellerait aujourd'hui la «gauche caviar» ou le «progressisme de limousine», c'est-à-dire une gauche qui s'est largement affranchie de toute empathie pour la classe ouvrière américaine. Une gauche qui adore l'art contemporain, s'identifie aux causes exotiques et à la souffrance des minorités, mais méprise les «rednecks» de l'Ohio.
Des Américains ont eu le sentiment que le Parti démocrate faisait tellement des pieds et des mains pour aller séduire les différentes minorités qu'il en arrivait à négliger une partie encore considérable de la population. A savoir cette partie ouvrière de la population qui, historiquement, a toujours été la moelle épinière du Parti démocrate. Durant cette élection, l'aristocratie démocrate a pris le parti de favoriser une coalition de minorités et d'exclure de ses préoccupations la classe ouvrière blanche. Et Donald Trump n'a plus eu qu'à se pencher pour ramasser tous ces électeurs et les rallier à sa candidature.
Que vous inspirent l'affaire Weinstein et la polémique #Balance ton porc?
Personne ne se donne la peine de définir correctement le terme d'agression sexuelle. C'est une catégorie fourre-tout qui va de la tentative de viol à la simple attirance. C'est de cette confusion que naissent tous les excès. Je suis partagé entre l'effroi, en tant que citoyen, et l'amusement, en tant que romancier, pour cette merveilleuse comédie humaine. Si cela continue, cela peut devenir la plus grande farce du XXIe siècle. Dans la presse locale, encore ce matin dans le New York Post et le New York Times, ces affaires sont en lettres capitales à la une. Aujourd'hui, n'importe quel homme qui prête n'importe quelle sorte d'attention à n'importe quelle femme, par exemple sur son lieu de travail, devient un «prédateur».
«Les hommes s'inquiètent désormais de trouver certaines femmes attirantes. Voilà qu'on se retrouve à s'opposer aux lois naturelles de l'attraction qu'il faudrait désormais ignorer»
Depuis cette affaire, j'entends partout autour de moi des hommes dire à de jeunes femmes qu'ils fréquentent «je ne devrais pas être vu avec toi ici ou là», «nous travaillons dans la même entreprise et je suis à un poste hiérarchique plus élevé et tout cela va faire trop mauvais genre». Les hommes s'inquiètent désormais de trouver certaines femmes attirantes. Voilà qu'on se retrouve à s'opposer aux lois naturelles de l'attraction qu'il faudrait désormais ignorer.
Personne ne parle de ces femmes, et elles sont pourtant nombreuses, qui prennent un plaisir réellement considérable à rencontrer sur leur lieu de travail un collègue masculin qu'elles trouvent attirant. Un homme qu'elles n'auraient pas eu la chance de rencontrer autrement. Je pense que le monde n'a pas tant changé pour que l'on se mette à proclamer qu'aujourd'hui les femmes ne désirent soudain plus attirer l'attention des hommes.
En vérité, rien n'a vraiment changé, hormis le fait que les femmes disposent d'un puissant outil d'intimidation qu'elles n'avaient pas auparavant. Elles peuvent maintenant remettre à leur place ces hommes dont l'attention est trop extrême ou qu'elles jugent trop vulgaires, écarter un rival sur le plan professionnel ou encore se venger d'un amant «trop goujat». Pour inculper quelqu'un d'agression sexuelle, il semble désormais que la seule parole de la femme soit suffisante et certains demandent déjà un renversement du droit qui obligerait l'homme soupçonné à faire la preuve de son innocence.
Vous êtes l'inventeur du «nouveau journalisme». Un journalisme qui se rapproche de la littérature dans la forme, mais qui repose aussi sur la minutie des enquêtes et la précision des faits rapportés. À l'heure du numérique et de l'immédiateté, ce journalisme est-il mort?
À l'époque, les bureaux du Herald étaient à Times Square. Il suffisait de descendre dans la rue poser des questions aux gens. J'utilisais ce que j'appelle la technique de l'homme de Mars. J'arrivais et je disais: «Ça a l'air intéressant, ce que vous faites! Moi, j'arrive de Mars, je ne connais rien, qu'est-ce que c'est?» Aujourd'hui, certains journalistes ne sortent jamais de leur bureau. Ils font leurs articles en surfant sur internet. Pourtant, il n'y a pas d'alternative: il faut sortir! Quand de jeunes écrivains ou journalistes me demandent un conseil, ce qui est rare, je leur dis toujours: «Sors!»

Le Règne du langage, de Tom Wolfe. Robert Laffont, collection, «Pavillons», 216 p., 19 €. - Crédits photo : ,
Au final, le nouveau journalisme c'était quoi? J'ai toujours pensé que c'était simplement une technique d'écriture sur un sujet non fictif avec toutes les méthodes normalement utilisées pour la fiction. Pour moi, l'un des principes du nouveau journalisme est d'écrire scène par scène, comme pour un scénario. Le futur de ce genre dépend des jeunes qui se lancent. Mais ils lisent tout en ligne désormais. Et, quand vous lisez en ligne, juste pour la simple raison que vous lisez sur un fond très lumineux, vous avez beaucoup de mal à lire des longs formats.
Une fois les huit cents mots dépassés, vous commencez à fatiguer. Et tout cela invite les journalistes à raccourcir leur écriture. La lecture est de plus en plus rapide et cela force l'auteur à renoncer à tout un tas de techniques qui peuvent pourtant donner à un article une puissance sans pareil. Il devient plus difficile de parler des détails désormais, le décor, la façon dont les gens s'habillent, tout cela prend énormément de place. Il n'y aura plus beaucoup d'auteurs ou de journalistes que l'on pourrait appeler des plumes.
Le style demande un dur labeur. Aujourd'hui, on met l'accent sur tout ce qui est efficace. C'est ce à quoi sont formés les journalistes. Déjà à mon époque, on nous demandait de faire court, car les journaux craignaient la concurrence de la télévision. Cela n'a pas empêché le nouveau journalisme d'être un succès. Je crois que cela pourrait fonctionner, y compris sur des formats numériques. Vous savez que tous les livres de Zola sont encore disponibles en anglais partout aux États-Unis? On les réimprime tout le temps.
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Shiori Ito, l'affaire de viol qui secoue le Japon (27.12.2017)
Par Régis Arnaud
Mis à jour le 27/12/2017 à 16h54 | Publié le 27/12/2017 à 16h40
Agressée par un proche du pouvoir, une journaliste se bat pour faire reconnaître les faits et dénoncer un tabou sociétal.
À Tokyo
Le mouvement mondial sur les réseaux sociaux contre le harcèlement sexuel #metoo (moi aussi) aurait-il été traduit par «toi non plus» en japonais? On peut le croire à la lumière de l'«affaire Shiori» qui défraie la chronique dans l'Archipel. Jeune journaliste travaillant pour l'agence Reuters, Shiori Ito a publiquement accusé fin mai un biographe du premier ministre Shinzo Abe de l'avoir droguée, puis violée, il y a deux ans.
La jeune femme raconte s'être brusquement évanouie au restaurant en plein dîner «professionnel» avec Noriyuki Yamaguchi, un journaliste d'extrême droite très en vue, et s'être réveillée quelques heures plus tard en train d'être violée. Les détails fournis par la victime («puis-je garder ta culotte en souvenir?», lui aurait demandé le violeur présumé) rendent son témoignage très crédible.
Une arrestation annulée au dernier moment
Au point que le commissariat local, après avoir vainement tenté de la dissuader de porter plainte, prend l'affaire en charge, interroge les témoins. Le juge saisi décide au terme de l'enquête d'inculper Noriyuki Yamaguchi.
Mais coup de théâtre: alors qu'ils s'apprêtent à l'arrêter à l'aéroport, les policiers en embuscade reçoivent un coup de téléphone du chef de la brigade criminelle, lui aussi très proche du premier ministre. Ce dernier annule l'arrestation, prélude à un stupéfiant non-lieu judiciaire quelques mois plus tard. Ledit policier a admis avoir imposé cette décision, pourtant contraire à toutes les coutumes de procédure au Japon.
«Je suis journaliste : mon cas personnel n'est rien, mais il peut changer la société»
Shiori Ito
L'affaire en serait restée là sans la pugnacité de Shiori Ito. Noriyuki Yamaguchi lui a adressé un article en forme de lettre de justification dans un magazine d'extrême droite. De victime, Shiori Ito est devenue depuis six mois enquêtrice travaillant sur sa propre affaire. «Je suis journaliste: mon cas personnel n'est rien, mais il peut changer la société», explique-t-elle au Figaro.
Elle a retrouvé et interrogé les protagonistes ; a raconté son histoire dans un hebdomadaire et, comble du tabou, a donné une conférence de presse à visage découvert en racontant sa version des faits. Après l'extinction de l'affaire au pénal, la journaliste poursuit son présumé agresseur au civil, et répond aux médias, japonais et étrangers, qui se sont saisis de l'affaire.
L'ex-employeur de Shiori Ito, Reuters, aurait pu être une formidable caisse de résonance, mais l'agence demeure muette, invoquant le risque d'une plainte: «Reuters ne veut pas risquer de procès. Et puis pour notre audience mondiale, c'est juste un viol de plus», avoue un ancien collègue de Shiori Ito.
Les humiliations de la procédure
La journaliste vient de publier un livre, Black Box, dans lequel elle narre les humiliations subies au cours de la procédure japonaise: incrédulité, questions inutilement invasives, humiliations, comme une reconstitution du viol avec une poupée gonflable devant les policiers…
Un ex-attaché de police de l'ambassade de France qui a dû traiter le cas d'une Française violée à Tokyo raconte: «Les policiers japonais traitent un viol comme les policiers français il y a trente ans. Dans le cas auquel j'ai eu affaire, le fait que la Française ait été droguée a été porté à sa charge. Elle ne présentait pas de traces de coups, ce qui rendait son témoignage encore plus discutable. Aujourd'hui, un policier français qui reçoit une telle plainte est a priori sympathique envers la jeune femme ; il vérifiera ses dires a posteriori seulement. Pas au Japon, hélas.»
«Une partie de mes proches s'est détournée de moi»
Shiori Ito
L'affaire Shiori jette un éclairage cru sur les libertés publiques dans le Japon de Shinzo Abe, qui a mis l'administration à sa botte. Elle aurait surtout pu être le début d'une vague #metoo nippone - sinon sur la place de la femme dans la société, du moins sur les violences sexuelles, très sous-évaluées.
Dans un récent livre blanc, le ministère de la Justice évalue la proportion des viols au Japon à 1 pour 100.000 habitants, soit 37 fois moins qu'aux États-Unis et 19 fois moins qu'en France. Selon la procureure Kazuko Tanaka, seulement 4 % des cas de viols font l'objet d'une plainte, dont plus de la moitié sont classées sans suite ; les rares plaintes recevables débouchent généralement sur des peines avec sursis.
La société japonaise remise en cause
Shiori Ito affronte une société où la femme, en position socialement inférieure à l'homme, est rarement objet de plaintes. Elle a été tancée sur Twitter pour avoir donné une conférence de presse en tenue ordinaire, une chemise déboutonnée au col. «Une partie de mes proches s'est détournée de moi», raconte-t-elle. La presse s'est fait l'écho des «honey trap», ces jeunes femmes qui accusent à tort les hommes de harcèlement.
Les Japonaises partagent également dans une large mesure la vision conservatrice de leur place dans la société. «Une femme qui dîne tard avec un homme doit d'abord s'en prendre à elle-même» murmurent la plupart des femmes de la génération de Shiori Ito interrogées. «Les Japonaises sont macho. Elles n'ont pas de compassion pour leurs congénères qui souffrent de ce type de comportement», se lamente Kumi Sasaki.
Cette jeune et brillante Japonaise vient de publier, en français, Tchikan, un livre sur son calvaire de collégienne victime d'attouchements presque quotidiens pendant six ans dans les transports en commun. Un phénomène de société aussi répandu qu'occulté: il n'existe aucun livre en japonais écrit par une victime, alors que tout le monde connaît le terme. «Les seules critiques de mon livre sont venues… de Japonais qui avaient eu vent du livre. Ils trouvent que je salis l'image du pays», se désole Kumi Sasaki, qui a choisi la France pour vivre tranquille.

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Rencontre avec l'homme qui a éliminé Ben Laden (28.12.2017)
Par Maurin Picard
Mis à jour le 28/12/2017 à 23h05 | Publié le 28/12/2017 à 17h16
RÉCIT - Son identité était un secret de Polichinelle. Son fait d'armes et la médiatisation inévitable qui suivit lui valurent la rancune de ses ex-frères d'armes des Navy Seals. Héros maudit d'une Amérique lasse de se battre, Robert O'Neill a publié ses Mémoires pour «raconter ce qui s'est passé», avec l'aval du Pentagone. Ils viennent d'être publiés en France.
Correspondant à New York
La foule des grands jours se presse, un midi de décembre, sur l'avenue des Amériques, à l'ombre du Rockefeller Center et de son sapin multicolore. Une silhouette athlétique se fraie un chemin dans la jungle urbaine, démarche chaloupée, pour passer la porte d'un restaurant réputé. Comment réagiraient-ils, tous ces New-Yorkais rivés à leurs écrans de téléphone, si leur était révélée l'identité du roux trapu, au blazer de satin et santiags de velours, qu'ils viennent de croiser sur la chaussée? S'arrêteraient-ils sur le passage de ce cow-boy débonnaire, au visage dissimulé derrière des lunettes profilées, casquette de baseball vissée sur le crâne?
L'anonymat est une nécessité pour Robert O'Neill. Si l'homme de la rue apprenait son pedigree, il ne pourrait plus faire un pas sans attirer les accolades chaleureuses, les remerciements appuyés, poignées de main et selfies en prime. Difficile de raser les murs quand on affiche un CV à faire pâlir d'envie Captain America, Batman et Superman réunis. Six ans plus tôt, le vétéran des commandos de marine américains (US Navy Seal) a éliminé l'homme le plus recherché au monde: Oussama Ben Laden. Le 2 mai 2011, au deuxième étage d'un bâtiment plongé dans l'obscurité, à Abbottabad (Pakistan), il a tiré trois fois sur l'ombre d'un géant, celle du fondateur d'al-Qaida et commanditaire des attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington (2 977 morts).
Seize années dans les forces spéciales, 400 missions de combat, dont la libération du capitaine Richard Phillips des mains des pirates somaliens en 2009, des mois de répétitions laborieuses pour en arriver là. Historique, l'opération «Trident de Neptune» fut aussi irréelle pour ce soldat d'élite, comme il le raconte dans ses Mémoires tout juste traduits en français (1): «J'avais à peine posé un pied hors de l'hélicoptère, en contemplant la maison dans la pénombre que nous devions prendre d'assaut, et je me disais: “C'est incroyable!” J'essayais de digérer l'énormité de la chose en temps réel, de profiter de chaque seconde.»
La peur de ne jamais revenir
Six cents secondes, au total, s'écouleront jusqu'au «bap, bap, bap» fatidique de son fusil d'assaut face au «cheikh», comme ses femmes appelaient Ben Laden. Tir réflexe, pour neutraliser une menace immédiate. «Nous étions dans notre bulle, explique Rob. Nous agissions de manière quasi automatique, effectuant des gestes mille fois répétés à l'entraînement.» Même la contemplation du corps sans vie de Ben Laden, les photos portraits réalisées pour identification formelle, malgré les dégâts infligés à la tête du défunt (et toujours pas divulguées à ce jour), ne provoquèrent aucune émotion particulière chez O'Neill et ses camarades.
«Le truc m'a rattrapé lors du vol retour», sourit-il, tout en s'attaquant à un savoureux médaillon de bœuf. Dans l'hélicoptère, un œil sur la dépouille empaquetée dans un body bag, le natif du Montana respectait le silence général, «histoire de ne pas nous porter la poisse», avant de regagner la base américaine de Djalalabad (Afghanistan) à 90 minutes de vol d'Abbottabad. «Le Seal à côté de moi, originaire de Manhattan, m'a posé la question que tout le monde se posait: “Qui l'a descendu?” “C'est moi”, lui répondis-je. “Au nom de ma famille, merci.”»
« Je me demandais si j'étais prêt à sacrifier les cinquante prochaines années de ma vie, pour avoir la chance, même infime, de loger une balle (dans la tête de Ben Laden) ? La réponse était oui, sans hésiter »
Robert O'Neill
Pas vraiment le genre d'effusion en vogue chez cette coterie de guerriers, impitoyables cerbères d'une Amérique vengeresse. Mais Rob O'Neill, à 41 ans et une vie passée à traquer le «barbu» dans les sables d'Irak, la Corne de l'Afrique ou les grottes de Tora Bora, comprenait subitement qu'il allait devoir s'habituer à répondre à ces manifestations de reconnaissance par un vague hochement de tête, tant elles étaient appelées à se répéter.
La destruction des tours jumelles, dix ans plus tôt, il l'avait vécue comme un mauvais rêve télévisé, ressassant la vision de ces New-Yorkais désespérés, sautant dans le vide pour échapper aux flammes. Et il avait trouvé sa motivation pour partir en guerre, «faire payer les salopards» coupables de telles atrocités. «Je me demandais si j'étais prêt à sacrifier les cinquante prochaines années de ma vie, pour avoir la chance, même infime, de loger une balle (dans la tête de Ben Laden)? La réponse était oui, sans hésiter.»
« Nous pensions vraiment ne pas en revenir. Nous disposions d'hélicoptères furtifs dont nous ne connaissions pas la technologie, nous ne savions pas si les Pakistanais auraient des défenses aériennes sophistiquées»
Robert O'Neill
Bien sûr, celui parmi ses frères d'armes qui venait de lâcher à la radio le code convenu («Pour Dieu et pour le pays: Geronimo!») en faisait «un peu des tonnes», s'amuse le quadra, «comme si ce type avait attendu toute sa vie de dire un truc pareil». La fameuse «bulle» venait de percer. Encore trente, vingt, quinze, dix, cinq minutes de vol en rase-mottes pour leurrer les radars et les avions pakistanais, et ils pourraient hurler un grand coup, se congratuler, embrasser la terre ferme et danser la gigue. Rire de la remarque du pilote après le survol de l'Hindu Kuch: «Messieurs, pour la première fois de votre vie, préparez-vous à entendre ceci… Bienvenue en Afghanistan!»
Le soulagement n'avait rien de feint. «Nous pensions vraiment ne pas en revenir, explique Rob. Nous disposions d'hélicoptères furtifs dont nous ne connaissions pas la technologie, nous ne savions pas si les Pakistanais auraient des défenses aériennes sophistiquées ou si nous aurions assez de carburant pour rentrer. Et puis, avec vingt-trois gars venant défier toute l'armée pakistanaise, on ne peut pas dire que les augures jouaient en notre faveur. Mais nous avions accepté tout cela. Nous étions plutôt sereins.»
Le seul récit validé par le Pentagone
http://i.f1g.fr/media/figaro/200x309/2017/12/28/XVM6240ecd4-ebc1-11e7-95e5-232af8eed561-200x309.jpg
- Crédits photo : Nimrod
La suite est connue. Elle a fait l'objet d'un film de Kathryn Bigelow, Zero Dark Thirty (2012), et de plusieurs livres, dont celui de Rob O'Neill, «le seul validé par le Pentagone», insiste-t-il. Le premier des deux hélicoptères furtifs crashé dans le périmètre, déstabilisé par le souffle de ses rotors en vol stationnaire. La faible résistance des proches du «cheikh», abattus sans pitié. Les portes blindées, détruites méthodiquement tandis que les commandos américains progressaient de pièce en pièce, ratissant les étages en quête du «maître» saoudien.
La témérité folle de «l'homme de pointe» derrière lequel marchait Rob et qui plaqua au sol deux femmes surgies de nulle part, prêt à se sacrifier dans le cas où elles auraient porté des ceintures d'explosifs. «C'est pour cela que je pensais ne pas en revenir, précise Rob, entre deux gorgées de thé glacé. J'étais sûr que la maison allait exploser, que ses occupants, surtout Ben Laden, ne se laisseraient pas prendre vivants, préférant emmener quelques Américains dans la mort.»
Ce ne fut pas le cas. La question, depuis cette nuit sans lune, n'a cessé de se poser: pourquoi Ben Laden, moudjahid vétéran de la guerre russe d'Afghanistan, ne s'est-il pas défendu, arme à la main? «Il se pensait en sécurité, tout simplement, estime Rob. Il vivait sous la protection des services de renseignements pakistanais, à 1 km à peine de leur West Point (académie militaire américaine, NDLR) local. Comment pouvait-il se croire en danger? Nous l'avons eu et avons marqué un point important contre les “bad guys”: ils savent qu'ils ne sont plus en sécurité nulle part. Cela les empêche de dormir sur leurs deux oreilles, et c'est bon pour nous.»
Accusé de «tirer la couverture à lui»
Mais ce n'était déjà plus l'affaire de Rob O'Neill, qui pensait prendre sa retraite juste après Abbottabad, mais dut rempiler en Afghanistan après une tragédie survenue le 5 août 2011 dans la province du Wardak: 38 morts dans un hélicoptère abattu par une roquette des talibans, dont 22 Navy Seals. «Mille ans d'expérience au combat, et plusieurs bons copains évanouis d'un coup», soupire Rob, pour qui les ennuis avaient déjà commencé en interne.
«Est-ce la meilleure chose, ou bien la pire, qui me soit jamais arrivée ?»
Robert O'Neill
Sur le tarmac de Djalalabad, il avait cru naïvement que lui et les autres privilégiés du «Trident de Neptune» seraient «meilleurs amis pour la vie». Mais le concept de «frères d'armes» est une arme à double tranchant: l'index envieux pointé par ses camarades, ses supérieurs, et les inévitables incompréhensions entre ces «mâles alpha» finiront par ternir son image. Rob, bruit la rumeur, chercherait à «tirer la couverture» à lui.
Dans une telle ambiance, ceux qu'il croyait être ses amis lui tournent le dos et Rob finit par quitter le service, durablement ébranlé par la tragédie du Wardak. Il se retrouve sans protection sociale, car il n'a pas bouclé les vingt ans d'armée d'active pour espérer en bénéficier. «Drôle de traitement pour ceux qui ont servi en première ligne…» Série noire et tunnel sans fin. La mère de ses deux filles le quitte, folle d'inquiétude après l'annonce d'une fatwa contre lui.
«Est-ce la meilleure chose, ou bien la pire, qui me soit jamais arrivée?», interroge le vétéran, qui dit ne pas souffrir de stress post-traumatique et a su rebondir professionnellement, en collaborant avec Fox News et en portant sur les fonts baptismaux sa fondation, Your Grateful Nation, consacrée à la reconversion des soldats d'élite. Un ange passe. «J'ai appris une bonne leçon, reprend-il. Il y a une vie après la marine des États-Unis!» Peut-être même «la crème de la crème» des troupes d'élite, après des années sur la corde raide, parviendra-t-elle à se fondre dans la masse sans trop de problèmes. Plus facile à dire qu'à faire, bien sûr, pour le cow-boy d'Abbottabad, qui prend congé avant de replonger dans la foule, l'œil alerte. Pas de risque qu'il revête à nouveau son costume de super-héros: l'uniforme sable qu'il portait le 2 mai 2011 trône en évidence dans le mémorial souterrain du 11 Septembre, symbole de cette «longue guerre» que l'Amérique aimerait un jour voir finir.
(1) «L'Opérateur. Le témoignage exceptionnel du Navy Seal aux 400 missions de combat qui a éliminé Ben Laden». Éditions Nimrod, 349 pages, 21 €.

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Histoire de France : arrêtons les mensonges (29.12.2017)

Par Jean Sévillia
Mis à jour le 29/12/2017 à 10h35 | Publié le 29/12/2017 à 08h00
ENQUÊTE - Faut-il débaptiser les lycées Colbert ou réhabiliter les «fusillés pour l'exemple» de 14-18 ? Il n'est pas de mois où l'actualité ne ramène une controverse suscitée par la volonté de certains de réécrire l'histoire de France selon leurs critères politiques et idéologiques. Face à la manipulation du passé par le politiquement correct, défendre l'histoire véridique est un impératif vital.
Que s'est-il passé, et quand? Tous ceux qui connaissent l'histoire de l'Histoire, ce qu'en langage savant on nomme l'historiographie, savent qu'il a toujours existé des courants différents chez les historiens, déterminant des interprétations divergentes du passé, spécialement celui de la France. Histoire laïque contre histoire chrétienne, histoire républicaine contre histoire royaliste, histoire marxiste contre histoire nationale, ces débats agitaient déjà la Sorbonne dans les années 1900 - ou ne l'agitaient pas quand certaines pages noires étaient ignorées de l'université, comme les guerres de Vendée de 1793-1794, parce que cette révolte populaire contredit la légende dorée de la Révolution française. Cependant, le phénomène s'est amplifié et même durci, au cours des récentes décennies, sous l'influence de plusieurs facteurs.
En premier lieu,toute une évolution politique et culturelle, observée à gauche comme à droite, a conduit, sous l'effet de la construction européenne comme du mécanisme de la mondialisation, à considérer le cadre national comme obsolète, voire dangereux, et en conséquence à délégitimer l'histoire de France en tant que telle, à caricaturer en «roman national» le récit de la naissance de la France et de sa destinée millénaire, comme si l'existence d'une communauté nationale française relevait de la fiction, d'une opinion subjective.
Corrélativement, même si la recherche historique a fait progresser les connaissances dans maints domaines, si bien qu'il n'est plus possible, par exemple, d'évoquer les Gaulois comme le faisaient les manuels de la IIIe République, cette dévalorisation du cadre national a modifié la manière de raconter l'histoire, notamment en milieu scolaire puisque, là où l'école d'autrefois parlait patriotisme et assimilation, celle d'aujourd'hui parle multiculturalisme, ouverture, droit à la différence. Contester cette pédagogie manifesterait, accusent d'aucuns, une coupable «passion identitaire» attentatoire au «vivre-ensemble». Parue en janvier de cette année, L'Histoire mondiale de la France , publiée sous la direction de Patrick Boucheron(Seuil), se flatte d'offrir ainsi une histoire «globale» et «connectée», remplie de bonne conscience progressiste, et qui en vient, comme l'a souligné Pierre Nora, au prétexte de rendre compte de la pluralité des racines de la France, à noyer la spécificité française.
La démultiplication des moyens de communication, dans notre société high-tech, offre une immense caisse de résonance à cette manipulation de l'histoire par le politiquement correct
En second lieu, la succession des lois mémorielles, dans les années 1990 et 2000, a engendré non seulement des revendications particulières ou communautaires dans la lecture de l'histoire, mais aussi des réflexes de judiciarisation des différends, au point qu'en 2005, déjà, une pétition d'historiens de toutes tendances avait demandé l'abolition ou la modification de ces lois devenues, dans certaines mains, des armes incontrôlables. L'appel avait été lancé quelque temps après que les pouvoirs publics eurent renoncé à célébrer le deux centième anniversaire de la bataille d'Austerlitz, par crainte des foudres de ceux qui ne voient dans Napoléon que l'homme qui avait rétabli l'esclavage à la Guadeloupe…
En troisième lieu,la démultiplication des moyens de communication, dans notre société high-tech, offre une immense caisse de résonance à cette manipulation de l'histoire par le politiquement correct. Car ce ne sont plus seulement les revues spécialisées ou la presse grand public, comme avant-hier, ou le cinéma, la radio et la télévision, comme hier, mais internet et les réseaux sociaux, de Facebook à Twitter, qui répercutent les débats historiques, pour le meilleur ou pour le pire, jusque sur les petits écrans que les gens lisent au café ou dans le métro. Or quelle est la valeur d'un avis lapidaire en 280 signes sur un sujet qui a demandé une vie de travail à d'authentiques érudits?
Oui, le monde a changé. Oui, notre société a changé. Mais ce n'est pas une raison pour travestir ou réécrire le passé à l'aune des critères politiques, sociaux, psychologiques et mentaux d'aujourd'hui. Que cela plaise ou non, la science historique et ses méthodes de rigueur demeurent irremplaçables. Quant aux historiens qui ne sont pas des idéologues, ils poursuivent leur mission: faire comprendre le passé afin d'expliquer le présent et en tirer quelques lueurs pour l'avenir.

Les Cathares n'étaient pas des saints
Le dimanche 16 octobre 2016, l'évêque de Pamiers, dans l'Ariège, présidait une «démarche de pardon» dans le village de Montségur où, en 1244, deux cents cathares avaient péri sur le bûcher. En cause, l'intolérance de l'Eglise du Moyen Age qui avait persécuté «des chrétiens pas tout à fait comme les autres». Pas tout à fait comme les autres? Surprenante litote. Les cathares opposaient dans un dualisme absolu le principe du bien, qui avait enfanté l'esprit, et le principe du mal, qui était à l'origine de la matière.

En 1244, l'armée royale s'empare du dernier fief cathare, le château de Montségur, et livre aux flammes des dizaines d'hérétiques. - Crédits photo : ©Bianchetti/Leemage
Pour eux, ce n'était pas Dieu qui avait créé l'univers, mais Satan, et Jésus était un ange dont la vie terrestre n'avait été qu'une illusion. L'antinomie avec le christianisme était totale. La religion des cathares, d'autre part, distinguait les croyants, qui conservaient leurs habitudes extérieures, et les parfaits qui vivaient en communauté, observant toutes sortes de rites initiatiques et la plus stricte continence alimentaire et sexuelle.
Plus qu'une hérésie, le catharisme constituait par conséquent une remise en cause intégrale de la foi chrétienne, de l'Eglise, de la famille, de la propriété et du serment d'homme à homme, fondements de l'organisation féodale. Largement de quoi provoquer la contre-offensive d'une société où l'orthodoxie chrétienne était considérée comme le garant de l'ordre social.
Pour réduire ce qui s'apparentait à une secte, un vaste effort missionnaire fut mené par saint Bernard de Cîteaux puis par les Dominicains, ordre fondé à cette occasion. En 1208, Pierre de Castelnau, chargé par le pape Innocent III de combattre l'hérésie par la prédication, est assassiné, crime dont le comte de Toulouse, qui est favorable aux cathares, est soupçonné d'être le commanditaire. Constatant l'impuissance des méthodes pacifiques, le pape prêche la croisade contre les hérétiques. Puisque le roi Philippe Auguste refuse de mêler la couronne à l'affaire, l'intervention militaire commence en 1209 sous la direction de Simon de Montfort. Contrairement à une idée reçue, l'armée de ce seigneur d'Ile-de-France compte nombre de chevaliers du Languedoc.
Au sud de Carcassonne et à l'est de Montségur, le château-forteresse de Puilaurens (Aude) servit de refuge aux cathares au milieu du XIIIe siècle. - Crédits photo : Manuel Cohen / aurimages
La guerre durera vingt ans, cruelle dans les deux camps: les croisés massacrent les habitants de Béziers en 1209, le comte de Toulouse en fait autant à Pujols en 1213. En 1241, douze ans après la fin de la croisade des Albigeois, conflit politico-religieux qui n'a pas éliminé le catharisme, le nouveau comte de Toulouse, hostile à l'hérésie, met en vain le siège sous Montségur, ultime sanctuaire des cathares. En 1244, c'est l'armée royale qui s'empare des lieux et condamne à mort 225 parfaits (chiffre incertain) qui refusent d'abjurer. Le castrum cathare sera détruit: l'actuel château de Montségur est en réalité une forteresse royale bâtie ultérieurement.
Michel Roquebert, le grand spécialiste des cathares *, convient que l'Eglise médiévale n'aurait pu combattre ceux-ci avec d'autres moyens que ceux qu'elle a progressivement mis en œuvre, de la persuasion à l'emploi de la force par le bras séculier.
*L'Epopée cathare, de Michel Roquebert (Tempus, 2008).

Faut-il brûler Colbert?
Au mois de septembre dernier, Louis-Georges Tin, le président du Conseil représentatif des associations noires (Cran), et le philosophe Louis Sala-Molins publiaient dansLe Mondeune tribune dans laquelle, faisant suite au débat lancé aux Etats-Unis par le démontage des statues du général Lee, ils appelaient à débaptiser en France les collèges et lycées portant le nom de Colbert, au motif que le ministre de Louis XIV serait coupable de crime contre l'humanité pour avoir légalisé l'esclavage en édictant le fameux Code noir. En l'espèce, les deux hommes poursuivaient un combat militant qu'ils mènent depuis longtemps.

Parce qu'il édicta le Code noir qui légalisa l'esclavage, certains voudraient brûler aujourd'hui le grand ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert. - Crédits photo : ©Costa/Leemage
Outre ce qu'il y a d'absurde à réduire l'œuvre immense de Jean-Baptiste Colbert à l'ordonnance de mars 1685 «sur les esclaves des îles de l'Amérique», texte que ses services ont préparé, mais qui a été mis au point après sa mort, en 1683, par son fils et successeur au secrétariat d'Etat à la Marine, le marquis de Seignelay, considérer le Code noir, expression qui désigne cette ordonnance à partir de la fin du XVIIIe siècle, avec les yeux d'aujourd'hui est un pur anachronisme. Vu en 2017, ce «recueil des règlements rendus concernant le gouvernement, l'administration de la justice, la police, la discipline et le commerce des nègres dans les colonies» est profondément choquant, puisqu'il inscrit l'esclavage dans le droit français. Vu dans son époque, il prend une autre valeur.
Le Code noir est conçu alors que l'esclavage est pratiqué outre-mer par toutes les nations maritimes européennes, et au sein même de la société, en Afrique et dans le monde arabo-musulman. Dans ce contexte, l'intervention de l'Etat français présente un mérite relatif: des règles sont posées afin d'adoucir le sort des esclaves, esclaves dont la condition servile a précédé le Code noir.
Jean-François Niort, un universitaire qui enseigne à la Guadeloupe, a publié en 2015, sur cette ordonnance royale, un livre (1) qui lui vaudra d'être accusé de négationnisme parce qu'il contredisait Louis Sala-Molins qui, dans un ouvrage paru il y a trente ans (2), affirmait que le Code noir se fondait sur la négation de l'humanité de l'esclave. Niort montre au contraire que plusieurs prescriptions de ce texte, notamment en matière religieuse, supposaient que le travailleur servile soit considéré comme un homme, et non comme une chose ou un animal (les propriétaires d'esclaves étaient ainsi tenus de les faire baptiser).
Jean-François Niort souligne par ailleurs que l'intervention de l'Etat royal, posant des bornes au pouvoir arbitraire des propriétaires, créait les conditions d'une possible évolution de la législation en faveur des esclaves. Il reste que ces derniers étaient apparentés à des biens meubles, un statut indigne, que l'évolution des esprits, en Occident, conduira enfin à condamner et à abolir au cours du premier tiers du XIXe siècle. Le Code noir n'avait certes rien d'idyllique, mais il faut le replacer dans son époque.
(1) Le Code noir, de Jean-François Niort (Le Cavalier Bleu, 2015). (2)Le Code noir ou Le Calvaire de Canaan, de Louis Sala-Molins (PUF, 1987).

Marie-Antoinette, reine martyre et star mondiale
Le 22 novembre dernier, Daniel Picouly, écrivain à succès et animateur de télévision, parlait de ses livres devant un public de lycéens de Nice à qui il expliquait que son roman, L'Enfant léopard, prix Renaudot 1999, mettait en scène un garçon de 10 ans, son double à l'âge où il était tombé amoureux de… Marie-Antoinette.
Peu auparavant, une dépêche informait que la pop star américaine Katy Perry venait de tourner un clip de présentation de son nouveau single, clip dans lequel elle était déguisée en Marie-Antoinette. Une autre dépêche, au même moment, signalait que la pièce The Final Hour of Marie-Antoinette's Life(«Marie Antoinette. La dernière heure»), de et avec l'actrice-réalisatrice française Bunny Godillot, faisait salle pleine au théâtre The Cockpit, à Londres.

Vouée aux gémonies dans les derniers mois de sa vie, la reine Marie-Antoinette a été réhabilitée par l'Histoire. - Crédits photo : apk-images
Arrivée en France à 14 ans et demi afin d'épouser le futur Louis XVI, devenue reine quatre ans plus tard, elle était rapidement devenue impopulaire, pour partie parce que, élevée à la cour de Vienne où le style était beaucoup plus simple et familial, elle avait eu du mal à intégrer les codes de Versailles et s'était laissé emporter par la tentation du luxe et de la frivolité. Accusée d'être dépensière, ce qui était vrai, et de favoriser les intérêts de son Autriche natale, ce à quoi elle ne parvenait pas mais non faute d'avoir essayé, Marie-Antoinette fut détestée à partir de l'affaire du collier, escroquerie dans laquelle elle n'était pourtant pas coupable.
Au cours des années précédant la Révolution, ayant compris qu'elle avait nui à la monarchie, elle tenta de s'intéresser à la politique, mais avec maladresse. Conduite de force à Paris avec le roi, en octobre 1789, assignée à résidence, elle correspondit afin de trouver de l'aide, en France ou hors du royaume, échafauda un plan d'évasion avec la complicité du Suédois Fersen à qui la liait une amitié amoureuse, plongea dans le désespoir lors de l'échec de la fuite à Varennes.
C'est après la prise des Tuileries et l'internement de la famille royale que Marie-Antoinette entama sa mue. Tandis que Louis XVI, lucide sur l'avenir, affichait une sérénité qui était le fruit de son élévation spirituelle, la reine apprit enfin à estimer son mari avec qui elle s'était associée dans l'épreuve, refusant de l'abandonner, fût-ce pour se mettre hors de danger avec ses enfants. Au Temple, la foi chrétienne et la vie de famille étaient dorénavant leur seul recours.
Pendant le procès de Louis XVI, puis son propre enfermement à la Conciergerie après la décapitation du roi et son procès, la reine, malade et prématurément vieillie, pressentait à son tour qu'elle n'échapperait pas au couperet d'une révolution devenue folle. Repoussant les accusations les plus ignobles (l'inceste avec son fils), condamnée à mort pour ce qu'elle était et non pour ce qu'elle avait fait, cette mère montera à l'échafaud, le 16 octobre 1793, en faisant preuve de la plus admirable dignité. Archiduchesse d'Autriche et reine de France, elle n'avait plus sa place dans un pays livré à la Terreur, et qui faisait la guerre aux rois.
Deux siècles plus tard, cette sacrifiée est regardée comme innocente par les historiens, et comme une icône par le grand public. Ironie de l'Histoire.

Ombres et lumières de l'Algérie française
Même s'il s'est bien gardé de revenir sur le sujet lors de son voyage officiel en tant que Président, à Alger, début décembre, les propos d'Emmanuel Macron en février 2017 qualifiant la colonisation en Algérie de «crime contre l'humanité», ont déclenché une vive polémique, à la mesure de l'émotion ressentie par les Français originaires de «là-bas», cette communauté de blessés de l'Histoire. Comment dépeindre sous les couleurs du crime contre l'humanité cent trente années d'administration d'un territoire français?
L'Algérie française, de 1830 à 1962, ne constitue pas un bloc. Schématiquement, son histoire se résume à trois phases. Première phase, jusqu'en 1847, voire jusqu'à la révolte de la Kabylie en 1871: la conquête. Une opération rude, conduite par des militaires qui avaient gagné leurs galons dans les armées révolutionnaires et napoléoniennes et dont ils appliquaient les méthodes. Cette guerre a fait de 250.000 à 300.000 victimes algériennes.
Bugeaud ne faisait certes pas de cadeau, mais les troupes d'Abd el-Kader ou les Kabyles, qui ne faisaient pas de prisonniers, menaient une guerre tout aussi féroce. A l'autre bout de la chaîne, la troisième phase, la guerre qui conduira à l'indépendance de l'Algérie, de 1954 à 1962, sera non moins cruelle, se soldant par 15.000 pertes militaires chez les Français et 150.000 du côté du FLN. A l'issue de ce sanglant affrontement, des Français d'Algérie seront victimes d'actes aujourd'hui constitutifs du crime contre l'humanité: environ 15.000 Européens ou musulmans fidèles à la France disparus avant et après le 19 mars 1962, et de 60.000 à 80.000 harkis massacrés.
Des Arabes et des Européens partageant l'apéritif dans un café c'était aussi cela, l'Algérie française. - Crédits photo : Bernard Lipnitzki/Roger-Viollet
Mais, entre ces deux phases du début et de la fin, il y a eu un long entre-deux de l'Algérie française. Cinquante ou soixante ans où la relation de domination entre le colonisateur et le colonisé a pu se transformer, se pacifier, jusqu'à engendrer, dans une large partie de la population indigène (mot d'époque), un sentiment d'attraction envers la France.
L'Algérie française eut ses limites, car elle fut une société à deux vitesses où 900.000 Européens, citadins en majorité, pauvres pour beaucoup, jouissaient de tous les droits de la nationalité et de la citoyenneté, tandis que 8 millions de musulmans à la démographie galopante, français depuis Napoléon III mais qui n'avaient obtenu la citoyenneté que par étapes tardives, étaient majoritairement des ruraux qui souffraient du sous-équipement.
L'Algérie française, cependant, signifia aussi la création de milliers de routes, de ponts, de barrages et de ports. Ce fut une œuvre sanitaire (132 hôpitaux à la veille de l'indépendance) et une œuvre scolaire qui permettait, en 1960, à 75 % des garçons musulmans et 50 % des filles d'Alger de fréquenter l'école. L'Algérie française, ce fut encore ces gisements de pétrole et de gaz découverts en 1956-1957 et dont vit l'Algérie indépendante. Ce fut aussi une fraternité d'armes franco-musulmane nouée pendant les deux guerres mondiales et pendant la guerre d'Algérie où les supplétifs musulmans de l'armée française représentaient un effectif quatre fois supérieur à celui de l'ALN…
Une part d'ombre, une part de lumière: rien qui n'autorise les jugements manichéens.

Le mythe des fusillés pour l'exemple
Le 11 novembre dernier, à côté des cérémonies à la mémoire des combattants de 1914-1918, se sont déroulées, dans une dizaine de départements, des manifestations d'hommage aux soldats fusillés pendant ce conflit. Depuis qu'en 1998, Lionel Jospin, alors Premier ministre, a réclamé, dans un discours prononcé à Craonne, la réintégration «dans notre mémoire nationale des soldats fusillés pour l'exemple», la revendication est récurrente.
Fusillés pour l'exemple? La formule entretient la confusion entre deux réalités différentes: d'une part, les exécutions qui ont eu lieu sur le front, par décision de justice, pendant toute la durée de la Grande Guerre, et d'autre part, la répression des mouvements collectifs de désobéissance de 1917.

Un des 600 soldats français excécutés pour «trahison» ou «espionnage» en 14-18. Un chiffre à mettre en rapport avec les 8 millions de mobilisés… - Crédits photo : Bernard Lipnitzki/Roger-Viollet
Pour un total de 8 millions de Français mobilisés de 1914 à 1918, 2 400 condamnations à mort ont été prononcées, dont 600 exécutées - chiffre à rapporter aux 1,4 million de tués au combat. Les motifs étaient divers: abandons de poste en présence de l'ennemi, mutilations volontaires, désertions, refus d'obéissance, outrages et voies de fait sur un supérieur, mais aussi crimes de droit commun (assassinats, viols).
Selon André Bach (1), les deux tiers des condamnés ont été fusillés en 1914 et en 1915. Au cours des premiers mois de la guerre, des mesures sévères ont été prises afin d'enrayer les mouvements de panique dans la troupe, quelques exécutions sommaires ayant même eu lieu. A partir de 1915, la stabilisation du front et l'expérience acquise par les soldats conduisent à supprimer les cours martiales instituées en 1914, à faire bénéficier les inculpés, dans les accusations les plus graves, d'avocats civils, et à leur offrir des garanties: recours en révision, droit de grâce du président de la République.
Les condamnés dont le recours en grâce a été rejeté n'ont donc pas été arbitrairement «fusillés pour l'exemple»: au regard du code de justice militaire, ils étaient coupables. Cela n'empêche pas, bien sûr, que des erreurs ont été commises. Les injustices flagrantes, une cinquantaine de cas, ont donné lieu, après-guerre, à des réhabilitations officielles, comme pour les six fantassins du 298e RI exécutés pour abandon de poste, à Vingré, en 1914, alors qu'ils avaient battu en retraite en obéissant à un ordre. Ils seront réhabilités par la Cour de cassation en 1921. Si cruels soient-ils, ces cas ne peuvent être isolés de leur contexte, celui d'un univers de boue et de sang où chaque jour des milliers d'hommes mouraient ou étaient atrocement blessés.
Les refus d'obéissance de 1917 constituent un autre sujet. Improprement désignés comme des mutineries, ils résultaient d'une lassitude des combattants alors que la guerre durait depuis trois ans, sans résultat décisif, et de l'échec de l'offensive Nivelle (140.000 hommes tués, disparus, blessés ou prisonniers, entre le 16 et le 19 avril 1917, pour un gain deterrain nul). Selon Denis Rolland, 78 divisions ont été concernées par 161 mouvements de désobéissance de plus ou moins grande amplitude, qui ont touché entre 59.000 et 88.000 participants (2). Sur ces dizaines de milliers d'hommes, 629 ont été condamnés à mort entre juin et décembre 1917, mais seulement 49 des peines capitales ont été exécutées (à quoi s'ajoutent 2 873 peines de prison).
Sur un plan judiciaire, rouvrir ces dossiers alors que les témoins, et souvent les pièces, ont disparu n'aurait aucun sens. A quoi rime alors cet antimilitarisme rétrospectif?
(1) Fusillés pour l'exemple, 1914-1915, du général André Bach (Tallandier, 2003).
(2)La Grève des tranchées. Les mutineries de 1917, de Denis Rolland (Editions Imago, 2005).
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