mercredi 27 décembre 2017

Y-a-t-il jamais eu de grands hommes de science musulmans ?, par Waseem Altaf

Un texte d’un musulman pakistanais sur le soi-disant « âge d’or » de l’islam publié sur un site pakistanais.

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Au sein du monde musulman, la pensée rationnelle s’est déployée durant le règne des souverains tolérants de la dynastie des Abbassides. C’est cependant après la montée en puissance de « savants » comme Al-Ghazali que toute pensée scientifique s’est alors éteinte, depuis le 13ème siècle.
Alors que, nous vivons toujours dans l’aura de nos découvertes scientifiques passées, nous oublions qu’il n’y vraiment là que bien peu de choses à nous attribuer, bien peu dont nous pourrions être fiers, nous, en tant que musulmans.

Plus de 90% des traductions arabes des philosophes grecs ont été réalisées soit par des lettrés chrétiens, soit par des lettrés juifs.
C’est durant le règne des califes abbassides, en particulier celui
(autour de l’an 813 après JC), que les érudits musulmans, au sein de sa « Beyt-Al-Hikma » (sa maison de la sagesse) ont pu commencer de traduire les classiques grecs, principalement la tradition aristotélicienne. Sachant que pour cela, ils se sont essentiellement référés à des sources indirectes, perses et indiennes. Ils laissèrent également une quantité considérable de commentaires sur la philosophie grecque. Et pourtant, il n’y eut qu’un petit nombre de traducteurs musulmans, des esprits curieux pour la plupart. Plus de 90% des traductions arabes des philosophes grecs ont été réalisées soit par des lettrés chrétiens, soit par des lettrés juifs. Nous noterons avec intérêt que l’astronomie musulmane défendait une conception géocentrique, fondée sur le système de Ptolémée, que l’algèbre était initialement une discipline grecque, et que les nombres dits « arabes » étaient en fait indiens.
L’Occident avait connaissance de la plupart de ces recherches lors du 12ème siècle, au temps de la première renaissance. Bien que certains savants occidentaux aient pu voyager en Espagne pour y étudier les traductions arabes de la pensée grecque classique, ils ont pu rapidement se rendre compte qu’ils pouvaient aussi trouver les versions originales des textes grecs dans les bibliothèques de l’ancienne ville grecque de Byzance [Note d’Olaf : voir également les travaux de Sylvain Gouguenheim,
Toutefois, il serait déloyal de ne pas mentionner certains de ces grands savants musulmans, qui, bien que très peu nombreux, ont vraiment contribué au développement de la philosophie et de la science.
Le persan
(865- 925 après JC), le plus grand de tous les médecins, philosophes et alchimistes  musulmans a écrit 184 livres et articles, rejeté la primauté de la révélation pour finir par considérer la religion comme quelque chose de dangereux. Il fut condamné pour blasphème, et presque tous ses livres furent détruits par la suite.
Ibn Sina, ou
(980-1037 après JC), un autre grand médecin, philosophe et homme de science était un Ouzbek. Avicenne plaçait la philosophie au dessus de la théologie. Ses vues personnelles contrastaient pour le moins avec les principales doctrines islamiques ; il refusait ainsi de croire en la résurrection des morts. Et du fait de ses opinions, il devint la cible principale
et fut tenu pour apostat.
(1126-1198 après JC) ou Averroès fut un philosophe et homme de science qui explicita le coran selon la philosophie aristotélicienne. Il fut jugé coupable d’hérésie, ses livres furent brûlés, il fut traduit en justice, et banni de Lucena [Note d’Olaf : voir sur ce sujet
entre Luc Ferry et Rémi Brague].
(973-1048 après JC), père de l’Indologie et génie protéiforme soutenait fermement que le coran ne s’appliquait qu’à son domaine propre et ne devait pas interférer avec celui de la science.
(780-850 après JC) était un autre mathématicien, astronome et poète persan. L’historien
le tenait pour un Zoroastrien, d’autres pour un musulman. Toutefois, il n’a jamais reconnu l’islam dans aucune de ses œuvres, ni relié aucune de ses découvertes aux saintes écritures.
(1048-1131 après JC), l’un parmi les plus grands mathématiciens, astronomes et poètes était très critique vis-à-vis de la religion, particulièrement de l’islam. Il a sévèrement fustigé l’idée selon laquelle chaque événement, chaque phénomène, procède d’une intervention divine.
(872-950 après JC), un autre grand philosophe musulman, profondément inspiré par Aristote, plaçait la raison au dessus de la religion et plaida pour reléguer la prophétie dans le champ de la philosophie.
(721-815 après JC) était un alchimiste accompli, musulman, doublé d’un pharmacien. Malgré ses penchants pour le mysticisme, il reconnaissait totalement la place de l’expérimentation dans l’exploration scientifique.
ou Alhacen (965-1040 après JC) était un médecin, mathématicien, astronome, et expert en optique de tout premier plan. Le calife fatimide Hakim lui ordonna de trouver un moyen de maîtriser les crues du Nil – ce qu’Alhacen savait pourtant être une mission impossible. Il simula alors la folie, et fut assigné à résidence pour le reste de sa vie [Note d’Olaf : il put y continuer ses recherches, fut libéré à la mort du calife, et cessa alors de feindre la folie].
A parcourir ainsi la vie de ces grands hommes, on réalise à quel point ils furent influencés par les contributions des Grecs, des Babyloniens, ou des Indiens à la philosophie et à la science, à quel point ils mirent en œuvre leur raison et leur esprit critique, et à quel point ils ne furent pas vraiment de « bons musulmans » – pour ne pas dire des athées …
Une part significative d’entre eux rechignait à dévoiler le fond de leur croyance religieuse, de peur des représailles des fanatiques. Ils n’ont jamais attribué leurs découvertes et leurs travaux à l’islam, ou à un quelconque divin. Et c’est bien leur esprit critique qui fit d’eux des savants et des hommes de sciences, par l’exercice de leur pensée, inspirant l’observation du réel, et non en raison d’écritures qui restreignent le champ d’une pensée libre et entravent l’acquisition de la connaissance.
De fait, attribuer à l’islam les découvertes des hommes de science musulmans relève ainsi de la pure rhétorique, puisqu’ils n’en ont rien retiré pour celles-ci, et que de plus, l’islam n’a pas vraiment contribué à leur développement par la suite. Et cerise sur le gâteau, nous nous rendons bien compte que le peu de contribution ainsi apportée à la science fut le fait de musulmans « imparfaits ».

Toutefois, ce fut un musulman « parfait », un islamiste, qui, au 12ème siècle, donna le plus grand coup d’arrêt à la pensée scientifique dans le monde musulman. L’imam

(1058-1111 après JC) [image ci-contre], toujours considéré aujourd’hui comme un des principaux penseurs musulmans, a condamné ouvertement le recours au raisonnement scientifique et la compréhension des lois de la nature. Ghazali soutenait qu’affirmer l’existence de telles lois revenait à circonscrire le pouvoir divin. Il défendait par exemple qu’une étoffe de coton mise au feu ne se consumait pas en raison de propriétés physiques, mais parce que Dieu souhaitait qu’elle brûlât. Ghazali était également un soutien fervent des
ces philosophes qui expliquaient les phénomènes physiques par la  primauté de l’intervention du divin, et se sont durement opposés aux Moutazilites – ces derniers, des rationalistes, se révélant comme les véritables tenants de la pensée scientifique.
En d’autres termes, se faisant le défenseur de l’orthodoxie et du dogmatisme, Ghazali y a sacrifié rationalité et raisonnement scientifique. Et aujourd’hui, les quatre principales écoles de pensée de l’islam sunnite rejettent toutes le concept
que l’on pourrait grosso modo comprendre comme celui de « liberté de penser ». C’est pourquoi toute innovation, toute modification des schémas traditionnels de pensée y sont exclues d’office. Nous constatons de même que tandis que l’Europe développait les technologies et la culture de l’usage des machines, le monde islamique se révélait particulièrement lent à les accepter. Un exemple parlant est celui de l’imprimerie, qui atteignit les territoires musulmans dès 1492 : l’impression fut pourtant interdite par les autorités islamiques par peur de déshonorer le coran en le produisant par le biais d’une machine. Et ainsi, les Arabes ont du attendre le 18ème siècle pour maîtriser l’imprimerie.
Il est par ailleurs bien établi que la démocratie et la laïcité – et non le dogmatisme religieux – sont les mamelles des découvertes scientifiques. Et c’est seulement là où la religion ne s’immisçait pas dans les affaires de l’Etat que ces découvertes ont pu se développer. De ce fait, il existe un rapport inverse entre l’orthodoxie religieuse et le progrès scientifique. La pensée rationnelle au sein du monde musulman s’est ainsi développée sous le règne des souverains tolérants de la dynastie abbasside qui protégeaient les Moutazilites et les penseurs rationnels.
Mais, à la suite du travail de compilation des hadiths par des fanatiques, et de la montée en puissance de « savants » comme Al-Ghazali, toute pensée scientifique s’est alors éteinte au 13ème siècle.
Et par voie de conséquence, les musulmans n’ont quasiment plus contribué aux progrès scientifiques et de la civilisation depuis le début du 13ème siècle. Et alors même que la science et la technologie s’épanouissaient dans le monde moderne, une immense majorité des musulmans, engloutis dans l’obscurantisme, continuent de trouver du réconfort à réchauffer les fantasmes d’une époque révolue – ce soi-disant « âge d’or » de l’islam.
Traduction par Olaf pour Poste de veille
Lecture complémentaire recommandée, sur les travaux de l’historien médiéviste français Sylvain Gouguenheim :


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