Publié le 18/08/2016 à 15:55 Fatiha Boudjahlat
Cofondatrice avec Celine Pina du
mouvement Viv(r)e la République
Auteure de Féminisme,
tolérance, racisme, culture : Le Grand Détournement. (Editions du
Cerf, à paraître en novembre)
Fatiha Boudjahlat fustige ceux
qui, dans "l'affaire du burkini" comme dans d'autres, n'ont qu'une
obsession : "faire rendre gorge à l'arrogante République française."
Pour elle, "le raciste est celui qui interdit de penser en dehors de son
épiderme et de la communauté ethnique dans laquelle il assigne l'autre à
résidence" et celui qui "interdit ou criminalise l'émancipation,
c'est à dire l'autonomie, la pensée par soi-même".
Edwy Plenel a encore frappé fort
en comparant le
burkini aux « bains habillés » du début du siècle. Ce faisant, il
lie lui-même, sans le vouloir, la nature du vêtement à la place des femmes dans
l’espace public et à leur accès sous conditions aux loisirs. Cette
émancipation par le vêtement est corrélée à l’émancipation sociale et politique
de la femme. Oui, un vêtement n’est pas que du textile, c’est un horizon tout
autant qu’il peut être une entrave. Cette obsession de Plenel
vient en appui de l’idéologie postcoloniale faisant du blanc un coupable
éternel et des minorités des victimes structurelles. Cette idéologie se double
d’une critique de la République en ce qu’elle émancipe des solidarités subies,
celles des origines ethniques. M. Plenel a des « partenaires dans
le crime », inattendus mais tout aussi militants, du côté des
identitaires : faire rendre gorge à l’arrogante République
française.
Lire la suite : https://www.marianne.net/debattons/tribunes/edwy-plenel-pir-ccif-identitaires-les-nouveaux-racistes
Oui, un vêtement n’est pas que du
textile, c’est un horizon tout autant qu’il peut être une entrave.
La critique du colonialisme et
du colonisateur, sans cesse mis en cause, entraîne paradoxalement les
Indigénistes et les gauchistes islamophiles dans un rejeu colonial
permanent. Mme Bouteldja du Parti des Indigènes de la République (PIR)
condamne les mariages mixtes parce
qu’une race doit préserver sa pureté. Les voilà créant la race
musulmane : la pratique religieuse permettant de se purifier de
l’influence occidentale, plus elle est rigoriste, plus elle se distingue de la
société, mieux elle permet d’affirmer une identité ethnique et de recouvrer
fierté et authenticité. Mais ce faisant, ils prolongent eux-mêmes le processus
colonisateur.
Prenons l’exemple de l’Algérie
française :
« Les musulmans d’Algérie
étaient non pleinement Français parce que s’appliquait à eux la charia (la loi
musulmane), dont certaines dispositions étaient contraires au Code Civil.
Certains d’entre eux se convertirent au catholicisme et allèrent devant le juge
pour que leur soit reconnue la pleine nationalité française. Devenus
catholiques, ils ne respectaient plus la charia (…). Mais, en 1903, la Cour
d’Appel d’Alger déclara : "Le terme musulman n’a pas un sens purement
confessionnel mais désigne au contraire l’ensemble des individus d’origine
musulmane qui, n’ayant point encore été admis à la naturalisation, ont
nécessairement conservé leur statut personnel musulman, sans qu’il y ait lieu
de distinguer s’ils appartiennent ou non au culte musulman." »[1]
M. Plenel et ses amis
accommodants donnent le sentiment de vouloir créer la race musulmane,
exactement comme l’administration coloniale l’avait fait en son temps,
ressuscitant les anciennes nomenclatures. Se trouvent ainsi validées
ces paroles d’Etienne Picard, professeur de droit public : « Les
identités ethniques défendues par les leaders indépendantistes sont des
inventions forgées antérieurement par les administrations coloniales, au
détriment des réalités locales qu’elles ont contribué à détruire. »[2] Cette indigénisation permettait à
l’Etat colonial d’exclure des populations d’une citoyenneté politique pleine,
de maintenir la sujétion. Les Indigénistes, dont les actes et les textes
rappellent en tous points ceux des Afrikaners, réclament la même
différenciation. Y compris dans la partition de l’espace, comme ces espaces
revendiqués comme affranchis de la mixité ethnique.
Le raciste est celui qui interdit
de penser en dehors de son épiderme et de la communauté ethnique dans laquelle
il assigne l'autre à résidence.
Ce nouveau racialisme se
traduit par la volonté de renouer avec une authenticité originelle mythique et
se traduit par la racialisation des rapports sociaux. Une activiste
indigéniste, Sihem Assbague, voit dans le classement faisant d’Omar Sy la
personnalité préférée des Français, la preuve du
racisme Français face au noir que l’on aime comique. Participer à la
société, se sentir bien dans ses baskets et bien dans la République, c’est
trahir la cause, se soumettre, faire le blanc. M. Plenel,
lui, prétend défendre la liberté d’expression en général et celle de
monsieur Ramadan en particulier. Dans les faits, il ne défend que la pratique
la plus rigoriste.
Mais cette conception
communautariste, l’apartheid à l’envers, c’est-à-dire à l’initiative des
minorités, entre en convergence avec les identitaires selon la même volonté de
différentiation, de personnalité des lois et des droits : laissons-les
entre eux, leurs règles, leurs mœurs. Il n’y a qu’à lire ces propos de Jean
Mabire, parus dans la revue Terre et Peuple de 2003, revue
dont il était le président d’honneur, et repris dans le cadre d’un hommage
posthume dans le numéro de juillet-août 2016 de la revue Eléments pour
la civilisation européenne :
« Pour les [immigrés]
comme pour nous, hormis une minorité de garçons et surtout de filles qui voudront
changer d’âme à défaut de changer de peau, il faut leur permettre et même les
encourager à cultiver leurs différences. Donc oui au voile, oui aux écoles
traditionnelles, oui aux mosquées, oui au Ramadan et même à Tariq Ramadan qui a
provoqué un tel scandale chez les bien-pensants de la pensée unique. Que la
République ne traite pas les Arabes et les Kabyles comme elle a traité les
Bretons et les Alsaciens ! Ce serait créer, au lieu du communautarisme de
tolérance mutuelle, un communautarisme de refus et de haine. »
Tout est dit. Et je suis certaine
qu’Edwy Plenel, Mme Bouteldja, le CCIF (Collectif contre l'islamophobie en
France), Tariq Ramadan signeraient ce texte. L’adversaire est bien
la République qui émancipe, ainsi que la territorialité des lois. Le projet est
bien le communautarisme de type ethnique et religieux, que les accommodants
drapent souvent dans les habits plus dignes du culturel. Cette République « qui
saoûle » Marion Maréchal-Le Pen, je reprends ses mots prononcés
l’année qui a vu 85 de nos compatriotes assassinés pour avoir participé à la
fête de la Nation, fête de la République. Vouloir s’émanciper et penser par
soi-même ? C’est « changer d’âme à défaut de changer de peau ».
Il faut rester dans sa communauté ethnique et religieuse, la revendication
politique étant en filigrane. Pas de mixité, pas de conflit. Et chacun ses
règles. C’est l’assignation identitaire. Ainsi, quel est l’argument le
plus entendu ? Etre contre le signe d’asservissement qu’est la burqa
dans le principe et pour soi-même et les siens, défendre ce droit pour ‘les
autres’, parce que conforme à l’identité culturelle qu’on leur prête. Mais
n’est-ce pas du racisme sous couvert de bons sentiments ? Assigner
un comportement, une unanimité de mœurs, de revendications, d’idées à une
communauté…ethnique ?
Le raciste interdit ou
criminalise l'émancipation, c'est à dire l'autonomie, la pensée par
soi-même.
D’où la crispation des
gauchistes, des islamistes et des identitaires sur la laïcité, parce qu’elle
est ce qu’il y a de plus républicain dans le projet politique d’égalité des
droits et d’émancipation. Il n’y a qu’à lire le Fatima
Moins bien notée que Marianne de M. Durpaire et Mme
Mabilon-Bonfils :
« La ’"laïcité’’ est
pour certains politiques devenue un instrument d’agression des minorités. (...) Cette
laïcité conquérante se cherche et se trouve de nouvelles frontières, à moins
que l’enjeu ne soit, derrière les objectifs affichés ‘émancipation’ de la
femme, avancée de la rationalité, lutte contre le dit ’communautarisme’, de
réduire le plus possible la visibilité des minorités au sein de
l’espace public, tout en donnant des gages aux mouvements d’extrême-droite en
progression électoral ».
Le fameux jeu du FN quand eux
font le jeu des Identitaires et des Afrikaners-Indigénistes. Les enfants
d’immigrés sont réduits dans ce livre au prénom « Fatima »,
religieux, quand les blancs, forcément hostiles, apparaissent sous le
vocable politique de Marianne. Les ennemis sont désignés : les musulmans
contre la République. C’est de l’essentialisme : tous les
choix de vie, les opinions, les actes, les goûts sont ramenés à cette essence,
à ces viscères, à ce biologique.
L’identité religieuse n’est pas
l’identité première ou irréductible d’un individu.
Voila pourquoi ils
haïssent la République : ne reconnaissant que les citoyens, elle
permet l’émancipation de sujets autonomes et politiques. Le
religieux, comme le biologique, interdisent cette autonomie du sujet. « La
laïcité, on l’avait un peu oubliée, comme acquise, ou passée de mode »,
écrivait l’historien Claude Nicolet dans un recueil rassemblant en 2000 ses
articles[3].
« Mais qui ne voit que
l’ère des migrations, dans laquelle nous sommes entrés sans le savoir ni le
vouloir, comme le retour en force de la transcendance, des religions et même le
réveil de l’irrationnel, nous contraignent à en redécouvrir et en méditer la
signification et les valeurs ? »
Quelle clairvoyance ! Cette
laïcité dont Claude Nicolet nous dit « qu’elle n’exclut rien, sauf les
prétentions irrecevables et illégitimes des particularismes exclusifs ».
Et il répond par anticipation à cette déclaration racialiste de Jean
Mabire : « La juxtaposition haineuse ou, au mieux,
indifférente de communautés», les idées mêmes de Mabire sur le
communautarisme de tolérance ou de haine, «auxquelles on abandonne sans
recours ceux qui doivent leur « appartenir » qui est la norme aux
USA, en Angleterre, en Allemagne, n’est tout simplement pas recevable chez nous. » L’autonomie
et l’émancipation grâce à la laïcité les enragent, parce que le projet est
politique et passe par le contrôle de clientèles captives.
Oui, qui est le plus raciste? De
nos jours, c'est celui qui somme une fille d'immigrés de retourner à une
prétendue origine et authenticité, celle de la religion, pratiquée de manière radicale.
Le raciste est celui qui interdit de penser en dehors de son épiderme et de la
communauté ethnique dans laquelle il assigne l'autre à résidence.Le raciste
est celui qui empêche de vivre heureux et libre ici, en faisant du lien avec
l'ailleurs une chaîne qui aliène et oppresse. Le raciste interdit ou
criminalise l'émancipation, c'est à dire l'autonomie, la pensée par soi-même.
Parce que l’identité se
construit, elle est individuelle, évolutive, multiple, apaisée et alors elle
est heureuse. Elle ne se reçoit pas, que se soit par le sang ou par la
contrainte, elle n’est ni communautaire ni collective, encore moins religieuse.
On n’est pas heureux quand on est enrôlé dans une guerre contre le pays dans
lequel on est né et dans lequel on a grandi. Les islamo-gauchistes et les
identitaires posent cette alternative : aimer la France, c’est trahir les
siens et ce que l’on est. Comme Salomon, la justice réclame de se débarrasser
de celui qui impose l’alternative, piège de la pensée. L’identité
religieuse n’est pas l’identité première ou irréductible d’un individu. Il faut
sortir de ce chantage à l’authenticité et à la fidélité. On ne trahit pas
en aimant la France.
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