TRIBUNE - Plutôt que de nier la
réalité de la crise migratoire, nos gouvernants devraient poser les cadres d'un
dialogue apaisé, argumente la philosophe.
Les pays d'Europe centrale ont
ces derniers temps développé leurs points de vue sur la question de
l'immigration. Il est dommage qu'on les reçoive seulement en les
traitant de barbares. Impossible en Europe de l'Ouest d'avoir
un débat sur l'immigration, car une seule affirmation est recevable:
l'obligation morale que nous avons, en tant que culture humaniste, d'accueillir
les démunis frappant à notre porte.
Modérer cette affirmation ou la mettre en
cause n'est pas politiquement correct. Nos gouvernants, Macron ou Merkel, ne
limitent l'ouverture que dans le but affiché d'éviter la montée des courants
populistes. Ce qui manque ici, sur la question critique la plus inquiétante et
primordiale depuis la Seconde Guerre mondiale, c'est la possibilité de
débattre.
Par Chantal Delsol
Mis à jour le 02/08/2018 à 20h56 | Publié le 02/08/2018 à 19h56
Viktor
Orban s'est exprimé là-dessus le 16 juin dernier à l'occasion
de l'anniversaire de la mort de Helmut Kohl. Il fait appel à l'un des plus
importants symboles dans la culture centre-européenne: le rempart de la chrétienté.
Ces pays ont été en effet, dans l'histoire, ceux qui stoppent les invasions
barbares et par là, situation géographique oblige, protègent l'Europe
occidentale. Orban fait le lien avec ces situations anciennes et suggère que la
charité consiste à aider au développement plutôt qu'à ouvrir les portes. La
thèse est bien discutable: l'aide au développement agit sur le long terme, mais
le problème est à très court terme ; une foule de pauvres, demandant
asile, peut-elle être comparée aux invasions barbares? Mais enfin l'opinion
occidentale ne s'entretient qu'avec elle-même et, donc, ne discute pas.
D'ailleurs, elle ne sait même pas ce qu'est le «rempart de la chrétienté» et ne
veut pas le savoir.
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Français seuls Occidentaux à ne pas exagérer l'ampleur de l'immigration
musulmane
Le texte du chancelier autrichien
Kurtz, soumis aux experts nationaux des vingt-huit pays de l'Union, est
différemment argumenté. Mais bien sûr il a été reçu avec la même indignation et
les mêmes préjugés, sans aucune quête de compréhension.
Le jeune chancelier autrichien a
mis sur la table un autre aspect de la question. Moins l'accueil que la manière
d'accueillir. L'Autriche a reçu proportionnellement davantage de migrants que
la France. Nous ne sommes pas tenus pour autant de le faire n'importe comment,
en donnant aux accueillis toute latitude pour dégrader cette culture même qui
les reçoit. Autrement dit, l'accueil doit se faire contre exigences
réciproques, comme c'est toujours le cas lorsqu'on fait preuve d'hospitalité.
Or qu'avons-nous vu depuis quelques années? Une volonté d'ouvrir grandes les
portes, en Allemagne en 2015, en fermant les yeux sur les problèmes posés et la
nécessité d'en tenir compte.
Sans oser toujours défendre
ouvertement le multiculturalisme, nos gouvernants n'osent pas prendre les
mesures positives d'une intégration
On a constamment essayé de faire
croire à l'opinion que la population migratoire était composée de médecins et
d'universitaires chassés par les dictatures. Un
événement gravissime comme les viols de Cologne a été traité par
les gouvernements avec une légèreté sidérante. Pendant longtemps il a été
impossible de parler de la différence entre migrants politiques et migrants
économiques, l'idée même de faire un «tri» était aussitôt, par une comparaison
honteuse, assimilée à une sinistre mémoire. Demande-t-on aux réfugiés
accueillis d'adopter la culture du pays d'accueil? Sans oser toujours défendre
ouvertement le multiculturalisme, nos gouvernants n'osent pas prendre les
mesures positives d'une intégration. L'islamo-gauchisme qui se développe chez
nos élites est devenu expert pour promouvoir les cultures accueillies au
détriment de la nôtre, sans vouloir admettre qu'elles sont en train de détruire
cela même qui légitimait l'accueil…
Un manichéisme ambiant
Le
discours de Kurz est dénigré parce qu'il a dit que parmi ces
jeunes migrants «beaucoup sont tout particulièrement sensibles aux idéologies
hostiles à la liberté, qui prônent la violence» et «ont de manière répétée de
gros problèmes pour vivre dans des sociétés ouvertes». Le fait de proférer une
critique des réfugiés est considéré comme inacceptable. Étant des victimes, ils
sont entièrement innocents, en accord avec le manichéisme ambiant. Plus encore,
énoncer à leur sujet quelque chose de général (même assorti de précautions
comme c'est le cas ici) est insupportable. Quand il s'agit de groupes à protéger,
nul n'a le droit de prononcer une affirmation générale, faute de se rendre
coupable d'«amalgames» ou de «clichés». Autrement dit on ne peut alors parler
que des individus: il faut être nominaliste. Kurz a l'audace d'oser une
généralisation, qui au demeurant ne fait que décrire la culture de la plupart
de ces réfugiés.
Nous devons ouvrir la porte,
mais n'avons pas le devoir de laisser nos hôtes dénaturer notre culture
Dire que des musulmans auront
plus de mal que nous à vivre dans des sociétés ouvertes, c'est bien ce que tout
le monde sait et voit. Les cultures ont des caractéristiques. On peut les
décrire sans les «essentialiser», mot à la mode pour accréditer le nominalisme
rampant. Leurs dénominations les désignent. Ce n'est pas un pur hasard si islam
signifie soumission, pendant qu'Israël signifie «celui qui a été fort contre
Dieu». Mais il ne faudrait pas le dire.
Pour Kurz, il est normal,
évident, en tant que culture d'accueil, de ne garantir l'asile «qu'à ceux qui
respectent les valeurs de l'UE et les droits et libertés fondamentales». Nous
devons ouvrir la porte, mais n'avons pas le devoir de laisser nos hôtes
dénaturer notre culture. Un véritable humaniste est celui qui déploie la
bienveillance sous le regard de la réalité assumée. C'est bien parce que les
gouvernants n'ont pas admis cela qu'ils se heurtent aujourd'hui à tant
d'oppositions. Le discours de Kurz mériterait davantage que quelques crachats.
Depuis quelques semaines, le
mantra des responsables européens et d'une partie des médias est qu'il n'y a
pas de crise migratoire. Manière de nier la réalité pour ne pas avoir à la
regarder en face. La baisse réelle du nombre d'arrivants depuis un an ne change
rien à l'immense espérance d'Occident dans une Afrique de plus en plus peuplée,
ni ne résout notre incapacité, ici, à intégrer convenablement les arrivants
récents, mais aussi d'anciens arrivants ou même leurs enfants. Il y a quelque
chose de honteux à vouloir nous faire croire que la situation critique a cessé
d'exister, comme si nous étions, nous les électeurs, de sombres idiots.
Nous n'avons pas besoin de
gouvernants humanitaristes et pleurnichards, aux yeux bandés. Nous avons besoin
de gouvernants humanistes aux yeux ouverts, capables d'exigence dans leur
bienveillance même. Ce n'est pas en dissimulant les caractéristiques de la
culture musulmane, pour ne pas «faire d'amalgame» et pour ne pas «discriminer»,
qu'on répondra décemment à cette situation critique.
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