vendredi 3 août 2018

Chantal Delsol : «Pourquoi est-il impossible en Europe d'avoir un vrai débat sur l'immigration ?»



TRIBUNE - Plutôt que de nier la réalité de la crise migratoire, nos gouvernants devraient poser les cadres d'un dialogue apaisé, argumente la philosophe.

Les pays d'Europe centrale ont ces derniers temps développé leurs points de vue sur la question de l'immigration. Il est dommage qu'on les reçoive seulement en les traitant de barbares. Impossible en Europe de l'Ouest d'avoir un débat sur l'immigration, car une seule affirmation est recevable: l'obligation morale que nous avons, en tant que culture humaniste, d'accueillir les démunis frappant à notre porte. 



Modérer cette affirmation ou la mettre en cause n'est pas politiquement correct. Nos gouvernants, Macron ou Merkel, ne limitent l'ouverture que dans le but affiché d'éviter la montée des courants populistes. Ce qui manque ici, sur la question critique la plus inquiétante et primordiale depuis la Seconde Guerre mondiale, c'est la possibilité de débattre.



Mis à jour le 02/08/2018 à 20h56 | Publié le 02/08/2018 à 19h56





Viktor Orban s'est exprimé là-dessus le 16 juin dernier à l'occasion de l'anniversaire de la mort de Helmut Kohl. Il fait appel à l'un des plus importants symboles dans la culture centre-européenne: le rempart de la chrétienté. Ces pays ont été en effet, dans l'histoire, ceux qui stoppent les invasions barbares et par là, situation géographique oblige, protègent l'Europe occidentale. Orban fait le lien avec ces situations anciennes et suggère que la charité consiste à aider au développement plutôt qu'à ouvrir les portes. La thèse est bien discutable: l'aide au développement agit sur le long terme, mais le problème est à très court terme ; une foule de pauvres, demandant asile, peut-elle être comparée aux invasions barbares? Mais enfin l'opinion occidentale ne s'entretient qu'avec elle-même et, donc, ne discute pas. D'ailleurs, elle ne sait même pas ce qu'est le «rempart de la chrétienté» et ne veut pas le savoir.
Le texte du chancelier autrichien Kurtz, soumis aux experts nationaux des vingt-huit pays de l'Union, est différemment argumenté. Mais bien sûr il a été reçu avec la même indignation et les mêmes préjugés, sans aucune quête de compréhension.
Le jeune chancelier autrichien a mis sur la table un autre aspect de la question. Moins l'accueil que la manière d'accueillir. L'Autriche a reçu proportionnellement davantage de migrants que la France. Nous ne sommes pas tenus pour autant de le faire n'importe comment, en donnant aux accueillis toute latitude pour dégrader cette culture même qui les reçoit. Autrement dit, l'accueil doit se faire contre exigences réciproques, comme c'est toujours le cas lorsqu'on fait preuve d'hospitalité. Or qu'avons-nous vu depuis quelques années? Une volonté d'ouvrir grandes les portes, en Allemagne en 2015, en fermant les yeux sur les problèmes posés et la nécessité d'en tenir compte.
Sans oser toujours défendre ouvertement le multiculturalisme, nos gouvernants n'osent pas prendre les mesures positives d'une intégration
On a constamment essayé de faire croire à l'opinion que la population migratoire était composée de médecins et d'universitaires chassés par les dictatures. Un événement gravissime comme les viols de Cologne a été traité par les gouvernements avec une légèreté sidérante. Pendant longtemps il a été impossible de parler de la différence entre migrants politiques et migrants économiques, l'idée même de faire un «tri» était aussitôt, par une comparaison honteuse, assimilée à une sinistre mémoire. Demande-t-on aux réfugiés accueillis d'adopter la culture du pays d'accueil? Sans oser toujours défendre ouvertement le multiculturalisme, nos gouvernants n'osent pas prendre les mesures positives d'une intégration. L'islamo-gauchisme qui se développe chez nos élites est devenu expert pour promouvoir les cultures accueillies au détriment de la nôtre, sans vouloir admettre qu'elles sont en train de détruire cela même qui légitimait l'accueil…
Un manichéisme ambiant
Le discours de Kurz est dénigré parce qu'il a dit que parmi ces jeunes migrants «beaucoup sont tout particulièrement sensibles aux idéologies hostiles à la liberté, qui prônent la violence» et «ont de manière répétée de gros problèmes pour vivre dans des sociétés ouvertes». Le fait de proférer une critique des réfugiés est considéré comme inacceptable. Étant des victimes, ils sont entièrement innocents, en accord avec le manichéisme ambiant. Plus encore, énoncer à leur sujet quelque chose de général (même assorti de précautions comme c'est le cas ici) est insupportable. Quand il s'agit de groupes à protéger, nul n'a le droit de prononcer une affirmation générale, faute de se rendre coupable d'«amalgames» ou de «clichés». Autrement dit on ne peut alors parler que des individus: il faut être nominaliste. Kurz a l'audace d'oser une généralisation, qui au demeurant ne fait que décrire la culture de la plupart de ces réfugiés.
Nous devons ouvrir la porte, mais n'avons pas le devoir de laisser nos hôtes dénaturer notre culture
Dire que des musulmans auront plus de mal que nous à vivre dans des sociétés ouvertes, c'est bien ce que tout le monde sait et voit. Les cultures ont des caractéristiques. On peut les décrire sans les «essentialiser», mot à la mode pour accréditer le nominalisme rampant. Leurs dénominations les désignent. Ce n'est pas un pur hasard si islam signifie soumission, pendant qu'Israël signifie «celui qui a été fort contre Dieu». Mais il ne faudrait pas le dire.
Pour Kurz, il est normal, évident, en tant que culture d'accueil, de ne garantir l'asile «qu'à ceux qui respectent les valeurs de l'UE et les droits et libertés fondamentales». Nous devons ouvrir la porte, mais n'avons pas le devoir de laisser nos hôtes dénaturer notre culture. Un véritable humaniste est celui qui déploie la bienveillance sous le regard de la réalité assumée. C'est bien parce que les gouvernants n'ont pas admis cela qu'ils se heurtent aujourd'hui à tant d'oppositions. Le discours de Kurz mériterait davantage que quelques crachats.
Depuis quelques semaines, le mantra des responsables européens et d'une partie des médias est qu'il n'y a pas de crise migratoire. Manière de nier la réalité pour ne pas avoir à la regarder en face. La baisse réelle du nombre d'arrivants depuis un an ne change rien à l'immense espérance d'Occident dans une Afrique de plus en plus peuplée, ni ne résout notre incapacité, ici, à intégrer convenablement les arrivants récents, mais aussi d'anciens arrivants ou même leurs enfants. Il y a quelque chose de honteux à vouloir nous faire croire que la situation critique a cessé d'exister, comme si nous étions, nous les électeurs, de sombres idiots.
Nous n'avons pas besoin de gouvernants humanitaristes et pleurnichards, aux yeux bandés. Nous avons besoin de gouvernants humanistes aux yeux ouverts, capables d'exigence dans leur bienveillance même. Ce n'est pas en dissimulant les caractéristiques de la culture musulmane, pour ne pas «faire d'amalgame» et pour ne pas «discriminer», qu'on répondra décemment à cette situation critique.
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