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la démocratie ?»
Par Renaud
Girard Publié le 06/08/2018 à 21h18
CHRONIQUE - «Les États africains
ont davantage besoin d'institutions fortes que d'hommes forts !» affirmait
Barack Obama. Malheureusement, ce précepte évident est peu suivi sur le
Continent noir.
Le 3 août 2018, au
poste-frontière de Kasumbalesa, entre la Zambie et la République démocratique
du Congo (RDC, ancien Zaïre), il s'est passé un incident. Il fut relativement
peu remarqué car non violent. Mais il est préoccupant quant à l'avenir du plus
vaste pays d'Afrique
francophone, et emblématique quant à la manière dont on fait
aujourd'hui de la politique sur le Continent noir.
Ce jour-là, l'entrepreneur Moïse
Katumbi, ancien gouverneur de la riche province minière du Katanga de
2007 à 2015, s'est vu refuser le droit de rentrer dans son pays natal. Il est
vrai que le très populaire opposant au gouvernement chaotique de Joseph
Kabila, réfugié depuis deux ans en Belgique pour fuir les persécutions
du régime à son endroit, souhaitait se porter officiellement candidat à
l'élection présidentielle. Celle-ci doit normalement avoir lieu le
23 décembre 2018, et les candidats ont jusqu'au 8 août pour
enregistrer leurs candidatures auprès de la commission électorale à Kinshasa,
capitale de la RDC.
Le 4 août, Moïse Katumbi a
fait une nouvelle tentative et il a été à nouveau refoulé. Jean-Pierre
Bemba, un autre opposant célèbre qui, lui, a reçu du régime la
permission de revenir en RDC déposer
sa candidature, a dénoncé l'injustice infligée à son compatriote et
rival politique Katumbi. Il a publiquement reconnu qu'un scrutin sans la
participation de Katumbi serait une élection biaisée, tant est populaire
l'ancien gouverneur du Katanga dans les provinces swahiliphones de l'est de la
RDC. Dans un communiqué du 6 août, la Conférence épiscopale nationale du
Congo (Cenco) a estimé «inacceptable» le sort réservé à Moïse Katumbi.
De la frustration au désespoir
Pourquoi le président Joseph
Kabila, au pouvoir à Kinshasa depuis l'assassinat de son père, Laurent, en
janvier 2001, en veut-il autant à Moïse Katumbi? C'est un mystère car le
président actuel de la RDC - dont le mandat s'achevait
constitutionnellement à la fin de l'année 2016 et qui n'a pas le droit de se représenter
pour un troisième mandat - ne s'est jamais exprimé directement sur le
sujet. C'est Kabila qui est allé naguère chercher l'entrepreneur Katumbi
- qui avait brillamment réussi dans la logistique minière - pour lui
demander de devenir gouverneur du Katanga. Lorsque, en 2015, celui-ci a rappelé
à celui-là les échéances constitutionnelles, le président s'est-il senti trahi
par un ami? Kabila a-t-il toujours eu l'intention de ne pas respecter la
Constitution qu'il avait pourtant lui-même promulguée?
«Les États africains ont
davantage besoin d'institutions fortes que d'hommes forts !»
Barack Obama
Mo
Ibrahim a créé un prix de la «bonne gouvernance», pour couronner les
dirigeants africains qui savent se retirer du pouvoir une fois leur mandat
accompli. C'est une excellente idée mais ce mécène anglo-soudanais (qui fit
fortune dans la téléphonie mobile en Afrique) manque souvent de candidats pour
recevoir son prix. Les chefs d'État africains ont, dans leur majorité, une
fâcheuse tendance à s'accrocher au pouvoir une fois qu'ils l'ont conquis, que
ce soit par les armes ou par les urnes.
À l'occasion d'une réception
donnée à Washington en l'honneur de jeunes représentants des sociétés civiles
africaines, le
président Barack Obama avait fait une remarque très pertinente: «Les
États africains ont davantage besoin d'institutions fortes que d'hommes forts!»
Malheureusement, ce précepte évident est peu suivi sur le Continent noir. Fort
politisée et fort au courant (grâce à la radio RFI) des pratiques politiques
européennes, la jeunesse congolaise se sent frustrée de ne pas pouvoir choisir
librement son prochain chef de l'État. Cette frustration peut très bien
dégénérer en désespoir. Or on n'a jamais construit un pays sur du désespoir.
Un préisident hermétique
Moïse Katumbi a entrepris de
faire une tournée des pays membres de la SADC (Communauté pour le développement
de l'Afrique australe, dont la RDC est membre), une organisation régionale
créée en 1992 pour encourager l'intégration financière et monétaire ainsi que
le maintien de la paix. Les chefs d'État de la SADC réussiront-ils à persuader
Kabila d'honorer les promesses d'élections transparentes et inclusives, qu'il
avait faites à l'occasion des accords de la Saint-Sylvestre (31 décembre
2016)?
Passés entre son gouvernement et
l'opposition sous l'égide de la Conférence épiscopale, ces accords avaient
suscité beaucoup d'espoir et calmé les esprits au sein de la population
congolaise. Il semble hélas peu probable que Kabila junior se laisse amadouer
par ses homologues régionaux. Le président de la RDC s'est déjà montré
hermétique aux résolutions de l'ONU l'encourageant à respecter les accords de
la Saint-Sylvestre. On se dirige donc politiquement en RDC vers une zone grise,
qui ne présage rien de bon.
La baisse de l'influence
européenne, une catastrophe
Pékin intervint à la fois avec
beaucoup d'argent et pas la moindre exigence politique. La Chine ne s'intéresse
qu'aux ressources de l'Afrique, pas au devenir de ses populations
Pourquoi l'Afrique, à une poignée
d'exceptions près, a-t-elle tant de mal avec la démocratie? Pourquoi le message
de François Mitterrand à la Conférence de La Baule (juin 1990) n'a-t-il jamais
pris? C'était à la fin de la guerre froide. Le président français, devant 37
chefs d'État africains qui semblaient acquiescer, avait plaidé pour la
conditionnalité de l'aide. L'aide européenne n'irait plus qu'à des régimes
pratiquant la démocratie et la transparence. Des tentatives démocratiques eurent
bien lieu, mais elles finirent sur d'épouvantables massacres comme au
Rwanda (1994) ou au Congo Brazzaville (1997), où les partis se
construisirent sur des critères ethniques et non politiques.
À ces échecs s'ajouta le
phénomène majeur de l'intrusion
de la Chine sur le continent. Car Pékin intervint à la fois avec
beaucoup d'argent et pas la moindre exigence politique. La Chine ne s'intéresse
qu'aux ressources de l'Afrique, pas au devenir de ses populations. Elle
n'évoque jamais l'adjectif «démocratique», l'étant elle-même fort peu.
Du temps de l'URSS et de
l'université Patrice-Lumumba, Moscou s'intéressait réellement à la formation
des élites africaines. Aujourd'hui, la Russie de Poutine a renoncé à exporter
une quelconque idéologie en Afrique. Mais elle est prête à contrer les
Occidentaux partout où se présenteront des occasions. Disons-le tout net: la
baisse de l'influence européenne en Afrique est à long terme une catastrophe
pour le continent. Car sans démocratie - et donc sans État de droit -, comment
pourrait-il se développer et garder sur son sol sa jeunesse la plus dynamique?
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