mardi 12 décembre 2017

Les miracles numériques du Coran

Le miracle ultime
par Nicolas Gauvrit - SPS n° 278, août 2007


« Le mathématicien Émile Borel a démontré un théorème remarquable : en prenant au hasard une suite infinie de symboles typographiques, vous y trouverez tous les textes possibles et imaginables. Vous y trouverez donc le livre de Michael Drosnin. C’est bien dommage […] » Jean-Paul Delahaye
Les religions prosélytes (je pense à l’islam et au catholicisme) usent parfois pour arriver à leurs fins — convertir — d’arguments pour le moins étonnants. Étonnants par leur vacuité autant que par leur efficacité. Je veux parler des récurrences numériques1.
Le simple fait qu’il existe des « miracles » numériques pour la Bible et d’autres pour le Coran devrait suffire à conclure à leur sottise, quand bien même on ignorerait à ce point les probabilités qu’on ne saisirait pas l’astuce. Pourtant, de nouveaux convertis, comme « Sophie » qui s’exprime sur le forum du site islamie.com2, affirment avoir été convaincus par le fameux « miracle du nombre 19 ». Et le fait qu’un groupe minoritaire rejette, sur le même site, l’hypothèse d’un miracle numérique au nom du bon sens ne change rien à l’affaire.

Un des missionnaires les plus efficaces de l’islam, Ahmed Deedat, est vraisemblablement responsable, en partie, de la frénésie qui s’est répandue récemment autour de ce nombre 19, même s’il n’est pas le premier à en avoir parlé. Dans son livre Le miracle ultime3, il assomme le lecteur d’une quantité industrielle de 19 qu’il est allé pêcher dans le Coran. Par exemple, le Coran contiendrait 19 × 17 324 lettres. Le mot « Allah » y serait répété 19 × 142 fois, le nombre de sourates serait également un multiple de 19, etc.
Quant aux chrétiens, certains furent touchés par la grâce du nombre 7 et de trouvailles antiques sur ce nombre magique. Le mathématicien russe Yvan Panin se serait même converti, renonçant à son athéisme pour le christianisme, devant la puissance des miraculeux codes cachés de la Bible et de prodiges tournant souvent autour du 7. Et puis, les éditeurs font régulièrement leurs choux gras de considérations numérico-ésotériques, comme en recèle le fâcheux livre de Drosnin4, si bien critiqué par Jean-Paul Delahaye5.
Pourquoi toujours des nombres premiers ?
7 pour la Bible, 19 pour le Coran, le nombre 23 pour le film éponyme : les clefs magiques sont souvent des nombres premiers, divisibles par aucun nombre sauf 1 et eux-mêmes. Est-ce par hasard ?
Pas du tout : comme il est admis qu’on accepte les multiples, il est beaucoup plus simple d’utiliser des nombres premiers.
Prenons un exemple : vous pourriez chercher le nombre 77 dans le Talmud. Mais chaque occurrence de 77 ou d’un de ses multiples est aussi un multiple de 7 et de 11. Mieux vaut donc parler directement du 11, vous aurez ainsi plus de matière… sans compter l’aura magique qui entoure les nombres premiers.
Le 7 est-il improbable ?
Prenons un nombre au hasard entre 1 et 100. Quelle est la probabilité d’y voir un 7 ? Tous les multiples de 7 conviennent (7, 14, 21, … 98), soit 14 possibilités. Les nombres dont la somme des chiffres est un multiple de 7 conviennent également (16, 25, 34, 43, 52, 95…). Ajoutez les nombres commençant ou finissant par 7. On arrive à un total de… 37 nombres.
Autrement dit, pour les nombres compris entre 1 et 100, on peut s’attendre à « découvrir » un 7 dans 37 % des cas. Or, le nombre de choses que l’on peut calculer à partir d’un texte comme la Bible dépasse très largement la dizaine de milliers, sans tenir compte du fait qu’on peut combiner plusieurs nombres par addition, soustraction, multiplication.
Finalement, on peut s’attendre à trouver au moins 4 000 occurrences du 7 dans la Bible. Et il s’agit d’une minoration très grossière. Et le cas du nombre 19 est du même acabit, même si le même raisonnement conduit à trouver « seulement » un minimum de 1 000 occurrences de 19 dans le Coran.
Une telle foule de contre-arguments se présente à nous qu’il est difficile de les trier. Mais commençons par affirmer que de n’importe quel texte un peu long, on peut dégager des centaines de fois un même nombre. Cela tout simplement parce que la quantité de contorsions que les chercheurs de miracles sont prêts à faire défie l’imagination.
Que permet l’usage pour trouver un 19 ou un 7 ?
On peut choisir la version qu’on souhaite du texte à travailler (une version sérieuse, toutefois).
On peut compter des mots (nombre de mots dans un verset, une sourate, un évangile…), mais aussi des phrases, des lettres, des paragraphes, chapitres, sourates.
On peut faire des sommes de lettres dans des mots ou des sections particulières (selon le principe A=1, B=2, C=3, etc.).
On peut chercher le nombre écrit en lettres ou en chiffres.
On peut compter le nombre d’apparitions d’un mot particulier, d’une phrase particulière, et en variant la manière de faire (par exemple : en ne comptant que le mot au singulier, ou aussi au pluriel).
Une fois qu’on dispose d’un nombre, on peut encore le triturer. Par exemple :
16 c’est comme 7, puisque 1 + 6 = 7.
17 c’est comme 7, puisque ça finit par 7.
28, c’est comme 7, puisque c’est un multiple de 7.
Le clou, relaté par Deedat : 329 156, c’est comme 19, puisque ça utilise les chiffres 1, 2, 3, 5, 6 et 9, et qu’il ne reste donc comme chiffres que 4, 7 et 8, dont la somme fait 19.
Le nombre inimaginable de manipulations qu’on peut faire sur un texte même court laisse présager qu’il est hautement probable qu’on pourra en tirer ce qu’on veut.
Il est déjà très facile et hautement probable qu’on puisse trouver des 7 et des 19 en quantité dans le seul nom d’une personne choisie au hasard (voir l’article « Sous le signe du 7 »). Combien plus probable, et combien moins étonnante est la découverte d’une petite centaine de 19 ou de 7 dans un texte de plusieurs centaines de pages !
Pour convertir un probabiliste, il n’y a qu’une solution : concocter un texte de 100 pages dans lequel on ne pourra trouver aucun nombre plus de 50 fois. Voilà qui serait vraiment miraculeux, et formerait assurément le miracle ultime.
1 J’appelle ainsi le fait qu’un même nombre puisse être trouvé — ou plutôt construit — un grand nombre de fois.
3 Deedat, A. (2000). El-Qur’an – Le miracle ultime. Chama/Alphabeta.
4 Drosnin, M. (1997). La Bible : le code secret. Paris : Robert Laffont.
5 Delahaye, J.-P. (1998). La Bible : le code secret. Pour la science, 244.


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