DÉBAT - L'un a conceptualisé
l'opposition entre «France périphérique» et «France des métropoles». L'autre,
l'affrontement entre «peuple de quelque part» et «gens de n'importe où». Pour
la première fois, le géographe français et l'intellectuel britannique échangent
leurs points de vue. Tous deux voient dans la vague populiste actuelle le
résultat des fractures sociales, territoriales et culturelles qui traversent
tous les pays occidentaux.
Vox Societe | Publié le 08/11/2018 à 21h46
LE FIGARO MAGAZINE. - France
d'en haut versus France périphérique. «Peuple de quelque part» versus «gens de
n'importe où»… Il y a de frappantes similarités entre vos deux présentations de
la situation actuelle!
David GOODHART - Nous
sommes tous les deux responsables d'avoir forgé la maxime qui rend compte des
nouvelles fractures ayant mené à la séquence Le Pen-Brexit-Trump. Je suis
bien conscient que nous sommes accusés d'être trop «binaires». Parce que, bien
sûr, nos catégories sont très larges et amples. Il y a des tas de gens qui ne
rentrent pas nettement dans l'une de mes catégories, et des tas d'endroits qui
ne correspondent pas à ceux de Christophe Guilluy. Néanmoins, les gens ont
l'air de les trouver utiles. Un autre trait que nous avons en commun, me
semble-t-il, c'est que nous considérons les réactions des «gens de quelque
part» et de la France périphérique comme plus raisonnables et légitimes que
celles de nos collègues et amis plus libéraux!
Christophe GUILLUY -
J'ai travaillé sur le processus de sédentarisation contrainte dans les
territoires de la France périphérique, ceux des petites villes, des villes
moyennes et des espaces ruraux. Cette dynamique est similaire à ce que l'on
observe dans l'Amérique et l'Angleterre périphériques. La mobilité des grandes
métropoles, par le haut (classes supérieures) et par le bas (immigrés), est
parfaitement illustrée par cette idée de «gens de nulle part». Ce qui m'a
frappé dans ce que j'ai pu lire à propos de Goodhart, c'est la réaction
similaire du «parti des médias» et de la sociologie d'Etat, plus mobilisés à
allumer des contre-feux qu'à s'interroger sur les causes de l'émergence de
fractures sociales, culturelles et géographiques qui est en train de faire
exploser nos démocraties.
Christophe Guilluy, dans votre
nouveau livre, No Society(Flammarion), vous parlez d'un phénomène
occidental...
Christophe GUILLUY -
Ce n'est pas un hasard si Le Crépuscule de la France d'en haut va
être traduit aux Etats-Unis en janvier. L'intérêt des Américains pour ce livre
montre que la logique que je décris ne leur est pas étrangère. En réalité, on
observe le même phénomène partout dans les pays occidentaux. L'Italie, par
exemple, a aussi sa périphérie, le Mezzogiorno, ou encore certaines franges du
nord de l'Italie, autour de la région de Milan. Les fondamentaux sont partout
les mêmes et génèrent la même vague «populiste».
Les médias montrent du doigt les
xénophobes, les ruraux, évoquent la paupérisation des centres-villes. Ce qu'ils
ne voient pas, c'est un phénomène autrement plus gigantesque: la fin de la
classe moyenne occidentale. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est
cette classe majoritaire (l'ouvrier, le paysan, l'employé comme le cadre
supérieur y étaient intégrés) qui structurait toutes les démocraties
occidentales avec le même cercle vertueux: intégration économique, politique et
culturelle sur fond d'ascension sociale. Tout cela est en train de s'effondrer.
» LIRE AUSSI - Christophe Guilluy: «L'insécurité culturelle des classes
moyennes traverse tout l'Occident»
Mark Lilla estime que la
gauche a perdu le contact avec les classes populaires depuis qu'elle s'adresse
en priorité aux minorités. Etes-vous de cet avis?
David GOODHART - La
vieille alliance entre la classe moyenne progressiste et la classe ouvrière
n'existe plus. Les deux groupes ont toujours eu des intérêts divergents dans le
passé, mais ils pouvaient heureusement coexister, ce qui n'est plus le cas. Au
Royaume-Uni, on parlait dans les années 1980, de «l'alliance
Hampstead-Hartlepool». Hampstead (là où je vis) a longtemps été la partie de
Londres où vivent des progressistes à leur aise, et Hartlepool est une ancienne
ville industrielle du Nord abandonnée. Ce qui intéressait le progressiste de
Hampstead, à l'époque, c'étaient les droits des homosexuels et la fin de
l'apartheid en Afrique du Sud. Ce qui intéressait le syndicaliste? Améliorer
les salaires et les droits syndicaux. Les deux approches pouvaient aisément
coexister et se soutenir mutuellement.
«La gauche, ou tout mouvement
désireux de l'emporter, a besoin d'être centripète, afin de rassembler des
forces et de devenir hégémonique. Or la politique des minorités est par
définition centrifuge : elle divise les individus»
David Goodhart
A présent, le progressiste de
Hampstead a pour intérêt l'ouverture - haut niveau d'immigration, plus
d'intégration en Europe, maintien de la liberté de mouvement - et la
progression des revendications des minorités: de race, de genre et de sexe.
Quant au populiste décent de Hartlepool, il veut réduire l'immigration, mettre
fin à la liberté de mouvement (l'usine de poissons dans laquelle il travaille a
recruté la moitié de ses employés parmi des gens d'Europe centrale). Et il
considère que la classe politique londonienne donne la priorité à des sujets
comme l'égalité de salaires entre hommes et femmes à la BBC, ce qui est très
éloigné de ses préoccupations. Leurs intérêts ne sont pas seulement différents,
ils sont en contradiction.
La gauche, ou tout mouvement
désireux de l'emporter, a besoin d'être centripète, afin de rassembler des
forces et de devenir hégémonique. Or la politique des minorités est par
définition centrifuge: elle divise les individus, chacun dans sa niche de
doléances. En cela, elle reflète la fragmentation de la société.
Christophe GUILLUY -
Le divorce est ancien (Eric Conan a publié La Gauche sans le peuple il
y a presque quinze ans!). Si la lecture de ce divorce par l'économie (le
virage libéral de 1983) ne suffit pas, l'explication culturelle ou identitaire
est elle aussi réductrice. Mon explication est plus proche de celle de
Jean-Claude Michéa, qui convoque le libéralisme économique et culturel.
Dans son livre, The
Road to Somewhere, David Goodhart explique la victoire du Brexit par le
fait qu'une majorité de Britanniques a préféré sacrifier ses intérêts matériels
à ses valeurs culturelles…
«Les classes populaires,
contrairement aux classes supérieures, n'ont pas les moyens de la frontière invisible
avec l'Autre»
Christophe Guilluy
Christophe GUILLUY -
«Sacrifier» n'est pas le terme que j'emploierais. Il s'agit au contraire d'une
attitude rationnelle. Deux raisons expliquent la priorité donnée aux valeurs
culturelles dans les milieux populaires. La première tient au fait que les
classes populaires, contrairement aux classes supérieures, n'ont pas les moyens
de la frontière invisible avec l'Autre. Ainsi, contrairement aux partisans de
l'ouverture, qui excellent dans les stratégies résidentielles et scolaires, les
plus modestes n'ont d'autre choix que de demander aux pouvoirs publics d'ériger
ces frontières protectrices.
Dans les milieux modestes, c'est
la fragilité sociale qui explique la priorité donnée à la question culturelle.
Rappelons que la condition du vote populiste est d'ailleurs la jonction de
l'insécurité sociale et de ce que j'appelle l'insécurité culturelle provoquée
par l'instabilité démographique des sociétés multiculturelles. Ce qui est en
question avec le Brexit ou la vague «populiste», c'est d'abord l'angoisse de
devenir minoritaire. Si les classes supérieures ne sont pas indifférentes aux
questions migratoires ou culturelles, elles ont les moyens d'ériger des
frontières invisibles, donc de protéger leur capital. L'insécurité culturelle
sans insécurité sociale, cela donne éventuellement le vote Fillon, pas Le Pen.
David GOODHART- Bien peu
de gens auraient voté pour le Brexit sur la base «ce sera bénéfique pour
l'économie britannique». En réalité, la plupart des gens qui ont voté pour le
Brexit l'ont fait en sachant qu'il y aurait un prix à payer. Mais, comme la
suite l'a démontré, ces gens ont eu raison de demeurer sceptiques sur les
prédictions de l'establishment selon lesquelles le seul fait de voter pour le
Brexit allait casser l'économie. Cela n'a pas été le cas. Cela a amené une
croissance à peine plus faible, quoique, c'est vrai, lorsque le Brexit se
produira, cela pourrait avoir des incidences dans certains secteurs et
provoquer davantage de dégâts que ce que nous avons observé jusqu'ici.
«Pour avoir une économie de
format plus européen, c'est-à-dire bâtie sur un haut niveau d'investissement en
capital humain, nous devons quitter l'UE !»
David Goodhart
Cependant, il a été possible de
démontrer que, paradoxalement, le seul moyen pour le Royaume-Uni d'échapper à
son modèle actuel, fondé sur une main-d'œuvre flexible et une forte
immigration, c'est l'abandon de la liberté de mouvement - et donc de quitter
l'Union européenne (UE). C'est la liberté de mouvement qui a permis à de
nombreuses sociétés britanniques de réduire considérablement leurs budgets de
formation et de perpétuer un modèle économique à faible niveau
d'investissement. Ni le gouvernement ni les entreprises ne seront incités à
régler le problème posé par le manque d'éducation de base et de formation des
20 à 30 % les moins bien formés tant que les portes resteront largement
ouvertes à la main-d'œuvre européenne. C'est ainsi que, pour avoir une économie
de format plus européen, c'est-à-dire bâtie sur un haut niveau d'investissement
en capital humain, nous devons quitter l'UE!
Quoi qu'il en soit, les gens ne
sont pas motivés seulement par l'argent. C'est quelque chose que la campagne en
faveur du «remain» ne pouvait pas concevoir. L'un des slogans qui résume le
mieux le Brexit fut «Meaning not Money» (du sens, pas de l'argent).
A vous lire, ceux d'en haut et
ceux d'en bas n'habitent plus dans le même monde. Une réconciliation est-elle
possible ou la vague populiste va-t-elle tout emporter?
David GOODHART - Je
pense que la question intéressante - et celle que l'on ne se pose pas assez à
gauche - est celle de la ligne de partage entre populisme légitime et
illégitime. Nous pouvons nous mettre d'accord sur le fait que des partis
ouvertement racistes et antidémocratiques, hostiles au règne de la loi comme
Aube dorée, en Grèce, sont illégitimes. Mais les partis populistes mainstream sont
libéraux - au moins au sens minimal qu'ils soutiennent le règne de la loi, les
droits individuels (y compris les droits des minorités), la division et la
dispersion du pouvoir. Dans les termes qui sont ceux du Royaume-Uni, tant Nigel
Farage, de l'Ukip, que Nick Clegg, des libéraux-démocrates, sont des libéraux.
Je pense très peu probable que l'on assiste à une montée en puissance du
populisme illégitime au cours des prochaines décennies. Il n'y aura pas de
retour aux années 1930.
«Si les populistes gagnent,
c'est d'abord pour leur capacité à s'adapter à la demande du peuple. Pas pour
leur talent à imposer leur idéologie»
Christophe Guilluy
Christophe GUILLUY -
Nous n'avons jamais été aussi loin qu'aujourd'hui dans la sécession
géographique, culturelle et économique du monde d'en haut. C'est unique dans
l'histoire occidentale. Le monde d'en haut est condamné s'il n'opère pas un
atterrissage en douceur. Le mouvement réel de la société continue à avancer.
Les classes populaires ont fait leur diagnostic et n'en changeront pas. Elles
veulent préserver leurs acquis, leur capital social, leur capital culturel. Et
vont s'organiser pour. Le monde d'en haut ne pourra pas dire éternellement que
le diagnostic des gens d'en bas, pourtant majoritaires, est faux et qu'ils
doivent être rééduqués pour revenir à quelque chose de plus raisonnable. Il va
finir par être obligé de prendre en compte les aspirations du peuple, de
s'adapter, car le modèle économique actuel n'a pas de limites et va aussi le
fragiliser, les catégories intellectuelles notamment.
Par ailleurs, en France, il ne
faut pas oublier que Macron n'a pas été élu par les seuls gagnants mais grâce
aux «protégés de la mondialisation», retraités et fonctionnaires. Cet alliage
est d'autant plus fragile que les retraités sont les premières victimes des
réformes fiscales. Quant aux fonctionnaires, leur statut est dans la ligne de
mire…
Le problème n'est pas seulement
la machine économique, mais aussi comment faire société. Il faut être capable
de lâcher les indicateurs économiques type PIB et se dire qu'il est plus
important de lancer une activité économique qui créera du lien et des emplois
dans telle ou telle petite ville. Cela me paraît plus utile que de booster les
grandes métropoles ou les premiers de cordée de Macron. Il faut combiner
différents modèles économiques avec pour priorité d'intégrer le plus grand
nombre économiquement, socialement et culturellement. Une dose de protectionnisme
sur certains secteurs paraît pertinente, surtout si l'on prétend mener une
politique écologique. Mais cela suppose une révolution intellectuelle.
Si les populistes gagnent, c'est
d'abord pour leur capacité à s'adapter à la demande du peuple. Pas pour leur
talent à imposer leur idéologie. Salvini a été ultralibéral et favorable à
l'abandon de l'Italie du Sud. Mais, face à un constat d'échec, notamment
l'expérience Bossi, il a su opérer un virage à 180 degrés et devenir
étatiste, favorable à l'unification italienne, très frontal avec l'Europe sur
la question budgétaire. Le souverainisme du peuple impose finalement la
politique sociale, économique, culturelle. C'est ce que j'appelle le soft
power des classes populaires.
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Christophe Guilluy, l'homme qui avait tout vu
FIGAROVOX/RENCONTRE - Le duel
Macron-Le Pen traduit l'affrontement entre deux France irréconciliables : celle
de la nouvelle bourgeoisie urbaine des grandes métropoles contre celle des
classes populaires de la périphérie. Un scénario que le géographe Christophe
Guilluy théorise depuis plus d'une décennie.
«Bienvenue au Déjazet, le dernier
café non gentrifié de la place de la République!», lance Christophe Guilluy,
accoudé à une table, avec son accent de titi parigot et son air bonhomme. Dans
une autre vie, le géographe aurait pu interpréter les flics ou les voyous dans
les films d'Olivier Marchal, le réalisateur de 36 quai des Orfèvres.
Visage émacié, balafré, boule à zéro et barbe de trois jours, pantalon jean et
cigarette au bec, Guilluy a l'allure d'un personnage de polar, pas celle d'un
intellectuel parisien. Malgré les succès d'édition, il ne fréquente pas les
salons. En semaine, à l'heure du déjeuner, l'endroit, un peu glauque, est
pratiquement désert. Ici, pas de hipsters. Seuls quelques habitués qui trinquent
autour d'un demi. Pas étonnant que l'auteur de La France périphérique,
l'enfant de Belleville-Ménilmontant, aime ce bistrot à l'ancienne. Il évoque le
Paris d'avant Delanoë et Hidalgo, d'avant les Vélib' et les bobos. Ce temps où
les grandes métropoles n'étaient pas des «citadelles médiévales» interdites aux
vieilles voitures et aux pauvres. Dans sa trilogie française, l'essayiste a
redonné une voix à la France des invisibles. Avec Fractures françaises (François
Bourin Éditeur, 2010), puis La France périphérique (Flammarion,
2014) et enfin Le Crépuscule de la France d'en haut(Flammarion,
2016), il a mis le doigt sur une réalité brûlante que le monde
politico-médiatique et universitaire n'avait pas vu ou pas voulu voir: celle
des vaincus de la mondialisation, des exilés de l'intérieur qui ont voté
majoritairement pour le FN ce dimanche.
Selon Guilluy, il y a désormais
deux France. D'un côté, les grandes métropoles où la nouvelle bourgeoisie
urbaine tire profit de la mondialisation, prônant l'«ouverture» et le
«vivre-ensemble» pour mieux ériger des frontières invisibles. De l'autre, celle
de la périphérie où «la plèbe» en quarantaine souffre de la
désindustrialisation et de l'insécurité physique et culturelle liée à
l'immigration. Une thèse polémique qui a bousculé le monde intellectuel
français. Au point de faire de Guilluy l'un des penseurs les plus influents et
controversés de ces dernières années. Prophète de la France d'en bas pour les
uns, sociologue de comptoir pour les autres. Adoubé par les chercheurs
étrangers, mais snobé par les universitaires français. Référence incontournable
pour Éric
Zemmour ou Patrick Buisson, mais «Onfray de la géographie» pour
une partie de la presse de gauche, qui l'accuse de «faire le jeu du FN». «Je me
sens moins seul, ironise le fondateur
de l'université populaire de Caen, qui souscrit à toutes les analyses
du géographe. Avec lui et Michéa, on pourrait former une école!» Marcel Gauchet
admet, lui aussi, son admiration pour le travail et le courage de Guilluy, même
si, dit-il, «la France d'en haut est moins cohérente que ne le dit Guilluy. Il
est parfois dans un schéma un peu binaire alors que la réalité est plus
complexe». Pour Alain Minc, la montée en puissance d'un populisme de gauche
rend le concept de Guilluy inopérant. «Je suis convaincu que la carte du vote
Mélenchon n'a rien à voir avec la carte du vote FN», note-t-il.
«Le clivage Macron-Le Pen est
chimiquement pur : territorialement, culturellement, socialement. »
Christophe Guilluy
Le rédacteur en chef de la revue Le
Débat et le héraut de la «mondialisation heureuse» n'ont pas tort. Il
est vrai que la bourgeoisie traditionnelle, qui a voté Fillon, partage les
valeurs et les préoccupations culturelles de la France périphérique au sujet de
l'islam et de l'immigration. Il est vrai aussi que Jean-Luc
Mélenchondispute une partie du vote populaire à Marine Le Pen. Il n'en
reste pas moins que les résultats du premier tour de la présidentielle
confirment très largement l'analyse de Guilluy. Dimanche, les catégories
populaires se sont tournées majoritairement vers Le Pen, tandis que la
bourgeoisie «cool» des grandes villes s'est reconnue en Emmanuel Macron.
L'ancien ministre de l'Économie a obtenu 35 % des suffrages parisiens et
est arrivé premier dans 13 arrondissements. Dans quatre arrondissements
(les IIe, IIIe, IVe et IXe), il obtient même plus de 40 % des voix. À l'inverse,
Marine Le Pen emporte 83,7 % des voix à Brachay, en Haute-Marne, village
de… 57 habitants! «Le clivage Macron-Le Pen est chimiquement pur:
territorialement, culturellement, socialement», explique le géographe.
Christophe Guilluy avait tout vu.
Et pourtant, il n'est ni prof ni universitaire. Il n'a jamais passé sa thèse,
préférant se nourrir de son expérience de terrain. Une trajectoire atypique,
que les «sachants», bien sous tous diplômes, lui reprochent encore. «Je
n'existe dans aucun milieu, et je m'en fous. Chez moi, la défense des mecs d'en
bas vient des tripes», explique Guilluy. «Par son statut, il est à l'image de
la France périphérique qu'il décrit, décrypte son ami l'historien Georges
Bensoussan. Le mépris de classe qu'il décrit de la France d'en haut, y compris
de cette France de gauche qui tient les rênes du pouvoir culturel, il en a été
victime lui-même.» Pudique, Guilluy reste réservé sur sa vie familiale. À
demi-mot, on comprend néanmoins qu'il a des origines modestes. «Mes parents n'ont
jamais voulu qu'on les considère comme des pauvres, lâche-t-il. Je me souviens
d'une émission où Jamel Debbouze parlait de sa vie à Trappes et des cafards
dans son appartement face à Thierry Ardisson qui avait la larme à l'œil. J'ai
toujours détesté le côté faux du mec de gauche qui surjoue ses origines
populaires ou le discours victimaire des minorités ethniques sur la misère et
le racisme en banlieue.»
« Je n'existe dans aucun
milieu, et je m'en fous. Chez moi, la défense des mecs d'en bas vient des tripes »
Christophe Guilluy
Né à Montreuil, Christophe
Guilluy a grandi à Belleville où vivait déjà son arrière-grand-père. Géographe
en herbe, il dévore les cartes. «Cela me permettait de voyager immobile, se
souvient-il. J'ai vu en direct la gentrification. Pour les autochtones,
l'autochtone étant aussi bien le prolo blanc que le jeune issu de
l'immigration, ce qui a provoqué le plus de problèmes, ce n'est pas l'arrivée
des Maghrébins, mais celle des bobos.» Dans les années 80, ce fan des Béruriers
noirs chante La jeunesse emmerde le Front national. C'est l'époque
de l'antiracisme, mais aussi du tournant libéral et de la restructuration
urbaine. Son immeuble doit être démoli et les Guilluy relogés à
La Courneuve. L'immeuble, situé sur les façades, est finalement préservé,
ce qui permet à sa famille de rester à Paris. Cependant, l'épisode est
fondateur. Christophe Guilluy commence à travailler sur la question de
l'embourgeoisement des quartiers populaires. L'œuvre de sa vie. En parallèle à
ses études de géographie, il multiplie les petits boulots. Faute de moyens, il
renonce à faire de longues études supérieures et se lance dans une carrière de
consultant indépendant pour les collectivités territoriales. Guilluy sillonne
ainsi villes, banlieues et campagnes, nourrissant notamment ses réflexions de
ses discussions avec les bailleurs sociaux.
C'est en 2001 que le géographe
fait son entrée sur la scène publique avec une tribune publiée dans Libération intitulée,
«Municipales: les bobos vont faire mal». Guilluy souligne que l'influence
croissante de la gauche à Paris et plus largement dans les grandes métropoles
n'est pas liée à un vote populaire, mais au contraire à l'apparition d'une
nouvelle bourgeoisie urbaine qui est le produit d'une fusion entre le monde
artistique et intellectuel et le monde de l'entreprise. Quelques mois plus
tard, Bertrand Delanoë emporte les élections dans la capitale. Guilluy reprend
le concept de «bobos» (bourgeois-bohèmes), qu'il emprunte au journaliste
américain David Brooks. L'expression entre dans le langage courant mais est
proscrite par une partie du monde intellectuel et médiatique, qui refuse d'être
assimilé à la bourgeoisie. Selon Guilluy, ce déni est un moyen de dissimuler la
réalité des conflits de classe.
«Son constat dérange une
certaine classe»
Ses premiers livres, Fractures
françaises et La France périphérique dérangent tout autant, en particulier dans
le monde universitaire. Guilluy est accusé de manquer de rigueur scientifique
ou, pire, d'encourager un clivage ethnico-culturel délétère entre «petits
Blancs» et «jeunes de banlieues». Pour le grand historien de la gauche Jacques
Julliard, «il est combattu pour des raisons moins professionnelles ou
techniques que pour des raisons idéologiques. Parce que son constat dérange une
certaine classe». «Il n'est pas du sérail. Face à l'aristocratie universitaire,
il faut avoir tous les galons, sans quoi on est jugé suspect. Il est victime
d'une forme de jalousie, souligne la démographe Michèle
Tribalat, elle-même ostracisée par ces confrères. Le fait qu'il vienne
d'un milieu modeste ajoute à son illégitimité. Il n'a pas les manières
infatuées des universitaires.» Tribalat se souvient d'un déjeuner à l'Élysée
avec Nicolas Sarkozy où Guilluy était invité, et du mépris des universitaires
présents à la même table envers lui. «Il était regardé comme un va-nu-pieds
parce qu'il ne portait pas de costume et de cravate.»
S'il est ignoré par les
universitaires, Guilluy a su retenir l'attention des politiques. À gauche,
François Hollande, Manuel Valls et même Emmanuel Macron l'ont rencontré. Le
vainqueur du premier tour de la présidentielle cite plusieurs fois La
France périphérique dans son livre Révolution. «C'est
quelqu'un d'intelligent qui valide mon diagnostic sans bouger de son système
idéologique, explique Guilluy. Selon la bonne vieille logique des systèmes,
quand le communisme ne marche plus, il faut plus de communisme, quand le modèle
mondialisé ne fait pas société, il faut encore plus de mondialisation!» ironise-t-il.
Paradoxalement, c'est surtout la droite que le géographe a influencée. En 2010,
Jean-Baptiste de Froment, chargé de la prospective pour la future campagne de
Nicolas Sarkozy, découvre Fractures françaises. «J'ai trouvé dans
le livre un diagnostic pertinent de la société française. Il montrait que
60 % de la population habitaient dans des territoires totalement coupés de
la dynamique de la mondialisation: les villes petites et moyennes ainsi que les
régions rurales, explique-t-il. Si on parlait à ces gens-là, l'élection était
gagnée, car cette France-là est majoritaire.» En septembre 2011, Froment écrit
au président Nicolas Sarkozy, une note qui s'intitule: «La France périphérique,
clef de l'élection présidentielle 2012». Lorsque, sous l'influence de Patrick
Buisson, Nicolas Sarkozy opère un virage identitaire en fin de campagne, les
thématiques de Guilluy refont surface et permettent au candidat de sauver
l'honneur.
«Lire Fractures françaises,
c'est comprendre la politique aujourd'hui, le vrai clivage, parfaitement
incarné par le duel Macron-Le Pen»
Jordan Bardella, 21 ans,
conseiller régional de Seine-Saint-Denis
La faiblesse de la campagne de
Fillon? L'abandon des classes populaires. François Fillon n'a pas su s'adresser
à ces catégories . «Ce qui a fait le succès de Fillon durant les primaires
était un discours à la fois sur le fond et sur la forme très en phase avec
l'électorat des primaires qui est un électorat de centre-ville bourgeois
catholique. décrypte Jean-Baptiste de Froment. Mais entre les 4 millions
d'électeurs de la primaire et les 44 millions d'électeurs français la
structure sociologique est très différente. Dans la composition des équipes
techno qui alimentent Fillon, il n'y avait que des représentants des cadres
supérieurs dirigeants.» Au FN, nombre de jeunes cadres du mouvement ont fait de
Guilluy leur intellectuel de référence. «Lire Fractures françaises,
explique Jordan Bardella, 21 ans, conseiller régional de
Seine-Saint-Denis, c'est comprendre la politique aujourd'hui, le vrai clivage,
parfaitement incarné par le duel Macron-Le Pen.»
La victoire très probable
d'Emmanuel Macron, «quintessence de la France d'en haut» (Alain Minc)
contredirait-elle la thèse du dernier livre de Guilluy, Le Crépuscule de la
France d'en haut? «Si le système en place parvient à faire élire un Macron, il
préservera l'essentiel mais en sortira fragilisé: certains
sondages donnent Marine Le Pen à 40 % au second tour, ce qui est
considérable par rapport aux 18 % de Jean-Marie Le Pen en 2002. La
dynamique est de ce côté-là, analyse Guilluy. Si rien n'est fait, Marine Le Pen
ou un autre candidat contestant le modèle dominant sous une autre étiquette
gagnera en 2022, si ce n'est en 2017. On est à un moment de basculement. Si la
France d'en haut ne fixe pas comme priorité le sauvetage des classes
populaires, elle est condamnée.»
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Le Brexit, Trump, Le Pen : la fracture entre enracinés et
mondialisés
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Pour
l'essayiste britannique David Goodhart, le Brexit et l'élection de Donald Trump
symbolisent la révolte des perdants de la mondialisation face à la domination
culturelle et politique des « élites libérales-libertaires ». Selon
lui, la qualification de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle
s'inscrit dans ce nouveau schéma idéologique.
Emmanuel Macron évoque une
nouvelle ligne de partage entre «progressistes» et «conservateurs». Marine
Le Pen, un clivage entre «mondialistes» et «patriotes». Pour le
journaliste, économiste et écrivain britannique David Goodhart, auteur de The
Road to Somewhere (Oxford University Press), essai à succès
outre-Manche, la controverse idéologique de ce début de XXIe siècle oppose
les «Anywheres» et les «Somewheres», c'est-à-dire les «gens de n'importe où» et
le «peuple de quelque part». Les premiers sont favorables à la mondialisation
dont ils tirent profit tandis que les seconds tentent de résister à
l'uniformisation ou à la disparition de leur mode de vie sous les coups de
boutoir du multiculturalisme et du libre-échange. La grille de lecture
originale et éclairante du fondateur de la revue Prospect permet
de mieux saisir le paysage politique actuel.
LE FIGARO MAGAZINE. - Dans
votre dernier livre, vous enquêtez sur les causes idéologiques et sociologiques
du Brexit et de l'élection de Donald Trump. Ces deux événements sont-ils, selon
vous, comparables à la qualification de Marine Le Pen pour le second tour
de l'élection présidentielle française?
David GOODHART. - Ces
votes constituent la revanche de ceux que j'appelle les Somewheres, furieux de
n'avoir jamais eu réellement voix au chapitre. Cependant, le Brexit et
l'élection de Trump étaient inattendus alors que la qualification de
Le Pen pour le second tour était largement prévisible.
Selon vous, le clivage
gauche-droite s'efface-t-il au profit d'un nouvel affrontement, celui des
Anywheres contre les Somewheres?
La distinction gauche-droite n'a
pas entièrement disparu. Cependant, ce vieux clivage, structuré autour des
questions socio-économiques, a été suppléé et même éclipsé à certains endroits
par un nouveau clivage culturel fondé sur les questions de sécurité et
d'identité.
Dans mon nouveau livre, j'insiste
sur la place prise par la question des «valeurs» en Grande-Bretagne et dans
d'autres démocraties riches durant ces vingt ou trente dernières années.
La fracture principale se situe
entre les 20 à 25 % de la population que je nomme les Anywheres, qui sont
bien instruits, mobiles, et qui ont tendance à favoriser l'ouverture,
l'autonomie et la liberté. En face, il y a environ 50 % de la population,
les Somewheres, qui sont moins bien éduqués, plus enracinés et ancrés dans
leurs valeurs. Ils mettent davantage l'accent sur l'attachement à leur culture
et à leur communauté que les Anywheres.
«Les Somewheres ont des
‘‘identités prescrites''. Ils sont plus facilement ébranlés par les changements
sociaux rapides»
Ces derniers sont généralement
plus à l'aise avec le changement social parce qu'ils ont ce qu'on appelle des
«identités portatives»: ils ont un capital social qui leur permet d'être à leur
aise partout dans le monde. Ils valorisent la réussite professionnelle,
l'autoréalisation et l'ouverture. Les Somewheres, eux, ont des «identités
prescrites». Ils sont plus facilement ébranlés par les changements sociaux
rapides. La mondialisation est synonyme pour eux de fermeture d'usines et
d'insécurité culturelle liée à l'immigration. Ils se considèrent comme les
laissés-pour-compte de l'intégration européenne et s'accrochent à leur dignité
ouvrière perdue. Ils ont le sens de la communauté et de la famille. Ils sont
culturellement conservateurs.
Cette distinction peut apparaître
très binaire, mais il faut rappeler qu'il y a un grand groupe intermédiaire
entre les Anywheres et les Somewheres, qui représente environ 25 % de la
population, et il y a une grande variété d'Anywheres et de Somewheres. Par
exemple, les Anywheres les plus extrêmes, que je nomme les «Global Villagers»
(villageois globaux), environ 5 % de la population, et les Somewheres les
plus extrêmes, que je nomme les «Hard Authoritarians» (autoritaires extrêmes),
de 5 à 7 % de la population environ.
Ces différentes catégories
correspondent à de réelles différences sociologiques recoupées par les enquêtes
d'opinion. Bien sûr, les groupes sont flous sur les bords et changent au fil du
temps, mais ils existent bel et bien.
Ils se chevauchent dans une
certaine mesure avec les classes sociales, mais ils sont distincts. Les types
sociaux qui pourraient se trouver des deux côtés du clivage gauche-droite
pourraient être alliés dans le clivage Anywheres-Somewheres. Par exemple,
l'expert-conseil en gestion qui a réussi et le professeur radical qui sont tous
deux à l'aise avec l'immigration et soutiennent l'intégration européenne et,
d'autre part, l'agriculteur conservateur de la classe moyenne et le retraité de
la classe ouvrière du Nord qui s'inquiètent tous deux des changements trop
rapides de la société et de la disparition des valeurs traditionnelles.
Ce nouveau clivage
traverse-t-il tous les pays occidentaux?
Ces distinctions sont en effet
répliquées dans les autres démocraties libérales riches comme la France bien que
la division soit particulièrement aiguë en Grande-Bretagne, en partie parce
qu'elle est exacerbée par notre système de résidence universitaire - les gens
quittent invariablement leur maison pour aller à l'université, ce qui n'est pas
toujours le cas dans le reste de l'Europe (ou en Amérique) - et par la
domination de Londres.
Autrefois, la société
britannique était structurée par les appartenances de classe. Qu'est-ce qui a
changé?
«La persistance des écoles
privées et les multiples accents qui différencient les catégories sociales ont
donné un sens de la distinction entre classes en Grande-Bretagne»
Les différences en matière de
classes sociales et de revenus restent importantes en Grande-Bretagne comme
dans toutes les autres sociétés. Je pense que c'est un mythe de dire que la
Grande-Bretagne était une société uniquement axée sur les classes sociales.
Nous avons connu notre révolution cent cinquante ans avant la vôtre et une
plus longue période de continuité politique et sociale. De ce fait, la classe
foncière a continué d'exercer un pouvoir politique considérable dans la
première partie du XXe siècle. Aussi, la persistance des écoles privées et
les multiples accents qui différencient les catégories sociales ont donné un
sens de la distinction entre classes en Grande-Bretagne. Cette distinction est
bien plus pointue que dans d'autres pays qui ont traversé des bouleversements
plus radicaux au cours des cent dernières années comme la France et
l'Allemagne.
Tony Blair n'a pas favorisé les
politiques identitaires. Cependant, il est vrai que, depuis les années 1980,
les politiques de gauche ont délaissé la classe ouvrière et les questions
traditionnelles de redistribution et d'égalité au profit des questions de
genre, de «race», de sexualité ou de religion. Les universitaires progressistes
qui ont mis l'accent tout autant sur l'égalité économique que sur l'égalité
culturelle ont pris le contrôle des partis de gauche durant cette période.
Dans un précédent livre très
controversé, vous critiquiez également les effets néfastes du multiculturalisme
sur le modèle social occidental…
Le problème avec le
multiculturalisme, c'est qu'il est devenu, du moins en Grande-Bretagne et en
Amérique, un symbole de l'abandon de la classe ouvrière native par l'élite
des Anywheres, y compris de gauche. En outre, ce multiculturalisme est
asymétrique. Seule l'identité culturelle des minorités ethniques est prise en
compte tandis que les valeurs, les modes de vie et les traditions culturelles
des natifs sont ignorés. Toute intégration à la culture du pays d'accueil a
ainsi été rendue impossible.
L'ironie est que les
bouleversements politiques actuels, en particulier en Amérique, consistent à
retourner les canons intellectuels de la gauche contre elle-même. Le
postmodernisme, le relativisme et les politiques identitaires sont toutes des
idées associées à la gauche, mais il est impossible de penser à un président
plus postmoderne que Donald Trump! L'idée héritée du structuralisme français
selon laquelle il n'existe aucune vérité objective est maintenant reprise par
la Maison-Blanche. Et c'est bien une forme de «communautarisme» des «petits
Blancs», faisant écho aux discours de gauche à l'endroit des minorités
ethniques, qui a fait le succès de la campagne de Trump.
Vous critiquez également l'idéologie
libéral-libertaire. Libéralisme économique et libéralisme culturel sont-ils
indissociables? Pourquoi?
«La droite a emporté la guerre
économique, mais la gauche a gagné la bataille culturelle»
C'est ce que, dans mon livre,
j'appelle le «double libéralisme» - la combinaison du libéralisme de marché,
associé aux réformes de Reagan et Thatcher dans les années 1980, et le
libéralisme social et culturel émergeant des années 1960, marqué par son
hostilité à la tradition et la hiérarchie. Depuis les années 1990, ces deux
libéralismes marchaient de concert et dominaient l'échiquier politique. C'était
un compromis: la droite a emporté la guerre économique, mais la gauche a gagné
la bataille culturelle. Ce compromis était en adéquation avec les intérêts et
les valeurs des Anywheres: compétitifs dans la mondialisation et «ouverts» sur
le monde et sur l'Autre. Les votes «populistes» constituent une forme de
revanche pour les Somewheres. Cependant, je suis persuadé qu'il ne s'agit pas
d'une volonté de repli de leur part. La plupart des électeurs des populistes ne
veulent pas vivre dans une société fermée, ils veulent juste une forme
d'ouverture qui ne les désavantage pas! Prenez la liberté de circulation, par
exemple. Cela fonctionne pour les avocats de Londres et les comptables qui
peuvent aller travailler à Berlin ou à Paris sans tracas et ne font pas face à
beaucoup de concurrence dans leur travail mais, si vous travaillez dans
l'industrie alimentaire dans le nord de l'Angleterre, c'est très différent. Le
secteur emploie 400.000 personnes et 120.000 viennent maintenant d'Europe
centrale et orientale. Les ouvriers de ce secteur font face à une énorme
concurrence et, en même temps, sont peu susceptibles d'avoir les compétences
pour aller travailler en Europe continentale.
Vous avez accompagné
l'ascension de Tony Blair. Les sociaux-démocrates n'ont-ils pas une part de
responsabilité dans cette révolution libérale et, par ricochet, dans la
revanche du «peuple de quelque part»?
La question est: pourquoi
maintenant? Pourquoi le populisme semble-t-il attirer plus de personnes que par
le passé? Pourquoi la social-démocratie s'est-elle effondrée en tant que force
politique en France, aux Pays-Bas et peut-être demain en Grande-Bretagne?
Mon prisme Anywheres-Somewheres
permet de voir cela comme la conséquence de la domination excessive des
Anywheres. Les différences que j'ai décrites précédemment ont toujours été là,
mais elles sont aujourd'hui exacerbées pour deux raisons. Tout d'abord,
l'importance accrue accordée aux politiques en direction des minorités.
Deuxièmement, la croissance rapide du nombre d'Anywheres au sein du système
politico-médiatique a déséquilibré ce dernier. Les principaux partis
politiques (à part les populistes) sont dominés par les priorités et l'agenda
politique des Anywheres, du moins en Grande-Bretagne. Quelles sont ces
priorités? L'économie de la connaissance, avec ses récompenses élevées pour les
qualifiés, l'expansion rapide de l'enseignement supérieur et la négligence
relative des parcours non universitaires, la plus grande transparence et
fluidité de l'économie et lasociété multiculturelle symbolisée par
l'immigration, les politiques de la famille centrées sur la question du genre
qui découragent la vie familiale traditionnelle.
Vous qualifiez leur idéologie
de «populisme de la décence». De quoi s'agit-il?
Il est important de souligner que
les visions du monde des Anywheres, tout comme celles des Somewheres, sont tout
à fait légitimes. La grande «libéralisation» a probablement été trop rapide. Il
faut se souvenir qu'au début des années 1980, la majorité des gens était
opposée aux mariages mixtes et pensait que l'homosexualité devrait être
illégale. Cela a complètement changé, nous avons parcouru un long chemin en peu
de temps. Mais les Somewheres ont changé plus lentement et, dans certains cas,
à contrecœur. Parfois, ils n'ont pas changé de position, en particulier sur
l'immigration. Il faut en tenir compte.
Marine Le Pen ou Donald
Trump peuvent-ils être considérés comme des «populistes de la décence» ou
s'agit-il au contraire de «populistes de l'indécence»? Quel est leur avenir
politique?
The Road to Somewhere - The Populist Revolt and
the Future of Politics, de David Goodhart (C. Hurst & Co. Publishers),
240 pages, 20 GBP (23,68 €). - Crédits photo : ,
Il y a deux grandes questions qui
devraient dominer la scène politique de la prochaine génération. Premièrement,
comment déterminons-nous la frontière entre le populisme légitime et
illégitime? Le racisme est une ligne évidente, bien qu'il y en ait de nombreuses
définitions différentes. Ces derniers jours, j'ai entendu deux intellectuels
français - Bernard Henri-Lévy et Dominique Moïsi - qualifiant le Front national
de «fasciste». Mais sommes-nous vraiment en train de dire que 35 à 40 %
des Français vont voter pour un parti fasciste? C'est un raccourci facile. Bien
sûr, le FN a grandi avec certaines traditions politiques troubles:
antisémitisme catholique, pétainisme, Algérie française… Mais les gens
changent, n'est-ce pas? Nous permettons bien ce type d'évolution à gauche.
Plusieurs personnes du cabinet de Tony Blair ont été trotskistes dans leur
jeunesse, avant de rejoindre la gauche réformiste. Pourquoi ne pas permettre
cela à droite également?
Le plus grand défi pour la
prochaine génération est la création d'une nouvelle règle du jeu politique
entre Anywheres et Somewheres qui prendrait en compte de manière plus équitable
les intérêts et les valeurs des Somewheres sans écraser le libéralisme des
Anywheres.
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GRAND ENTRETIEN - Alors qu'un
Brexit sans accord semble se dessiner, le journaliste et écrivain britannique
David Goodhart revient sur les causes profondes du «Leave», qui, selon lui,
sont d'abord culturelles.
David Goodhart est l'auteur d'un
essai saisissant The Road to Somewhere, où il décrypte les nouveaux
clivages qui fracturent l'Occident et les ressorts de la montée des populismes.
La tension entre solidarité et diversité, l'État-providence et l'immigration
massive s'est aggravée, laissant place à une fracture grandissante entre les
«Anywhere» et les «Somewhere», c'est-à-dire les «gens de n'importe où» et le
«peuple de quelque part». L'essayiste appelle à ne pas systématiquement
délégitimer les réactions populistes, sous peine de jeter les peuples dans les
bras d'authentiques extrémistes.
LE FIGARO. - Deux
ans après le vote sur le Brexit, celui-ci n'est toujours pas été mis en œuvre
et le Parti conservateur apparaît toujours divisé sur la question. Assiste-t-on
à l'échec du Brexit ou à une recomposition politique profonde qui se poursuit?
David GOODHART. - Ce
n'est pas juste le Parti conservateur qui est divisé sur comment et quand
quitter l'UE, c'est le pays dans son ensemble. N'oublions pas que le vote
initial était très serré (52 % contre 48 %), et qu'il ne prévoyait
aucune modalité d'exécution du Brexit. Je dirais que le Brexit est une
politique choisie par ceux que j'appelle les «Somewhere», c'est-à-dire les
enracinés, ceux qui viennent de quelque part, appliquée avec réticence par les
«Anywhere», c'est-à-dire «les gens de n'importe où».
La plupart des ministres, des
hauts fonctionnaires, des universitaires et des dirigeants étaient tous contre
le Brexit. Theresa
May, malgré tous ses défauts en tant que leader politique, a patiemment
essayé de rassembler des personnes de son propre parti et du Parlement dans une
sorte de compromis qui tout à la fois mette en place un Brexit et prenne aussi
acte de la peur des pro-UE d'un éloignement trop rapide et trop brutal de
l'Union européenne. Je pense que le récent accord voulu par Theresa May n'était
pas un si mauvais accord.
L'erreur de Theresa May est
peut-être d'être allée trop vite après le vote de 2016 pour défendre aussitôt
un Brexit dur. Ce qui a créé un désir et des attentes chez les pro-Brexit et
a limité
sa marge de manœuvre. Un Brexit propre, net et sans appel serait bien
sûr souhaitable, mais la combinaison des divisions internes au Royaume-Uni
associée au désir compréhensible de l'UE de mettre en place un processus de
sortie très difficile pour dissuader d'autres États d'être tentés par une
sortie, signifie que, dans tous les cas, ce sera le bazar et assez long à
mettre en œuvre. Mais au moins, ce sera un bazar démocratique et j'ai de très
gros doutes sur le fait que la situation puisse être renversée, un retour
en arrière aurait des conséquences inimaginables pour le Parti conservateur.
Dans votre livre, The
British Dream, paru en 2006, vous tiriez la sonnette d'alarme à propos de
l'immigration en Grande-Bretagne, estimant qu'il s'agissait du principal
problème du pays. Le Brexit mais aussi plus largement les victoires ou les
percées des partis dits «populistes» en Europe sont-ils
la conséquence de l'aveuglement
des élites sur cette question?
des élites sur cette question?
Le livre est né d'un petit essai
que j'avais publié en 2004 appelé Trop différent? Cet essai
était une sorte d'avertissement à la gauche, la mettant en garde sur le fait
que deux des principes auxquels elle accorde le plus d'importance, la diversité
et la solidarité, se retrouveraient nécessairement en tension l'un avec
l'autre. Tout du moins si vous acceptez l'idée généralement acceptée de tous
que l'on est plus enclin à partager avec des gens de qui l'on se sent proche et
avec lesquels nous partageons les mêmes normes sociales et culturelles.
Autrement dit, vous êtes d'autant mieux disposé à laisser l'État recueillir une
part importante de vos revenus sous forme de cotisations et d'impôts que vous
avez la certitude que cet argent sera redistribué à des gens qui vous
ressemblent. Partant de ce principe, j'y expliquais que l'idéologie
multiculturaliste était une menace à moyen terme pour les État-providence.
L'essai a causé une belle controverse
au moment de sa deuxième publication dans le journal The Guardian,
le principal quotidien de centre gauche. Mon article avait été écrit avant les
attaques djihadistes de Londres en 2005 et avant même la venue massive de
travailleurs originaires d'Europe centrale et de l'Est après l'entrée dans
l'Union européenne des ex-satellites communistes en 2004. Autant d'éléments qui
ont donné une tournure encore plus mordante à ce «dilemme progressiste».
Mais cette tension ne s'est pas
traduite comme je l'avais prédit par un déclin du soutien à l'État-providence.
Dans l'ensemble, il faut reconnaître que les peuples européens continuent, au
contraire, à soutenir les modèles sociaux issus de l'après-guerre. Ce qui a
émergé bien plus fortement que je ne l'avais prévu, c'est une réaction
politique au multiculturalisme et à l'immigration de masse. Elle a clairement
été l'un des principaux facteurs menant au Brexit, à Trump et plus largement au
renouveau du «populisme» en Europe. Cela ne va pas disparaître de sitôt. Les
élites politiques n'ont pas cherché à répondre aux cris de douleur de ceux qui
sont profondément mal à l'aise dans ce monde d'ouverture et de bouleversement
si rapide des normes sociales et culturelles. Et aujourd'hui, les élites paient
le prix de leur aveuglement en se prenant dans la figure l'impact très fort des
nouveaux partis populistes.
C'est la fracture que vous
explorez dans votre dernier essai, The Road to Somewhere…
La tension entre diversité et
solidarité que j'avais pointée du doigt a, en effet, laissé place à une
fracture plus large: celle qui oppose les «gens de n'importe où» et le «peuple
de quelque part». Cette fracture, qui traverse l'ensemble du monde occidental,
se décline dans bien des domaines: les droits contre les devoirs, les libertés
contre la sécurité, le monde globalisé contre le monde nationalisé, la mobilité
contre le sentiment d'appartenance à un territoire. Les premiers éléments des
dualités que je viens de vous exposer - les droits, les libertés, le monde
globalisé, la mobilité - ont connu un succès exceptionnel lors des deux ou
trois dernières décennies de libéralisme, et ce depuis la fin de la guerre
froide. Et nous sommes désormais en train de chercher à calmer leur ardeur, à
les repousser en faveur de la seconde partie des dualités, celle des devoirs,
de la sécurité et de l'appartenance. On pourrait aussi parler de rééquilibrage.
Vous parlez de «tragédie
européenne» pour évoquer l'Union européenne. Qu'entendez-vous par-là?
Sommes-nous aujourd'hui au cœur de la tragédie?
L'UE souffre de la tragédie de la
personne trop bien attentionnée. Les trente-cinq premières années ont été un
succès civilisationnel sans précédent, une success story sans égale ou l'Union
européenne aurait contribué à la fois à la paix et à la réconciliation, mais
aurait aussi permis de faciliter le boom économique de l'après-guerre. En
vérité l'Union européenne n'était ni la cause principale ayant amené la paix ni
celle ayant amené le boom économique. Et depuis 1992 et le traité
de Maastricht, le
fait est que tous les grands projets de l'Union européenne ont échoué ou tout
du moins rencontré un succès mitigé. L'euro était un choix politique plus qu'un
choix économique rationnel et la monnaie unique à contribuer à un
ralentissement de la croissance puis à la crise de la dette à partir de 2008.
L'avertissement qui était de dire
que l'on ne pourrait avoir de monnaie unique sans un ministre de l'Économie
unique s'est révélé exact. L'élargissement, lui, est arrivé bien trop vite,
particulièrement sur la partie de la liberté de circulation, qui est l'une des
principales raisons ayant conduit au Brexit. Ce n'est pas que les Britanniques
soient xénophobes, c'est juste que nous avons un marché du travail très ouvert
et très flexible qui ne protège pas les habitants historiques autant que les
autres pays européens. Donc la concurrence des travailleurs d'Europe centrale
et de l'Est était beaucoup plus aiguë pour les travailleurs britanniques. Et
puis il y a eu la décision chaotique de l'Allemagne, guidée par son complexe
historique d'ancien pays oppresseur, d'accueillir les réfugiés. Et ce en
brisant toutes les règles. Cela a au moins permis de dévoiler au grand jour
qu'avec cette emphase mise sur la suppression des frontières internes
plus personne n'avait pensé à protéger les frontières externes. C'est
plutôt une faute lourde, c'est le moins qu'on puisse dire.
Vous estimez que le rejet de
l'immigration de masse dépasse la question économique. En quoi est-ce également
une question culturelle?
Oui, c'est un problème culturel,
car la plupart des êtres humains sont attirés par ce qui leur est sûr et
familier. La plupart des gens veulent de la sécurité et de la stabilité. Les
gens ont des langages, des histoires, une façon de vivre, des habitudes, des
rituels et des comportements qu'ils trouvent importants et qu'ils veulent
généralement préserver. On comprend cela pour les minorités, c'est ce qu'on
appelle le multiculturalisme, mais trop souvent on l'oublie pour la majorité.
La stabilité d'une ville ou d'un quartier ne veut pas dire: pas de nouveaux
arrivants. Mais si le nombre est trop important et que les nouveaux arrivants
parlent une langue différente et ont un autre mode de vie et ont d'autres
valeurs et priorités, alors de nombreuses personnes se sentiront mal à l'aise.
Cet inconfort n'est pas à confondre avec la xénophobie, qui est un phénomène
d'hostilité active envers une personne différente de vous. Il y a des
xénophobes, mais pas tant que cela. Seulement 1 % des Britanniques
admettent avoir des idées toutes faites sur les gens dont l'origine est
différente de la leur. Si nous échouons à faire cette distinction et prenons le
désir de stabilité pour une hostilité envers les étrangers, on ne fait que
lancer ces personnes en plein dans les bras des populistes et des extrémistes.
Vous posiez également la
question du «seuil». A-t-on, dans certains pays européens, atteint ce seuil où
l'intégration devient impossible?
Eh oui, il est de toute évidence
plus difficile d'intégrer des personnes à des normes communes et à un mode de
vie commun si plusieurs milliers d'entre eux vivent ensemble avec très peu de
contacts avec la société. Et particulièrement s'ils viennent de sociétés plus
traditionnelles et ont un mode de vie diffèrent. Pensez à une équipe de
football, si un joueur ou deux prend sa retraite à la fin de la saison et est
remplacé par un petit nouveau, c'est facile à absorber pour l'équipe. Si quatre
ou cinq joueurs partent, alors cela devient une équipe totalement différente.
Dans The Road to
Somewhere, vous défendez l'idée d'un «populisme décent». De quoi s'agit-il?
Le «populisme» de Salvini, Di Maio, Kurz ou Orban vous semble-t-il décent ou
indécent?
Je pense qu'une bonne proportion
des votants populistes sont des populistes décents. Cela signifie qu'ils
acceptent la grande libéralisation de l'après-guerre. Ils croient en l'égalité
entre tous les hommes et aux droits des minorités et ne veulent pas détruire
les sociétés ouvertes ou le libéralisme constitutionnel. Il y a bien plus de
preuves aujourd'hui en Europe d'une poussée du libéralisme non démocratique que
des populismes illibéraux. De nombreux populistes ont été au pouvoir et le
monde n'en est pas venu à sa fin. En réalité, leur arrivée au pouvoir aide
souvent à domestiquer les gouvernants populistes qui comprennent que la vie est
bien plus complexe qu'ils ne l'avaient pensé.
Cela ne veut pas dire que tout ce
que disent les dirigeants populistes est acceptable. Il y a des phénomènes
inquiétants en Pologne ou en Hongrie, et les commentaires récents de Salvinisur
Rome le sont aussi, de même que l'intégrationnisme
à tous crins des Danois semble effrayant. Mais nous ne sommes pas
dans un moment comparable aux années 1930. La plupart des partis populistes, le
Front national, le Parti de la liberté, le Parti du peuple, sont complètement
légitimes et sont seulement nécessaires parce que les partis traditionnels ont
échoué à représenter les opinions d'une partie significative de la population
sur l'immigration ou d'autres sujets.
Il y a des partis qui, de toute
évidence, ne sont pas décents ni même légitimes, comme Aube dorée en Grèce, des
partis qui ont recours à la violence et au racisme. On devrait passer plus de
temps à distinguer les populistes légitimes des populistes illégitimes. Ma peur
est que trop de libéraux passent trop de temps à essayer de délégitimer même le
plus banal des partis populistes et cela porte en soi le danger de conduire les
gens vers les vrais extrémistes. Regardez la Suède, la politique d'exclure les
Démocrates de Suède (parti politique suédois nationaliste et anti-immigration,
NDLR) de la politique nationale et des médias n'a fait que les renforcer. Ils
sont peut-être le parti le plus en position de force avant les prochaines
élections.
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photo : François BOUCHON/Le Figaro
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Dominique
Reynié, le directeur de la Fondapol, s'étonne que certains commentateurs nient
encore les angoisses qui génèrent le vote « antisystème ». Les
gouvernements européens n'ont qu'une alternative: prendre au sérieux la
question des frontières ou être balayés par des coalitions populistes.
LE FIGARO.- Pour la première
fois, un gouvernement «antisystème» a pris la tête d'un pays fondateur de
l'Union européenne. Cet évènement inédit signifie-t-il que la montée des
populismes est loin d'être terminée?
Dominique REYNIÉ. - Certains
ont pu croire que la progression électorale des populismes en Europe était en
train de s'essouffler, mais sans avoir pourtant les raisons de le penser. C'est
un vœu pieux de la part de gouvernants et d'analystes que ne venait étayer
aucun indicateur. Tout indique au contraire que la poussée des populismes va se
poursuivre. On franchit un nouveau cap: d'abord les populistes ont fortement
modifié l'agenda politique, contraignant le monde médiatique à les prendre en
compte ; puis, ils ont pris part à certaines coalitions éphémères ;
aujourd'hui s'ouvre la phase de leur accès au pouvoir. En
Italie, l'événement est très important mais vient de loin: le
Mouvement 5 étoiles a été fondé en 2009 et Matteo Salvini relance
la Ligue depuis 2013, la faisant passer d'un parti régionaliste europhile à un
parti nationaliste eurosceptique. L'Italie était l'un des pays les plus
favorables à l'UE. Comme nous l'avons mesuré dans notre enquête Où va la
démocratie? (Fondation pour l'innovation politique/Plon, 2017), il est
lentement devenu l'un des plus critiques vis-à-vis de l'Union européenne et
même de l'euro.
Certains commentateurs
prédisent déjà l'échec de cette coalition hétéroclite aux propositions
démagogiques…
Évidemment, le programme
politique de cette coalition va être difficile à mettre en œuvre ; il
n'est pas compatible avec les règles de l'Union européenne. Mais je suis
estomaqué par la cécité dont témoignent toujours les commentateurs. À chaque
élection européenne, on assiste au même phénomène de déploration du manque de
jugement des électeurs. Cela donne le sentiment, désastreux, que les élites
médiatiques et politiques n'arrivent plus à accepter le résultat d'une
expression de plus en plus forte, élection après élection. Les votes populistes
ne sont pas des coups de force mais des colères froides. Ils sont l'expression
claire, manifeste et répétée, d'inquiétudes qui ne s'expriment ni par la
violence ni par la haine, mais par le vote, par des procédures démocratiques et
au profit d'organisations politiques qui ne sont pas interdites. C'est
précisément le refus obstiné d'entendre cette colère qui fait le carburant des
populismes!
La victoire d'Emmanuel
Macron il y a un an, qui a pu faire croire à un reflux des populismes,
était donc une exception?
En avril 2017 s'est jouée en
France une finale entre une candidate «antisystème» et un candidat «hors
système». Marine Le Pen s'est heurtée au plafond monétaire: sa défense de la
sortie de l'euro a rendu son succès impossible. Partout en Europe, le rejet des
institutions européennes est plus fort que celui de l'euro. D'après notre
étude, il y a 51 % d'attachement à l'UE en moyenne (33 % pour
l'Italie) pour 60 % d'attachement à l'euro (45 % en Italie).
Le «style de vie», ce que
j'appelle «patrimoine immatériel», a pris le dessus sur les considérations
économiques.
Dominique Reynié
Pourtant en Italie, le succès
des populistes repose à la fois sur une critique de l'immigration incontrôlée
et de la rigueur budgétaire. Est-ce l'économie ou l'identité qui prime dans le
vote populiste?
Je suis pour ma part convaincu
que le «style de vie» ce que j'appelle «patrimoine immatériel» a pris le dessus
sur les considérations économiques. On commémore cette année la naissance de
Marx mais c'est désormais l'immatériel qui gouverne la politique. Comme on peut
le constater en Europe centrale et orientale, il n'y a pas de détermination
entre crise économique et vote populiste. En Italie le vote est avant tout
«antisystème» contre «la casta» comme dit Beppe Grillo.
Voyez aussi ce qui se passe en
Allemagne, qui est très important. Le système politique allemand peut-il encore
fonctionner? La coalition au pouvoir est celle qui a été désavouée dans les
urnes et les partis qui la composent ne veulent pas prendre le risque de
nouvelles élections qui pourraient amplifier le résultat de septembre. C'est là
le résultat logique de la décision d'Angela Merkel d'accueillir un million de
migrants. La désinvolture envers la frontière est en train de cristalliser
l'orientation populiste des électorats. Le parti de la déploration espère
secrètement un retour à la normale, vers une Europe qui serait redevenue
indifférente aux enjeux du populisme patrimonial. Mais ça n'arrivera pas si
rien n'est fait pour conjurer l'angoisse des peuples. Il est indispensable que
l'Europe s'oriente vers la défense d'une frontière commune, ou bien l'Union
européenne disparaîtra.
N'y a-t-il pas un début de
prise de conscience?
Il y a quelques jours en Suède,
on a vu un durcissement très significatif de la politique d'immigration à
l'initiative du gouvernement social-démocrate. En février 2018, au
Danemark, c'était le centre droit, appuyé par les populistes et les
sociaux-démocrates, qui prenait des mesures drastiques pour répondre aux échecs
de l'intégration. Après vingt-cinq ans de surdité, on observe depuis début
2018, une évolution sensible dans une partie croissante des pays européens en
faveur d'une régulation plus stricte de l'immigration et d'une gestion plus
rigoureuse de l'intégration. Il n'est peut-être pas encore trop tard. Le choix
qui s'offre à nous est limpide: ou bien les gouvernants européens se montrent
capables de répondre rapidement aux attentes exprimées électoralement, ou bien
les coalitions populistes de gouvernement se multiplieront, jusqu'à faire tomber
l'euro et donc l'Europe.
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responsables européens»
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moyennes traverse tout l'Occident»
GRAND ENTRETIEN - Après Fractures
françaises (2010), La France périphérique (2014)
et Le Crépuscule de la France d'en haut (2016), le géographe
élargit sa réflexion à l'ensemble des sociétés d'Europe et d'Amérique du Nord
avec No Society. La fin de la classe moyenne occidentale (Flammarion),
en librairie mercredi.
LE FIGARO. - Vos travaux
sur la France périphérique, ces dernières années, ont suscité un vif intérêt.
Pourriez-vous résumer votre thèse de départ?
Christophe GUILLUY. - J'étudie
depuis vingt ans les classes populaires, les catégories modestes, qui, je le
crois, nous indiquent le mouvement réel des sociétés. C'est en examinant ces
catégories que je suis arrivé à la France périphérique, pas l'inverse. On peut
définir les catégories populaires par les catégories sociales mais aussi par le
revenu médian. En 2015, 50 % des salariés gagnaient moins de
1650 euros net par mois. Il s'agit, en grande majorité, d'ouvriers et
d'employés. La baisse de la proportion d'ouvriers a coïncidé avec une
augmentation de la proportion d'employés. Les catégories populaires - qui
comprennent aussi les petits agriculteurs, ainsi que les jeunes et les
retraités issus de ces catégories - n'ont donc nullement disparu. Leur
part dans la population française est restée à peu près stable depuis un
demi-siècle. La nouveauté, c'est uniquement que «le peuple» est désormais moins
visible, car il vit loin des grands centres urbains. Le marché foncier crée les
conditions d'accueil des populations dont les métropoles ont besoin. En se
désindustrialisant, les grandes villes nécessitent beaucoup moins d'employés et
d'ouvriers. Face à la
flambée des prix dans le parc privé, les catégories populaires
cherchent des logements en dehors des grandes agglomérations. Le problème
crucial politique et social de la France, c'est donc que la majeure partie des
catégories populaires ne vit plus là où se crée la richesse. Nulle volonté de «chasser
les pauvres», pas de complot, simplement la loi du marché. Le projet économique
de la France, tourné vers la mondialisation, n'a plus besoin des catégories
populaires, en quelque sorte. C'est une situation sans précédent depuis la
révolution industrielle.
«
Les élites ne peuvent plus faire comme si les classes populaires n'existaient
pas » - Regarder sur Figaro Live
Dans ce nouvel ouvrage, vous
appliquez la même grille d'analyse aux États-Unis, à la Grande-Bretagne, voire
à la Suède, l'Allemagne ou l'Italie. Pourquoi ces comparaisons?
«De la Rust Belt américaine au
Yorkshire britannique, des bassins industriels de l'est de l'Allemagne au
Mezzogiorno italien, villes petites et moyennes, régions désindustrialisées et
espaces ruraux décrochent»
Dans tous les pays développés, on
vérifie le phénomène déjà constaté en France: la majorité des catégories populaires
vit désormais à l'écart des territoires les plus dynamiques, ceux qui créent de
l'emploi. Ces évolutions dessinent les contours d'une Amérique périphérique et
d'une Angleterre périphérique tout autant que d'une France périphérique. De
la Rust
Belt américaine au Yorkshire britannique, des bassins industriels
de l'est de l'Allemagne au Mezzogiorno italien, villes petites et moyennes,
régions désindustrialisées et espaces ruraux décrochent. Ce constat n'efface
pas les contextes nationaux (l'économie allemande n'est en rien comparable avec
l'économie française) mais permet de conclure à l'émergence d'un monde des
périphéries, celle des catégories modestes. Si le modèle mondialisé n'annule
pas les spécificités nationales - les niveaux de vie et de protection
sociale, les contextes économiques ne sont jamais identiques - il porte aussi
des dynamiques communes: polarisation de l'emploi, renforcement des inégalités
sociales et territoriales, fragilisation des plus modestes, fatigue de
l'État-providence et crise identitaire. Dans tous ces pays, ce sont en priorité
ces catégories populaires, qui formaient hier le socle de la classe moyenne
occidentale, qui sont les premières concernées par la crise qui traverse le
monde occidental.
Précisément, vous soutenez que
nous assistons à «la disparition de la classe moyenne occidentale». N'est-ce
pas exagérément apocalyptique?
«L'idée d'une classe moyenne
majoritaire et intégrée, qui vérifierait la pertinence de notre modèle
économique mondialisé, ne correspond plus à la réalité»
Même si les contextes nationaux
diffèrent, les évolutions sociales et culturelles communes aux classes
populaires des pays occidentaux remettent en question l'idée d'une classe
moyenne majoritaire et intégrée. Pendant les Trente Glorieuses, la classe
moyenne a représenté le groupe social majoritaire - les fameux «deux Français
sur trois» qu'évoquait Giscard pendant son septennat. Ouvriers, employés,
paysans ou cadres faisaient partie de cette classe moyenne. Intégrées
économiquement, pour beaucoup dans une phase d'ascension sociale, et aussi
référentes culturellement, la majorité de ces catégories sociales se
reconnaissaient, alors, dans ce concept de classe moyenne et dans les partis de
droite et de gauche qui la représentaient. Puis le modèle économique mondialisé
a changé la donne. Une fraction de plus en plus importante des catégories
modestes, qui constituaient le socle de la classe moyenne majoritaire, sont
aujourd'hui fragilisées. Le processus a commencé par les ouvriers, puis a
affecté employés et agriculteurs. La fragilisation se diffuse en touchant de
nouvelles catégories, les jeunes diplômés, demain les retraités. Nous sommes
entrés progressivement dans le temps de la sortie de la classe moyenne. L'idée
d'une classe moyenne majoritaire et intégrée, qui vérifierait la pertinence de
notre modèle économique mondialisé, ne correspond plus à la réalité. C'est si
vrai qu'aujourd'hui ceux qu'on désigne sous le terme de classe moyenne
appartiennent souvent aux catégories supérieures.
L'essor du vote populiste
observé dans la plupart des pays occidentaux s'explique aussi, estimez-vous,
par des facteurs identitaires. Lesquels?
«En France, l'immobilier
social, dernier parc accessible aux catégories populaires des métropoles, s'est
spécialisé dans l'accueil des populations immigrées»
La dimension sociale et
économique du vote populiste se complète par une dynamique culturelle. Les
catégories les plus fragiles socialement (celles qui ne peuvent mettre en œuvre
des stratégies d'évitements résidentiels et scolaires) sont aujourd'hui les
plus sensibles à la question migratoire. Les mêmes demandent à être protégés
d'un modèle économique et sociétal qui les fragilise. Dans des sociétés
multiculturelles, l'assimilation ne fonctionne plus. L'autre ne devient plus
soi, ce qui suscite de l'inquiétude. Le nombre de l'autre importe. Personne n'a
envie de devenir minoritaire dans les catégories populaires. En France,
l'immobilier social, dernier parc accessible aux catégories populaires des
métropoles, s'est spécialisé dans l'accueil des populations immigrées. Les
catégories populaires d'origine européenne et qui sont éligibles au parc social
s'efforcent d'éviter les quartiers où les HLM sont nombreux. Elles préfèrent
consentir des sacrifices pour déménager en grande banlieue, dans les petites
villes ou les zones rurales afin d'accéder à la propriété et d'acquérir un
pavillon. Dans chacun des grands pays industrialisés, les catégories populaires
«autochtones» éprouvent une insécurité culturelle. En Grande-Bretagne, en 2013,
le secrétaire d'État chargé des Universités et de la Science de l'époque, David
Willetts (conservateur), se déclara favorable à une politique de discrimination
positive en faveur des jeunes hommes blancs de la «working class» car leur taux
d'accès à l'université s'était effondré et était désormais inférieur à celui
des enfants d'immigrés.
Peut-on vraiment démontrer
sans tordre les faits que votre modèle s'applique à toutes les nations
occidentales? N'y a-t-il pas des nuances entre le vote Trump dans l'État de New
York, le vote en faveur du Brexit dans le nord de l'Angleterre, la force du FPÖ
dans la région de Vienne ou l'implantation du parti de Geert Wilders autour de
Rotterdam?
Ces nuances existent, nous avons
même eu en France un vote macroniste dans les zones rurales! Mais en moyenne,
ce sont bien les territoires populaires les plus éloignés des grandes
métropoles qui portent la dynamique populiste. La Rust Belt et les régions
désindustrialisées de Grande-Bretagne pèsent respectivement plus dans le vote
Trump ou dans le Brexit que New York ou le Grand Londres. Dans les zones
périurbaines de Rotterdam, ce sont bien aussi les catégories modestes (qui ne
se confondent pas avec les pauvres) qui voient leur statut de référent culturel
remis en question par la dynamique migratoire et qui votent pour Geert
Wilders. Ainsi, si la situation de l'ouvrier allemand n'est pas celle
du paysan français, de l'employé néerlandais ou d'un petit travailleur
indépendant italien, il existe un point commun: tous, quel que soit leur niveau
de vie, font le constat d'être fragilisés par un modèle économique qui les a
relégués socialement et culturellement.
L'ouvrier français a longtemps
été un modèle à imiter pour les immigrés désireux de s'assimiler dans notre
pays, avant d'être déprécié dans les années 1970, observez-vous. Ce changement
catastrophique se constate-t-il dans d'autres pays occidentaux?
«Quel nouveau venu dans un
pays peut avoir envie de ressembler à des “autochtones” qui ne sont pas en
phase d'ascension sociale et que, de surcroît, leurs propres élites méprisent
en raison de l'attachement des intéressés à certaines valeurs traditionnelles?»
On ne s'intègre pas à un modèle
ou à un système de valeur mais à une population à qui on désire ressembler. On
se marie, on tisse des liens d'amitié, de voisinage avec des gens qui sont
proches. Or cette intégration ne se réalise pas dans n'importe quelle catégorie
sociale, mais d'abord dans des milieux populaires. Et ce qui a changé depuis
les années 1970 et surtout 1980, c'est précisément le changement de statut de
ces catégories populaires. Les ouvriers, les employés, les «petites gens» sont
désormais perçus en grande partie comme les perdants de la mondialisation. Quel
nouveau venu dans un pays peut avoir envie de ressembler à des «autochtones»
qui ne sont pas en phase d'ascension sociale et que, de surcroît, leurs propres
élites méprisent en raison de l'attachement des intéressés à certaines valeurs
traditionnelles? Souvenons-nous de la
phrase de Hillary Clinton présentant les électeurs de Donald Trump comme
des «déplorables»pendant
la campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis. C'est pourquoi, alors que la
France, les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la Scandinavie se sont construits
sur des modèles culturels très différents, tous ces pays connaissent la même
dynamique populiste, la même crise sociale et identitaire et le même
questionnement sur la pertinence de leurs modèles d'intégration.
Pas de mouvement de masse sans
alliance de classes, écrivez-vous. En quoi cette alliance de classes est-elle
devenue très difficile dans les démocraties occidentales? Trump et Macron
représentent-ils deux expériences opposées pour renouveler cette alliance du
haut et du bas?
«No Society. La fin de la classe
moyenne occidentale», Flammarion, 242 p., 18 €, en librairie le 3
octobre. - Crédits photo : Flammarion
C'est effectivement le sujet
central du livre: la rupture entre le haut et le bas qui nous conduit à un
modèle qui ne fait plus société. La disparition de la classe moyenne n'en est
qu'une conséquence. Le monde d'en haut refuse d'écouter celui d'en bas qui le
lui rend bien notamment en grossissant les camps de l'abstention ou du vote
populiste. Cette rupture du lien, y compris conflictuel, entre le haut et le
bas, porte en germe l'abandon du bien commun et nous fait basculer dans
l'a-société. Trump vient de l'élite américaine, c'est un des points communs
qu'il partage avec Macron. Tous les deux se sont affranchis de leur propre camp
pour se faire élire: Macron de la gauche, Trump du camp républicain. Ils ont
enterré le vieux clivage gauche-droite. Les deux ont compris que nous étions
entrés dans le temps de la disparition de la classe moyenne occidentale. L'un
et l'autre ont saisi que, pour la première fois dans l'histoire, les classes
populaires, celles qui constituaient hier le socle de la classe moyenne, vivent
désormais sur les territoires qui créent le moins d'emplois: dans l'Amérique
périphérique et dans la France périphérique. Mais la comparaison s'arrête là.
Si Trump a été élu par l'Amérique périphérique, Macron a au contraire construit
sa dynamique électorale à partir des métropoles mondialisées. Si le président
français est conscient de la
fragilisation sociale de la France périphérique, il pense que la
solution passe par une accélération de l'adaptation de l'économie française aux
normes de l'économie mondialisée. À l'opposé, le président américain fait le
constat des limites d'un modèle qu'il convient de réguler (protectionnisme,
remise en cause des traités de libre-échange, volonté de réguler l'immigration,
politique de grands travaux) afin de créer de l'emploi sur ces territoires de
la désindustrialisation américaine. Il existe un autre point de divergence
fondamental, c'est le refus chez Trump d'un argumentaire moral qui sert depuis
des décennies à disqualifier les classes populaires.
Votre livre n'est-il pas
exagérément sombre?
C'est la réalité qui est sombre,
pas ce livre. Pour éviter la catastrophe, et si elles ne veulent pas être
balayées dans les urnes, les classes dirigeantes n'ont pas d'autre choix que
celui de rejoindre le mouvement réel de la société, celui de la majorité, des
plus modestes.
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