Manifestation contre les caricatures de Mahomet, Autriche, 2006. Sipa. Numéro de reportage : AP20399651_000001
Elle a validé la condamnation
d’une Autrichienne pour "dénigrement de doctrines religieuses"
Le 25 octobre, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a validé la condamnation d’une Autrichienne pour « dénigrement de doctrines religieuses ».En l’espèce, cette dame aurait déclaré lors d’une réunion publique, au sujet du mariage du prophète Mohammed et de la jeune Aïcha : « Un homme de cinquante-six ans avec une fille de six ans (…), de quoi s’agit-il si ce n’est de pédophilie ? » Très bien relatée par Marianne, cette dangereuse décision appelle plusieurs commentaires.
Par Aurélien Marq - 10 novembre 2018
Premier point. La CEDH reproche
entre autres à l’accusée de n’avoir pas « donné à son auditoire des
informations neutres sur le contexte historique. » Faut-il
maintenant un diplôme d’histoire des religions pour s’interroger sur le
« consentement » d’une fillette de 6 ans ? Mais répondons à cet
argument de la Cour.
Il est anachronique de dire
que Mahomet aurait été pédophile
Oui, il faut tenir compte du
contexte pour juger une personne. Il faut une force morale certaine
pour s’extraire des coutumes et des mœurs de sa culture et de son époque, et
bien des gens ont fait des choses condamnables non parce qu’eux-mêmes étaient
mauvais, mais parce qu’ils ne se sont pas interrogés sur ce que tout le monde
autour d’eux trouvait normal. Mais ceci n’est vrai que des personnes. Lorsqu’il
s’agit de juger un comportement, le contexte permet de savoir s’il
est adapté ou non, pas s’il est ou non intrinsèquement condamnable. Ce n’est
pas parce qu’en d’autres temps l’esclavage était socialement acceptable qu’il
n’était pas mauvais en lui-même !
Oui, il est anachronique de dire
que Mahomet aurait été pédophile, au sens moderne du terme, simplement en
raison de son mariage avec Aïcha. Mais un anachronisme ne justifie pas une
condamnation au tribunal !
Surtout, cette idée de
contextualisation est à manier avec une grande prudence dans le cas du prophète
de l’islam, appelé le « bel exemple », le « meilleur des
hommes ». Son comportement est encore aujourd’hui considéré comme la
référence indépassable, avec le Coran, de toute la jurisprudence musulmane. Et
à ce titre, en tant que référence normative, il doit être jugé à l’aune de
critères aussi élevés que l’universalité intemporelle que l’islam veut lui
donner.
« C’est religieux donc je
peux ! »
Ajoutons que les actes du
prophète sont censés avoir été sinon inspirés du moins validés par Allah, y
compris son union avec Aïcha. Et contrairement à un humain, un dieu éternel
n’est a priori pas influencé par je ne sais quel contexte
historico-socio-culturel : seule peut l’être la compréhension que ses
fidèles ont de lui. Si donc la volonté d’Allah a été interprétée selon les
normes imparfaites d’un lieu et d’une époque, on peut admettre la
contextualisation. Mais si cette volonté a été comprise et transmise avec
exactitude, et c’est ce qu’enseignent presque tous les courants actuels de
l’islam sunnite, alors sa prétention à être une vérité absolue impose qu’elle
soit jugée avec une exigence morale absolue, et rien de moins.
Deuxième point. Décidant de faire
primer « le droit des autres personnes à voir protégées leurs
convictions religieuses », la CEDH valide de fait l’absurde joker « c’est
religieux donc je peux ! »
A lire aussi: Port du niqab: le Comité des droits de l’homme de l’ONU doit-il
siéger à l’Assemblée nationale?
Vous voulez condamner
l’emprisonnement de Galilée, ou la mise à mort de Giordano Bruno ? Hors de question, ce serait
« critiquer la conviction religieuse » de ceux qui estiment l’Église
infaillible. Mais que pense la CEDH du fait que Jean-Paul II ait demandé pardon
pour les crimes passés de l’Église ? Faudrait-il condamner le Pape pour
n’avoir pas assez « protégé les convictions religieuses » des
catholiques ?
Vous voulez suggérer que,
peut-être, tuer des enfants en leur arrachant le cœur en l’honneur de Tezcatlipoca
manquerait d’humanité ? Hors de question, ce serait « critiquer la
conviction religieuse » des adeptes du Miroir Fumant.
Critiquer une religion, le
b.a.-ba des libertés
Je ne doute pas que les
intentions de la CEDH aient été les meilleures du monde, et découlent d’une
volonté bien compréhensible de trouver un équilibre entre la liberté
d’expression et la courtoisie nécessaire au sein d’une société civilisée. Mais
l’enfer est pavé de bonnes intentions, et avec cet argument elle risque de
donner des armes à toutes les dérives sectaires du continent. Vous trouvez
anormal que notre gourou veuille prendre tout notre argent, ou organise un
suicide collectif ? C’est scandaleux ! Vous critiquez nos convictions
religieuses !
Les religions et les figures religieuses
sont et doivent être critiquables. Leur caractère sacré ne doit pas les mettre
hors de portée de la critique éthique et rationnelle, bien au contraire :
leur puissance symbolique, psychologique, sociale et politique les oblige, et
oblige chacun à les y soumettre avec la plus haute exigence.
Troisième point. La CEDH s’est de
toute évidence habituée à ce qu’en Occident les religions fassent preuve de
tolérance les unes envers les autres. Mais nous savons bien que c’est loin
d’être une évidence, et que certaines sont aussi promptes à se dire tolérantes
qu’à ne pas l’être – regardons ce qu’elles font là où elles ont le pouvoir de
faire ce qu’elles veulent. Que pense la CEDH des versets du Coran qui appellent
à massacrer les « associateurs » et qualifient d’impurs les juifs et
les chrétiens ? N’y a-t-il pas là une menace pour le droit des
polythéistes, des juifs et des chrétiens « à voir protégées leurs
convictions religieuses » ? La Cour, qui en 2003 a considéré que la charia est
incompatible avec les principes fondamentaux de la Convention Européenne des
Droits de l’Homme, songerait-elle par souci de cohérence à interdire la
diffusion du Coran ?
Ne pas
« stigmatiser »!
Quatrième point. La CEDH a aussi,
et peut-être surtout, choisi de « préserver la paix religieuse en
Autriche. » C’est une préoccupation légitime, et je la crois
sincère et sincèrement soucieuse du bien commun. Pourtant, c’est une
catastrophe.
Il y a, bien sûr, le vieil
argument usé jusqu’à la corde du risque d’encourager la
« stigmatisation » en osant dire des vérités qui dérangent. C’est
avec de tels raisonnements que les autorités de Grande-Bretagne ont abandonné
des centaines de victimes à leur sort à
Telford et ailleurs. Pour ne pas « stigmatiser » !
Mais je connais des musulmans
encore plus choqués que moi par la décision de la CEDH. Car oui, il y a encore
des musulmans qui croient que leur religion peut être autre chose qu’un
totalitarisme arrogant, et qui œuvrent pour qu’elle le soit ! Il y a des
musulmans pour qui le droit de se marier avec une fillette de 6 ans n’est
justement pas une « doctrine religieuse » qu’il
faudrait protéger de tout « dénigrement ». Et le
drame, c’est que ce n’est pas leur vision de l’islam que l’Autriche puis la
Cour ont pris en compte, mais celle des plus susceptibles, des plus obscurantistes,
des plus virulents, des plus menaçants pour la « paix religieuse » et
la « paix publique ».
Car les tribunaux autrichiens et
la CEDH ne trouveraient sans doute rien à redire à ce que l’on s’interroge
publiquement sur la santé mentale de Tlacaelel, à l’origine de la réforme
théologique qui a poussé à leur paroxysme les pratiques sanglantes du culte
aztèque. C’est que de nos jours ses adeptes sont heureusement très peu
nombreux, et leur éventuel mécontentement ne menacerait guerre la « paix
religieuse ».
Les droits de l’homme sont
inaliénables
Ce qu’a donc réellement fait la
Cour, c’est tout simplement se plier aux désirs de gens qu’elle estime capables
de représenter une menace pour l’ordre public. Et c’est incroyablement
dangereux. C’est, dans une cour de justice, cautionner l’exact contraire de la
justice : la loi de la force et des hurlements de la foule. Les droits de
l’Homme sont justement des droits inaliénables qui ne doivent en aucun cas être
soumis à l’arbitraire de la tyrannie ou de l’air du temps, et voilà qu’une cour
qui porte leur nom en oublie le principe premier !
Les tribunaux autrichiens et la
CEDH ont voulu préserver la « paix religieuse ». Mais
leur jugement n’œuvre pas à la paix. Car sans une garantie absolue de la
liberté d’expression, il ne peut y avoir aucune paix, ni religieuse ni civile,
mais seulement la défaite de tous devant les plus susceptibles et les plus
intolérants. Et ça, c’est l’opposé des droits de l’homme.
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