Terrorisme :
on sacrifie les victimes pour ne pas avoir à livrer bataille contre les
bourreaux
Par Shmuel
Trigano
Publié le 28/07/2016 à 12h09
FIGAROVOX/ANALYSE - Quand des Français tuent des Français,
cela s'appelle une guerre civile, explique Shmuel Trigano dans un grand
décryptage. Pour le philosophe, l' «antisémitisme musulman» du début des années
2000 était un signe annonciateur de celle-ci.
Professeur émérite des Universités, Shmuel Trigano est un
philosophe et sociologue, spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme
contemporain.
Après l'attentat de Nice et le meurtre du prêtre de Saint
Etienne du Rouvray, la France s'est retrouvée à nouveau plongée dans une
atmosphère qui rappelle celle que décrit admirablement Albert Camus dans La
Peste, quand un mal profond mais inommé ronge l'ambiance de la ville
d'Oran. Le dispositif mis en place depuis Charlie Hebdo et dont la
commémoration de la tuerie de Toulouse avait constitué un prototype ne «prend»
plus.
La stratégie du déni
Je fais référence au cérémonial qui s'est mis en place pour
«gérer» chaque attentat. L'effusion de compassion, qui en est la marque, est
ambivalente: si elle accuse le coup de la réalité (reconnaissant qu'il y a des
victimes), elle l'engloutit dans l'émotion, pour en annuler de facto le
sens (en censurant la motivation que les agresseurs donnent à leur acte, à
travers le rite du «pas-d'amalgame»). Or la réalité est brutale et ne fait pas
dans la dentelle. Les actes terroristes sont commis explicitement au nom de
l'islam et leurs perpétrateurs ne se recrutent pas au Moyen-Orient mais parmi
les musulmans, en France même, dont ils sont natifs. C'est aussi dans ce milieu
qu'ils trouvent abri et refuge. Avec le djihadisme mondial «franchisé», qui se
développe aujourd'hui, le voisin qui vous dit «bonjour», le fonctionnaire qui
vous reçoit, pourrait sans prévenir se transformer en djihadiste armé d'un
couteau, d'une hache ou d'une voiture. La réalité, c'est ce que nomme en
l'occultant (là aussi) le «nous sommes en guerre»: une guerre qui ne se mène
pas à partir du porte-avion Charles de Gaulle mais sur le sol
national et dont témoigne la militarisation de la sécurité publique. C'est très
exactement ce que l'on nommait, avant l'ère du post-modernisme , une guerre
civile. Le gouvernement ne fait que le confirmer lorsqu'il annonce que, même
après la défaite du Califat, cette «guerre» ne sera pas finie.
Cette guerre civile est, pour être plus précis, l'effet
d'une guerre de religion planétaire. Le meurtre des non-musulmans est perpétré
par les islamistes comme un sacrifice religieux offert à la divinité, un
meurtre «moral», «sacré», de même que la mort recherchée du pseudo «martyr» lui
ouvre la porte du paradis: un véritable culte de la mort. Il faut comprendre
cette logique d'un autre âge, profondément régressive sur le plan de l'histoire
humaine (la régression de la religion au sacrifice humain!), pour comprendre le
motif de tous ces massacres. Cette explication n'est pas un commentaire de ma
part. Elle découle de sources coraniques et elle est confirmée par l'imam
Qaradawi, qui siège au Qatar, pays ami de la France, et qui est le chef du
Conseil de la Fatwa pour l'Europe, le mentor sur la plan de la Charia des
Frères Musulmans (et donc de leurs émules français). Dans ses décisions
juridiques , il justifie le meurtre des non musulmans, et avant tout des Juifs,
comme un moyen licite de défendre et illustrer l'islam. Il va même jusqu'à
estimer que, si le «martyr» le juge nécessaire, le meurtre des non-musulmans
pourrait s'accompagner, pour le succès de l'opération, de la mort de musulmans
(ainsi expédiés illico presto au paradis). Sur ce dernier
point, celà montre parfaitement que le fait que les attentats frappent aussi
des musulmans ne diminue en rien le caractère et la justification exclusivement
islamiques de ces actes. À ce propos, il est pitoyable de voir journalistes et
experts se perdre en conjectures sur les motifs des massacres et entraîner avec
eux un public sidéré et égaré, parce qu'ils se refusent à voir la réalité en
face...
Les huées de Nice contre le gouvernement traduisent
l'échec de la doctrine sécuritaire de l'Etat.
Cette réalité - vécue objectivement dans l'inconnaissance -,
le Pouvoir, par sa faiblesse et ses idées fausses, ne veut ni ne peut la
nommer. C'est la fonction que remplit le deuxième rouage du dispositif dont la
finalité est de «naturaliser» la menace. Le slogan «il faut vivre avec le
terrorisme - il y aura d'autres attentats» en est l'expression. Le Pouvoir
traduit sa défaite en rase campagne sous la forme d'une injonction qui conjure
l'état de guerre civile potentielle par l'affirmation d'une solidarité espérée
(«tous ensemble/restons unis/le terrorisme veut nous diviser») mais que les
attentats érodent l'un après l'autre.
Ce cérémonial est devenu inefficace. Les huées de Nice contre
le gouvernement traduisent quelque chose de profond: l'échec de la doctrine
sécuritaire de l'Etat. La situation que j'ai tenté de décrire démontre sa
défaillance à l'épreuve de la réalité. Toutes les actions qu'elle promeut dans
le domaine sécuritaire ne peuvent être que cautère sur une jambe de bois. Elle
présente un vice de forme stratégique qui retentit sur la tactique.
Les valeurs légitimantes: la «morale»
Cette politique se veut «morale» et «démocratique», étayée
sur des valeurs (un mot qu'invoque souvent le ministre de l'intérieur) comme:
le «pas d'amalgame», l'État de droit, la démocratie. À l'examen, cependant, ces
valeurs ne sont ni réalistes, ni honorées. Où est l' «état de droit» quand les
«droits du citoyen» - le droit
Que sont ces « droits de l'homme » s'ils
assurent avant tout les avantages des terroristes et de leurs apprentis ?
minimal à la sécurité - ne sont pas assurés? Que sont ces
«droits de l'homme» s'ils assurent avant tout les avantages des terroristes et
de leurs apprentis? L'Etat met en place une armada institutionnelle (jusqu'à un
cadre de convalescence mentale pour les djihadistes retour de Syrie!) pour
surveiller les futurs djihadistes (fichés «S» et autres) afin de ne pas
attenter à leurs «droits de l'homme», quand il faudrait donner un coup de pied
définitif dans la fourmilière. On attend que le meurtrier passe à l'acte pour
l'arrêter au lieu de l'empêcher de commettre son acte. C'est là une moralité
sans réciprocité qui prône le sacrifice des victimes. Quant à l'état de droit,
il est par définition suspendu en «état de guerre» (une proclamation claironnée
de toutes part). Ce que traduit bien la notion juridique d' «état d'urgence».
La guerre sur le sol français n'est-elle pas évidente avec ces tueries de masse
et l'insécurité de toutes parts? Quant au «pas d'amalgame», il ne devrait pas
empêcher de reconnaître la motivation religieuse islamique des terroristes,
expressément proférée dans leurs actes. L'islam est aujourd'hui entré dans une
guerre de religion féroce : interne (chiites-sunnites) et externe, contre
l'Occident (sans négliger, sous d'autres cieux, l'indouisme et le judaïsme). Le
sunnite sait parfaitement que la guerre que lui fait le chiite est motivée par
une interprétation religieuse de l'islam. Pourquoi les non-musulmans
s'interdiraient-ils de reconnaître que l'islam inspire aussi aux djihadistes la
haine à leur égard ? S'interdire de le faire, évoquer le possible amalgame,
c'est au contraire le suggérer en sourdine, de façon massive. C'est une façon
de dire que, oui, l'islam est concerné. «N'en parlons pas!»... parce que tout
le monde le sait.
On glisse ici d'une situation singulière, particulière (une
agression) issue du monde musulman - qui, elle, est condamnable - à la
généralité (l'Islam en général) dont elle relève, pour exonérer la première au
nom de la préservation de la dernière. C'est ce que vient vérouiller dans la
machinerie rhétorique, dont le pouvoir médiatico-politique est l'ingénieur, le
concept récent, forgé de toutes pièces à cet effet, d' «islamophobie».
Islamophobie ? Comme si la critique des idées
islamiques relevait d'une « phobie », d'une maladie psychique
obsessionnelle . Dirait-on la même chose des critiques athées ou laïques du
christianisme ou du judaïsme ? Bien évidement, non.
Comme si la critique des idées islamiques relevait d'une
«phobie», d'une maladie psychique obsessionnelle . Dirait-on la même chose des
critiques athées ou laïques du christianisme ou du judaïsme? Bien évidement,
non. La lutte contre l' «islamophobie» identifiée à la lutte conre le racisme a
pour finalité d'interdire tout débat idéologique comme politique sur l'islam,
ses actions, quelles qu'elles soient, et ses présupposés. Le terme indique bien
que l'islamophobie ne relève pas de la lutte contre le racisme et la
discrimination mais de la défense et illustration d'une religion et de ses
représentants et donc de la censure de toute critique à son égard . Le «pas
d'amalgame» s'y inscrit. Il instaure un privilège en sanctuarisant une seule
religion dans l'Etat.
Avec une telle morale, la réalité, et la menace, ne peuvent
que se dissiper dans le brouillard: on évoque ainsi «Le terrorisme», «La
radicalisation», «La barbarie»... là où il s'agit, dans la bouche même des
assassins, d'une guerre de religion. Mais «la vie doit continuer» comme si de
rien n'était, ce qui donne un drôle de cocktail psychique dont on se demande ce
qu'il produira en bout de parcours! Aujourd'hui, c'est manifestement
l'égarement, l'abandonisme, l'angoisse. Le Français moyen ne comprend rien à ce
qui se passe. On a le sentiment de s'enfoncer dans une lente agonie. Le titre
d'un livre écrit par l'époux d'une victime du Bataclan, Vous n'aurez
pas ma haine (Antoine Leiris, Fayard 2016), exprime bien l'égarement
du public. Qu'auront-ils donc? Mon amour? Mon respect? Mon dédain? Tel n'est
pas le problème! Le désir de vengeance devant l'injustice et l'ignominie est au
contraire un sentiment très sain. C'est la base de la justice quand elle est
maitrisée par la Loi. L'étouffer, c'est nécessairement retourner contre soi la
violence qu'on a reçue de l'agresseur, accepter une condition de victime née et
passive face à l'ignominie: un boulevard pour le crime. Plus la défaillance de
l'Etat à assurer la sécurité se répète, plus la compassion devient un sentiment
et un comportement débilitants.
Le précédent de la lutte contre l'antisémitisme: 13 caractéristiques
Pour l'observateur attentif de la situation française , les
éléments de ce tableau, ce «boulevard pour le crime», étaient déjà tous réunis
depuis le début des années 2000, lorsque les agressions antisémites ont
commencé à se multiplier pour conduire là où nous sommes présentement.
1) Entre la fin de 2000 et 2002 (quand Sarkozy devint
ministre de l'intérieur, prenant la suite du socialiste Daniel Vaillant, en mai
2002) se produisirent plus de 500 agressions antisémites, sur lesquelles régna
un black out total dans les médias, les pouvoirs publics et les institutions
juives. La liste était pourtant très bien tenue . C'est ce black out,
inexplicable alors, qui m'avait conduit à créer en 2001 l'Observatoire du monde
juif dont la finalité visait à informer l'opinion publique et la classe politique,
les médias, de ce qui se passait. C'est aussi ce qui avait conduit le
commissaire Sammy Ghozlan à créer à la même époque le Bureau National de
Vigilance Contre l'Antisémitisme. Celà génait le judaïsme officiel que l'on
parle d' «antisémitisme»... Nous en eûmes l'explication (à la fois de cette
gène et surtout de ce black out) quelques années plus tard, de la
bouche de Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur alors, quand nous apprîmes
que l'ordre (?) en était venu du gouvernement Jospin afin de «ne pas jeter de
l'huile sur le feu». L'étonnement de constater que toute une société, réputée
pluraliste et libre, y compris la communauté juive, acceptèrent alors de se
soumettre à cet ordre est toujours entier. On ne croyait avoir vu celà qu'en
Union Soviétique .
C'était une erreur politique gravissime, aux graves
implications pour la France (et la «démocratie»):
1) Il sacrifiait la sécurité des citoyens d'origine juive
pour sauvegarder la «paix publique», mais laquelle? Les agressions antisémites
dénotaient de facto une situation de guerre civile quand des
citoyens d'origine musulmane s'attaquait à d'autres concitoyens parce qu'ils
étaient d'origine juive... La paix civile, qui n'était pas encore l'inénarable
«vivre ensemble» impliquait ainsi le sacrifice de la société, du moins d'une de
ses parties. Le «tous ensemble» suppose toujours un «bouc émissaire»!
2) Il impliquait le refus programmatique de nommer et
d'identifier les faits, ce qui n'empêcha pas l'invention d'un nouveau narratif
de la réalité. Comme le révélait la liste des agressions, les agresseurs
provenaient de contrevenants d'origine maghrébine ou sud-saharienne. Pour ne
pas le reconnaître, les faits furent escamotés et dénaturés.
3) On cacha l'antisémitisme derrière des mots valises:
«conflit inter-communautaire», «conflit importé», des formules assassines qui
contribuaient à culpabiliser aussi les victimes pour ce qu'elles subissaient.
4) Comme les faits n'étaient pas reconnus comme
«antisémites» on leur trouva des justifications «sociologiques» (le chômage, la
pauvreté, l'»apartheid social» selon Valls) ou psychologiques
(l' «humiliation» arabe , supposée héritée du colonialisme, les problèmes
psychologiques) qui exonéraient systématiquement les agresseurs et
culpabilisaient les victimes.
5) La faute fut plus précisément reportée sur une extrême
droite pourtant presque totalement absente de cette scène. Pendant des années,
on la fustigea au lieu de combattre l'antisémitisme islamique. Rappelons nous
la stupéfaction engendrée par le massacre commis par Mohamed Merah. Une
manifestation «spontanée» se déroula à Paris, conspuant le Front National,
supposé être la seule cause de l'antisémitisme!
6) La faute fut aussi reportée sur les Juifs et Israël. Le
mythe d'une «communauté juive agressive» hanta le discours médiatique. Israël
fut accusé d'être à l'origine des troubles de la société française.
L'antisionisme devint le contre-récit des vérités cachées. Moins on reconnut le
caractère franco-français (et islamique) des agressions, plus on accabla
Israël. Le sionisme devint ainsi le nom d'une mystification obscure, le bouc
émissaire logique du mensonge originel sur les faits. Les médias, avec en tête
l'AFP, présentèrent systématiquement une version biaisée du djihad palestinien.
Toute la société française, en tout cas ses médias, partagèrent le haro sur
Israël.
7) Les islamistes et autres activistes y trouvèrent un
créneau légitimant leur montée sur la scène politique. C'est la cause
palestinenne qui a été la clef de l'entrée de l'islam dans la politique
française, avec l'accord tacite de celle ci. Le ministre des affaires
étrangères d'alors, Hubert Védrine alla même jusqu'à déclarer «comprendre»
pourquoi des «jeunes de banlieue» s'attaquaient à des Juifs (leurs
concitoyens!) à la lumière de «ce qui se passait» en Israël. L'antisionisme a
ainsi rempli trois fonctions. Outre qu'il sert de vecteur de rapprochement aux
sympathisants des islamistes, qui s'identifient ainsi à leur haine la plus
forte, il procure à ces derniers une voie d'accès «consensuelle» à la scène
politique française (puisqu'il est censé être politiquement moral), en même
temps qu'il fournit aux deux mouvances une couverture supposée légitime à ce
qui est fondamentalement de l'antisémitisme . L'antisémitisme du djihadiste est
la cause de son «antisionisme», le sionisme incarnant la liberté du Juif se
rebellant contre la prison sociale, politique et existentielle que lui réserve
la Charia.
8) Comme le coupable de cet état de faits était Israël et
ceux qui le «soutenaient», la crise fut tenue pour ne pas concerner la société
française. On renvoya dos à dos «les deux communautés» (selon l'expression
violente de Mitterand après la guerre du Golfe, désignant «deux communautés»
dans la société française) mais ce sont les Juifs qui furent sur la sellette.
Quand ils nommaient leurs victimes, ils furent qualifiés de «racistes», de
«communautaristes», voire (Alain Minc) d'être les introducteurs du
communautarisme en France, ce qui revenait à dénationaliser en masse des
Français qui l'étaient pour la majorité (les originaires d'Algérie) depuis 1870
(bien avant Alain Minc!). Quand ils désespérèrent d'être entendus et
finissaient par quitter la France, ils se virent qualifiés (Christophe Barbier
dans un scandaleux éditorial de L'Express) de «Baal Zevouv»
(Belzebuth!), ou comparés (par Pierre Conesa, haut fonctionnaire, auteur
de Guide du petit djihadiste, (Fayard, 2016)) aux djihadistes
partant en Syrie, le même spécialiste conseillant à la France d'adhérer à
l'Organisation de la Conférence Islamique (dont la capitale déclarée - mais
quel «expert» le sait? - est «Al Kuds», soit Jérusalem quand elle sera
«libérée»).
9) En somme les victimes furent niées, désidentifiées,
exclues symboliquement, vilipendées, et dans le meilleur des cas enfermées
derrière des barrières de protection policière, les isolant ainsi du reste de
la société française pour mieux sauvegarder «la paix publique». On sacrifia la
victime pour ne pas avoir à livrer bataille contre le bourreau. Il fallut
attendre «le Français Merah» (expression journalistique typique) pour que l'on
accepte enfin, avec un «étonnement» illégitime, que la crise concernait la
société française. Et que, peut-être, il fallait faire quelque chose!
10) Comme l'Etat et la Justice se sont avérés incapables
d'identifier qui était la victime, qui était l'agresseur, comme ils ont supposé
que la victime était complice de l'agresseur, ils optèrent pour une politique
de «conciliation» et de «pacification» - pour de bon communautaro-religieuse
cette fois-ci, là où il fallait qu'il exerce sa souveraineté. L'Etat se fit le
grand ordonnateur d'un «dialogue des religions», comme s'il confiait aux
religions la capacité et la responsabilité de faire la paix et comme si toutes
les religions étaient en guerre. Sur le plan politique, cela revenait à
reconnaître la défaillance de l'Etat et du ministère de l'intérieur.
11) Cette politique erronée ramenait, par la bande, le
christianisme et le judaisme à une condition qu'ils avaient dépassée depuis
Napoléon 1er et à laquelle l'islam n'a pas encore accédé pour des raisons
historiques très simples . Dans le discours médiatique, l'accusation fut lancée
contre toutes les religions, pour ne pas la porter contre l'islam qui, seul,
pose problème aujourd'hui au regard de la démocratie sur le plan de son retard
de modernisation et du fait d'une situation nouvelle où il se retrouve
minoritaire, ainsi au sein de nations (si elles existent encore en Union
Européenne) et non d'un empire.
11) Au lieu que l'Etat impose un ordre sécuritaire de lui
même, on chargea les religions de trouver un modèle de «pacification». Plutôt
que le modèle de la République, on chanta les louanges du mythe
historico-politique de «l'Espagne des trois religions» (sous l'ordre de la
Charia!), un mythe hissé gravement au hit parade de l'Education nationale ...
Le «vivre ensemble» - traduction «républicaine» de ce mythe - devînt la scène
de la défaite de l'Etat et tout spécialement de la République. Ce slogan
désigne effectivement le contraire de l'»être ensemble», soit un ordre social
marqué par l'existence de collectivités séparées et discriminées juridiquement
sur le plan du pouvoir politique mais sous la houlette coercitive de l'ordre
juridique d'une seule «communauté». On se demande comment ce modèle détestable
aux yeux des valeurs modernes, sorti tout droit du haut Moyen âge, a pu
inspirer tant d'activisme politico-culturel.
12) Les autorités républicaines purent même affirmer des
convictions théologiques en faveur de l'islam, «soluble dans la République»
(Hollande à Tunis), se faire les promoteurs de son innocence de principe, là où
les autres religions étaient mises en cause de façon sourde mais omniprésente.
On accrédita une mouvance politique dangereuse, les Frères musulmans, à la tête
de l'UOIF, ses partisans furent chéris par les plateaux de télévision et les
politiciens (tragiquement incompétents en la matière). Tout un pan de l'opinion
française fut, par contre, écarté de la scène et stigmatisé.
13) Les éléments de langage journalistique achevèrent de
rendre la situation incompréhensible. La première page de Libération du 16
juillet 2016, intitulée «Pourquoi?» vaut son pesant d'or, ce journal posant,
après Nice, la question du pourquoi d'une situation qu'il a très fortement
contribué à créer. J'ai en mémoire notamment trois pages de célébration d' un
livre réputé sociologique, La tentation antisémite de Michel
Wievorka (Robert Laffont, 2005), qui soutenait avec force «enquêtes» qu'il n'y
avait pas d'antisémitisme en France mais qu'il y avait par contre un
«communautarisme» juif qui provoquait les «banlieues populaires»... Pas besoin
de dire que les faits, sur le moment même - et oh combien après! - ont démontré
l'inanité de cet argument.
Le début de la fin de la stratégie du déni
Deux faits ont ébranlé la stratégie du déni: l'affaire
Mérah, par laquelle les médias découvrent qu'un «Français» (l'expression «le
Français Mérah» fut répétée à l'envi dans les médias), né en France, pouvait
devenir meurtrier de Juifs, sans rapport direct avec Moyen Orient, ni avec la
condition d'immigré et sous le prétexte fallacieux de «venger les enfants de
Gaza» (justement, qu'est-ce que le discours médiatique français a pu écrire sur
Gaza?) Mais la controverse autour de l'immigration en Israël, lancée à cette
occasion par l'invitation de Natanyahou aux Juifs de France, montre qu'on ne
comprenait toujours pas les raisons pour lesquelles des Juifs s'en allaient.
C'est alors que la stratégie de la compassion fut mise en
œuvre, quoique de façon limitée. Le massacre de Charlie Hebdo fut
le déclencheur de l'universalisation du danger qui ne planait jusqu'alors,
croyait-on, que sur les Juifs (déjà mis à l'écart de facto de la société
entière pour raison sécuritaire), et ne dépasserait pas les barrières entourant
leurs lieux privilégiés. Sans Charlie Hebdo, le massacre de
l''Hyper-casher serait resté dans sa petite case et derrière son cordon de
sécurité qui l'isolait de la société. Charlie Hebdo vit aussi le triomphe de la
compassion massive, le sentiment dominant du «vivre ensemble» ...
Alors, et de plus en plus par la suite, il est devenu clair
que c'est toute la société qui est menacée et pas uniquement les Juifs -
quoique toujours eux, aussi, électivement. L'enclos sécuritaire dans lequel ils
avaient été enfermés (et exclus) englobe maintenant toute la société. L'idée
qu'Israël est toujours coupable subsiste cependant. Il n'est que de voir le
traitement discriminant que l'AFP fait, ces jours ci même, du djihadisme
palestinien et du djihadisme français. L'agresseur (des Israéliens, ou plus
précisément des «Juifs») , est toujours exonéré, là où, en France, il est
(quoiqu'à peine) condamné mais toujours pas nommé ni ramené à son motif
religieux - jusqu'au comique.
Ceci explique pourquoi le «nouvel» antisémitisme fut au cœur
de la situation française, comme le laboratoire, durant 15 ans, de ce qui s'y
tramait. Il en est la clef. Michel Houellebecq traduit cet état de faits, à sa
manière, dans Soumission , en mettant dans la bouche de son héros
que sa petite amie juive quitte pour Israël devant l'avancée islamique: «il n'y
a pas d'Israël pour moi, une pensée bien pauvre; mais une pensée exacte».
Shmuel Trigano
Alain
Finkielkraut : «Au nom de la lutte contre l'islamophobie, on sous-estime la
haine des Juifs et de la France»
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Le philosophe Alain Finkielkraut
a accordé un long entretien à FigaroVox dans lequel il donne en exclusivité son
point de vue sur le conflit israélo-palestinien ainsi que sur ses répercussions
en France.
Alain Finkielkraut est philosophe, écrivain et essayiste.
Il construit une oeuvre autour de la transmission, la défense des humanités et
la critique de la modernité. Son dernier livre, L'identité malheureuse, a
suscité de très vifs débats et a connu un important succès de librairie.
FigaroVox: S'agissant du conflit israélo-palestinien,
certains intellectuels vous reprochent de ne pas dénoncer les bombardements
israéliens à l'encontre des civils palestiniens comme vous vous insurgiez
naguère contre les sièges de Vukovar et de Sarajevo par les Serbes. Que leur
répondez-vous?
ALAIN FINKIELKRAUT: Une précision pour
commencer. J'aime Israël et
je suis saisi d'effroi devant la haine intercontinentale qui se déchaîne sur ce
tout petit pays dont l'existence est encore en question. Mais je n'ai jamais
soutenu inconditionnellement la politique israélienne. Le 9 juillet, j'étais
à Tel-Aviv à
l'invitation du journal Haaretz qui
organisait une grande conférence sur la paix. Je représentais Jcall * et j'ai dit
qu'en tant qu'intellectuel juif, je devais constamment me battre sur deux
fronts: contre un antisémitisme d'autant
plus sûr de lui-même et dominateur qu'il dénonce le «monstre sioniste» dans la
langue immaculée de l'antiracisme,
et pour le compromis, c'est-à-dire la séparation en deux Etats des Israéliens
et des Palestiniens. J'ai ajouté qu'en s'installant dans le statu quo, le gouvernement israélien
mettait en péril le projet sioniste lui-même. Dès 1991, le grand orientaliste
Bernard Lewis s'inquiétait de voir Israël devenir, sur le modèle du Liban, «une association
difficile, une de plus, entre ethnies et groupes religieux en conflit». Et il
ajoutait : «les juifs se trouveraient dans la position dominante qu'avaient
autrefois les Maronites avec la perspective probable d'un destin à la libanaise
en fin de parcours.» Pour empêcher cette prédiction de se réaliser, il serait
urgent de faire ce qu'Ariel
Sharon, à la fin de sa vie, appelait de «douloureuses concessions
territoriales». Si ses successeurs y répugnent, c'est parce qu'ils se défient
de leur partenaire, mais c'est surtout parce qu'ils ont peur de leurs propres
extrémistes. Ils craignent la guerre civile entre Israéliens qui accompagnerait
le démantèlement des implantations de Cisjordanie.
Gardons-nous cependant de tout confondre. Les Israéliens
n'occupent plus Gaza.
Il n'y a plus de présence juive sur ce territoire. Si les leaders du Hamas
avaient choisi d'y construire un commencement d'Etat et, pour y assurer une vie
décente à leurs administrés, de coopérer avec Israël, il n'y aurait pas de
blocus et le camp de la paix israélien serait assez fort aujourd'hui pour
imposer le retrait de Cisjordanie. Au lieu de cela, le Hamas a employé tout
l'argent de ses généreux donateurs à l'achat de missiles et de roquettes et à
l'édification d'une ville souterraine pour enfouir cet arsenal, pour cacher ses
dirigeants et pour permettre à ses combattants de mener des incursions
meurtrières dans les kibboutz du
sud d'Israël.
N'est-il pas légitime de s'interroger sur le nombre
important de victimes parmi les civils palestiniens?
Quand j'étais à Tel-Aviv, j'ai vu un petit film de propagande
où le Hamas demandait aux «colons» de Beer-Sheva (NDLR: dans le Néguev) de
quitter leur ville car ils allaient la pilonner. Pas questions de deux Etats
pour cette organisation, pas question non plus d'un Etat palestinien. Ce
qu'elle veut, c'est que la Palestine tout entière redevienne propriété de
l'islam. On apprend dans sa charte que les juifs, qui grâce à leur argent
contrôlent les médias du monde entier, sont à l'origine de toutes les
révolutions et de tous les conflits à travers le monde ! Si la civilisation de
l'image n'était pas en train de détruire l'intelligence de la guerre, personne
ne soutiendrait que les bombardements israéliens visent les civils. Avez-vous
oublié Dresde ? Quand une aviation surpuissante vise des civils, les morts se
comptent par centaines de milliers. Non : les Israéliens préviennent les
habitants de Gaza de toutes les manières possibles des bombardements à venir.
Et lorsqu'on me dit que ces habitants n'ont nulle part où aller, je réponds que
les souterrains de Gaza auraient dû être faits pour eux. Il y a aujourd'hui des
pièces bétonnées dans chaque maison d'Israël. Mais le Hamas et le djihad islamique font
un autre calcul et ont d'autres priorités architecturales. Pour gagner
médiatiquement la guerre, ils veulent faire apparaître Israël comme un Etat
criminel. Chaque victime civile est une bénédiction pour eux. Ces mouvements ne
protègent pas la population, ils l'exposent. Ils ne pleurent pas leurs morts,
ils comptabilisent avec ravissement leurs «martyrs». Et ils bombardent
méthodiquement l'hôpital de campagne pour les blessés palestiniens que l'armée
israélienne a installée en bordure de Gaza. Je manifesterais moi-même à Paris
en faveur du cessez-le-feu à Gaza si dans ces défilés on exigeait également
l'arrêt des tirs de roquettes sur toutes les villes israéliennes. Je
demanderais la levée du blocus si elle était assortie de la démilitarisation de
Gaza. Au lieu de cela, on confond Gaza et Sarajevo. Là où il y a la guerre, on
parle de massacre, voire, tant qu'on y est, de génocide. Toutes les
distinctions sont abolies par l'émotion et ce sont les plus cyniques, les plus
inhumains, qui profitent de cette grande indifférenciation humanitaire.
D'aucuns comparent même Gaza - long d'un peu plus de
quarante kilomètres et large de moins de dix- au ghetto de Varsovie, de
sinistre mémoire. Cette comparaison vous paraît-elle déplacée? Scandaleuse?
On se souvient en effet que la Wehrmacht prenait soin, comme
Tsahal aujourd'hui, de sécuriser les routes menant au ghetto pour y faire
parvenir sans encombre les transports quotidiens de vivres, de médicaments,
d'aides humanitaires… Le jour viendra - et il est déjà venu en Turquie -, où on ne se
réfèrera plus à l'apocalypse nazie que pour incriminer Israël, le sionisme et
les juifs. Je n'arrive pas à croire en Dieu, mais ce retournement du devoir de
mémoire me parait être une preuve très convaincante de l'existence du diable.
Il existe des communautés juives et musulmanes dans de
nombreux pays européens. Or, le conflit israélo-palestinien prend une acuité
particulière en France, où les manifestations pro-palestiniennes se sont
soldées par des violences. Ce conflit extérieur ferait-il éclater au grand jour
«l'identité malheureuse» de notre pays que vous avez décrit dans votre livre?
Formés par le «victimisme» contemporain à ne rien comprendre
et à ne rien savoir de tout ce qu'entreprend le Hamas contre la solution de
deux Etats, certains manifestent très sincèrement aujourd'hui leur solidarité
avec la population de Gaza sous les bombes. Mais, pour beaucoup, ces
manifestations ne sont rien d'autre que l'occasion d'exprimer leur haine des
juifs, de la République et des «sionistes qui gouvernent la France.» Quand ils
ne s'en prennent pas à des synagogues, ces personnes font, afin d'être bien
comprises, des quenelles avec des roquettes qassam en carton. De manière
générale, il y a dans le monde arabo-musulman,
une tendance très forte aujourd'hui à fuir toute remise en question dans la
recherche éperdue d'un coupable. Si les choses vont mal, c'est la faute des
juifs. Il faut donc leur faire la guerre. Ce choix de l'esprit du djihad contre
l'esprit critique est une calamité pour l'occident et pour l'islam. Il faudrait
soutenir ceux qui, de l'intérieur, ont le courage de dénoncer une telle
attitude, comme l'écrivain algérien Boualem Sansal, et non ceux qui
l'incarnent, comme le leader du Hamas Khaled Mechaal.
On a entendu dans les rues de Paris le cri «mort aux Juifs».
Le phénomène est-il comparable à l'antisémitisme des années 30 ou est-il
davantage le prétexte d'un communautarisme «anti-français» qu'on a vu à
l'oeuvre chez certains supporters franco-algériens après les matchs de leur
équipe?
L'antisémitisme des années trente agonise et la grande
solidarité antiraciste des années quatre-vingt a volé en éclats. On a affaire
aujourd'hui à l'antisémitisme de ceux qui se disent les damnés de la terre,
d'où l'embarras des progressistes. Ils n'en reconnaissent l'existence qu'à
contrecœur et quand ils ne peuvent plus faire autrement. Ainsi parlent-ils
aujourd'hui de «nouvel» antisémitisme pour un phénomène qui existe depuis près
de trente ans. Cette haine ne vise d'ailleurs pas que les juifs. On l'a vu lors
des manifestations qui ont suivi les victoires de l'Algérie dans la
Coupe du monde, des rodéos de voiture au remplacement des drapeaux français par
les drapeaux algériens sur les édifices publics, comme à Provins par exemple.
Il s'agissait d'exprimer tout ensemble sa fierté nationale et son mépris pour
la nation où l'on vit.
En taxant d'antisémitisme toute critique d'Israël,
certains membres de la communauté juive n'ont-ils pas, depuis des années, pris
le risque d'alimenter la concurrence victimaire?
Je critique la politique israélienne. Je plaide sans relâche
depuis le début des années quatre-vingt pour la solution de deux Etats. Je
condamne la poursuite des constructions dans les implantations en Cisjordanie. Je dis
que l'intransigeance vis-à-vis du Hamas devrait s'accompagner d'un soutien
effectif à l'autorité palestinienne. Cela ne m'empêche pas d'être une des
cibles favorites du «nouvel» antisémitisme.
Selon Pascal Boniface, de nombreux français non-juifs, en
particulier les musulmans, ont le sentiment qu'il y a un «deux poids, deux
mesures» dans la lutte contre le racisme et que les actes antisémites font
l'objet d'un traitement médiatique plus conséquent que les autres actes
racistes. Partagez-vous son point de vue ?
Je crois, au contraire, qu'au nom de la lutte contre l'islamophobie, on
sous-estime systématiquement la haine dont les juifs et la France font l'objet
dans toujours plus de territoires de la République. Il faut des manifestations
comme celles de Barbès et de Sarcelles pour qu'on en mesure, temporairement, la
réalité et l'ampleur.
Plus largement, une partie de la gauche «antiraciste» a
abandonné le combat pour l'égalité des droits au profit de la défense des
particularismes, voire des communautarismes. Ne porte-t-elle pas une lourde
responsabilité morale dans la grave crise identitaire que traverse la France ?
C'est une responsabilité très largement partagée. A droite
aussi la tentation est grande de préférer les accommodements prétendument
raisonnables à la défense de la République et ce sont aujourd'hui des ministres
de gauche, Manuel
Valls et Bernard Cazeneuve,
qui se montrent intransigeants en cette matière au mépris de leurs intérêts
électoraux comme le leur rappelle avec inquiétude la fraction Terra nova du parti socialiste.
Derrière le rejet d'Israël par une partie de la gauche
française, faut-il voir un refus de l'identité, de l'Etat-nation et des
frontières?
Dans un article publié en 2004 dans la revue Le Débat, l'historien anglais Tony Judt
écrivait que «dans un monde où les nations et les hommes se mêlent de plus en
plus et où les mariages mixtes se multiplient, où les obstacles culturels et
nationaux à la communication se sont presque effondrés, où nous sommes toujours
plus nombreux à avoir des identités électives multiples, et où nous nous
sentirions affreusement gênés s'il nous fallait répondre à une seule d'entre
elles ; dans ce monde, Israël est véritablement un anachronisme.» De même
que Saint-Paul s'indignait du refus juif de la religion universelle, nos
multiculturalistes voient Israël comme un obstacle ethno-national à la
reconnaissance définitive de l'Homme par l'Homme. Mais le monde humain n'est ni
un supermarché, ni un dépliant touristique. Qu'est-ce que le multiculturalisme
derrière le United Colors of Bennetton et la joyeuse disponibilité de toutes
les cuisines, de toutes les musiques, de toutes les destinations ? C'est le
choc des cultures, et dans ce choc, les juifs où qu'ils soient, quoi qu'ils
disent et quoi qu'ils fassent, sont en première ligne.
* Jcall rassemble les citoyens juifs européens qui aspirent
à une paix au Proche-Orient fondé sur un accord entre Israéliens et
Palestiniens, selon le principe «deux peuples, deux Etats»
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Forte
hausse du nombre d'actes antisémites en France
Par Alexis
Feertchak et AFP agenceMis à jour le 09/11/2018 à 10h50 | Publié
le 09/11/2018 à 09h06
VIDÉO - Le nombre d'actes antisémites en France a augmenté
de 69% sur les neuf premiers mois de l'année, a révélé le premier ministre
Édouard Philippe dans un message posté sur Facebook. Imprécises, ces
statistiques ne mesurent toutefois pas exactement l'étendue du phénomène, mais
indiquent des tendances.
Après deux années de baisse, les actes antisémites en France
sont en très forte hausse (+69%) sur les neuf premiers mois de 2018, s'alarme
le premier ministre Édouard Philippe dans une tribune
publiée ce vendredi sur Facebook.
» LIRE AUSSI - L'antisémitisme gagne du terrain à l'université
«Chaque agression perpétrée contre un de nos concitoyens
parce qu'il est juif résonne comme un nouveau bris de cristal», affirme le chef
du gouvernement français, faisant référence à la funeste nuit de Cristal et à ses exactions nazies contre
les Juifs en Allemagne, le 9 novembre 1938, il y a exactement 80 ans
«Pourquoi rappeler, en 2018, un aussi pénible souvenir? Parce que nous sommes
très loin d'en avoir fini avec l'antisémitisme», écrit Édouard Philippe,
évoquant les chiffres «implacables» des actes antisémites en France sur la
partie écoulée de 2018. «Alors qu'il était en baisse depuis deux ans, le nombre
de ces actes a augmenté de plus de 69 % au cours des 9 premiers mois de l'année
2018», poursuit-il.
Après des chiffres élevés en 2015, les actes antisémites
avaient nettement reculé en 2016 (-58%). La décrue s'était poursuivie en 2017
(-7%), avec 311 actes répertoriés. Après l'attentat antisémite de Pittsburgh, aux États-Unis, fin
octobre, Édouard Philippe avait redit sa détermination à «ne rien
laisser passer» en matière d'antisémitisme en France. Citant le rescapé des
camps nazis Elie Wiesel pour avertir du «danger» de «l'indifférence», le
premier ministre assure que «le gouvernement a précisément choisi de ne pas
rester indifférent», en rappelant des décisions prises ces derniers mois.
Méthode statistique
Le gouvernement prépare notamment pour 2019 une modification
de la loi afin de renforcer la lutte contre la cyberhaine, en mettant
la pression sur les opérateurs du Net. «Dès la mi-novembre», une équipe
nationale sera mobilisable «en permanence» au ministère de l'Éducation
nationale pour intervenir dans les établissements scolaires en appui de tout
enseignant confronté à l'antisémitisme, précise-t-il. Le récent plan du premier
ministre contre le racisme et l'antisémitisme prévoit l'expérimentation d'«un
réseau d'enquêteurs et de magistrats spécifiquement formés à la lutte contre
les actes haineux», qui pourrait être étendu au niveau national, ainsi qu'un
dispositif de pré-plainte en ligne afin de favoriser les signalements.
En France, les chiffres sur les actes antisémites,
anti-chrétiens ou anti-musulmans sont à utiliser avec précaution. Il n'existe
pas de statistiques officielles permattant de mesurer leur ampleur réelle. La
loi interdit en effet de qualifier une agression selon l'origine religieuse de
la victime. Lors du dépôt de plainte, seul le caractère raciste ou
discriminatoire de l'infraction est retenu. Les chiffres dont on dispose sont
fournis par des associations cultuelles - comme le Service de protection de la
communauté juive, dépendant du CRIF - puis recoupés par les services du
ministère de l'Intérieur. «C'est très consensuel, cela permet de déceler une
tendance (à la hausse ou à la baisse), mais cela n'a aucune valeur statistique,
et ne décrit même pas la réalité», déclarait François Pupponi, député et ancien
maire de Sarcelles, sur Europe 1 en février dernier.
Origine des actes antisémites
Une autre question essentielle est celle de l'origine des
actes antisémites. Depuis une trentaine d'années, à de rares exceptions près,
les actes antisémites répertoriés ne sont plus le fait de groupes d'extrême
droite, mais appartiennent aux «milieux d'origine arabo-musulmane», relevait la Commission nationale consultative
des droits de l'homme (CNCDH) dès 2004 dans son rapport annuel. Plusieurs
attentats djihadistes récents visant la communauté juive en sont la plus
tragique illustration, à l'image de la tuerie commise devant le collège Ozar-Hatorah par
Mohamed Merah en 2012 (quatre morts) et la prise d'otage de l'Hyper Cacherà Paris en 2015
(quatre morts également).
On compte également plusieurs meurtres dont le mobile
antisémite est retenu par la justice, comme celui de Sarah Alimi en avril 2017 ou de Mireille Knoll en mars 2018. Ça n'a été le cas
que dix mois après les faits dans le premier cas, ce qui a déclenché une vive polémique, de nombreux élus,
intellectuels et représentants de la communauté juive dénonçant le silence
entourant ce meurtre commis au cri d'«Allah Akbar». Dans l'affaire du meurtre
de Mireille Knoll, le mobile antisémite a immédiatement été retenu. Si des doutes subsistent encore sur la réalité des déclarations
antisémites de l'un des suspects, celui-ci aurait bien crié «Allah
Akbar» au moment des faits. Deux meurtres qui rappellent également une autre
affaire antisémite, celle du «gang des barbares» de 2006: une vingtaine
de personnes, dirigées par Youssouf Fofana, ont enlevé, séquestré et torturé le
jeune Ilan Halimi, qui est mort après une longue agonie.
Conflit israélo-arabe
En 2002, la CNCDH imputait les exactions commises contre les
juifs à des «acteurs originaires des quartiers dits ‘sensibles'» dans le contexte
particulier du conflit israélo-arabe. Ainsi, alors que les actes antisémites
avaient nettement diminué à la fin des années 1990, ils ont réaugmenté
avec la seconde Intifada (2000-2006). Une même
recrudescence a pu être observée en 2009 après l'opération militaire «Plomb durci» de l'Armée
israélienne à Gaza. De même en 2014, un nouveau pic à 851 coïncide avec
la guerre de Gaza. Le chiffre toujours élévé de 2015
correspond quant à lui à une nouvelle vague de violences entre Israéliens et
Palestiniens, parfois connue sous le nom d'Intifada des couteaux. Le nombre d'actes antisémites est donc fortement corrélés à
l'actualité.
» LIRE AUSSI - Israël, Palestine: qu'est-ce qu'une «intifada»?
La baisse de leur nombre en 2016 et en 2017, rappelée par
Édouard Philippe, ne doit pas donner l'impression d'un mouvement de baisse
continue, mais peut traduire une moindre médiatisation du conflit
israélo-arabe. À l'inverse, cette année, marquée par une recrudescence des
actes antisémites, correspond aussi à un nouveau pic de violences à Gaza, à
l'image de la «marche du retour», manifestation palestinienne
annuelle commémorant la «Nakba» (exode palestinien de 1948). Cette année,
correspondant au 70e anniversaire de cet événement historique en même temps
qu'au moment du déménagement de l'ambassade américaine à Jérusalem, la
manifestation s'est soldée par 120 morts et plus de 4000 blessés.
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Journaliste au Figaro.fr
AFP agence
L'affaire Sarah Halimi et le tabou du «nouvel» antisémitisme
FIGAROVOX/DECRYPTAGE - Kobili
Traoré, l'homme qui a battu et défenestré Sarah Halimi le 4 avril à Paris, a
été mis en examen pour homicide volontaire. A ce stade, le caractère antisémite
du meurtre n'est pas retenu. Pour Caroline Valentin, cette affaire est
symptomatique du déni français autour de l'antisémitisme arabo-musulman.
Caroline Valentin est coauteur d'
Une France soumise, Les voix du refus (éd. Albin Michel, 2017).
Dans la nuit du 4 avril 2017, à
Paris, Sarah Halimi, une femme de confession juive de 65 ans, est sauvagement
assassinée. Son meurtrier, Kobili Traoré, un musulman radicalisé d'origine
malienne au casier judiciaire long comme le bras, s'acharne sur elle pendant 40
longues minutes, d'abord dans le salon de de Sarah Halimi, puis sur son balcon.
Il hurle «Allah Akbar», insulte sa victime, la traite de «grosse pute», de
«sheitane» (démon en arabe). Plusieurs voisins entendent puis assistent, de
leurs fenêtres ou de la cour, épouvantés, au massacre. Dans
l'excellent article que Noémie Halioua a consacré à cette affaire dans le
dernier numéro de Causeur, elle rapporte le témoignage de l'un d'entre
eux: «la première chose qui m'a réveillé, c'est des gémissements d'un être
vivant en souffrance. C'était de la torture. Au début, je pense que c'est un
animal ou un bébé. Mais après, en ouvrant le rideau et en ouvrant la fenêtre,
je comprends que c'est une femme qui gémit sous les coups qu'elle reçoit. A
chaque coup, j'entends un gémissement, elle n'a même plus de force pour pousser
un cri». Kobili Traoré tape tellement fort que son poing droit est tuméfié.
Puis, apercevant dans la cour la lumière des lampes torche de la police, il
hurle «attention, il y a une vieille dame qui va se suicider», saisit sa victime
- encore vivante - par les poignets et la fait basculer par-dessus la
balustrade de son balcon. Sarah Halimi gît dans la cour, morte, ensanglantée.
Sarah Halimi connaissait Kobili
Traoré, il était son voisin, il la menaçait constamment, elle avait peur de
lui. Cinq ans auparavant, la sœur de ce dernier avait bousculé l'une des filles
de Sarah Halimi en la traitant de «sale juive». Quelques jours après la mort de
Sarah Halimi, les quelque cinq-cent personnes qui participent à la marche
blanche organisée à Belleville en sa mémoire défileront sous les - «désormais
traditionnels» relève Noémie Halouia - «morts aux juifs» et «nous on a les
kalash» qui fusent des cités voisines.
«Désormais traditionnels» … Oui,
car les précédents sont désormais nombreux. Les «morts aux juifs» avaient déjà
rythmé les défilés des manifestations «pro-palestiniennes» organisées, malgré
leur interdiction, en juillet 2014 notamment à Paris et en Ile-de-France. Dans
le même registre, les réactions qui ont suivi les meurtres de six personnes
dont trois enfants juifs en 2012 par Mohammed Merah: l'imam bordelais Tareq
Oubrou a expliqué avoir dû passer des semaines de prêche sur ce cas en raison
de l'empathie pour Mohammed Merah que manifestaient les fidèles de sa mosquée ;
le frère de Mohammed Merah, Abdelghani, a, quant à lui, témoigné des you-yous
qui ont accompagné la mort de son frère et des félicitations que certains
voisins sont venus présenter à leur mère, regrettant que Mohammed n'ait pas tué
davantage de juifs. Mais cela remonte encore plus loin: Entre 1999 et 2000,
année de la Seconde Intifada, le nombre d'actes antisémites a été multiplié par
neuf, passant de 82 à 744. Depuis, il reste à un niveau extraordinairement
élevé compte tenu du faible nombre de juifs en France, oscillant selon les
années entre 400 et 900 environ, en fonction, surtout, des soubresauts du
conflit israélo-palestinien. En 2002, la publication de «Les territoires perdus
de la République», montre avec force témoignage la prééminence, l'ampleur et la
violence de la haine à l'encontre des juifs dans certains quartiers sensibles.
Ce ne sont ici que quelques exemples, parmi tant d'autres preuves qui
s'accumulent depuis près de vingt ans maintenant. Pourtant, aucune de ces
alertes n'a réussi à briser l'omerta politique et médiatique.
le rapport de l'Institut
Montaigne sur « l'islam de France » publié en septembre 2016 indique que «
l'antisémitisme était un marqueur d'appartenance » pour un quart des musulmans
Le meurtre atroce de Sarah Halimi
n'a pas davantage rompu ce silence. La France est alors en pleine campagne
présidentielle, les quatre candidats en tête des sondages sont dans un mouchoir
de poche. Il faut soigner ses électeurs et, disons-le tout net, les juifs sont
bien moins nombreux que les musulmans - moins de 500 000 contre près de 6
millions. De surcroît, le rapport de l'Institut Montaigne sur «l'islam de
France» publié en septembre 2016 indique que «l'antisémitisme était un marqueur
d'appartenance» pour un quart des musulmans et le sondage Fondapol de novembre
2014, que «Les musulmans répondants sont deux à trois fois plus nombreux que
la moyenne à partager des préjugés contre les juifs. La proportion est
d'autant plus grande que la personne interrogée déclare un engagement plus
grand dans la religion.»
En ce début avril 2017, Emmanuel
Macron est mis en difficulté par l'affaire Mohammed Saou. On vient tout juste
de découvrir que ce référent «En Marche» du Val d'Oise a notamment partagé des
posts Facebook de Marwan Muhammad, fondateur de «l'effrayant» - comme le dit
Alain Finkielkraut - CCIF (Comité contre l'islamophobie en France, organe
proche des Frères musulmans qui sont l'une des têtes de pont de l'islam
fondamentaliste politique en France) ; qu'il soutient le régime d'Erdogan en
Turquie ; qu'il a déclaré qu'il «n'a jamais été et ne serait jamais Charlie».
Emmanuel Macron louvoie, écarte provisoirement Saou de ses fonctions tout en
louant son travail remarquable et reporte la décision le concernant à celle de
la commission éthique de son mouvement … Décision dont on n'entendra évidemment
jamais parler. (Le même Saou vient d'ailleurs d'être réintégré dans ses
fonctions départementales.) François Fillon, empêtré dans ses affaires de
famille et de costumes, n'ose plus bouger une oreille de peur de perdre les
quelques centaines de milliers de voix qui pourraient faire la différence pour
une qualification au second tour. Jean-Luc Mélenchon fait de grandes
déclarations sur la laïcité mais brigue sans aucune vergogne le vote
communautariste musulman et s'entoure de qui il faut pour cela. (Pour preuve,
quelques semaines plus tard, on apprendra que Danièle Obono, fraîchement élue
députée de la France Insoumise, est proche du Parti des Indigènes de la
République, groupuscule identitaire dont la porte-parole, Houria Bouteldja,
s'est notamment illustrée en déclarant «Mohamed Merah, c'est moi, et moi, je
suis lui». Ces révélations n'entameront en rien l'enthousiasme du soutien dont
Madame Obono bénéficie de la part de Jean-Luc Mélenchon.) Dans cette collection
de tartuffes, il n'y a que Marine Le Pen, pourtant l'héritière d'un parti fondé
notamment par des antisémites à peine repentis, pour condamner - à une petite
reprise, et sans non plus en faire son cheval de bataille - ce crime et
demander que l'on aborde enfin le sujet de «l'antisémitisme islamiste».
Qu'on aborde enfin ce sujet?
Effectivement, il serait temps. Mais qui osera encore le faire? Georges
Bensoussan, historien de la Shoah, spécialiste du monde arabe, a payé très cher
de l'avoir évoqué lors de l'émission «Répliques» d'Alain Finkielkraut au début
du mois d'octobre 2015: tribunes extraordinairement violentes se multipliant
pour condamner le soi-disant «racisme» des propos de Georges Bensoussan,
émanant non seulement de l'habituelle police de la pensée politique innervée
par la gauche universitaire mais également de cette frange d'intellectuels
juifs (tels Bernard Schalscha dans la Règle du Jeu) qui estime sans doute qu'à
force de faire comme si cet antisémitisme n'existait pas, il finirait bien par
disparaître ; mise en garde du CSA adressée à France Culture ; et, finalement,
procès à l'initiative du Parquet qui verra les principales associations
antiracistes, y comris la Licra , communier avec l'islam politique représenté
par le CCIF dans la dénonciation des propos de l'historien.
La relaxe de ce dernier est
exemplaire, en particulier eu égard à sa motivation limpide. En soulignant
qu'il s'agissait pour l'historien non pas d'exprimer une haine mais au
contraire une inquiétude, d'appeler «non pas à une séparation de la fraction
supposée avoir fait sécession, à son rejet, son bannissement ou son
éradication, mais au contraire à sa réintégration dans la nation française», le
tribunal a remis en quelque sorte les pendules de l'antiracisme à l'heure et
entendu Alain Finkielkraut qui, s'exprimant à la barre, avait déploré «un
antiracisme dévoyé qui demande de criminaliser une inquiétude au lieu de
combattre la réalité sur laquelle elle se fonde»: lutter contre le racisme,
permettre l'intégration au sein de la nation de populations de cultures
étrangères, cela commence par combattre ce qui constitue un obstacle à cette
intégration et, en la matière, la fatalité n'existe pas.
Cet antisémitisme n'est pas né
du conflit israélo-palestinien, il s'en nourrit. Ce conflit ne crée pas cette
haine, il n'augmente pas son intensité
Il semble qu'il soit en vérité
aujourd'hui politiquement très difficile de faire coexister, dans un même
discours, lutte contre le racisme et contre l'antisémitisme. Les principaux
coupables du second se recrutent parmi les principales victimes du premier.
L'apparition de cet antisémitisme, nouveau sous nos cieux, s'inscrit dans une
recrudescence puissante du fondamentalisme musulman qui n'épargne pas la
France. Cette recrudescence ne se traduit pas que par des attentats effroyables
mais, comme le dit Elisabeth Badinter, par l'apparition d' «une seconde
société» qui «tente de s'imposer insidieusement à notre République, tournant le
dos à celle-ci, visant explicitement le séparatisme voire la sécession.»
L'hostilité de cette contre-société
ne concerne pas uniquement la laïcité, elle vise beaucoup plus largement nos
principes de liberté, d'égalité et de fraternité. Car point d'égalité dans une
contre-société fondamentaliste qui se définit sur un principe identitaire, pour
laquelle l'individu musulman, la oumma, le dar al islam sont supérieurs à tout
autre individu, communauté ou nation non musulmane. Point de fraternité
universelle mais une fraternité réduite à une communauté des croyants qui se
définit en conflit avec l'Occident en général et la France en particulier.
Point de liberté dans un groupe qui fonctionne sur un mode clanique, imposant à
chacun de ses membres la soumission à Dieu, à l'islam, à ses dogmes et à ses
combats, en ce compris le positionnement conflictuel vis-à-vis de la
civilisation occidentale. Cet islam politique ne reconnaît pas une seule et
même humanité mais des humanités différentes. Certains hommes valent plus que
d'autres à ses yeux. Et dans les formes paroxystiques de ce fondamentalisme
religieux, certains hommes ne valent rien.
On comprend dès lors très bien
pourquoi l'antisémitisme prospère au sein de cet islam fondamentaliste. Il
n'est qu'une des formes d'un rejet de l'autre qui est consubstantiel à cet
islamisme et qui se décline aussi sous la forme de racisme, de xénophobie,
d'homophobie, de sexisme.
La haine du juif reste cependant
la plus intense. D'aucuns attribuent celle-ci au conflit israélo-palestinien, à
la politique israélienne et notamment à la poursuite des installations
israéliennes en territoire palestinien. Mais ils ne savent pas ou prétendent ne
pas savoir qu'il plonge ses racines dans une histoire beaucoup plus ancienne.
Dans son livre de référence «Juifs en pays arabes - Le grand déracinement:
1850-1975», Georges Bensoussan rapporte la violence de cet antisémitisme dans
les pays arabes et ce, de temps immémoriaux ; il explique comment, du Maghreb à
l'Irak et de l'Egypte au Yémen, la vie de dhimmitude des juifs dans le monde
arabe n'avait rien à envier, en termes d'oppression subie, de misère imposée,
de sous-citoyenneté, d'humiliations et occasionnellement de pogroms, à celle
des juifs dans l'empire des tsars. Cet antisémitisme n'est pas né du conflit
israélo-palestinien, il s'en nourrit. Ce conflit ne crée pas cette haine, il
n'augmente pas son intensité ; en revanche, en lui procurant le soutien de
toute une gauche qui, comme le démontre Jean Birnbaum, ne comprend décidément
rien au fait religieux, il légitime son expression. En mettant ses réseaux, sa
culture, sa verve, son accès aux médias, sa place privilégiée à l'université et
dans le monde de la recherche au service des combats arabo-musulmans, tant en
France qu'à l'étranger, la gauche - extrême, morale, «antiraciste» par
psittacisme plutôt que par conviction - n'est pas seulement bête, elle est
extraordinairement néfaste. Elle fournit à nos adversaires (dont elle se refuse
à voir qu'ils sont aussi, et d'une certaine manière surtout, les siens) une
façade humaniste que leurs motifs et leurs buts n'ont pas. Nos alliances avec
l'Arabie Saoudite ou le Qatar, nos interventions militaires ratées au
Moyen-Orient, la colonisation des XIXème et XXème siècles sont elles aussi
instrumentalisées pour justifier ce qui est présenté comme une résistance
légitime à l'oppression. Mais encore une fois, ce sont nos cerveaux occidentaux
qui sont sensibles à ces disputatio brillantes, argumentées, rationnelles ;
dans l'esprit conquérant de l'islam politique, le combat contre l'Occident n'a
pas besoin de ces justifications.
Le soutien de ces «idiots utiles»
est en grande partie la cause du silence de l'Etat sur l'antisémitisme des
«quartiers». Car malgré sa faible représentativité électorale, cette gauche est
extrêmement influente dans les corps intermédiaires, elle a ses entrées dans un
grand nombre de médias, est passée maître dans l'art de manipuler des éléments
de langage droits-de-l'hommistes dégoulinants de pathos. Aujourd'hui, il est
permis de dire certaines choses qui, il y a vingt ans, dix ans, voire même cinq
ans eurent valu à leurs auteurs le pilori de la part de la gauche morale: on
peut dire qu'il est possible d'être d'extrême-droite sans être antisémite ; on
peut même dire qu'il existe un antisémitisme d'extrême-gauche ; mais on ne peut
pas encore dire qu'il existe un antisémitisme arabo-musulman. Pour en parler,
il est plus prudent de faire référence au «nouvel» antisémitisme et rester dans
les allusions, les périphrases et les sous-entendus. A la moindre erreur, à la
moindre référence trop directe, la cabale obscurantiste de ces inquisiteurs modernes
se déchaîne et le contrevenant est immédiatement envoyé rôtir dans l'enfer du
racisme, sans qu'aucun gage de sa moralité et des motivations réelles, aussi
irrécusable soit-il, ne puisse l'en sortir. Car répondre à des accusations
aussi graves et se justifier demande des explications longues, à étapes,
incompatibles avec l'immédiateté des médias et leur incapacité à traduire la
subtilité et la complexité. Et on le sait bien, le démenti a beaucoup moins
d'impact que l'accusation: une fois que le doute plane, c'est mort, et nos
responsables politiques l'ont compris depuis longtemps.
Le meurtre de Sarah Halimi
doit être compris comme une alarme qui nous rappelle à nous-mêmes, à ce qui
nous définit. Cette inertie est indigne de nous.
«Plus une société s'éloigne de la
vérité, plus elle hait ceux qui la disent» nous prévenait George Orwell.
L'incapacité politique de désigner cet antisémitisme pour ce qu'il est interdit
d'en faire l'analyse historique, anthropologique et religieuse et par voie de
conséquence, d'entreprendre les actions spécifiques et ciblées qui seraient
nécessaires pour le vaincre. La France s'enfonce chaque jour un peu plus dans
une politique multiculturaliste à relents - involontairement, mais
inévitablement - racialistes. Racialistes pour ne pas dire racistes car cette
attitude culturaliste qui prétend être inspirée par le respect de cultures
différentes n'est rien d'autre que l'abandon à bas bruit de notre modèle
d'intégration, jugé inaccessible pour ces populations, présumées, par nos responsables
politiques chaperonnés par une partie de nos associations antiracistes, comme
incapables de sortir de leurs modes de pensée et de fonctionnements archaïques.
On a renoncé à aider ces populations, à leur tendre la main. En abandonnant les
juifs, on a aussi abandonné ces dernières et, ce faisant, nous nous sommes
perdus nous-mêmes.
Le meurtre de Sarah Halimi doit
être compris comme une alarme qui nous rappelle à nous-mêmes, à ce qui nous
définit. Cette inertie est indigne de nous. La France, pays des Lumières,
berceau des valeurs universelles des droits de l'homme, ne peut pas être un
pays où les juifs se font agresser et tuer, parce que juifs, dans
l'indifférence générale. Nous sommes tous héritiers d'une histoire, nous sommes
tous comptables d'un héritage qui va de Salomon de Troyes à la France de Vichy
en passant par l'émancipation des juifs en 1791 (que la France a été la
première en Europe à consentir) et par l'affaire Dreyfus. Par respect pour ce
que nous sommes, pour ce que nous nous targuons de représenter, nous n'avons
pas le droit d'assister sans réagir à la montée de la haine contre nos
concitoyens juifs. Il en va de notre admiration pour la France et, en
définitive, de notre fierté d'être français.
Caroline Valentin
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