Mâle et blanc, il apprend qu’il est au sommet de la pyramide d’oppression et de domination humaine.
Certains progressistes américains parlent de « privilège blanc » pour expliquer les inégalités ethniques. Le concept, cependant, souffre de biais fondamentaux.par William Ray*, pour Quillette** (traduction par Peggy Sastre)
https://www.lepoint.fr/debats/privilege-blanc-ce-qui-se-cache-derriere-le-slogan-30-09-2018-2259042_2.php
« [Le privilège blanc] est l'ensemble d'avantages, de prérogatives, de bénéfices et de choix immérités et indiscutables conférés à des individus du seul fait de leur couleur. En général, les Blancs jouissent d'un tel privilège sans en être conscients. » Peggy McIntosh
Le concept de « privilège blanc » a été popularisé par Peggy McIntosh grâce à son article publié en 1989 à Harvard et intitulé « Le privilège blanc : déballer le paquetage invisible ». Le texte se présente comme une chronique personnelle et empirique détaillant les vingt-six fois où sa couleur de peau semble lui avoir ouvert des portes dans la vie. Extraordinairement influent, le document est responsable de la prolifération d'une théorie du privilège et de son application à la lettre dans divers mouvements sociaux et autres salles de cours universitaires. Une doctrine désormais tellement centrale à la politique, à la pédagogie et à l'activisme progressistes qu'une simple interrogation sur sa validité vous attirera le courroux inquisitorial des radicaux de la « justice sociale ». Mais c'est justement pour cette raison qu'examiner de près les idées de McIntosh a son importance.
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« Privilège blanc » : ce qui se cache derrière le slogan
Certains progressistes américains parlent de « privilège blanc » pour expliquer les inégalités ethniques. Le concept, cependant, souffre de biais fondamentaux.
par William Ray*, pour Quillette** (traduction par Peggy Sastre)
Publié le | Le Point.fr
« [Le privilège blanc] est l'ensemble d'avantages, de prérogatives, de bénéfices et de choix immérités et indiscutables conférés à des individus du seul fait de leur couleur. En général, les Blancs jouissent d'un tel privilège sans en être conscients. » Peggy McIntosh
Le concept de « privilège blanc » a été popularisé par Peggy McIntosh grâce à son article publié en 1989 à Harvard et intitulé « Le privilège blanc : déballer le paquetage invisible ». Le texte se présente comme une chronique personnelle et empirique détaillant les vingt-six fois où sa couleur de peau semble lui avoir ouvert des portes dans la vie. Extraordinairement influent, le document est responsable de la prolifération d'une théorie du privilège et de son application à la lettre dans divers mouvements sociaux et autres salles de cours universitaires. Une doctrine désormais tellement centrale à la politique, à la pédagogie et à l'activisme progressistes qu'une simple interrogation sur sa validité vous attirera le courroux inquisitorial des radicaux de la « justice sociale ». Mais c'est justement pour cette raison qu'examiner de près les idées de McIntosh a son importance.
Peggy McIntosh est née Margaret Vance Means en 1934. Elle grandit à Summit, dans le New Jersey, une ville où le revenu médian est le quadruple de la moyenne nationale. Le père de McIntosh est Winthrop J. Means, directeur du département de commutation électronique des Laboratoires Bell à la fin des années 1950. À l'époque, les Bell Labs sont les leaders mondiaux de la révolution numérique naissante. Means sera personnellement propriétaire – et revendra les brevets – de plusieurs technologies (…). Means est aussi consigné comme l'inventeur d'un brevet détenu par Nokia Bell en 1959, celui de l'Information Storage Arrangement. L'appareil est le précurseur direct de la mémoire ROM et se retrouve cité dans le brevet qu'IBM déposera en 1965. Bien avant que Peggy McIntosh n'écrive son article, l'effet de sa famille sur la culture occidentale était déjà important.
Margaret Vance Means commence ses études à Radcliffe, une célèbre université où se pressent les filles de l'élite américaine et les poursuit à l'université de Londres, avant d'obtenir un doctorat d'anglais à Harvard. Ses fiançailles avec le Dr. Kenneth McIntosh sont annoncées dans le carnet mondain du New York Times, à la même page que le mariage du maire de Chicago, Richard Daley. (…)
Travestir un avantage économique manifeste en privilège racial
Peggy McIntosh est donc issue de l'élite aristocratique américaine, et n'en a jamais quitté le confort douillet. Lorsqu'elle liste les bénéfices empiriques de sa couleur de peau, elle confond tout simplement le privilège racial avec les avantages financiers dont elle a eu la chance de jouir depuis la naissance. À l'évidence, bon nombre de ses passe-droits sont de nature économique. Et on en vient à se demander, vu comment elle martèle l'injustice qu'auront été les cadeaux offerts par la couleur de sa peau, pourquoi elle n'en a rien cédé à des associations caritatives et autres projets de défense des droits civiques. Elle n'a pas non plus donné de son temps à l'éducation des défavorisés, ni n'a œuvré à l'amélioration de l'ordinaire de quiconque, si ce n'est le sien. Non, elle s'est contentée de profiter d'un généreux salaire, sans jamais manifester de désir particulier de confier son poste à une personne de couleur plus méritante qu'elle.
L'insouciance de son existence est sans aucun doute due à sa richesse et non à la couleur de sa peau. Pourtant, elle trouve le moyen de partager ce fardeau avec les enfants illettrés des mineurs du Kentucky, les paysans misérables des Appalaches, les mères célibataires luttant pour joindre les deux bouts à coup d'aides sociales et la vaste majorité des Blancs, d'Amérique ou d'ailleurs, qui n'ont jamais eu l'heur d'entrer à Radcliffe ou Harvard. Comment ? Tout simplement en travestissant son avantage économique manifeste en privilège racial, puis en jetant ce nouveau péché originel à la face de tous ceux ayant la même couleur qu'elle.
Ce qui signifie qu'à peu près tout ce que vous lirez sur le « privilège blanc » remonte à l'article empirique d'une femme ayant bénéficié d'un patrimoine énorme, d'un réseau de contacts aristocratiques fourni, et d'une absence totale de lucidité sur elle-même. Ce qui suffit à douter du sérieux et de la validité académique de ses épigones. Reste qu'en ayant servi un objectif précis – donner de la visibilité à une politique de la somme nulle galvanisant identité et culpabilité – le succès de l'hypothèse de McIntosh est indéniable. Cette épistémologie aura calmement infusé les universités et la culture au sens large depuis maintenant deux décennies. Et détourné notre attention d'une fracture économique de plus en plus massive et galopante, où l'on voit désormais les pauvres s'opposer entre eux dans un spectacle où l'aigreur le dispute à la violence. Un concept parfait pour les professeurs ayant autrement du mal à concilier leur soif intarissable de justice sociale avec leur salaire à six chiffres. Depuis dix ans, ce dogme est sorti avec fracas des couloirs universitaires pour rejoindre le débat public dominant. Et on ne cesse de nous rappeler que remettre cette notion d'une manière ou d'une autre en question est fondamentalement et intrinsèquement raciste.
Les sept plaies du politiquement correct
Les apôtres de cette doctrine absurde sélectionnent les fragments historiques qui les arrangent. Ils comptent autant sur le déclin de notre système éducatif, que sur l'imprimatur tape-à-l'œil d'un jargon pseudo-scientifique, pour que leur catéchisme ne soit jamais soumis à l'examen. Le fait que les progressistes soient surreprésentés dans les humanités et les sciences sociales aide grandement leur cause. Aujourd'hui, des universités ont mis en place des stratégies pour garantir l'observance du « culte » et décourager les dissidences. On pourrait s'en étonner, mais même les départements de physique ne sont pas épargnés par l'emprise de cette loi d'airain. Résister à ce non-sens, c'est inviter les sept plaies du politiquement correct à se déverser sur soi. En Colombie britannique, une commission scolaire a cru bon de faire admirer ce poster à ses collégiens blancs pauvres et issus de la classe ouvrière :
Je suis blanc et, enfant, j'étais très pauvre. C'est-à-dire pauvre comme le fils d'une mère célibataire vivant de l'aide sociale en Alberta. Je me rappelle le désespoir que j'ai pu ressentir à croire mon horizon proprement bouché. Si j'avais l'âge d'un collégien de Colombie britannique, je devrais passer tous les matins devant cet avertissement. On se demande pourquoi Teresa Downs ne renonce pas à ses 170 000 euros de salaire annuel pour les offrir à une personne de couleur, vu qu'elle les a si injustement gagnés. Est-ce que sa déclaration publique de culpabilité est censée suffire comme compensation ? Peut-être qu'à l'instar de Peggy McIntosh, elle est persuadée de mieux servir l'humanité en humiliant les enfants de familles dont le revenu annuel avoisine les 20 000 euros.
Autant de facteurs ayant contribué à l'émergence d'un contexte sociétal où Sarah Jeong – diplômée de Harvard et membre d'une catégorie démographique statistiquement bien plus privilégiée que les Blancs en termes de richesse, de niveau de scolarité et de taux d'incarcération – peut envoyer une myriade de tweets dénigrant les Blancs et voir la validité de sa vilaine humeur défendue par les gardiens autoproclamésdu temple progressiste. Des dizaines d'articles ont proliféré comme des champignons pour nous rabâcher qu'on n'avait rien compris, que seuls les Blancs pouvaient être racistes, que seuls les Blancs avaient des privilèges et que si vous n'étiez pas d'accord, alors c'est que vous étiez, quasi à coup sûr, raciste.
Les politiques de l'identité ont rendu l'organisation dans les mouvements sociaux presque impossible, vu que la division et la suspicion sont de plus en plus encouragées et entraînent fatalement le morcellement des groupes. Tous les travaux et toutes les actions sont désormais passés au crible des micro-agressions et du « paquet invisible de biens non mérités » dont risque de bénéficier quiconque considéré comme insuffisamment « marginal ». Plus personne, visiblement, n'est intéressé par la fracture sociale. Si certains d'entre nous, à gauche, ont encore cure de justice sociale, alors on s'attendra à ce que nos maigres ressources attentionnelles soient dévouées à l'appropriation culturelle que peut représenter un menu de cafétéria. Ce faisant, cet accent mis à gauche sur les clivages raciaux et cet arrogant rejet du débat aura offert à la droite radicale le meilleur outil de recrutement de son histoire.
De la politique de l'identité à la violence
Mais alors, qu'est-ce que moi, personne privilégiée par les accidents de la race et du genre, je peux savoir des « politiques de l'identité » qui échappe à Peggy McIntosh ? Eh bien, j'ai déjà une leçon tirée de mon « expérience vécue » à partager. L'année de mes 25 ans, je servais en tant que Casque bleu en ex-Yougoslavie. Mon unité s'opposait à l'armée croate dans ce que la postérité retiendra comme l'Opération de la poche de Medak. Nous finirons par arrêter la progression de l'ennemi et à le faire reculer.
En contrôlant une maison après les combats, nous allions découvrir les cadavres déformés et calcinés de deux jeunes femmes ligotées à des chaises. La première avait visiblement une petite trentaine d'années et la seconde terminait son adolescence. Les techniciens de la police montée canadienne en charge de l'analyse médico-légale de la scène pour le Tribunal des crimes de guerre de La Haye confirmeront ce qui nous avait sauté aux yeux : la cambrure exagérée de leur dos, les cris qui semblaient encore jaillir de leur bouche grande ouverte, leurs ongles plantés dans le bois de leur chaise, tout indiquait qu'elles avaient été vivantes lorsqu'on les avait aspergées d'essence pour leur mettre le feu. Mais les experts allaient détecter un détail qui n'était pas spontanément apparent. Selon leurs tests, il était quasi certain que ces femmes étaient déjà mortes à l'arrivée dans la ville de l'armée croate. Cela signifiait qu'elles avaient été brûlées vives par leurs voisins. Des gens aux côtés desquels elles avaient vécu, des anciens camarades d'école.
Cette zone que l'armée croate avait brièvement occupée était composée de fermiers croates et serbes. Des populations qui vivaient les unes avec les autres depuis un demi-siècle. Des gens qui s'étaient mariés entre eux, qui avaient mangé la même nourriture, participé aux mêmes fêtes. Mais lentement, au début des années 1980, des politiciens et des démagogues de tous bords s'étaient servi de politiques de l'identité pour asseoir leur pouvoir politique et social. De chaque côté, des intellectuels en vue avaient répété aux citoyens qu'ils avaient été spoliés et que « les autres » tiraient profit d'un « privilège social » immérité dû à leur statut ethnique. C'est ce qu'on apprenait aux enfants à l'école et ceux qui osaient remettre en question cette vérité révélée étaient ostracisés. Petit à petit, le ressentiment s'est transformé en haine. Ensuite, les événements ont suivi leur implacable logique. Parfois, des soldats d'un bord du conflit ethnique nous demandaient des nouvelles d'une petite copine de lycée, d'un camarade de classe resté de l'autre côté des lignes. Mais l'attachement identitaire restait primordial. À ceux qui me rétorqueraient l'ânerie d'un « ce n'était qu'un problème de Blancs », je dirais ceci : alors que je me battais pour ma vie en Europe centrale, le même genre de discours était diffusé au Rwanda par la Télévision Libre des Mille Collines. Les haines tribales ne sont pas un problème noir ou blanc, elles sont un problème humain.
Tout au long de l'histoire, à chaque fois que les politiques de l'identité ont été utilisées par telle ou telle faction pour telle ou telle raison, c'est la violence qui s'est ensuivie. Qu'importe la subtilité et la complexité des justifications, qu'importe qu'il pourrait sembler raisonnable pour corriger des inégalités sociales et des injustices historiques, ce type d'argument se termine toujours dans la même bouillasse putride où s'embourbent peurs, haines et dépravations. Il est grand temps de remiser cette épistémologie nauséabonde dans les poubelles des outrances égotistes de nos têtes soi-disant pensantes et d'en revenir aux véritables causes des « privilèges » : les inégalités économiques croissantes qui nous divisent, quelle que soit la couleur de notre peau.
*William Ray est ancien Casque bleu canadien, devenu journaliste et réalisateur de documentaires.
**Cet article est paru dans Quillette. Quillette est un journal australien en ligne qui promeut le libre échange d'idées sur de nombreux sujets, même les plus polémiques. Cette jeune parution, devenue référence, cherche à raviver le débat intellectuel anglo-saxon, en donnant une voix à des chercheurs et des penseurs qui peinent à se faire entendre. Quillette aborde des sujets aussi variés que la polarisation politique, la crise du libéralisme, le féminisme ou encore le racisme. « Le Point » publiera chaque semaine une traduction d'un article paru dans Quillette.
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