jeudi 24 janvier 2019

Confrontation MAGA / autochtone : autopsie d'une supercherie (Jeff Yates)





CHRONIQUE - La vidéo virale d'un affrontement entre un Autochtone et des adolescents est devenue en quelque sorte un moment culturel important aux États-Unis, une image qui restera pour certains à jamais gravée dans la mémoire des Américains. Mais derrière ce phénomène web se cache possiblement un stratagème cynique qui cherche à faire de l'argent en alimentant la polarisation sur les réseaux sociaux. Explications.


Dans la vidéo, un jeune homme arbore un sourire narquois devant Nathan Phillips, un vétéran autochtone. Photo: YouTube

Lire l'article :
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1148418/washington-jeune-maga-autochtone-video-virale

À PROPOS DE JEFF YATES

Depuis 2014, Jeff Yates a fait de la désinformation sur le web sa spécialité journalistique. Après avoir créé le blogue Inspecteur viral au journal Métro, la première plateforme de démystification de fausses nouvelles virales issue d’un média d’information québécois, il est rapidement devenu une référence dans le domaine.

Outre les fausses nouvelles, il s’intéresse à toutes sortes de sujets connexes, tels l’effet des réseaux sociaux et des algorithmes sur l’information, la propagande web et l’exploitation des nouvelles formes de communication.

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1148418/washington-jeune-maga-autochtone-video-virale

















































































Ce n'était qu'une courte séquence de deux minutes. Elle semblait montrer un jeune homme, casquette « Make America Great Again » (MAGA) vissée sur la tête, se dresser avec arrogance devant Nathan Phillips, un aîné autochtone qui chante un hymne traditionnel. Le tout se déroule à Washington, où avaient lieu plusieurs manifestations en même temps ce jour-là.

La vidéo a eu l'effet d'une bombe atomique.

D'une part parce qu'elle a choqué des millions de personnes en déclenchant un cirque médiatique, puis une campagne de harcèlement visant les jeunes dans la vidéo. Certains ont reçu des menaces de mort. La chasse aux sorcières aurait même faussement identifié un jeune qui n'était même pas à la manifestation. Sa famille et lui ont aussi été menacés de mort.

D'autre part parce qu'une séquence vidéo plus longue donnant plus de contexte aux événements a semblé, pour certains, remettre en question les faits. On voit que les jeunes ont d'abord été invectivés par des activistes – adultes – du groupe Black Hebrew Israelites, qui leur ont lancé toutes sortes d'insultes à caractère racial. On voit aussi que c'est Nathan Phillips qui a approché le groupe de jeunes, et non l'inverse.

Bref, comme le faisait remarquer Julie Irwin Zimmerman dans The Atlantic (Nouvelle fenêtre), cette vidéo est en quelque sorte un genre de test de Rorschach, un test psychologique où on nous demande d'analyser une série de taches d'encre. Notre interprétation de ce qu'elles représentent est censée en dire long sur notre personnalité.

On y voit ce qu'on veut y voir.

J'ai eu droit à quelque chose d'absurde. Deux de mes abonnés à mon compte Twitter ont partagé la même séquence de 45 secondes. Le premier disait : « Il est impossible de regarder cette vidéo et de ne pas y voir du racisme. » L'autre : « Il est impossible de regarder cette vidéo et d'y voir du racisme. » Deux personnes sensées, posées. Pas des illuminés ou des activistes. « Où s'en va-t-on en tant qu'espèce? » serait-on en droit de se demander.

Comment cette vidéo est-elle devenue virale?

C'est là que l'histoire prend une tournure absurde, voire apocalyptique. Un des premières publications de la vidéo sur Twitter date de vendredi, quelques heures seulement après les événements en question, sur le compte @2020fight. Cette vidéo a été vue plus de 2,5 millions de fois et partagée 14 400 fois. La même avait été affichée sur Instagram, mais n'avait pas soulevé l'émoi.

Le compte @2020fight a allumé la mèche en présentant la séquence comme suit : « Ce crétin MAGA s'amuse à harceler un Autochtone américain à la marche des peuples autochtones. » C'est cette interprétation qui l'a propulsée dans la stratosphère. En gros, si vous avez vu cette vidéo, c'est en grande partie grâce à ce compte.

Mais voilà, comme le rapportait CNN lundi soir (Nouvelle fenêtre), le compte @2020fight est un peu louche. Créé en décembre 2016, dans les semaines ayant suivi l'élection qui a porté Donald Trump à la présidence américaine, ce compte publiait exclusivement des contenus anti-Trump à raison de 130 tweets par jour. Bien que la personne derrière le compte se disait professeure en Californie, la photo de profil appartenait à une blogueuse brésilienne.

Étant donné le contenu partisan, la fréquence acharnée des publications et la fausse identité, on a cru à un compte automatisé ou à un troll. Quand CNN a contacté Twitter, le réseau social a supprimé le compte, sans offrir d'explication.

Puis coup de théâtre, un étudiant américain a remarqué que le compte @2020fight vendait ses services d'influenceur sur le site Shoutcart (Nouvelle fenêtre). Oui, ses services d'influenceur.


Sam Riddell
@RiddellSam
 THREAD - I found that @2020fight - the account that helped the Covington High School video go viral, according to @CNN, and that Twitter suspended shortly after, had services for hire on Shoutcart - a service that allows users to pay influencers to post videos on their behalf.
https://twitter.com/RiddellSam/status/1087783681765322756
19:46 - 22 janv. 2019

« J'ai un très haut taux d'engagement sur ce compte dans lequel je parle de culture et de politique. Mon auditoire est éduqué et formé de gens dans la vingtaine et la trentaine », écrit la personne derrière le compte dans son profil Shoutcart. Moyennant de l'argent, on pouvait avoir accès à cet auditoire et lui demander de publier ce qu'on voulait.

Donc en résumé, ce compte a été créé peu après l'élection du président Trump. Il diffusait un flot incessant de publications partisanes contre celui-ci. Puis la personne derrière le compte a tenté de vendre ses services d'influenceur au plus offrant.

Nous ne savons pas qui se cache derrière ce compte, mais une analyse cynique de la situation pourrait nous mener à penser que cette personne n'était pas vraiment une activiste anti-Trump et qu'elle a simplement flairé la bonne affaire. Selon cette interprétation, elle a compris que dans ce climat politique polarisé, le contenu hyperpartisan permet de rapidement créer un auditoire monnayable. Elle a donc froidement bâti sa « business » en offrant des tweets qui sauraient mobiliser l'auditoire qu'elle visait. Puis, elle a vu cet extrait vidéo et s'est dit « wow, ça, ça va faire réagir mon auditoire et ça va devenir viral. Ça va me permettre d'améliorer mes statistiques et de pouvoir faire plus d'argent ».

Une interprétation plus charitable serait que c'est une personne normale qui voulait cacher son identité étant donné la teneur partisane de ses propos et le manque de civisme sur les réseaux sociaux, et qu'elle voulait simplement faire un peu d'argent avec l'auditoire qu'elle s'était bâti.

Mais une question se pose : quelle professeure a le temps de tweeter 130 fois par jour?

Nous nous sommes potentiellement tous fait avoir par un simple stratagème visant à exploiter la partisanerie et à en profiter. Peu importe ce qu'on pense de la vidéo, avouons qu'il y a là quelque chose d'ahurissant.

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