FIGAROVOX/TRIBUNE - La bienveillance des pays occidentaux envers les Chrétiens d'Orient, si nécessaire soit-elle, ne suffit pas à leur rendre justice, considère Mgr Gollnisch. Les Chrétiens d'Orient font partie de notre civilisation, la civilisation de la Méditerranée, et doivent être considérés comme tels, souligne l'homme d'Eglise.
Par Monseigneur Gollnisch Publié le 29/01/2019 à 17:30
Monseigneur Gollnisch est directeur général de l'Œuvre d'Orient et Vicaire général de l'Ordinariat des catholiques orientaux en France. En 2016, il a publié Chrétiens d'Orient, résister sur notre terre (Cherche midi).
Il est temps de redécouvrir l'unité de la civilisation méditerranéenne, notre civilisation.
De l'Andalousie à la Turquie, de l'Algérie à la Provence, du Maroc à la Grèce et à la Croatie, les paysages se ressemblent, travaillés par les mondes grec et latin, araméen et arabe, égyptien et berbère. Les oliviers, les vignes, les palmiers, les collines qui descendent vers la mer, les pêcheurs, les chants, les temples: voici cette civilisation méditerranéenne, une et multiforme, liée à l'Afrique et à l'Arabie, à la Perse et à l'Europe centrale.
Comment oublier ce que nous devons aux civilisations égyptienne, araméennes, et assyro-babylonienne? La Méditerranée que tant de gens du nord aiment rejoindre aux beaux jours ne saurait être une division entre deux mondes. Ce serait couper en deux notre propre civilisation, notre propre corps. Il est clair qu'une minorité musulmane se déploie en Europe, dans des pays qui n'y étaient pas habitués, ni préparés. Cela pose les problèmes que nous savons, qui ne sont pas insurmontables mais qui exigent des uns et des autres un retour sur soi-même, une conversion et une clarification qui pourront être bénéfiques à chacun.
Au sud et à l'est de notre Méditerranée commune, il y a des chrétiens enracinés là depuis deux mille ans.
Qu'est-ce que les chrétiens disent d'eux-mêmes? Qu'est-ce que les musulmans disent d'eux-mêmes? Et qu'est-ce que la laïcité dit d'elle-même, à un moment où plusieurs confondent la laïcité des pouvoirs publics, celle des services publics, de l'espace publique ou de l'opinion publique. Le prix de la laïcité a été remis en 2017 aux Femen qui avaient envahi la Cathédrale Notre-Dame et l'église de la Madeleine: comment aider dans ces conditions ceux des musulmans réticents à intégrer la laïcité?
Mais au sud et à l'est de notre Méditerranée commune, il y a des chrétiens enracinés là depuis deux mille ans. Ils ont vu arriver les musulmans il y a treize siècles et ont noué avec eux des relations parfois difficiles et parfois fécondes, agissant souvent comme des «passeurs de culture». Ces chrétiens ne sont pas les enfants des croisés ni des colonisateurs ; ce sont les chrétiens de la Pentecôte, parfois issus du judaïsme ; ce sont des Coptes et des Araméens devenus syriaques, des Grecs aussi. Ce sont des gens de culture et de paix, engagés dans le service de leurs concitoyens. Ils ont des écoles où sont présents des chrétiens et des musulmans, des garçons et des filles, des riches et des pauvres, et parfois des très pauvres ; et il en va de même pour leurs hôpitaux. Ce sont des gens qui ne sont pas avides de pouvoir, et, pour la plupart d'entre eux ne sont pas belliqueux. Beaucoup sont restés sur place pour servir leur pays et y vivre en paix avec tous.
Quel mal ont-ils donc fait?
Quel mal ont-ils donc fait pour que certains veuillent leur disparition et leur extermination, depuis les génocides de 1915 contre les Arméniens et les assyro-babyloniens, jusqu'aux génocides récents de Daesh?
Quel mal ont-ils fait pour que les habitués de la défense des minorités leur prêtent aussi peu de considération? Quel mal ont-ils fait pour que nombre de chancelleries se détournent perfidement de leurs drames? Les Américains croient-ils avoir aidé les chrétiens d'Irak, de Bagdad et de Mossoul? L'histoire jugera, nous jugera, mais au présent ces chrétiens souffrent.
Nous devons mesurer l'enjeu de la question qui se pose. Assisterons-nous paisiblement à un développement des musulmans en France et simultanément à une disparition des chrétiens en Orient?
Il faut prendre plus de hauteur : il s'agit de l'avenir de notre civilisation méditerranéenne.
Il ne s'agit pas d'un troc commercial: «je te construis une mosquée si tu me construis une église». Il faut prendre plus de hauteur: il s'agit de l'avenir de notre civilisation méditerranéenne. Car la coexistence entre chrétiens et musulmans se pose au nord et au sud, à l'est et à l'ouest de notre Méditerranée. Elle ne peut pas être possible au nord et impossible au sud. Il ne peut pas y avoir un dialogue islamo-chrétien au nord, et une discrimination au sud. Il ne peut y avoir un dialogue entre les chrétiens du nord et les autorités musulmanes du sud par-dessus la tête des chrétiens qui vivent aussi au sud de la Méditerranée. Tous ceux qui se sentent discriminés, au nord et au sud doivent pouvoir être respectés et entendus.
La difficulté ne se limite pas à la question du rapport entre musulmans et chrétiens. Il y a aussi des difficultés entre chrétiens. Parfois des Églises orthodoxes ne reconnaissent pas le baptême d'un catholique ce qu'un dialogue œcuménique, par ailleurs fécond, ne peut ignorer. Et même dans l'Église catholique certains n'ont toujours pas compris l'affirmation du Concile Vatican II sur l'égalité des Églises et des rites et croient à la supériorité de l'Église latine, tandis que nous n'hésitons pas à ériger des diocèses latins en Orient.
Comment ne pas comprendre que le maintien des chrétiens d'Orient, depuis deux mille ans en Orient, n'est pas la simple protection d'une minorité, comme prétendait le faire le sultan ottoman. Ce n'est pas la simple défense d'une minorité discriminée, comme hélas il y en a tant d'autres. C'est maintenir notre civilisation et assurer les conditions de sa survie.
Le livre controversé Le choc des civilisations de Samuel Huntington évoque les conflits du futur comme des guerres de civilisation. Après tout, la défense de la civilisation pourrait être un enjeu plus légitime qu'un morceau de territoire ou des parts de marché! Il faut cependant lire la dernière page du livre: c'est peut-être grâce aux civilisations que nous éviterons la guerre.
t une civilisation se mesure sans doute à son respect pour les minorités, à sa capacité à faire vivre une égale citoyenneté pour chacun.
Dès maintenant les chrétiens d'Orient ont un rôle essentiel à jouer dans la civilisation de demain, notre civilisation, et nous sommes témoins de leurs nombreuses initiatives.
Ne les enfermons pas dans les musées.
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