Un référé pour l'interdiction de son livre était examiné hier.
Fallaci, La femme qui diffame l'islam
«Les Occidentaux aveugles n'ont qu'à écouter leurs hosannas au Dieu-miséricordieux-et-coléreux, leurs braillements Allah akbar-Allah akbar. Djihad-Guerre sainte-djihad. De simples franges extrémistes. Des simples minorités fanatiques ? Non, mon cher, non. Ils sont des millions et des millions, les extrémistes. Ils sont des millions et des millions, les fanatiques.» Ben Laden ? Il n'est que le «sommet» d'une «montagne» qui «depuis mille quatre cents ans ne bouge pas, ne sort pas des abîmes de sa cécité, n'ouvre pas les portes aux conquêtes de la civilisation, ne veut pas entendre parler de liberté et justice et démocratie et progrès». Sous le titre la Rage et l'Orgueil, dans un «sermon adressé aux Italiens et aux Européens», la journaliste italienne Oriana Fallaci s'en prend aux «fils d'Allah» qui «se multiplient comme des rats».
Vendu en Italie à un million d'exemplaires, cet ouvrage paraît en traduction chez Plon. Hier, devant Hervé Stéphan, le juge des référés (qui doit statuer en urgence) du tribunal de Paris, le Mrap demandait l'interdiction du livre, lequel est cependant en librairie depuis le 23 mai (tirage 45 000 exemplaires). La Ligue des droits de l'homme et la Licra demandaient, elles, l'insertion d'un avertissement au lecteur en tête de l'ouvrage insistant sur le fait qu'«il ne faut pas confondre islamistes et musulmans». A chaque page, Oriana Fallaci flirte à tout le moins avec cet amalgame.
«Giclée longue». Ainsi décrit-elle des Somaliens en mal de papiers campant en face d'une cathédrale italienne avec des «matelas pour dormir et baiser, des fourneaux pour cuire la nourriture, empester la place avec la fumée puante», les «braillements d'un muezzin» et «pour accompagner tout ça, les dégoûtantes traces d'urine qui profanaient les marbres du baptistère. (Parbleu ! Ils ont la giclée longue, ces fils d'Allah ! Mais comment faisaient-ils pour atteindre une cible située à presque deux mètres de la barrière de protection ?) En plus de cela, les miasmes nauséabonds des excréments déposés à l'entrée de San Salvatore al Vescovo : l'exquise église romane (XIe siè cle) qui se trouve derrière la piazza del Duomo et que ces barbares avaient transformée en chiottes».
Années 30. Me Hacen Taleb, avocat du Mrap, souligne combien cette prose vissée sur une «logique de la haine», reproduit «la méthode de la littérature antisémite de la fin du XIXe siècle aux années 30». Ainsi, Céline au hasard d'une page de Bagatelles pour un massacre (Denoël, 1937) : «Dans le fondu sentimenteux, le Juif taille, découpe, ronge, effrite, empoisonne, prospère.» Céline parle de «l'invasion youtre», Fallaci écrit «ils sont partout», phrase citée par l'avocat de la Licra qui ajoute : «ça ne vous rappelle rien ?» Raciste, Oriana Fallaci ? «Un mot totalement inapproprié, puisque ce que je dis regarde une religion, pas une race», se défend-elle. Mais le glissement suit. Qui dit religion, dit guerre sainte visant «à la disparition de notre liberté et de notre civilisation, à l'anéantissement de notre façon de vivre et de mourir». Qui dit religion, dit civilisation : derrière la nôtre (l'occidentale), il y a tout (on a tout inventé), «derrière l'autre culture, la culture des barbus avec la tunique et le turban, qu'est-ce qu'on trouve ? Cherche et recherche, moi je ne trouve que Mahomet avec son Coran, Averroès avec ses mérites d'érudit (ses "Commentaires" sur Aristote, etc.) et le poète Omar Khayyâm». Un Coran qui «autorise le mensonge, la calomnie, l'hypocrisie», livre d'une «religion qui n'a sûrement pas contribué à l'histoire de la Pensée» et qui «dans ses côtés les plus acceptables est un plagiat de la religion chrétienne et de la religion judaïque ainsi que de la philosophie hellénique». Bref, raisonner avec «ces fils d'Allah» est «impensable». Bref, «les traiter avec indulgence ou tolérance ou bien espoir, un suicide. Et quiconque croit le contraire est un pauvre con».
«Délire transgressif». Après avoir cité ces propos, l'avocat de la Licra, avant d'en appeler à un débat «sur le fond», conclut : «Voilà un propos d'une violence que nous rencontrons rarement.» Et d'évoquer le «délire transgressif» d'une femme qui voit dans les imams des «bouchers», des «équarrisseurs de veaux». «Je n'ai aucune intention d'être punie à cause de mon athéisme par les fils d'Allah, écrit encore Oriana Fallaci. C'est-à-dire par des monsieurs qui, au lieu de contribuer au progrès de l'humanité, passent leur temps avec le derrière en l'air, à prier cinq fois par jour !»
Après l'avoir qualifiée de «grande journaliste, grande résistante et grand écrivain», son défenseur Gilles-William Goldnadel brosse le tableau d'«une femme blessée, traumatisée par le 11 septembre». Habitant New York depuis une dizaine d'années, elle était aux premières loges lorsque les tours du World Trade Center furent touchées et s'effondrèrent, elle vit les corps tomber. Elle raconte que travaillant à un roman, trop troublée, elle ne put poursuivre. Et commença à noircir des pages qui devinrent d'abord un article pour un journal italien, puis ce livre. Alors oui, s'insurge l'avocat, «elle se refuse à la moindre précaution, à la moindre concession», oui, elle fait preuve d'«un anti-islamisme primaire rageur» oui, ce livre est «une imprécation anti-islamique», oui, elle considère que «le nouveau fascisme est vert», mais, non, «c'est un mensonge de dire que Fallaci a voulu viser l'ensemble des musulmans, dans son esprit, les fils d'Allah sont les terroristes intégristes». Un autre avocat du côté de l'auteure et de l'éditeur montre l'ampleur du débat que ce livre a suscité en Italie : un carton plein d'articles de presse. Il demande à ce que le débat «se poursuive dans les médias non devant un juge», car «c'est un débat d'opinion».
«Un débat d'idées est nécessaire», juge le représentant du parquet, Pierre Dillange, mais, à ses yeux, «l'interdiction provisoire, dans l'attente d'une décision sur le fond, n'aurait pas de sens», même si les propos du livre d'Oriana Fallaci constituent «incontestablement un amalgame inadmissible». Jugement vendredi à 13 h 30.
Jean-Pierre THIBAUDAT
https://www.liberation.fr/societe/2002/06/19/fallaci-la-femme-qui-diffame-l-islam_407567
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