En Syrie, les factions rebelles ayant été repoussées de Damas, la zone de combat se concentre désormais dans la région de la Ghouta orientale, couramment désignée comme une « enclave rebelle ».
L’expression « enclave rebelle » participe de ce que Walter Lippmann appelait la « standardisation » du récit médiatique, laquelle repose sur des stéréotypies faciles qui font bon marché d’une réalité complexe et surtout, suggèrent immanquablement une appréhension morale et manichéenne de la situation. Il faut, expliquait l’auteur de Public Opinion, que les récepteurs de l’information puissent s’impliquer dans l’interprétation des faits, s’identifier dans une certaine mesure à des personnages de l’histoire et prendre parti. Le formatage idéologique marche donc main dans la main avec le besoin de séduire, de susciter l’intérêt et l’attention du public.

Une « enclave » fermée… des deux côtés

Étymologiquement, on reconnaît dans le terme d’enclave les deux éléments in et clavis (la clef). Un territoire enclavé est donc littéralement un endroit fermé à clef. On emploie ce terme pour désigner des régions isolées géographiquement ou administrativement (délaissées par les pouvoirs publics, mal desservies par les réseaux de transports, etc.). Dans un conflit, enclave devient synonyme de « poche de résistance ». S’il est fermé, c’est à la fois parce que ses occupants empêchent leur ennemi d’y pénétrer afin de ne pas perdre l’espace conquis, si menu soit-il, et parce que cet ennemi tente de contenir l’occupant dans ce territoire restreint pour en interdire l’expansion. Une enclave est donc doublement fermée à clef : de l’intérieur et de l’extérieur.
Mais en l’occurrence, le territoire désigné comme « enclave » n’est pas un coin de désert. C’est un ensemble de quartiers périphériques situés à proximité de Damas. Autrement dit, ces zones qui sont à la fois tenues (de l’intérieur) et contenues (de l’extérieur) ne sont pas vides de populations civiles.
Voilà pourquoi la notion d’« enclave rebelle » est problématique.

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On retrouve un phénomène de personnification déjà observé avec « quartier sensible » : l’enclave n’est pas en elle-même rebelle. Elle est occupée par des rebelles. C’est encore plus évident avec l’expression « région rebelle » :

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D’abord, ces expressions annihilent dans l’adjectif « rebelle » la multiplicité des opposants au régime, dont l’histoire récente nous a tout de même appris que certains, loin d’être de gentils démocrates, seraient plutôt des mini-Daech, ce qui incite peut-être à une appréhension de la situation un peu plus nuancée que : les vaillants combattants de la liberté contre le méchant autocrate sanguinaire.

Une manière hypocrite de voir les choses

Ensuite, « région rebelle » et « enclave rebelle » tendent à faire oublier qu’il s’agit de zones occupées. Elles incitent à penser que la population civile des quartiers concernés est totalement acquise à la cause des rebelles. Il est tout à fait vraisemblable que des gens soutiennent…

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« enclave rebelle » ou comment simplifier une guerre

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En Syrie, les factions rebelles ayant été repoussées de Damas, la zone de combat se concentre désormais dans la région de la Ghouta orientale, couramment désignée comme une « enclave rebelle ».
L’expression « enclave rebelle » participe de ce que Walter Lippmann appelait la « standardisation » du récit médiatique, laquelle repose sur des stéréotypies faciles qui font bon marché d’une réalité complexe et surtout, suggèrent immanquablement une appréhension morale et manichéenne de la situation. Il faut, expliquait l’auteur de Public Opinion, que les récepteurs de l’information puissent s’impliquer dans l’interprétation des faits, s’identifier dans une certaine mesure à des personnages de l’histoire et prendre parti. Le formatage idéologique marche donc main dans la main avec le besoin de séduire, de susciter l’intérêt et l’attention du public.
Étymologiquement, on reconnaît dans le terme d’enclave les deux éléments in et clavis (la clef). Un territoire enclavé est donc littéralement un endroit fermé à clef. On emploie ce terme pour désigner des régions isolées géographiquement ou administrativement (délaissées par les pouvoirs publics, mal desservies par les réseaux de transports, etc.). Dans un conflit, enclave devient synonyme de « poche de résistance ». S’il est fermé, c’est à la fois parce que ses occupants empêchent leur ennemi d’y pénétrer afin de ne pas perdre l’espace conquis, si menu soit-il, et parce que cet ennemi tente de contenir l’occupant dans ce territoire restreint pour en interdire l’expansion. Une enclave est donc doublement fermée à clef : de l’intérieur et de l’extérieur.
Mais en l’occurrence, le territoire désigné comme « enclave » n’est pas un coin de désert. C’est un ensemble de quartiers périphériques situés à proximité de Damas. Autrement dit, ces zones qui sont à la fois tenues (de l’intérieur) et contenues (de l’extérieur) ne sont pas vides de populations civiles.
Voilà pourquoi la notion d’« enclave rebelle » est problématique.
rebelle3
On retrouve un phénomène de personnification déjà observé avec « quartier sensible » : l’enclave n’est pas en elle-même rebelle. Elle est occupée par des rebelles. C’est encore plus évident avec l’expression « région rebelle » :
rebelle2
D’abord, ces expressions annihilent dans l’adjectif « rebelle » la multiplicité des opposants au régime, dont l’histoire récente nous a tout de même appris que certains, loin d’être de gentils démocrates, seraient plutôt des mini-Daesh, ce qui incite peut-être à une appréhension de la situation un peu plus nuancée que : les vaillants combattants de la liberté contre le méchant autocrate sanguinaire.
Ensuite, « région rebelle » et « enclave rebelle » tendent à faire oublier qu’il s’agit de zones occupées. Elles incitent à penser que la population civile des quartiers concernés est totalement acquise à la cause des rebelles. Il est tout à fait vraisemblable que des gens soutiennent certaines factions rebelles ou, à tout le moins, n’aient aucune sympathie pour le régime en place. Cela ne signifie pas qu’ils se conçoivent comme des combattants. Ils sont, en réalité, pris en otages dans leur propre quartier. Ils sont pris au piège, ni les rebelles qui les utilisent comme boucliers humains, ni le régime qui les considère comme complices potentiels des rebelles, ne leur laissant la possibilité de quitter la zone de combat.
L’expression « fief rebelle », moins employée, dit bien qu’il s’agit d’un domaine sur lequel est assis une autorité, en l’occurrence une autorité en conflit avec le pouvoir.
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On ne voit donc pas trop quelles raisons aurait Bachar El-Assad de ne pas chercher à les éradiquer. Se demander sans cesse quand il arrêtera de bombarder les zones tenues par ses ennemis est une manière très hypocrite de présenter les choses, c’est même un subterfuge pour éviter de dire que l’on souhaite la victoire des rebelles.
D’autant que ceux-ci ne sont pas inoffensifs. Si les seuls chiffres qu’on entend sont ceux du nombre des victimes de l’aviation loyaliste, les rebelles font aussi des victimes. Il faut chercher un peu pour trouver l’information mais elle existe :
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Enfin, il est tout de même surprenant de voir que tout le monde reproche à ce bon vieux Bachar une stratégie qu’on a tant louée chez d’autres : nos merveilleux libérateurs de 44 n’ont-ils pas appliqué en Normandie la méthode Assad ? Pluie de bombes, indifféremment sur les occupants et les civils, dératisation totale, karcher, place nette et on repart à zéro. Et tant pis pour les dommages collatéraux. Peut-être faudrait-il cesser de toujours distribuer les rôles de manière manichéenne. La guerre, c’est moche. C’est tout. Quand on a dit cela, on peut commencer à donner des informations intéressantes sur les forces en présence et l’évolution du conflit.
enfant blessé Ghouta