Caroline De Haas,
les étranges méthodes de la pasionaria du féminisme (28.02.2018)
Brexit :
Londres et l'Europe se déchirent sur la frontière irlandaise (28.02.2018)
«Faut pas mourir
idiot»: ce que révèle l'apologie de l'expérience immédiate (28.02.2018)
Luc Ferry :
«Pourquoi je ne suis pas centriste» (28.02.2018)
Le sort des
immigrés africains divise Israël (28.02.2018)
Le rap dans le
collimateur des autorités chinoises (28.02.2018)
En Israël, la
prison ou l'exil : l'impossible choix des migrants d'Holot (28.02.2018)
Slovaquie : le
journaliste assassiné enquêtait sur des liens possibles avec la mafia italienne
(28.02.2018)
L'Italie, maillon
faible de la zone euro, face à un vote incertain (28.02.2018)
Italie :
«L'urgence est de lancer un grand plan d'investissement» (28.02.2018)
Italie : la
Calabre, minée par la crise et la mafia locale (28.02.2018)
En Italie, la
population a diminué de 100.000 personnes en une année (28.02.2018)
Immigration,
délinquance: Mayotte suffoque et réclame un retour à l'ordre public
(28.02.2018)
Bangalore, la
Silicon Valley indienne, minée par la crise de l'eau (26.02.2018)
Caroline De Haas, les étranges méthodes de la pasionaria du
féminisme (28.02.2018)
ENQUÊTE - «Un homme sur deux ou
trois est un agresseur», a récemment dit la militante féministe à L'Obs,
déclenchant ainsi «un torrent d'injures» qui l'ont poussée à quitter les
réseaux sociaux. Avec ses calculs aléatoires sur le nombre de
« porcs » en France, la cofondatrice de l'association Osez le
féminisme !, qui jongle entre politique, militantisme et expertise, rend
perplexes certains défenseurs de la cause.
Pour comprendre le discours de la
militante féministe Caroline
De Haas, mieux vaut être un peu doué en calcul. «Un homme sur deux ou
trois est un agresseur», a-t-elle récemment asséné à L'Obs. «J'ai
eu des amies qui m'ont dit qu'elles avaient entendu des victimes parler de
faits de harcèlement. Au moins deux ou trois», a-t-elle rapporté sur
Franceinfo à
propos de Nicolas Hulot. Et puisque «plus de 200 viols par jour se
produisent en France», et que seuls «2 % des violeurs sont condamnés»,
«l'État est complice, de fait, de crimes de masse»… Mais à
l'organisation étudiante Unef, dont plusieurs anciens dirigeants sont
accusés d'agressions sexuelles et de viols, celle qui fut secrétaire générale
de 2006 à 2009 n'avait jamais rencontré aucun abuseur…
«Je fais une coupure totale de
médias. La violence est trop élevée, je n'arrive pas à gérer»
Caroline de Haas
Aujourd'hui «victime d'un torrent
d'injures», la cofondatrice de l'association Osez le féminisme!, 37 ans,
qui «kiffait» venir «expliquer une idée en trois minutes» à la télé, n'a «plus
envie». Elle a
annoncélundi quitter les réseaux sociaux«pour un temps
indéterminé» après avoir été la cible pendant plusieurs jours d'une «vague de
haine et de harcèlement». «Je fais une coupure totale de médias,
s'excusait-elle en refusant de parler au Figaro, quelques jours
plus tôt. La violence est trop élevée, je n'arrive pas à gérer.» Avant de se
raviser, «puisque vous faites quand même l'article».
Sur le plateau de BFMTV le 19
février, la secrétaire d'État en charge de l'Égalité femmes-hommes est venue
avec ses propres chiffres. «Non, ça ne peut d'aucune manière être un homme sur
deux, dans la mesure où ça voudrait dire qu'il y a plus d'agresseurs sexuels
que de femmes qui auraient été violées, conteste Marlène Schiappa. Je trouve contre-productif
de jeter comme ça en l'air des chiffres.» Caroline De Haas «cherche à exister
par tous les moyens! renchérit un conseiller ministériel. Tout est bon pour
s'opposer à notre action, quitte à être dans la contre-vérité. En fait c'est de
l'agit-prop très politicienne, et ça ne sert pas la cause, au final.»
Des «discours victimaires»
Selon
une étude de l'Ifop publiée vendredi, 43 % des femmes interrogées
affirment avoir été victimes d'attouchements sexuels, et 12 % avoir subi
un viol. Caroline De Haas reprend son raisonnement mathématique: «Une femme sur
deux a été victime de viol, d'agression ou de harcèlement, indique-t-elle. Dans
l'immense majorité des cas, c'est par quelqu'un de son entourage. Vous
connaissez donc des dizaines de victimes. Réfléchissez: si vous connaissez des
victimes et que l'immense majorité des agresseurs sont de leur entourage, c'est
que vous connaissez aussi des agresseurs.» CQFD. «Réfléchissez… au Figaro, vous
en avez bien, des agresseurs?, interroge-t-elle. Le harcèlement sexuel, c'est
une femme sur cinq. Donc y en a forcément aussi au Figaro. Et vous
avez fait quoi?» «Ce que je trouve le plus intéressant, c'est à quel point le
fait de dire que nous connaissons un agresseur, voire plusieurs, nous dérange!
insiste-t-elle. C'est peut-être le signe qu'on a touché juste!»
Des «porcs», Caroline De Haas en
débusque donc partout. Elle reçoit «quantité de témoignages» depuis l'affaire
Weinstein. Ils concernent «des responsables politiques de tous bords»,
assure-t-elle. En janvier, le ministre Gérald
Darmanin est accusé de viol par une ex-call-girl. C'est Caroline
De Haas qui l'a convaincue de re-porter plainte, neuf ans après les faits
présumés. «J'aurais dû dire merde à cette femme, qui venait me voir avec un
dossier de 40 pages, parce qu'elle accusait un responsable politique?,
s'insurge-t-elle. Si une victime me demande s'il faut porter plainte, je
réponds toujours: “Je ne sais pas, c'est à votre avocat de vous accompagner.”
Je n'ai pas porté plainte pour le viol que j'ai subi (pendant ses années
étudiantes, NDLR). Je serais bien en peine de conseiller quelqu'une (sic) là-dessus.»
«C'est une lanceuse d'alerte.
On ne peut pas avoir à son égard les exigences qu'on a avec les politiques. La
violence des réactions qu'elle suscite va au-delà de sa personne»
Laurence Rossignol, ancienne
ministre des Droits des femmes
Sur le blog Vu du droit,
Me Florence Rault, qui voit en Caroline De Haas «une des grandes
prêtresses du néo-féminisme agressif», s'indigne de «débordements ahurissants»:
elle «a organisé avec l'affaire Darmanin une manipulation détestable, méritant
peut-être que le parquet examine de plus près son rôle dans le dépôt de la
plainte, désormais classée sans suite, dénonce l'avocate. Il est préoccupant
qu'elle ajoute à ses activités lucratives le coaching d'éventuelles
plaignantes. Et qu'elle les fasse prendre en main par des “avocates amies”,
dans un but dont on peut craindre qu'il ne soit pas de faire advenir la vérité
judiciaire, mais de permettre un lynchage médiatico-politique».
Début février, c'est Nicolas
Hulot qui est mis en accusation. Qu'importe si la plainte pour viol est classée
sans suite, et la rumeur de harcèlement sexuel, démentie. Caroline De Haas a
ses sources: des «amies» qui «ont entendu des victimes». Combien? lui
demande-t-on sur Franceinfo. «Ben j'en sais rien puisque je les connais pas,
les victimes! rétorque-t-elle, confondante de naïveté. Comme j'ai trois
histoires qui me remontent, si ça se trouve, ça concerne la même personne…»
Devant le tollé, l'activiste se plaint sur Twitter: «Tu as des infos sur des
faits de violences sexuelles. Tu en parles pas, on te reproche d'avoir couvert
des faits. Tu en parles, on te reproche de rendre publics des faits. Dans
100 % des cas, c'est perdant.»
«Au lieu de continuer la
marche émancipatoire du féminisme historique, les discours victimaires, avec
leurs agresseurs tapis dans l'ombre, considèrent les femmes comme toujours
vulnérables»
Peggy Sastre, essayiste
Ancienne ministre des Droits des
femmes, Laurence
Rossignol vole à sa rescousse. «C'est une lanceuse d'alerte,
souligne-t-elle. On ne peut pas avoir à son égard les exigences qu'on a avec
les politiques. La violence des réactions qu'elle suscite va au-delà de sa
personne. Ceux qui la combattent sont dans la haine, la haine du féminisme. Moi
aussi, j'ai des témoignages et je ne sais pas quoi en faire…» Pour l'essayiste
Peggy Sastre, au contraire, ces «théories paranoïaques du complot
patriarcal» sont «vraiment contre-productives». «Au lieu de continuer la marche
émancipatoire du féminisme historique, s'afflige-t-elle, les discours
victimaires, avec leurs agresseurs tapis dans l'ombre, considèrent les femmes
comme toujours vulnérables. Alors que les violences contre les femmes diminuent
depuis l'après-guerre!»
Aînée de sept frères et sœurs,
mère catholique et père athée, tous deux médecins, Caroline De Haas fait ses
armes à l'Unef, puis fonde l'association Osez le féminisme! en 2009. L'affaire
«DSK» la fait connaître ; régulièrement invitée sur les plateaux télé,
elle dénonce le «sexisme», «à tous les échelons». En 2013, elle signe le
«manifeste des 313» : «Je déclare avoir été violée.» Un acte politique,
tout comme l'avait été, en 1971, celui des 343 femmes ayant reconnu avoir
avorté. En réaction à la pétition des «343 salauds», qui protestent contre
la criminalisation des clients de prostituées, elle crée le site
343 connards, qui permet de leur adresser des tweets. Mais la féministe a
l'indignation sélective. Après les agressions sexuelles du Nouvel An 2016 à
Cologne, elle demande à ceux qui accusent les migrants d'aller «déverser (leur)
merde raciste ailleurs». Et, en mai 2017, interrogée sur le harcèlement de rue
dans le quartier Chapelle-Pajol, à Paris, elle propose «d'élargir les
trottoirs»…
«Un talent pour fédérer les
énergies»
Début 2016, sa pétition «Loi
Travail: non, merci!» contre la réforme de Myriam El Khomri
franchira le
seuil du million de signatures. Mais en politique, Caroline De Haas,
c'est aussi une autre série de chiffres, moins grandiloquents. Lors des
européennes de 2014, tête de liste, en Île-de-France, des Féministes pour une
Europe solidaire, elle obtient 0,29 % des suffrages. En 2016, Cécile
Duflot, candidate à la primaire présidentielle écologiste, dont
elle est la directrice de campagne, est éliminée dès le premier tour. Aux
législatives de juin 2017, Caroline De Haas elle-même, soutenue par le
PCF et EELV, ne remporte que 13,6 % des voix.
En 2013, elle
quitte ses fonctions de conseillère auprès de la ministre du Droit des femmes,
Najat Vallaud-Belkacem, pour fonder Egaé, une entreprise de conseil et
de formation en matière d'égalité femmes-hommes. L'objectif est de «percuter
l'illusion de l'égalité», ce «sentiment que les progrès ont été tellement
importants ces dernières années que nous serions presque arrivés à l'égalité».
Au programme, par exemple, en 2018, l'élaboration «d'un diagnostic sur le genre
dans les pratiques organisationnelles» d'une ONG ou «un large plan de
sensibilisation sur le harcèlement moral et sexuel à la Fondation santé des
étudiant·e·s de France». Et ce, «en partant de la réalité professionnelle des
individu·e·s».
«Ce qui est très futé de sa
part, c'est qu'elle a su faire interagir trois champs différents, l'expertise,
les organismes publics, la politique… Mais ça peut parfois poser un problème de
neutralité!»
Une de ses anciennes comparses
militantes
Parallèlement, le site
expertes.eu cherche à donner plus de visibilité aux femmes spécialistes dans
les médias. «Elle a un talent rare pour fédérer les énergies, reconnaît une de
ses anciennes comparses militantes. Ce qui est très futé de sa part, c'est
qu'elle a su faire interagir trois champs différents, l'expertise, les
organismes publics, la politique… Mais ça peut parfois poser un problème de
neutralité!» Voire de conflit d'intérêts, pointent ses détracteurs, en évoquant
ce «Groupe F», cofondé par Caroline De Haas, qui « fait des pétitions pour
demander des formations obligatoires à l'égalité femmes-hommes»… «Pas étonnant,
pour elle dont le business repose essentiellement sur l'argent public, qu'elle
dénonce le manque de moyens du plan gouvernemental!» fait-on remarquer.
«Mais si le gouvernement faisait
ce pour quoi je milite: des formations de au moins tant de % de la population -
Combien? - J'en sais rien, mais faut faire de la masse! - ça signifierait
des milliers de formations dans l'année, rétorque-t-elle. Ils passeraient par
du public, et ma petite boîte, elle coulerait…» Elle qui «pour la première
fois» ne s'est «pas payée le mois dernier» et vient d'«annuler ses vacances»,
se dit «fatiguée» de toutes ces attaques. «Poufiasse», «Gouinasse», «Féministe
de merde», a-t-elle entendu l'autre jour sur son répondeur.
Dans le dernier billet de son
blog, Caroline De Haas résume sa semaine en quelques chiffres: «Cinq déplacements,
deux journées de formation, un RDV commercial et deux réunions
de travail.» «Je réalise que dans chacun de ces moments, soit on m'a rapporté
des faits de violences sexistes ou sexuelles, écrit-elle, soit j'ai été témoin
de telles remarques. À cela s'ajoutent les témoignages reçus, par mail, Twitter
ou Facebook.» Avant de conclure que toutes ces violences additionnées, ça fait
«100 %».
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Brexit : Londres et l'Europe se déchirent sur la
frontière irlandaise (28.02.2018)
Mercredi, Londres et Bruxelles
ont affiché des positions opposées, menaçant de faire capoter le projet
d'accord sur le Brexit. Les unionistes dénoncent même une tentative
d'«annexion» de l'Irlande du Nord par l'UE.
Correspondant à Londres
La vision britannique du Brexit,
aussi floue qu'elle soit, est en train de se déliter sous les coups de boutoir de la Commission européenne.
Au cœur des polémiques: la question de la frontière entre la province britannique
d'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Après avoir menacé
l'accord provisoire entre l'UE et Londres sur les conditions du divorce, en
décembre, le sujet avait alors été caché sous le tapis au profit de vagues
déclarations. Il ne pouvait pas ne pas ressurgir comme un bâton de dynamite
dans les négociations.
L'empressement de Bruxelles à
maintenir l'Irlande du Nord dans une union douanière avec l'Europe y créerait
un régime d'exception et déplacerait la frontière en mer d'Irlande, entre l'île
et la Grande-Bretagne. Une provocation inacceptable pour Londres. Theresa May a
dénoncé un projet qui menacerait «l'intégrité constitutionnelle du
Royaume-Uni». Pour le député unioniste d'Irlande du Nord Ian Paisley, l'Union
européenne cherche tout simplement à «annexer» l'Irlande du Nord. Un terme
également prononcé par un élu conservateur à Westminster, David Jones.
Crainte d'une réunification
Derrière ce fantasme se cache en
filigrane la crainte, plus réelle, d'une offensive en faveur de la
réunification de l'île, portée par le parti nationaliste Sinn Féin. Une
perspective rendue plausible par le casse-tête insoluble du Brexit. Le premier
ministre de la République d'Irlande Leo Varadkar est soupçonné par les
loyalistes d'Irlande du Nord (favorables au maintien dans le Royaume-Uni) de
manœuvrer vers ce dessein. N'a-t-il pas appelé les députés Sinn Féin qui
refusent par principe de siéger au Parlement britannique de surmonter leurs
réticences pour le bien de leur patrie?
Selon Boris Johnson, «la question de la frontière de
l'Irlande du Nord est utilisée à des fins politiques pour essayer de maintenir
le Royaume-Uni au sein de l'union douanière et du marché unique et nous
empêcher de quitter vraiment l'Union».
«Boris Johnson connaît le
risque réel d'une frontière en dur. Il sait que cela pourrait conduire à une
reprise des hostilités»
Tom Brake, député
libéral-démocrate
Le ministre des Affaires étrangères, favorable au Brexit,
s'est distingué par une série de déclarations contradictoires sur ce sujet très
sensible. Mardi matin, il estimait, fort de son expérience d'ex-maire de
Londres, que la démarcation séparant le nord et le sud de l'île - à savoir la
future frontière entre l'UE et le Royaume-Uni - ne serait pas plus complexe à
gérer que celle entre les arrondissements de Camden et Westminster dans la
capitale. Mais, dans une lettre à Theresa May révélée par Sky News le même
jour, il évoque le retour «d'une frontière en dur» en Irlande, perspective
refusée par tous.
Les plus zélés des Brexiters
n'hésitent plus à s'attaquer au tabou des accords de paix du vendredi saint,
dont on célèbre le mois prochain le vingtième anniversaire, qui font obstacle à
leur objectif d'une rupture dure avec l'UE. Ils entendent se défausser de la
responsabilité de la frontière sur les Européens. «Boris Johnson connaît le
risque réel d'une frontière en dur. Il sait que cela pourrait conduire à une
reprise des hostilités. Le gouvernement doit se tenir à l'écart de ce
précipice», prévient le député libéral-démocrate Tom Brake.
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«Faut pas mourir idiot»: ce que révèle l'apologie de
l'expérience immédiate (28.02.2018)
TRIBUNE - L'essayiste
Jean-Philippe Vincent* analyse la propension de nos contemporains à multiplier
les coups de tête. Un relativisme qui fait fi de la sagesse accumulée par les
siècles.
Ernest Renan écrivait en 1859,
dans ses Essais de morale et de critique : «Le but de la
vie n'est pas le bonheur, mais un continuel perfectionnement intellectuel et
moral.» Qui, aujourd'hui, souscrirait à une pareille conception de l'existence?
Personne, ou presque. Renan fait désormais figure de vieux barbon, alors qu'il
y a cent cinquante ans, ce libéral, conservateur, agnostique et républicain
passait pour un esprit très avancé. Autres temps. L'époque n'est plus au
perfectionnement intellectuel et moral, mais à l'apologie de l'expérience
immédiate, de l'expérience pour l'expérience, sans considération pour la
sagesse du passé et sans aucune préoccupation de l'avenir. «Expérimentons sans
limite, comme nos parents soixante-huitards ont joui sans entraves», tel semble
le principe de nos contemporains.
Ainsi marche la nouvelle
République française, à coups d'expériences qui ressemblent à un jeu de
hasard : on lance les dés et on avisera ensuite
En veut-on quelques exemples. Tel
de mes amis, dont l'audace s'était cantonnée à fumer, parfois, une cigarette,
vient de s'offrir une double griserie: joint de cannabis et
ligne de cocaïne: «Faut pas mourir idiot», me confie-t-il avec
gourmandise. Tel autre, naguère si pudibond, vient de s'inscrire sur un site de
rencontres extraconjugales: «Faut pas mourir idiot», me confie-t-il, le sourire
aux lèvres. Et cette nouvelle philosophie de l'expérience gagne du terrain dans
tous les domaines, et notamment en politique. Vous n'avez jamais voté pour un
candidat extrémiste, du
genre Mélenchon ou Le Pen. Mais allez-y, faites donc: «Faut pas mourir
idiot.» Ou bien encore, un candidat presque inconnu, sans rien à son actif (et
guère à son passif) se présente à une élection majeure: «Votez donc pour lui,
ne mourez pas idiot.» Ainsi marche la nouvelle République française, à coups
d'expériences qui ressemblent à un jeu de hasard: on lance les dés et on
avisera ensuite.
Seul compte son expérience.
Elle est celle de l'hyperindividu. Celui-ci ne vit ni dans le présent, ni dans
le passé et pas davantage dans l'avenir : il s'inscrit dans une absolue
immédiateté
Oh, naturellement, certaines de
ces expériences peuvent se révéler a posteriori profitables. Là n'est pas la
question, d'autant qu'en démocratie chacun est libre. Mais quel est le sens de
cette philosophie de l'expérience que nous résumons par l'adage: «Faut pas
mourir idiot»? Le premier est que, dans ce monde de l'expérimentation, le seul
point de vue qui compte est celui de l'individu: il se détermine pour telle
expérience, mais sans aucune considération pour les autres. Il se moque de ses
semblables, même s'il prend soin, pour se couvrir, de soutenir de nombreuses
causes humanitaires. En fait, il ignore ses «prochains»: ils ne comptent pour
rien. Seul compte son expérience. Elle est celle de l'hyperindividu. Celui-ci
ne vit ni dans le présent, ni dans le passé et pas davantage dans l'avenir: il
s'inscrit dans une absolue immédiateté, dans l'éphémère. Pascal aurait dit:
«dans le divertissement». Il n'a évidemment que mépris pour la sagesse
accumulée par les âges: elle est un obscurantisme. Mais il n'a pas davantage
d'estime pour les meilleurs esprits contemporains, dont l'intelligence pourrait
le faire douter de ses choix de vie: il est «l'homme-masse» d'Ortega y Gasset.
Et puis, naturellement, cet homme nouveau tient que toutes les expériences se
valent qu'il ne saurait être question de les évaluer éthiquement et que la
seule chose interdite est de juger une expérience, de la hiérarchiser, de la qualifier.
Dans ce royaume du relativisme absolu, la seule chose proscrite est de
«discriminer» quand il s'agit simplement de sélectionner: toutes les
expériences se valent idem… et distinguer entre de bonnes et de mauvaises
expériences, c'est discriminer, opprimer. C'est l'égalité par défaut chère au
professeur de philosophie politique Philippe
Bénéton.
C'est la condition sine qua
non de sa jouissance sans limites : maintenir les autres sociétaires dans la
servitude de lois qu'il juge dépassées
Curieusement, notre
«homme-masse», notre amoureux de l'expérience pour l'expérience est cependant
un fervent partisan du principe de précaution. Contradiction? Pas du tout.
L'adepte du «faut pas mourir idiot» entend se réserver à lui seul ou, à
l'extrême limite, à quelques-uns de ses pairs, les jouissances de l'expérience
pour l'expérience. Il a besoin que le «populo» continue d'adhérer à la morale
conventionnelle. Il est un peu comme Voltaire (mais sans l'esprit!) qui
préférait que son valet croie en Dieu afin… de n'être pas volé. Par conséquent,
notre adepte du «faut pas mourir idiot» soutient mordicus le principe de
précaution… pour les autres. C'est la condition sine qua non de sa jouissance
sans limites: maintenir les autres sociétaires dans la servitude de lois qu'il
juge dépassées. Par exemple, on exhortera à la justice sociale et l'accueil des
étrangers en prenant pour ses enfants une nounou philippine qu'on traitera en
esclave en la payant «au noir». Ou bien, confortablement allongé dans un des
sofas de son ryad de Marrakech ou de son domaine d'Algarve, notre ami du «faut
pas mourir idiot» vitupère l'évasion
fiscale. Nos «libéraux progressistes» ont une conception de la liberté
et des exigences de la vie en société qui laisse pantois. Ils illustrent à la
façon d'un cas d'école ce qu'on appelle en économie «le dilemme du prisonnier»:
dans un jeu collectif, le progressiste exigera des autres qu'ils se comportent
avec précaution, en suivant les règles, mais lui se réservera le droit de s'en
exonérer, de rouler les autres joueurs et tirer seul son épingle du jeu? Mais
en trichant, bien sûr!
Tricherie morale, naturellement,
et dont leur conscience obscurcie ne leur permet souvent plus de se rendre
compte. Ainsi va la vie des relativistes moraux, des «libéraux culturels», des
progressistes. En définitive, ces «libérés» sont en fait ce que Marx, qu'il
faut parfois relire car sa sociologie était décapante, appelait des «aliénés»
dans ses Manuscrits de 1844. Aliénés par leur ego surdimensionné et
leurs désirs sans limites dont ils deviennent esclaves. Lénine, parlant des
compagnons de route du communisme, avait dit d'eux qu'ils étaient des «idiots
utiles qui tressaient la corde avec laquelle ils seraient pendus». Personne,
évidemment, ne souhaite cela à nos idiots modernes. Ils auront leurs
désillusions. Mais on doit souhaiter que les conservateurs ne cessent pas de
les mettre en garde et tentent de leur faire comprendre que la vie a un sens,
qu'elle est «pour de bon», et qu'il n'est pas indifférent de choisir tel chemin
ou tel autre. Et qu'il serait dommage, à force d'expériences inutiles et
dangereuses, de produire des idiots en série et une société imbécile.
* Auteur de Qu'est-ce
que le conservatisme? Histoire intellectuelle d'une idée politique, Les
Belles Lettres, 2016.
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progressistes»
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conservatisme est un acte de modestie devant l'Histoire»
Luc Ferry : «Pourquoi je ne suis pas centriste» (28.02.2018)
CHRONIQUE - Le «ni droite ni
gauche» appauvrit le débat politique et ouvre la voie à une dangereuse
alternance entre le centre et les extrêmes, écrit notre chroniqueur.
Un ami, forcément macronien comme
tout membre de l'élite qui se respecte, ne comprend pas pourquoi je ne suis
pas, comme lui, follement séduit par ce président centriste, jeune, beau,
sympathique, anglophone et plutôt moins mauvais réformateur que ses
prédécesseurs. Il ne saisit pas que ce n'est pas pour moi une question de
personne, mais d'un rejet ferme, définitif et argumenté du centrisme, du «ni
droite ni gauche» qui laisse hors du jeu politique les quatre autres partis. Je
crains en effet qu'il ne rende l'alternance autre qu'avec les extrêmes au plus
haut point problématique. Macron a certainement de grandes qualités et un
mérite incontestable, celui de nous avoir évité Mélenchon et Le Pen. Pourtant
il y aura, qu'on le veuille ou non, une alternance, peut-être dans quatre ans,
en tout cas dans neuf, puisque la dernière réforme constitutionnelle n'autorise
pas un président à faire plus de deux mandats consécutifs.
«Chez les LREM, sans vouloir
être désobligeant, on ne voit personne, vraiment personne, qui puisse, même
dans quelques années, prendre le relais de Macron»
Luc Ferry
Or la démocratie ne peut pas, ne
doit pas, se passer de la possibilité d'une discussion entre gens raisonnables,
donc, qu'on le veuille ou non, qu'on aime ou pas les partis politiques, d'une
alternance entre une gauche qui se veut maintenant démocratique et une droite
clairement républicaine. Car chez les LREM, sans vouloir être désobligeant, on
ne voit personne, vraiment personne, qui puisse, même dans quelques années,
prendre le relais en admettant même que Macron ait réussi à réformer le pays
tout en devenant assez populaire pour qu'un des siens soit réélu, ce que rien
ne prouve pour le quart d'heure. La dette et les déficits continuent de se
creuser, la réforme de la formation professionnelle est pour l'instant mal
engagée, le recul un peu misérable face aux zadistes de Nantes va laisser des
traces et les propositions sur l'Europe restent à la fois discutables et peu
crédibles aux yeux de nos partenaires (mon Dieu, quelle idée de vouloir élargir
encore l'Europe aux pays des Balkans qui n'y sont pas au lieu d'approfondir nos
liens!). Bref, à part la flat tax de 30 % sur les revenus du capital et
les réformes conduites par Blanquer, il n'y a pour le moment aucun indice
sérieux qui puisse assurer que les choses aillent vraiment vers le mieux. Bien
sûr, tout peut encore changer et d'évidence, il est trop tôt pour faire le
moindre bilan, mais pour le moment rien de grandiose n'a été mis en chantier
alors que l'alternance, elle, est déjà programmée.
«Faute d'une opposition
responsable, le débat politique français ne fait qu'opposer dans un jeu stérile
le centre et les extrêmes, le mou et le dur»
Luc Ferry
Pour expliquer le fait que la
démocratie repose sur le pluralisme et ce dernier sur l'alternance, on peut donner
des arguments factuels, souligner qu'il en va de facto ainsi dans toutes les
démocraties. Voyez les États-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, et tous les
autres exemples que vous voudrez trouver. Il n'y a aucune exception. Toujours,
on y trouve une opposition entre droite et gauche, républicains et démocrates,
libéraux et socialistes, conservateurs et travaillistes, peu importent les
dénominations, les faits sont là. Certes, mais il y a plus. En ces temps
troublés où notre président prétend renverser la table en sacralisant le
centre, où Bayrou applaudit à la victoire par contumace de ses idées, se
contenter de dire que ça a toujours été comme ça n'est pas suffisant. En
réalité, si l'alternance entre gens raisonnables est vitale pour la démocratie,
c'est aussi parce que cette dernière est fondamentalement inséparable de
l'éthique de la discussion, d'une certaine conception du débat contradictoire
qui, certes, peut échouer, mais qui, lorsqu'il est de bonne tenue, est le seul
moyen de parvenir à dégager une vérité touchant l'intérêt général. Or pour
l'instant, ce débat est en France infranul.
Faute d'une opposition
responsable, il ne fait qu'opposer dans un jeu stérile le centre et les
extrêmes, le mou et le dur. Voyez l'exemple de l'Europe: le problème n'est
nullement Frexit ou pas Frexit, fédéralisme à tous crins ou souverainisme
méchenchonolepéniste, mais quelle Europe? Celle de l'élargissement sans fin
voulue par Macron ou une Europe resserrée autour de quelques projets cruciaux
et dotée enfin des normes fiscales et sociales communes? Or ce débat est pour
le moment occulté, les partis de gouvernement étant encore sous le choc de leur
défaite. Je souhaite donc ardemment le retour de partis intermédiaires entre le
centre et les extrêmes. Si j'étais de gauche, j'aurais soutenu Valls, mais
comme je suis de droite, j'attends de Wauquiez et de ses amis qu'ils reprennent
la main et proposent un programme assez intelligent et original pour remettre
la droite républicaine en ordre de marche.
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Le sort des immigrés africains divise Israël (28.02.2018)
Le gouvernement Nétanyahou entend
expulser les dizaines de milliers d'Érythréens et de Soudanais arrivés dans les
années 2000, une politique qui suscite la réprobation d'une partie de la
population israélienne.
Correspondant à Jérusalem
Benyamin Nétanyahou ne
s'attendait sans doute pas à une telle levée de boucliers lorsqu'il a promis,
en août dernier, de «rendre les quartiers sud de Tel-Aviv aux citoyens
d'Israël». Mais voici que, depuis quelques semaines, les pétitions et les
rassemblements se multiplient contre sa politique envers les migrants
africains. Intellectuels, pilotes de ligne, médecins et survivants de la Shoah
se donnent la main pour réclamer l'abrogation d'une loi qui ne laisse à ces
migrants que deux options: quitter le pays ou aller en prison. Plus de
20.000 personnes ont manifesté contre ce texte samedi près de la gare
centrale de Tel-Aviv, à l'endroit même où l'afflux d'Érythréens et de Soudanais
provoqua il y a quelques années de très vives tensions.
Un centre de détention au
milieu du désert
Les autorités israéliennes,
longtemps épargnées par les flux d'immigration illégale, furent surprises à la
fin des années 2000 par une brusque arrivée de migrants venus pour la
plupart de la Corne de l'Afrique après avoir traversé le Sinaï. Conscientes
qu'il serait malvenu de les renvoyer vers leur pays d'origine, elles ne
souhaitèrent pas pour autant leur accorder l'asile politique et optèrent pour
un régime de «protection de groupe». Près de 40.000 Africains furent
accueillis puis acheminés vers des quartiers déjà fortement paupérisés de
Tel-Aviv, où la population israélienne ne tarda pas à exprimer sa colère. Le
gouvernement, craignant d'être submergé, décida en 2012 d'ériger une clôture à
la frontière avec l'Égypte. Mais la démarche ne suffit pas à rassurer une
frange de l'opinion désormais inquiète pour son identité.
En 2014, Benyamin Nétanyahou
ordonna l'ouverture d'un centre de détention au beau milieu du désert afin d'y
interner une partie des migrants entassés à Tel-Aviv. Chacun d'entre eux se vit
proposer une enveloppe de 3.500 dollars pour quitter le territoire vers
l'un des deux pays tiers avec lesquels Israël venait de signer un accord secret
en ce sens - l'Ouganda et le Rwanda, selon les médias israéliens.
«Le système de traitement des
demandes d'asile, totalement embouteillé, ne tient pas compte de la situation
politique très particulière qui prévaut en Érythrée»
Jean-Marc Liling, directeur du
Centre pour les migrations internationales et l'intégration, une ONG
israélienne
«On estime qu'environ
4.000 personnes se sont laissées tenter par cette proposition, explique
Dror Sadot, porte-parole de l'ONG Hotline for Refugees and Migrants. Mais nos
contacts avec ces gens montrent que, en dépit des promesses qui leur avaient
été faites, personne ne les attendait à leur arrivée sur place, et que beaucoup
ont fini par poursuivre leur chemin vers l'Europe.»
Ceux qui sont restés en Israël, à
force de pressions, ont obtenu l'autorisation de déposer une demande d'asile. Mais
seules 12 réponses positives ont été délivrées sur un total de
16.000 dossiers, dont environ 6.000 se seraient au contraire déjà soldés
par un refus. «Le système de traitement, totalement embouteillé, ne tient pas
compte de la
situation politique très particulière qui prévaut en Érythrée - comme
le montre le fait que la plupart des jeunes hommes ayant fui le service
militaire ont été déboutés», regrette Jean-Marc Liling, directeur du Centre
pour les migrations internationales et l'intégration, une ONG israélienne.
Résolu à obtenir le départ de
cette population, le gouvernement leur laisse désormais le
choix entre le départ et l'emprisonnement pour une durée illimitée. Les
services pénitentiaires ont d'ores et déjà indiqué que leurs établissements
surchargés ne seraient pas en mesure d'absorber ces nouveaux pensionnaires.
Cet article est publié dans
l'édition du Figaro du 01/03/2018. Accédez à sa version
PDF en cliquant ici
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Le rap dans le collimateur des autorités chinoises
(28.02.2018)
Les autorités chinoises,
surprises par la soudaine popularité du hip-hop, ont rapidement étendu leur
contrôle sur ce genre dont elles dénoncent la vulgarité et le «mauvais goût».
L'essor fulgurant des rappeurs
chinois, avec leurs tatouages, leurs cheveux longs réunis en dreadlocks et
leurs textes provocateurs, ne plaît visiblement pas au président Xi
Jinping, pour qui l'art doit promouvoir «le Parti» et les «valeurs
socialistes». Encore confidentiel il y a quelques années, le rap est désormais
dans le collimateur des autorités, qui en dénoncent le «mauvais goût».
Ce style musical a vu sa
popularité décoller l'an dernier grâce au succès de d'une émission de
télécrochet sur Internet, «The rap of China», vue quelque 3 milliards de
fois. Mais les deux gagnants du show sont aujourd'hui interdits d'antenne. Zhou
Yan, connu sous le nom de «GAI», a soudainement disparu en janvier d'une autre
émission populaire «The singer», sans la moindre explication. Il avait pourtant
tenté de montrer patte blanche en rappant une ode à la «mère patrie» avec le
public dans un autre programme télévisé.
Un durcissement paraît
inéluctable
De son côté, Wang Hao (PG One) a
été cloué au pilori par la presse officielle pour une chanson datant de 2015
dans laquelle il se vante d'avoir abusé d'une femme et semble encourager
l'usage des drogues douces. Contraint de s'excuser publiquement, le rappeur a
regretté s'être laissé influencer «par la culture hip-hop et la musique noire»
et promis d'apporter à l'avenir davantage «d'énergie positive». Mais ses titres
ont rapidement été retirés des sites de musique en ligne. «Bannir un chanteur
est une action terrible. Je n'aime pas les gens vulgaires, mais tout le monde
devrait avoir le droit de l'être», a réagi un internaute sur Weibo, le Twitter
chinois, tandis qu'un autre craignait à l'inverse qu'une description trop noire
de la société ne «perturbe» la jeunesse.
Zhou Yan, connu sous le nom de
«GAI», a soudainement disparu en janvier d'une émission populaire, sans la
moindre explication. - Crédits photo : China Stringer Network/REUTERS
Dans ce contexte tendu, «les
perspectives semblent sombres pour le hip-hop en Chine», titrait récemment
l'influent quotidien nationaliste Global Times. Ce journal d'État,
pour qui le rap a pour fonction de permettre aux jeunes d'évacuer «leur colère,
leur misère et leurs plaintes», estime qu'il ne convient pas à la Chine et «ne
peut pas y prospérer». Un
haut responsable de l'agence chargée de superviser les médias aurait même
annoncé une directive interdisant aux télévisions de passer à l'antenne «des
artistes avec des tatouages, la musique hip-hop» et les musiciens «en conflit
avec les valeurs essentielles et la morale du Parti», selon le portail
d'information Sina.com.
Une telle réglementation n'a pas
encore été rendue publique. Mais un durcissement paraît inéluctable, tant le régime
accélère sa traque des contenus jugés immoraux ou politiquement sensibles.
Certains rappeurs se plaignent par ailleurs d'avoir de plus en plus de mal à se
produire sur scène. Début février, un concert du groupe pékinois Purple Soul,
prévu dans la capitale, a été annulé à la dernière minute, sans explication.
«C'est très dangereux d'être un rappeur», estiment ses membres, dont l'ambition
est de «faire réfléchir plus les gens», et qui observent que la plupart des
artistes du secteur ont subi les effets de la campagne menée par les journaux
d'États.
120 chansons interdites en
2015
Le Parti communiste chinois (PCC)
a «été surpris par la soudaine popularité du hip-hop et s'inquiète de l'ampleur
inédite de son audience», observe Nathanel Amar, post-doctorant à l'Université
de Hongkong. Or si le régime «s'accommode tant bien que mal d'une
contre-culture féroce comme le rock, le punk et le rap, tant qu'elle reste
confidentielle», il exerce systématiquement sa censure sur les formes
culturelles les plus populaires, complète ce chercheur. Le gouvernement aura
sans doute du mal à faire disparaître complètement le rap, d'autant que
certains groupes, comme CD-Rev, sont ouvertement pro-Parti et nationalistes.
Cette musique devrait en revanche
«se réfugier dans l'underground» ou s'adapter aux nouvelles règles de la
censure, pronostique Nathanel Amar. Le contrôle des contenus culturels s'est
considérablement accru depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, fin 2012. Les
autorités ont notamment interdit 120 chansons en 2015, essentiellement du rap,
au motif qu'elles faisaient la promotion de «l'obscénité, de la violence, du
crime» ou qu'elles «menaçaient la moralité publique».
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En Israël, la prison ou l'exil : l'impossible choix des
migrants d'Holot (28.02.2018)
REPORTAGE - 800 migrants
originaires d'Afrique sont assignés à résidence au centre de détention de
Holot, situé aux confins du Néguev.
Envoyé spécial à Holot
Le désert s'étend, infini, autour
des baraquements et des barbelés. Une ambiance crépusculaire flotte aux abords
du centre de détention de Holot, dans le sud d'Israël, où quelque
800 migrants originaires d'Afrique sont assignés à résidence. Situé aux
confins du Néguev, tout au bout d'une route qui vient mourir au pied de la
frontière avec l'Égypte, le camp a été créé en 2014 pour rassembler ceux que l'État
hébreu cherchait à convaincre de quitter le territoire. En vertu d'une
loi entrée en vigueur ces dernières semaines, ses pensionnaires ont désormais
un mois pour choisir entre départ «volontaire» et détention illimitée.
Tesfazgi Asgodom, 32 ans,
est arrivé à Holot le 14 octobre 2017. Comme les visiteurs n'ont pas
le droit de pénétrer dans le centre, il reçoit sous un abri en bois aménagé à
l'extérieur. Un camion souffreteux l'interrompt de temps à autre, soulevant des
volutes de poussière et de sable blond. Campé sur une chaise en plastique, le
jeune homme ne sait trop par où commencer. Son arrivée en Israël, le
1er janvier 2012, au terme d'un épuisant périple? Ou bien son arrestation
à Eilat, l'été dernier, alors que son visa de court séjour venait d'arriver à
expiration?
«Nous préférons passer notre
vie entière en détention plutôt que d'être expédiés dans un pays où personne ne
nous attend»
Tesfazgi Asgodom, un migrant
érythréen
«Il y a trois semaines, se
lance-t-il, l'administration du centre nous a fait savoir qu'on a désormais le
choix entre partir pour le Rwanda et aller en prison. Ils nous ont promis
3500 dollars si on accepte de prendre l'avion, mais pour la plupart
d'entre nous, c'est hors de question. Nous préférons passer notre vie entière
en détention plutôt que d'être expédiés dans un pays où personne ne nous
attend.»
Silhouette longiligne, vêtu d'un
pantalon de toile kaki et d'un chandail gris, Tesfazgi raconte dans un anglais
courant l'exode entamé un jour de 2011. Originaire du sud de l'Érythrée, le
jeune homme achève alors sa deuxième année d'un service national obligatoire
dont il ne voit pas la fin - un esclavage qui ne dit pas son nom. «Je
n'étais pas payé, précise-t-il, et les autorités m'avaient confisqué diplômes
et papiers d'identité. J'étais totalement à leur merci.»
3400 dollars pour voyager
entassé à 15 au fond d'un pick-up
Comme des milliers de jeunes
Érythréens à cette époque, Tesfazgi se résout à fuir à pied en direction de
l'Éthiopie, puis du Soudan. À plusieurs reprises, précise-t-il, son petit
groupe de déserteurs manque d'être arrêté ou abattu par des gardes-frontières.
Mais partout où ils passent, la misère de leurs compatriotes entassés dans des
camps de fortune les incite à poursuivre leur route. Alors ils mettent le cap au
nord, direction Israël. «J'ai donné 3400 dollars à un passeur bédouin pour
voyager pendant trois semaines, entassé avec quinze autres personnes au fond
d'un pick-up, à travers le Sinaï.»
Six années plus tard, Tesfazgi
n'a rien oublié de la peur, des mauvais traitements, ni de ses camarades
disparus au cours de la traversée, faute d'avoir pu payer les passeurs. Mais
contrairement à ce qu'il espérait, son entrée sur le sol israélien ne marque
pas la fin de son errance. Interpellé dès son arrivée, il est transféré dans un
centre de rétention pour y subir des examens médicaux, puis relâché.
«Les autorités ont longtemps
fermé les yeux parce que de nombreuses entreprises avaient besoin de
main-d'œuvre peu qualifiée et bon marché»
Tesfazgi Asgodom, un migrant érythréen
Dans les semaines qui suivent,
Tesfazgi décide de rejoindre Eilat, au bord de la mer Rouge, où il commence à
apprendre l'hébreu et trouve un emploi de serveur dans un hôtel. Son visa,
qu'il doit renouveler tous les deux mois, lui interdit en théorie de
travailler. Mais son patron ne s'en inquiète guère. «La vérité, observe-t-il,
c'est que les autorités ont longtemps fermé les yeux parce que de nombreuses
entreprises avaient besoin de main-d'œuvre peu qualifiée et bon marché. Depuis
2016, elles poussent le cynisme jusqu'à prélever des taxes sur nos salaires
alors que ceux-ci sont censés être illégaux…»
Réfugiés désœuvrés
À mesure que les années passent,
toutefois, et que l'opinion publique se durcit contre ceux qu'on désigne ici du
vilain nom d'«infiltrés», Tesfazgi Asgodom voit son horizon s'assombrir. Après
avoir longtemps tergiversé, le gouvernement a bien autorisé les migrants venus
d'Érythrée, d'Éthiopie et du Soudan à déposer une demande d'asile. Mais
l'administration israélienne, contrairement à la plupart des pays européens,
refuse de considérer la conscription pratiquée par le régime d'Asmara comme un
motif suffisant pour accorder le statut de réfugié. «S'ils jugent que
l'Érythrée est un pays sûr, pourquoi ne nous y renvoient-ils pas tout simplement?»,
se désole le jeune homme.
«On continue de nous regarder
comme des envahisseurs alors que nous demandons juste à bénéficier des droits
élémentaires qui nous ont été déniés dans notre pays»
Tesfazgi Asgodom, un migrant
érythréen
Placé en détention à Holot,
Tesfazgi peut en sortir dans la journée, mais doit y pointer chaque soir.
Désœuvré, il tente de fédérer ses camarades de détention en attendant d'être
fixé sur son sort. À en croire l'ONG israélienne Hotline
for Refugees and Migrants, plusieurs centaines d'entre eux ont déjà été
sommés de choisir entre le départ et la prison. Une vingtaine auraient été
expédiés au centre pénitentiaire de Saharonim, dont les hauts murs grisâtres
s'élèvent à quelques dizaines de mètres seulement de Holot.
«Les autorités israéliennes
essaient de nous faire croire que le Rwanda est un pays en pleine croissance où
nous serons accueillis comme des rois, mais nous savons qu'il s'agit d'un mensonge,
accuse le jeune homme. Ce n'est pas par hasard que la plupart de nos frères qui
ont accepté d'y tenter leur chance sont depuis lors repartis dans l'espoir de
gagner l'Europe. On sait même que certains d'entre eux ont été assassinés par
l'État islamique alors qu'ils traversaient la Libye.»
Amer et fatigué, Tesfagzi Asgodom
dit ne pas comprendre le rejet dont les migrants africains sont aujourd'hui la
cible. «Plusieurs années après notre arrivée, déplore-t-il, on continue de nous
regarder comme des envahisseurs alors que nous demandons juste à bénéficier des
droits élémentaires qui nous ont été déniés dans notre pays.»
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Slovaquie : le journaliste assassiné enquêtait sur des liens
possibles avec la mafia italienne (28.02.2018)
Par Ottilia
Ferey et AFP, Reuters AgencesMis à jour le 28/02/2018 à 19h00 |
Publié le 28/02/2018 à 18h43
Le journaliste slovaque tué par
balles, Jan Kuciak, était sur le point de publier un article sur la corruption
de haut niveau impliquant la mafia italienne et des politiques dans ce petit
État de la zone euro.
«La mafia italienne en Slovaquie,
ses lutins s'étendent à la politique». Voici le titre de l'article qu'était en
train de rédiger le journaliste slovaque Jan Kuciak, assassiné entre jeudi et
dimanche. Dans la nuit de mardi à mercredi, le site d'informations pour lequel
il travaillait a publié, avec d'autres médias, une version inachevée de son
article. Comme son titre l'indique, le journaliste planchait sur une affaire de
corruption à haut niveau en Slovaquie impliquant la mafia italienne et des
politiques. Le ministre slovaque de la Culture Marek Madaric, allié de longue
date du premier ministre Robert Fico, a démissionné ce mercredi. «Franchement,
en tant que ministre de la Culture, je ne peux supporter qu'un journaliste ait
été assassiné alors que j'étais en fonctions», a-t-il déclaré.
Le
meurtre du journaliste et de sa compagne, révélé pendant le week-end, a
provoqué un choc en Slovaquie. Le crime a été condamné fermement par des
dirigeants de l'UE et d'organisations internationales. Jan Kuciak, 27 ans,
travaillait pour le site aktuality.sk, appartenant à l'Allemand Axel Springer
et au Suisse Ringier. Il se spécialisait dans les affaires de corruption, dont
celles concernant les possibles liens entre le monde des affaires et le parti
SMER-SD du premier
ministre Robert Fico. L'article qu'il était sur le point de publier
portait sur les relations politiques présumées d'hommes d'affaires italiens
soupçonnés d'être liés à la mafia calabraise ‘Ndrangheta qui opérerait dans
l'est de la Slovaquie. «Les Italiens liés à la mafia ont trouvé un second foyer
en Slovaquie: ils ont commencé à faire des affaires, recevoir des subventions,
collecter des fonds européens, mais surtout établir des relations avec des
personnalités politiques influentes, jusqu'au gouvernement slovaque» écrivait le
journaliste dans son article. Les critiques du premier ministre slovaque n'ont
pas tardé. «Lier, sans preuve à l'appui, des gens innocents avec un double
homicide c'est franchir la ligne», a-t-il reproché aux journalistes, en
montrant des piles de billets représentant une prime d'un million d'euros pour
toute information sur le crime.
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les journalistes sont pris pour cible
Le premier ministre slovaque
Robert Fico entouré du chef de la police, Tibor Gaspar et du ministre de
l'Intérieur Robert Kalinak. - Crédits photo : VLADIMIR SIMICEK/AFP
Un assassinat brutal
Les corps du journaliste et de sa
compagne, Martina Kusnirova, ont été découverts dimanche dans leur maison à
Velka Maca, à environ 65 kilomètres à l'est de Bratislava. Jan Kuciak a été tué
d'une balle à la poitrine alors que sa compagne a été touchée à la tête. La
police aurait trouvé des munitions disposées autour des corps, le
quotidien Pravda décrivant la scène comme faisant penser à un
«avertissement».
Ce meurtre fait écho à celui de
la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia assassinée en octobre 2017 à
Malte dans l'explosion de sa voiture, piégée, devant son domicile. Cette
dernière avait également dénoncé la corruption sur l'île méditerranéenne.
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une célèbre journaliste d'investigation assassinée
Le ministre de l'Interieur a
indiqué que les enquêteurs «communiquaient» avec l'Italie. Le chef de la
police, Tibor Gaspar, pour qui le meurtre était «très probablement» lié aux
investigations de Jan Kuciak, a demandé la retenue aux journalistes, lançant:
«Comment pouvons-nous faire notre travail efficacement si vous alertez les
personnes qui pourraient être impliquées». Mais le député conservateur d'opposition
Igor Matovic a appelé les deux hommes à la démission leur reprochant de n'avoir
pas pris au sérieux les menaces envers le journaliste et de ne pas l'avoir
placé sous protection: «Kalinak et Gaspar sont responsables de la sécurité des
gens dans ce pays et en raison de leur incapacité à empêcher cet assassinat
brutal, ils devraient démissionner». Le ministre de la Culture a, quant à lui,
déjà donné sa démission ce mercredi.
Des journalistes «sales
prostituées anti-Slovaques»
Connu pour ses commentaires
acerbes envers des journalistes qu'il a qualifiés de «simples hyènes idiotes»
de «sales prostituées anti-Slovaques» ou encore de «serpents visqueux», le
premier ministre a rencontré mardi les responsables des principaux médias pour
leur assurer «que la protection de la liberté d'expression et la sécurité des
journalistes» était «une priorité» pour son gouvernement.
À Bratislava, des centaines de
personnes continuaient de se rassembler à la mémoire du journaliste et une
manifestation anti-corruption était prévue ce mercredi après-midi. «Le meurtre
d'un journaliste à cause de son travail, c'est peut-être possible dans les
Balkans, peut-être au Moyen Orient, cela arrive sûrement en Russie, mais pas
dans l'Union européenne. Il n'y a qu'une réponse à ce genre d'acte, finir son
travail», a déclaré à l'AFP Arpad Soltesz, un journaliste travaillant pour la
télévision slovaque JOJ et ancien collègue de Jan Kuciak. Selon lui, «les
hommes politiques ont leur part de responsabilité dans le meurtre de Jan, au
moins en propageant la haine contre les journalistes».
La
Fédération internationale des journalistes (FIJ) dénombre plus de 2.500 morts
dans le monde depuis 1990, prenant en compte les journalistes mais
aussi les autres collaborateurs de médias. Sur cette même période, l'ONG
comptabilise plus de 350 morts en Europe, ce qui en fait la zone la moins
dangereuse pour la profession.
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L'Italie, maillon faible de la zone euro, face à un vote
incertain (28.02.2018)
INFOGRAPHIE - Le pays, très
endetté, profite tout juste de la reprise. Les élections législatives de
dimanche pourraient le fragiliser un peu plus.
Si la conjoncture européenne est
au beau fixe, sur le plan politique, les nuages se concentrent au-dessus de
l'Italie. La semaine dernière, Jean-Claude Juncker, le président de la
Commission européenne, s'est déclaré davantage inquiet du résultat des élections italiennes que de
celui du référendum interne du SPD, qui se clôt dimanche 4 mars, le même jour
que le scrutin en Italie. Le patron de la Commission a jeté de l'huile sur le
feu en redoutant une «réaction forte» sur les marchés après le vote italien.
«Nous devons nous préparer au pire scénario, a-t-il lancé, qui pourrait être de
ne pas avoir de gouvernement opérationnel en Italie.» Ses propos ont créé de la
nervosité sur les Bourses européennes.
À trois jours du scrutin, l'issue
reste la plus incertaine de l'après-guerre, avec quelque 45 % d'Italiens
toujours indécis. Les derniers sondages donnent une courte majorité à la
coalition de droite, entre Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi,
toujours actif à 81 ans mais affaibli pour son septième combat électoral, et
les forces d'extrême droite, la Ligue du Nord et le parti néofasciste Fratelli
d'Italia. Une alliance de circonstance mais un curieux attelage entre
proeuropéens et souverainistes anti-immigration. «S'ils arrivent à former une
majorité, ce qui est loin d'être acquis et va prendre du temps, il y aura
certainement du tiraillement qui affaiblira l'image de l'Italie au sein de l'UE
et menacera sans cesse la cohésion de la majorité», note Marc Lazar, expert de l'Italie
à Sciences Po.
Risques sur les marchés
Le risque est bien de créer de
nouvelles turbulences sur les marchés, car l'Italie reste, en dépit de la
reprise économique, le maillon faible de la zone euro. La troisième puissance
de l'union monétaire est lestée d'une dette publique qui atteignait 134 %
du PIB fin 2017. «Il pourrait y avoir des tensions sur le marché de la dette,
commente Jacques Le Cacheux, professeur d'économie à l'université de Pau.
Certes, la Banque centrale européenne a les moyens d'agir mais moins aisément
car elle est dans la phase de réduire la politique de soutien massif.»
Les Italiens sont de plus en plus
tentés par les partis populistes, une droite plus radicale et le Mouvement 5
étoiles. «Les enquêtes le montrent, le sentiment antieuropéen monte. L'Italie
est un des pays d'Europe où l'attachement à l'euro est le plus faible»,
souligne Marc Lazar. Comme s'ils ne percevaient pas les effets de la reprise. Après plusieurs années de
récession puis de croissance anémique, le PIB a progressé l'an dernier de
1,5 %, un plus haut depuis sept ans.
«L'économie italienne s'est
raccrochée au train de la reprise européenne», note Paola Montperrus-Veroni,
économiste zone euro au Crédit agricole. L'investissement productif a nettement
accéléré, la consommation des ménages continue de croître depuis mi-2014,
soutenue par une amélioration du pouvoir d'achat, les créations d'emploi et la
décrue du chômage. «Une croissance autonome est à l'œuvre, l'Italie est entrée
dans un cercle vertueux», ajoute l'économiste.
Sous-investissement
2017 a marqué le redressement du
secteur bancaire italien, qui croulait sous les créances douteuses. L'État a
orchestré le sauvetage de la banque toscane emblématique, Monte dei
Paschi. Le rythme de nettoyage des bilans s'accélère, à la faveur de la
reprise économique.
Cette reprise n'est toutefois pas
suffisante pour rattraper les années difficiles. «Depuis vingt ans, l'Italie
s'est beaucoup appauvrie, constate Jacques le Cacheux. Ainsi, le PIB par tête
qui représentait 120 % de la moyenne européenne en 1999 est tombé à
96 % l'an dernier.» En cause, argue-t-il, le sous-investissement, des
politiques inadéquates, le manque de productivité et d'innovation…
Fin 2017, la production
industrielle était encore inférieure de 20 % à son niveau d'avant-crise
contre 8,5 % pour la France et 6 % en Allemagne. L'Italie
souffre aussi d'un écart structurel entre le Nord et le Sud, plus pauvre et
moins industrialisé. «La productivité y est encore plus faible et les
industries très peu intégrées aux chaînes de valeur mondiales», appuie
Alessandra Lanza, économiste du cabinet de consultants Prometeia. La plupart
des experts ne voient guère un gouvernement capable de poursuivre les réformes
nécessaires émerger d'une campagne marquée par le populisme.
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sera-t-elle gouvernable après les élections?
Italie : «L'urgence est de lancer un grand plan
d'investissement» (28.02.2018)
INTERVIEW - Président depuis 2016
de Confindustria, la principale organisation patronale italienne, Vincenzo
Boccia attend du futur gouvernement qu'il prolonge les réformes entreprises.
LE FIGARO. - Vous avez
récemment évoqué, lors des assises générales de Confindustria, le risque de
«retour en arrière» à propos des élections au résultat très incertain.
Êtes-vous inquiet?
Vincenzo BOCCIA. -
Attendons les résultats! Nous espérons un gouvernement qui aura la compétence
sur les enjeux macroéconomiques. Le risque existe en effet si les réformes
mises en place, que ce soit sur le marché du travail (Jobs Act) ou sur les
retraites, sont remises en cause. Un risque de faire repartir à la hausse le
déficit et la dette publique. Ces réformes ainsi que la promotion du plan
industrie 4.0 ont eu un impact positif sur l'économie réelle. L'an dernier, la
croissance est bien repartie, l'investissement industriel a progressé de
30 % et les exportations de 7 %.
Ne redoutez-vous pas une
nouvelle période d'instabilité si aucune majorité claire ne ressort?
C'est l'histoire de l'Italie. On
a toujours eu des gouvernements instables, d'une longévité de 18 à 24 mois. Il
nous faut surtout moins d'idéologie et plus de concret pour l'économie réelle.
Nous avons aussi besoin de politiques forts pour porter haut la voix de
l'Italie à la Commission européenne, sur la question du budget européen et de
la réforme de la zone euro.
«L'Italie est le deuxième
pays européen doté du plus haut potentiel industriel. Beaucoup de PME ont déjà
progressé en se positionnant sur ce projet 4.0 d'industrie à haute valeur
ajoutée»
Qu'attendez-vous du futur
gouvernement?
Une vision pour le pays! Qu'il
définisse des priorités, des objectifs et des instruments pour les atteindre.
Créer de la confiance, c'est très important. Nous avançons plusieurs
propositions pour nourrir le débat. Mais il ne s'agit pas d'un programme, nous
ne sommes pas un parti!
L'urgence est de lancer un grand
plan d'investissement que nous chiffrons à 250 milliards d'euros sur cinq
ans en utilisant plusieurs leviers: fonds européens, publics et privés. Il faut
investir dans les infrastructures, la formation professionnelle, l'innovation…
Ainsi, nous pourrons atteindre une croissance annuelle de 2 %, créer 1,8 million
d'emplois et réduire la dette publique de 20 points. L'Italie est le deuxième
pays européen doté du plus haut potentiel industriel. Beaucoup de PME ont déjà
progressé en se positionnant sur ce projet 4.0 d'industrie à haute valeur
ajoutée.
Il y a un écart de
développement et de richesse important entre le nord et le sud. N'est-ce pas un
frein majeur?
Il y a en effet un problème de
fond. Dans le Nord, les entreprises ont du mal à recruter des jeunes. Alors que
dans le Sud, ils sont confrontés à un chômage très élevé. Il faut un plan
national d'investissement public ciblé sur le sud, axé sur l'éducation et la
formation.
La fragilité des banques a
aussi pesé sur l'économie. Quel est votre diagnostic?
Il n'y a pas de risque
systémique. Les fondamentaux des quatre grandes banques (Banca Intesa Sanpaolo,
Unicredit, Banco BPM et BNL) sont solides. Il faut laisser le temps au secteur
de nettoyer les créances douteuses. Cela étant, je trouve que les règles
européennes ne sont pas adaptées, on a d'un côté une politique monétaire très
expansive et des règles bancaires très restrictives, sur les exigences de
capital.
Cet article est publié dans
l'édition du Figaro du 01/03/2018. Accédez à sa version
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Italie : la Calabre, minée par la crise et la mafia locale
(28.02.2018)
REPORTAGE - Cette région
déshéritée bat les records de chômage et de pauvreté et voit la Ndrangheta, la
mafia locale, gangrener son économie et freiner son développement.
Envoyée spéciale à Lamezia
Terme
La famille Laruffa est ancrée de
longue date en Calabre. À Polistena, petite ville sans prétention de 10.000
habitants qui vit du commerce et de l'agriculture, Gaetano a fait prospérer
l'entreprise de matériaux de construction, fondée par son père à
l'après-guerre. Nives, son épouse, petit bout de femme pétillante, originaire,
elle, de la Sicile voisine, se remémore les années fastes du bâtiment. «Les
parents construisaient des maisons pour leurs enfants, dès leur plus jeune âge.
Aujourd'hui, non seulement les femmes ont moins d'enfants (taux de fécondité
tombé à 1,3) mais les jeunes, faute de travail, quittent la région»,
regrette-t-elle. La «mamma» sicilienne en sait quelque chose. Ses trois fils
ont émigré. L'aîné se destine à l'architecture à Milan, dans
la prospère Lombardie ; le cadet est avocat à Rome et Matteo, 28
ans, étudie les sciences politiques à Harvard, aux États-Unis. Aucun des trois
ne veut reprendre l'entreprise familiale.
Et pour cause, la crise a été
particulièrement sévère dans cette région déshéritée, la plus pauvre du pays.
Le Mezzogiorno (sud de l'Italie) a perdu 13 points de PIB en sept ans de
récession, de 2008 à 2014. «500.000 jeunes sont partis, le taux d'emploi
atteint 46 % contre 70 % en moyenne en Europe», précise Giuseppe
Provenzano de Svimez, un think-tank basé à Naples. La Calabre bat les records
de chômage - 58 % chez les jeunes - et de pauvreté. Si le Sud a renoué
avec la croissance en 2015, surpassant l'an dernier la moyenne nationale,
Polistena ne montre guère les stigmates de la reprise. En cette fin janvier, le
showroom Laruffa de faïence et salles de bains est désespérément vide.
L'immense entrepôt croule sous le matériel invendu. La PME n'emploie plus que
quatre salariés sur une quinzaine auparavant. En cause: la baisse du pouvoir
d'achat, effet de la crise et de l'austérité, la concurrence de la grande
distribution et le travail au noir. Gaetano dénonce la «concurrence
déloyale» des «entreprises qui ne paient pas les taxes et sous-paient leurs
employés».
Impacts de balles
Ceci sans compter la Ndrangheta,
nom de la mafia locale, qui gangrène l'économie. «La règle est de ne pas
devenir trop important», glisse Gaetano en montrant les impacts de balle devant
son magasin qui datent d'une dizaine d'années. Le Calabrais a toujours refusé
de céder aux pressions. Pour Domenico Fazzari, gérant de la coopérative
agricole Valle del Morro, lancée en 2004, pas question non plus de se laisser
intimider. Marqué à l'adolescence par les violences - un monument dans le
centre-ville dresse la trop longue liste des victimes du crime organisé -
Domenico a milité pour Libera.
«On continue de subir des
attaques de la mafia, l'an dernier, ils ont cassé des machines et mis le feu à
des oliviers.»
Domenico Fazzari
Ce mouvement populaire, initié en
1995, a recueilli 1 million de signatures et donné lieu à une loi sur la
confiscation des biens de la mafia. C'est sous ce label «dalle terre libere
dalle mafie» que l'huile d'olive Valle de Morro est vendue dans toute l'Italie.
«On nous a pris pour des fous. C'est vrai qu'il a fallu partir de rien, relate
le quadra. La mafia avait détruit toutes les plantations. On continue de subir
des attaques, l'an dernier, ils ont cassé des machines et mis le feu à des
oliviers.» La coopérative, qui compte onze salariés permanents et une trentaine
de saisonniers, dégage un profit depuis 2009. «En misant sur l'innovation et la
formation», insiste Domenico. Si la confiscation des biens se poursuit sous
l'action de la justice et la police, la pieuvre s'est professionnalisée.
«Elle tue moins mais corrompt plus, c'est une mafia en col blanc», alerte
le président de la région, Antonio Viscomi. Régulièrement, des conseils
municipaux sont dissous pour corruption et collusion avec la Ndrangheta, comme
celui, en novembre dernier, de Lamezia Terme, troisième ville de Calabre.
Clientélisme, bureaucratie,
incompétence des élites locales: ces critiques reviennent de façon récurrente.
«C'est un des gros problèmes du Mezzogiorno», insiste l'expert de Svimez, avec
la sous-industrialisation, la fuite des cerveaux et le manque de politique
nationale. Filippo Callipo, figure de l'entrepreneuriat local, fait chevalier
du Travail par le président de la République, peste aussi. «Quel paradoxe! On a
toutes les ressources en Calabre, une terre fertile, 800 km de côtes
magnifiques mais la pire classe dirigeante sans vision», dénonce le patron qui
perpétue la conserve de thon méditerranéen, initiée en 1913 par son grand-père.
Callipo incarne l'une des rares success stories d'industrialisation en Calabre.
La PME de 392 salariés exporte dans le monde entier, elle a surmonté la crise
en visant le haut de gamme et en se diversifiant dans la production de glace
artisanale. Filippo parle aussi sans détour de la mafia, dont il a «beaucoup
souffert» - son bureau est verrouillé automatiquement de l'intérieur - qui
tient la Calabre bloquée et freine son développement. «Tenez, relate-t-il. Un
collectif qui réclame la construction d'une route commencée… il y a 50 ans
s'est fait attaquer hier.»
Tentation populiste
De fait, sillonnant la Calabre,
ses petites routes sinueuses qui offrent des vues sublimes sur la grande bleue,
le visiteur se rend vite compte du manque criant d'infrastructures. Et ce en
dépit des fonds européens déversés. «De l'argent souvent mal utilisé et
détourné», commente le vice-président de la région. Des dossiers sont ainsi
arrivés à Bruxelles pour bénéficier de la PAC (politique agricole commune)
portant sur des terres cultivées situées… en pleine mer! Pour Filippo Callipo,
le port de Gioia Tauro illustre le dysfonctionnement local: «un grand port, à
moitié vide, sans connexion au réseau ferroviaire, essentiellement de transit,
qui est tenu par la mafia». L'entrepreneur a pourtant décidé d'y développer une
unité de production et espère créer un effet d'entraînement. «Je veux montrer
que c'est possible de faire du business légalement», explique-t-il,
reconnaissant que c'est «plus facile quand on est implanté depuis longtemps».
Il bénéficiera aussi des avantages fiscaux mis en place. Depuis un an, le
gouvernement a lancé un plan de soutien aux régions du Sud qui vise à créer des
parcs industriels. «Cette prise de conscience est très récente, liée aux
élections face à la montée du populisme», explique l'expert Giuseppe
Provenzano. Le
Mouvement 5 étoiles grimpe ainsi dans les sondages. À l'image de
Gaetano Musci, restaurateur à Tropea, charmante cité balnéaire, prêt à
basculer: «Ils privilégient le travail, la jeunesse et veulent supprimer les
taxes», dit-il du mouvement populiste. Il se dit aussi plus optimiste grâce au
regain du tourisme, malgré la longueur d'avance prise par les Pouilles et la
Sicile. La famille Laruffa, avec son entreprise de BTP, en revanche, a presque
tourné la page Calabre. «On cherche à vendre pour s'installer à Rome près de
nos fils.»
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En Italie, la population a diminué de 100.000 personnes en
une année (28.02.2018)
INFOGRAPHIE - Les chiffres
seraient encore plus inquiétants sans l'arrivée de migrants.
Correspondant à Rome
Que dirait-on en France si la
population d'une ville comme Rouen ou Nancy disparaissait en un an? En Italie,
c'est dans une assez large indifférence générale qu'on a accueilli l'annonce
d'une diminution de la population de 100.000 personnes l'an dernier,
l'équivalent de la population d'une ville comme Bolzano.
Selon l'Institut national de la
statistique (Istat), l'Italie comptait 60,5 millions de résidents au
31 décembre dernier, soit une diminution de 100.000 personnes ou
- 0,16 % de la population. Le solde naturel, différence entre les
464.000 naissances et les 647.000 décès, est négatif de 183.000 unités, un plus
bas «historique», relève l'Istat. C'est l'immigration qui réduit, de quelque
83.000 personnes, la différence entre le solde naturel et la baisse de la
population.
Le chiffre des décès ne surprend
guère: l'Italie compte de plus en plus de personnes âgées. Quelque
13,5 millions d'habitants ont plus de 65 ans. Le nombre de centenaires y
est le plus élevé d'Europe: 17.630.
Inquiétante baisse de la
natalité
Franchement inquiétante en
revanche est la chute de la natalité. Au sortir de la guerre, l'Italie comptait
un million de naissances par an. Trente ans plus tard, elles avaient déjà
diminué d'un quart. Et de moitié (536.740) en 1996. Depuis, les naissances ne
cessent de reculer et ne devraient pas dépasser 469.000 cette année. Presque
moitié moins que la France, pour une population sensiblement comparable. En
1946, les Italiennes donnaient jour en moyenne à trois enfants. L'an dernier,
la moyenne est tombée à 1,34 enfant tandis que le nombre de femmes en âge de
procréer ne cesse de se contracter.
L'Italie, pourtant le pays le
plus catholique d'Europe, n'a jamais adopté de politique nataliste. Giancarlo
Blangiardo, de l'université Bicocca de Milan, et Alfonso Giordano, de
l'université Luiss de Rome, l'expliquent par le fait que l'État a toujours
donné, depuis quarante ans au moins, la priorité des dépenses sociales au
financement du système des retraites, ayant même accordé dans les années
1960-70 des retraites privilégiées - paradoxalement appelées «retraites bébés»
- dès 50 ans et parfois moins.
Un bébé sur cinq est né d'une
mère étrangère
«La religion n'entre guère en
ligne de compte. La précarité au travail n'incite pas les jeunes femmes à faire
des enfants. Ajoutons à cela l'insuffisance des crèches, les pénuries de
logement, la dispersion des familles, l'absence d'assurance sur l'avenir,
détaille Alfonso Giordano. La dernière année où les naissances ont été
nombreuses a été 1974. Ensuite, elles n'ont cessé de diminuer. Alors
qu'autrefois les femmes avaient leur premier enfant très jeune. Aujourd'hui,
elles l'ont à 33-34 ans», ajoute le démographe.
L'État concède depuis 2017 une
prime à la naissance de 960 euros par an à condition que le revenu
familial annuel soit inférieur à 25.000 euros. Pour le professeur
Blangiardo, «cette aide concerne les revenus modestes, à risque d'insertion
sociale. En sont exclues les classes moyennes, qui sont les plus nombreuses.
Même si une politique résolument nataliste était adoptée, il faudrait attendre
une génération sinon deux pour qu'elle produise des effets réels».
Depuis quinze ans, l'arrivée de
migrants compense partiellement le déficit démographique. Un nouveau-né sur
cinq a une mère étrangère et les étrangers représentent désormais 8,3 % de
la population. La régularisation des 600.000 irréguliers recensés dans le pays
pourrait contribuer à redresser les chiffres. Mais l'idée n'est guère dans
l'air du temps. En outre, notent les deux experts, Blangiardo et Giordano, «dès
qu'elles s'installent en Italie, les familles de migrants confrontées aux problèmes
d'insertion font moins d'enfants». Une femme étrangère a un indice de fécondité
de 1,97, supérieur à celui des femmes italiennes, mais en baisse constante. En
2010, il était de 2,43.
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Immigration, délinquance: Mayotte suffoque et réclame un
retour à l'ordre public (28.02.2018)
Le gouvernement lance un plan
d'urgence jugé trop timide dans cet archipel où la population gronde.
La colère va-t-elle retomber à
Mayotte? Le concept de «police de sécurité du quotidien» reste bien théorique
dans ce territoire français de l'océan Indien qui réclame en urgence le retour
à l'ordre public. C'est, en tout cas, le sentiment de Mansour
Kamardine, député LR de ce lointain département, où la population
manifeste depuis des jours contre l'insécurité et les effets d'une immigration
illégale endémique.
Ce mercredi, face à la fronde, la
ministre de l'Outre-mer, Annick Girardin, a déclaré: «Le gouvernement ne
laissera pas un territoire de la République s'enfoncer dans la violence et ses
citoyens penser qu'on ne s'occupe pas d'eux.» Elle promet l'aboutissement d'un
projet de zone de sécurité prioritaire (les fameuses ZSP des années Valls), «l'arrivée
dès cette semaine de deux pelotons de gendarmerie mobile», la mise en
place «dans les dix jours» d'un «plan de sécurisation des établissements et des
transports scolaires» et «dix policiers supplémentaires de la police aux
frontières» d'ici à la fin mars.
«Le gouvernement veillera à ce
que les nouveaux bateaux dédiés à la lutte contre l'immigration illégale soient
livrés dès septembre»
Annick Girardin, ministre de
l'Outre-mer
Sont aussi attendus «vingt
gendarmes de plus, et dès cet été, une brigade de prévention de la délinquance
juvénile». La ministre assure: «Le gouvernement veillera à ce que les nouveaux
bateaux dédiés à la lutte contre l'immigration illégale soient livrés dès
septembre.»
Mais le député Kamardine reste
méfiant: «Nous sommes encore loin du compte ! Nous attendons un vrai plan
plus ambitieux, car Mayotte paie le prix du laxisme en matière
d'immigration et de sécurité, surtout depuis 2012. Les années Hollande ont
marqué un délabrement.»
La situation, il est vrai, s'est
bien dégradée. Mayotte,
101e département
français depuis mars 2011, est littéralement submergée par les clandestins, majoritairement
venus des Comores voisines. «Nous comptons officiellement
265.000 habitants, mais le chiffre réel est de 400.000 personnes, en
majorité étrangères, assure Mansour Kamardine. Ici, 52 % de la population
se compose d'étrangers, les Mahorais sont 48 %. C'est comme si la
métropole comptait 35 millions d'étrangers sur son sol!»
Un climat économique et social
devenu explosif
Le climat économique et social
est devenu explosif. «Les Mahorais n'ont plus accès comme avant à la
préfecture, aux écoles, aux hôpitaux», tant le système est saturé par
l'immigration illégale. L'élu confie également : «Ceux de nos concitoyens
qui bénéficient de la sécurité sociale sont même invités à aller se faire
soigner à la Réunion ou en métropole!»
La délinquance a pris dans
l'archipel des proportions inquiétantes. Avec des niveaux de violence de deux à
trois fois supérieurs à ceux de la métropole. Hors la sphère familiale, ces
atteintes ont augmenté de 27 % entre 2015 et 2017. Le taux de cambriolages est
aussi deux fois plus élevé que dans l'Hexagone.
Au lieu des maigres renforts
ponctuels dépêchés par Paris quand la crise mahoraise filtre dans les médias
nationaux, le député Mansour Kamardine réclame des commissariats dignes de ce
nom dans l'archipel, des policiers et gendarmes à demeure, dont une brigade
anticriminalité et une compagnie départementale d'intervention. Il réclame
trente effectifs en renfort pour la police aux frontières (PAF) et non les dix
timidement lâchés par Paris. La «police de sécurité du quotidien» en a-t-elle
les moyens?
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Bangalore, la Silicon Valley indienne, minée par la crise de
l'eau (26.02.2018)
REPORTAGE - Les lacs de la
mégalopole sont si pollués qu'ils prennent feu. Les nappes phréatiques se
vident.
Envoyé spécial à Bangalore
Avec ses campus de sociétés
informatiques à l'américaine, Bangalore est le symbole de la Silicon Valley et du
dynamisme économique indien. Mais c'est une autre facette qui a fait la
une de la presse locale le 19 janvier. Ce jour-là, le lac Bellandur, le
plus grand de Bangalore, prend feu. L'incendie, le quatrième en trois ans,
dégage une masse de fumée blanche toxique qui enveloppe les immeubles voisins.
Révélateur des défis écologiques
et urbains auxquels Bangalore et l'Inde tout entière sont confrontés. Pendant
des siècles, la ville a puisé son eau dans ses lacs et ses nappes phréatiques.
L'explosion démographique a épuisé les réserves. En 1991, la commune abritait
4 millions d'habitants. Avec le boom des entreprises de services informatiques au
début des années 1990, la population a doublé en vingt ans. Aujourd'hui,
elle dépasse les 11 millions d'âmes. De 285 lacs en 1970, le nombre
est tombé à 192, et la plupart servent de dépotoirs pour les milliers de litres
d'eaux usées. «Les effluents rejetés dans ces lacs contiennent des détergents
tandis que les ordures plongées dans l'eau peuvent émettre du méthane. Le
mélange est très inflammable», explique Mohan Kumar, chercheur à l'Indian
Institute of Science.
À Bangalore, les autorités ne
parviennent plus à satisfaire la demande d'eau, et une partie de la ville se
fournit auprès de trafiquants
Pourtant, avant sa victoire aux
législatives de 2014, la droite nationaliste hindoue avait promis de réformer
les villes. Question de prestige. Pour rattraper la Chine et transformer l'Inde
en superpuissance, le BJP de Narendra Modi ambitionnait de construire 100
agglomérations et de mettre à niveau les infrastructures urbaines: transports,
logement et approvisionnement en eau. En plus, les villes représentent
65 % du PIB, d'après une étude du cabinet EY. Si l'Inde veut accélérer sa
croissance, attirer les investisseurs et accueillir les 170 millions de
personnes supplémentaires qui vivront dans les agglomérations d'ici à 2030,
elle doit injecter de 680 à 1000 milliards d'euros sur vingt ans dans ses
espaces urbains d'après les calculs de la Direction générale du Trésor et du
cabinet McKinsey.
Le gouvernement a lancé divers
programmes depuis trois ans et demi: Clean Ganga, le programme de dépollution du Gange qui
alimente plusieurs cités du nord en eau ; Amrut, qui prévoit
10 milliards d'euros sur cinq ans pour moderniser les réseaux d'eau et
d'égouts dans 500 villes. Enfin, le plan Smart Cities («villes intelligentes»)
parie sur 31 milliards d'euros d'investissement dans 99 villes via
des émissions d'obligations par les municipalités, des investissements privés
et des subventions fédérales versées sur cinq ans. Problème: les moyens
paraissent dérisoires au vu des besoins immenses.
À Bangalore, les autorités ne
parviennent plus à satisfaire la demande d'eau, et une partie de la ville se
fournit auprès de trafiquants qui pompent les nappes avant de distribuer l'or
bleu dans des camions-citernes que l'on aperçoit régulièrement dans les rues
saturées d'embouteillages.
Factures impayées
Tushar Giri Nath, qui préside
l'autorité de traitement et de distribution d'eau de Bangalore (BWSSB), admet
son impuissance: «Nous serons 20 millions d'habitants d'ici quelques
années. Pour l'instant, nous faisons face en pompant dans le fleuve Kaviri, à
108 km de Bangalore. Nous avons obtenu la permission de puiser
283 milliards de litres d'eau supplémentaire. Mais cela ne suffit pas. Les
copropriétés privées doivent investir pour installer leur propre système de
traitement des eaux usées.» En Inde, le groupe Suez estime que 30 % des
eaux rejetées par les villes sont recyclées. Le phénomène illustre la faiblesse
des institutions municipales. La BWSSB n'arrive pas à recouvrer
50 millions d'euros d'impayés.
Peu d'experts pensent que les
plans Smart Cities, Amrut et Clean Ganga suffiront à combler la pénurie d'eau.
«La mission Smart Cities incite les villes à diriger leurs investissements sur
de petits quartiers au lieu de se concentrer sur des chantiers qui
bénéficieraient à toute l'agglomération. Soixante villes vont consacrer
80 % des fonds sur des zones qui représentent en moyenne 3 % de leur
superficie», déplore Persis Taraporevala, chercheuse au Centre for Policy
Research de Delhi.
Tushar Giri Nath mise sur de
nouvelles usines de traitement d'eaux usées pour relever le défi. Mais il reste
lucide: «En 2022, nous pourrons fournir à chacun 100 litres d'eau par jour.»
C'est moins que l'objectif des 150 litres fixé par la mission Smart Cities. En
France, la consommation s'élevait à 148 litres par jour et par personne en 2015
avec des pics à plus de 300 litres dans certains départements.
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