vendredi 9 novembre 2018

Éric Zemmour : «Qui sème la faiblesse récolte la violence»


Trois textes politiques du grand écrivain russe Alexandre Soljenitsyne. Pour mieux comprendre les révolutions française et russe. Loin des lieux communs progressistes.

Alexandre Soljenitsyne est mort il y a dix ans. Les polémiques autour de son nom se sont apaisées. Il n'y a plus assez de communistes pour aboyer aux mollets de l'«agent de la CIA» ; les «nouveaux philosophes» d'antan et libéraux de toujours n'osent plus le traiter de «réactionnaire», voire d'«antisémite». Le rebelle controversé de jadis est devenu une statue du Commandeur. Quand son éditeur français a la bonne idée d'exhumer deux grands textes politiques, rédigés depuis son exil américain, quelques années avant la chute du mur de Berlin, il place en ouverture un court préambule intitulé «Vivre sans mentir», sorte de vade-mecum de survie spirituelle dans un régime totalitaire: «La clef de la libération est le refus de participer personnellement au mensonge. […] Nous ne sommes pas mûrs pour aller sur la place publique et proclamer à grands cris la vérité, et dire tout haut ce que nous pensons tout bas. Ce n'est pas pour nous, cela fait peur, mais refusons au moins de dire ce que nous ne pensons pas.»

On songe alors que nos régimes démocratiques d'aujourd'hui ressemblent de plus en plus aux régimes totalitaires d'autrefois, mais nous n'avons pas le temps de nous y attarder que le traducteur et préfacier du grand homme, Georges Nivat, nous explique que toute révolution est un «algorithme, celui du mensonge, du petit mensonge qui devient grand. […] Mensonge et révolution sont liés.» D'où le titre du recueil.






























































Par Eric Zemmour Publié le 07/11/2018 à 17h07

On lit. Et on relit certaines pages, séduits par la clarté virile du style sans effet de l'auteur, et étonné de ne pas y trouver la dénonciation du mensonge annoncée. Soljenitsyne n'est pas historien, mais il est mieux: il vit l'histoire de l'intérieur. Aucune des grandes réflexions sur la Révolution française - celles de Tocqueville, Thiers ou Taine - ne lui est inconnue. Les deux textes - le premier sur la seule révolution de février 1917, l'autre qui compare les deux révolutions de 1917 et de 1789 - font la paire.
La conclusion s'impose d'elle-même: ce n'est pas le mensonge qui a provoqué la chute des deux monarchies, mais la faiblesse des deux derniers rois. Nicolas II et Louis XVI étaient de bons chrétiens qui aimaient leur famille plus que le pouvoir, et ne voulaient pas faire couler le sang de leur peuple. Ces vertus chrétiennes et humanistes en faisaient de fort braves hommes et d'excellents pères de famille ; mais de détestables rois. Sans le citer, Soljenitsyne retrouve la leçon que professait déjà Richelieu dans son testament: les vertus privées font le plus souvent les malheurs publics. Ce qu'il dit de Nicolas II convient en tout point à Louis XVI: «Toutes les décisions […] procédaient chez le tsar de son attachement à la paix, qualité éminente pour un chrétien, fatale chez le dirigeant d'un grand empire. […] La dynastie s'est suicidée pour ne pas provoquer une effusion de sang, ou une guerre civile. Pour en provoquer une pire, plus longue, sans le drapeau unifiant au trône.»

La faiblesse coupable de ces rois tenait à leur caractère ; mais plus encore à l'environnement idéologique dans lequel ils ont baigné. Au contraire des libéraux et de tous les progressistes, Soljenitsyne ne fait pas de distinguo entre la «bonne» révolution (1789 et février 1917) et la «mauvaise» (1793 et octobre 1917). Il est même plus sévère avec les premières qu'avec les secondes ; avec les libéraux qu'avec les «terroristes» jacobins ou bolcheviques. Il a bien compris que c'est l'idéologie libérale, ce qu'il appelle le «Champ libéral-radical», qui a désarmé les monarques et les élites autour d'eux: «Durant cent ans, le Champ avait irradié si puissamment que la conscience nationale en lui s'était étiolée (“patriotisme primaire”), et la couche instruite avait cessé de prendre en considération les intérêts de l'existence nationale. Le sentiment national avait été rejeté par l'intelligentsia et négligé au sommet. C'est ainsi que nous avons pris le chemin de la catastrophe.»

«Ces troubles nous sont envoyés parce que le peuple a oublié Dieu.»

Ce libéralisme antinational des élites avait été préparé de longue date - au siècle des Lumières pour la France et depuis le coup de main manqué des décembristes, en 1825, pour la Russie, par le travail de sape des intellectuels, des écrivains, des philosophes libéraux. Soljenitsyne reprend l'analyse de Tocqueville et de Taine: ce ne sont pas les difficultés économiques, sociales, voire militaires, qui ont «mûri la révolution, mais […] l'acharnement des intellectuels pendant des dizaines d'années, que le pouvoir n'a jamais pu surmonter». Et de reprendre sans hésitation le jugement définitif des paysans russes qui fera hurler tous nos beaux esprits de Paris ou de Saint-Pétersbourg: «Ces troubles nous sont envoyés parce que le peuple a oublié Dieu.»

« La Terreur de Robespierre a les jambes courtes »

L'implacable diagnostic posé, on peut nuancer: si la parenté est frappante entre Girondins et Cadets, entre Danton et son groupe et les leaders SR (socialistes-révolutionnaires), sans oublier bien sûr les Jacobins de Robespierre et les bolcheviks de Lénine, Soljenitsyne n'est pas dupe de sa propre comparaison: «La Terreur de Robespierre a les jambes courtes» à côté de celle de Lénine: il n'a pas de force armée à sa dévotion ; respecte les formes parlementaires et surtout la propriété privée. Robespierre est un «patriote», Lénine se proclame «anti-patriote». Soljenitsyne ne tombe pas dans le panneau dans lequel se précipiteront tous ses prétendus héritiers: il ne compare ni Robespierre à Lénine, ni Bonaparte à Staline. Il est un vrai réactionnaire, pas un libéral. Tous ses ennuis en Occident viendront de cette différence. Il a compris qu'une révolution commence lentement et finit fort: «La révolution est toujours une inflammation pathologique et une catastrophe.» Il a compris que pendant que l'est de l'Europe subissait le totalitarisme communiste, l'ouest du continent connaissait lui aussi une nouvelle révolution qui détruisait toute tradition, toute racine, tout patriotisme, toute spiritualité, avec la même alliance objective des libéraux qui désarment et des terroristes totalitaires qui détruisent.

«Dans toute révolution se répète la même erreur, nous prévient-il, craindre non pas ce qui va suivre, mais la restauration.» Comprenne qui pourra. Qui voudra.

Révolution et mensonge, Alexandre Soljenitsyne, Éd. Fayard, 183 pages, 20 euros.

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