Vichy
n’était pas la France, c’était le gouvernement des élites
Une tribune de Guillaume Bigot autour du livre
"L'Etat contre les Juifs" de Laurent Joly
Par Guillaume
Bigot
- 8 novembre 2018
Saluant la publication du brillant essai, L’Etat
contre les Juifs, que publie l’historien Laurent Joly, Guillaume Bigot
en conteste néanmoins une partie des thèses. Bloc de traîtrise, de bêtise
et de haine, le régime antisémite de Vichy a cependant empêché, selon lui,
une extermination totale des juifs français.
Une brillante synthèse consacrée à la politique antisémite
de Vichy vient de sortir : L’Etat contre les Juifs, signée de
l’historien Laurent Joly. Ce travail d’une grande clarté permet à la France
contemporaine de resituer précisément sur la fresque nationale cette tâche
morale indélébile que fut Vichy. La resituer avec justesse, sans la minimiser
mais sans non plus l’étendre à tout un peuple qui a subi le choix de ses
dirigeants et à qui on n’a jamais demandé son avis. Ce n’est pas le moindre
mérite du livre de Joly que de dénoncer cet amalgame permanent entre Vichy, la
France et l’Allemagne. L’Etat contre les Juifs tord le cou à
trois idées fausses.
Abject, l’antisémitisme français n’était pas nazi
La première, c’est que Vichy n’a jamais été comparable à
l’Allemagne nazie. Cette conclusion saute d’autant plus aux yeux si l’on se
place du point de vue des crimes antisémites. Certes, le régime de Vichy va, de
son propre chef, édicter, le 3 octobre 1940, un statut des Israélites, faisant
de nos compatriotes juifs des citoyens de seconde zone.
Il n’en reste pas moins que l’antisémitisme de Vichy différait fort de l’antisémitisme génocidaire des nazis. L’écrivain royaliste et résistant Bernanos poussera d’ailleurs un cri surréaliste à la Libération : « Le nazisme a déshonoré l’antisémitisme. » Joly écrit : « La tradition antisémite autochtone n’était pas assez puissante pour aboutir à l’adoption d’une loi raciale. »
Il n’en reste pas moins que l’antisémitisme de Vichy différait fort de l’antisémitisme génocidaire des nazis. L’écrivain royaliste et résistant Bernanos poussera d’ailleurs un cri surréaliste à la Libération : « Le nazisme a déshonoré l’antisémitisme. » Joly écrit : « La tradition antisémite autochtone n’était pas assez puissante pour aboutir à l’adoption d’une loi raciale. »
Vichy n’était pas Berlin : jamais le port de l’étoile jaune
ne sera imposé en zone libre.
L’Etat français n’est pas le Reich : même des antisémites virulents, comme Xavier Vallat (insultant Léon Blum à la Chambre, le 6 juin 1936 : « Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif ».) ne veulent pas que l’on arrête les « juifs respectables » ! En novembre 1943, René Bousquet écrit à un officier SS : « Pour les services de police, (…) le fait d’être israélite ne constitue une présomption de responsabilité, ni en matière politique, ni en matière de droit commun. »
L’Etat français n’est pas le Reich : même des antisémites virulents, comme Xavier Vallat (insultant Léon Blum à la Chambre, le 6 juin 1936 : « Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné par un juif ».) ne veulent pas que l’on arrête les « juifs respectables » ! En novembre 1943, René Bousquet écrit à un officier SS : « Pour les services de police, (…) le fait d’être israélite ne constitue une présomption de responsabilité, ni en matière politique, ni en matière de droit commun. »
Le zèle administratif français facilite les rafles
L’Etat contre les Juifs montre aussi comment le
zèle administratif français va grandement faciliter la tâche criminelle des
Allemands. A l’été 1942, les hommes de Vichy, au nom d’une pathétique «
reconquête administrative », disent en substance aux Allemands : « On vous
donnera le nombre de juifs que vous voulez mais laissez-nous faire et épargnez
les juifs français ». A l’été 1942, l’Etat français opère donc en effet un
choix déshonorant et ignoble.
Joly montre ainsi comment Vichy a sacrifié les juifs
apatrides sur l’autel de la collaboration. C’est exactement le même argument que l’on retrouve sous la plume de Zemmour et
dont on ne comprend pas bien pourquoi Joly tient absolument à dire qu’il est en
désaccord avec lui. Des Juifs français sont raflés au passage et, horreur dans
l’horreur, abomination au carré, les enfants nés sur notre sol, donc français,
sont également livrés.
Contrairement à Zemmour et à Joly, l’historien Pierre
Vidal-Naquet, contestant l’évidence de cette ignoble troc écrivait : « Des
mesures n’ayant affecté que des étrangers… si cela était vrai, le crime n’en
serait pas moins éclatant ! » Vidal-Naquet a moralement raison mais
mathématiquement tort. Car si Vichy n’avait pas existé, le sort des Juifs dans
l’Hexagone aurait été pire, bien pire. En France, 90 % des Juifs français, 86 %
des enfants juifs français et étrangers et 60 % des Juifs étrangers survivront
à la guerre. Partout ailleurs, les nazis détruiront entre 50 et 90 % des
communautés israélites.
Pour autant, Vichy n’a jamais été un moindre mal.
Pour autant, Vichy n’a jamais été un moindre mal.
La France n’était pas Vichy
Sur 280 000 juifs recensés (sur 320 000) en 1941, il y aura
tout de même 74 150 morts.
Vichy est un bloc de traîtrise, de bêtise et de haine qui a livré les apatrides, arrêté ses concitoyens juifs et fait couler le sang des résistants et des alliés.
Vichy est un bloc de traîtrise, de bêtise et de haine qui a livré les apatrides, arrêté ses concitoyens juifs et fait couler le sang des résistants et des alliés.
En jouant à cette farce tragique d’une souveraineté à la
botte, Vichy va libérer deux millions de soldats nazis qui auraient dû
autrement occuper notre vaste pays et saborder notre flotte qui était, en 1940,
la première du monde, devant la Royal Navy.
La deuxième démonstration irréfutable de Joly, c’est que la
France n’était pas Vichy. En marge d’un projet de loi antisémite, le chef
adjoint du cabinet civil de Pétain note : « Le pays n’est pas antisémite… On
dira que c’est un asservissement devant l’Allemagne, le racisme n’est pas
apprécié dans ce pays parce qu’il est allemand. »
Bien sûr, un antisémitisme bien de chez nous a existé mais
que pesait-il ? Le Journal Au Pilori, tiré à 65 000 exemplaires,
organise un concours en 1943 à propos des juifs intitulé « Où les fourrer? » La
gagnante en est une habitante de Clichy qui propose de stériliser les juifs. 65
000 exemplaires, c’est à comparer, avec les quelque 1200 journaux résistants
qui seront distribués à plus de 2 millions d’exemplaires.
La France n’était pas Vichy en témoigne encore les rapports
des préfets qui atterrissent sur le bureau du vieux maréchal. Ces rapports sont
sans appel : l’étoile jaune ne passe pas, les restrictions alimentaires ne
passent pas, la poignée de main avec Hitler ne passe pas.
Une minorité de héros… et de salauds
L’historien Henri Amouroux a raison : en juillet 1940, il y
a bien 40 millions de pétainistes. Quelques mois plus tard, le 24 octobre, le
soutien populaire s’effondre. C’est l’entrevue de Montoire. La France copine
avec l’ennemi. Les Gaulois réfractaires ne l’acceptent pas. Vichy n’est pas la
France… En témoigne le stoïcisme des populations civiles, notamment en
Normandie, lourdement bombardée par les anglo-américains et qui réserve
pourtant un accueil triomphal aux alliés qui débarquent en juin 44.
Certes, les héros furent peu nombreux. Mais les salauds
aussi. Le sentiment dominant des Français, c’est la détestation du Boche qui
pille et qui fusille. Quant au sort des Juifs, il est incompréhensible à la
majorité. Le livre de Joly contient ce témoignage bouleversant d’une Française
anonyme qui écrit à Pétain, en voyant passer des autocars chargés de femmes et
d’enfants raflés : « Ce sont des charrettes de condamnés. »
La troisième leçon de vérité de ce livre, et sans doute la
plus importante pour la France de 2018, c’est que les élites furent derrière
Vichy et le peuple derrière la Résistance et les Alliés. Le principal mérite de
Laurent Joly est sûrement de faire éclater la vérité sociologique de la
Collaboration.
Qui étaient les collabos ? Les magistrats, les hauts
fonctionnaires, les journalistes, les intellectuels et les pipoles… Comme c’est
étrange. Le conseiller d’Etat Louis Canet, les hauts fonctionnaires Bousquet et
Papon. Canet, Laval, Bousquet, trois petits marquis de bureau qui incarnent
parfaitement un certain conformisme de classe.
Les petits marquis de la Collaboration
Écoutons Laurent Joly croquer le portrait de ces petits
marquis : « Chez l’un comme l’autre, le franc-parler et le volontarisme
affichés marquent une constante soumission aux forces dominantes du moment, sur
fond d’égo hypertrophié et d’amour immodéré du pouvoir. »
Cynique, méprisante et vaniteuse, notre classe dirigeante a semble-t-il peu changé.
« Par ces temps de terreur, il est trop grave de faire connaître ses sentiments s’ils ne sont pas absolument conformistes », note l’avocat Maurice Garçon dans son Journal (1939-1945).
Cynique, méprisante et vaniteuse, notre classe dirigeante a semble-t-il peu changé.
« Par ces temps de terreur, il est trop grave de faire connaître ses sentiments s’ils ne sont pas absolument conformistes », note l’avocat Maurice Garçon dans son Journal (1939-1945).
En d’autres termes qu’à l’époque, dans Paris occupé,
existait un politiquement correct, socialement très marqué. Entre 1940 et 1944,
la « France d’en haut » pariait sur Hitler. Or, aujourd’hui, les élites qui
veulent brader la souveraineté veulent aussi charger les épaules du peuple
français du fardeau de la culpabilité morale des classes dirigeantes d’hier !
Les couches, les CSP les plus représentées dans la défense des sans-papiers,
dans la haine de Trump et du Brexit, dans l’apologie de la mondialisation et de
l’UE… étaient surreprésentés dans la collaboration !
De là à penser que, pour nous faire avaler la monnaie unique
et le renoncement au volontarisme et à la démocratie nationale, il fallait
préalablement aligner la France sur l’Allemagne, il y a un pas que… l’on peut
envisager !
Pourquoi déshonorer le peuple français ?
L’alignement moral a précédé et préparé l’alignement
monétaire. L’Etat contre les Juifsdénonce en tous cas un
révisionnisme grave qui veut à tous prix déshonorer le peuple français. Le
révisionnisme de François Hollande dont le discours du 22 juillet 2012 ne
comportait aucune allusion au contexte de l’occupation et au nazisme. Plus
grave encore et toujours plus éloigné de la réalité historique, Emmanuel
Macron, dans une allocution prononcée le 16 juillet 2017, ose dire
que c’est la France seule qui est responsable de la mort des juifs. Plus
d’Allemands donneurs d’ordre et même plus de génocide, que des Français
antisémites. Édifiant. L’occupation allemande n’était pas un détail. Vichy n’a
jamais été la France. La France n’est pas et ne sera jamais l’Allemagne !
Yémen :
l'Arabie saoudite résiste aux objurgations de Washington
ANALYSE - Les Occidentaux doivent accentuer les pressions
sur leurs clients alliés saoudo-émiriens pour que la mort de Jamal Khashoggi se
traduise au moins par un allègement des souffrances au Yémen.
Affaibli par l'assassinat au retentissement mondial du journaliste dissident
Jamal Khashoggi, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman
sera-t-il contraint de lâcher du lest dans la guerre qu'il a imprudemment
déclenchée au Yémen, où ses forces et celles de ses alliés émiriens sont
embourbées, depuis trois ans? On pouvait le penser lorsque, mercredi dernier,
son parrain américain haussa le ton pour appeler à un cessez-le-feu sous trente
jours entre belligérants de ce conflit lointain, où plusieurs dizaines de
milliers de civils sont morts dans une quasi-indifférence.
» LIRE AUSSI - Yémen: un conflit meurtrier qui s'enlise
Coup sur coup, le secrétaire d'État Mike Pompeo, et Jim Mattis, le patron
du Pentagone, exigèrent un arrêt des bombardements saoudo-émiriens sur
les positions de leurs ennemis, les rebelles houthistes soutenus par l'Iran,
lesquels doivent cesser leurs tirs de missiles sur les territoires saoudien et
émirien. Des appels aussitôt relayés par la Grande-Bretagne et la France,
autres alliés de Riyad et d'Abu Dhabi, gênées par ce conflit, où l'Occident,
après avoir défendu la morale en Syrie, se retrouve en porte-à-faux.
L'enfer d'Hodeïda
C'est hélas le scénario inverse qui se déroule. L'Arabie
défie Washington. Depuis jeudi, des forces progouvernementales yéménites,
appuyées militairement par l'Arabie et les Émirats arabes unis, mènent des
opérations au sol pour encercler Hodeïda, tenue par les houthistes. Cette ville
sur la mer Rouge est le principal théâtre d'un conflit qui a coupé le Yémen en
deux. Les houthistes contrôlent son port - source de revenus importante - par
lequel transitent 70 % de l'aide humanitaire, indispensable pour venir en
aide à un pays, menacé par la famine, dont les infrastructures sanitaires sont
délabrées. La coalition saoudo-émirienne veut tuer la «poule aux œufs d'or»,
avant de s'ouvrir la route de Sanaa, la capitale, aux mains des rebelles.
Sous la pression internationale, Saoudiens et Émiriens
avaient cessé leurs frappes, cet été. Des réfugiés sont alors rentrés chez eux
à Hodeïda, où, depuis quelques jours, ils vivent un enfer. Les
progouvernementaux sont au flanc nord de la ville, tandis que leurs
hélicoptères frappent des positions rebelles à l'intérieur. Dans Hodeïda, les
insurgés circulent à moto, leurs lanceurs de roquettes à l'épaule. Ils ont
creusé des tranchées, posé des mines. Des snipers ont pris position dans des
immeubles et sur les toits des hôpitaux, cherchant à attirer leurs ennemis dans
un piège. L'Unicef s'alarme: la vie de 59 enfants, dont 25 en
soins intensifs, est menacée dans un hôpital de la ville, situé à moins
d'un kilomètre de la ligne de front. En six jours, 200 combattants, de part et
d'autre, sont morts, tandis que des dizaines de milliers de civils sont
terrés chez eux, prisonniers des violences.
Les Occidentaux ont hâte de s'extirper de ce «Vietnam»
dans lequel leur adversaire iranien laisse son ennemi saoudien s'embourber
Il y a urgence à enrayer «un scénario apocalyptique»,
avertit Mark Lowcock, chef de la coordination humanitaire des Nations unies.
Mais Mohammed Ben Salman et son allié émirien Mohammed Ben Zayed ne l'entendent
pas ainsi. Ils tiennent à engranger des gains territoriaux avant des
négociations. Et pas seulement autour d'Hodeïda, mais aussi autour de Sanaa, et
même à Saada, dans le Nord, dans le fief des houthistes, eux aussi visés par
cette offensive.
«Il n'y a pas d'issue militaire» à cette guerre, a pourtant
rappelé la semaine dernière la ministre de la Défense, Florence Parly,
d'ordinaire prudente face à nos alliés du Golfe. Les houthistes se sont
préparés des mois durant à une guérilla urbaine. Après la calamiteuse affaire Khashoggi,
les Américains sont également remontés contre Riyad. En France, l'assassinat de Khashoggi a relancé le débat sur
les ventes d'armes à l'Arabie. Les Occidentaux ont hâte de s'extirper
de ce «Vietnam» dans lequel leur adversaire iranien laisse son ennemi saoudien
s'embourber. Mais à Téhéran non plus, où d'autres pressions, économiques
celles-là, s'exercent, on n'est pas fermé à des négociations.
Depuis une semaine que le feu s'abat sur eux, les houthistes
n'ont pas riposté en tirant des missiles sur l'Arabie. Les appels à la retenue
des Nations unies sont entendus. Mais pour combien de temps? Les Occidentaux
doivent accentuer les pressions sur leurs clients alliés saoudo-émiriens pour
que la mort de Jamal Khashoggi se traduise au moins par un allègement des
souffrances au Yémen.
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guerre»
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Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient
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Jean-François
Colosimo : «Le Pakistan est une poudrière où l'islamisme fait la loi»
INTERVIEW - L'historien des idées et des religions
Jean-François Colosimo * explique pourquoi le sort d'Asia Bibi déchaîne
les passions des islamistes. Le blasphème tient une place centrale dans l'islam
politique, en particulier dans un pays où la charia est au centre du système
juridique.
LE FIGARO. - Comment comprendre l'acharnement des
islamistes pakistanais à l'égard d'Asia Bibi?
Jean-François COLOSIMO. - L'Asie nous est, par
définition, plus lointaine que le Proche-Orient. Elle ne constitue pas moins un
épicentre des convulsions du monde musulman. Le Pakistan est une poudrière
dotée du feu atomique où l'islamisme fait, au sens propre, la loi. Il ne tient
pas que la rue, mais gangrène aussi l'éducation, l'armée, le gouvernement. Le
premier ministre, Imran Khan, à l'allure si branchée et libérale, s'est fait
élire, en août 2018, sur la promesse de renforcer la charia.
En mobilisant les foules contre l'arrêt de la Cour suprême
qui a acquitté Asia Bibi, en appelant à l'assassinat des juges, à la mutinerie
des soldats et des policiers, Khadim Hussain Rizvi, le chef du parti intégriste
Tehreek-e-Labbaik Pakistan, a montré où est le vrai pouvoir. Dire non à la
pression de l'opinion mondiale revient, pour les islamistes, à réarmer le
djihad intérieur contre les minorités mécréantes et le djihad extérieur contre
l'Occident impie. C'est que, depuis ses débuts, nationalisme et fondamentalisme
font bon ménage dans la République islamique du Pakistan. Tout en posant au
pays moderne et à l'alliée du monde libre, elle n'a cessé de jouer un double
jeu au point d'avoir procuré une base arrière aux talibans et un refuge
clandestin à Ben Laden.
Pourquoi la question du blasphème a-t-elle autant
d'importance pour l'islam politique?
Ressort anthropologique à l'intersection entre le religieux
et le politique, le
blasphème permet de sacraliser l'unité transcendante du corps social en
posant des interdits absolus dont la transgression se traduit par la mort
physique ou civile. Ce qu'avait compris l'imam Khomeyni en s'emparant, dès
1989, de l'affaire Rushdie: réveiller l'Oumma pour qu'elle se purifie, qu'elle
entre dans la lutte finale et convertisse le monde requiert de désigner
l'ennemi. Or, pour l'islamisme, il est universel. Hors les soumis à la charia,
il n'y a que des sacrilèges ou des apostats. La terreur en devient, sur un mode
totalitaire, un devoir d'État.
Quelle est justement la place de la charia au Pakistan et
jusqu'à quel point le régime est-il islamiste?
Ce sont les deux composantes essentielles de son code
génétique. Le Pakistan naît du projet idéologique formulé par l'Indo-musulman
Mohammed Iqbal au début du XXe siècle: l'islam, pour s'émanciper et
s'imposer, doit se refonder sur sa force éminente qui est de disposer d'un
corpus juridique organique fusionnant les ordres spirituel et temporel, à
savoir la charia. Mais, pour qu'elle soit de plein exercice, il faut éradiquer
toute mixité. L'opposition frontale des deux nations théorisée par son
disciple, Ali Jinnah, conduit en 1947 à la partition de l'Inde, avec son
cortège de massacres et d'exodes ethnico-religieux. Au même moment, Maulana
Maududi, l'émule local de Hassan el-Banna, le fondateur des Frères musulmans,
assigne à son parti, le Jamaat-i-Islami, la mission de transformer la nation
nouvelle en «avant-garde de la révolution islamiste mondiale» vivant non
seulement sous la charia, mais aussi par la charia et pour la charia.
«Dès sa création, le Pakistan revendique
constitutionnellement la souveraineté d'Allah.»
Dès sa création, le Pakistan revendique
constitutionnellement la souveraineté d'Allah. Le droit civil s'inspire de la
Common Law du colonisateur britannique, mais à la condition qu'il ne contredise
pas la loi coranique. Dans les faits, le régime militaire du général Zia ul-Haq
entame, au tournant de 1980, une islamisation à marche forcée du pays qui se
traduit, dans les tribunaux, par l'adoption des peines prévues par la charia,
dont la lapidation par exemple pour la femme adultère. Ce double arsenal
juridique permet ainsi de recourir soit à la diffamation, soit au blasphème
pour exclure et réduire à néant toute différence jugée déviante.
Quel type d'islam caractérise le Pakistan?
Musulmans à 95 %, les Pakistanais sont sunnites à plus
de 75 % et de tradition hanafite: dominante en Asie, en apparence libérale
pour s'être édifiée dans un contexte culturel complexe, cette école juridique
porte précisément une grande attention à l'endiguement des «Infidèles».
«Ces factions se montrent unanimes dès lors qu'il s'agit
d'opprimer les 3 % d'hindous et de chrétiens.»
Trois courants majeurs divisent cette écrasante majorité
sunnite: les ahl al-hadith, variante locale du salafisme, pour un
cinquième ; les déobandis, littéralistes et rigoristes, pour un
quart ; enfin, pour moitié, les barelvis qui se revendiquent du soufisme,
lequel comporte certes des accents mystiques et piétistes mais consiste d'abord
en un maillage serré et contraignant de la population par les confréries. Leurs
rivalités internes sont sources de troubles récurrents redoublant la guerre
civile latente, attentats terroristes à la clé, qui les opposent aux 15 à
20 % de chiites duodécimains, deuxièmes en nombre après l'Iran, et dont le
bilan se monte à plusieurs milliers de morts sur ces vingt dernières années.
C'est néanmoins l'islam politique qui cimente les factions sunnites:
l'influence du wahhabisme saoudien est grandissante, mettant à profit la
délégation massive de l'instruction primaire aux écoles coraniques que sont les
madrasas. Ces factions se montrent par ailleurs unanimes dès lors qu'il s'agit
d'opprimer les 3 % d'hindous et de chrétiens.
Quelle est la situation des chrétiens au Pakistan?
Celle de persécutés dont Asia Bibi n'est qu'un exemple. On
pourrait citer, pour la seule année 2012, Rimsha
Masih, adolescente d'une douzaine d'années, retardée mentale, condamnée à mort pour
avoir, selon un imam de son quartier, brûlé des pages du Coran. Ou Ryan Brian
Patras, âgé de 14 ans, accusé d'avoir blasphémé le Prophète par voie de texto
et encourant à ce titre la peine capitale. Tous deux seront finalement frappés
d'expatriation grâce à l'intervention du Saint-Siège. Aussi, la foule
préfère-t-elle procéder par lynchage, le dernier cas en date étant celui, en
2015, de Nauman Masih, 14 ans, arrosé d'essence et brûlé vif par
des passants car portant une croix.
Quant aux viols, rapts, conversions forcées et ventes comme
esclaves que subissent les chrétiennes et qui demeurent impunis car couverts
par le «Code d'honneur», on les estime à plusieurs centaines par an.
Enfin, les élites sont particulièrement visées: catholique
de confession, membre du Parti du peuple pakistanais qui rassemble l'opposition
laïque, nommé en 2008 ministre des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti est
abattu de vingt-cinq balles, le 9 février 2011, pour avoir soutenu Asia
Bibi.
Les pays occidentaux sont-ils à la hauteur pour aider
cette minorité opprimée? Que pourraient-ils faire de plus?
Le pacte aveugle que l'Amérique a scellé avec l'islamisme
sunnite contre le communisme continue, depuis le 11 septembre 2001, à
produire ses effets délétères. La politique complaisante de Washington
s'applique à Islamabad comme à Riyad. Bruxelles, Londres, Paris suivent et se
plient selon une pathétique logique d'intérêts matériels à court terme. On
isole l'Iran et on exonère Ben Salman. On souligne les massacres en Syrie, on
élude les bombardements au Yémen. On
finit par s'occuper d'Asia Bibi sous les projecteurs des médias,
mais on jette un voile sur ses consœurs et compatriotes musulmanes comme
chrétiennes tuées à coups de pierres. C'est notre hypocrisie et lâcheté qui
laisse libre cours au mal.
* Auteur de nombreux ouvrages remarqués.
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leçon de courage d'Asia Bibi, acquittée au Pakistan après 9 ans de prison
pour blasphème
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la chrétienne Asia Bibi, condamnée à mort pour blasphème, finalement
acquittée
L'Occident
demande à la Chine de fermer ses camps d'internement pour musulmans
VIDÉO - Pékin a essuyé de vives critiques à l'ONU à propos
du traitement infligé aux Ouïgours et Kazakhs du Xinjiang. La Chine a rejeté
ces accusations.
Correspondant à Pékin
La Chine a fait face à un flot de critiques à l'ONU à propos
de la situation des droits de l'homme sur son territoire. Mardi, plusieurs pays
occidentaux, dont la France, l'Allemagne et les États-Unis, ont appelé Pékin à
fermer ses camps d'internement dans la province du Xinjiang, où, selon des
estimations d'experts, entre plusieurs centaines de milliers et un million de
musulmans ont été envoyés depuis 2017. Sans surprise, la Chine a rejeté les
accusations concernant de telles détentions massives, les jugeant «grandement
éloignées de la réalité».
Pendant toute la matinée, la délégation officielle chinoise,
dirigée par le vice-ministre des Affaires étrangères, Le Yucheng, a été mise
sur le gril dans le cadre de l'Examen périodique universel (EPU), qui rend
compte tous les cinq ans des éventuelles violations des droits de l'homme dans
chaque État membre des Nations unies. Le cas de la Chine était passé en revue
mardi.
Des ambassadeurs occidentaux se sont succédé pour fustiger
une dégradation dans ce domaine depuis l'examen précédent. «Nous sommes alarmés
par l'accentuation de la répression chinoise contre les Ouïgours, les Kazakhs
et autre musulmans dans la région autonome ouïgour du Xinjiang», a déclaré Mark
Cassayre, le chargé d'affaires américain. Les États-Unis demandent à la Chine
«d'abolir toute forme de détention arbitraire, dont les camps d'internement du
Xinjiang, et de libérer immédiatement les centaines, peut-être les millions
d'individus détenus dans ces camps», a-t-il ajouté.
Pékin change de stratégie de communication
L'ambassadeur de France, François Rivasseau, a pour sa part
demandé à Pékin de «mettre un terme à ses internements massifs dans des camps»,
«d'inviter la Haut commissaire aux droits de l'homme» de l'ONU, Michelle
Bachelet, afin qu'elle puisse observer la situation sur place et de «garantir
la liberté religieuse», notamment au Xinjiang et au Tibet.
Des
«camps de rééducation» pour les musulmans de Chine - Regarder sur
Figaro Live
En réponse, la Chine, par la voix de Le Yucheng, a fustigé
«des accusations politiques venant de quelques pays pleins de préjugés». La
délégation chinoise a repris l'argumentation développée récemment par le régime
communiste, selon laquelle les mesures de sécurité prises au Xinjiang sont
indispensables pour garantir la stabilité de la région, qui a connu ces
dernières années des attentats attribués par Pékin à des séparatistes ou
extrémistes ouïgours. Le Yucheng a ainsi réaffirmé que la mise en place de ces «centres
éducatifs», constituait une «mesure préventive pour combattre le terrorisme».
Mais Pékin a assuré que les libertés des 55 minorités ethniques du pays étaient
préservées.
Les détenus subissent un véritable lavage de cerveau dans
des lieux fermés comparés à des prisons : on les oblige à renoncer à leur
identité religieuse, en les forçant à chanter les louanges du Parti.
La Chine, qui a longtemps nié l'existence des camps de
«rééducation», a changé sa stratégie de communication depuis que la publication
d'images satellites ou de documents officiels sur Internet en a confirmé
l'existence. Le géant asiatique assure que ces lieux enseignant le chinois et
donnant des leçons sur les lois du pays veillent au bien-être des «stagiaires»
et que des «formations professionnelles» y sont dispensées à des personnes qui
ont été «attirées» par des idées extrémistes. Mais d'anciens détenus décrivent
une réalité bien différente. D'après eux, les détenus subissent un véritable
lavage de cerveau dans des lieux fermés comparés à des prisons: on les oblige à
renoncer à leur identité religieuse, en les forçant à chanter les louanges du
Parti et à dénigrer leur propre culture.
Outre le Xinjiang, d'autres aspects du bilan des droits de
l'homme en Chine ont été scrutés. Depuis l'arrivée au pouvoir du président Xi
Jinping il y a 6 ans, la Chine a durci sa répression contre toutes les voix
contestant son autorité ou s'écartant du discours officiel. En juillet 2017, le
dissident et prix Nobel de la paix Liu Xiaobo est mort d'un cancer du foie,
privé de liberté.
Manifestation de Tibétains et d'Ouïgours à Genève
La Chine a démenti toute répression des droits civils et,
relativisant la conception occidentale des droits de l'homme, a mis en avant
ses progrès dans la lutte contre la pauvreté. «Chaque pays peut choisir sa
propre voie de développement et son modèle de protection des droits humains», a
insisté Le Yucheng.
L'examen de la Chine «a mis en évidence le fossé qui sépare
le point de vue de Pékin sur son bilan en matière de droits de l'homme et les
tristes réalités vécues par les défenseurs des droits humains, les Tibétains et
les Ouïgours détenus arbitrairement», a déploré John Fisher, directeur de l'ONG
Human Rights Watch à Genève.
Pendant que se déroulait la réunion sur la Chine, plusieurs
centaines de Tibétains et d'Ouïgours venus de plusieurs pays d'Europe ont
manifesté devant le siège des Nations unies à Genève. «Stop au nettoyage
ethnique chinois des Ouïgours» ou «le Tibet meurt, la Chine ment!», pouvait-on
lire sur des pancartes.
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Dimitris
Avramopoulos : «La crise migratoire menace le projet européen»
INTERVIEW - Le commissaire européen a rencontré cette
semaine le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner.
Dimitris Avramopoulos est le commissaire européen aux
Affaires intérieures, notamment chargé de la politique migratoire de l'UE.
Membre du parti Nouvelle Démocratie, il a été ministre des Affaires étrangères
en Grèce.
LE FIGARO. - Depuis la crise migratoire, la France a, en
dépit de l'espace Schengen, rétabli les contrôles à plusieurs de ses
frontières. Demandez-vous à Paris de les arrêter?
Dimitris AVRAMOPOULOS. - Je tiens avant tout à
dire que l'on compte beaucoup sur la France pour gérer les migrations et pour
renforcer encore davantage notre politique de sécurité. Sur les frontières
intérieures, je comprends. La France a ses propres préoccupations sur la
sécurité, comme l'Allemagne ou l'Autriche. Mais cette situation ne peut pas
être permanente. Si l'espace
Schengen, l'un des piliers de l'intégration européenne, est affaibli,
ça sera le début de la fin de l'Europe. Au lieu de réintroduire les contrôles
intérieurs, je propose de renforcer les contrôles policiers et la coopération.
Cependant, les divergences sont apparues lors du
mini-sommet de l'UE de juin consacré à la question migratoire…
Nous avons déjà fait des pas en avant ces dernières années.
Nous avons fondé l'Agence
des gardes-frontières… En Grèce par exemple, 95 % des migrants qui
parviennent à entrer dans le pays sont immédiatement enregistrés. C'est la même
chose en Italie.
«L'immigration est devenue le sujet favori des populistes
et il est très facile de jouer avec des sentiments antimigrants»
Dimitris Avramopoulos
Lors de ce sommet, il a été décidé de travailler à la
réforme du règlement de Dublin (qui régit les demandes d'asile dans l'UE). Où
en est-on?
Dublin tel que nous l'avons connu est mort. Le règlement est
vivant sur le papier mais, en réalité, il n'est plus adapté. Il nous faut un
nouveau Dublin, plus équilibré et plus juste. Mais pour le moment, il y a des
pays qui ne sont pas favorables à cette réforme pour des raisons de politique
intérieure. L'immigration est devenue le sujet favori des populistes et il est
très facile de jouer avec des sentiments antimigrants. Quand les élections
seront passées, je suis certain que tous ces pays se rendront compte de l'importance
de réformer le système d'asile. Car, si on ne le fait pas, l'Europe sera très
vulnérable. Ce phénomène de migrations ne va pas s'arrêter.
Mais comment rassurer les opinions face à ce phénomène
quand l'Europe semble en difficulté?
C'est très facile de critiquer l'Europe. C'est vous, moi,
nous tous, l'Europe! Elle est composée d'États membres. La Commission a pour
rôle de coordonner et proposer. Nous sommes tous responsables du projet
européen, qui est aujourd'hui en danger à cause de l'immigration. Beaucoup
pensaient que ce serait la crise économique qui le mettrait en danger, mais en
fait, c'est la crise migratoire et la sécurité. Ces sujets sont exploités par
des forces populistes qui partout menacent directement les fondations de la
démocratie européenne.
Le gouvernement italien a-t-il totalement tort quand il
dit que l'Europe l'a laissé seul face au problème des migrants?
Il y a des points soulevés par M. Salvini dont
il faut tenir compte. Il faut renforcer plus encore nos frontières communes,
par exemple, et nous comptons sur l'Italie pour cela. Mais dire que l'Europe
n'a pas soutenu l'Italie n'est pas vrai. Nous avons soutenu l'Italie
politiquement, logistiquement et financièrement. Depuis 2015, année terrible,
la Commission a débloqué 202 millions d'euros d'aide d'urgence et
654 millions déjà alloués à l'Italie pour la période 2014-2020. Nous
n'avons jamais laissé l'Italie seule.
Aujourd'hui c'est l'Espagne qui est en première ligne…
Les réseaux trouvent facilement des techniques pour
contourner les obstacles. Ils ont effectivement ouvert une autre filière via
l'Espagne. Si on avait, dans la Méditerranée, adopté une politique commune, en
partageant les responsabilités, on aurait pu l'éviter.
«Le mot “solidarité” a la même définition dans tous les
dictionnaires européens»
Dimitris Avramopoulos
Qui n'a pas joué le jeu?
La
Hongrie, par exemple, n'accepte pas sa part dans la politique que nous
avons tous ensemble adoptée il y a quatre ans. Et d'autres États. Récemment, on
a vu un changement. Les Autrichiens ont proposé le concept de solidarité
obligatoire pour débloquer les discussions sur la réforme de Dublin.
Mais quelle est la proposition de la Commission?
Elle est très claire. Il faut partager la responsabilité et
la solidarité. Il n'y a pas de solidarité à la carte. Ça, tous les pays doivent
le comprendre. Le mot «solidarité» a la même définition dans tous les
dictionnaires européens. Il faut que l'on partage le poids et les conséquences
du phénomène migratoire. Certains États ont montré un grand degré
d'irresponsabilité.
Le renvoi des migrants refoulés ne fonctionne pas. Pour
éviter qu'ils entrent, l'UE a tenté de promouvoir des plateformes d'accueil
dans des pays limitrophes. Où en est-on?
L'un de nos objectifs est d'augmenter le nombre de retours
de ceux qui n'ont pas le droit d'être en Europe. Ceux qui ont le droit à être
réfugiés politiques seront accueillis, mais pour les autres, il faut qu'ils le
sachent, la voie illégale est fermée. Pour les plateformes, connaissez-vous un
pays qui est prêt à collaborer à ce projet? Non. Dès le début, je n'étais pas
optimiste. Donc aujourd'hui ce dossier est fermé.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du
08/11/2018.
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CHRONIQUE - Trois textes politiques du grand écrivain russe
Alexandre Soljenitsyne. Pour mieux comprendre les révolutions française et
russe. Loin des lieux communs progressistes.
Alexandre Soljenitsyne est mort il y a dix ans. Les
polémiques autour de son nom se sont apaisées. Il n'y a plus assez de
communistes pour aboyer aux mollets de l'«agent de la CIA» ; les «nouveaux
philosophes» d'antan et libéraux de toujours n'osent plus le traiter de
«réactionnaire», voire d'«antisémite». Le rebelle controversé de jadis est
devenu une statue du Commandeur. Quand son éditeur français a la bonne idée
d'exhumer deux grands textes politiques, rédigés depuis son exil américain,
quelques années avant la chute du mur de Berlin, il place en ouverture un court
préambule intitulé «Vivre sans mentir», sorte de vade-mecum de survie
spirituelle dans un régime totalitaire: «La clef de la libération est le refus
de participer personnellement au mensonge. […] Nous ne sommes pas mûrs pour
aller sur la place publique et proclamer à grands cris la vérité, et dire tout
haut ce que nous pensons tout bas. Ce n'est pas pour nous, cela fait peur, mais
refusons au moins de dire ce que nous ne pensons pas.»
On songe alors que nos régimes démocratiques d'aujourd'hui
ressemblent de plus en plus aux régimes totalitaires d'autrefois, mais nous
n'avons pas le temps de nous y attarder que le traducteur et préfacier du grand
homme, Georges Nivat, nous explique que toute révolution est un «algorithme,
celui du mensonge, du petit mensonge qui devient grand. […] Mensonge et
révolution sont liés.» D'où le titre du recueil.
On lit. Et on relit certaines pages, séduits par la clarté
virile du style sans effet de l'auteur, et étonné de ne pas y trouver la
dénonciation du mensonge annoncée. Soljenitsyne n'est pas historien, mais il
est mieux: il vit l'histoire de l'intérieur. Aucune des grandes réflexions sur
la Révolution française - celles de Tocqueville, Thiers ou Taine - ne
lui est inconnue. Les deux textes - le premier sur la seule révolution de
février 1917, l'autre qui compare les deux révolutions de 1917 et de
1789 - font la paire.
La conclusion s'impose d'elle-même: ce n'est pas le mensonge
qui a provoqué la chute des deux monarchies, mais la faiblesse des deux
derniers rois. Nicolas II et Louis XVI étaient de bons chrétiens qui
aimaient leur famille plus que le pouvoir, et ne voulaient pas faire couler le
sang de leur peuple. Ces vertus chrétiennes et humanistes en faisaient de fort
braves hommes et d'excellents pères de famille ; mais de détestables rois.
Sans le citer, Soljenitsyne retrouve la leçon que professait déjà Richelieu
dans son testament: les vertus privées font le plus souvent les malheurs
publics. Ce qu'il dit de Nicolas II convient en tout point à
Louis XVI: «Toutes les décisions […] procédaient chez le tsar de son
attachement à la paix, qualité éminente pour un chrétien, fatale chez le
dirigeant d'un grand empire. […] La dynastie s'est suicidée pour ne pas
provoquer une effusion de sang, ou une guerre civile. Pour en provoquer une
pire, plus longue, sans le drapeau unifiant au trône.»
La faiblesse coupable de ces rois tenait à leur
caractère ; mais plus encore à l'environnement idéologique dans lequel ils
ont baigné. Au contraire des libéraux et de tous les progressistes,
Soljenitsyne ne fait pas de distinguo entre la «bonne» révolution (1789 et
février 1917) et la «mauvaise» (1793 et octobre 1917). Il est même plus sévère
avec les premières qu'avec les secondes ; avec les libéraux qu'avec les
«terroristes» jacobins ou bolcheviques. Il a bien compris que c'est l'idéologie
libérale, ce qu'il appelle le «Champ libéral-radical», qui a désarmé les
monarques et les élites autour d'eux: «Durant cent ans, le Champ avait irradié
si puissamment que la conscience nationale en lui s'était étiolée (“patriotisme
primaire”), et la couche instruite avait cessé de prendre en considération les
intérêts de l'existence nationale. Le sentiment national avait été rejeté par
l'intelligentsia et négligé au sommet. C'est ainsi que nous avons pris le
chemin de la catastrophe.»
«Ces troubles nous sont envoyés parce que le peuple a
oublié Dieu.»
Ce libéralisme antinational des élites avait été préparé de
longue date - au siècle des Lumières pour la France et depuis le coup de main
manqué des décembristes, en 1825, pour la Russie, par le travail de sape des
intellectuels, des écrivains, des philosophes libéraux. Soljenitsyne reprend
l'analyse de Tocqueville et de Taine: ce ne sont pas les difficultés
économiques, sociales, voire militaires, qui ont «mûri la révolution, mais […]
l'acharnement des intellectuels pendant des dizaines d'années, que le pouvoir
n'a jamais pu surmonter». Et de reprendre sans hésitation le jugement définitif
des paysans russes qui fera hurler tous nos beaux esprits de Paris ou de
Saint-Pétersbourg: «Ces troubles nous sont envoyés parce que le peuple a oublié
Dieu.»
« La Terreur de Robespierre a les jambes courtes »
L'implacable diagnostic posé, on peut nuancer: si la parenté
est frappante entre Girondins et Cadets, entre Danton et son groupe et les
leaders SR (socialistes-révolutionnaires), sans oublier bien sûr les Jacobins
de Robespierre et les bolcheviks de Lénine, Soljenitsyne n'est pas dupe de sa
propre comparaison: «La Terreur de Robespierre a les jambes courtes» à côté de
celle de Lénine: il n'a pas de force armée à sa dévotion ; respecte les
formes parlementaires et surtout la propriété privée. Robespierre est un
«patriote», Lénine se proclame «anti-patriote». Soljenitsyne ne tombe pas dans
le panneau dans lequel se précipiteront tous ses prétendus héritiers: il ne
compare ni Robespierre à Lénine, ni Bonaparte à Staline. Il est un vrai
réactionnaire, pas un libéral. Tous ses ennuis en Occident viendront de cette
différence. Il a compris qu'une révolution commence lentement et finit fort:
«La révolution est toujours une inflammation pathologique et une catastrophe.»
Il a compris que pendant que l'est de l'Europe subissait le totalitarisme
communiste, l'ouest du continent connaissait lui aussi une nouvelle révolution
qui détruisait toute tradition, toute racine, tout patriotisme, toute
spiritualité, avec la même alliance objective des libéraux qui désarment et des
terroristes totalitaires qui détruisent.
«Dans toute révolution se répète la même erreur, nous
prévient-il, craindre non pas ce qui va suivre, mais la restauration.»
Comprenne qui pourra. Qui voudra.
Révolution et mensonge, Alexandre Soljenitsyne, Éd.
Fayard, 183 pages, 20 euros.
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Encore
raté, les Américains aiment toujours Trump
A mi-mandat, il est bien moins affaibli que ne
l'espéraient les médias
Par Henri
Temple
- 8 novembre 2018
Malgré l’opposition frontale de la plupart des médias,
Donald Trump a fait mieux que limiter les dégâts lors des élections de
mi-mandat: si la Chambre des représentants penche, comme attendu, du côté
démocrate, les Républicains renforcent, eux, leur majorité au Sénat.
Donald Trump est une personnalité particulièrement clivante.
Mais c’est bien son parcours, sa philosophie générale et sa conception de
l’action politique qui ont fait apparaître au grand jour un clivage
planétaire préexistant, qu’il n’a pas créé mais simplement catalysé.
L’acharnement hystérique des médias, du show-biz, de la
bienpensance sociétale urbaine, d’une partie de la finance, du clan
Clinton contre Donald Trump ont été vains. Les élections de
mi-mandat, du 6 novembre dernier, aux Etats-Unis ont
encore décanté la scission de la société américaine entre deux conceptions
du monde et de l’homme.
Ils ont pourtant tout tenté…
Si Donald Trump va devoir s’attendre à de nouvelles
tracasseries de la part d’une Chambre des représentants qui, lui
étant désormais défavorable, multipliera les enquêtes à son sujet et sur
son administration, freinant un peu son action, le dernier mot sera, comme
la Constitution américaine le prévoit, au Sénat qui, à la fin décide de tout, y
compris des nominations des juges fédéraux et de la Cour suprême. Or, les
Républicains tendance Trump y seront désormais plus majoritaires que prévu.
Débarrassé de sa caste patricienne, le « Grand old
party », étonnamment devenu populaire ou populiste, sera
trumpiste. Et les Démocrates vont s’enfermer dans l’acrimonie sociétale (leur
partition habituelle et seule possibilité), suivis en cela par une partie des
médias.
Le sénateur du petit Vermont Bernie Sanders, à
peine réélu, a déjà donné le « la » : une charge violente contre le président, ce « menteur
pathologique » aux « politiques racistes ». Rien
sur le fond et les sujets majeurs de l’économie, de la fiscalité, de l’emploi,
de l’immigration. Or les médias (principalement le New York
Times et CNN) ont perdu leurs paris électoraux et politiques
douteux et n’ont pas gagné celui des « midterms ». Leur mauvaise
foi a été constante et sidérante : ils ont inventé des faux scandales,
rêvé de destitution, raillé toute la famille présidentielle et s’en sont
même pris au jeune fils timide, Barron Trump, 12 ans. L’évolution phraséologique
des Démocrates va probablement se gauchiser et se communautariser. Comme
en France. On ne parlera plus des Etats-Unis, de l’intérêt national, de
l’emploi, de la paix mais des femmes, des noirs ou des latinos, de
l’écologie, des gays et lesbiennes. Ces Démocrates-là discréditeront leur
parti et leur stratégie de gêne maximum au président à la Chambre des
représentants pourrait contribuer à la réélection de Donald Trump en 2020.
Vulgaire mais efficace
Mais voilà, ce président hors norme, sans doute vulgaire et
imprévisible, habitué des spectacles de télé, des matchs de catch et des
explications houleuses avec les corps de métier sur ses chantiers immobiliers,
capable d’auto dérision et d’aveux sur sa jeunesse scabreuse, ce macho assumé,
à l’ancienne, a tout réussi… Sur le plan politique : se faire élire,
placer ses gens dans tous les postes importants et à la Cour suprême. Et, dans
la nuit de mardi à mercredi, il a limité les
dégâts aux élections de mi-mandat que la plupart des sondeurs
prédisaient ravageuses pour lui. Sur le plan du commerce
international, il a mis fin aux accords transpacifiques, mis au pas l’Europe,
la Corée du Sud, a renégocié le Tafta en tordant les bras du Mexique puis du
Canada, et s’est fait procureur contre le multilatéralisme défendu par
Emmanuel Macron et Jean-Claude Junker. Car, pour Donald Trump, le
multilatéralisme oblige les nations à faire ce que leurs peuples ne veulent
pas… Bientôt, inexorablement, la Chine sera contrainte de renégocier ses
politiques : monétaire, sur-exportatrice, de propriété intellectuelle. Il
est imaginable qu’elle devra aussi revoir son attitude sur les droits de
l’homme (des millions de prisonniers politiques) et réduire son arrogante
expansion géostratégique et militaire.
En politique étrangère, Donald Trump a réalisé un étonnant
déblocage historique en Corée du Nord, pays jusque-là tenu par la Chine dans
une situation de menace larvée pesant sur l’Asie. Il a mis l’Iran dans une
situation économique, et donc politique, fragile car il ne veut pas que le
régime islamiste des mollahs dispose de la bombe atomique. Il a aussi mis
en application une très vieille décision du Congrès de 1995 :
transférer l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem, tout en laissant
entendre que si les Palestiniens devenaient une entité politique pacifique ils
pourraient implanter leur capitale à Jérusalem Est… Il a également relancé
l’industrie américaine en abaissant les impôts, instaurant des droits de
douanes sur les importations déloyales (de Corée, de Chine et, un temps,
d’Europe), ce qui a encouragé la relocalisation des productions. Il a lancé
d’énormes commandes militaires ou des grands chantiers. Il a traqué le travail
au noir des clandestins et l’immigration économique sauvage, au point que le taux de chômage est descendu très bas (3,9 %).
Certes il a déchiré l’accord de Paris sur le climat ; et l’état de santé
des citoyens américains, notamment celui des plus pauvres, n’est pas bon.
Donald Trump, révélateur des maux de la planète
Quoi qu’il en soit, après son succès relatif aux élections
de mi-mandat, il convient à présent de se demander ce que va faire Donald Trump
pendant les deux ans qui vont suivre. C’est très facile : Donald Trump
écrit et dit ce qu’il fera, puis il le fait. Il sera d’autant plus encouragé à
le faire que ses conceptions politiques et économiques trouvent des échos
partout dans le monde : en Russie, au Brésil, en Europe (Royaume Uni,
Italie, Pologne…) et même en Afrique. Ces conceptions se résument en quelques
maîtres mots : l’intérêt national avant tout ; l’action énergique sur
le réel ; la négociation carotte-bâton sur tout. En somme, du gros bon sens
musclé.
En ce qui concerne l’économie, les résultats des Etats-Unis
ne seront confirmés que si l’industrie est capable de compenser la chute des
importations depuis la Chine. Et si le déficit budgétaire est corrélativement
diminué par l’augmentation du PIB dû à cette relance, à la fois par l’offre et
par la demande. L’enjeu est non seulement interne mais international car la
politique offensive de l’administration Trump contre la mondialisation et l’OMC
est si brutale que cette dernière peut disparaître en tant que telle. Par-delà,
c’est toute une conception des relations internationales, dite
multilatéraliste, qui est soudain remise en cause. Avec des effets collatéraux
attendus sur la politique intérieure chinoise et sur les fondations fissurées
du système bruxellois.
Une autre question majeure devient désormais centrale :
la question démographique et donc migratoire. Quand Donald Trump est né, la
planète comptait deux milliards d’habitants ; elle en supporte dorénavant plus
de sept. Les vagues migratoires incontrôlées, les atteintes à l’environnement
en sont les conséquences directes, ainsi que des guerres et des tensions
interethniques et religieuses dramatiques.
Enfin, sur les plans géostratégique et militaire, Donald
Trump veut en finir avec la guerre froide et donc avec l’outil coûteux qui
avait été édifié pour y faire face dans le contexte des années 50 :
l’OTAN. Il voudra probablement faire un nouveau Yalta avec Poutine, pacifier la
question ukrainienne (il a, par sa femme et son fils, un tropisme slave),
transférer le coût de fonctionnement de l’OTAN à ses alliés européens et, avec
la récupération de ce budget improductif, redonner une avance technologique à
l’armée américaine, ce qui relancera au passage son industrie militaire.
Avec ses excès et ses foucades, Donald Trump est un
révélateur des maux de la planète. Et il y apporte ses solutions : la
liberté des nations. Ces solutions marchent aux Etats-Unis. Et cela va
contraindre nos falots politiciens à s’adapter au monde nouveau qui vient. Ou à
remballer leur camelote idéologique, et partir.
A
l’école, la violence contre les profs ne vient pas que des élèves
Elle est aussi le fait de l'Education nationale envers
les professeurs
Par Laurence
David
- 8 novembre 2018
Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer en visite dans un
collège de Laval, le 3 septembre 2018. ©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP
On parle enfin de la violence dont sont victimes les
professeurs de la part de certains élèves. C’est bien, mais ces derniers ne
sont pas les seuls à faire pression sur le personnel des écoles…
Education, la parole se libère. C’est formidable. Il y a
quelques mois nous sortions du déni sur l’antisémitisme et depuis, ça va
beaucoup mieux. Tous les espoirs sont donc permis d’une action efficace une
fois les geysers émotionnels retombés. Tous les enseignants devraient
vraisemblablement bientôt trouver dans leur boîte mail académique, une vidéo de
leur ministre, qui, le regard profond et habité plongé droit dans le leur,
affirmera qu’il leur fait confiance et les soutient. Que peut-il faire
d’autre ? Un homme seul, ou presque, peut-t-il parvenir à changer une
culture d’entreprise ? Nous voici au cœur du problème : ce sont
autant les politiques successives que les pratiques managériales en vigueur
dans l’Education nationale qui l’ont amenée à ce degré de délabrement. Et en
matière de culture d’entreprise dévastatrice, le monde de la maternelle et de
l’élémentaire, le plus silencieux, est un cas d’école.
Donne-moi ta main… et prends la mienne
Bien sûr, ici comme dans le secondaire, il y a cette omerta
face aux faits de violence dont les journaux se font largement l’écho ces
jours-ci, avec les mêmes origines : pression de la hiérarchie, peur du
jugement des collègues, autocensure, adhésion de certains à l’idéologie de
l’excuse et même peur physique des représailles. Mais il y a bien plus :
en raison de l’organisation des écoles, les occasions de maltraitance envers
les enseignants sont démultipliées et ne viennent pas uniquement de la part
d’élèves turbulents ou agressifs, mais aussi de leur hiérarchie.
A lire aussi: Jean-Michel Blanquer, le ministre « pas de vague »
Pour comprendre la situation, il faut savoir qu’un directeur
n’est pas, comme un proviseur ou un principal de collège, un chef
d’établissement. Il n’a donc aucun pouvoir hiérarchique sur les membres de son
équipe, il n’est que l’un d’entre eux et assume souvent un temps de classe en
plus de sa fonction de direction. Il ne dispose d’aucune aide administrative,
puisqu’en ces temps de vaches maigres, les rares contrats aidés ont été
supprimés à la rentrée 2017, au motif que, selon le ministère « des actions
sont menées pour alléger les tâches administratives des directeurs. Le
recours à l’informatique y contribue » (Réponse ministérielle à Dimitri Houbron, député LREM
du Nord). L’intégralité des consignes ministérielles doit donc être
absorbée par le directeur et les enseignants.
C’est cette spécificité qui va permettre de maximiser
l’impact de deux techniques de management dévastatrices, maniées avec art
par la hiérarchie : l’injonction paradoxale et le principe de l’avalanche.
Va à droite et en même temps à gauche
L’injonction paradoxale consiste à transmettre deux
obligations ou injonctions contradictoires, qui, s’interdisant
mutuellement, induisent une impossibilité logique à les exécuter. Les exemples
foisonnent. Exiger que l’on aille ouvrir un portail, situé à l’autre bout de
l’école, à tout parent emmenant son enfant en retard, tout en interdisant de
laisser sa classe sans surveillance. Demander d’organiser des cachettes pour le
confinement en cas d’attaque terroriste mais exiger l’approbation du texte qui
explique où elles se trouvent en conseil d’école, devant des parents élus dont
on ignore si, investis d’une mission de transmission, ils ne diffuseront pas
l’information via les outils numériques. Donner la consigne de s’entraîner aux
évacuations incendie, mais ne pas former les enseignants au maniement des
extincteurs. Prévoir dans les textes un coin-parents ouvert à tous, même à ceux
éventuellement fichés S et faire respecter le plan Vigipirate…
Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas…
A cela s’ajoute le principe pervers de l’avalanche. Les
cadres de l’institution sont parfaitement conscients que bien des missions
demandées au personnel des écoles sont irréalisables. Leur souci est donc
double : assurer malgré tout la transmission de l’ordre qui vient d’en
haut mais éviter qu’une question embarrassante ne remonte, où que parfois, un
outil utile à sa défense ne tombe aux mains d’un fonctionnaire et qu’il n’en
fasse usage. L’avalanche est alors la solution. Il faut avoir, une fois, ouvert
un courrier venant d’une inspection académique pour prendre la mesure de la
perversité de l’acte : multiples pièces jointes, contenant des liens,
ouvrant sur d’autres liens. Erratum. Envoi différé de pièces complémentaires.
Désinhibée par l’absence de frais de port, l’administration se lâche. Tout est
bon pour submerger le destinataire et lui faire endosser toutes les
responsabilités en douce : il est informé, il sait. S’il faillit, c’est
qu’il n’a pas accompli correctement la mission dont on l’avait chargé, il est
donc le seul fautif car nul n’est censé ignorer la parole de la hiérarchie.
Enseignants sans défense
C’est aussi grâce à cette méthode que les cadres sont
parvenus, jusqu’à ce jour, à priver les enseignants d’un important moyen de
défense : le C.H.S.C.T. et le registre santé et sécurité au travail. Les
missions du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail
(C.H.S.C.T.) sont de contribuer à la protection de la santé physique et
mentale, à la sécurité des salariés, à la prévention, à l’amélioration des
conditions de travail et d’assurer une veille sur l’observation des
prescriptions légales prises dans ce domaine par l’employeur. Le registre santé
et sécurité permet à tout personnel ou usager de signaler une situation qu’il
considère comme anormale ou dangereuse, il assure la traçabilité de la prise en
compte du problème, conserve l’historique et permet éventuellement sa remontée
au C.H.S.C.T..
La place des incidents recensés par le hashtag #PasDeVague
est avant tout dans ces registres dont la plupart des professeurs des écoles
ignorent l’existence. Tout comme l’est celle de tous les faits qui sont de
nature à mettre en danger la santé physique et mentale du personnel :
agressions et violences des élèves ou des parents, agressivité verbale répétée
d’un inspecteur, manque de personnel formé aux gestes de premiers secours,
risques psychosociaux liés aux mauvaises conditions de travail, inadaptation
des locaux à la mise en œuvre du Plan particulier de Mise en Sécurité face aux
risques d’intempérie ou d’intrusion… L’Education nationale n’a pas su ou voulu
mener une campagne volontariste concernant l’accès à ce moyen
d’institutionnalisation de la demande d’aide face aux difficultés. Les syndicats,
englués dans une culture de la cogestion, n’ont pas su se saisir de cet outil
dont leurs homologues des grandes entreprises, plus combatifs et innovants dans
les moyens de lutte, font usage depuis longtemps.
Des paroles et des actes ?
L’effet lampe torche du hashtag #PasDeVague ne doit pas
rejeter dans l’obscurité qui règne en dehors du halo, le fait que la violence
n’est pas seulement celle des élèves mais aussi celle de l’institution
qui refuse de donner les moyens d’agir et de se protéger à son personnel et le
bâillonne. L’action de Jean-Michel Blanquer ne sera complète et crédible que
si, au-delà de sa volonté de rétablir l’ordre dans les établissements, il
manifeste, par des actions concrètes, celle de redonner la parole sur leurs
difficultés aux enseignants. L’instauration d’une médecine du travail et
la mise en fonctionnement effective d’outils institutionnels de dialogue tels
que le C.H.S.C.T. seraient un minimum.
Enfin, une rupture dans l’usage dévastateur de la
communication et des éléments de langage à double tranchant serait aussi un
signe fort. Le ministre ne peut ignorer que les visites Potemkine dans des
établissements soigneusement sélectionnés par ses équipes ont autant vocation à
redorer le blason de l’Education nationale qu’à faire la leçon à l’ensemble de
la profession. Cette méthode du « Regardez, eux ils y arrivent »,
déconnectée de toute analyse d’une réussite qui n’est peut-être due qu’à des
paramètres conjoncturellement favorables, relevant de l’exception, est, elle
aussi, destructrice. Tout comme l’est l’insidieuse injonction du slogan
ministériel « école de la confiance » qui comporte sa part de
« Ne trahissez pas celle que je mets en vous » et de
« Débrouillez-vous, je ne veux rien savoir ».
Il y a donc beaucoup à faire. Au fil des décennies, management
pathogène et plan de communication sont venus s’ajouter à une gestion comptable
de l’Education nationale. Le hashtag #PasDeVague est une soupape éphémère et
les solutions proposées par Jean-Michel Blanquer, contraint par un contexte
gouvernemental très « start up nation », se limitent à la question de
la violence des élèves. Mais ne soyons pas dupes, le mal est plus profond.
Trump,
fort comme un éléphant - Le président Trump accroît sa mainmise sur le Sénat
Par Anthony
Lacoudre
- 8 novembre 2018
Donald Trump. Sipa. Numéro de reportage : AP22268770_000112.
Malgré la conquête démocrate de la Chambre des
représentants, le président Trump accroît sa mainmise sur le Sénat. Sa
politique économique, à l’origine de l’embellie des bourses américaines, n’est
donc plus menacée.
Sur le papier, le Parti républicain a subi une défaite
relativement lourde à la Chambre des représentants, mardi soir. Depuis novembre
2016, les Républicains détenaient 241 sièges contre 194 sièges pour les
Démocrates. En remportant 34 sièges et en n’en perdant qu’un seul (conformément
à ce qu’avaient annoncé les instituts de sondage !), les Démocrates reprennent
donc le contrôle de la Chambre avec 227 sièges, soit 9 de plus que la majorité
de 218, contrôle qu’ils avaient perdu depuis les élections de mi-mandat de
Barack Obama de novembre 2010 et qu’ils n’avaient jamais pu reprendre depuis
lors.
Un Congrès traditionnellement républicain
En réalité, ces vingt-quatre dernières années, les
Républicains auront contrôlé la Chambre pendant vingt ans. Les Démocrates n’ont
eu la majorité à la Chambre que de novembre 2006 à novembre 2010. Cette période
correspond aux élections de mi-mandat du second mandat de George W. Bush (ce
dernier ayant été sanctionné par les électeurs en raison du fiasco de la guerre
en Irak) et aux élections de novembre 2008 qui ont vu l’élection de Barack
Obama. La gauche américaine vient donc de mettre un terme à huit années de
contrôle Républicain de la chambre basse du Congrès.
A y regarder de plus près, les prédécesseurs de Donald Trump
n’ont guère fait mieux. Traditionnellement, aux Etats-Unis, le parti qui
remporte les élections présidentielle et législatives perd systématiquement les
élections de mi-mandat. En moyenne, depuis le début du XIXe siècle, le parti au
pouvoir a perdu 30 sièges à la Chambre et 6 sièges au Sénat. En dépit de son
implication personnelle prégnante au cours de cette campagne électorale, Donald
Trump n’aura pas réussi à créer la surprise en renversant l’histoire, tout au
moins s’agissant de la Chambre des représentants, la perte de 33 sièges
correspondant peu ou prou à la moyenne de ses prédécesseurs illustres.
Les Républicains confortés au Sénat
Concernant le Sénat, la performance fut au rendez-vous. Avec
seulement un sénateur sortant perdu (dans le Nevada, où le candidat républicain
fut un temps publiquement opposé à Donald Trump), 7 Sénateurs sortants réélus
(dont notamment Martha McSally, ancienne Colonel de l’armée de l’Air, élue en
Arizona et Ted Cruz au Texas au soir d’une bataille épique contre O’Rourke, une
étoile montante Démocrate qui sera probablement l’un des prétendants à gauche
pour la présidentielle de 2020) et surtout avec 4 Sénateurs élus contre des
sénateurs démocrates sortants (dans le Dakota du Nord, en Floride, dans
l’Indiana et dans le Missouri), le Parti républicain accroît sa majorité de 51
à 55 Sénateurs, contre 45 Sénateurs Démocrates. Dans la plupart de ces états
clefs, la victoire s’est jouée à un fil. La gauche n’a pas été loin d’emporter
également la majorité au Sénat. En tout état de cause, Donald Trump peut
affirmer avec fierté que chacun des candidats qu’il est allé personnellement
encourager en organisant des tonitruants MAGA Rallies(« Make
America Great Again »), a finalement été élu. Depuis 1934, le parti du
président nouvellement élu a augmenté seulement à quatre reprises le nombre de
sénateurs aux élections de mi-mandat.
Du reste, il est assez rare que des élections de
mi-mandat aboutissent à une majorité différente dans chacune des deux chambres
du Congrès (« split verdict »). La dernière fois fut en
2010 lorsque le parti de Barack Obama perdit la majorité à la Chambre des
Représentants et conserva de justesse la majorité au Sénat (en ayant perdu tout
de même 6 Sénateurs !). Les électeurs ont donc renvoyé mardi soir une majorité
démocrate à la Chambre mais ils ont refusé d’accorder cette majorité au Parti
démocrate au Sénat, sans doute effrayés par le comportement des Sénateurs de
gauche pendant les auditions du mois d’octobre dernier du candidat Brett
Kavanaugh au poste de juge à la Cour suprême.
Aucune loi majeure ne sera adoptée
D’un point de vue législatif, cette distorsion de majorité
constitue la garantie qu’aucune loi majeure ne sera adoptée pendant les deux
ans qui viennent, la Constitution prévoyant que les deux chambres doivent se
mettre d’accord sur un texte commun (“Legislative Gridlock”). En tout
état de cause, les commentateurs soulignent qu’il était bien plus important
pour Donald Trump et les Républicains de conserver le Sénat plutôt que la
Chambre dans la mesure où le Sénat seul approuve non seulement les traités internationaux
mais aussi les nominations des membres du gouvernement, des juges fédéraux et
des membres de la Cour suprême. Le président a déjà nommé 82 juges fédéraux
depuis son élection et a remplacé 2 juges sortants de gauche à la Cour suprême,
la majorité droite/gauche étant désormais établie à 5 contre 4 au sein de la
Cour suprême ; les Démocrates prient tous les soirs que leurs 4 juges restent
en bonne santé au cours des deux années à venir ! Donald Trump ne s’y était pas
trompé puisqu’il a clairement axé sa propre campagne des deux dernières
semaines autour du Sénat. Le président, qui a vu dans cette soirée
électoral « un énorme succès » va donc pouvoir
poursuivre à la fois la transformation profonde du tissu judiciaire américain
entamée depuis janvier 2017 ainsi que son agenda international.
Pas de destitution en vue
Enfin, la droite a réussi à limiter les dégâts s’agissant de
l’élection des gouverneurs. Avant l’élection de mardi soir, seuls 16
gouverneurs sur 50 étaient démocrates, ce qui était un record historique. Au
lendemain de l’élection, où seulement 36 des 50 gouverneurs étaient en lice, la
gauche a réussi à prendre 7 gouverneurs à la droite (dont le Kansas, à 100 voix
près !). La gauche rééquilibre les comptes mais reste minoritaire et compte désormais
23 gouverneurs contre 27 gouverneurs de droite. La droite l’a notamment emporté
en Floride, en Géorgie et dans l’Ohio, au soir de batailles très serrées contre
des stars montantes du Parti démocrate ainsi que dans des états
traditionnellement à gauche comme le Massachusetts, le New Hampshire ou le
Vermont. Les victoires dans des Etats comme l’Ohio ou la Floride sont de bon
augure en préparation de l’élection présidentielle de 2020, ces deux états
étant traditionnellement cruciaux pour la victoire à la présidentielle.
La vague démocrate tant annoncée par les élites et les
médias n’a donc pas déferlé lors de ces élections de mi-mandat, qui auront été
les plus chères de l’histoire des Etats-Unis (5,2 milliards de dollars ont été
dépensés au total par les deux camps). Lors de leur séance du lendemain,
mercredi 7 novembre 2018, les marchés financiers ont d’ailleurs applaudi le
fait que la gauche ne remporte pas les deux chambres du Congrès par des gains
des indices de plus de 2 %. La droite ayant conservé et même renforcé sa
majorité au Sénat, les marchés ont désormais l’assurance qu’une procédure de
destitution (impeachment) n’aboutira pas contre le président. Il est
aussi acquis que la réforme fiscale de Donald Trump – qui a été à l’origine de
la montée de 35 % de la bourse de New York depuis son élection – ne sera pas
remise en cause par le Congrès.
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