perubu |
04/11/2018
Mehdi Derfoufi, chercheur associé à l’université Sorbonne-Nouvelle
(Paris-III), « spécialiste des questions post-coloniales au cinéma et dans les
jeux vidéo », né à Rabat (Maroc), revient sur le jeu vidéo, sa représentation
de la conquête de l’Ouest et la place marginale accordée aux minorités. Il a
répondu durant trois heures le mardi 30 octobre aux […]
perubu |
04/11/2018
Le non à l’indépendance l’a emporté dimanche en Nouvelle-Calédonie avec
56,4% des voix contre 43,6% pour le oui lors d’un référendum
d’autodétermination historique, a indiqué le Haut-Commissariat. Le score du non
se situe cependant très en deçà de ce que les sondages prévoyaient. La
participation a été massive, avec 80,63% de votants. Le Figaro
Koba |
04/11/2018
Ces dernières années, trouver la réponse adéquate au déclin démographique
de l’Europe est devenu l’une des principales sources de désaccord entre des
politiques européens et la Hongrie. Alors que les bureaucrates bruxellois et
les libéraux européens considèrent l’immigration comme la solution nécessaire
et inévitable, le gouvernement hongrois s’est engagé à augmenter le taux de
natalité […]
perubu |
04/11/2018
04/11/18 Le mari d’Asia Bibi, Ashiq Masih, réclame, dans une vidéo,
l’asile pour sa famille aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou au Canada alors
que le sort de la Pakistanaise, acquittée cette semaine après avoir été condamnée
à mort pour blasphème, demeure incertain dans son pays. « Ces pays ont les
plus grandes communautés de chrétiens pakistanais » […]
Sebastien de Lyon | 04/11/2018
Le nombre de viols commis par des demandeurs d’asile est en augmentation.
Six jeunes Afghans auraient violé une étudiante de 15 ans à Munich. Tout comme
le viol collectif commis par au moins huit hommes à Fribourg, dont sept
Syriens, l’incident de Munich n’est connu que maintenant, après plusieurs
semaines. Mais pourquoi si tard? Est-ce […]
lionel |
04/11/2018
Trois millions de volontaires ont été soumis à des dilemmes auxquels
pourraient avoir à faire face les futurs véhicules autonomes, dessinant un
véritable portrait moral de l’humanité. « Je me souviens avoir reçu un e-mail
d’un monsieur très en colère: la première question qui lui avait été posée
était: “Préférez-vous tuer un sans-abri ou deux […]
Sebastien de Lyon | 04/11/2018
La police a fait évacuer, hier à Tours, les locaux dans lesquels des
migrants avaient trouvé refuge. La question de leur avenir se pose bruyamment.
Les regards sont stupéfaits. L’image des larmes et des cris de colère
contrastent face à la froideur des forces de l’ordre. Hier, à Tours, une
trentaine de policiers ont évacué […]
Sebastien de Lyon | 04/11/2018
Faux mineurs à Metz : l’un relaxé, pas l’autre Partis d’Afrique avec
le même espoir, Damien et Mamadou suivent deux parcours différents pour arriver
en France mais échouent devant le même TGI. Respectivement nés à Conakry
(Guinée) et à Douala (Cameroun), Mamadou et Damien ne sont pas d’accord avec la
justice sur leur âge. Elle les […]
perubu |
04/11/2018
Soupçonnée d’avoir vandalisé une boucherie, un restaurant et une
poissonnerie à Lille, Manon -son prénom a été modifié-, antispéciste, sera
jugée en décembre pour « dégradation ». Avec Léna, elle milite pour
que des « droits fondamentaux » soient accordés aux animaux. Les deux
jeunes activistes sont devenues vegans à « l’été 2016 » après avoir
visionné des vidéos de maltraitance […]
9h37
perubu |
04/11/2018
L’Espagne est devenue la principale porte d’entrée en Europe pour des
personnes originaires d’Afrique de l’Ouest qui tentent de gagner la France. En
2018, l’Espagne est devenue la principale porte d’entrée en Europe. Quelque 50
000 personnes migrantes sont arrivées sur les côtes andalouses depuis le début
de l’année, en provenance du Maroc, ce qui […]
9h32
Sebastien de Lyon | 04/11/2018
Comment un tribunal fait le tri entre terrorisme et délinquance ordinaire
Les lois antiterroristes peuvent-elles réellement toutes trouver une traduction
devant les tribunaux, ou existe-il des difficultés d’application pour certaines
d’entre elles, trop larges ou trop floues ? La seizième chambre du tribunal
correctionnel de Paris a dû se prononcer le 14 septembre dernier dans […]
Non, l’école française n’est pas la pire du monde
« La Catalogne a été économiquement favorisée par l’Etat espagnol »
Juifs, chrétiens et musulmans: l’Espagne médiévale ne fut pas l’éden
multiculturel qu’on croit
Hongrie : + 42% de mariages en 8 ans, « Les bureaucrates
bruxellois et les libéraux européens considèrent l’immigration comme la
solution nécessaire et inévitable, nous préférons le soutien aux
familles »
Par Koba le 04/11/2018
Ces dernières années, trouver
la réponse adéquate au déclin démographique de l’Europe est devenu l’une des
principales sources de désaccord entre des politiques européens et la Hongrie.
Alors que les bureaucrates bruxellois et les libéraux européens considèrent
l’immigration comme la solution nécessaire et inévitable, le gouvernement
hongrois s’est engagé à augmenter le taux de natalité par des mesures plus
efficaces de soutien aux familles.
La prochaine consultation nationale vise à recueillir l’avis des citoyens
sur les fondements d’un puissant programme de soutien aux familles, dans
l’espoir d’envoyer un message clair : l’Europe ne peut pas être relancée sans
renforcer les familles.
Depuis 2010, date à laquelle le gouvernement du Premier ministre Orbán a
pris ses fonctions, la politique familiale hongroise a donné des résultats
concrets : en 2017, le nombre d’avortements ont chuté de plus d’un tiers,
passant de 40 449 à 28 500, les divorces ont nettement diminué (de 23 873 en
2010 à 18 600 en 2017) et le nombre des mariages ont augmenté de 42 %.
Lors d’une conférence de presse, la secrétaire d’État, Csaba Dömötör, a
déclaré que dans le questionnaire, les sujets abordés seront les mesures
possibles pour soutenir les jeunes couples mariés, les incitations
supplémentaires pour élever plus d’enfants et offrir aux femmes qui élèvent des
enfants des possibilités d’emploi plus flexibles. M. Dömötör a réitéré que
d’ici 2019, les dépenses publiques consacrées aux programmes de politique
familiale seront doublées par rapport au montant alloué à des fins similaires
en 2010.
Suède : un étudiant d’origine
syrienne a violé sa prof dans une salle de classe et a menacé de la kidnapper
Par Koba le 04/11/2018
19h37
Suède – Un étudiant syrien de
19 ans est accusé d’avoir violé une enseignante dans un établissement scolaire
de Småland, dans le sud de la Suède.
Le jeune migrant a été arrêté le mois dernier pour avoir attaqué et
menacé une enseignante de l’école de Nässjö.
Selon l’agence de presse TT, il aurait fermé la porte de la
salle de classe, retenu l’enseignante et a commis des « actes
sexuels équivalents à un viol ».
L’élève est également accusé d’abus sexuel et d’avoir menacé via Snapchat
de kidnapper l’enseignante et de la forcer à avoir des rapports sexuels.
Il reste en détention en attendant le procès.
Le violeur présumé avait obtenu la nationalité suédoise.
Allemagne: Des experts évoquent « la hausse du nombre de
viols » commis par des demandeurs d’asile et l’origine « arabe »
des auteurs de viols collectifs
Par Sebastien de Lyon le 04/11/2018
Le nombre de viols commis par
des demandeurs d’asile est en augmentation.
Six jeunes Afghans auraient violé une étudiante de 15 ans à Munich. Tout
comme le viol collectif commis par au moins huit hommes à Fribourg, dont sept
Syriens, l’incident de Munich n’est connu que maintenant, après plusieurs
semaines.
Mais pourquoi si tard?
Est-ce que quelque chose doit
rester secret?
Les enquêtes s’avèrent fastidieuses à cause des difficultés
linguistiques.
Cinq Afghans présumés, âgés de 20 à 25 ans sont actuellement en détention. Un sixième encore recherché, selon la police de Munich.
Cinq Afghans présumés, âgés de 20 à 25 ans sont actuellement en détention. Un sixième encore recherché, selon la police de Munich.
Il y a environ quatre semaines, des demandeurs d’asile reconnus auraient
agressé sexuellement des jeunes de 15 ans, sur plusieurs jours et dans
plusieurs appartements. Mais pourquoi at-il fallu si longtemps pour que
l’affaire soit rendue publique?
Le journaliste de RTL, Kyrill Ring, a interviewé le criminologue
Christian Pfeiffer. Et que dit l’expert?
« Toutes les infractions liées aux gangs nécessitent beaucoup plus
d’efforts, en particulier lorsqu’il s’agit de suspects étrangers pour lesquels
vous ne comprenez pas la langue immédiatement, pour lesquels vous avez besoin
d’interprètes, pour lesquels vous devez également explorer les réseaux, lorsque
vous soupçonnez que quelque chose est délibérément dissimulé. »
» faux, la politique
n’interfère pas « , a déclaré Pfeiffer.
(NOTA: En réf. à l’allusion « Est-ce que quelque chose doit
rester secret? »)
Pour ce qui est du viol de masse à Fribourg, il a fallu deux semaines,
jusqu’à ce que les faits soient rendus publics.
Les experts notent que le phénomène du viol collectif par des demandeurs
d’asile en Allemagne est en augmentation.
Viols collectifs:
Arnold Plickert, expert en matière de sécurité: « Nous ne
connaissions pas ces crimes de groupe avant 2015, qui sont arrivés ici avec la
vague de réfugiés et en grande partie, perpétrés ici, par des hommes arabes, de
par leur culture »
Dans le cas de Munich, les faits évoqués sont encore minces, même des semaines plus tard. C’est une déclaration contre une déclaration. Le principal responsable affirme que le sexe était consensuel.
Dans le cas de Munich, les faits évoqués sont encore minces, même des semaines plus tard. C’est une déclaration contre une déclaration. Le principal responsable affirme que le sexe était consensuel.
Ai-je le droit de blasphémer Dieu ?
On a coutume de dire que
dimanche est le jour du seigneur, et voilà que ce matin l’ami Roland Perez,
notre chroniqueur droit, pose la question de savoir si, usant de la liberté
d’expression dévolue à tout un chacun, du moins dans les pays démocratiques
comme en Europe, on a le droit de blasphémer Dieu ? Et on va voir que la
réponse est surprenante !
Jeudi 25 octobre, la cour européenne des droits de l’homme a confirmé la
condamnation d’une Autrichienne qui l’avait saisie, alors que dans son pays, la
justice l’avait condamnée pour avoir qualifié Mahomet de pédophile ! Ça
mérite, je vous l’accorde, quelques explications.
Oui Roland vous allez nous les
donner. Mais tout d’abord arrêtez-moi si je me trompe, le délit de blasphème
n’existe pas dans notre droit français et dans la plupart des pays européen
? Et d’ailleurs rappelez-nous ce qu’est exactement le délit de blasphème.
C’est littéralement une injure faite à Dieu. Les trois grandes
religions répriment évidemment toutes formes d’injures et de critiques, le
Coran l’étend même au Prophète si ce n’est qu’en fait seuls les croyants
devraient être concernés. Mais ensuite le blasphème a été vu comme une menace
potentielle pour toutes les sociétés d’où la création en droit public de ce
délit et il a fallu attendre la loi sur la presse en 1881 en France, pour
bannir de notre droit ce délit.
Mais en Europe, plusieurs pays considèrent encore l’offense à une religion comme un délit, preuve en est l’Allemagne qui sanctionne l’insulte aux croyances religieuses, en Pologne et en Italie, l’outrage aux divinités est également réprimé et dans une partie de notre France l’Alsace Moselle jusqu’à il y a encore deux ans ce délit était prévu dans le droit local sans être appliqué.
Mais en Europe, plusieurs pays considèrent encore l’offense à une religion comme un délit, preuve en est l’Allemagne qui sanctionne l’insulte aux croyances religieuses, en Pologne et en Italie, l’outrage aux divinités est également réprimé et dans une partie de notre France l’Alsace Moselle jusqu’à il y a encore deux ans ce délit était prévu dans le droit local sans être appliqué.
Et vous nous dites ce matin
Roland, que la Cour européenne des droits de l’homme vient de rendre une
décision consacrant en quelque sorte de nouveau, l’existence du délit de
blasphème ?
Oui, je vous donne les faits de cette affaire, : en Autriche lors
d’une conférence autour de la connaissance élémentaire de l’Islam, la
conférencière s’exprimant à propos du mariage du prophète Mahomet avec une
fillette de 6 ans, elle poursuit et je cite les propos : « sa
consommation sexuelle à l’âge de 9 ans, comment appelons-nous cela, si ce n’est
de la pédophilie ? ». Condamnée pour ses propos jugés injurieux dans
son pays, les faits remontent à 2012, elle attendait de la cour européenne qu’elle
condamne l’Autriche pour avoir jugée ainsi.
Et donc cette décision de la
cour européenne est une très mauvaise surprise pour cette Autrichienne. Mais quels sont justement les motifs
avancés pour faire ressurgir ce délit de blasphème ?
Préserver la paix religieuse et la tolérance mutuelle sont les
arguments avancés par la cour avec à la clé cette idée que tous les pays
d’Europe auraient l’obligation d’assurer la coexistence pacifique de toutes les
religions et de ceux n’appartenant à aucune religion en garantissant la tolérance
mutuelle. Dans le cas de la conférencière, il lui a été reproché un
jugement de valeur, car elle n’aurait pas restitué dans leur contexte
historique les faits, et rappelé par exemple que le prophète avait été
également marié avec une épouse bien plus âgée que lui.
Quoiqu’il en soit la liberté de penser en matière
religieuse devrait être au centre de l’appel de cette décision devant
la grande chambre de la cour européenne.
Non, l’école française n’est pas la pire du monde
Par Frédéric Constant - 2
novembre 2018
QI, handicap culturel, fossé
social : l’institution scolaire ne peut corriger toutes les inégalités de
départ. Pourtant, certains lui demandent l’impossible. Mise au point.
On connaît la chanson : les
inégalités scolaires s’accroissent ; l’école française accroît les
inégalités scolaires, étant plus inégale que les autres. De ces trois constats,
souvent éplorés, parfois révoltés, seul le premier est à peu près vérifié.
Quels que soient l’âge et la matière – mathématiques ou maîtrise de l’écrit -,
les écarts entre les meilleurs et les plus faibles se creusent sans que
les meilleurs progressent pour autant ; cela dépend et c’est aussi bien
l’amélioration de l’efficacité du système (en permettant à tous de donner le
meilleur d’eux-mêmes les élèves favorisés apprennent plus) que sa détérioration
(en étant moins performante l’école va laisser plus de poids aux transmissions
familiales) ou qu’un effet de composition (l’évolution des flux migratoires
notamment) qui pourraient en être la cause.
L’école face aux inégalités de
QI
En revanche, alors que la
scolarité s’accompagne d’un accroissement des écarts, il est aberrant d’en
imputer la responsabilité au système éducatif. Prétend-on vraiment que s’il n’y
avait pas de scolarisation les écarts diminueraient ? Le QI et les
résultats scolaires sont pour une large part génétiques et héréditaires (entre
30 % et 70 % selon les sources) et le capital socio-culturel se
transmet aussi bien que le capital économique. Ces deux puissants facteurs
continuent de produire leurs effets tout au long d’une scolarité qui ne peut
que partiellement les compenser.
L’objectif d’une disparition de
ces inégalités est donc une chimère. Elle est de surcroît une chimère
pernicieuse pour deux raisons : d’une part, parce qu’en insinuant qu’il
serait possible de les annihiler, on véhicule aussi l’idée que le système est biaisé
en faveur des possédants, ce qui nourrit les ressentiments qu’on constate tous
les jours . D’autre part, parce qu’inférer de la seule constatation des
inégalités d’arrivée la preuve d’une discrimination c’est inciter à des
politiques alternatives non seulement coûteuses mais inefficaces voire
néfastes : Les méthodes idéovisuelles d’apprentissage de la lecture, les
expérimentations et les innovations incontrôlées ont souvent pour premières
victimes les enfants des milieux défavorisés.
Mais dès lors qu’il subsistera
toujours des écarts, quels objectifs fixer et comment paramétrer les
efforts de promotion des élèves défavorisés ? Les comparaisons
internationales peuvent fournir des éléments de parangonnage. Encore faut-il ne
pas leur faire dire n’importe quoi…Et les discours tenus autour des évaluations
PISA sont à cet égard inquiétants : la France depuis au moins les trois
dernières livraisons serait le pays des inégalités. Il est très curieux que
l’Allemagne qui scolarise les enfants tardivement et met en œuvre des filières
précoces d’orientation en ressorte plus égalitaire avec il est vrai un profil
migratoire différent.
Ce que dit l’OCDE
Quand on y va voir d’un peu plus
près, c’est une autre histoire. A l’appui de cette condamnation sans équivoque,
on nous sert, en effet, la plus défavorable des corrélations et indicateurs
calculés. Cette corrélation emblématique fait bon marché du caractère
multifactoriel des apprentissages et attribue aux seules différences de statut
économique, social et culturel (SESC) la production des inégalités en ignorant
notamment les facteurs ethniques.
Or la France se caractérise à la
fois par l’importance de ses flux migratoires et par leurs origines : les
immigrés d’Afrique ont des résultats scolaires inférieurs aux autres immigrés
et à la population majoritaire après prise en compte du statut
socio-économique.
On confond donc potentiellement
effet de rendement de l’école et effet de composition de ses publics. Et
lorsque l’OCDE intègre l’ensemble des facteurs explicatifs et les met en
relation avec les inégalités de résultats, le poids du SESC n’est pas très
différent en France de la moyenne et significativement plus faible…qu’en
Finlande qui nous était encore il y a peu donnée en exemple pour la pertinence
de ses méthodes pédagogiques. Il est extrêmement troublant que ces données ne
soient pas publiées mais seulement accessibles.
Pour ce qui concerne les
immigrés, les données OCDE montrent une autre réalité : si les immigrés de
première génération ont des performances inférieures en France, cet écart s’y
réduit beaucoup plus fortement qu’ailleurs pour ceux de seconde génération, si
bien qu’il n’est pas exclu que l’école républicaine parvienne tout de même à
certains résultats !
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Violences : l’école n’est que
le reflet de la société
Il ne sert à rien de réformer
l'école sans réformer la société
Par Gérard Mamou
- 30 octobre 2018
Violences du 1er mai 2018 à
Paris. SIPA. 00857010_000013
Les violences dont sont
victimes profs et élèves à l’école ne sont pas le fait de l’école, mais celui
d’une société qui transpire la brutalité.
Dans le domaine éducatif, chacun
sait qu’il faut s’y prendre le plus tôt possible, et avec une ferme autorité,
pour ancrer dans l’esprit et les pratiques des enfants les habitudes et les réflexes
les plus sains et les plus indispensables à la vie commune – familiale,
amicale, sociale. Qu’il faille dans le même mouvement respecter la nature
singulière de chaque enfant, et ne rien faire qui puisse entraver son
adaptation au monde nouveau qui l’attend, est une évidence morale, même si pour
les adultes la synthèse relève d’une quasi aporie. Ce défi devient crucial lorsque
les enfants prennent le dessus sur les adultes, mais le principe reste
déterminant. C’est pourquoi, de toute la profondeur de sa compréhension, Hannah
Arendt pouvait porter, dans Reflections on Little Rock, ces
jugements objectifs, tranchés et assez cruels :
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Ouverture dans 0
« L’éducation
progressiste, […] en abolissant l’autorité des adultes, nie implicitement leur
responsabilité à l’égard du monde dans lequel ils ont fait naître leurs
enfants, et refuse le devoir de les guider dans ce monde. »
Et dans La Crise de la
culture :
« Avec la conception et
la naissance, les parents n’ont pas seulement donné la vie à leurs enfants ;
ils les ont en même temps introduits dans un monde. En les éduquant, ils
assument la responsabilité de la vie et du développement de l’enfant, mais
aussi celle de la continuité du monde. Ces deux responsabilités ne coïncident
aucunement et peuvent même entrer en conflit. En un certain sens, cette
responsabilité du développement de l’enfant va contre le monde : l’enfant
a besoin d’être tout particulièrement protégé et soigné pour éviter que le
monde puisse le détruire. Mais ce monde aussi a besoin d’une protection qui
l’empêche d’être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle
sur lui à chaque nouvelle génération. » « L’école n’est en
aucune façon le monde », mais « l’institution qui s’intercale entre
le monde et le domaine privé que constitue le foyer pour permettre la transition
entre la famille et le monde ». « Vis-à-vis des jeunes, les
éducateurs font figure de représentants d’un monde dont […] ils doivent assumer
la responsabilité, même si, secrètement ou ouvertement, ils le souhaitent
différent de ce qu’il est. Cette responsabilité n’est pas imposée
arbitrairement aux éducateurs ; elle est implicite du fait que les jeunes
sont introduits par les adultes dans un monde en perpétuel changement. Qui
refuse d’assumer cette responsabilité du monde ne devrait ni avoir d’enfant, ni
avoir le droit de prendre part à leur éducation. »
L’école crève de ses lâchetés…
Durant les quarante-deux années
qu’a duré ma carrière professionnelle, j’ai exercé successivement les fonctions
de professeur de lettres, de proviseur de cités scolaires, d’inspecteur
général, de conseiller de ministre. J’ai beaucoup publié, notamment sur la
pratique éthique et professionnelle du chef d’établissement scolaire. J’ai donc
eu l’occasion de témoigner de la qualité, de l’écoute et du courage de belles
personnalités de notre système éducatif, auxquelles je dois beaucoup, – mais
surtout qui ont permis à notre école de résister aux coups de boutoir et aux
lâchetés qui ont jalonné son existence, et qui hypothèquent lourdement son
avenir. Il s’agit, en particulier, de la dévalorisation et du désinvestissement
de la pratique des sanctions, sinon même des obstacles fréquemment mis à leur
application par la hiérarchie supérieure, « pour des raisons
politiques », comme on me l’a souvent signifié, parfois de façon risible.
Je n’en fournirai ici que deux
brèves illustrations, concernant la conduite inadmissible, en l’occurrence,
d’adultes en charge d’élèves (l’équivalent se retrouve naturellement quant au
comportement d’élèves dans les textes et structures officiels, comme dans les
instructions circonstancielles émanant des autorités supérieures).
L’intendant d’un des lycées que
j’ai dirigés, homme d’une haute valeur professionnelle et morale, excédé par
l’incompétence, la mauvaise volonté et le comportement asocial d’un personnel
pourtant essentiel à la bonne marche de son service, rédige à son sujet un
rapport parfaitement objectif et circonstancié. Il le signe. J’y ajoute,
manuscrite, la mention suivante : « En accord total avec
l’ensemble des termes de ce rapport », je contresigne le document et
l’adresse à mon supérieur hiérarchique. Ce dernier, quelques jours plus tard,
me joint au téléphone et me pose immédiatement la question suivante :
« Dites-moi : il est comment, votre intendant ? »
Je résume le deuxième épisode.
Pour me faire enfin céder à sa demande de suppression d’un rapport très sévère
que j’avais rédigé sur un personnel « protégé » par sa fonction
syndicale, mon supérieur hiérarchique me convoque toutes affaires cessantes dans
son bureau. Devant mon refus d’obtempérer à son injonction répétée, et faute
d’arguments recevables, il me lance tout à coup : « Je sais
que vous êtes un proviseur reconnu, mais on me dit que les résultats de votre
lycée sont en baisse ! » (ce qui, en l’occurrence, n’était
pas le cas)
…qui sont celles de la société
Ce type de comportement, assez
induré, peut en partie expliquer l’état de déréliction croissante où se trouve
notre système éducatif, quant à son niveau de qualité et de réussite : les
comparaisons internationales en fournissent, chaque année davantage, une preuve
indiscutable. Mais c’est aussi le cas des questions de sécurité, morale comme
physique, et de discipline : la comptabilité officielle des incidents
journaliers, par hypothèse incomplète, en atteste amplement. – Et cependant, le
fond de la question n’est plus du tout celui-là.
En réalité, dans la période si
troublée et désaxée que nous connaissons aujourd’hui, il est proprement
impossible, impensable même, que notre école puisse se rétablir par elle-même :
cette crise s’inscrit dans un contexte bien plus large. J’aimerais pouvoir dire
qu’il y suffirait que n’y soient nommés que des responsables académiques et
départementaux, mais d’abord nationaux, hyper déterminés à la redresser, dotés
du courage et de l’énergie nécessaires, et surtout soutenus par leur ministre.
Ce n’est hélas plus du tout la question ! En effet, l’Education nationale,
aujourd’hui, ne constitue plus un domaine séparé, comme par miracle, du reste
de la communauté nationale, et de toutes les autres responsabilités de
l’Etat ! Si elle l’a jamais été, l’école n’est plus ce lieu quasi sacré,
où n’entrent ni les disputes ni la violence de la vie sociale et
politique : chaque jour qui passe montre désormais, sur quasiment tous les
plans, y compris les plus triviaux, que notre vie sociale et politique et la
réalité de notre institution scolaire sont étroitement imbriquées. Et que donc
leur destinée même sera conjointe, dans notre pays, pour le pire ou pour le
meilleur.
De ce fait fondamental découle
une évidence aveuglante. La priorité politique absolue est que l’Etat, sous
toutes ses formes et par toutes ses forces, se fasse enfin respecter, sur la
totalité des territoires de notre pays, dans tous les domaines de la vie civile
et sociale, et y assure l’ordre républicain et la sécurité, matrices de toutes
les libertés publiques et privées. Pour nos dirigeants, faire mine d’essayer,
ou même essayer loyalement de rétablir, dans la seule éducation, l’ordre et la
sécurité nécessaires aux études, comme si cela pouvait s’effectuer
indépendamment de ses autres fonctions régaliennes, s’avèrera pour l’école
comme pour le pays tout entier d’une parfaite et coûteuse inutilité – temps et
énergie gaspillés en pure perte, voire pire. Tant que des voitures seront
brûlées sur un terrain vague ou sur un parking en banlieue, que de modestes
habitants des cités seront forcés pour rentrer chez eux de montrer patte
blanche à des trafiquants de stupéfiants, que la police, les pompiers ou des
soignants ne pourront pas pénétrer en sécurité dans ces zones perdues de la
République, que le voile féminin intégral sera de facto toléré sur certaines
parties du territoire, il serait absolument inutile, et parfaitement ridicule,
vaste et vain gaspillage des deniers de l’Etat, comme de la confiance des citoyens
dans les pouvoirs publics, que l’Etat tente, fût-ce à grands frais, de remettre
notre école sur la bonne voie : ce serait cataplasme sur jambe de bois.
« L’effondrement de
l’autorité n’est-elle pas la vraie et seule crise de civilisation ? »
Sur ce champ crucial,
déterminant, je veux citer ces propos de Raymond Aron, comme si souvent d’une
clairvoyance et d’une honnêteté intellectuelle hors de pair. Ils pourraient
s’appliquer à la très grave situation où se trouvent actuellement la France et
notre pauvre Europe :
« Si des pères, des
maîtres, des supérieurs hiérarchiques, des prêtres n’inspirent plus de respect,
il ne subsiste que la puissance nue ou l’anarchie. »1
« L’effondrement de
l’autorité n’est-elle pas la vraie et seule crise de civilisation ? »2
Et peut-être surtout ce dur
constat, si actuel :
« Pendant ces années de décadence3, […]
quel gouvernement pouvait sortir de la compétition entre des partis qui se perdaient
dans des intrigues parlementaires et qui refusaient d’ouvrir les yeux ?
Baisse de la natalité, baisse de la production, effondrement de la volonté
nationale : il m’est arrivé par instants de penser, peut-être de dire tout
haut : s’il faut un régime autoritaire pour sauver la France, soit, acceptons-le
tout en le détestant. »4
Pour qu’un esprit tel que Raymond
Aron, si affectivement et intellectuellement attaché aux libertés publiques et
privées, en vienne à se résoudre, certes douloureusement, à leur réduction, il
fallait que la menace fût exceptionnellement grave et imminente. Et elle
l’était ! C’est à nous aujourd’hui qu’il incombe de prendre la mesure des
dangers que traversent la France et l’Europe, pour les affronter, avec la
lucidité, la détermination et les moyens nécessaires.
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Au secours, les années 30 reviennent… dans la bouche de
Macron
La ficelle est grosse et
inefficace
Par Anne-Sophie Chazaud - 2
novembre 2018
Dans un entretien au quotidien Ouest France,
le président de la République a comparé l’époque actuelle avec la montée du
péril fasciste des années 1930. On ne saurait dire ce qui de la naïveté (pour
rester respectueux) ou de la grossière manipulation l’emporte. Question
subsidiaire : qui peut encore être dupe de ce procédé, sinon quelques
malheureux castors égarés en plein champ ?
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Ouverture dans 3
« Je suis frappé par la
ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de
l’entre-deux-guerres » a donc déclaré Emmanuel Macron. Et le
voilà amalgamer dans un même fourre-tout anachronique la désormais célèbre
« lèpre nationaliste » et le spectre fictionnel d’une perte de
« souveraineté » de l’Europe. Jusqu’ici, on ignorait que cette
souveraineté eût jamais existé et encore moins qu’elle avait été désintégrée
dans les années 30.
L’imposture du front
républicain
Fustigeant le « repli
nationaliste » (ne jamais, au Dictionnaire des idées reçues,
oublier d’accoler les deux termes), le chef de l’Etat ne manque pas d’évoquer
les fameuses peurs qui agiteraient les nations, dans un propos qui serait pour
le coup lui-même effrayant et vaguement apocalyptique s’il n’était pas drôle,
et qui permet de se demander qui des peuples européens ou de certaines de leurs
élites déconnectées se plaisent à agiter les peurs. Une technique usée jusqu’à
la corde qui a permis aux actuelles élites de se maintenir au pouvoir
grâce au « barrage » dit « républicain »
On ne pensait pas que quiconque
d’un peu réfléchi oserait encore pratiquer la fameuse comparaison entre tel ou
tel climat socio-politique et les années 30, leurs heures sombres et autres
effrayants bruits de bottes tant cette figure rhétorique de l’antifascisme
post-moderne est éculée..
Or, le problème avec les
analogies historiques qui font bondir à juste titre n’importe quel historien
scrupuleux, c’est que, comme l’indiquait Paul Valéry « L’histoire
justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle
contient tout et donne des exemples de tout ». Outre les
approximations contenues dans le propos du président, le piège analogique se
referme sur son émetteur, puisque, si l’on commence à entrer dans le détail
desdites années 1930, la comparaison tant exploitée pourrait bien se retourner
dans le sens contraire de celui souhaité.
On peut faire dire n’importe
quoi au passé
Si l’on considère par exemple le
fait majeur de la sinistre période, à savoir la persécution antisémite, et
qu’on la reporte à l’époque actuelle, on pourrait alors se demander ce qui est
véritablement mis en place pour lutter contre les promoteurs contemporains,
principalement islamistes, de cet antisémitisme. Où est, par exemple, le fameux
discours sur la laïcité, républicain et ferme, tant attendu depuis des
mois ? S’est-il perdu dans les brumes accommodantes du dialogue qu’en
d’autres époques on qualifiait de collaboration?
On le voit, chacun peut faire
dire ce qu’il veut à n’importe quoi au grand jeu de la manipulation des interprétations.
Pareillement, le peuple supposé nationaliste et replié sur lui-même avait voté
en 1936 en faveur du Front Populaire, dont de nombreuses conquêtes en matière
de droit social et de droit du travail sont des obstacles clairs face au
néo-libéralisme actuellement au pouvoir et à la conduite des affaires
européennes. La haute finance, les grands entrepreneurs ne se sont pas
distingués par leur esprit de résistance, c’est le moins qu’on puisse dire,
quand le peuple fumant des cibiches et roulant probablement déjà à l’essence
polluante permettait, lui, l’accession au pouvoir d’un Juif en la personne de
Léon Blum, alors même que beaucoup d’élites n’hésitaient pas à scander
« plutôt Hitler que le Front populaire ». Pour être juste, ajoutons
que c’est la chambre du Front populaire qui votera les pleins pouvoirs à Pétain
en 1940. Une énième preuve que l’histoire est complexe.
D’une Allemagne l’autre
D’autres pourraient se demander
où est le Churchill contemporain, celui qui avait compris que sans résistance
on n’évitait ni le déshonneur ni la guerre, face à la déferlante totalitaire et
obscurantiste qui recouvre de son voile noir des pans croissants de la planète.
Par quelles actions les élites européennes luttent-elles contre cette
blitzkrieg contemporaine ? Comment par ailleurs comparer une époque où
l’Allemagne avait été diminuée et humiliée avec une période où au contraire
elle est en situation hégémonique au point d’étouffer ses partenaires européens
?
Enfin, si Emmanuel Macron est
fasciné par les ressemblances hypothétiques avec les années 1930, d’autres
pourraient vouloir pareillement, au gré de leurs convictions idéologiques
personnelles et de leurs petites lubies subjectives, vouloir comparer la
période actuelle avec celle de la chute de l’Empire romain, ou encore avec les
invasions barbares, la Grande Inquisition, ou l’entrisme guerrier d’Al-Andalus…
Passéistes vs progressistes,
la grande mystification
On le voit, toutes ces
comparaisons ne sont pas raison, ou alors il faudrait les accepter toutes au
même niveau de légitimité, ce qui bien sûr est inenvisageable puisque le but
ici est de livrer une vision binaire et manichéenne de la situation actuelle
afin de criminaliser toute critique de l’Union européenne et de l’ouverture des
frontières qui la caractérise.
Par-delà la grossière
manipulation visant à faire passer les résistants d’aujourd’hui pour de
dangereux passéistes et les accommodants d’aujourd’hui pour d’éminents
progressistes, il est enfin une curieuse et naïve croyance qui voudrait que
l’on tire de quelconques leçons de l’Histoire. Outre que c’est un sujet
régulièrement traité depuis des décennies dans les dissertations du bac, on
rappellera donc, avec Louis-Ferdinand Céline, que « l’histoire ne repasse
pas les plats ».
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Juifs, chrétiens et musulmans: l’Espagne médiévale ne fut pas
l’éden multiculturel qu’on croit
Entretien avec l'historien
espagnol Serafín Fanjul (2/2)
Par Daoud Boughezala - 15
novembre 2017
Averroès faisant amende honorable
devant la mosquée de Fès, vers 1195. AFP. COLL. PRIVÉE / LEEMAGE.
Professeur de littérature
arabe et historien, Serafin Fanjul vient de publier une somme magistrale, Al-Andalus.
L’invention d’un mythe (L’Artilleur, 2017). En développant une
réflexion poussée sur l’identité nationale espagnole, il bat en brèche le mythe
d’un paradis multiculturel mis en place par les huit siècles de domination
musulmane. Loin d’une symbiose entre chrétiens, juifs et musulmans, Al-Andalus
formait une société foncièrement inégalitaire, guerroyant contre
les royaumes chrétiens du Nord, soumettant les minorités en son sein.
Entretien (2/2)
Causeur. Dans votre
essai Al-Andalus. L’invention d’un mythe (L’Artilleur, 2017),
vous déconstruisez l’image idyllique de l’Espagne musulmane que certains
intellectuels espagnols ont construite a posteriori. En comparant certaines
périodes d’Al-Andalus à l’Afrique du Sud sous l’Apartheid, ne commettez-vous
pas un anachronisme ?
Serafin Fanjul. Je
n’établis pas un parallèle entre al-Andalus et l’apartheid sud-africain, je dis
seulement qu’il y a une certaine similitude entre les deux. Et en vérité, cette
similitude existe en raison de la séparation des communautés religieuses et
raciales, des droits très supérieurs accordés aux musulmans et au-contraire des
statuts inférieurs qu’avaient les membres des deux autres communautés. Il y
avait aussi entre les musulmans des différences de degré de noblesse et de
prééminence selon leur appartenance au groupe des berbères, des muladis (les
chrétiens d’origine hispanique convertis à l’islam), des arabes
« baladis » (les premiers à avoir pénétré dans la péninsule, en 711)
et des arabes commandés par Baldj, arrivés en 740.
Dans al-Andalus, les personnes
n’avaient de valeur et n’étaient des sujets de droit qu’en tant que membres
d’une communauté et non pas en tant qu’individus. La pierre de touche était
évidemment les mariages mixtes. Il était impossible pour une musulmane de se
marier avec un chrétien ou un juif, et il était même difficile pour une femme
« arabe d’origine » de se marier avec un muladi (un chrétien
converti à l’islam) en vertu du concept de Kafa’a (proportionnalité), et dans
la mesure ou celle-ci était considérée comme ayant un sang de niveau supérieur.
Quand la domination politique et militaire a été inversée et que les musulmans
sont devenus minoritaires, la situation a été maintenue mais cette fois au
détriment de ces derniers.
Les textes écrits dans al-Andalus
abondent en allusions discriminatoires et insultantes contre les chrétiens et
les juifs. Ces derniers se sont matérialisées, pour ne citer que quelques
exemples, par la persécution antichrétienne du IXe siècle à Cordoue, par
le pogrom de 1066 à Grenade, par les déportations de juifs au Maroc au XIIe
siècle, ou par les fuites massives de chrétiens et de juifs vers l’Espagne
chrétienne dès le IXe siècle.
Vous décrivez un choc des
civilisations et d’un état de guerre quasi-permanents entre chrétiens, juifs et
musulmans…
La première fois que j’ai lu
l’expression « choc des civilisations » ce n’est pas sous la plume
d’Huntington, mais dans l’œuvre majeure de Fernand Braudel La Méditerranée et
le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II,
dont la publication remonte à 1949. Je crois interpréter correctement Braudel
en affirmant pour ma part, en accord avec lui, que la langue nous égare en
suggérant derrière le syntagme « choc des civilisations » l’idée de
grandes confrontations guerrières. Il ne s’agit pas du tout de cela, mais
plutôt de confrontations quotidiennes à petite échelle, réitératives, dans la
vie courante, entre des cosmogonies différentes, des notions de base, des
conceptions du monde dissemblables, des morales civiques ou sexuelles, des
concepts politiques élémentaires, mais qui sont déterminants dans la relation
des êtres humains avec le pouvoir : la soumission totale ou l’exercice de
droits et la conscience de posséder des droits. Et cela sans entrer dans des
questions plus concrètes comme la position de la femme ou celle des minorités
religieuses, qui heureusement ont été depuis longtemps dépassées en Europe,
alors que dans les pays musulmans elles demeurent intactes ou suscitent des
convulsions graves lorsqu’elles sont débattues.
Je n’ai jamais écrit qu’il y
avait un état de guerre permanent dans la péninsule ibérique médiévale entre
deux blocs antagoniques et irréductibles. Et cela parce que je sais
parfaitement que cela n’a pas été le cas jusqu’à ce que la Reconquête se
consolide comme grand projet national au XIIe et XIIIe siècles. Je sais aussi,
bien sûr, qu’il y a encore eu par la suite des alliances croisées avec des
royaumes de taïfas musulmans, des interventions de troupes chrétiennes (même
franques) ou musulmanes contre des princes chrétiens comme cela avait été le
cas depuis le IXe siècle.
Le monde d’Averroès et
Maimonide était-il si apocalyptique ?
Je ne crois pas qu’il soit très
heureux de citer Averroès et Maïmonide comme deux exemples de liberté de pensée
et de confraternité des communautés dans al-Andalus. Averroès était un
néoplatonicien qui a été persécuté en tant que libre penseur par les Almohades.
Quant au juif Maïmonide, il a été obligé de s’islamiser. Exilé au Maroc avec sa
famille, il est allé ensuite en Égypte où il est retourné au judaïsme.
Découvert et dénoncé par un habitant d’al-Andalus, il a été accusé d’apostasie
et n’a pu finalement sauver sa vie que grâce à l’intervention du cadi Ayyad.
Maïmonide expose bien sa position et son état d’esprit à l’égard des chrétiens
et des musulmans dans son Épitre au Yémen.
Comment en arrivez-vous à
justifier politiquement l’expulsion des juifs et des morisques (maures
convertis au christianisme) de l’Espagne chrétienne ?
J’essaie seulement d’expliquer
ces événements. Nous ne pouvons pas nous limiter à voir les événements du passé
comme bons ou mauvais, alors qu’ils sont tout simplement irréversibles. La seule
chose que nous puissions faire, c’est de nous en rapprocher le plus honnêtement
possible pour essayer de les comprendre. Et dans le cas ou notre bonne foi et
notre volonté régénératrice sont sincères, il nous faut essayer de ne pas les
répéter.
C’est malheureusement toute
l’Europe médiévale qui s’est appliquée à marginaliser et persécuter les juifs,
avec de fréquents massacres et des mises à sac de quartiers juifs. Dans
l’Espagne chrétienne, ce mouvement s’est produit plus tard. Si en 1212 les
troupes castillanes d’Alphonse VIII ont protégé les juifs de Tolède contre les
francs venus à cette occasion, en revanche, en 1348 et 1391, la situation était
radicalement différente. Il y a eu alors une grande quantité de morts,
d’exactions et de conversions forcées. Les juifs convertis au christianisme et
ceux qui avaient maintenu leur foi, après les tentatives de conversion massive
des années 1408-1415, ont cependant coexisté tout au long du XVe siècle. Au
début, les Rois catholiques ont essayé de faire en sorte que les juifs et les
mudéjares (musulmans) demeurent sur les lieux où ils vivaient et conservent
leurs fonctions. Ils dépendaient directement du roi, payaient un impôt spécial
de capitation et recevaient en échange une protection face a la société, mais toujours
avec l’idée qu’à long terme on parviendrait à les convertir. Au XIIe et XIIIe
siècles les communautés juives de l’Espagne chrétienne avaient augmenté
considérablement alors que celles d’al-Andalus en étaient venues à disparaitre
en raison de l’action des Almohades. A la même époque, la persécution des juifs
redoublait en Europe. Cette attitude générale a fini par atteindre l’Espagne,
stimulée par le fait que quelques juifs se livraient à l’usure et participaient
au recouvrement des impôts, motifs qui irritaient les populations exploitées
les plus pauvres et les incitaient à des réactions aussi brutales que
totalement injustes. Jean Ier, en 1390, et Isabelle Ière, en 1477, avaient dû
freiner les ardeurs belliqueuses des membres les plus exaltés du clergé.
Quelle était la situation des
sujets juifs du royaume catholique de Castille ?
À la veille de l’expulsion
de 1492, il y avait environ cent mille juifs dans la couronne de Castille
et une vingtaine de mille en Aragon. Une minorité était riche, mais la majorité
ne l’était pas (il s’agissait d’agriculteurs, d’éleveurs, d’horticulteurs,
d’artisans du textile, du cuir et des métaux). La protection dans les terres
des seigneurs de la noblesse était plus directe et plus efficace que celle du
domaine royal. Les juifs y exerçaient des professions libérales comme la
médecine en dépit des interdits. Parmi les juifs proches des Rois catholiques
il y avait notamment Abraham Seneor, grand rabbin de Castille, Mayr Melamed,
Isaac Abravanel, Abraham et Vidal Bienveniste. L’attitude des Rois catholiques n’était
pas antijuive mais elle ne contribua pas non plus à éliminer l’hostilité
populaire ni à contredire les arguments doctrinaux contre les juifs. Le plus
grand connaisseur actuel de l’Espagne des Rois catholiques, Miguel Ángel Ladero
Quesada, écarte les motifs économiques pour expliquer l’expulsion (qui était en
fait plutôt préjudiciable pour les revenus de la Couronne). Il l’attribue
plutôt à la volonté de résoudre le problème des convertis judaïsant, problème
qui avait déjà justifié l’établissement de la nouvelle inquisition en 1478. On
croyait alors que les juifs, par leur seule présence et en raison des liens
familiaux qui les unissaient avec de nombreux convertis, contribuaient à
empêcher l’assimilation ou l’absorption. D’autre part, comme les juifs
n’étaient pas chrétiens, ils ne pouvaient pas faire l’objet d’enquêtes de la
part de l’Inquisition. Le climat d’euphorie de la chrétienté triomphante après
la prise de Grenade en 1492, aida les inquisiteurs à convaincre les Rois
catholiques de la nécessité de l’expulsion. D’autant qu’à cette époque de plein
affermissement du pouvoir royal, une idée se répandait de plus en plus:
celle selon laquelle seule l’homogénéité de la foi pouvait garantir la cohésion
du corps social, indispensable au bon fonctionnement de la monarchie. Nous
savons aujourd’hui que ces idées étaient injustes et erronées, mais elles
avaient alors cours dans toute l’Europe. Pour s’en convaincre, il suffit de
rappeler l’antisémitisme féroce de Luther, la persécution des huguenots, des
protestants en Espagne, en Italie et en France, ou des catholiques dans les
différents pays d’Europe du nord au cours des siècles suivants.
Quant aux musulmans, je crois
savoir qu’ils n’ont pas été épargnés par l’Espagne catholique…
La politique de la Couronne
envers les musulmans a été erratique et souvent contradictoire. Les mudéjares
(musulmans sous la domination des chrétiens) avaient subsisté depuis le XIIIe
siècle bien qu’en nombre décroissant. L’expulsion comme châtiment pour
rébellion (1264) à Niebla et Murcie, l’exil volontaire pour ne pas être soumis
au pouvoir chrétien et l’attraction qu’exerçait le royaume de Grenade, avaient
finalement vidé l’Andalousie occidentale de ses musulmans. Après la prise de
Grenade, les mudéjares ont été autorisés à émigrer ou à rester en conservant
leur religion, mais en 1498 les pressions pour qu’ils se convertissent ont été
tellement fortes qu’elles ont provoqué la rébellion des Alpujarras (1499-1502)
avec pour conséquence le décret de baptême forcé ou l’expulsion. La fuite
volontaire et clandestine de morisques s’est ensuite accrue en raison des
fatwas et des exhortations des jurisconsultes musulmans (al-Wansharisi, ibn
Yuma’a) qui condamnaient la permanence en territoire chrétien pour ne pas
s’exposer au danger de perdre la foi et de finir christianisé. En 1526, une
nouvelle rébellion de morisques (crypto-musulmans officiellement chrétiens) a
éclaté dans la Sierra d’Espadan et l’explosion finale, le grand soulèvement de
Grenade, Almeria et Malaga, s’est produit en 1568. Dès le début du XVIe siècle,
il a été interdit aux morisques de quitter l’Espagne en raison des effets
négatifs que cela pouvait avoir sur les caisses de la Couronne. Il leur a été
également interdit de s’approcher des côtes à moins de dix kilomètres pour
éviter leur fuite ou les empêcher de collaborer activement avec les pirates
barbaresques et turcs qui dévastaient le littoral espagnol.
Et la population catholique,
était-elle aussi hostile que la Couronne aux ex-musulmans devenus
morisques ?
L’hostilité de la population
chrétienne à l’égard des morisques n’a fait qu’augmenter au cours des
événements. Elle a culminé avec la prise de conscience de leur refus de
s’intégrer dans la société majoritaire. A nouveau, le peuple et le bas clergé
ont exacerbé leur antipathie pour les morisques, ce qui en retour a renforcé la
haine et le rejet par ces derniers de la majorité dominante, un cercle vicieux
qui ne pouvait être rompu que par le maillon le plus faible, en dépit des opinions
contraires des autorités politiques les plus hautes, de la noblesse de
certaines régions (qui avait des travailleurs morisques comme en Aragon et à
Valence), voire du roi lui-même. Entre 1609 et 1614, environ trois cent mille
morisques qui ont quitté l’Espagne surtout en direction du nord de l’Afrique.
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« La Catalogne a été économiquement favorisée par l’Etat
espagnol »
Entretien avec l'historien
espagnol Serafín Fanjul (1/2)
Par Daoud Boughezala - 12
novembre 2017
Manifestation en faveur de
l'unité espagnole. Sipa. Numéro de reportage : AP22122660_000013.
Professeur de littérature
arabe et historien, Serafin Fanjul vient de publier un essai magistral, Al-Andalus.
L’invention d’un mythe (L’Artilleur, 2017). En développant une
réflexion poussée sur l’identité nationale espagnole, il bat en brèche le mythe
d’un paradis multiculturel mis en place par les huit siècles de domination
musulmane. En écho à l’actualité, il réagit ici aux arguments économiques et
identitaires des indépendantistes catalans, pour lesquels Madrid et Barcelone
sont irréconciliables. Entretien (1/2).
Daoud Boughezala. Depuis
bientôt un siècle, l’ombre d’une sécession basque et catalane plane au-dessus
de l’Espagne. Ces tensions ne sont-elles pas consubstantielles à la nation
espagnole moderne ?
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Ouverture dans 0
Serafín Fanjul. Il
n’y a pas de séparatisme « consubstantiel » à une nation. Le
séparatisme est toujours le résultat, d’une part, de facteurs sociaux,
politiques et économiques et, d’autre part, d’interprétations idéologiques qui
le promeuvent à long terme avec plus ou moins de succès. Tous les États
européens dont la composition est hétérogène connaissent ce problème.
Au XIXe siècle, ce sont les Basques
et les Catalans qui ont été les plus fermes défenseurs de la devise
« Dieu, la patrie le et roi » (à laquelle ils ajoutaient les
« Vieilles lois » c’est-à-dire les « Fueros », les fors
français). Au cours des trois guerres carlistes, ils ont lutté en faveur du
prétendant traditionaliste, don Carlos, et de ses successeurs, en revendiquant
les Fueros que les libéraux de la nation avaient éliminés pour que l’ensemble
de la population de l’Espagne ait les mêmes droits et devoirs, suivant en cela
le modèle français qui représentait alors la modernité. À la fin du XIXe
siècle, le fondateur du nationalisme basque, Sabino Arana, a défendu un
ethnocentrisme basque. Il a crée un corpus idéologique et une armature
politique sur lesquels se sont construits et développés au XXe siècle le Parti
nationaliste basque et tout un mouvement indépendantiste. À l’origine, les
composants idéologiques du nationalisme basque étaient ultra-catholiques,
réactionnaires dans le domaine économique et expressément hostiles (pour
ne pas dire méprisants et insultants) envers les « métèques », les
émigrants des autres régions d’Espagne qui venaient travailler au Pays basque
en raison d’une industrialisation rapide, surtout dans la province de Bizcaye.
Aujourd’hui, le régime économique
spécial du Pays basque est de nos jours la source de graves tensions avec
Bruxelles en raison de la « discrimination positive » qu’il établit
en matière d’impôts, d’aide aux investissements, de franchises, etc.
Quid de la Catalogne ?
Depuis quelques années, la région autonome semble se détacher irrémédiablement
du royaume d’Espagne…
Rappelons que lors du référendum
pour l’approbation de la Constitution espagnole, en 1978, le pourcentage des
votes favorables en Catalogne était supérieur à celui de Madrid. Le Premier
ministre Adolfo Suárez, a offert en 1978 au mouvement Convergencia y
Unio, parti nationaliste catalan alors majoritaire, la possibilité
d’adopter le même système que le pays basque. Mais les catalans l’ont longtemps
refusé car ils jugeaient qu’il n’était pas suffisamment avantageux pour eux. Ce
n’est qu’à la fin des années 2000, sous Zapatero, qu’ils ont commencé à le
réclamer, alors que les conditions générales avaient changé et qu’il était
devenu très difficile d’imposer aux régions les plus pauvres une nouvelle norme
discriminatoire.
Le nationalisme catalan ne
s’est-il donc pas toujours construit contre Madrid ?
Le mouvement politique
catalaniste est né à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, avec des
cadres tels que Prat de la Riba, Cambó et Maciá. Il n’était pas à l’origine
indépendantiste mais autonomiste. Très présent dans le milieu de la bourgeoisie
catalane, il était rejeté par la gauche (socialiste et anarchiste) qui
n’y voyait qu’une création du patronat et des propriétaires. Le
catalanisme politique s’est affirmé juste après que l’Espagne a perdu Cuba
(1898), lorsque les commerçants catalans ont été privés de leurs monopoles et
privilèges économiques sur l’île, lesquels étaient à l’origine du malaise d’une
partie de la population cubaine et ce qui d’ailleurs poussait cette dernière à
réclamer l’indépendance. Un détail est révélateur de l’état d’esprit de
l’époque : la nuit où le président américain McKinley a déclaré la guerre
à l’Espagne, le Grand théâtre du Lycée de Barcelone a interrompu sa séance et
la foule a écouté et applaudi, pendant deux heures, les discours et les
proclamations enflammées en faveur de l’Espagne et contre les Yankees
agresseurs.
D’ailleurs, durant un siècle et
demi, la Catalogne a bénéficié d’un traitement économique spécial qui
protégeait les produits catalans à l’intérieur du marché espagnol par des
droits de douane élevés semblables à ceux en vigueur pour l’Angleterre et la
France (surtout dans le cas des textiles). Ce traitement de faveur a canalisé les
investissements de l’État espagnol majoritairement vers la Catalogne en
provoquant la décapitalisation d’autres régions comme la Galice, l’Andalousie
et l’Estrémadure. En réalité, même sous le franquisme, 70% des investissements
de l’Institut national de l’industrie sont allés en Catalogne !
Dans ce cas, pourquoi
l’Espagne peine-t-elle tant à rassembler son peuple sous la bannière d’un grand
récit national ?
Depuis la Constitution de 1978,
il n’y a plus de grand « récit » ou de « roman national »,
mais plutôt des versions distinctes d’événements semblables, notamment dans les
livres d’histoire et de géographie de chaque communauté autonome.
Au XIXe siècle, tous les pays
d’Europe qui ont identifié l’État et la nation ont développé des facteurs qui
pouvaient favoriser l’unité et la cohésion en se référant à des éléments
historiques communs, des coutumes, des droits consensuels, des langues et des
intérêts économiques et spirituels. Ils l’ont fait tantôt à partir de modèles
centralisés (France), tantôt à partir d’agrégations ou d’unifications (Italie,
Allemagne). Dans certains cas, cela n’a pas été sans conséquences négatives
pour les langues locales les moins répandues ou sans projections extérieures.
L’Espagne ne s’est pas distinguée dans cet effort, bien que le poids économique
du castillan ait porté préjudice à la langue basque, mais sans qu’il y ait eu
pour autant de directives politiques édictées contre elle.
Cela n’a pas été le cas pour le
catalan. Quant au galicien, bien qu’alors majoritairement utilisé par la
population, il s’est vu reléguer à un plan secondaire en raison du
prestige social attaché au castillan.
Comment le castillan,
communément appelé espagnol, cohabite-t-il avec les langues régionales à
l’école ?
Cela varie suivant les régions.
Dans les écoles Catalogne, il est quasiment impossible de retrouver l’espagnol,
une langue qui compte pourtant 550 millions de locuteurs à travers le monde… Au
Pays basque, le castillan coexiste avec le basque. En Galice, dans la
communauté valencienne et aux Baléares, il a de sérieuses difficultés. Je me
demande d’ailleurs si on pourrait, de la même façon, écarter l’italien en
Sicile, l’allemand en Bavière, le français en Corse ou l’anglais en Irlande du
nord ! A Madrid, il n’y a pas le moindre ressentiment contre les catalans
en tant que groupe humain parce que nous savons parfaitement tout ce que nous
avons en commun.
Avec un tel niveau de
défiance, craignez-vous une explosion de l’Espagne ?
Je ne crois pas. Il existe bien
quelques autres exemples de nationalismes dans d’autre régions d’Espagne,
notamment le nationalisme galicien, mais à court et à moyen terme ils ont bien
peu de chance de s’affirmer comme des forces hégémoniques.
Au fond, à quand remonte
l’idée d’une identité nationale et d’une conscience de soi espagnoles que
le franquisme a ensuite essentialisée ?
Jusqu’aux XIIe et XIIIe siècles,
il n’y a pas eu à proprement parler d’Espagnols, même au sens le plus large,
bien que l’on puisse alléguer l’existence de textes antérieurs qui parlent de
« toute l’Espagne ». En fait, le mot même « espagnol » est
une création française qui reflète la manière dont, depuis la France, on
percevait des traits communs aux gens de l’autre côté des Pyrénées.
Depuis l’arrivée des Romains (218
av. J.-C.) jusqu’à celle des musulmans en 711, il y a presque neuf siècles de
romanisation (les wisigoths sont demeurés pour l’essentiel dans l’espace
culturel latino-chrétien), mais il m’a toujours semblé abusif de considérer
« espagnols », à partir de la seule géographie, les romains nés en
Hispanie, comme les Goths du royaume de Tolède ou les musulmans d’al-Andalus
qui, dans leur majorité ignoraient l’idée selon laquelle il y aurait plus tard,
« sur la même terre », un pays appelé Espagne, avec une langue, une
culture, des institutions politiques, juridiques et religieuses complètement
différentes, sinon antagoniques.
L’idée essentialiste de
l’Espagne, comme continuum historique, provient du XIXe siècle et il faut en
chercher l’origine chez des penseurs et des historiens conservateurs et
nationalistes bien antérieurs à Franco (par exemple Javier Simonet, Menéndez
Pelayo, Vázquez de Mella, Ramiro de Maeztu ou Menéndez Pidal). Le principal
représentant de l’idéologie essentialiste est l’historien Claudio Sánchez
Albornoz, qui a été Président de la République en exil jusqu’à la mort de
Franco, ce qui semble indiquer qu’il ne devait pas être très franquiste. Son
œuvre est par ailleurs très vaste et techniquement digne de respect bien que je
sois en désaccord avec son fil conducteur qu’il prolonge jusqu’à la nuit des
temps. Mes désaccords avec Albornoz touchent un point crucial : sa vision
idéaliste de l’Histoire le conduisait à considérer « espagnols » les
musulmans habitants de l’ensemble qu’on appelle Al-Andalus.
à suivre…
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Père
Pedro : «Les recettes de la fraternité n'ont pas de nationalité»
INTERVIEW - Akamasoa, la cité malgache que le prêtre a fondée
sur une décharge pour lutter contre la pauvreté, se veut un modèle
duplicable, à la portée de tous les États.
À70 ans, Pedro
Opeka, figure charismatique de la lutte contre la misère à Madagascardepuis
près de trente années - affectueusement appelé «père Pedro» -, fait l'objet
d'un hommage à travers La
Cité d'espérance du père Pedro ,
une galerie de portraits signée Pierre Lunel aux Éditions du Rocher.
Des personnes rencontrées à Akamasoa, cette ville-association fondée par le
prêtre qui reloge et fait travailler 25.000 familles de la célèbre décharge
d'Andralanitra, près de Tananarive.
LE FIGARO.- Akamasoa serait-elle un «business model» de
la lutte contre la pauvreté, puisque vous appelez tous les États à dupliquer
votre action?
Père PEDRO.- Les gens n'imaginent pas ce qu'on a
fait avec Akamasoa… Une œuvre concrète, à portée de main, modélisable et
exportable. C'est ça, mon ambition: la faire connaître pour que les gouvernants
du monde entier puissent la dupliquer sur leur sol. Les recettes de la
fraternité n'ont pas de nationalité. Je veux leur montrer, preuves en main avec
le travail de mon association, qu'il n'y a pas de fatalité, seulement une
mobilisation, une énergie pour repenser les systèmes, pour trouver des solutions
et les mettre en œuvre. Que des actes, en somme. À la portée de tous les États.
«Le travail, l'école et la discipline : voilà les trois
piliers pour vaincre la pauvreté. Aider sans assister. Car assister, c'est
encore dominer et laisser vulnérable»
Père Pedro
Ce travail accompli à Madagascar, quels en sont les
fruits aujourd'hui?
En vingt-huit ans, 500.000 personnes sont passées par
Akamasoa. Cette association, aujourd'hui, c'est une ville de 25.000 habitants
qui résident dans 18 villages, à 8 km de Tananarive, sur le lieu même de
l'immense décharge de la capitale. Et ce sont 30.000 autres personnes qui
passent chaque année pour demander une aide ponctuelle, de la nourriture, des
médicaments, un logement. Les pauvres construisent eux-mêmes leur ville, avec
notre aide, tous ensemble. Des chiffonniers de la décharge sont aujourd'hui des
maçons, des menuisiers, des plombiers et des électriciens. 14.000 enfants sont
scolarisés, depuis la crèche jusqu'à l'école supérieure bac +2. Sur ces terres
que nous avons majoritairement rachetées, nous exploitons une carrière de
granit, nous avons des hôpitaux, des stades capables d'accueillir 30.000
personnes, des maisons, des maternités… Akamasoa est même dans le Guide du
routard et le Lonely Planet pour sa messe dominicale, en malgache et en
français, qui attire 7000 à 10.000 personnes!
Quelles sont les clefs de réussite de ce pari contre la
misère?
La base, c'est le travail, l'école et la discipline. Voilà
les trois piliers pour vaincre la pauvreté. Aider sans assister. Car assister,
c'est encore dominer et laisser vulnérable. On vous aime trop pour vous
assister, conduire vers l'autonomie, c'est cela aimer, c'est cela aider. À
Madagascar, quand un pauvre m'interpelle dans la rue, aucun ne me dit jamais
«donne-moi de l'argent!» mais «donne-moi un travail!». Bien sûr, c'est très
engageant: avec tous les enseignants et les éducateurs qui sont à mes côtés
pour faire vivre cette communauté, on travaille sept jours sur sept, même la
nuit. Mais notre force et notre folie, c'est de croire qu'un pauvre peut se
mettre debout, qu'il ne faut jamais baisser les bras, que la fraternité
accomplit de grandes choses. Et si le monde peut sembler sourd, il n'est pas
aveugle: il voit ce que l'on fait, que le peuple m'a suivi, qu'il m'a fait
confiance. Quand on se fait confiance, on peut tout faire, même un miracle.
Une confiance mise à rude épreuve avec les hostilités de
ce monde…
Nous devons la regagner. Le réveil des consciences n'est
rien s'il n'est pas suivi de cette reconquête-là, profonde. Vous savez, dans la
décharge de rue là-bas, ils ont mis dix ans à y croire, à me suivre. Mais
voilà, avec de la détermination et du travail c'est possible! Le monde, qui
surabonde de misère, est trop lent à entendre et à agir, cela m'exaspère. Quand
on est malade, qu'on est pauvre, on n'a pas le temps d'en perdre: on ne dit pas
attend, on fait!
«Vous savez, dans la décharge de rue là-bas, ils ont mis
dix ans à y croire, à me suivre. Mais voilà, avec de la détermination et du
travail c'est possible !»
Père Pedro
Trois mois par an, vous sillonnez la planète à la
recherche de fonds…
Pour que le miracle se poursuive! Nous ne sommes pas une ONG
internationale, nous avons besoin d'une aide financière. Alors, une fois par
an, je quitte mes frères et mon quotidien pour prendre mon bâton de pèlerin et
venir en Europe, en Amérique… où j'assiste à des conférences et où je rencontre
des gens. Je ne rentre jamais les mains vides: chaque fois je rapporte de quoi
faire 10 à 15 maisons.
Quel regard portez-vous sur la politique européenne
vis-à-vis des migrants?
L'Europe
a trop tardé à régler ce problème, elle a créé un mirage pour ces pays
pauvres. Si on laisse perdurer la corruption de l'Afrique, avec le consentement
de l'Europe, si les jeunes n'ont pas de travail en Afrique et que l'Europe
n'agit pas pour la croissance là-bas, alors l'invasion sera plus grande encore.
Personne ne l'ignore pourtant.
On parle de vos «saintes colères», quelles sont-elles?
La lenteur face à l'urgence, l'indifférence, le mensonge,
les apparences, les systèmes et les politiques qui veulent compliquer l'être
humain. Celui qui est intelligent, dont le bon sens vient du cœur et qui trouve
la route la plus courte pour aider les pauvres gens. Il sait aller tout droit,
et plus tôt. Moi, Dieu m'a aidé à simplifier les choses. À l'école de la
décharge on fait ça, le chemin le plus court pour servir ses frères humains, et
ça rend heureux. Ne jamais se lasser d'aider, car tout ce qui est fait avec
amour ne périt jamais.
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Julliard : «Démocratie et liberté ne vont plus nécessairement de pair»
CHRONIQUE - L'historien et essayiste* analyse les ressorts
de la popularité des régimes autoritaires et, dans les pays occidentaux, de la
demande d'ordre qu'exprime le vote populiste.
Corruption, immigration, insécurité: le triptyque du vote
populiste
Pourquoi la démocratie, après avoir progressé à la fin du
siècle dernier au point de paraître alors sans rivale, est-elle aujourd'hui
partout en recul à travers le monde? Les économistes connaissent les cycles
Kondratiev, du nom de leur inventeur, c'est-à-dire l'alternance, en régime
capitaliste, de phases de croissance et de phases de dépression sur une durée
d'une cinquantaine d'années. Y aurait-il des Kondratiev de la démocratie? Un
rapide tour de la planète suffit en tout cas à se persuader de l'ampleur du
phénomène.
En Russie tout d'abord, où après les espoirs suscités par
l'ère Gorbatchev, le règne sans partage de Vladimir Poutine ressemble fort à
une régression historique. C'est le tsarisme plus l'informatique!
En Chine ensuite, où le
règne qui promet d'être long, de Xi Jinping, semble s'inscrire dans la
suite des dynasties Ming et Qing: c'est l'empire du Milieu plus les routes de
la soie!
En Amérique latine encore, où la vague qui vient de
porter Jair
Bolsonaro au pouvoirmarque une inversion de la courbe qui allait de
l'abandon des régimes militaires à la démocratie occidentale: c'est la
dictature des généraux plus la misogynie! Cette Amérique latine où les régimes
issus de la gauche marxiste, Cuba, Venezuela, Nicaragua, ne sont porteurs que
d'autoritarisme
et de misère: c'est la répression aggravée par l'anarchie!
Aux États-Unis derechef, où Donald Trump, cet ovni du
système politique américain, réussit l'exploit de combiner
l'isolationnisme intérieur avec l'aventurisme extérieur: c'est le
populisme du docteur Folamour!
Quant à notre chère et vieille Europe, elle est sans
doute le dernier endroit de la terre où la démocratie semble posséder un avenir
Dans le monde arabo-musulman enfin où les illusions
engendrées par les «printemps arabes» (sic) se sont vite effondrées pour céder
la place à la guerre, aux massacres, au despotisme. Il n'y a pour le moment que
des intellectuels occidentaux pour avoir cru qu'Erdogan était un nouveau Robert
Schuman et que l'islam était compatible avec la démocratie libérale: c'est
l'obscurantisme tempéré par le pétrole!
Quant à notre chère et vieille Europe, elle est sans doute
le dernier endroit de la terre où la démocratie semble posséder un avenir.
Certes, elle n'est pas exempte du phénomène de désaffection à son égard, comme
en témoigne le
surgissement partout de partis d'extrême droite portés par un
populisme passe-partout, à l'instar de sa partie orientale où des gouvernements
«illibéraux», en Hongrie, en Pologne, apparaissent de moins en moins
compatibles avec les canons de la démocratie à l'occidentale. Et comment ne pas
évoquer le cas troublant de notre voisine et amie l'Italie, où s'est instituée
comme par surprise une étrange coalition du clientélisme du Sud et du nouvel
anti-européisme du Nord. Certes, Matteo
Salvini est loin d'avoir, de l'autre côté des Alpes, le visage
d'extrême droite et même fascisant qu'on lui prête chez nous. Reste que voici
l'un des six pays fondateurs de l'Europe qui se trouve désormais sur une ligne
souverainiste et anti-européenne.
Faisceau de doléances
Mais d'autres signes montrent une plus grande résistance aux
courants antidémocratiques qui déferlent sur la planète. Contrairement aux
prédictions, ce n'est pas le parti d'extrême droite AfD qui a bénéficié d'un
certain désamour de la Bavière à l'égard de la CSU, mais les écologistes. Même
chose en Hesse au détriment de la CDU.
Peut-on, pour autant, dégager des traits communs aux
situations très diverses que nous venons de passer en revue? Il n'est pas très
difficile, quand on examine les motivations des acteurs telles qu'ils les expriment,
de repérer un peu partout la présence d'un faisceau de doléances, selon des
dosages variables, d'un triptyque qui a nom: corruption, immigration,
insécurité. Il s'agit donc moins de revendications que de craintes, moins
d'aspiration à des changements que l'on appelle de ses vœux que de peurs devant
ceux que l'on voit surgir. Les élites mondialistes n'ont pas assez de mots pour
exalter les bouleversements que connaît notre époque. Les classes populaires,
pas assez de voix pour en dénoncer la malfaisance. Cette rupture de l'alliance
du peuple et du progrès qui a longtemps fondé le pacte constitutif de la gauche
est un des traits marquants d'une époque pessimiste, en rupture complète avec
l'optimisme de la précédente.
Sur quoi repose, en dernière analyse, une société ? Sur
la confiance que chacun nourrit dans les autres ; la certitude qu'il existe un
bien commun au-delà des égoïsmes individuels
Passons vite sur la corruption que l'on ne cesse de
rencontrer sur notre route, comme signe du divorce entre les élites et les
masses à l'époque présente. Mais les prolétaires de Sao Paulo ont en commun
avec les fermiers du Middle West et les classes moyennes du Haut Adige un
violent grief contre les élites gouvernementales de leur pays, accusées
d'accaparer l'argent public et de s'enrichir au détriment des plus pauvres.
C'est la confiance dans la fonction redistributive de l'État, qui a été
longtemps comme la pierre d'attente du socialisme en régime capitaliste, qui se
trouve remise en cause et, avec elle, la possibilité d'un avenir démocratique
commun à toutes les classes de la société. Sur quoi repose, en dernière
analyse, une société? Sur la confiance que chacun nourrit dans les
autres ; la certitude qu'il existe un bien commun au-delà des égoïsmes
individuels. Une société qui proclame le primat absolu de l'individu sur les
valeurs communes s'autodétruit et fait de chaque cas de corruption une balafre
indélébile sur le pacte social.
Question de survie
C'est pourquoi l'immigration est vécue, à l'égal de la
corruption, comme une atteinte à ce pacte. Les gagnants de la mondialisation
n'ont pas besoin de la solidarité de leurs semblables, parce que leur destin
individuel leur tient lieu de garantie pour l'avenir. Mais ceux qui ont vu leur
statut matériel et moral stagner, voire régresser, ont besoin de croire à
l'existence de la société et de l'État comme des garanties pour leur avenir.
Une société qui fait de la mobilité et du cosmopolitisme sa valeur suprême ne
peut être qu'une société d'individus. Elle n'est fondée que sur le mouvement et
l'avenir. Elle n'a rien à promettre ou à faire espérer à la partie immobile de
ses membres. Ceux-ci ont besoin que la société soit quelque chose d'organique,
fondé sur un passé, une culture, une structure interne. Voilà pourquoi les classes
dominées sont de nos jours intrinsèquement conservatrices, et défiantes à
l'égard de nouveaux arrivants faisant irruption de l'extérieur. Ce n'est pas
seulement qu'il faut accroître le nombre de parts dans le gâteau ; on veut
au moins être assuré que c'est bien d'un même gâteau qu'il est question. Ainsi
les gens modestes sont culturellement conservateurs dans la société
d'aujourd'hui pour les mêmes raisons que les aristocrates l'étaient dans celle
d'hier: c'est pour eux une question d'existence et de survie.
L'immigré, à l'inverse, est comme le nanti, mais pour des
raisons différentes, porteur d'individualisme. Quand les classes dominantes,
ainsi que leur alliée l'intelligentsia gauchiste, sont favorables à
l'immigration, elles ne réalisent pas, non seulement qu'elles introduisent des
concurrents dans les couches salariées, mais aussi avec eux des ferments de
diversité sociale et culturelle, quand les plus pauvres ont besoin de cohésion
culturelle et sociale pour être rassurés sur leur avenir.
Les classes populaires admettent à la rigueur en leur sein
des populations immigrées si celles-ci acceptent de s'intégrer ou sont invitées
à le faire, mais elles ne peuvent accepter le communautarisme. Or
l'intelligentsia gauchiste a fait de la diversité la forme sociale du bien et
de l'identité la forme sociale du mal. Étonnez-vous après cela que les
prolétaires par nature, qui, à la différence des prolétaires par procuration ne
servent pas de prolétariat de rechange aux gagnants de la mondialisation,
préfèrent aux chantres bourgeois de la diversité les démagogues populistes de
l'identité.
L'insécurité enfin. Les mêmes qui redoutent l'arrivée de
nouveaux migrants ont tendance à attribuer à ces derniers l'augmentation de
l'insécurité dans nos villes. La question n'est pas de savoir s'ils ont raison,
ni même de savoir si cette augmentation est réelle ou non, mais de prendre acte
de cette perception. Ici comme en météo, ce qui compte, c'est le «ressenti»
Au passage, on notera qu'elle est étrange, cette obsession
des sociologues académiques qui se prétendent de gauche, à dénoncer chez les
petites gens des peurs et des souffrances imaginaires: si Marx avait raisonné
comme eux, il n'aurait pas écrit «Le Capital», c'est-à-dire une étude
scientifique de la plus-value, mais un essai pour démontrer que le prélèvement
du capital sur le travail était une illusion propre aux salariés, un «ressenti»
du prolétariat.
Mais le point essentiel est ailleurs. Il est dans le
sentiment d'incertitude engendré par les formes modernes de l'insécurité. Des
sociologues de la violence, beaucoup plus sérieux ceux-là, ont montré que la
violence ancienne et la violence moderne ne se différenciaient pas
nécessairement par leur degré, mais par leur nature. La violence ancienne était
souvent prévisible ; on en connaissait les auteurs, par exemple dans les
rixes de cabaret. Ce qui rend la violence moderne insupportable, c'est son
imprévisibilité. Elle est partout, souvent où on ne l'attend pas, de la part
d'inconnus.
Ajoutez à cela qu'elle a atteint dans certaines parties des
villes un niveau insupportable, comme dans les favelas brésiliennes ou même
dans certains territoires, perdus de la République, où l'état de droit n'est
plus qu'une formule sans contenu.
Quand démocratie et liberté se dissocient
Arrivés à ce point, une remarque s'impose. Nous avons
jusqu'ici, pour la clarté de l'exposé, parlé de façon générale du déclin de la
démocratie. Mais c'est en réalité du déclin de la liberté qu'il faudrait
parler. Comme l'a récemment montré Yascha Mounk dans son essai Le Peuple contre
la démocratie (L'Observatoire), démocratie et liberté vont de moins en moins
souvent de pair dans le monde d'aujourd'hui. Car, en rigueur de termes, la
démocratie, c'est-à-dire la désignation des gouvernants par le peuple, grâce au
suffrage universel, reste partout respectée, même en Arabie saoudite, même en
Corée du Nord. Tous les citoyens de la planète sont des électeurs, lors même
que les modalités du vote en minimisent la portée (candidats uniques,
persécution des oppositions, manipulation du scrutin, absence de liberté de la
presse). Mais c'est essentiellement en termes de libertés réelles que le
déficit du temps présent est impressionnant. En dehors de l'Europe, de
l'Amérique du Nord, de l'Australie, du Japon, la plupart des régimes politiques
issus du suffrage universel sont en même temps des dictatures et des régimes
policiers. C'est pour désigner ce combiné du suffrage et de la dictature que
l'on a forgé récemment le terme de démocratures. Quant aux pays libéraux à
l'occidentale, qui bénéficient à la fois du suffrage universel et d'un régime
de libertés publiques, ils réagissent à la triple menace de la corruption, de
l'immigration et de l'insécurité par le populisme.
À quelles conditions la France peut-elle à la fois
conserver sa liberté et assurer sa sécurité ? La solution souverainiste, qui
consisterait à faire de nous une grande Suisse, n'est pas envisageable
La conséquence de cette situation, on le voit avec le recul,
c'est un monde infiniment plus dangereux que celui que l'on a connu du temps de
la guerre froide. La parenthèse des deux dernières décennies du
XXe siècle, au cours desquelles le monde a joui de plus de libertés, sans
risque majeur pour la paix, cette parenthèse est aujourd'hui terminée. Le monde
d'aujourd'hui est redevenu une menace. Et il ne fait aucun doute que celui de
demain, quand l'affrontement qui se prépare entre les États-Unis et la Chine,
avec l'arbitrage de la Russie, aura lieu, le sera encore davantage.
S'il en est ainsi, à quelles conditions la France peut-elle
à la fois conserver sa liberté et assurer sa sécurité? La solution
souverainiste, qui consisterait à faire de nous une grande Suisse, n'est pas
envisageable. Nous sommes un trop grand pays pour essayer de nous faire oublier
quand les grandes puissances en viendront aux mains et bien trop petit pour
mener la lutte à notre propre compte. De Gaulle, qui est la référence de tous
les souverainistes, s'est montré, dans toutes les grandes circonstances
(Berlin, Cuba), l'allié le plus fidèle des États-Unis. Il n'est pas si facile
que cela de sortir de l'Histoire, quand on a dans son passé la trace de Louis
XIV, de Napoléon et de Clemenceau.
Le couple franco-allemand, plus que jamais
D'un autre côté, l'Union européenne, même débarrassée du
boulet anglais, a démontré à l'occasion de la crise des migrants, mais aussi de
la guerre de Syrie, son irrésolution et son impuissance. On ne fera pas à court
et moyen terme de l'Europe des 27 une puissance diplomatique, politique et
militaire. Il faut donc reprendre la construction européenne sur des bases
solides. Celles-ci ne peuvent être autres que le couple franco-allemand.
Comme l'a très bien dit à son propos François Hollande, à la
lumière de son expérience, dans une interview au Point (18 octobre 2018):
«Ce n'est pas seulement un couple, un moteur, c'est une
union qui doit désormais prendre ses responsabilités sur la défense, la
sécurité, l'écologie, les industries d'avenir. (….) Il faut agréger hors traité
quelques pays autour de l'union franco-allemande et remettre de l'émotion et
des sentiments.»
Le lecteur attentif aura peut-être remarqué que je ne disais
pas autre chose dans Le Figaro du 1er octobre dernier. (1) Je ne doute
guère qu'Emmanuel Macron ne pense la même chose et ne le dise le moment venu.
On dira que la situation actuelle n'est pas favorable. Ce n'est pas si sûr.
Concernant le
couple franco-allemand, Angela Merkel, sur le déclin et peut-être sur
le départ, s'était contentée d'un service minimum. On peut raisonnablement
attendre davantage de son successeur. La bataille qui s'annonce pour les
européennes du printemps prochain sera donc capitale pour notre avenir. Le
classique affrontement gauche-droite y cédera nécessairement la place à la
confrontation entre partisans d'une Europe revivifiée, renforcée et partisans
du repli national. Je suis persuadé que le pays qui a toujours été fidèle à sa
double mission, nationale et internationale, en un mot que la patrie de Victor
Hugo, de Jean Jaurès et de Charles de Gaulle choisira, sagement et fermement,
la voie de l'avenir.
Un hosanna sans fin
Tel est le titre du
dernier ouvrage de Jean d'Ormesson publié par sa fille aux
éditions Héloïse d'Ormesson. Du Jean d'O à l'état pur, le dernier état de son
incessant dialogue avec la vie et la mort, le monde et Dieu. Je lui fis un jour
remarquer qu'il avait une religion du père, tandis que j'avais une religion du
fils. C'est pourquoi j'ai été ému de son dernier mot, celui sur lequel il nous
a quittés:
«Il est permis de l'admirer et de l'aimer sans se poser trop
de questions sur sa réalité. Si quelqu'un a laissé une trace éclatante dans
l'esprit des hommes, c'est bien le Christ Jésus.»
Nous voilà d'accord, mon cher Jean.
(1) «Pour sauver l'Europe, osons la Françallemagne!»
* Éditorialiste de l'hebdomadaire «Marianne».
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Les
Romains exaspérés par le délabrement de leur ville
Les critiques se multiplient contre la maire issue du
Mouvement 5 étoiles, dont la Ligue brigue ouvertement la succession.
Rome
«Basta», «dégage», «démission»: quelque 10.000 Romains se
sont récemment réunis sous les balcons de la
maire de Rome, Virginia Raggi, pour exprimer leur colère devant sa
gestion «désastreuse». «Vingt-huit mois, cela suffit», a scandé la foule. La
belle place du Capitole dessinée par Michel-Ange offrait un spectacle plutôt
insolite. Luisa, un professeur de yoga exaspéré par «cette décadence»,
brandissait un balai de jardinier. «Objet très utile, peut-être inconnu à
Rome», proclamait un panonceau accroché au manche.
Transports publics défaillants, autobus qui brûlent dans le
centre-ville (21 depuis le début de l'année), immondices jonchant les rues,
sangliers surpris près des poubelles dans les quartiers périphériques,
nids-de-poule mortels pour les deux-roues, passages piétons mal signalés,
trafic chaotique, banlieues dégradées, espaces verts à l'abandon, arbres qui
s'abattent sur les voitures à la moindre rafale: les griefs s'accumulent contre
l'avocate de 40 ans élue
maire, le 20 juin 2016, par 67 % des Romains. Son parti, le
Mouvement 5 étoiles, promettait de transformer la capitale en vitrine de leur
capacité à administrer le pays.
Six femmes sont à l'origine de cette protestation. Six amies
unies par le slogan «Rome dit assez», qu'elles affichent sur leur T-shirt
blanc. Toutes engagées dans la vie active, elles veulent faire réagir leurs
concitoyens. Elles sont suivies par 24.000 internautes sur Facebook et se
proclament «sans appartenance politique». Virginia Raggi les accuse d'être des
émanations du Parti démocrate. Elles s'en défendent avec vigueur.
83 morts
«Nous avons décidé de former un comité après la mort d'Elena
Aubry», disent-elles. Elena, une jeune fille de 26 ans, a perdu le contrôle de
son scooter en mai dernier sur la Via Cristoforo Colombo, l'une des grandes
artères de Rome, des racines d'arbres ayant soulevé la chaussée. Un mois plus
tard, une autre jeune fille de 21 ans se tuait en Vespa sur l'asphalte dégradé.
On compte 83 morts depuis le début de l'année. La mairie a débloqué 17 millions
pour recouvrir de bitume quelque 50.000 cratères. «Insuffisant. Il faudrait au
moins 350 millions», proclame l'organisation de consommateurs Codacons,
pour qui 93 % des rues nécessitent une intervention urgente. Soit
5580 km sur les quelque 6000 que compte la capitale.
«Cette ville est maltraitée. Il est temps de réagir »
Valeria Grilli, cheffe de file de «Rome dit assez»
La sécurité n'est qu'un des aspects de la dégradation des
conditions de vie à Rome. Les six protestataires s'indignent devant «l'analphabétisme
en procédure» de l'administration communale. «Elle ne sait plus faire les
appels d'offres. Exemple édifiant: les écoles publiques risquent de ne plus
avoir de cantine en janvier parce qu'aucun marché n'a été lancé. Des
subventions européennes pour l'efficacité énergétique des transports publics
ont été perdues parce que la mairie n'a pas été en mesure de dire en quel état
se trouvait son parc d'autobus. Quand il a fallu isoler les fenêtres des
écoles, la mairie a découvert que de nombreuses salles n'étaient pas recensées
au cadastre. Cette ville est maltraitée. Il est temps de réagir», lance leur
cheffe de file, Valeria Grilli.
Cette bouffée de colère ne fait que renforcer le malaise
général. Le 10 novembre, Virginia Raggi devra rendre des comptes à la
justice. Elle est mise en examen pour avoir menti à la Commission
anticorruption dans une affaire de conflit d'intérêts lors de l'embauche à la
tête de la commission municipale du tourisme du frère d'un proche. Si elle
était condamnée, le code éthique des «5 Étoiles» la contraindrait à
démissionner.
Une aubaine pour Matteo
Salvini qui n'attend que cela pour s'emparer de la mairie. Le
leader de la Ligue et ministre de l'Intérieur critique sévèrement Virginia
Raggi: «Elle aurait pu faire davantage. La capitale aurait pu être plus propre,
plus belle, plus ordonnée», lançait-il fin septembre au congrès des jeunes
fascistes, dont il était l'invité d'honneur.
Mercredi dernier, le ministre a été conspué lors d'une
visite à San Lorenzo, quartier étudiant et populaire du nord de la capitale. Il
voulait se rendre dans un immeuble désaffecté où avait été retrouvé la veille
le corps de Désirée, une adolescente de 16 ans, morte après avoir été droguée
et violée en groupe par une bande de zonards. Des manifestants d'extrême gauche
l'en ont empêché. «Je reviendrai avec le bulldozer», a-t-il affirmé, promettant
de faire évacuer cent immeubles occupés par des squatters. Matteo Salvini veut
rétablir l'ordre et la sécurité dans la capitale. Son prochain objectif: après
le Frioul-Vénétie Julienne et le Trentin-Haut-Adige, que le Capitole bascule
dans son escarcelle. Il met les siens en ordre de bataille: «Après Virginia
Raggi, Rome aura un maire de la Ligue», affirme-t-il. Pratiquement une
déclaration de guerre à son allié 5 étoiles.
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