vendredi 23 mars 2018

Interdiction du voile intégral en Allemagne : l'identité au cœur du jeu politique outre-Rhin (24.08.2016)



FIGAROVOX/ENTRETIEN - La CDU, le parti d'Angela Merkel, souhaite l'interdiction partielle du voile intégral, à l'école, à l'université ou dans l'administration. Pour Jean-Louis Thiériot, la question outre-Rhin est davantage liée à l'identité culturelle qu‘à la laïcité.

Lire la suite : 







































Jean-Louis Thiériot est avocat, historien et écrivain. Il a notamment publié Margaret Thatcher: de l'épicerie à la Chambre des Lords (éd. Fallois, 2007 - Prix Joseph du Teil de l'Académie des Sciences morales et politiques) et France-Allemagne, l'heure de vérité (avec Bernard de Montferrand, éd. Tallandier, 2011).

FIGAROVOX. - Le débat engagé par la CDU en Allemagne concernant une interdiction partielle du voile intégral est-il comparable au débat français autour du burkini?

Jean-Louis THIERIOT. - Le sujet est le même mais l'angle d'attaque est totalement différent. Alors qu'en France, le débat sur le voile à l'école qui a abouti au vote de la loi de 2004 a été engagé au nom du principe de laïcité, le débat actuel en Allemagne est fondé sur des considérations purement pragmatiques et concrètes. La proposition du ministre de l'intérieur Thomas de Maizière d'interdire le voile islamique dans l'espace publique est faite au nom de trois idées simples: protéger la liberté des femmes, faciliter l'intégration, simplifier la tâche des forces de sécurité en évitant que les visages ne soient masqués dans les rues. Il n'y a pas de grands principes invoqués à l'appui de cette interdiction. Le débat porte seulement sur son utilité pour atteindre les objectifs précités et sur sa compatibilité avec la liberté religieuse inscrite dans la loi fondamentale.

Les Allemands ne sont-ils pas en train de considérer que la question de la laïcité se pose aujourd'hui dans leur pays?

Pas directement. La laïcité est un concept étranger à la vie politique allemande. Le préambule de la Grundgesetz, la loi fondamentale allemande commence par ces mots: «Conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant l'histoire, le peuple allemand décrète que…». L'état de droit allemand respecte la liberté religieuse mais donne une place à la religion dans la vie de la cité. Les Eglises sont financées par le Kirchensteuer, les citoyens à quelle religion, ils entendent être rattachés - pour les religions historiques, chrétiennes ou juives - ou s'ils sont sans religion. La laïcité comme valeur est une construction française, héritée de la loi de 1905 qu'on ne retrouve à peu près nulle part. En revanche, la proposition de Thomas de Maizière répond à un défi que ne connaissait pas la société allemande: celui de l'intégration d'une minorité musulmane de plus en plus importante, gonflée par l'afflux des migrants auxquels Angela Merkel a largement ouvert les portes. Il y avait certes des débats sur le «multiculti», mais il restait marginal. Les propos de Thilo Sarrazin dans L'Allemagne disparaît publié en 2010, avait provoqué une tempête médiatique mais avait eu peu d'effet dans l'opinion.

Les musulmans ne représentaient que 4% de la population allemande en 2010 contre environ 10% en France.

Relativement bien intégrée, bénéficiant de la tradition des liens entre l'Allemagne et la Turquie qui remonte au Bagdadbahn des années 1900 et à la première guerre mondiale, la minorité turque posait assez peu de problèmes. Les musulmans ne représentaient que 4% de la population allemande en 2010 contre environ 10% en France. C'est le double choc de l'afflux d'un million de migrants, musulmans dans leur grande majorité, et des attentats terroristes en Bavière commis au nom de Daech qui amène les Allemands à réagir pour préserver la paix civile. Le défi pour l'Allemagne va être de proposer aux Musulmans une structuration comparable à ce qui existe pour les Eglises chrétiennes, à savoir la constitution de corporations de droit public qui forment le support juridique des communautés religieuses et qui n'existent pas pour l'Islam. Pour obtenir ce statut de corporation de droit public, généralement attribué au niveau du Land, les mouvements religieux doivent souscrire un engagement formel de respecter le droit de la RFA (Gesetztreu) et prouver leur conformité aux valeurs constitutionnelles allemandes. C'est autour de cette question que s'articulera le débat dans les années à venir et qu'apparaîtront des difficultés juridiques qui pourront faire écho à la volonté française d'organiser le culte musulman. Mais le point de départ étant très différent, les solutions ne seront évidemment pas directement transposables.

Quelle est la réaction de l'opinion allemande à cette évolution sur le voile islamique?

En dehors de l'extrême gauche de Die Linke, de la frange progressiste du SPD, des Verts et de quelques organes médiatiques comme le Spiegel, la CDU-CSU, la majorité du SPD, les libéraux du FDP et naturellement les souverainistes de l'AFD soutiennent largement cette évolution. L'opinion publique y est encore plus massivement favorable que les partis. Un sondage You Gov du 19 août indique que 85% des Allemands souhaitent l'interdiction du voile dans l'espace publique. Plus qu'une problématique de laïcité, c'est une problématique d'identité qui saisit l'Allemagne, massivement. La question culturelle devient un marqueur de la vie politique allemande. Le contexte électoral des mois à venir risque de renforcer le mouvement. Les propositions sur le voile répondent d'ailleurs à l'inquiétude, pour ne pas dire à la panique de la CDU face à la progression de l'AFD qui est crédité de 19% d'intentions de vote pour les élections en Mecklembourg-Poméranie du 4 septembre, deux points seulement derrière la CDU. C'est une manière politique de répondre au refus d'Angela Merkel de revenir drastiquement sur la politique d'accueil des migrants.

L'Europe continentale et le monde atlantique ont des représentations du monde différentes qui ne sont pas près de disparaître.

N'est-ce pas aussi une manière pour les Français, accusés par la presse anglo-saxonne de polémiquer avec le burkini, de montrer que le débat sur les signes ostentatoires musulmans dépasse largement la spécificité de la «laïcité à la française» si souvent mise en cause outre-Manche?

Pas directement, car la France n'a aucune influence sur ce type de débat politique intérieur allemand. En revanche, c'est un révélateur de la vraie ligne de fracture qui existe entre le monde anglo-saxon fondé sur le communautarisme et l'extrême libéralisme et le monde romano-germanique fondé sur une conception plus organiciste et plus identitaire de la communauté nationale. Dans l'affaire du Burkini, le contraste entre la violence des réactions Outre-Manche et la modération des propos outre-Rhin est frappant. La vielle distinction entre pays de common law et pays de droit écrit, entre capitalisme anglo-saxon et capitalisme rhénan, trouve ici un nouveau champ d'application. L'Europe continentale et le monde atlantique ont des représentations du monde différentes qui ne sont pas près de disparaître.

La rédaction vous conseille :

Publié le 24/08/2016 à 14h00

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Articles riposte laïque à faire

- reprendre une à une les règles de soumission de l'islam (faire un chapitre pour chacune) - invasion islamique de l'inde à reman...