FIGAROVOX/ENTRETIEN - La
CDU, le parti d'Angela Merkel, souhaite l'interdiction partielle du voile
intégral, à l'école, à l'université ou dans l'administration. Pour Jean-Louis
Thiériot, la question outre-Rhin est davantage liée à l'identité culturelle
qu‘à la laïcité.
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Jean-Louis Thiériot est avocat,
historien et écrivain. Il a notamment publié Margaret Thatcher: de l'épicerie à la Chambre des Lords (éd.
Fallois, 2007 - Prix Joseph du Teil de l'Académie des Sciences morales et
politiques) et France-Allemagne, l'heure de vérité (avec
Bernard de Montferrand, éd. Tallandier, 2011).
FIGAROVOX. - Le débat engagé
par la CDU en Allemagne concernant une interdiction partielle du voile intégral
est-il comparable au débat français autour du burkini?
Jean-Louis THIERIOT. -
Le sujet est le même mais l'angle d'attaque est totalement différent. Alors
qu'en France, le débat sur le voile à l'école qui a abouti au vote de la loi de
2004 a été engagé au nom du principe de laïcité, le débat actuel en Allemagne
est fondé sur des considérations purement pragmatiques et concrètes. La
proposition du ministre de l'intérieur Thomas de Maizière d'interdire le voile
islamique dans l'espace publique est faite au nom de trois idées simples:
protéger la liberté des femmes, faciliter l'intégration, simplifier la tâche
des forces de sécurité en évitant que les visages ne soient masqués dans les
rues. Il n'y a pas de grands principes invoqués à l'appui de cette
interdiction. Le débat porte seulement sur son utilité pour atteindre les
objectifs précités et sur sa compatibilité avec la liberté religieuse inscrite
dans la loi fondamentale.
Les Allemands ne sont-ils
pas en train de considérer que la question de la laïcité se pose aujourd'hui
dans leur pays?
Pas directement. La laïcité
est un concept étranger à la vie politique allemande. Le préambule de la
Grundgesetz, la loi fondamentale allemande commence par ces mots: «Conscient de
sa responsabilité devant Dieu et devant l'histoire, le peuple allemand décrète
que…». L'état de droit allemand respecte la liberté religieuse mais donne une place
à la religion dans la vie de la cité. Les Eglises sont financées par le
Kirchensteuer, les citoyens à quelle religion, ils entendent être rattachés -
pour les religions historiques, chrétiennes ou juives - ou s'ils sont sans
religion. La laïcité comme valeur est une construction française, héritée de la
loi de 1905 qu'on ne retrouve à peu près nulle part. En revanche, la
proposition de Thomas de Maizière répond à un défi que ne connaissait pas la
société allemande: celui de l'intégration d'une minorité musulmane de plus en
plus importante, gonflée par l'afflux des migrants auxquels Angela Merkel a
largement ouvert les portes. Il y avait certes des débats sur le «multiculti»,
mais il restait marginal. Les propos de Thilo Sarrazin dans L'Allemagne
disparaît publié en 2010, avait provoqué une tempête médiatique mais
avait eu peu d'effet dans l'opinion.
Les musulmans ne
représentaient que 4% de la population allemande en 2010 contre environ 10% en
France.
Relativement bien intégrée,
bénéficiant de la tradition des liens entre l'Allemagne et la Turquie qui
remonte au Bagdadbahn des années 1900 et à la première guerre mondiale, la
minorité turque posait assez peu de problèmes. Les musulmans ne représentaient
que 4% de la population allemande en 2010 contre environ 10% en France. C'est
le double choc de l'afflux d'un million de migrants, musulmans dans leur grande
majorité, et des attentats terroristes en Bavière commis au nom de Daech qui
amène les Allemands à réagir pour préserver la paix civile. Le défi pour l'Allemagne
va être de proposer aux Musulmans une structuration comparable à ce qui existe
pour les Eglises chrétiennes, à savoir la constitution de corporations de droit
public qui forment le support juridique des communautés religieuses et qui
n'existent pas pour l'Islam. Pour obtenir ce statut de corporation de droit
public, généralement attribué au niveau du Land, les mouvements religieux
doivent souscrire un engagement formel de respecter le droit de la RFA (Gesetztreu) et prouver leur conformité aux valeurs constitutionnelles
allemandes. C'est autour de cette question que s'articulera le débat dans les
années à venir et qu'apparaîtront des difficultés juridiques qui pourront faire
écho à la volonté française d'organiser le culte musulman. Mais le point de
départ étant très différent, les solutions ne seront évidemment pas directement
transposables.
Quelle est la réaction de
l'opinion allemande à cette évolution sur le voile islamique?
En dehors de l'extrême
gauche de Die Linke, de la frange progressiste du SPD, des Verts et de quelques
organes médiatiques comme le Spiegel, la CDU-CSU, la majorité du SPD, les
libéraux du FDP et naturellement les souverainistes de l'AFD soutiennent
largement cette évolution. L'opinion publique y est encore plus massivement
favorable que les partis. Un sondage You Gov du 19 août indique que 85% des
Allemands souhaitent l'interdiction du voile dans l'espace publique. Plus
qu'une problématique de laïcité, c'est une problématique d'identité qui saisit
l'Allemagne, massivement. La question culturelle devient un marqueur de la vie
politique allemande. Le contexte électoral des mois à venir risque de renforcer
le mouvement. Les propositions sur le voile répondent d'ailleurs à
l'inquiétude, pour ne pas dire à la panique de la CDU face à la progression de
l'AFD qui est crédité de 19% d'intentions de vote pour les élections en
Mecklembourg-Poméranie du 4 septembre, deux points seulement derrière la CDU.
C'est une manière politique de répondre au refus d'Angela Merkel de revenir
drastiquement sur la politique d'accueil des migrants.
L'Europe continentale et le
monde atlantique ont des représentations du monde différentes qui ne sont pas
près de disparaître.
N'est-ce pas aussi une
manière pour les Français, accusés par la presse anglo-saxonne de polémiquer
avec le burkini, de montrer que le débat sur les signes ostentatoires musulmans
dépasse largement la spécificité de la «laïcité à la française» si souvent mise
en cause outre-Manche?
Pas directement, car la
France n'a aucune influence sur ce type de débat politique intérieur allemand.
En revanche, c'est un révélateur de la vraie ligne de fracture qui existe entre
le monde anglo-saxon fondé sur le communautarisme et l'extrême libéralisme et
le monde romano-germanique fondé sur une conception plus organiciste et plus
identitaire de la communauté nationale. Dans l'affaire du Burkini, le contraste
entre la violence des réactions Outre-Manche et la modération des propos
outre-Rhin est frappant. La vielle distinction entre pays de common law et pays
de droit écrit, entre capitalisme anglo-saxon et capitalisme rhénan, trouve ici
un nouveau champ d'application. L'Europe continentale et le monde atlantique
ont des représentations du monde différentes qui ne sont pas près de
disparaître.
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Publié le 24/08/2016 à 14h00
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