vendredi 23 mars 2018

Islamisme et politique 22.03.2018


Gauchet, Le Goff, Yonnet: les désenchantés de Mai 68 (21.03.2018)
GAFA: le projet européen de taxation des géants du web divise (21.03.2018)
Facebook : le géant du numérique tombe de son piédestal (21.03.2018)
Mark Zuckerberg s'excuse et défend Facebook (22.03.2018)

Égypte : Moussa, un opposant très discret (22.03.2018)
Allemagne : perpétuité pour le réfugié meurtrier (22.03.2018)
Sans majorité absolue, le Parlement italien se réunit pour élire ses présidents (23.03.2018)
Les dossiers secrets du KGB sur la mort d'Adolf Hitler (23.03.2018)
Chantal Delsol : «Trier la mémoire au nom de la morale ou le retour de l'obscurantisme» (23.03.2018)
Ivan Rioufol : «Macron attise la France inflammable» (22.03.2018)
Éric Zemmour : «Comment et pourquoi Anne Hidalgo fait toujours payer la gratuité aux autres…» (23.03.2018)
Mgr Gollnisch: «Les questions que se posent les chrétiens en Syrie» (23.03.2018)
Ce que révèle la censure de la lettre de Benoît XVI (22.03.2018)
L'éditorial du Figaro Magazine : «La République perdue» (23.03.2018)
Alain Besançon: «Au milieu du vide métaphysique prospère une vague religiosité humanitaire» (23.03.2018)
Lam Wing-kee, le libraire hongkongais qui défie la Chine (22.03.2018)
Scènes de violence à Paris et à Nantes lors des manifestations (22.03.2018)
Islamisation, délinquance, trafics : ce qui se passe vraiment dans les banlieues (23.03.2018)
À Sarcelles, l'islamisme a finalement réussi à s'implanter, malgré la vigilance des habitants (19.03.2018)
Islam de France : les pratiques très procédurières du CCIF (19.03.2018)

EN DIRECT - Au moins un mort dans une prise d'otages à Trèbes près de Carcassonne (23.03.2018)
Par Le figaro.fr
Mis à jour le 23/03/2018 à 13h43 | Publié le 23/03/2018 à 11h52
Vendredi matin, un homme a pris en otages plusieurs personnes dans un supermarché de Trèbes dans l'Aude. Plus tôt, un policier a été blessé non loin de là. Tout laisse «à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste», selon le premier ministre Edouard Philippe.
TOUT LE LIVELES ESSENTIELS
ORDRE DES POSTS
EN COURS : Mis à jour à 16:49
à 15:49
Le preneur d'otage serait un Marocain suivi pour radicalisation
Selon une source proche de l'enquête citée par l'AFP, l'homme soupçonné d'être le preneur d'otage à Trèbes serait un marocain suivi pour radicalisation.
à 15:49
Les élèves de Trèbes confinés mais «en sécurité» dans les établissements
Les élèves sont "en sécurité à l'intérieur" des écoles et du collège de Trèbes (Aude) et "y resteront" pendant la durée de la prise d'otages en cours dans le supermarché de la ville, a affirmé vendredi l'académie de Montpellier.

"Les élèves des (quatre) écoles et du collège de la ville de Trèbes dans l'Aude sont en sécurité à l'intérieur des établissements. Ils y resteront jusqu'à nouvel ordre. Un repas sera servi aux externes. Il est demandé aux familles de ne pas se rendre sur place", a indiqué l'académie dans un communiqué, sans préciser le nombre d'élèves concernés. 

Tous les accès à la ville de Trèbes étaient bouclés par des forces de l'ordre fortement armées, a constaté un journaliste de l'AFP.
à 15:27
Le point de situation à 13H30

• Deux attaques dans l’Aude, dont une prise d’otage toujours en cours
En fin de matinée, un groupe de CRS faisant de la course à pied a été visé par un individu armé qui les suivait en voiture. L’un d’entre eux a été blessé à l’épaule, sans que son pronostic vital ne soit engagé. L’assaillant a pris la fuite.
Dans la foulée, un individu a pris en otages des clients et des employés dans un supermarché de Trèbes, à 15 minutes de Carcassonne. Très vite, les forces de sécurité sont intervenues et des clients du magasin ont pu être évacués. Selon la gendarmerie, il y aurait deux morts à déplorer, au moins un selon nos informations. À 13H, la prise d’otages était toujours en cours et le forcené était toujours retranché dans le magasin.
Le lien entre les deux événements n’a pas encore été officiellement établi. Les enquêteurs travaillent sur l'hypothèse que les deux attaques soient le fait d'une seule et même personne. 
• Le preneur d’otages se revendique de Daech
C’est ce qu’affirme le parquet de Carcassonne. Pour l’heure, le groupe terroriste Etat islamique n’a rien revendiqué.
• La section antiterroriste du parquet de Paris a ouvert une enquête
Le parquet de Carcassonne s'est dessaisi de l'affaire au profit de la section antiterroriste du parquet de Paris, qui a ouvert une enquête pour assassinat, tentative d'assassinat et séquestrations sous conditions, le tout en relation avec une entreprise terroriste, et associations de malfaiteurs terroristes criminelle, indique le parquet de Paris au Figaro
• Philippe évoque une «situation sérieuse», Collomb se rend sur les lieux
Très vite, le premier ministre a écourté sa visite à Mulhouse où il était en déplacement pour rejoindre Matignon et suivre la situation. Son homologue de l’intérieur, Gérard Collomb, a déclaré se rendre sur les lieux.
à 15:25
La voiture de l'homme qui a tiré sur des CRS retrouvée sur le parking du supermarché de Trèbes
La voiture de l'homme qui a tiré sur les quatre CRS ce matin à Carcassonne a été retrouvée sur le parking du supermarché de Trèbes, ce qui indique que les deux affaires pourraient être liées.
à 15:22
80 pompiers et membres d'équipes médicales sont sur place
Au sein de la zone de prise d'otage bouclée par la gendarmerie, où le PSIG (Peloton de sécurité et d'intervention de la gendarmerie) intervient avec le GIGN, la Sécurité civile est également mobilisée. 80 pompiers et équipes médicales sont sur place, avec deux hélicoptères pour les évacuations médicales éventuelles.
à 15:14
«J'ai vu une porte de frigo, j'ai demandé aux gens de venir se mettre à l'abri»
Une cliente du supermarché témoigne sur France info : «Un homme a crié et a tiré des coups de feu à plusieurs reprises. J'ai vu une porte de frigo, j'ai demandé aux gens de venir se mettre à l'abri. Nous étions dix et nous sommes restés une heure. Il y a eu encore des coups de feu et on est sorti par la porte de secours derrière. (...) Il a crié "Allah je ne sais pas quoi", je ne l'ai pas vu.»
à 15:06
La préfecture de l'Aude met en place une cellule d'information

Toute personne «impactée par les événements en cours» peut appeler cette cellule au 04.68.10.29.00, a indiqué la préfecture de l'Aude sur Twitter.


à 15:03
Édouard Philippe : «Tout laisse à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste»
Selon le premier ministre Édouard Philippe, «tout laisse à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste.»

En déplacement à Mulhouse, où il était présent pour «discuter avec les acteurs de la politique de la Ville», Édouard Philippe a écourté sa visite et retourne à Matignon pour suivre la situation.


à 14:53
Le CRS blessé par balle «va bien»
Selon nos informations, le CRS blessé par balle à l'épaule ce matin n'est pas dans un état grave. Son pronostic vital n'est pas engagé selon plusieurs sources concordantes. 
à 14:49
L'homme serait armé de couteaux, d'une arme de poing et de grenades
Selon une source citée par l'AFP, un témoin présent sur place a vu que l'homme entré dans le supermarché autour de 11h15 au cri d'«Allah Akbar» était armé de couteaux, d'une arme de poing et de grenades.
à 14:40
Un mort confirmé, selon nos informations
Selon nos informations, un employé du supermarché a été tué. Par ailleurs, il n'y aurait plus d'otage dans le supermarché.

Selon le maire de Trèbes, Éric Ménassi, le preneur d'otages serait désormais seul dans le bâtiment avec un officier de gendarmerie.
à 14:26
Une à deux personnes seraient décédées par balle
Une à deux personnes ont été touchées par balles et seraient décédées à Trèbes selon le commandant de gendarmerie.

«On a malheureusement une présomption de décès, mais on ne peut pas faire venir de médecin sur place pour le vérifier», a déclaré à l'AFP le général Jean-Valéry Letterman, qui commande l'ex-région de Languedoc-Roussillon.
à 14:25
Mise en place d'un périmètre de sécurité
Par ailleurs, un périmètre de sécurité a été mis en place autour des lieux de la prise d'otage. Le ministère de l'Intérieur conseille d'éviter le secteur et de rester à l'écoute des consignes de sécurité.

à 14:23
Nos informations sur le dispositif en place

Selon nos informations, trois hélicoptères de gendarmerie sont mobilisés, ainsi que l'antenne GIGN de Toulouse, l'office central Satory et le 
peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie nationale - Sabre (psign-Sabre) de Narbonne.

(Christophe Cornevin)

» LIRE AUSSI: 
Sécurité: le plan de Beauvau pour riposter à une attaque en province
Sécurité: le défi du renseignement à la campagne
à 14:21
Le ministre de l'Intérieur se rend sur les lieux de la prise d'otages

http://assets-picto.lefigaro.fr/live_actu/Picto-generaux/Twitter.jpghttp://assets-picto.lefigaro.fr/live_actu/Picto-generaux/Twitter.jpgLe ministre de l'Intérieur a déclaré faire «un point de situation» avec les «forces de sécurité» depuis l'École nationale Supérieure de Police où il était en déplacement ce vendredi matin.


Dans la foulée, Gérard Collomb a annoncé qu'il se rendait sur place.






à 14:18
La section antiterroriste du parquet de Paris ouvre une enquête

Le parquet de Carcassonne s'est dessaisi de l'affaire au profit de la section antiterroriste du parquet de Paris, qui a ouvert une enquête pour assassinat, tentative d'assassinat et séquestrations sous conditions, le tout en relation avec une entreprise terroriste, et associations de malfaiteurs terroristes criminelle, indique le parquet de Paris au Figaro.

L'enquête est confiée à la Sous direction antiterroriste (SDAT), la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la Direction interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) de Montpellier. 
à 14:12
Édouard Philippe évoque une situation «sérieuse»
Le premier ministre évoque une situation «sérieuse», alors qu'une prise d'otages est en cours dans un supermarché à Trèbes, dans l'Aude. Un homme se réclamant de Daech, selon le parquet de Carcassonne, y est retranché. Les policiers sont en cours d'intervention sur la prise d'otages, dit le ministère de l'Intérieur.

à 14:04
L'individu preneur d'otages se réclame de Daech
L'homme qui s'est retranché vendredi matin dans un supermarché de Trèbes, à 10 kilomètres de Carcassonne, dans le sud de la France, se réclame du groupe terroriste État islamique, selon le parquet de Carcassonne.
à 13:57
Les éléments connus à 11h55
Un CRS a été blessé par balles vendredi matin par un individu à Carcassonne, dans l'Aude. Alors qu'il rentrait d'un footing avec trois collègues, son groupe a été visé par un individu qui les suivait en voiture. L'homme a tiré au moins cinq coups de feu avant de prendre la fuite. Le CRS, blessé à l'épaule, a reçu les premiers soins par ses collègues avant d'être transporté à l'hôpital.
Dans le même temps, nous avons appris qu'une prise d'otages était en cours dans un supermarché de Trèbes, à 15 minutes de Carcassonne. Selon les premiers éléments de l'enquête, un homme «a pénétré vers 11h15 dans ce supermarché Super U et des coups de feu ont été entendus», a précisé une source proche du dossier. La préfecture de l'Aude a annoncé sur Twitter que ce secteur «était interdit», demandant à la population de «faciliter l'accès aux forces de l'ordre». Selon le parquet, l'homme s'est revendiqué de l'État islamique.

Gauchet, Le Goff, Yonnet: les désenchantés de Mai 68 (21.03.2018)

Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 21/03/2018 à 21h18 | Publié le 21/03/2018 à 20h02
RÉCIT- En mai 1968, Marcel Gauchet, Jean-Pierre Le Goff et Paul Yonnet font régner la pagaille dans la faculté des lettres de Caen. La période marque durablement leur vie et leur œuvre. Mais le trio va évoluer du gauchisme à l'antitotalitarisme. Chacun d'entre eux va opérer une relecture critique des événements de Mai et de leurs conséquences.
«Dans la plus complète insouciance, nous étions devenus une bande de “terroristes intellectuels” et de “petits voyous” fiers de l'être, trouvant plaisir à contester le contenu des cours et à effrayer les “mandarins”», se souvient Jean-Pierre Le Goff dans la préface de Zone de mort, le livre posthume de Paul Yonnet. À cette époque, le sociologue n'a pas encore l'allure et la gouaille d'un tonton flingueur. Comme ses «camarades», Marcel Gauchet et Paul Yonnet, il a les cheveux longs, la barbe mal taillée et porte des Clarks. Qui aurait pu imaginer alors que ces jeunes «rebelles» deviendraient quelques décennies plus tard des penseurs parmi les plus lucides et critiques de la postmodernité?
Nous sommes en 1968 à la faculté des lettres de Caen et le trio - mi-anar, mi-aristo ; mi-bohème, mi-intello - rêve d'en finir avec la France de papa. Le Goff et Yonnet ont été exclus de leurs «bahuts» respectifs pour avoir publié des écrits jugés provocateurs dans le bulletin de leur établissement. Gauchet, l'aîné de la bande, après deux ans à enseigner dans un collège de campagne, a pris une disponibilité pour entreprendre des études supérieures. L'entrée à l'université d'une grande ville est pour ces jeunes Normands issus d'un milieu modeste une aventure. Loin de l'ennui et du conformisme des villages de province encore marqués par le poids des traditions et de la religion catholique. Le campus, inauguré en 1957 et construit sur le modèle des universités anglo-saxonnes, symbolise l'aube d'une ère nouvelle.
C'est le temps des copains, de la révolte adolescente et de la rupture radicale avec le «vieux monde»
C'est le temps des copains, de la révolte adolescente et de la rupture radicale avec le «vieux monde». La «déconnante», les surprises-parties et les virées nocturnes rythment le quotidien des étudiants. La légèreté le dispute à l'esprit de sérieux. Au bar L'Équipe, avec son flipper et son baby-foot, ou à la Lorraine, réputée pour sa bière, on refait le monde autour d'un verre. On palabre pendant des heures autour de l'existentialisme de Sartre et du cinéma de Jean-Luc Godard. On écoute en boucleSympathy for the Devil. Yonnet et Le Goff préfèrent les Stones aux Beatles car «ils ont la rage». C'est cette rage désordonnée et sans but qui va conduire toute une génération à rejouer 1789.
À Caen, Mai 68 commence en janvier. C'est la visite d'Alain Peyrefitte qui provoque la mutinerie. Dans la cour d'honneur de l'université, le nouveau ministre de l'Éducation est accueilli par des jets d'œufs. «J'ai raté Peyrefitte de dix centimètres, mais je peux dire que j'ai presque fait mouche», raconte Gauchet. Le plan Fouchet, contre lequel l'Unef mène campagne, n'est qu'un prétexte. Les contestataires sont avant tout guidés par le goût de la transgression.
«Une forme de nihilisme»
Plus sérieuse et violente est la fronde des ouvriers de l'usine Saviem quelques jours plus tard. Dans la nuit du 26 au 27 janvier, la manifestation tourne à l'émeute avec barres de fer, bouteilles d'essence et boulons. Les vitrines du centre-ville sont brisées, les blessés se comptent par centaines. Le Goff se souvient avoir été, comme beaucoup d'étudiants, fasciné par l'insurrection des jeunes ouvriers et avoir projeté sur eux ses propres préoccupations. Comparativement, les débordements de mai seront moins spectaculaires. Le 10 mai, Le Goff, qui n'avait jamais participé à une manifestation, se retrouve à crier comme des milliers d'autres le fameux: «CRS = SS!». Cependant, Caen n'est pas le Quartier latin. Plus d'ouvriers, moins d'étudiants cravatés. Mai 68 est accueilli comme une «divine surprise». La France qui semblait endormie se réveille soudain. C'est dans ce bouillonnement que Gauchet, Le Goff et Yonnet se croisent pour la première fois.
Mai 68 est accueilli comme une «divine surprise». La France qui semblait endormie se réveille soudain. C'est dans ce bouillonnement que Gauchet, Le Goff et Yonnet se croisent pour la première fois
Ce n'est qu'à la rentrée que se scelle leur amitié. Marcel Gauchet a créé un petit groupe informel d'étudiants, rassemblés par un même goût pour les provocations. On y trouve Yonnet et Le Goff. Même s'il s'en défend humblement aujourd'hui, le futur rédacteur en chef du Débat apparaît d'emblée comme le «théoricien» du groupe. «C'était un maître à penser. Il avait une influence considérable sur les autres étudiants», analyse le sociologue Alain Caillé, professeur de sociologie à Caen à l'époque. Bagarreur, bientôt expert en arts martiaux, Le Goff est autant passionné par les idées que par l'action. Quant à Yonnet, il est l'un des principaux animateurs du Comité d'action de l'institut de sociologie. La petite bande «anarcho-situationniste» fait régner la pagaille dans la faculté des lettres, multipliant les interventions intempestives en plein milieu des cours. Gauchet, orateur, prend la parole pendant que les autres tracent des slogans sur les murs des amphithéâtres devant des profs médusés et des étudiants souvent admiratifs. «C'était un désordre sympathique et pas méchant: un mouvement insurrectionnel sans volonté de couper des têtes», se souvient-il amusé. Le Goff se montre plus sévère et regrette «un comportement indéfendable, une forme de nihilisme». Leur mentor intellectuel n'est autre que Claude Lefort qui a enseigné la sociologie à Caen de 1966 à 1971. À la fois marxiste et antistalinien, le fondateur, avec Cornelius Castoriadis, de Socialisme ou Barbarie, est un véritable défricheur de la pensée antitotalitaire. Sa conception non économiste de la société influencera durablement le trio.
Marcel Gauchet, Paul Yonnet et Jean-Pierre Le Goff. - Crédits photo : Vincent Boisot/Le Figaro, Jacques Sassier/Gallimard/Leemage, Jean-Christophe Marmara/Le Figaro
Au début des années 70, après le temps de l'utopie vient celui des lendemains qui déchantent. La révolution a échoué. Le trio se disperse. Gauchet multiplie les articles dans les revues et les petits boulots. Il lui faudra attendre 1977 pour que le grand historien François Furet le repère lors d'une conférence et l'embauche à l'École des hautes études de sciences sociales.
À l'âge de 22 ans, Yonnet tombe malade et est soigné pour une maladie de Hodgkin. Ce cancer qu'il parvient à vaincre une première fois lui fait comprendre que son temps est compté. Ce sentiment d'urgence lui permet de s'affranchir des conventions, de se débarrasser des faux-semblants, pour aller à l'essentiel: la recherche de la vérité. Il est le premier à pressentir que la révolte de Mai va déboucher sur un nouveau conformisme.
Retrouvailles au «Débat»
À l'inverse, Le Goff, dans une sorte de surenchère, n'en finit plus d'en découdre avec la police et l'ancien monde. Il abandonne ses études pour rejoindre un groupuscule marxiste-léniniste. Et part à la rencontre des mineurs et des métallos du Nord-Pas-de-Calais, logeant dans des caravanes et des appartements miteux sans chauffage. «Après 68, je ne pouvais plus faire de la philo comme avant. Je voulais mettre mes actes en cohérence avec mes idées», explique-t-il. Mais les théories de Marx ne correspondent pas à la réalité des ouvriers. Pour ces derniers, les Maos ne sont que des «fils à papa» ou des «casseurs privilégiés». Et la société de consommation, loin d'être vécue comme une aliénation, est, au contraire, ressentie comme un progrès, un mieux-être. «J'ai fait des enquêtes sur les logements ouvriers, il y avait des fissures partout, mais c'était toujours mieux que les corons.» Le Goff sait tirer les leçons de cette désillusion. Plus jamais il ne sera prisonnier d'une idéologie. Désormais, sa pensée découlera de l'observation du réel et non plus de théories abstraites. Il reprend ses études et se plonge dans l'œuvre des penseurs libéraux: Constant, Tocqueville et Aron, ou celle des antitotalitaires: Camus, Arendt et Orwell.
Pour les ouvriers, les Maos ne sont que des «fils à papa» ou des «casseurs privilégiés». Et la société de consommation, loin d'être vécue comme une aliénation, est, au contraire, ressentie comme un progrès, un mieux-être»
Les retrouvailles du trio ont lieu quelque temps plus tard, au début des années 1980, à Paris, avec la naissance duDébat , fondé par Pierre Nora, dont Marcel Gauchet devient rédacteur en chef. Dès le premier numéro, la revue marque une rupture avec Michel Foucault et ses thèses structuralistes. S'il faut déconstruire un mythe, c'est celui de Mai 68. Gauchet, Yonnet et Le Goff ont pour point commun d'être des francs-tireurs. Loin du «pot d'araignées» parisien et universitaire, ils ont puisé leurs analyses dans l'expérience de la vie. Spécialiste du rock et du sport, Yonnet va au concert et pratique jogging et alpinisme. Chacun d'entre eux va opérer à sa manière une relecture critique des événements de Mai et de leurs conséquences. En 1989, à l'heure de la reconversion d'anciens gauchistes au sein du PS et du mitterrandisme triomphant, Gauchet, dans La Révolution des droits de l'homme (1989), met en garde contre l'extension à l'infini des droits individuels qui pousse à la guerre du tous contre tous. Pour lui, la révolution soixante-huitarde a débouché sur un individualisme radical et fait exploser les repères traditionnels (famille, Église, nation).
Dans Voyage au centre du malaise français (1993), Paul Yonnet voit le nouvel antiracisme incarné par SOS racisme et le rejet du «roman national»comme l'aboutissement d'une évolution armée par la «génération 1968». Celle-ci conduira, selon lui, tôt ou tard, à transformer la société française en nouvelle tour de Babel. «Visionnaire», il souligne le paradoxe à vouloir éteindre le racisme en exacerbant les identités. Avec Mai 68, l'héritage impossible (1998), Le Goff montre la rupture générationnelle qu'a constituée Mai 68 et fustige le gauchisme culturel et l'idéologie managériale qui a découlé de l'injonction à l'autonomie soixante-huitarde.
L'épreuve de la «mort sociale» 
Pour leur ancien professeur Alain Caillé, «ils ont basculé d'une position très à gauche à une position plus libérale, voire carrément à droite». Ce n'est pas l'avis de Michel Onfray qui loue au contraire la cohérence de leur trajectoire idéologique: «De la même manière qu'ils refusaient la dictature du marxisme soviétique il y a un demi-siècle, ils refusent aujourd'hui la “dictature” du libéralisme étatique qui compose avec tout ce qui décompose l'ancien monde», analyse le fondateur de l'Université populaire de Caen. «La vérité et la morale n'appartiennent pas à un camp intellectuel. Un intellectuel qui se demande s'il est de gauche ou de droite lorsqu'il travaille sur un sujet n'est pas un intellectuel libre», résume Jean-Pierre Le Goff.
Paul Yonnet a payé son intégrité au prix fort. Pour avoir prédit, bien avant les tragiques années 2015-2016 et leur cortège d'attentats sanglants, une décomposition identitaire aux effets délétères, il devient la première cible de la chasse aux «réacs» qui devait miner la vie intellectuelle française jusqu'à aujourd'hui. Accusé par Laurent Joffrin d'être «l'allié objectif de Le Pen», il connaît l'épreuve de la «mort sociale». Les sujets de son essai polémique lui sont désormais interdits. Il se réfugie dans la littérature. Son cancer le rattrape et Yonnet commence sa descente aux enfers. Dans son livre testament, Zone de mort (Stock), paru de manière posthume l'année dernière, il raconte son chemin vers l'abîme qui croise celui d'une France en voie de désintégration. Ce voyage au bout de la nuit intime et bouleversant fait écho à son Voyage au centre du malaise français. Comme le note Jean-Pierre Le Goff dans la préface, ce dernier livre est aussi un ultime «coup de poing contre le nouveau monde aseptisé, l'envers du décor de l'optimisme enjoué des bien-pensants de la postmodernité».
La mort de Yonnet en 2011 vient mettre fin à un compagnonnage amical et intellectuel de quatre décennies. L'école de Caen est orpheline. Selon ses dernières volontés, le repenti de 68, l'éternel révolté, est inhumé au cimetière d'Agon-Coutainville. Dans le village de son enfance, après une cérémonie religieuse à l'église. Sur sa tombe, figurent ces deux mots en latin «Gaudium veritatis»: La joie de la vérité…

La rédaction vous conseille :

GAFA: le projet européen de taxation des géants du web divise (21.03.2018)
Par AFP agence et Le figaro.frPublié le 21/03/2018 à 17h13
L'exécutif européen propose de taxer à 3% les revenus générés par l'exploitation des activités numériques. Les États-Unis ont déjà prévenu, ils s'opposeront fermement aux manœuvres initiées, quels que soient les pays dont elles émanent.
L'UE passe à l'offensive. Ce mercredi, la Commission européenne a dévoilé son projet pour mieux taxer les titans du numérique, communément désignés sous l'appellation GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Sur fond de menace de guerre de l'acier entre les États-Unis et l'Europe, le projet européen préconise notamment de taxer le chiffre d'affaires des géants du net, dont les quatre principaux représentants sont américains. «Nos règles mises en place avant l'existence d'internet ne permettent pas (...) d'imposer les entreprises numériques opérant en Europe», a martelé le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, pointant un «trou noir» fiscal «qui s'agrandit toujours plus», lors d'une conférence de presse mercredi à Bruxelles. La taxation des GAFA est un dossier ardemment défendu par le président français Emmanuel Macron.
Considéré comme prioritaire, le projet de la Commission européenne est au menu, jeudi soir, du sommet européen des chefs d'État et de gouvernement de l'UE à Bruxelles. Dans un premier temps, l'exécutif européen préconise de taxer à 3% les revenus (et non les bénéfices, comme le veut l'usage) générés par l'exploitation d'activités numériques. Cette taxe ne visera que les groupes dont le chiffre d'affaires annuel mondial dépasse 750 millions d'euros, et dont les revenus dans l'UE excèdent 50 millions d'euros. En clair, les petites start-up européennes, qui peinent déjà à rivaliser avec les mastodontes américains, ne seront pas concernées par cet impôt indirect.
Dans le collimateur de la Commission, les recettes publicitaires des groupes tirées des données de leurs utilisateurs (le modèle de Facebook, Google ou Twitter), ou les revenus provenant de la mise en relation d'internautes pour un service donné (comme pour Airbnb ou Uber). En revanche, les entreprises dont le «business model» repose sur les abonnements, comme Netflix, ne seront pas touchées, ni celles qui gagnent de l'argent grâce au commerce électronique, du type Amazon. Au total, entre 120 et 150 entreprises devraient être affectées par ce nouvel impôt: la moitié seront américaines, un bon tiers européennes et les autres, asiatiques, essentiellement chinoises, précise-t-on à la Commission. Cette taxe pourrait rapporter environ 5 milliards d'euros par an.
Pas une mesure antiaméricaine
«Il ne s'agit pas de taxer uniquement les GAFA ou les entreprises américaines», avait assuré Pierre Moscovici dans un entretien au Figaromardi. Il n'empêche, avant même que Bruxelles ne dévoile ses projets, le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, avait lancé vendredi cette mise en garde: «Les États-Unis s'opposent fermement aux propositions de quelque pays que ce soit de cibler les compagnies numériques» par une taxation spéciale. Outre cette mesure «ciblée», Pierre Moscovici a proposé une réforme de fond des règles relatives à l'imposition des sociétés, qui prendrait le relais de la première proposition de «court terme».
Celle-ci permettrait aux pays de l'UE de taxer les bénéfices qui sont réalisés sur leur territoire, même si une entreprise n'y est pas présente physiquement. Il s'agit d'établir un standard européen définissant la présence numérique des sociétés, pour mieux les imposer. Et ce à l'aide de trois critères: revenus, nombre d'utilisateurs et contrats (publicitaires par exemple) signés avec une autre entreprise.
Pour la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni (les cinq membres du G20 appartenant à l'UE), les choses ne vont pas assez vite au niveau international. Ils poussent donc pour une solution d'abord européenne, afin de donner l'exemple au reste du monde. Reste à savoir si ces grands pays de l'UE parviendront à convaincre les plus petits États tels que l'Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg, connus pour leur fiscalité bénéfique vis-à-vis des entreprises étrangères. Car dans l'Union, toute réforme sur la fiscalité requiert l'unanimité.
L'Irlande, qui a réussi à attirer le siège européen de Facebook avec ses taux d'imposition avantageux, ou le Luxembourg, pays d'accueil d'Amazon, plaident quant à eux pour privilégier une solution internationale, coordonnée par l'OCDE... De quoi gagner du temps.
La rédaction vous conseille :

Facebook : le géant du numérique tombe de son piédestal (21.03.2018)
Par Lucie Ronfaut et Caroline SalléMis à jour le 22/03/2018 à 18h48 | Publié le 21/03/2018 à 20h14
RÉCIT - Embourbé dans l'affaire Cambridge Analytica, le réseau social traverse l'une des plus graves crises de son histoire. Dans le collimateur, son patron-fondateur, Mark Zuckerberg, s'est exprimé mercredi, reconnaissant «des erreurs».
Après plusieurs jours de silence, Mark Zuckerberg a enfin pris la parole. «Nous avons la responsabilité de protéger vos données. Quand nous le faisons mal, nous ne méritons pas de vous servir», a expliqué le PDG via, évidemment, un statut Facebook. «J'ai débuté Facebook, et je suis responsable de ce qui se passe sur cette plateforme. Je prends cette responsabilité très au sérieux. Même si le problème spécifique avec Cambridge Analytica ne peut pas se reproduire aujourd'hui[du fait de nouvelles règles dans les applications, NLDR], cela n'efface pas le passé.» Le PDG de Facebook en a profité pour annoncer un audit de sécurité de toutes applications «avec des activités suspicieuses». Les développeurs verront aussi leurs droits restreints, notamment dans l'exploitation des données d'utilisateurs sur le long-terme. Mercredi soir, dans une interview sur la chaîne CNN, Mark Zuckerberg a également indiqué qu'il «serait heureux» de venir témoigner devant le Congrès américain.
Malgré ces explications, Mark Zuckerberg n'est pas encore tiré d'affaires. Son carnet de bal risque fort d'afficher complet dans les prochaines semaines. Le fondateur de Facebook croule sous les invitations. Depuis les révélations autour de l'affaire Cambridge Analytica, une société britannique accusée d'avoir collecté sans leur consentement les données de 50 millions d'utilisateurs de Facebook au profit de la campagne présidentielle de Donald Trump, tout le monde convoque le jeune patron star de la Silicon Valley.
Coup sur coup, cette semaine, celui qui dirige le réseau social le plus puissant du monde a été convoqué à Londres par une commission parlementaire britannique, sommé de s'expliquer devant le Parlement européen à Bruxelles et fortement incité à témoigner devant le Congrès des États-Unis. Preuve que le dossier est pris très au sérieux, Facebook se retrouve sous le coup de plusieurs enquêtes diligentées par les autorités américaines. Des actions de groupe en justice ont déjà été déposées au nom de citoyens et d'actionnaires. À croire que Mark Zuckerberg, hier idole des jeunes et de la tech, est devenu l'ennemi public numéro un.

Subitement, Facebook a déboulé dans l'arène politique. Il est devenu aux yeux des élus une arme de désinformation massive pouvant nuire gravement à la démocratie. - Crédits photo : Dado Ruvic/REUTERS
Plus qu'une simple averse passagère, il faut voir dans le tumulte actuel les prémices d'un orage durable. Si la tension vient subitement de monter, elle était en réalité palpable depuis plusieurs mois. La campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis, encore elle, a fait figure d'élément déclencheur. L'ingérence de la Russie et la diffusion à grande échelle de fake news, en faveur de Donald Trump, ont amené à une prise de conscience brutale. Jusqu'ici, Facebook, Twitter, YouTube n'étaient rien d'autres que de simples gadgets technologiques destinés à divertir ou converser entre amis. Subitement, Facebook a déboulé dans l'arène politique. Il est devenu aux yeux des élus une arme de désinformation massive pouvant nuire gravement à la démocratie. «C'est lorsque Facebook a commencé à impacter la sphère publique et politique que les choses se sont mises à coincer. Dès lors, le politique est remonté au créneau. Il est en train de siffler la fin de la récréation», analyse Louis Morales-Chanard, directeur de la stratégie de Blue 449 (Publicis).
En novembre 2017, le Congrès américain avait décidé d'auditionner les grands patrons de ces fleurons de la tech. Au lieu de faire le déplacement, tous ont envoyé leurs seconds couteaux, qui n'ont nullement fait acte de contrition. La sénatrice démocrate Dianne Feinstein s'est alors fendue d'un premier coup de semonce. «Vous avez un énorme problème entre les mains. (…) Vous avez créé ces plateformes, elles sont détournées de leur but. C'est à vous de les réparer! Si vous n'agissez pas, nous nous en chargerons.» À bon entendeur…
Pour montrer qu'il n'avait pas fait la sourde oreille, Mark Zuckerberg annonçait en janvier que son défi pour 2018 consisterait à «réparer Facebook»… Ce qui n'a pas empêché les instances politiques de durcir le ton ces derniers jours, aux États-Unis comme en Europe. La crise des fake news comme les révélations sur la fuite des données dans l'affaire Cambridge le démontrent: «Facebook n'a qu'un contrôle partiel de son immense pouvoir», résume un expert du secteur. En somme, la machine infernale serait en train d'échapper à son créateur.
La brèche est ouverte
La critique ne porte plus seulement sur le détournement du réseau social à des fins de propagande. Mais aussi sur son influence grandissante, son recours un peu trop systématique à l'évasion fiscale et son poids économique gigantesque. Facebook affichait la semaine dernière une valorisation de près de 540 milliards de dollars, soit 50 milliards de plus que le PIB de la Belgique. Son modèle économique, l'exploitation des données personnelles à des fins publicitaires, est critiqué, bien qu'il soit extrêmement lucratif et copié par beaucoup d'autres.
C'est d'ailleurs toute la difficulté de l'affaire Cambridge Analytica: les données ont été récupérées d'une manière classique, grâce à une API, un programme pour que des entreprises et des chercheurs exploitent, légalement, les informations des utilisateurs. Cambridge Analytica et Facebook affirment tous les deux avoir été trompés. Reste la découverte choquante, pour beaucoup, l'exploitation des données personnelles à l'insu de leurs propriétaires, y compris à des fins politiques.
«Vous avez un énorme problème entre les mains. Vous avez créé ces plateformes, elles sont détournées de leur but. C'est à vous de les réparer. Si vous n'agissez pas, nous nous en chargerons»
Dianne Feinstein, sénatrice américaine
La brèche, ouverte par la sphère politique, est en train d'être creusée par les marchés financiers. Depuis le début de la semaine, la valorisation boursière de Facebook a perdu 60 milliards de dollars à Wall Street. Les investisseurs craignent une régulation plus contraignante, voire une fuite des annonceurs et des utilisateurs, déjà échaudés par des polémiques à répétition autour de la modération des contenus. Même dans la Silicon Valley, le berceau de Facebook, des voix s'élèvent contre ses dérives. Les critiques les plus audibles sont celles provenant des anciens employés du réseau social. Mercredi, Brian Acton, cofondateur de l'application WhatsApp, rachetée par le réseau social en 2014, a appelé à la suppression de Facebook. Il n'est pas le premier.
Justin Rosenstein, un ingénieur qui a participé au développement du bouton «J'aime», a critiqué le «pseudo-plaisir» provoqué par sa propre invention. Un mois plus tard, Sean Parker, ancien président de Facebook, a avoué qu'il n'avait pas prévu «les conséquences d'un réseau, lorsqu'il grandit à 2 milliards d'utilisateurs (…). Seul Dieu peut savoir ses conséquences sur le cerveau de nos enfants».
En décembre, Chamath Palihapitiya, ancien vice-président du réseau social, a carrément fait part de son «immense culpabilité». «Nous avons créé des outils qui déchirent le réseau social», a-t-il avoué. Ces dernières déclarations, très médiatisées, ont finalement poussé Facebook à réagir. «Chamath a quitté Facebook il y a plus de six ans, s'est défendue l'entreprise. À l'époque, c'était une entreprise différente.»
Malgré ces attaques, rien ne semble atteindre la toute-puissance de Facebook. Le réseau social compte plus de 2 milliards d'utilisateurs actifs mensuels, dont 66 % s'y connectent tous les jours. Il possède une galaxie de filiales, elles aussi très populaires: Messenger (1,3 milliard d'utilisateurs actifs par mois), WhatsApp (1,5 milliard) et Instagram (800 millions). Le réseau social détient enfin l'entreprise Oculus, spécialisée dans la réalité virtuelle. Beaucoup de personnes utilisent les services de Facebook. Mais, de plus en plus, elles s'en inquiètent.
Beaucoup de personnes utilisent les services de Facebook. Mais, de plus en plus, elles s'en inquiètent
Près de 20 % des Américains pensent que le réseau social a un impact «très négatif» ou «négatif» sur la société, d'après une étude publiée par le site The Verge. C'est presque autant que Twitter, mais plus que pour Apple, Google ou Microsoft. Dans la même étude, ils sont pourtant 70 % à «aimer» les produits de Facebook. Les internautes sont confrontés à un paradoxe. Ils apprécient le réseau social car il est pratique pour rester en contact avec leurs proches. Mais ils en ont découvert les effets négatifs. Ils lui ont cédé volontairement des bouts de leur vie privée, sans avoir conscience de la manière dont ils pouvaient être exploités. Le modèle économique de Facebook n'est pas nouveau. La prise de conscience générale sur son étendue et ses conséquences, elle, débute à peine.
Facebook est attentif à ces inquiétudes. Il met régulièrement en avant ses paramètres de confidentialité qui permettent de contrôler, jusqu'à un certain point, l'exploitation des données personnelles. Fin 2017, une équipe de chercheurs employée par le réseau social a même publié un long article portant sur les effets néfastes des réseaux sociaux. Dans un curieux exercice d'équilibriste, ils y admettent que «la consommation passive d'informations» peut rendre les utilisateurs malheureux, mais qu'«interagir avec d'autres personnes est lié à l'amélioration du bien-être».

Le message est en phase avec les intérêts de Facebook, qui observe depuis des années une baisse du partage des contenus personnels de ses utilisateurs. Les internautes parlent moins de leur vie sur le réseau social. C'est une mauvaise nouvelle pour lui, car son modèle économique repose sur l'attention et l'engagement. Depuis le début de l'année, Facebook met plus en avant les contenus provenant d'amis ou de groupes personnels dans le fil d'actualité.
«Nous voulons que les internautes utilisent bien leur temps sur Facebook», a assuré Mark Zuckerberg. Les mots ne sont pas innocents. «Time well spent», en anglais, est aussi le nom d'une organisation luttant contre l'addiction aux nouvelles technologies, fondée par un ancien employé de Google.
Maître de sa communication, Mark Zuckerberg s'est même réjoui que le temps moyen passé sur Facebook ait chuté de 5 % au quatrième trimestre 2017. La baisse est modeste: deux minutes par jour par utilisateur. Elle permet pourtant à Facebook de s'affirmer comme une entreprise humble, préférant privilégier la qualité à la quantité. Néanmoins, il y a d'autres chiffres dont le réseau social ne parle pas. Sa population vieillit. Pour la première fois en 2018, Facebook devrait perdre des utilisateurs aux États-Unis. Près de deux millions d'internautes américains de moins de 24 ans vont quitter le réseau social cette année, d'après les estimations du cabinet eMarketer. Facebook cherche à séduire ces jeunes, notamment avec Instagram ou Messenger. De peur qu'ils ne partent utiliser d'autres réseaux sociaux concurrents. Ou, pire, qu'ils n'en utilisent aucun.

Mark Zuckerberg s'excuse et défend Facebook (22.03.2018)
Par Lucie Ronfaut
Mis à jour le 22/03/2018 à 19h20 | Publié le 22/03/2018 à 18h09
Le PDG a pris la parole pour la première fois depuis le début de la crise.
Mark Zuckerberg n'emploie pas le mot «désolé» à la légère. D'ailleurs, on ne le trouve pas dans le message publié mercredi soir sur le compte personnel du PDG de Facebook, sa première réaction au scandale Cambridge Analytica. «Notre responsabilité est de protéger vos données, et si nous échouons nous ne méritons pas de vous servir», y écrit le dirigeant. Quelques heures plus tard, Mark Zuckerberg, habituellement très discret dans les médias, a accordé pas moins de quatre interviews: au New York Times, à CNN, au magazine Wiredet au site spécialisé Recode. Là, le PDG de Facebook s'est montré plus contrit. «Ce qui s'est passé a affecté la confiance de nos utilisateurs et j'en suis vraiment désolé», a-t-il expliqué au micro de CNN.«Nous avons déçu notre communauté et je me sens mal», a-t-il ajouté chez Recode.
À l'origine de ces excuses, un scandale vieux de deux ans, mais qui a éclaté au grand jour le week-end dernier. La société britannique Cambridge Analytica est accusée d'avoir exploité illégalement les données d'au moins 50 millions d'utilisateurs de Facebook dans le monde. Ces informations avaient été recueillies à des fins de recherches universitaires, au travers d'un test de personnalité. Facebook, alerté de cette affaire en 2015, s'est contenté de demander à Cambridge Analytica de supprimer les données, sans vérifier que cela avait été bien fait. Or, d'après plusieurs médias, elles ont été conservées par la société britannique. Cette dernière est soupçonnée de les avoir exploitées lors de l'élection présidentielle américaine, durant laquelle elle a travaillé pour les candidats Ted Cruz et Donald Trump.
Modèle économique
Face à l'ampleur du scandale, Mark Zuckerberg a annoncé une série de mesures. Facebook va organiser un vaste audit de sécurité pour des «milliers» d'applications «avec des activités suspicieuses» ayant eu accès aux données d'utilisateurs avant 2015, date d'un changement de confidentialité du réseau social. Les développeurs verront aussi leurs droits restreints, notamment dans l'exploitation des données d'utilisateurs sur le long terme. Une application qui n'a pas été utilisée par un internaute après trois mois n'aura plus accès à ses données. Enfin, Facebook va mettre plus en évidence des options permettant de contrôle les services tiers qui exploitent certaines informations personnelles. Même si Mark Zuckerberg s'excuse, il n'en garde pas moins en tête les intérêts de son entreprise. Le PDG se dit ainsi favorable à une plus grande régulation législative. Il se garde bien, néanmoins, de donner des idées précises, se contentant de mettre en avant les efforts de Facebook pour rendre plus transparents les achats de publicité.
«Notre responsabilité est de protéger vos données et, si nous échouons nous ne méritons pas de vous servir»Mark Zuckerberg, PDG de Facebook
Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook
Plus étonnant, Mark Zuckerberg suggère dans ses différentes interviews que le public réclame que ses données soient enfermées au sein du réseau social. «Je pense qu'à nos débuts nous avions cette vision idéale: la portabilité des données nous permettrait d'avoir de nouvelles expériences, explique le dirigeant à Wired. Au final, je pense que nos utilisateurs estiment qu'un accès restreint à leurs données est plus important que le fait de pouvoir les transporter dans d'autres services.» La portabilité des données est pourtant le cheval de bataille de nombreux défenseurs des libertés en ligne, qui y voient la garantie pour que des utilisateurs puissent quitter facilement Facebook pour d'autres services. Il est aussi l'un des objets du RGPD, le règlement européen de la protection des données en Europe, qui doit entrer en vigueur le 25 mai. Mark Zuckerberg n'a pas fini de s'excuser.

La rédaction vous conseille :

Égypte : Moussa, un opposant très discret (22.03.2018)

Par Jenna Le Bras
Mis à jour le 22/03/2018 à 20h57 | Publié le 22/03/2018 à 18h34
Unique candidat face au président sortant lors des élections du 26 mars, Moussa Mostafa Moussa est un ancien soutien d'al-Sissi.
Le Caire
De son propre aveu, sa candidature a pris de court ses proches: «Tout le monde était choqué dans mon parti, même ma famille!» plaisante Moussa Mostafa Moussa. Seul opposant au président sortant, Abdel Fatah al-Sissi, lors de l'élection présidentielle qui se tiendra du 26 au 28 mars prochain en Égypte, il raconte que son équipe «a terminé les papiers deux heures avant la clôture. On a couru partout!»
En atteste une photographie, prise quelques minutes avant la fermeture du bureau de dépôts des candidatures, montrant l'un de ses assistants engagé dans une course folle dans les rues du Caire pour arriver à temps à la commission électorale pour déposer son dossier.
Car, avant cette vocation présidentielle épiphanique, l'architecte et homme d'affaires de 66 ans, diplômé de l'école de Versailles et président du parti centriste et libéral al-Ghad, mettait surtout son énergie dans le soutien à la campagne du président al-Sissi pour sa réélection.
Sa page Facebook est encore illustrée des slogans de campagne du président sortant
Le revirement a été si soudain qu'il n'a d'ailleurs pas eu le temps de changer la bannière de sa page Facebook, encore illustrée des slogans de campagne de l'ex-maréchal, après l'annonce de sa candidature. «On se préparait depuis dix-huit mois, se défend-il pourtant. J'ai un programme ; sans ça, je n'y serais pas allé.» Sa feuille de route, tournée vers l'économie et baptisée «capitalisme national», promet de poursuivre les grands projets qui ont participé à la popularité d'Abdel Fatah al-Sissi en accélérant toutefois les cadences de réalisations pour en obtenir des bénéfices plus rapidement, grâce notamment à la mise en place d'un système d'actionnariat populaire.
Dans ses bureaux de campagne, situés en plein centre-ville du Caire, l'homme assure d'ailleurs s'être concerté avec plusieurs partis politiques «et le président lui-même, pour leur exposer ses idées et la manière de s'organiser», il y a un an et demi. Mais, face à l'intention de l'ancien ministre Ahmed Chafik de se porter candidat en novembre dernier, le politicien aurait décidé de se retirer.
«Le référendum n'est pas souhaitable dans le contexte actuel, ce n'est pas bon pour notre image, j'ai donc décidé de reprendre la course présidentielle»
Moussa Mostafa Moussa
«Il y avait deux grands pôles d'influence, je ne souhaitais pas que ma candidature fragmente les votes», explique-t-il. En début d'année, une vague d'arrestations et de défections de tous les candidats challengers laisse pourtant le président sortant seul candidat de ce scrutin.
«Le référendum n'est pas souhaitable dans le contexte actuel, ce n'est pas bon pour notre image, j'ai donc décidé de reprendre la course présidentielle», explique Moussa Mostafa Moussa, se défendant de toute collusion. «C'est vrai, j'ai toujours soutenu le président. Ça ne veut pas dire que je ne peux pas être en compétition avec lui aujourd'hui. Nous ne sommes pas ennemis, je l'ai soutenu au maximum jusqu'au bout, mais, quand j'ai vu qu'il n'y avait personne face à lui, je me suis dit qu'il fallait que j'entre dans la course. C'est mon devoir patriotique de participer à cette élection, il faut jouer le jeu démocratique», assène-t-il.
«Je ne veux pas des votes des anti-Sissi»
Face à une élection qualifiée de référendum déguisé par un certain nombre d'observateurs, celui qui est présenté comme un candidat «fantoche» par les détracteurs de Sissi assure que les pressions et menaces dénoncées par certains candidats écartés sont orchestrées par les Frères musulmans et des agents de l'étranger pour «décrédibiliser cette élection». Il précise aussi: «Si on me demandait d'être un faire-valoir, je refuserais. Je me respecte, je connais ma vision pour mon pays, donc personne ne peut me téléguider.»
Moussa Mostafa Moussa admet néanmoins que la victoire sera difficile. «J'ai en face de moi un président avec beaucoup de réalisations, énormément de soutiens, qui est connu. Moi, les gens ne me connaissent pas, donc j'ai un impact limité.»
Il insiste toutefois: «Je ne veux pas des votes qui ont pour but de pénaliser al-Sissi, je ne veux pas des votes des anti-Sissi, je ne veux pas des votes des Frères musulmans, ce sont mes ennemis, et je ne veux pas des votes des gens qui sont contre le système démocratique du pays, qui veulent briser le système militaire ou le président», en précisant d'ailleurs que lui apporter son soutien «ne veut pas dire être contre le gouvernement actuel».
Si la commission électorale égyptienne a assuré que le scrutin serait honnête et transparent, quatorze organisations de défense des droits humains ont déjà qualifié l'élection de «ni libre ni équitable».

La rédaction vous conseille :
Allemagne : perpétuité pour le réfugié meurtrier (22.03.2018)

Par Nicolas Barotte
Mis à jour le 22/03/2018 à 21h31 | Publié le 22/03/2018 à 18h39
Le meurtre d'une étudiante par un jeune Iranien à Fribourg fin 2016 avait suscité l'émoi et nourri les doutes sur la politique d'asile.
L'histoire appartient au versant noir de la politique d'asile. À la fin de l'année 2016, le meurtre de Maria Ladenburger par un demandeur d'asile avait définitivement fait douter l'Allemagne de sa politique en faveur des réfugiés. Jeudi, le tribunal de Fribourg a condamné Hussein Khavari à la peine maximale, la perpétuité, comme si la justice allemande voulait signifier qu'elle n'aurait aucune indulgence envers ceux qui abusent de l'accueil dont ils ont bénéficié. «C'est un criminel qui comparait, pas une politique d'asile», avait pourtant averti, durant le procès, le procureur, Eckart Berger.
«C'est un criminel qui comparait, pas une politique d'asile»
Le procureur, Eckart Berger
Cette nuit du 15 au 16 octobre 2016, à Fribourg, Maria revient à vélo d'une soirée étudiante. La jeune femme de 19 ans croise le chemin d'Hussein, qui vit en tant que «mineur réfugié» dans une famille d'accueil non loin. Pour minimiser son acte, le jeune homme a déclaré qu'il était alors sous l'emprise de l'alcool et qu'il a été pris «d'une pulsion». Il agresse Maria, l'étrangle, la viole et la laisse inconsciente dans la rivière en contrebas du chemin. Elle meurt en se noyant. Les faits sont «extrêmement graves», a souligné la juge Kathrin Schenk en n'accordant aucune circonstance atténuante à l'accusé, pas même son âge sur lequel il avait menti. Hussein Khavari «s'est comporté de manière très méthodique et il n'a pas agi sous le coup d'émotions», a-t-elle notifié en rendant son jugement. Il a décidé de faire appel.
Fin 2016, l'extrême droite s'était emparée du fait divers. Hussein incarne à la perfection tout ce que les opposants à la politique d'asile d'Angela Merkel peuvent dénoncer. Le jeune homme est arrivé en Allemagne en novembre 2015, au plus fort de la crise. Il a traversé la frontière avec l'Autriche sans papiers. Devant les services débordés de l'Office des migrations, il a prétendu avoir 16 ans pour bénéficier du traitement plus favorable réservé aux mineurs non accompagnés. Les inspecteurs ont déterminé qu'il avait au moins 21 ans. Ils ont aussi mis en doute sa nationalité. En se déclarant Afghan et non Iranien, il avait encore augmenté ses chances d'obtenir un titre de séjour.
Un garçon «calme et aimable»
En réalité, il n'aurait jamais dû atteindre Fribourg. En octobre 2015, Hussein venait de sortir de prison en Grèce. Il y avait été condamné en 2014 à dix ans de réclusion. En mai 2013, quatre mois après son arrivée en Europe, le jeune homme avait tenté d'assassiner une étudiante en la poussant du haut d'une falaise à Corfou. Elle avait survécu miraculeusement. Face à la police grecque, il n'avait pas semblé comprendre la gravité de ses actes: «Ce n'est qu'une femme!», aurait-il dit. Malgré son profil, il est libéré pour bonne conduite. Il a aussi profité d'une mesure d'amnistie visant à soulager les prisons grecques surpeuplées.
En mai 2013, quatre mois après son arrivée en Europe, le jeune homme avait tenté d'assassiner une étudiante en la poussant du haut d'une falaise à Corfou
Hussein poursuit son périple. Sa demande d'asile a été rejetée en Grèce, mais il n'a aucune difficulté à disparaître des écrans radars et à traverser les frontières européennes. Il dépose une demande d'asile en février 2016 à Fribourg. Discret, il passe pour un garçon «calme et aimable», selon les mots de ses tuteurs. Il ne travaille pas, s'ennuie probablement. Quelques jours après le meurtre de Maria, il a participé à une fête «des cultures du monde». Incarcéré après son arrestation, il a tenté de se suicider.

La rédaction vous conseille :
Correspondant du Figaro à Berlin
Ses derniers articles

Sans majorité absolue, le Parlement italien se réunit pour élire ses présidents (23.03.2018)
Par Guillaume Descours et AFP agencePublié le 23/03/2018 à 08h44
Le nom du président du Sénat pourrait être connu samedi. Pour la Chambre des députés, il devrait être annoncé la semaine prochaine, un élu devant obtenir une majorité absolue. Les tractations entre le Mouvement 5 étoiles, la coalition de droite-extrême droite ou encore le parti démocrate devraient être mouvementées.
Le Parlement italien se réunit ce vendredi, première convocation en date alors que les députés et sénateurs doivent élire les nouveaux présidents des deux chambres, après les élections législatives du 4 mars qui n'ont pas dégagé de majorité absolue. Les sénateurs sont convoqués à 10H30 et les députés à 11H. Cependant, à moins d'hypothétiques accords dès les premiers tours, le président du Sénat devrait être désigné samedi et celui de la Chambre des députés pourrait devoir attendre la semaine prochaine.
Le règlement du Sénat prévoit deux votes par jour avec des majorités requises qui s'abaissent progressivement jusqu'à un quatrième tour - probablement samedi après-midi - pour départager les deux candidats arrivés en tête au troisième tour. À la Chambre des députés, il faudra voter jusqu'à ce qu'un élu obtienne la majorité absolue.
Après le scrutin de mars, la coalition de droite-extrême droite, en tête avec 37% des voix, et le Mouvement 5 Étoiles (M5S), premier parti du pays avec 33%, ont revendiqué tous deux la victoire sans qu'aucune force ne dispose d'une majorité lui permettant de gouverner. Même s'il reste encore une poignée de sièges à attribuer, la coalition de droite compte 260 députés et le M5S 229 alors que la majorité absolue à la chambre basse est de 316. Au Sénat, où celle-ci est de 159 sièges, la coalition de droite a 135 élus et le M5S 112. «Le scrutin du 4 mars a accouché d'un Parlement composé de minorités», a expliqué le Corriere della Sera , estimant que les forces politiques auront besoin d'«un bain d'humilité politique» pour sortir de l'impasse.
Ces tractations politiques pour choisir les présidents des deux chambres ne devraient cependant être qu'un échauffement avant celles qui conduiront à la formation d'un gouvernement. Le président de la République, Sergio Mattarella, doit entamer ses consultations début avril.
Le Sénat pour la coalition de droite?
En attendant, un équilibre a semblé se dessiner dans la semaine pour les présidences du Parlement: la Chambre des députés pour le M5S, le Sénat pour la coalition de droite. Mais la lutte est rude, y compris au sein de cette coalition, où Forza Italia (FI), le parti de Silvio Berlusconi qui a dominé la droite italienne pendant 25 ans, n'a obtenu que 14% des voix, contre 17% pour la Ligue de Matteo Salvini (extrême droite).
À contrecœur, le milliardaire s'est rangé derrière son jeune allié dans la course pour diriger le gouvernement, tout en exigeant la présidence d'une chambre, plus particulièrement le Sénat pour son ancien ministre de l'Économie Paolo Romani. «Nous ne pouvons pas voter pour lui», a répliqué Luigi Di Maio, chef de file du M5S, opposé à l'élection de toute personne condamnée par la justice. Paolo Romani a en effet écopé de 16 mois de prison avec sursis, peine confirmée en appel en octobre, pour avoir laissé sa fille de 15 ans cumuler 12.000 euros de facture en un an sur son téléphone de fonction de conseiller municipal de Monza, près de Milan, en 2011.
Le Parti démocrate (PD, centre gauche), sorti laminé du scrutin avec moins de 20% des voix mais potentiel arbitre avec ses 108 députés et 53 sénateurs, refuse pour l'instant de servir de «béquille» à qui que ce soit. Boudé par le PD, le M5S rechigne à discuter avec Silvio Berlusconi, qu'il accuse depuis des années d'une grande partie des maux de l'Italie, mais ne peut pas se permettre de couper tous les ponts avec la coalition de droite sous peine de se retrouver isolé au Parlement. Autre complication pour les états-majors: les votes sont secrets, et il est déjà arrivé que les troupes se rebellent, parfois même en nombre, contre les consignes.
La rédaction vous conseille :

Les dossiers secrets du KGB sur la mort d'Adolf Hitler (23.03.2018)

Par Jean-Louis Tremblais
Publié le 23/03/2018 à 06h00
Après deux ans de négociations, Jean-Christophe Brisard a pu accéder à ces documents classés sur la mort d'Adolf Hitler et mener sa contre-enquête.
Le 30 avril 1945, à Berlin, Adolf Hitler se suicide avec Eva Braun (devenue Mme Hitler la veille) dans son bunker et leurs corps sont brûlés dans les jardins de la chancellerie. Telle est la version officielle: affaire classée. Sauf que, contrairement à ceux des époux Goebbels, leurs cadavres n'ont jamais été retrouvés, photographiés, authentifiés. De quoi alimenter fantasmes et rumeurs sur une fuite éventuelle. Pendant cinquante-cinq ans, on ne saura rien de plus. Les seuls à détenir une parcelle de vérité sont les Russes, entrés les premiers dans la capitale du Reich. Or, ils ne lâchent rien, même après la chute de l'URSS. Sujet tabou. Il faudra attendre l'an 2000 pour que Moscou daigne ouvrir ses archives. Lors de l'exposition «Agonie du IIIe Reich. Le châtiment», devant la presse internationale, on exhibe un fragment crânien, calciné et troué d'une balle. Celui de Hitler, affirme le directeur de l'événement, en reconnaissant qu'aucun test ADN n'a été effectué! Insuffisant pour convaincre. De quoi réveiller et exciter les curiosités.

La Mort d'Hitler, de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina, Fayard, 359 p., 23 €. - Crédits photo : ,
Pendant deux longues années, Jean-Christophe Brisard, réalisateur de documentaires et auteur d'Enfants de dictateurs (First Histoire, 2014), va remuer ciel et terre pour accéder à la pseudo-relique. A ses côtés, indispensable et infatigable soutien, la journaliste russo-américaine Lana Parshina. De 2016 à 2017, ils ont joué à cache-cache avec une administration russe demeurée stalinienne dans sa mentalité et son fonctionnement. Autorisations accordées puis retirées, promesses non tenues, «niet» à répétition: vingt-quatre mois avant d'obtenir le précieux sésame, c'est-à-dire un rendez-vous au Garf (Archives d'Etat) afin d'expertiser la fameuse calotte crânienne. Les deux enquêteurs ne viennent pas seuls. Philippe Charlier, médecin légiste, connu pour ses travaux sur les morts non résolues (Richard Cœur de Lion et Henri IV, notamment), les accompagne. On leur laisse entendre que le feu vert vient «du plus haut niveau de l'Etat», à savoir du Kremlin. Il s'agit de faire savoir au monde entier que les Russes sont les seuls vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, preuve à l'appui. Le hic, c'est que l'autorisation n'est valable qu'un seul jour et le temps d'examen limité à trois heures!
Mission sensible
Conscient de vivre la mission la plus sensible de sa carrière, Philippe Charlier, jubile malgré tout lorsqu'on lui présente le vestige crânien, conservé dans… une boîte à disquettes. Mais rien ne se passe comme prévu: il n'a pas le droit d'y toucher et les fonctionnaires du Garf, suspicieux et paranos, interrompent brutalement la séance. Il reste néanmoins une chance au trio: la mâchoire supposée du dictateur allemand, qui se trouve à la Loubianka, ex-siège du KGB, aujourd'hui celui du FSB. C'est là, sous la surveillance d'une dizaine d'agents, que Philippe Charlier va enfin pouvoir commencer son travail: examen à loupe binoculaire, prise de clichés, comparaison avec des radios dentaires pratiquées sur Hitler en 1944, etc. Les détails de ces observations médico-légales (forcément incomplètes vu les circonstances), enrichies par la reconstitution des ultimes journées dans le bunker et les témoignages des derniers SS présents autour de leur chef, figurent dans l'ouvrage de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina. Conclusion du scientifique: «Les restes examinés sont bien ceux d'Adolf Hitler, mort à Berlin en 1945. Et tout ceci détruit l'ensemble des théories d'une survie de cet individu.» Dont acte. En revanche, impossible de déterminer comment le chancelier s'est supprimé: par balle ou avec du cyanure?
L'enquête révèle aussi que Staline savait dès mai 1945 que les dépouilles des Hitler avaient été récupérées par le contre-espionnage soviétique et inhumées secrètement dans la ville allemande de Rathenow. Pourtant, lors de la conférence de Potsdam (juillet-août 1945), le «petit père des peuples» laisse entendre à Churchill et à Truman que le Führer a très bien pu s'enfuir en Argentine ou au Japon. Un pied de nez à ces Alliés qu'il sait déjà être ses futurs ennemis de la guerre froide. Et une façon d'envoyer les barbouzes américano-britanniques courir le monde pour attraper un fantôme! L'humour russe, comme la vodka, se consomme glacé…

Le livre a également donné lieu à un documentaire de France 2 dans la collection «Infrarouge»: «Le Mystère de la mort d'Hitler».
La rédaction vous conseille :


Chantal Delsol : «Trier la mémoire au nom de la morale ou le retour de l'obscurantisme» (23.03.2018)
Par Chantal Delsol
Publié le 23/03/2018 à 09h51
FIGAROVOX/TRIBUNE - Après la suppression de la mention de Charles Maurras des commémorations, dix membres du Haut Comité ont démissionné. Pour la philosophe, la ministre de la Culture a eu tort de céder à une pression militante anachronique.

- Crédits photo : Illustration Fabien Clairefond
La France, pays centralisé et formaliste, s'honore de publier chaque année un «Livre des commémorations nationales» qui rappelle les événements marquants de son histoire. Elle commémore ainsi les grands acteurs ou écrivains du pays, et les anniversaires de toutes sortes, depuis ceux des grandes batailles jusqu'à ceux des grandes constructions. Sous la houlette du ministre de la Culture, un comité a été mis en place, composé de membres de l'Institut, de politiques ou d'historiens, pour dresser chaque année la liste des anniversaires. Il s'agit de mettre à la portée du public la mémoire nationale en la manifestant par des événements concrets.
Récemment Mme Nyssen, ministre de la Culture, sous la pression de plusieurs associations d'extrême gauche ou apparentés, a décidé de retirer de la liste annuelle le nom de Charles Maurras, dont c'était l'anniversaire de la naissance. Et de renoncer à la publication du Livre de cette année. Cette décision est vivement critiquée par les membres du Comité des commémorations, dont dix membres ont démissionné. Leur argument est clair: ils voient venir dans les années prochaines une grande sélection obligatoire, imposée par les hurlements de quelques extrémistes. En 2019, ce sera l'anniversaire de Colbert: mais le rédacteur du Code noir sera interdit de présence lui aussi. Dans quelques années, Maurice Barrès: nul besoin de préciser que ce chantre de la nation n'a plus droit à l'existence. La litanie de l'exclusion sera longue. Chaque établissement de la liste sera l'occasion de choisir entre les bons et les mauvais, ou plutôt de laisser quelques haineux imposer par pression leur choix entre les bons et les mauvais.
L'histoire et la mémoire
Cette affaire est pleine de significations et d'enseignements. Elle concerne la question des rapports entre l'histoire et la mémoire. Les sociétés anciennes connaissaient seulement la mémoire, que les puissants dressaient à leur guise. Le roi en place racontait et agrandissait ses batailles gagnées et avait tendance à oublier les autres. Hérodote inaugure l'histoire quand il annonce son intention de décrire les événements au plus près possible de la réalité - autrement dit, sans considération des gloires ou des hontes. Émergeant de la mémoire subjective, l'apparition de l'histoire est une victoire de l'intelligence, de la compréhension du monde. Et à ce titre, les groupes qui trient les événements, et la ministre qui les suit, se trouvent en plein retour vers des âges obscurs. Quoique d'une autre manière. Nous sommes aujourd'hui sous l'emprise d'un manichéisme imposé (partie prenante de ce que nous appelons le politiquement correct) qui nous enjoint de partager le passé entre ce qui nous dérange et ce qui nous agrée, au regard de la morale humanitaire officielle. Autrement dit, le Bien d'aujourd'hui juge le passé tout entier à son aune et devrait rejeter ce qui ne répond pas à ses attentes, par l'oubli. Manière idéologique, et même totalitaire - les Soviets avaient effacé Trotski et bien
«Le temps qui passe, pour les sociétés comme pour les individus, n'est pas rigoureusement partagé entre le bien et le mal»
d'autres des photos officielles, on s'en souvient. Profondément, nous autres Occidentaux sommes victimes d'une utopie du Bien qui nous fait cliver l'histoire en deux et détester sa part d'ombre au point de vouloir la supprimer. Les Canadiens appellent leur passé (celui de la colonisation des Indiens, de la domination des prêtres, de la soumission des femmes), d'un nom significatif: la Grande Noirceur. Il faut comprendre que nous sommes entrés dans la grande blancheur, chargés de fermer à double tour la porte derrière nous. Sottise. Le temps qui passe, pour les sociétés comme pour les individus, n'est pas rigoureusement partagé entre le bien et le mal, même si on peut ici ou là pointer sans discussion des épisodes franchement ignobles. Et pourtant, même ceux-là, il convient de les commémorer, pour que les jeunes générations sachent s'en garder. L'idée exaltée et démente de  la Grande Noirceur qu'il faudrait rayer de la photo renouvelle encore et encore la mentalité idéologique et utopique de l'ère nouvelle, sans tache, habitée par les anges qui ne colonisent plus et s'exemptent de toute discrimination. Après un siècle de dévastations de l'esprit, certains veulent encore nous faire croire que LEUR mémoire sélective, c'est l'histoire. On aurait voulu au moins qu'un ministre de la Culture ne tombe pas dans un piège aussi grossier.
L'artiste croate Sanja Ivekovic a exposé en 2012 au Mudam Luxembourg une sculpture en souvenir de la résistance antinazie, sculpture représentant une femme enceinte tenant une couronne de laurier et intitulée La Mémoire enceinte. Superbe image. Nul doute: la mémoire n'est pas composée d'objets qui traînent dans le corridor sombre du passé et qu'il faudrait balayer quand ils nous gênent. La mémoire est une matrice: non seulement elle engendre des souvenirs, mais elle inspire les actes et les pensées de l'avenir. Elle est grosse d'enseignements, de réflexions et même d'émotions bénéfiques. Le plus grand pouvoir est celui qu'on peut avoir sur le passé, et despotes et tyrans ne se privent pas de dominer le passé par le tri - ainsi faisaient les Perses de l'époque d'Hérodote, ainsi faisaient les totalitarismes du siècle dernier. Soyons modernes et soyons guéris de nos maladies fanatiques. Une commémoration n'est pas une célébration. Elle entretient la mémoire vive, c'est-à-dire la matrice de la mémoire, afin de nous laisser toujours en éveil en face de l'avenir.

Ivan Rioufol : «Macron attise la France inflammable» (22.03.2018)

Par Ivan Rioufol
Mis à jour le 22/03/2018 à 21h23 | Publié le 22/03/2018 à 21h17
CHRONIQUE - Le président fait preuve d'un «despotisme capricieux et immature» envers les plus faibles en France, sans s'attaquer aux problèmes essentiels comme l'islam radical.
Non, les Français ne se mobiliseront pas pour le statut des cheminots. Les syndicats, qui espèrent faire plier Emmanuel Macron dans ce combat, risquent de laisser le peu de plumes qui leur reste. Ces contestataires sont les meilleurs promoteurs de l'image réformiste que veut se donner le chef de l'État. Ceux qui veulent croire au symbolisme des dates, cinquante ans après le mouvement du 22-mars qui annonçait Mai 1968, s'accrochent à un monde disparu: la journée d'hier, 22 mars 2018, s'est réduite aux grèves et aux processions tonitruantes d'organisations de fonctionnaires issues du XXe siècle. Ces furibonds, à l'emploi garanti, n'expriment qu'un mince aspect de la révolte française. Une indignation permanente s'est installée au cœur de la société. Mais cette exaspération sourde n'a plus la lutte sociale comme ressort. Ce sont les fractures identitaires, générationnelles, territoriales et existentielles qui sont devenues inflammables. Or la politique de Macron, qui dit ne pas «sentir la colère dans notre pays», attise ces tensions.
L'autorité du président est une facade
L'autorité du président est une façade. Certes, le chef d'État a bien revêtu l'habit présidentiel que Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient mal porté. La Constitution permet à Macron de s‘affirmer dans une personnalisation flatteuse. Toutefois, quand Dominique de Villepin prévient, dimanche, contre «le risque qu'on devienne isolé, solitaire, arrogant et coupé d'un certain nombre de réalités», l'ancien premier ministre pointe une faille déjà décelée ici chez Macron. Non content d'avoir à sa botte des députés godillots, un parti aux ordres, des médias bienveillants, le président exprime un autoritarisme qui l'éloigne de ceux qu'il méprise. Derrière son désir de limiter les amendements parlementaires, d'agir par ordonnances ou de mettre l'Internet sous surveillance au nom de l'antiracisme s'esquisse un despotisme capricieux et immature. Macron, qui se voit comme «un défenseur conquérant et ambitieux», s'aime trop pour être à l'écoute de la société.
L'autoritarisme du chef de l'État est celui des faux durs. En s'en prenant aux faibles plutôt qu'aux forts, il crée des injustices, des déceptions, des rancunes
Un caractère dominateur et péremptoire ne suffit pas à faire d'un homme, même talentueux comme l'est Macron, le symbole d'un État fort. La pluie de «big bang» que Jupiter jette sur la France du haut de son empyrée donne le tournis et étourdit l'opinion. Mais les experts et technocrates ne produisent que des solutions complexes et déshumanisées. Le projet (suspendu mercredi) de suppression du quotient familial, qui a fait bondir la droite, voulait répondre à une «transformation structurelle globale pour une politique familiale universelle qui garantit réellement la dignité des familles» (député LaREM Guillaume Chiche). Ces verbiages pontifiants font corps avec le «bougisme». Toutefois, dans cette marche forcée, Macron sait-il où il va? Un manque de cohérence se dégage des réformes et des mesures qui tombent comme à Gravelotte. Les impasses en deviennent préoccupantes.
En fait, la méthode présidentielle est hasardeuse. D'autant que la société civile n'a plus voix au chapitre. L'autoritarisme du chef de l'État est celui des faux durs. En s'en prenant aux faibles plutôt qu'aux forts, il crée des injustices, des déceptions, des rancunes. Au-delà des cheminots, elles s'expriment chez les retraités, les ruraux, la classe moyenne, les automobilistes, les chômeurs. Parallèlement, le chef de l'État se montre conciliant avec l'islam radical, quand cette idéologie totalitaire exige sa place spéciale dans la République. C'est notamment pour dénoncer cette passivité que cent intellectuels venus d'horizons différents, dont votre serviteur, ont cosigné, mardi dans Le Figaroune tribune: «Non au séparatisme islamique». L'alerte lancée n'est pas vaine: le nouveau Conseil des villes, mis en place parle président, accueille parmi ses membres des militants de l'islam victimaire, comme l'humoriste Yassine Belattar qui accuse ses contradicteurs de vouloir «la mort des musulmans». À quoi joue Macron?
Poutine, faux ennemi
La transgressivité dont se flatte le chef de l'État masque son enracinement dans le conformisme. Rien n'est plus convenu, par exemple, que de diaboliser Vladimir Poutine. Macron ne s'en prive pas. L'empoisonnement, à Salisbury (Angleterre), d'un agent double russe a immédiatement été attribué par la Grande-Bretagne, soutenue par la France, au «Kremlin de Poutine», sans que les preuves soient apportées. Résultat: les leçons du camp occidental ont contribué au plébiscite de Poutine, réélu dimanche pour un 4e mandat avec 76 % des voixMardi, dans Le Figaro , la veuve d'Alexandre Soljenitsyne, Natalia, a qualifié de «très décevante et même plutôt pathétique» la décision de Macron de boycotter les écrivains russes au Salon du livre de Paris. De fait, beaucoup d'entre eux s'opposentà l'homme fort de la Russie et à ses méthodes, peu démocratiques en effet. Mais désigner Poutine comme un danger pousse la Russie dans les bras de la Chine, de l'Iran, de la Turquie.
L'Occident se trompe d'ennemi : seul l'islam conquérant est à combattre. C'est Poutine qui est venu en aide aux chrétiens d'Orient persécutés par l'État islamique
L'Occident se trompe d'ennemi: seul l'islam conquérant est à combattre. C'est Poutine qui est venu en aide aux chrétiens d'Orient persécutés par l'État islamique. C'est l'Europe et les États-Unis qui ont lâché leurs alliés kurdes de l'enclave d'Afrine (Syrie): l'îlot a été investi, dimanche, par les troupes turques de Recep Tayyip Erdogan. Le nouveau sultan, un islamiste au cœur de l'Otan, entend poursuivre sa conquête syrienne avec l'appui de djihadistes que combattaient les Kurdes, dont ces femmes admirables. Mais qui, dans le camp occidental si prompt à morigéner Poutine, ose dénoncer Erdogan et son double jeu? Seul François Hollande a relevé la traîtrise, l'autre jour dansLe Monde: «Quel est cet allié turc qui frappe nos propres alliés avec le soutien au sol des groupes djihadistes?» Devant le félon Erdogan, ce Ganelon exotique, l'Europe s'est soumise.
Présomption de partialité
La France est-elle d'ailleurs si exemplaire? Il est de bon ton de saluer l'indépendance de la justice, après la mise en examen de Nicolas Sarkozy, mercredi, pour des soupçons de financement libyen de la campagne de 2007. Son inutile mise en garde à vue préalable a eu pour effet d'accentuer sa présomption de culpabilité. Or une présomption de partialité pèse en retour sur ces juges d'instruction qui se rêvent en justiciers. Elle pèse aussi sur le parquet national financier qui reste sous l'autorité du pouvoir politique. Bruxelles reproche à la Pologne d'avoir pris des mesures menaçant l'indépendance de la justice. Mais la Commission européenne ferait bien de jeter un œil sur cette instance sous influence, qui a déjà ouvert le feu sur François Fillon en 2017.

Éric Zemmour : «Comment et pourquoi Anne Hidalgo fait toujours payer la gratuité aux autres…» (23.03.2018)

Par Eric Zemmour
Publié le 23/03/2018 à 06h00
CHRONIQUE - En proposant d'instaurer la gratuité du métro pour tous, la maire de Paris tente un énième coup de communication. Payant ?
C'est la dernière trouvaille de la Mairie de Paris. Le dernier truc d'une Anne Hidalgo aux abois. Le dernier contre-feu d'un service de communication parisien qui sort transi d'un déluge médiatique: la gratuité du métro parisien. L'idée n'est pas nouvelle. On voit bien pourquoi Hidalgo la ressort ici et maintenant: manière de soigner ses profils écologique et de gauche. Regardez bien: je suis de gauche puisque je prends une mesure sociale à l'intention des plus défavorisés qui vivent souvent en banlieue et viennent à Paris pour travailler ; on voit bien que je ne pense pas qu'à mes électeurs bobos du centre parisien ; je persiste, en dépit des décisions du tribunal administratif, à interdire la voie rive droite aux automobilistes, mais je trouve une solution de remplacement. Je protège l'environnement et agis pour la justice sociale!
Politiquement, la manœuvre est habile. Elle repose sur les ressorts habituels de la démagogie et de la désinvolture budgétaire. La mesure coûte, paraît-il, 700 millions d'euros au budget de la Mairie. Mais Hidalgo n'est pas seule à décider: que va faire Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, concernée au premier chef par le RER? Une des premières mesures qu'elle avait prise aussitôt après son élection fut justement de supprimer la gratuité des transports pour les étrangers clandestins, décidée par son prédécesseur.
«Quand le produit est gratuit, c'est que vous êtes le produit»
Car au-delà des coups de communicant et des manœuvres politiciennes, ce sont deux philosophies qui se révèlent et s'affrontent. Celle d'un monde où tout a un prix ; où chacun paie selon ses moyens et ses besoins ; où la réalité des coûts s'impose à chacun ; où le droit ne va pas sans devoir. Où la fraude n'est pas légitimée a posteriori. Le monde ancien. Et puis le monde de la gratuité, où tout est accessible en libre-service, le monde en forme de supermarché. La gratuité, c'est le principe moderne par excellence, celui d'internet, des réseaux sociaux. On l'a vu à l'œuvre dans la musique, les journaux, etc. On l'a vu ruiner l'industrie du disque et aggraver l'état chancelant de la presse.
Derrière la générosité se cache la prise en main de notre destin par des géants qui nous donnent tout pour mieux nous posséder. Les Californiens, où siègent les fameux Gafa, ont une expression qui résume tout: «Quand le produit est gratuit, c'est que vous êtes le produit.»
Quand le métro est gratuit, c'est que les taxes et impôts vont augmenter. Quand le métro est gratuit, c'est qu'il y a encore plus de monde dans des rames déjà bondées. Encore plus de racaille qui se déverse dans la capitale grâce au RER. C'est qu'on ne règle pas la question des parkings aux portes de Paris pour les automobilistes qu'on cherche à dissuader d'entrer. C'est qu'on aggrave les déficits de la RATP. C'est qu'on va se retourner contre les avantages sociaux de ses personnels. La gratuité se paye. D'une manière ou d'une autre. La gratuité n'est jamais gratuite. Elle n'est qu'un paiement transféré. A d'autres.
La rédaction vous conseille :
Journaliste, chroniqueur
Ses derniers articles

Mgr Gollnisch: «Les questions que se posent les chrétiens en Syrie» (23.03.2018)

Par Pascal Gollnisch
Publié le 23/03/2018 à 10h02
FIGAROVOX/TRIBUNE - En pleine offensive sur la Goutha, le directeur général de l'Œuvre d'Orient s'interroge sur un discours officiel qui passe sous silence la complexité extrême sur le terrain.
Cela fait désormais sept années que la Syrie martyrisée est en guerre. Les horreurs de cette tragédie sont bien connues: morts, blessés, déplacés, réfugiés, ainsi que les villes détruites, une économie à bout de souffle, la fragilisation considérable des structures sociales de base. Les chrétiens de Syrie partagent les souffrances de la population dans son ensemble, mais ils voient de surcroît leur communauté menacée en tant que telle, malgré un début de retour et un effort de reconstruction.
Les chrétiens de Syrie veulent des réponses
Ils entendent l'information occidentale condamnant l'attitude du gouvernement syrien, les bombardements des quartiers urbains, les prisons surchargées, les services secrets, etc. Mais ils aimeraient des réponses à leurs questions. Est-il vrai qu'avant le début de la crise les slogans des Frères musulmans étaient: «Les Alaouites au cimetière, les chrétiens au Liban»? Est-il vrai que, lors des premières manifestations considérées comme pacifiques, des armes étaient entassées dans certaines mosquées? Est-il vrai que les rebelles, en particulier dans la Ghouta orientale, ont retenu la population civile comme bouclier humain, exécutant sommairement ceux qui essayaient de fuir, tandis que des missiles étaient tirés vers la ville de Damas, en particulier sur les écoles chrétiennes? Est-il vrai que, durant les premières années de crise, les combattants djihadistes, les armes, les munitions, le pétrole et le coton vendus par Daech ont transité librement par la Turquie? De quels soutiens ont bénéficié les groupes proches de Daech mais aussi d'al-Qaida? Qui leur a livré des armes? Quelle est la situation des prisonniers et de la justice dans les zones rebelles, même en dehors des territoires de Daech? Est-ce que vraiment les Kurdes syriens représentent un danger pour la Turquie, au point de justifier l'entrée de l'armée turque en Syrie et en Irak? Est-il vrai que l'Observatoire syrien des droits de l'homme, considéré par beaucoup comme source exclusive d'information, est cofinancé par le Qatar?
Chacun se sent autorisé à intervenir selon ses intérêts
Je sais qu'en relayant ces questions on m'accusera de prendre parti pour un camp, alors que je souhaite seulement exposer la complexité extrême sur le terrain. Je m'y attends, j'y suis prêt. Pourtant, parce que prêtre et français - et donc non syrien -, je considère que je n'ai pas à m'immiscer dans la politique syrienne. Non que je n'aurais rien à dire, mais parce qu'il faut donner priorité à ce qui peut favoriser la paix. Parce qu'aujourd'hui la Syrie devient le terrain d'un jeu guerrier où chacun se sent autorisé à intervenir selon ses intérêts: l'Iran, la Russie, les pays du Golfe, les États-Unis, l'Europe, le Hezbollah. La Syrie et ses habitants ont le droit d'être entendus sur leur avenir.
Les rebelles doivent avoir le courage des concessions
Les chancelleries occidentales, il y a sept ans, ont misé sur la chute rapide du président Assad, sur le ralliement de la Russie au point de vue occidental, à la capacité des rebelles de former un gouvernement alternatif, laïque et démocratique. Sept ans plus tard, la réalité est tout autre ; il faudrait donc réévaluer les actions diplomatiques possibles.
Les rebelles doivent avoir le courage des concessions. Le gouvernement de Syrie ne doit pas se limiter à la victoire militaire. Il doit s'interroger sur les conditions de l'avenir et de la paix en Syrie.
La Syrie a besoin de prophètes qui lui redonnent confiance et espérance.

Ce que révèle la censure de la lettre de Benoît XVI (22.03.2018)

Par Jean-Marie Guénois
Publié le 23/03/2018 à 11h51
FIGAROVOX/ANALYSE - Le scandale qui a conduit à la démission de Mgr Dario Edoardo Viganò, ministre de la Communication du Saint-Siège brise un tabou.
La démission de Mgr Dario Edoardo Viganò, ministre de la Communication du Saint-Siège, met au jour une affaire de manipulation de l'opinion mais elle brise aussi un tabou: François et Benoît XVI n'ont jamais eu la même vision de la mise en œuvre du concile Vatican II. Un rappel des faits, tout d'abord. Pour célébrer le 5e anniversaire de l'élection du pape François, le 13 mars, la maison d'édition du Vatican a demandé à 11 théologiens de décrypter «la théologie du pape François». Mgr Vigano, «dircom» du Vatican, nommé par François, a l'idée de solliciter le pape émérite Benoît XVI pour la préface. Ce dernier lui dit devoir «refuser» pour deux raisons: il n'écrit jamais de préface sans avoir lu l'ensemble de l'œuvre. Et, il y a parmi les théologiens de la série, Peter Hünermann. Cet Allemand, avec Hans Küng, fut le principal opposant théologique de Jean-Paul II et du cardinal Joseph Ratzinger. Cette lettre de réponse est aussi introduite par deux remarques de Benoît XVI: l'une fustige «le préjugé stupide» qui affirme que le pape François ne serait pas un théologien. L'autre assure de «la continuité intérieure entre les deux pontificats».
Le 12 mars, lors de la présentation publique de la collection, Mgr Vigano ne fait toutefois état que des seules remarques positives de Benoît XVI sur François. Il cache le refus du pape émérite de préfacer cet ensemble et sa raison, la présence de Hünermann. Mgr Vigano va jusqu'à publier une photo de la collection des livres, posées à côté de la lettre de Benoît XVI où n'apparaissent visibles que les paragraphes élogieux… Le reste est volontairement flouté. Quant au passage sur Hünermann, il est caché: de la deuxième page n'apparaît que la signature de Benoît XVI. La formule de politesse où le pape émérite dit explicitement son «refus» de participer est totalement occultée. Cette présentation permet d'obtenir l'effet de com recherché: alors que le 5e anniversaire du pontificat de François est marqué par un débat sur la «confusion» théologique dans l'Église, ce document coupe court puisque ce blanc-seing du théologien Benoît XVI assure de la «continuité intérieure» entre eux. Quasiment toute la presse internationale tombe dans le panneau. Seuls deux journalistes découvrent la supercherie. Benoît XVI avait pourtant demandé que toute sa lettre reste confidentielle mais il doit alors exiger du Vatican qu'elle soit publiée intégralement. Double scandale donc - instrumentalisation d'une phrase de Benoît XVI et manipulation de l'opinion publique internationale - qui conduit à la démission de Mgr Vigano acceptée, avec difficulté, par le pape François.
Débat interne
Ce pitoyable montage de communication révèle surtout la permanence du débat interne sur l'orientation de l'Église que certains veulent éteindre à tout prix. Car, interrogé en 2013 à propos du bilan de Benoît XVI, Peter Hünnermann ne retenait qu'une chose: «sa démission». Depuis toujours ce théologien actif est le promoteur d'une Église ouverte aux femmes prêtres, au mariage des prêtres, aux divorcés-remariés, à l'abolition d'Humanae Vitae, à la transmission du pouvoir du Saint-Siège aux conférences épiscopales, à la réduction du pouvoir papal contrôlé par le Synode des évêques. Tel est, selon lui, la véritable «mise en œuvre» du «concile Vatican II».
La collection des 11 livres publiés par le Vatican ne va d'ailleurs que dans ce sens. Et non dans celui des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Le coordinateur de cette publication, Roberto Repole, qualifie d'ailleurs Benoît XVI dans sa préface de «théologien du XIXe siècle» et il l'oppose à François, pasteur de la modernité.
Il est ridicule d'opposer les deux personnalités de François et de Benoît XVI mais cette affaire démontre que le débat sur l'orientation de l'Église à propos du concile Vatican II reste ouvert et qu'il n'est pas épuisé avec François. Benoît XVI, bientôt 91 ans, avait certes promis de garder le silence sur son successeur. Mais sa lettre d'abord manipulée, puis publiée contre sa volonté, rappelle la respectabilité, et la pertinence, elle aussi, de sa vision de l'Église.
La rédaction vous conseille :


L'éditorial du Figaro Magazine : «La République perdue» (23.03.2018)
Par Guillaume Roquette
Publié le 23/03/2018 à 08h00
Selon Guillaume Roquette, après des années de déni, nos gouvernements actuels ne peuvent plus ignorer la montée de l'islamisme dans les banlieues.
Longtemps, on n'a pas voulu les entendre. Ceux qui décrivaient courageusement l'émergence d'une contre-société, où la loi de la charia s'était substituée à celle de la République, étaient marginalisés, dénigrés, stigmatisés. Au nom du vivre-ensemble et d'une laïcité apaisée, on préférait renvoyer les Finkielkraut, Zemmour et autres Rioufol à leurs supposées «phobies», parce que la réalité dérangeait trop.
Aujourd'hui, on ne peut plus la nier. Dans Le Figaro de cette semaine, cent intellectuels de tout bord dénoncent à l'unisson un totalitarisme islamiste qui s'érige en victime de l'intolérance pour mieux faire sécession avec la communauté nationale, instaurant un apartheid d'un nouveau genre. Le constat étant - enfin - partagé, c'est maintenant aux politiques d'agir.
Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron se bat avec vigueur contre le terrorisme islamique. Depuis le drame de Nice, à l'été 2016, la France est parvenue à déjouer avant qu'il ne soit trop tard toutes les tentatives d'attentats de masse ; on n'en sera jamais assez reconnaissant à nos forces de sécurité. Mais pendant ce temps, le séparatisme communautaire progresse chaque jour, dans l'indifférence des pouvoirs publics. Pourtant, notre société n'est pas seulement défiée par la violence djihadiste, elle est d'abordminée de l'intérieur par la véritable partition que l'on observe au quotidien dans les territoires perdus de la République.
Les islamistes organisent la sécession avec la communauté nationale
Face à cette réalité, le pouvoir est comme une poule devant un couteau. Il bombarde les médias de «discours sur la politique de la ville» (Macron) ou de «plan national de prévention de la radicalisation» (Philippe) qui sont aussi incontestables dans leurs intentions que dépourvus de portée pratique. Qui peut croire qu'on combattra l'islamisation des banlieues avec un «conseil des villes» qui se réunit une fois par trimestre à l'Elysée (surtout avec des membres aussi contestés que l'humoriste Yassine Belattar), ou en «mobilisant l'expertise de la recherche-action dans l'évaluation de la prévention de la radicalisation pour capitaliser les expériences locales et répertorier les bonnes pratiques» (sic), comme s'y engage sans rire le plan du Premier ministre? Mais soyons honnêtes: les prédécesseurs de nos gouvernants actuels n'ont pas fait mieux. Au pouvoir, la droite a regardé ailleurs, tandis que la gauche, elle, baissait carrément pavillon. On se souvient, et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education nationale, autorisant les mères voilées à accompagner les sorties scolaires.
Régulièrement, Le Figaro Magazine décrit l'islamisation des banlieues. En 2016, notre couverture consacrée à la ville de Saint-Denis, «Molenbeek-sur-Seine», nous avait valu des menaces de poursuites en diffamation par la municipalité. Nous les attendons toujours… Et pour cause: nous ne faisions que décrire la réalité. Cette semaine, nous vous plongeons dans la vie quotidienne d'une autre ville de banlieue parisienne où communautarisme et délinquance font meilleur ménage que jamais. Mais où est passée la République?
Directeur de la rédaction du Figaro Magazine
Ses derniers articles


Alain Besançon: «Au milieu du vide métaphysique prospère une vague religiosité humanitaire» (23.03.2018)
Publié le 23/03/2018 à 07h30
FIGAROVOX/ENTRETIEN - C'est un événement éditorial. Contagions regroupe en un recueil, publié aux Belles Lettres, dix œuvres majeures d'Alain Besançon. Dix œuvres étalées sur près de cinquante ans, à travers lesquelles l'historien, membre de l'Institut, directeur d'études à l'EHESS et spécialiste des religions, démonte les confusions idéologiques et religieuses de notre temps.
«Tout ce temps que j'ai passé sur l'histoire russe et le communisme soviétique, à l'étudier et à l'analyser, j'espère qu'il me sera compté à pénitence», écrit Alain Besançon dans son autobiographie Une Génération (1987). L'historien ne s'est pas pardonné. Membre du parti communiste de 1951 à 1956, il rompt avec lui après la diffusion du rapport de Nikita Khrouchtchev qui révèle les crimes du stalinisme. «Honteux» et «en colère», Alain Besançon décide alors d'explorer l'histoire de la Russie et de l'URSS, et plus largement de démonter les mécanismes des totalitarismes, pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé. Ce sera l'œuvre de sa vie. Revenu au catholicisme, celui qui est aussi un spécialiste de la religion, voit dans le communisme une forme de gnose. Une idéologie qui se présente comme «scientifique», mais qui «emprunte au religieux l'espérance et obtient ainsi un profond dévouement des partisans qui en sont en quelque sorte les “fidèles”». Contagions (Les Belles Lettres), volume imposant qui vient de paraître et regroupe dix de ses écrits, sonne comme une mise en garde contrece qu'il appelle la «contagion intellectuelle»: la confusion entre la foi et la science, l'idéologie et la théologie, la religion et l'humanitaire. Dans l'islam, où «les lois civiles sont sanctifiées par Dieu lui-même dans le Coran», ce brouillage des repères explique beaucoup du chaos actuel.
LE FIGARO MAGAZINE -. Vos préfaciers décrivent votre œuvre comme traversée par une longue question, à la manière d'un fil d'Ariane: «Comment a-t-on pu être communiste? Et comment si nombreux ont-ils pu l'être?»
Alain BESANÇON -. Il y a beaucoup de raisons. Voici les trois qui me paraissent principales. Le «marxisme-léninisme» se présente comme une explication totale du monde, dans tous ses aspects et garantie par la science. C'est faux, c'est une illusion, mais tentante auprès des jeunes gens. C'est la tentation d'un raccourci vers le savoir total. Ensuite, il contient un fort élan révolutionnaire. C'était l'humeur au lendemain de la guerre. La France avait connu la Révolution avec la tentative jacobine qui avait tourné court après la chute de Robespierre en I794. Le communisme bolchevique semblait prendre le relais, recommencer la révolution et la conduire à son but idéal. Ensuite peu de gens savaient ce qui s'était passé en Russie. La mer de sang était soigneusement cachée. Le pays des soviets paraissait l'utopie au pouvoir, l'utopie réalisée. L'Union soviétique venait de mener une guerre héroïque et avait participé à la grande victoire sur l'utopie nazie, utopie jumelle dont tout le monde connaissait les horreurs. Les horreurs communistes étaient connues de peu de gens, peu crues, marginalisées. Dans les années 1950, le monde intellectuel français pensait beaucoup de bien de la Russie soviétique. A l'université, à Sciences-Po, on en parlait avec respect et admiration.
Vous insistez sur le fait que le régime soviétique n'était pas une dictature comme les autres. Quelle est la spécificité du totalitarisme soviétique?
En 1950, bien du monde croit que le régime de Franco est pire que celui de Staline! L'Espagne de Franco est une dictature pure et simple: un leader a pris le pouvoir et ne l'a rendu qu'à sa mort. La Russie, pour beaucoup de Français, n'avait rien connu de pareil, elle n'était qu'une forme différente et authentique de démocratie. Là est le mensonge qui met à part le communisme et le différencie des dictatures classiques. On sait combien de morts a fait la guerre civile espagnole: 200.000 de chaque côté. Cela n'a rien à voir avec les 30 ou 40 millions du régime soviétique! D'autant que le communisme chinois, vietnamien, cubain, éthiopien a continué d'étendre ses ravages. D'une certaine façon, la vérité sur le régime marxiste-léniniste n'a atteint les masses françaises que dans le courant des années 1970, avec Soljenitsyne dont les livres ont déchiré le rideau d'imposture. C'est-à-dire très tard.
«Pour ce qui est de la France, je crois vraiment que c'est toujours ce désir, très fermement ancré chez de nombreux intellectuels, de recommencer la Révolution. Et puis, chez nombre d'entre eux, il existe aussi un goût du sang !»
Alain Besançon
Mais même dans les années 1970, beaucoup d'intellectuels français refusent de regarder la réalité en face… Comment expliquer cette cécité?
Pour ce qui est de la France, je crois vraiment que c'est toujours ce désir, très fermement ancré chez de nombreux intellectuels, de recommencer la Révolution. Et puis, chez nombre d'entre eux, il existe aussi un goût du sang! Ce n'est pas toujours sympathique, un intellectuel français! Certains d'entre eux peuvent même être parfois fascinés par la violence. Alain Badiou, qui était alors professeur à l'Ecole normale supérieure, a salué avec beaucoup de joie les massacres commis au Cambodge… Le rêve d'une société idéale, égalitaire, juste, existe depuis toujours. Depuis Platon. Cela vaut bien de se résigner à la violence. Pas d'omelette sans casser des œufs…
La différence, dites-vous, entre une dictature comme celle de l'Espagne franquiste et le système soviétique, c'est l'idéologie. Sur quoi repose celle du marxisme-léninisme?
C'est une doctrine fondée - croyait-on - sur la science, et embrassant tous les aspects de la vie. Elle synthétisait une connaissance prétendument complète de l'homme, de la société et de leur destin. En Russie, la censure et la propagande persuadaient que le régime apportait une promesse de salut. Cette matrice religieuse, qui peut paraître paradoxale car l'idéologie est en même temps profondément antireligieuse, fait descendre sur terre les clés du salut, et c'est le parti qui en est le garant. L'idéologie emprunte au religieux l'espérance, et obtient ainsi un profond dévouement des partisans qui en sont en quelque sorte les «fidèles». Mais c'est un système positiviste, qui s'appuie sur des théories «scientifiques», et pratique, dans la mesure où l'on en connaît les recettes: la suppression de la propriété permettant la création d'une société d'un type nouveau. C'est une forme de nouvelle gnose, et c'est ce que j'essaie de démontrer dans mon livre,Les Origines intellectuelles du léninisme. La gnose est une doctrine qui parasite les religions de la Bible depuis leurs débuts: une forme de «do it yourself», l'idée que dès l'instant où l'on connaît les principes secrets de fonctionnement du monde, on peut se débrouiller sans Dieu pour les appliquer et se sauver soi-même. Il y a eu des gnoses très puissantes dans l'Antiquité: le manichéisme, le marcionisme… au travers desquelles le christianisme a tâché de se frayer un chemin. Puis au XIXe siècle, la gnose a cessé d'être religieuse pour devenir prétendument scientifique, ce qui était nouveau. Le léninisme se veut prouvable, et il apporte des garanties de scientificité: en somme, il croit qu'il sait, tandis que les vieux gnostiques savaient qu'ils ne faisaient que croire, bien qu'ils crussent en une foi différente de l'orthodoxie chrétienne ou juive. Mais Lénine s'appuyait sur un corpus résolument scientifique, qui ne voulait rien envier aux découvertes mathématiques ou aux percées de la physique: une forme de connaissance sociologique absolue de l'homme. Il vaut mieux savoir que croire! La Russie de la fin du XIXe siècle était en proie à une très grande confusion d'esprit: il y avait des marxistes, des symbolistes, des eschatologies assez variées, des chrétiens et des parachrétiens… Tous ces courants ont été balayés par le matérialisme historique et dialectique, qui a imposé son hégémonie.
Aujourd'hui, diriez-vous que l'islamisme est un nouveau totalitarisme? Y a-t-il des points communs avec le léninisme?
C'est un fanatisme religieux, ce n'est pas la même chose. Le fondamentalisme se développe aujourd'hui dans l'islam comme il s'était jadis manifesté à plusieurs reprises dans de nombreuses religions, y compris dans le christianisme ; mais il se sait religieux, et ne se prétend pas scientifique.
«L'islam est antérieur à tout : les gens ne se convertissent pas à l'islam, ils se « déconvertissent » à des religions antérieures, qui se sont superposées à l'islam, l'ont déformé, pour redevenir les musulmans qu'ils étaient à leur naissance»
Alain Besançon
Comment expliquez-vous cette montée en puissance de l'islam radical?
Peut-être parce que c'est une religion plus rationnelle, selon son dire, et moins exigeante que le christianisme. Si l'on est en règle avec les «cinq piliers» on est assuré d'aller au Ciel. Il n'y a pas de libre arbitre. Le croyant n'a pas à se poser les questions qui tourmentent indéfiniment le juif et le chrétien. Pas de lutte intérieure à mener. C'est aussi une religion qui s'est débarrassée de la complexité et du tragique de l'histoire. Dans la perspective biblique, vous avez un début, un milieu et une fin: la révélation les définit. L'islam est antérieur à tout: les gens ne se convertissent pas à l'islam, ils se «déconvertissent» à des religions antérieures, qui se sont superposées à l'islam, l'ont déformé, pour redevenir les musulmans qu'ils étaient à leur naissance. Le monde sesépare en deux zones: le Dar al-Islam, où règne l'islam, et le Dar al-Harb, le monde des incroyants destinés à se convertir.
Sur le long terme, l'islam ne paraît pas soluble dans quoi que ce soit d'autre. La notion décisive est l'«alliance». Au pied du Sinaï, Dieu fait alliance avec le peuple hébreu, et les chrétiens fondent une nouvelle alliance qui en prend la suite. Cette alliance délimite le peuple juif et le peuple chrétien. On fait partie du peuple chrétien moyennant la foi, adhésion de confiance au Dieu caché. L'alliance n'existe pas dans l'islam, qui est fondé sur une soumission générale à la loi qui ne distingue pas entre les peuples. Dieu dans l'islam est une évidence à laquelle tous les hommes sensés ne peuvent se dérober. Les écritures juives et chrétiennes sont falsifiées et dissimulent la vérité du Coran. Telle est peut-être la différence la plus insurmontable. La cohabitation a pourtant longtemps été possible, en Espagne ou à Malte par exemple. Mais cette cohabitation ne dure pas. Les chrétiens d'Orient se font expulser aujourd'hui, comme les musulmans d'Espagne ont eux-mêmes été expulsés.
Vous ne croyez pas à la compatibilité entre l'islam et la République. Pourtant, avec le christianisme aussi les rapports ont longtemps été compliqués…
Le monde catholique était endogène, il faisait corps avec la civilisation française. Les catholiques ont fini par accepter de bon gré ou de mauvais gré la civilisation moderne, et c'est ce qu'on espère de la part des musulmans aujourd'hui. Il n'est pas certain que les musulmans se prêtent à une telle évolution.
Marcel Gauchet avait prophétisé la sortie de l'ère des religions: n'assiste-t-on pas, plutôt, à l'effacement du christianisme et à l'essor de l'islam?
J'ai lu dans une encyclopédie de 1880 que l'islam était en train de mourir. C'est dire si on se trompait! Il y avait alors, selon l'encyclopédie, 80 millions de musulmans. Ils sont un milliard et demi aujourd'hui, plus nombreux encore que les catholiques. Un coup d'œil sur le passé montre qu'une Eglise malade passe facilement à l'islam. On peut estimer que le succès initial de cette religion est venu de la massive hémorragie des chrétiens séduits par la nouvelle doctrine ou peu enclins, à cause de la faiblesse de leur foi, à résister à la technique efficace de conversion, à la pression fiscale, aux humiliations et aux misères du statut de dhimmi. L'Eglise d'aujourd'hui ne souffre pas de la même maladie que l'Egypte byzantine. Pour autant, on hésiterait à lui remettre un certificat de bonne santé. A en juger par les sondages, beaucoup de fidèles ne savent pas bien ce qu'ils croient ni pourquoi ils le croient. Ils doutent en grand nombre d'articles fondamentaux, comme du péché originel, de la vie éternelle, de la résurrection des corps. La catéchèse des enfants est, depuis une génération, troublée et incertaine. Elle ne vise plus à leur mettre dans la tête des formules dogmatiques stables, apprises par cœur, mais à leur insuffler un état d'âme, vague, affectueux et gentil pour tout le monde.
«En Occident, au XXe siècle, l'idéologie a fini par remplacer la foi : d'abord le communiste de type léniniste, puis ce darwinisme dégénéré qui a abouti au nazisme»
Alain Besançon
Comment expliquez-vous le basculement de l'Eglise actuelle dans ce que vous appelez «une foi humanitaire»?
La déchristianisation actuelle vient probablement d'un décrochement de la foi, au sein même du clergé. Depuis 1960, la pratique religieuse s'est effondrée. Dès l'instant où on ne croit plus aux fins dernières, qu'on n'a plus la peur d'aller en enfer ni même le désir d'aller au paradis, la foi chrétienne est en danger. En Occident, au XXe siècle, l'idéologie a fini par remplacer la foi: d'abord le communiste de type léniniste, puis ce darwinisme dégénéré qui a abouti au nazisme dans les pays germaniques. Aujourd'hui, on se plaint d'un vide métaphysique au milieu duquel prospère une vague religiosité humanitaire.
Pour finir, pourquoi avez-vous choisi ce titre pour l'édition d'une partie importante de vos œuvres, Contagions?
Parce que je rejette viscéralement les mélanges. Je suis par tempérament prévenu contre les confusions qui oblitèrent la distinction réelle entre les objets, les mélanges qui brouillent les frontières, les contagions qui répandent les désordres dans les esprits. Je n'aime pas que le nationalisme se mélange avec le christianisme si intimement qu'on ne sait plus si l'encens s'élève vers Dieu, ou vers la nation qui devient son double idolâtrique. C'est ce qui est en train de se produire en Russie. Et dans une certaine mesure aussi dans l'islam, où les lois civiles sont sanctifiées par Dieu lui-même dans le Coran. Je n'aime pas qu'une doctrine fausse (le marxisme-léninisme) se prenne pour une science exacte, ce qui a engendré une pandémie psychique à l'échelle du monde entier. Je n'aime pas que les religions perdent leur contour et se noient dans un humanitaire qui prétend les contenir toutes. Ces mélanges, ces confusions, engendrent des produits vénéneux et hautement contagieux. D'où mon titre.
La rédaction vous conseille :


Lam Wing-kee, le libraire hongkongais qui défie la Chine (22.03.2018)
Par Patrick Saint-Paul
Mis à jour le 22/03/2018 à 20h14 | Publié le 22/03/2018 à 19h28
RÉCIT - Enlevé fin 2015 par les autorités chinoises, le libraire de Hongkong avait été détenu pendant huit mois, dont cinq au secret. À sa sortie, il avait dénoncé les pratiques des services de sécurité chinois. Et il n'a pas renoncé à diffuser des ouvrages critiques sur le pouvoir chinois. Il s'apprête à ouvrir une nouvelle librairie sur «l'île rebelle» de Taïwan.
Sa paisible vie de libraire s'est transformée en roman d'espionnage. Lam Wing-kee ne sort plus de son appartement de Hongkong sans prendre ses précautions. Il sait dérisoire la protection offerte par la police de l'ancienne colonie britannique, rétrocédée à la Chine en 1997. Alors cet homme âgé de 63 ans se déguise avant de sortir dans les rues. Il varie ses itinéraires, prend des détours pour s'assurer qu'il n'est pas suivi. Cela aussi lui paraît un peu ridicule. Car il le sait mieux que quiconque, rien ne peut le protéger contre le long bras de Pékin.
«La Chine ne commettra pas l'erreur de me faire disparaître de nouveau, veut-il croire. Ce serait un désastre pour son image…»
Lam Wing-kee
«La police ne peut pas vraiment me défendre, alors je compte sur moi-même», dit-il, un peu désemparé. Sa «meilleure garantie» est bien fragile. «La Chine ne commettra pas l'erreur de me faire disparaître de nouveau, veut-il croire. Ce serait un désastre pour son image…» Mais, visiblement, le nouvel empereur rouge, Xi Jinping, qui vient de se faire couronner à vie par le Parti communiste chinois(PCC), se soucie peu des convenances constitutionnelles ou humanistes. D'autant que Lam Wing-kee est accusé d'un crime de lèse-majesté: il diffusait les ouvrages de Mighty Current, une maison d'édition hongkongaise spécialisée dans les titres salaces sur la vie privée des dirigeants chinois et les intrigues politiques au sommet du pouvoir. Et pourtant, Lam dit ne pas avoir peur d'être «kidnappé de nouveau».
Enlevé dans un hôtel thaïlandais
Sa vie a basculé fin 2015. L'ancien patron de la librairie Causeway Bay Books s'était volatilisé alors qu'il se rendait à Shenzhen. Il a été interpellé à son arrivée à la frontière avec le continent chinois, menotté à une chaise et interrogé toute une nuit. Le lendemain, les policiers en civil lui ont bandé les yeux et l'ont emmené en train jusqu'à la ville portuaire de Ningbo, où il a été placé dans une cellule de confinement solitaire aux meubles capitonnés afin qu'il ne les utilise pas pour se blesser. Pendant cinq mois, les gardes le surveillaient 24 heures sur 24. Sa brosse à dents était reliée à un fil pour qu'il ne tente pas de se suicider en l'avalant. «Ils m'ont fait signer une lettre dans laquelle je renonçais à mon droit à un avocat et à celui de communiquer avec ma famille», raconte Lam Wing-kee à Genève, où il participait cette année au Geneva Summit for Human Rights and Democracy.
Ses proches ignorent tout, ou presque, de son sort. Comme les quatre autres libraires de Mighty Current, Lam Wing-kee disparaît. «Les policiers m'interrogeaient jour et nuit, dit-il. Ils voulaient savoir qui étaient mes clients, mais surtout quelles étaient mes relations avec les autres libraires et en particulier Gui Minhai.» Cet éditeur résident à Hongkong est détenteur de la nationalité suédoise. La police chinoise l'interpelle et l'enlève en Thaïlande, où il était parti en vacances. Porté disparu de son hôtel de Pattaya depuis la fin octobre 2015, Gui fait un retour surprise à la télévision publique chinoise en janvier 2016. Il apparaît en larmes sur la chaîne officielle CCTV. Filmé dans un centre de détention, Gui raconte être allé en Chine de son propre chef pour se rendre à la police, onze ans après un délit de fuite. Il dit avoir quitté la Chine après avoir été condamné pour la mort d'un étudiant dans un accident de voiture alors qu'il était ivre… bien qu'il n'ait été condamné qu'à deux ans de prison avec sursis. «C'était lui la véritable cible des enquêteurs chinois», dit Lam à propos du dernier des libraires de Hongkong toujours en détention.
Un ouvrage sulfureux sur Xi Jinping
Le passeport étranger n'est pas une «amulette» protégeant ses détenteurs contre la «justice chinoise», a prévenu le tabloïd Global Times, porte-voix du régime, le mois dernier… Celle-ci est d'autant plus implacable qu'elle est aux ordres du Parti. «Bien que j'aie la nationalité suédoise, au fond je me sens profondément chinois», déclarait Gui à la télévision d'État. «J'espère que les autorités suédoises respecteront mes choix, mes droits et ma vie privée, et me laisseront m'occuper de mes affaires», avait-il ajouté, sous-entendant qu'il renonçait à ses droits consulaires.
Cofondateur de Mighty Current, Gui s'apprêtait à publier un ouvrage sulfureux sur une liaison amoureuse qu'aurait entretenue Xi Jinping en marge de son premier mariage, alors qu'il était un haut cadre du PCC dans la province du Fujian. «Le livre rend Xi nerveux parce que l'“empereur” ne tolère pas la critique, juge Lam Wing-kee. Il tient à son mariage avec Peng Liyuan. Et ces révélations pourraient nuire à sa relation de couple. Les policiers n'avaient de cesse de me demander ce que contenait l'ouvrage. Mais je ne savais pas grand-chose, si ce n'est que l'auteur est généralement bien informé et vit aux États-Unis.» Lam affirme qu'il ne vendait pas les livres édités par Gui Minhai sur le continent chinois. «Ses livres sont de piètre qualité. Généralement, ils colportent des rumeurs, dit-il. Moi, je me contentais d'envoyer à mes clients chinois des ouvrages plus académiques sur les luttes de pouvoir au sommet de la République populaire. Tout le monde est friand de ces livres en Chine, les activistes, les gens normaux et jusqu'aux plus hauts dirigeants du pays.»
Lam Wing-kee aura, lui aussi, droit à sa confession télévisée… prélude incontournable à sa relaxe
Lam Wing-kee aura, lui aussi, droit à sa confession télévisée… prélude incontournable à sa relaxe. Il y dira s'être rendu de son plein gré en Chine et avouera avoir violé les lois de la République populaire en faisant le commerce d'ouvrages salaces sur des dirigeants chinois. «Au départ, j'ai répété à plusieurs reprises une autre version dans laquelle je disais que j'avais violé la loi constitutionnelle chinoise, mais sans savoir ce que j'avais fait de mal, raconte-t-il. Les policiers m'ont fait réenregistrer la confession jusqu'à ce que je m'en tienne strictement à la version qu'ils m'avaient dictée. Ils avaient fini par me menacer sérieusement. Si je ne donnais pas leur version, je pouvais être accusé de sédition…» Une accusation passible de la prison à perpétuité. En échange de sa confession et de l'engagement qu'il reviendrait en Chine livrer à la police les disques durs de ses fichiers clients deux jours plus tard, Lam est autorisé à retourner à Hongkong au bout de huit mois de détention. Ses révélations lèvent un coin de voile sur les méthodes de l'appareil sécuritaire chinois. Celui-ci utilise régulièrement les confessions forcées de dissidents, d'avocats, de célébrités ou de défenseurs des droits de l'homme pour justifier la détention aux yeux de l'opinion publique de ceux qui ont osé défier le Parti.
«Poil à gratter» du régime
Cette affaire a semé l'effroi à Hongkong alors que de nombreux habitants ont le sentiment que la Chine durcit son contrôle sur l'île, qui lui a été rétrocédée en 1997. Hongkong est une région semi-autonome sous administration spéciale. Elle possède son propre système judiciaire, sa propre police, tandis que les autorités chinoises comme hongkongaises contrôlent strictement leurs frontières. L'ancienne colonie britannique est censée jouir de libertés inconnues ailleurs en Chine continentale, en vertu du principe «un pays, deux systèmes», en théorie jusqu'en 2047. Des cinq disparitions, celle de Lee Bo, détenteur d'un passeport britannique, est celle qui avait le plus choqué. Elle avait eu lieu alors qu'il se trouvait encore à Hongkong, territoire sur lequel les services de sécurité chinois n'ont pas le droit d'intervenir. Londres avait protesté, affirmant que Lee avait été «conduit contre son gré sur le continent», ajoutant que cette affaire constituait une «grave violation» de l'accord de rétrocession de Hongkong à la Chine.
De nombreux Hongkongais s'inquiètent de la mainmise de plus en plus grande de Pékin sur la région semi-autonome
L'affaire des libraires avait déclenché une vague de manifestations à Hongkong pour leur libération. De nombreux Hongkongais s'inquiètent de la mainmise de plus en plus grande de Pékin sur la région semi-autonome. «Notre affaire est révélatrice de la volonté de contrôle total de la Chine sur Hongkong, estime Lam. Contrairement aux engagements qui avaient été pris vis-à-vis des Britanniques, nous ne pouvons pas élire librement nos représentants, qui sont choisis par Pékin. Les Hongkongais sont habitués à une autre culture, héritée de l'époque britannique. Nous avons un système différent de celui de la Chine. Mais maintenant, Pékin veut gouverner Hongkong comme le reste de la Chine, en s'attaquant à nos libertés. Au premier chef, la liberté d'expression. L'indépendance de la justice aussi est en ligne de mire. Les Chinois ont déjà gagné. Hongkong est sous le contrôle de Pékin.»
Pourtant Lam Wing-kee a choisi de rester à Hongkong malgré la fragilité de la liberté dont il y jouit. En revanche, il n'y exercera plus son métier de libraire. Il ouvrira prochainement une nouvelle libraire sur «l'île rebelle» de Taïwan, qui bénéficie d'une plus grande liberté de mouvement mais sur laquelle Pékin revendique de plus en plus fermement sa souveraineté. Depuis sa boutique de Taïpeh, il exportera de nouveau ses ouvrages, véritable «poil à gratter» pour le régime, vers la Chine continentale. Comme s'il pouvait désamorcer les ennuis potentiels avec le pouvoir chinois, il tient à préciser qu'il respectera «toutes les lois en vigueur en République populaire»… Comme si cela pouvait faire une différence au regard de la justice chinoise

La rédaction vous conseille :

Scènes de violence à Paris et à Nantes lors des manifestations (22.03.2018)
Par Christophe Cornevin
Publié le 22/03/2018 à 20h03
À Paris et à Nantes, des casseurs se sont très vite livrés à des dégradations lors des manifestations contre la politique d'Emmanuel Macron.
Policiers cibles de jets de projectiles, équipements publics vandalisés et symboles de la finance mis à sac… À Paris comme à Nantes, les manifestations hostiles à la politique sociale d'Emmanuel Macron ont été émaillées d'incidents. Dans la capitale, les débordements ont commencé tôt: «Après un rassemblement place de la Nation, un cortège de 500 jeunes, dont une centaine de militants de la mouvance contestataire radicale, a fait mouvement en direction de la place de la République, explique la Préfecture de police. La centaine de casseurs s'est très vite livrée à des dégradations de mobilier urbain ou de vitrines, notamment de banques. Les forces de l'ordre ont en conséquence dispersé ce groupe aux alentours de midi.»
Si la manifestation «Fonction publique», qui a réuni 34 .700 personnes selon le cabinet Occurence, s'est déroulée dans le calme, celle des cheminots, qui a fédéré 13 .100 participants de la gare de l'Est à la Bastille, s'est quant à elle soldée par des violences qui ne sont pas sans rappeler les débordements du printemps dernier en marge de la loi travail. Les mêmes protagonistes sont à la manœuvre: postés en début du cortège, 300 inconnus cagoulés, masqués et vêtus de noir se déploient vers 14 h 30 en formation de type «black bloc» avec la manifeste envie d'en découdre.
Groupes mobiles et organisés
S'emparant de barrières de chantier, des individus harcèlent les forces mobiles, qui essuient une pluie de projectiles à hauteur du boulevard Beaumarchais. Non loin, une voiture est enflammée tandis que des vitrines volent en éclats. Par groupes mobiles et organisés, les casseurs s'en prennent aux bureaux d'un assureur aux cris d'«anticapitalistes!». Pour endiguer la violence qui montait aux abords de la Bastille, le préfet de police Michel Delpuech a donné l'instruction d'utiliser les grenades lacrymogènes et le lanceur d'eau, considéré comme l'ultima ratio en termes d'ordre public.
«Arrivés sur la place de la Bastille, les deux cortèges se sont rejoints et les manifestants se sont dispersés sans incident»
La Préfecture de police
«Arrivés sur la place de la Bastille, les deux cortèges se sont rejoints et les manifestants se sont dispersés sans incident», précise la Préfecture de police, qui fait état de «dégradations de vitrines de plusieurs agences bancaires», «dégradations de panneaux publicitaires», d'un véhicule «partiellement incendié» et de «divers tags sur du mobilier urbain». Le bilan policier fait état de «trois interpellations, dont celle d'un militant violent déjà connu des services».
À Nantes, où le cortège a réuni près de 8500 manifestants, des heurts analogues ont éclaté entre des manifestants et des policiers. Un «groupe hostile cagoulé» a lancé des projectiles sur les policiers, qui ont là encore répliqué par des tirs de lacrymogènes et des lances à eau. Huit interpellations ont eu lieu et quatre gendarmes ainsi que deux CRS ont été légèrement blessés. Des tags sur un monument en mémoire des Français tombés pendant la Seconde Guerre mondiale sont également à déplorer.

La rédaction vous conseille :


Islamisation, délinquance, trafics : ce qui se passe vraiment dans les banlieues (23.03.2018)

Par Manon Quérouil-Bruneel
Mis à jour le 23/03/2018 à 08h13 | Publié le 23/03/2018 à 06h30
EXCLUSIF - Pendant un an, Manon Quérouil-Bruneel, grand reporter, est allée à la rencontre des habitants d'une cité de Seine-Saint-Denis. Religion, drogue, prostitution, petits trafics et grand banditisme : son livre choc, La Part du ghetto, raconte le quotidien méconnu d'une France en marge de la République. Récit de son enquête et extraits exclusifs.
«Il suffit de passer le pont, c'est tout de suite l'aventure!» chantait Brassens. Ça marche aussi avec le périphérique. A moins d'une dizaine de kilomètres de la capitale se trouve un autre monde, à la fois proche et lointain. Avec ses codes, ses règles et ses valeurs. Pendant un an, j'ai tenté d'en comprendre le fonctionnement en m'immergeant dans une cité de Seine-Saint-Denis. Pour pousser des portes qui me seraient restées closes, je me suis appuyée sur l'un de ses habitants, Malek Dehoune, que je connais depuis une dizaine d'années. Ensemble, nous avons eu envie de raconter cette vie de l'autre côté du périph, loin des clichés. Grâce à sa solide réputation dans la cité, la méfiance qu'inspirent généralement les journalistes s'est progressivement estompée. Au fil des mois, j'ai obtenu les confidences de dealers, de mères de famille, de prostituées, de retraités, de grands voyous, de commerçants, de musulmans laïcs et de salafistes. Je les ai écoutés en m'appliquant à ne jamais les juger.
Ces tranches de vie racontent un quotidien très éloigné de celui que peignait La Haine - film culte sur le malaise des banlieues françaises et de cette deuxième génération d'immigrés, née en France dans les années 1970, qui a grandi la rage au ventre en ne se trouvant nulle part à sa place. En plongeant dans la cité, je pensais naïvement côtoyer leurs dignes héritiers. Mais vingt ans après, les choses ont bien changé. Les jeunes ne brûlent plus de voitures, ils font du fric sans esclandre, conscients que les émeutes nuisent au business. Pragmatiques, avant tout. «On est des bourgeois, pas des révolutionnaires, comme le résume l'un d'entre eux, surnommé «Chocolat», en référence au shit qu'il vend. On sait qu'on fait pas longtemps dans ce métier. On mène une vie normale, comme un type qui travaille dans un bureau, quoi.»

Le trafic de cannabis reste un grand classique en cité. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
En l'occurrence, plutôt comme un patron d'une petite PME. A 22 ans, «Chocolat» est le gérant de ce qu'on appelle un «terrain», c'est-à-dire un territoire de deal, qui se vend et s'achète comme un bien immobilier: entre 100.000 et 2 millions d'euros - selon la taille et la localisation. Mais ce n'est pas qu'une question d'argent: un terrain se mérite et se gagne aussi à la réputation. Quand les «anciens» décident qu'ils n'ont plus l'âge de dealer au pied des tours, ils choisissent avec soin ceux à qui ils passent la main. «Choco» a été désigné à 19 ans. Son terrain se trouve à côté de celui de football, dans le parc pelé au cœur de la cité. Avant midi, il est généralement désert. Les «petits», comme les surnomment les «anciens», vivent la nuit et se lèvent tard. Sur son terrain, «Chocolat» écoule en moyenne 350 grammes de cannabis par jour. Un emplacement «moyen», comparé à d'autres, comme celui de Bagnolet, qui débite un kilo par jour. Mais il lui permet de gagner «un smic tous les deux jours», et de s'offrir les services d'un vendeur et de deux «choufs» - des guetteurs chargés de donner l'alerte en cas de descente policière. «Chocolat» se contente de passer quelques heures, pour vérifier que tout va bien et verser les salaires de ses employés, payés 50 euros par jour. Le reste du temps, il s'occupe de l'approvisionnement, la clé d'un business prospère.
«Nous, on vend pas la mort. Le shit, c'est naturel. Ça sort de la terre, comme un légume. »
«Chocolat», dealer de shit
Le shit, c'est comme le cours de l'or: le prix au kilo peut varier de plus ou moins 1000 euros sur un an. Comme un trader, un bon trafiquant doit anticiper les variations, avoir du stock en réserve et être placé au plus proche de la source, pour avoir le meilleur tarif possible et dégager un maximum de bénéfices. La pièce d'un kilo de cannabis «se touche» autour de 1200 euros au Maroc ; elle passe à 2300 euros en Espagne et peut être revendue jusqu'à 3500 euros en France. Entre chaque pays, il y a des intermédiaires, des «apporteurs d'affaires», qui se rémunèrent au pourcentage en fonction du volume de la transaction. J'ai découvert avec surprise que, dans ce monde de truands, la marchandise s'achète presque toujours à crédit. Une chaîne de crédits, même, qui court du Maroc jusqu'au 93 et qui débouche sur des règlements de comptes sanglants, quand la drogue est saisie et que l'acheteur se retrouve dans l'incapacité de rembourser. Ou qu'il décide finalement de ne pas payer et de disparaître dans la nature… Pour se prémunir de ce genre de déconvenues, de plus en plus fréquentes selon mes interlocuteurs dans la cité, les fournisseurs exigent de leurs clients d'être recommandés par des amis communs ou de fournir l'adresse de leurs parents afin d'avoir un moyen de pression. C'est également pour cette raison qu'ils préfèrent vendre au propriétaire d'un terrain: comme dans un commerce, il y a toujours du cash en circulation.
Dans la cité où j'ai mené mon immersion, il n'y a pas de terrain de cocaïne ou d'héroïne. «Pas notre culture, explique «Chocolat». Nous, on vend pas la mort. Le shit, c'est naturel. Ça sort de la terre, comme un légume.» Ceux qui se lancent dans la blanche le font loin du quartier, à bord d'une «coke-mobile» qui livre les clients à domicile. Il arrive que le véhicule en question fasse également VTC.

La cité est un monde d'hommes. Les aînés font respecter leur loi et veillent sur la tranquillité des habitants comme une police de proximité parallèle. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
La double casquette chauffeur Uber/dealer de coke fonctionne bien, les courses offrant une bonne couverture aux livraisons. Il y a quelques années, un jeune a tenté d'enfreindre cette loi tacite, qui proscrit la vente de drogue dure dans l'enceinte de la cité. Il a ouvert un terrain de crack au pied des tours. Le parc s'est retrouvé envahi de zombies, qui se shootaient au milieu des enfants. Les policiers ont multiplié les descentes, mais ce sont finalement les «anciens» qui l'ont délogé. Ce sont eux qui se chargent de maintenir l'ordre et de veiller à la tranquillité des habitants, comme une police de quartier parallèle.
C'est parce qu'ils se sentent investis de cette même mission de protection que les jeunes livrent aujourd'hui une guerre sans merci à ceux qu'ils appellent les «Lampédouz» - les clandestins maghrébins arrivés en masse ces dernières années dans la foulée des printemps arabes. Alors que les guerres entre bandes rivales sont devenues plus rares, se réglant le plus souvent par les réseaux sociaux, la nouvelle violence qui agite régulièrement la cité est celle qui oppose ces jeunes issus de l'immigration aux nouveaux arrivants: souvent des hommes seuls, qui dorment dans des squats à l'ombre des barres HLM ou s'entassent dans des appartements insalubres loués par des marchands de sommeil. Ils vivotent en travaillant au black sur des chantiers, en vendant des cigarettes à la sauvette, en arrachant des sacs et des portables, aussi. Les vols commis dans la cité déclenchent systématiquement des représailles, à coups de batte de baseball et de barre de fer. Les jeunes débarquent alors en bande et tabassent tous les migrants qui se trouvent sur leur passage. Les comportements «inappropriés» sont également sévèrement sanctionnés. Un jour, un «Lampédouz» aviné s'est déshabillé dans la rue. Il s'est retrouvé à l'hôpital, le crâne fracassé par la bouteille qu'il venait d'écluser…
Cette violence à l'encontre de nouveaux immigrés ne choque pas les habitants «historiques» du quartier. Ils considèrent que cette vague de clandestins a accéléré leur descente dans les abîmes de la ghettoïsation. Malek le résume ainsi: «On est déjà tous en galère, on peut pas accueillir toute la misère du monde.»
«On est déjà tous en galère, on peut pas accueillir toute la misère du monde.»
Malek, habitant du quartier

Ceux que les habitants de la cité appellent les «Lampédouz» les clandestins maghrébins arrivés en masse dans la foulée des printemps arabes survivent dans des squats insalubres au pied des tours. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Dans la cité, tout le monde est unanime: le quartier a beaucoup changé ces dernières années. En mal. Il ne brûle plus, mais il se consume à petit feu. Les voyants sont au rouge, mais le reste du pays s'obstine à regarder ailleurs - d'autant plus facilement que les scènes de guérilla urbaine sont devenues plus rares au JT. Un sentiment d'abandon prédomine, particulièrement au sein de la première génération arrivée dans les années 1970. Omar, le père de Malek débarqué d'Algérie pour travailler comme couvreur à l'âge de 19 ans, se souvient avec nostalgie de la mixité d'antan, «des boulangeries traditionnelles, des boucheries chevalines, des filles en minijupe dans les rues». Il m'explique que, à l'époque, personne ne se souciait de manger halal ou de porter le voile. «On était là pour bosser dur. Moi, mon identité, c'était pas Français ou Algérien, c'était ouvrier.» Omar voulait s'intégrer avant tout. Il a toujours refusé de parler arabe ou kabyle à ses fils, mangeait des rillettes au petit déjeuner, a fait la guerre à sa femme qui s'accrochait à sa djellaba quand il l'emmenait à la plage. «Je lui ai dit: soit tu mets un maillot comme tout le monde, soit tu te casses. La religion, c'est privé, ça s'affiche pas.»
Et puis, il y a eu un tournant dans les années 1990. Le mythe du bon immigré a fait long feu. La religion est progressivement devenue un étendard, une cuirasse identitaire qui a fait voler en éclats le «vivre-ensemble» auquel beaucoup sont pourtant attachés. Dans le salon de coiffure où je me suis souvent rendue pour prendre la température du quartier, les conversations tournent beaucoup autour de ce repli communautaire. «La dernière fois, raconte l'un des clients, j'ai livré un barbu. Le type, il enferme sa femme à clé. Mais rentre au bled, frère! On est où, là? Sarko, il avait raison: si t'es pas content, casse-toi. Le quartier est perdu, ce n'est plus la France, ici. Forcément que les Blancs, ils sont partis. Qui veut vivre avec des burqas, des gosses qui dealent en bas de l'immeuble et des clandos qui volent des sacs? Les bobos peuvent bien hurler, c'est pas eux qui vivent dans ce merdier!»

Le communautarisme s'est renforcé depuis les années 1990. Dans le quartier, beaucoup regrettent cependant le repli sur soi et dénoncent un abandon des services publics. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Les burqas et les kamis, qui n'existaient pas il y a une vingtaine d'années, ont essaimé dans la cité. Manger «halal» est devenu une préoccupation pour la nouvelle génération, qui revendique de vivre «plus près de Dieu que ses aînés». Plutôt qu'un mariage à la mairie, les jeunes préfèrent désormais sceller leur union devant l'imam, selon la tradition musulmane.
Autre manifestation de la religion devenue une ressource culturelle: le succès de la médecine prophétique, qui consiste à soigner les maux qui résistent à la médecine traditionnelle par des méthodes inspirées du temps du Prophète, comme la «hijama» (un traitement à base de saignées) ou la «roqya» (une séance de désenvoûtement par le Coran). La «omra», le «petit pèlerinage» à La Mecque effectué hors saison, rencontre également un franc succès dans les quartiers, notamment parmi les jeunes. D'abord pour d'évidentes raisons financières, puisque le voyage, organisé par des tour-opérateurs, est accessible à partir de 900 euros, contre 4000 minimum en période officielle de hadj. Mais cet engouement pour la omra est également révélateur d'une certaine mentalité, de cette génération du «tout, tout de suite». «Avant, explique Abdel, on attendait des années pour pouvoir se payer le hadj. C'est un pilier de l'islam qui se mérite. Après, tu es censé avoir un comportement exemplaire à vie. Ne plus dealer, ne plus tiser (boire de l'alcool, Ndlr). La omra, c'est moins engageant. Souvent, elle est même financée avec l'argent de la drogue. L'hypocrisie va jusque-là.»
Dans une même tour, des prostituées et des salafistes

On joue beaucoup en cité. La pauvreté pousse à tenter sa chance. Ici, une partie de poker clandestine organisée dans un appartement vide. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Je l'ai souvent constaté au cours de mon immersion: la vie en cité pousse ses habitants à une certaine forme de schizophrénie. Il y a d'un côté le poids du regard des autres, l'injonction tacite à se conformer aux attentes de la communauté. Et de l'autre, l'envie de vivre sa vie comme on l'entend. Un assemblage compliqué, qui donne parfois naissance à de surprenants phénomènes de société. Comme le boom de la prostitution parmi les jeunes filles de banlieue, dans un environnement où on les enjoint pourtant plus qu'ailleurs à la «décence». Des «wannabe Zahia», la Pretty Woman des cités, qui voient dans l'escorting un moyen rapide de s'affranchir du ghetto, de s'offrir un joli sac ou de partir en vacances. Karima, l'une des jeunes femmes que j'ai rencontrées, dans le secteur depuis quelques années déjà, le résume ainsi: «Tout commence quand tu découvres que tu peux monnayer un rapport.»
De leur côté, les garçons ont vite flairé le bon filon, proposant leurs services contre la moitié des gains. Il s'agit souvent d'anciens dealers reconvertis dans le proxénétisme - moins risqué et parfois plus lucratif que le stup -, qui se chargent de mettre en ligne une annonce sur des sites spécialisés, louent un appartement pour recevoir les clients et assurent la sécurité des filles. L'un d'entre eux, Ryan, m'a confié gagner jusqu'à «1500 euros les bons jours», en faisant travailler trois filles qui enchaînent une dizaine de clients chacune…
Au cours de mon reportage au long cours, j'ai rencontré dans une même tour d'immeuble des prostituées et des convertis au salafisme ; des jeunes femmes qui gagnent plus d'argent que leur père, mais doivent faire un halal pour avoir le droit de quitter le domicile familial ; des jeunes qui partent s'encanailler à Pattaya et font des selfies à La Mecque le mois suivant. La cité est un monde d'équilibristes, où se cache derrière chaque paradoxe apparent une ambition cohérente: parvenir, coûte que coûte, à arracher sa part du ghetto.
Une cité de Seine-Saint-Denis. - Crédits photo : Veronique de Viguerie

EXTRAITS
«L'arnaque des open»

- Crédits photo : _CYR
Il y a quelques années, l'aristocratie de la voyouterie, c'était le braquage. Sauf qu'il y a de moins en moins de liquide dans les banques. L'avenir, c'est le virtuel. Avec le darknet (le cryptage sur internet où l'anonymat est garanti, ndlr), le piratage de carte Bleue est devenu un jeu d'enfant, tout comme l'usurpation d'identité ou la création de faux comptes bancaires. Elias s'est livré à une étude de marché attentive de la délinquance financière: «Si je t'explique tout, t'as mal à la tête», plaisante-t-il un soir, alors que nous sommes installés à notre table habituelle du café. Il vient de sortir de cours, sa sacoche sous le bras: «En fait, j'exploite les failles du système. Et il y en a plein.»
Sa spécialité, ce sont les «open», les ouvertures de comptes avec des cartes d'identité volées, puis «flashées»: «Pour 1000 euros, y a des types qui te mettent la gueule de qui tu veux dessus. Moi, je choisis un petit qui présente bien, qui a un casier vierge et qui va travailler la conseillère à la banque avec un beau dossier tout bidon. En dix jours, t'as un compte. Et la beauté du truc, c'est que, avec une même identité, tu peux ouvrir dix comptes dans dix banques différentes. Ensuite, il n'y a plus qu'à enfoncer (endosser, ndlr) des chèques. Soit j'achète tout un carnet sous le manteau, soit j'en fais laver un.» Laver, c'est-à-dire effacer le nom du bénéficiaire d'origine pour le remplacer.
Un travail d'orfèvre, le boulot des «Zaïrois», comme les appelle Madoff - «De vrais magiciens! Si je savais comment ils font, je serais millionnaire!» Elias commence par enfoncer un «petit chèque, genre 1500 euros. Dès qu'il passe, j'en enfonce un max, tous les deux jours, jusqu'à ce que ça bloque.» Bon, le système a ses limites, me dit-il. Il y a de la déperdition, des comptes qui ne sortent pas, des chèques qui ne passent pas. «C'est parfois beaucoup de boulot pour rien.» Le mieux, c'est encore d'enfoncer des chèques lavés d'un gros montant sur un compte existant. Le propriétaire (du compte, ndlr) prend 30 % de la somme, par conséquent, m'assure Elias, il se moque d'être convoqué par sa banque pour rembourser la somme encaissée. «Le gars se barre au bled pendant cinq ans, le temps que dure l'interdiction à la Banque de France. Puis il revient, ouvre un nouveau compte, et recommence. C'est ballot, hein?»
Faire profil bas
Alice a une trentaine d'années, deux enfants en bas âge, et crée des bijoux fantaisie qu'elle vend en ligne. Avant, avec son compagnon, ils vivaient dans le XIe arrondissement. En 2011, ils décident d'acheter. Avec leurs petits salaires d'autoentrepreneurs, ils se tournent logiquement vers la proche banlieue et font l'acquisition d'un 90 mètres carrés à 375.000 euros, dans ce quartier qu'on annonce comme un futur Brooklyn dès qu'une fromagerie, preuve irréfutable de gentrification, ouvre miraculeusement de l'autre côté du pont…
«Le jour de l'emménagement, me raconte Alice, on est allés à la boulangerie en bas de chez nous. J'ai demandé un jambon-beurre, le mec m'a regardée comme si j'étais une extraterrestre.» […] Elle a, aussi, dû se plier à l'injonction tacite d'un vestiaire «spécial 93». «Dès que je mettais une jupe, je me faisais emmerder. On me demandait: “C'est combien?”, “Tu me fais un petit truc?” J'ai rangé jupe, rouge à lèvres, et décolleté. Oui, ça fait chier de se conformer à un ordre moral. Mais c'est le prix de la tranquillité.» […]
Cette année, le ramadan s'est bien passé. «Les premières fois, on ne dormait pas. Les gens étaient dehors toute la nuit, ils jouaient aux cartes dans la rue, se bastonnaient, faisaient des roues arrière sur des quads… On passait notre temps à appeler les flics» - qui ne venaient pas. «De façon générale, remarque Alice, la présence policière ici, c'est service minimum. On se demande même si ce n'est pas fait exprès. Ils laissent le trafic proliférer, comme ça le réseau est identifié et contenu, et ne s'étend pas de l'autre côté du pont [où le quartier est en cours de réfection]. La municipalité a mis un spot devant l'école, il a tenu quinze jours. La plupart des rues du quartier sont plongées dans le noir. Dès que la nuit tombe, les mecs peuvent faire leur petit business tranquille.»
A un moment, avec son mari, ils ont failli plier bagage. Abdiquer. «Je ne peux pas me mettre seule à une terrasse de café. Il y a peu de parcs, peu de commerces. A la sortie du métro, il faut se cramponner à son sac à cause des vols à l'arraché.» […] En attendant, Alice s'est fait une raison. Au fil des ans, elle a arrêté d'écrire au maire pour faire remplacer les éclairages publics, ou demander l'installation de brumisateurs pour que les gosses arrêtent de s'arroser avec les extincteurs en été. Elle fait un détour pour éviter les coins où ça trafique - les «no-go zones» - et ne se balade jamais dans le quartier. Elle va d'un point A à un point B, se fait la plus discrète possible. «La règle est simple, me dit-elle: c'est nous, les étrangers ici.» L'entraide et la solidarité, ce sentiment d'appartenir à une grande famille que décrivent les habitants historiques de la cité, semblent hors de sa portée.
Norane revendique son appartenance à une double culture. Elle prie, porte des talons hauts, et s'est mariée religieusement pour faire plaisir à ses parents. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Islamisation
Quelque chose a ripé au sein de cette génération bercée dans le giron français, qu'on espérait laïque, comme un dédommagement ou une reconnaissance envers la République qui avait accueilli leurs parents, mais qui s'est révélée plus pratiquante que la précédente.
Selon Abdel, les premières secousses remontent au milieu des années 1990, avec ce qu'on appelle dans les banlieues, non sans humour, la BAC - «la Brigade anti-sheitan» (diable, ndlr). Des tablighis, des prédicateurs fondamentalistes, ont commencé à tourner dans le quartier pour porter la bonne parole auprès des jeunes: «Ils venaient nous faire chier pendant qu'on jouait au foot aux heures de la prière pour nous envoyer à la mosquée, me raconte Abdel. Ensuite, la BAC a été remplacée par les salafistes et les Frères muz'. Rien de nouveau: juste, aujourd'hui, ils ont un public.»
Selon lui, le jilbab (voile long qui couvre l'intégralité du corps mais pas le visage), la barbe longue, le kamis, ce n'est pas de la conviction, mais de l'ostentation. Un bras d'honneur à la société française. A la fois un étendard et une cuirasse identitaire. «Aujourd'hui, les jeunes ne savent même pas écrire leur prénom en arabe, ils ne connaissent aucun verset du Coran, mais se disent musulmans plutôt que Français. Ils vont à la mosquée à la salat de 14 heures pour se montrer, mais tu peux y aller: à celle de 5 heures du matin, y a personne. Ils font des mariages halal pour niquer dans la religion mais dealent leur saloperie sans se poser de questions. C'est des petits cons qui n'ont jamais écouté Brassens, qui ne connaissent que Booba et Scarface. Ils veulent aller à La Mecque parce que ça fait bien, et que ça rachète une virginité au passage. Hop, un petit selfie devant la pierre sacrée, et retour à leur vie d'embrouilles.»
Prostitution de banlieue

Depuis deux ans, la prostitution explose en banlieue. Karima loue ses services sur des sites spécialisés et gagne jusqu'à 8 000 € les bons mois. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Avec le temps, Karima s'est forgé la conviction selon laquelle il n'y aurait au pied des barres que deux chemins de vie possibles: se marier ou se prostituer. Elle a commencé par la première option. Il fallait se «faire valider», comme elle dit. Marcher dans les rangs, faire ce que sa famille et sa «culture» lui commandaient. A 18 ans, elle se marie donc avec son premier amour. Mais l'homme se révèle violent. La validation est une seconde prison. «Dans notre communauté, refuser de se faire sucer par une meuf, c'est une preuve de respect. Lui parler comme à une merde, par contre, ça pose pas de problème. C'est le grand n'importe quoi. Le mien, il voulait que je me teigne en blonde et que je foute le voile dessus. C'est ça, le paradoxe des mecs de banlieue. Ils sont “matrixés”. Ils veulent à la fois une chienne et une fille bien.» Je lui dis que, en y réfléchissant, c'est une variante orientale de la maman et de la putain: un fantasme masculin universel, qui dépasse largement le périphérique. Elle m'objecte que si, dans la culture occidentale, c'est idéalement la même femme qui est censée endosser ce double rôle en alternance, pour les Arabes, il faut en réalité au moins deux femmes. Une pour chaque fonction: une fille «respectable», avec laquelle ils entretiennent une relation sérieuse et qu'ils finissent en général par épouser, et une ou plusieurs filles «inavouables», denrées à la fois périssables et interchangeables, dont ils montrent les photos dénudées aux copains en gloussant.
Karima a divorcé deux ans après s'être mariée, sans parvenir à rompre complètement le lien. Habituée, finalement, à ce type de relation qu'elle a intégré comme la norme. «Matrixée», elle aussi. De ces réconciliations épisodiques est né il y a quatre ans un fils, qu'elle élève seule, comme elle peut, aménageant ses rendez-vous clients en fonction des horaires d'école et des vacances scolaires. Le gosse est un garde-fou, qui la préserve de l'abattage et l'oblige à travailler avec méthode. Karima a mis son annonce sur deux sites - Wannonce et Allo-escorte - et paie 400 euros tous les mois pour qu'elle reste bien référencée. Elle reçoit plus de 150 appels par jour sur ses trois téléphones - un pour chaque site, plus un perso. «La Maghrébine avec des formes, c'est à la mode, y a une mouvance depuis Zahia.»
Ça marche tellement bien qu'elle monnaie ses prestations dans toute la France. «En été, je fais des tournées sur la Côte d'Azur. Je modifie ma localisation sur mon profil, je me pose trois jours à l'hôtel, et ça défile. Mais j'ai des limites. Faut que ça reste humain. Trois clients maxi par jour, à 300 euros de l'heure. Ça écrème. Plus t'es chère, plus t'as des clients classe.» Ses préférés, ce sont les «babtous», des «petits Blancs» traders, dans l'immobilier ou dans le cinéma. Depuis qu'elle a commencé, Karima gagne environ 4000 euros par mois «en étant feignante», 8000 quand elle s'«arrache». Plus la CAF.
La Part du ghetto, de Manon Quérouil-Bruneel et Malek Dehoune, Fayard, 218 p., 17 € .

À Sarcelles, l'islamisme a finalement réussi à s'implanter, malgré la vigilance des habitants (19.03.2018)
Par Jean Chichizola
Mis à jour le 19/03/2018 à 19h17 | Publié le 19/03/2018 à 18h29
REPORTAGE - Depuis cinq ans, les habitants de cette ville du Val d'Oise assistent à la montée en puissance de l'islam radical.
À Sarcelles, la scène est devenue presque quotidienne. Devant l'école Jean-Jaurès, avenue du Maréchal-Koenig, les parents d'élèves sont invités à converser avec des fidèles venus de la mosquée voisine, contrôlée par des salafistes. À l'ombre du père du socialisme français et du héros de la France libre, quelques tréteaux sont même parfois installés. Au menu des discussions, la religion mais aussi des offres de service (soutien scolaire, aide matérielle…).
Dans cette Sarcelles longtemps connue pour ses communautés juive («La Petite Jérusalem» traumatisée par une émeute antisémite en 2014 et l'agression de trois jeunes Juifs depuis janvier), chrétienne chaldéenne et pour son islam divers venu du Maghreb, d'Afrique noire ou d'Asie du Sud, les discussions de l'avenue Koenig témoignent d'une activité accrue des tenants de l'islam radical.
«Avant il n'y avait pas de “barbus”, il y avait des musulmans»
Un habitant
Pendant longtemps, la ville a été plutôt à l'abri d'un islamisme qui gagnait les alentours. Jusqu'aux années 2012-2013, quand des radicaux venus de Seine-Saint-Denis sont apparus à Goussainville, à Garges-lès-Gonesse puis à Sarcelles. «Avant il n'y avait pas de “barbus”, remarque un habitant, il y avait des musulmans.»
La stratégie suivie par les radicaux est des plus classiques: entrisme dans les mosquées, politique tournée vers la jeunesse, investissement des champs associatifs et politiques. Un beau jour, un groupe radical issu de la communauté turque de Goussainville arrive ainsi pour louer un local dans le quartier Chantepie. Situé à deux pas d'un grand centre commercial, l'endroit ressemble au reste de la ville: des barres d'immeubles sans âme. Des musulmans du quartier ne tardent pas à dénoncer ces nouveaux venus qui cherchent à attirer leurs enfants dans leur nouveau lieu de prière. Le site est finalement fermé pour non-respect des règles de l'urbanisme.
Le groupe cherche ensuite à faire de l'entrisme dans la principale mosquée de la ville, Foi et Unicité. «Ils ont tenté un coup de force, explique son secrétaire général, Hammadi Kaddouri, ils ont même squatté mais nous les avons repoussés. Aujourd'hui, nous assistons encore à des coups tordus mais les gens le savent: nous ne sommes pas salafistes. Nous sommes très vigilants et nous n'hésitons pas à licencier ceux qui dérapent.»
Un islam politique
Une récente affaire démontre d'ailleurs qu'il est parfois difficile d'éviter de tels dérapages. Ayant ouvert il y a trois ans une école coranique sauvage dans un appartement de la ville, un jeune radicalisé avait été prié de rejoindre les locaux de la mosquée, pour être mieux surveillé par la communauté. L'homme vient d'être condamné à douze mois de prison pour avoir frappé et rasé un élève de 12 ans à la coiffure (teinte) «interdite par les règles coraniques».
Après deux échecs, les vrais «barbus» se sont quant à eux finalement installés dans le quartier de l'école Jean-Jaurès où ils attirent 50 à 60 fidèles chaque jour, 100 à 150 pendant le ramadan (contre 300 à 400 fidèles pour Foi et Unicité, 1500 le vendredi).
La jeunesse est particulièrement courtisée par la mouvance. La rue de l'Escouvrier, dans une triste zone industrielle aux marges de la ville, abrite deux écoles confessionnelles, l'une hors contrat, l'autre au statut incertain. Sans oublier la création d'associations de parents d'élèves «indépendants» qui intègrent les conseils des écoles publics. Très actives, on y compte nombre de mamans voilées.
«Nous assistons aux prémices d'une implantation, assumée, identifiée par tous et par les services de renseignement. Mais l'État ne fait rien pour éviter la catastrophe annoncée»
François Pupponi, ancien maire de Sarcelles
Un autre acteur, l'association «le Complexe éducatif européen», prônant le soutien scolaire, est également apparu. Fort soigné, son site Internet se garde de tout prosélytisme mais des femmes, dont des enseignantes, y sont voilées, parfois des pieds à la tête (sans aller jusqu'au niqab). Et sur les réseaux sociaux, son directeur semble beaucoup s'intéresser au «sionisme» et aux pays du Golfe. La MJC locale accuse en outre ce «Complexe éducatif» d'avoir tenté en 2016 une prise de contrôle, ratée, en usant de méthodes musclées.
Dans la continuité de cette montée en puissance, 2017 fut enfin l'apparition au grand jour d'un islam politique avec la candidature aux législatives du candidat «indépendant» Samy Debah qui, soutenu de facto par La France insoumise, a été battu au second tour. Tout en étant majoritaire dans sa ville de Garges-lès-Gonesse, ce qui annonce d'autres combats.
Se revendiquant comme un candidat comme les autres, Samy Debah est surtout le fondateur du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Et, selon son adversaire victorieux, François Pupponi, bête noire des islamistes et de l'extrême gauche, il a bien été soutenu par l'ensemble de la mouvance islamiste. Pour le député socialiste et ancien maire de Sarcelles, «nous assistons aux prémices d'une implantation, assumée, identifiée par tous et par les services de renseignement. Mais l'État ne fait rien pour éviter la catastrophe annoncée».
La rédaction vous conseille :
Rédacteur en chef adjoint, service Société
Ses derniers articles


Islam de France : les pratiques très procédurières du CCIF (19.03.2018)
Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 19/03/2018 à 21h07 | Publié le 19/03/2018 à 20h41
Agissant essentiellement sur le plan juridique, le Collectif contre l'islamophobie en France incite les mères voilées interdites d'accompagnement de sortie scolaire à contester ces décisions.
L'islam et l'islamisme font deux. Il suffit de comptabiliser toutes les initiatives du Conseil français du culte musulman (CFCM) depuis 2003 - dont «la charte de l'imam» lancée en mars 2017 - pour tenter d'endiguer le phénomène de radicalisation de la jeunesse musulmane pour s'en faire une idée. Mais en février dernier, l'actuel président du CFCM, Ahmet Ogras, confessait au Figaro: «Les radicaux ont quitté depuis longtemps les rangs des mosquées, qu'ils trouvent justement… pas assez radicales. Ces musulmans-là nous échappent, il faut le reconnaître. Ils forment des groupuscules marginaux et suivent des pseudo-enseignements sur Internet que nous ne contrôlons pas.»
Pas question, donc, d'enfermer l'islam dans un amalgame où tous les musulmans seraient des intégristes. Pour autant, il existe une voie non violente, subtile, lente et intelligente visant à légitimer et normaliser un islam rigoriste en France. Cette tendance de l'islam exige même un respect scrupuleux de la laïcité… Mais elle attend en échange - au nom d'une séparation étanche - le respect d'un islam plutôt intransigeant. Où l'État n'aurait pas à son mot à dire…
Normalisaton du rigorisme islamique
C'est toute la stratégie de l'ancienne UOIF, Union des organisations islamiques de France, rebaptisée, en 2017, Musulmans de France. Année après année, cette organisation invitait par exemple Tariq Ramadan à son rassemblement du Bourget. Cet orateur hors pair et très écouté plaidait devant des foules la voie du respect des lois de la République - donc de respect de la laïcité - tout en prônant la promotion d'un islam traditionnel, fidèle à ses racines selon l'esprit typique des Frères musulmans.
Cette tentative de normalisaton du rigorisme islamique en France a aussi son volet grand public. Avec une officine très efficace, dont il ne faut surtout pas écrire qu'elle aurait des liens avec les Frères musulmans sous peine d'essuyer un droit de réponse. Car le CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France) agit essentiellement sur le plan juridique et n'hésite pas à attaquer la presse pour diffamation.
«Même si un règlement intérieur indiquant une interdiction du voile pour les mamans voilées vous est remis, il faut le contester»
Le CCIF
Ce mois-ci, son site donne ainsi trois conseils aux mères de famille voilées qui se verraient interdire d'accompagner une sortie scolaire: «Je demande une preuve écrite de l'interdiction que l'on m'oppose. Peu importe le motif invoqué par votre interlocuteur, il est primordial que vous demandiez une preuve écrite de ce qui est avancé.» Et cette précision: «Même si un règlement intérieur indiquant une interdiction du voile pour les mamans voilées vous est remis, il faut le contester. En effet, aucun règlement intérieur ne peut se soustraire à la loi en vigueur. Un tel document sera donc jugé illégal.»
Deuxième conseil: «Aucun texte de loi ne pourra être produit, car la loi est de votre côté. J'informe mon interlocuteur qu'en tant qu'usagère du service public, je ne suis pas soumise au devoir de neutralité, contrairement aux agents de l'État, conformément à la loi de 1905.»
Et ce troisième conseil: «Je mets en avant le fait que je propose de donner de mon temps à titre gracieux et que mon éviction ou bien l'annulation de la sortie scolaire ne palliera pas le vrai problème qui est le manque d'effectifs. (…) Au contraire, en cas d'annulation, les enfants seront déstabilisés, car incapables de comprendre ces pratiques discriminatoires et se forgeront l'image d'une école autoritaire et qui leur aura injustement interdit d'aller au musée…»
Dans cet esprit, le CCIF vient d'écrire le 13 mars une lettre ouverte au président de la République pour lui demander - en vue de garantir l'indépendance du champ religieux - sa protection contre «les attaques des radicalisés de la laïcité» et contre toute «ingérence laïciste».
La rédaction vous conseille :
EN DIRECT - Au moins un mort dans une prise d'otages à Trèbes près de Carcassonne (23.03.2018)
Par Le figaro.fr
Mis à jour le 23/03/2018 à 13h43 | Publié le 23/03/2018 à 11h52
Vendredi matin, un homme a pris en otages plusieurs personnes dans un supermarché de Trèbes dans l'Aude. Plus tôt, un policier a été blessé non loin de là. Tout laisse «à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste», selon le premier ministre Edouard Philippe.
TOUT LE LIVELES ESSENTIELS
ORDRE DES POSTS
EN COURS : Mis à jour à 16:49
à 15:49
Le preneur d'otage serait un Marocain suivi pour radicalisation
Selon une source proche de l'enquête citée par l'AFP, l'homme soupçonné d'être le preneur d'otage à Trèbes serait un marocain suivi pour radicalisation.
à 15:49
Les élèves de Trèbes confinés mais «en sécurité» dans les établissements
Les élèves sont "en sécurité à l'intérieur" des écoles et du collège de Trèbes (Aude) et "y resteront" pendant la durée de la prise d'otages en cours dans le supermarché de la ville, a affirmé vendredi l'académie de Montpellier.

"Les élèves des (quatre) écoles et du collège de la ville de Trèbes dans l'Aude sont en sécurité à l'intérieur des établissements. Ils y resteront jusqu'à nouvel ordre. Un repas sera servi aux externes. Il est demandé aux familles de ne pas se rendre sur place", a indiqué l'académie dans un communiqué, sans préciser le nombre d'élèves concernés. 

Tous les accès à la ville de Trèbes étaient bouclés par des forces de l'ordre fortement armées, a constaté un journaliste de l'AFP.
à 15:27
Le point de situation à 13H30
http://assets-picto.lefigaro.fr/live_actu/Picto-generaux/Attention.jpg
• Deux attaques dans l’Aude, dont une prise d’otage toujours en cours
En fin de matinée, un groupe de CRS faisant de la course à pied a été visé par un individu armé qui les suivait en voiture. L’un d’entre eux a été blessé à l’épaule, sans que son pronostic vital ne soit engagé. L’assaillant a pris la fuite.
Dans la foulée, un individu a pris en otages des clients et des employés dans un supermarché de Trèbes, à 15 minutes de Carcassonne. Très vite, les forces de sécurité sont intervenues et des clients du magasin ont pu être évacués. Selon la gendarmerie, il y aurait deux morts à déplorer, au moins un selon nos informations. À 13H, la prise d’otages était toujours en cours et le forcené était toujours retranché dans le magasin.
Le lien entre les deux événements n’a pas encore été officiellement établi. Les enquêteurs travaillent sur l'hypothèse que les deux attaques soient le fait d'une seule et même personne. 
• Le preneur d’otages se revendique de Daech
C’est ce qu’affirme le parquet de Carcassonne. Pour l’heure, le groupe terroriste Etat islamique n’a rien revendiqué.
• La section antiterroriste du parquet de Paris a ouvert une enquête
Le parquet de Carcassonne s'est dessaisi de l'affaire au profit de la section antiterroriste du parquet de Paris, qui a ouvert une enquête pour assassinat, tentative d'assassinat et séquestrations sous conditions, le tout en relation avec une entreprise terroriste, et associations de malfaiteurs terroristes criminelle, indique le parquet de Paris au Figaro
• Philippe évoque une «situation sérieuse», Collomb se rend sur les lieux
Très vite, le premier ministre a écourté sa visite à Mulhouse où il était en déplacement pour rejoindre Matignon et suivre la situation. Son homologue de l’intérieur, Gérard Collomb, a déclaré se rendre sur les lieux.
à 15:25
La voiture de l'homme qui a tiré sur des CRS retrouvée sur le parking du supermarché de Trèbes
La voiture de l'homme qui a tiré sur les quatre CRS ce matin à Carcassonne a été retrouvée sur le parking du supermarché de Trèbes, ce qui indique que les deux affaires pourraient être liées.
à 15:22
80 pompiers et membres d'équipes médicales sont sur place
Au sein de la zone de prise d'otage bouclée par la gendarmerie, où le PSIG (Peloton de sécurité et d'intervention de la gendarmerie) intervient avec le GIGN, la Sécurité civile est également mobilisée. 80 pompiers et équipes médicales sont sur place, avec deux hélicoptères pour les évacuations médicales éventuelles.
à 15:14
«J'ai vu une porte de frigo, j'ai demandé aux gens de venir se mettre à l'abri»
Une cliente du supermarché témoigne sur France info : «Un homme a crié et a tiré des coups de feu à plusieurs reprises. J'ai vu une porte de frigo, j'ai demandé aux gens de venir se mettre à l'abri. Nous étions dix et nous sommes restés une heure. Il y a eu encore des coups de feu et on est sorti par la porte de secours derrière. (...) Il a crié "Allah je ne sais pas quoi", je ne l'ai pas vu.»
à 15:06
La préfecture de l'Aude met en place une cellule d'information
http://assets-picto.lefigaro.fr/live_actu/Picto-generaux/Twitter.jpg
Toute personne «impactée par les événements en cours» peut appeler cette cellule au 04.68.10.29.00, a indiqué la préfecture de l'Aude sur Twitter.


à 15:03
Édouard Philippe : «Tout laisse à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste»
Selon le premier ministre Édouard Philippe, «tout laisse à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste.»

En déplacement à Mulhouse, où il était présent pour «discuter avec les acteurs de la politique de la Ville», Édouard Philippe a écourté sa visite et retourne à Matignon pour suivre la situation.


à 14:53
Le CRS blessé par balle «va bien»
Selon nos informations, le CRS blessé par balle à l'épaule ce matin n'est pas dans un état grave. Son pronostic vital n'est pas engagé selon plusieurs sources concordantes. 
à 14:49
L'homme serait armé de couteaux, d'une arme de poing et de grenades
Selon une source citée par l'AFP, un témoin présent sur place a vu que l'homme entré dans le supermarché autour de 11h15 au cri d'«Allah Akbar» était armé de couteaux, d'une arme de poing et de grenades.
à 14:40
Un mort confirmé, selon nos informations
Selon nos informations, un employé du supermarché a été tué. Par ailleurs, il n'y aurait plus d'otage dans le supermarché.

Selon le maire de Trèbes, Éric Ménassi, le preneur d'otages serait désormais seul dans le bâtiment avec un officier de gendarmerie.
à 14:26
Une à deux personnes seraient décédées par balle
Une à deux personnes ont été touchées par balles et seraient décédées à Trèbes selon le commandant de gendarmerie.

«On a malheureusement une présomption de décès, mais on ne peut pas faire venir de médecin sur place pour le vérifier», a déclaré à l'AFP le général Jean-Valéry Letterman, qui commande l'ex-région de Languedoc-Roussillon.
à 14:25
Mise en place d'un périmètre de sécurité
Par ailleurs, un périmètre de sécurité a été mis en place autour des lieux de la prise d'otage. Le ministère de l'Intérieur conseille d'éviter le secteur et de rester à l'écoute des consignes de sécurité.

à 14:23
Nos informations sur le dispositif en place
Selon nos informations, trois hélicoptères de gendarmerie sont mobilisés, ainsi que l'antenne GIGN de Toulouse, l'office central Satory et le peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie nationale - Sabre (psign-Sabre) de Narbonne.

(Christophe Cornevin)

» LIRE AUSSI: 
Sécurité: le plan de Beauvau pour riposter à une attaque en province
Sécurité: le défi du renseignement à la campagne
à 14:21
Le ministre de l'Intérieur se rend sur les lieux de la prise d'otages
http://assets-picto.lefigaro.fr/live_actu/Picto-generaux/Twitter.jpg
Le ministre de l'Intérieur a déclaré faire «un point de situation» avec les «forces de sécurité» depuis l'École nationale Supérieure de Police où il était en déplacement ce vendredi matin.


Dans la foulée, Gérard Collomb a annoncé qu'il se rendait sur place. 

à 14:18
La section antiterroriste du parquet de Paris ouvre une enquête
Le parquet de Carcassonne s'est dessaisi de l'affaire au profit de la section antiterroriste du parquet de Paris, qui a ouvert une enquête pour assassinat, tentative d'assassinat et séquestrations sous conditions, le tout en relation avec une entreprise terroriste, et associations de malfaiteurs terroristes criminelle, indique le parquet de Paris au Figaro.

L'enquête est confiée à la Sous direction antiterroriste (SDAT), la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la Direction interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) de Montpellier. 
à 14:12
Édouard Philippe évoque une situation «sérieuse»
Le premier ministre évoque une situation «sérieuse», alors qu'une prise d'otages est en cours dans un supermarché à Trèbes, dans l'Aude. Un homme se réclamant de Daech, selon le parquet de Carcassonne, y est retranché. Les policiers sont en cours d'intervention sur la prise d'otages, dit le ministère de l'Intérieur.

à 14:04
L'individu preneur d'otages se réclame de Daech
L'homme qui s'est retranché vendredi matin dans un supermarché de Trèbes, à 10 kilomètres de Carcassonne, dans le sud de la France, se réclame du groupe terroriste État islamique, selon le parquet de Carcassonne.
à 13:57
Les éléments connus à 11h55
Un CRS a été blessé par balles vendredi matin par un individu à Carcassonne, dans l'Aude. Alors qu'il rentrait d'un footing avec trois collègues, son groupe a été visé par un individu qui les suivait en voiture. L'homme a tiré au moins cinq coups de feu avant de prendre la fuite. Le CRS, blessé à l'épaule, a reçu les premiers soins par ses collègues avant d'être transporté à l'hôpital.
Dans le même temps, nous avons appris qu'une prise d'otages était en cours dans un supermarché de Trèbes, à 15 minutes de Carcassonne. Selon les premiers éléments de l'enquête, un homme «a pénétré vers 11h15 dans ce supermarché Super U et des coups de feu ont été entendus», a précisé une source proche du dossier. La préfecture de l'Aude a annoncé sur Twitter que ce secteur «était interdit», demandant à la population de «faciliter l'accès aux forces de l'ordre». Selon le parquet, l'homme s'est revendiqué de l'État islamique.

Gauchet, Le Goff, Yonnet: les désenchantés de Mai 68 (21.03.2018)

Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 21/03/2018 à 21h18 | Publié le 21/03/2018 à 20h02
RÉCIT- En mai 1968, Marcel Gauchet, Jean-Pierre Le Goff et Paul Yonnet font régner la pagaille dans la faculté des lettres de Caen. La période marque durablement leur vie et leur œuvre. Mais le trio va évoluer du gauchisme à l'antitotalitarisme. Chacun d'entre eux va opérer une relecture critique des événements de Mai et de leurs conséquences.
«Dans la plus complète insouciance, nous étions devenus une bande de “terroristes intellectuels” et de “petits voyous” fiers de l'être, trouvant plaisir à contester le contenu des cours et à effrayer les “mandarins”», se souvient Jean-Pierre Le Goff dans la préface de Zone de mort, le livre posthume de Paul Yonnet. À cette époque, le sociologue n'a pas encore l'allure et la gouaille d'un tonton flingueur. Comme ses «camarades», Marcel Gauchet et Paul Yonnet, il a les cheveux longs, la barbe mal taillée et porte des Clarks. Qui aurait pu imaginer alors que ces jeunes «rebelles» deviendraient quelques décennies plus tard des penseurs parmi les plus lucides et critiques de la postmodernité?
Nous sommes en 1968 à la faculté des lettres de Caen et le trio - mi-anar, mi-aristo ; mi-bohème, mi-intello - rêve d'en finir avec la France de papa. Le Goff et Yonnet ont été exclus de leurs «bahuts» respectifs pour avoir publié des écrits jugés provocateurs dans le bulletin de leur établissement. Gauchet, l'aîné de la bande, après deux ans à enseigner dans un collège de campagne, a pris une disponibilité pour entreprendre des études supérieures. L'entrée à l'université d'une grande ville est pour ces jeunes Normands issus d'un milieu modeste une aventure. Loin de l'ennui et du conformisme des villages de province encore marqués par le poids des traditions et de la religion catholique. Le campus, inauguré en 1957 et construit sur le modèle des universités anglo-saxonnes, symbolise l'aube d'une ère nouvelle.
C'est le temps des copains, de la révolte adolescente et de la rupture radicale avec le «vieux monde»
C'est le temps des copains, de la révolte adolescente et de la rupture radicale avec le «vieux monde». La «déconnante», les surprises-parties et les virées nocturnes rythment le quotidien des étudiants. La légèreté le dispute à l'esprit de sérieux. Au bar L'Équipe, avec son flipper et son baby-foot, ou à la Lorraine, réputée pour sa bière, on refait le monde autour d'un verre. On palabre pendant des heures autour de l'existentialisme de Sartre et du cinéma de Jean-Luc Godard. On écoute en boucleSympathy for the Devil. Yonnet et Le Goff préfèrent les Stones aux Beatles car «ils ont la rage». C'est cette rage désordonnée et sans but qui va conduire toute une génération à rejouer 1789.
À Caen, Mai 68 commence en janvier. C'est la visite d'Alain Peyrefitte qui provoque la mutinerie. Dans la cour d'honneur de l'université, le nouveau ministre de l'Éducation est accueilli par des jets d'œufs. «J'ai raté Peyrefitte de dix centimètres, mais je peux dire que j'ai presque fait mouche», raconte Gauchet. Le plan Fouchet, contre lequel l'Unef mène campagne, n'est qu'un prétexte. Les contestataires sont avant tout guidés par le goût de la transgression.
«Une forme de nihilisme»
Plus sérieuse et violente est la fronde des ouvriers de l'usine Saviem quelques jours plus tard. Dans la nuit du 26 au 27 janvier, la manifestation tourne à l'émeute avec barres de fer, bouteilles d'essence et boulons. Les vitrines du centre-ville sont brisées, les blessés se comptent par centaines. Le Goff se souvient avoir été, comme beaucoup d'étudiants, fasciné par l'insurrection des jeunes ouvriers et avoir projeté sur eux ses propres préoccupations. Comparativement, les débordements de mai seront moins spectaculaires. Le 10 mai, Le Goff, qui n'avait jamais participé à une manifestation, se retrouve à crier comme des milliers d'autres le fameux: «CRS = SS!». Cependant, Caen n'est pas le Quartier latin. Plus d'ouvriers, moins d'étudiants cravatés. Mai 68 est accueilli comme une «divine surprise». La France qui semblait endormie se réveille soudain. C'est dans ce bouillonnement que Gauchet, Le Goff et Yonnet se croisent pour la première fois.
Mai 68 est accueilli comme une «divine surprise». La France qui semblait endormie se réveille soudain. C'est dans ce bouillonnement que Gauchet, Le Goff et Yonnet se croisent pour la première fois
Ce n'est qu'à la rentrée que se scelle leur amitié. Marcel Gauchet a créé un petit groupe informel d'étudiants, rassemblés par un même goût pour les provocations. On y trouve Yonnet et Le Goff. Même s'il s'en défend humblement aujourd'hui, le futur rédacteur en chef du Débat apparaît d'emblée comme le «théoricien» du groupe. «C'était un maître à penser. Il avait une influence considérable sur les autres étudiants», analyse le sociologue Alain Caillé, professeur de sociologie à Caen à l'époque. Bagarreur, bientôt expert en arts martiaux, Le Goff est autant passionné par les idées que par l'action. Quant à Yonnet, il est l'un des principaux animateurs du Comité d'action de l'institut de sociologie. La petite bande «anarcho-situationniste» fait régner la pagaille dans la faculté des lettres, multipliant les interventions intempestives en plein milieu des cours. Gauchet, orateur, prend la parole pendant que les autres tracent des slogans sur les murs des amphithéâtres devant des profs médusés et des étudiants souvent admiratifs. «C'était un désordre sympathique et pas méchant: un mouvement insurrectionnel sans volonté de couper des têtes», se souvient-il amusé. Le Goff se montre plus sévère et regrette «un comportement indéfendable, une forme de nihilisme». Leur mentor intellectuel n'est autre que Claude Lefort qui a enseigné la sociologie à Caen de 1966 à 1971. À la fois marxiste et antistalinien, le fondateur, avec Cornelius Castoriadis, de Socialisme ou Barbarie, est un véritable défricheur de la pensée antitotalitaire. Sa conception non économiste de la société influencera durablement le trio.
Marcel Gauchet, Paul Yonnet et Jean-Pierre Le Goff. - Crédits photo : Vincent Boisot/Le Figaro, Jacques Sassier/Gallimard/Leemage, Jean-Christophe Marmara/Le Figaro
Au début des années 70, après le temps de l'utopie vient celui des lendemains qui déchantent. La révolution a échoué. Le trio se disperse. Gauchet multiplie les articles dans les revues et les petits boulots. Il lui faudra attendre 1977 pour que le grand historien François Furet le repère lors d'une conférence et l'embauche à l'École des hautes études de sciences sociales.
À l'âge de 22 ans, Yonnet tombe malade et est soigné pour une maladie de Hodgkin. Ce cancer qu'il parvient à vaincre une première fois lui fait comprendre que son temps est compté. Ce sentiment d'urgence lui permet de s'affranchir des conventions, de se débarrasser des faux-semblants, pour aller à l'essentiel: la recherche de la vérité. Il est le premier à pressentir que la révolte de Mai va déboucher sur un nouveau conformisme.
Retrouvailles au «Débat»
À l'inverse, Le Goff, dans une sorte de surenchère, n'en finit plus d'en découdre avec la police et l'ancien monde. Il abandonne ses études pour rejoindre un groupuscule marxiste-léniniste. Et part à la rencontre des mineurs et des métallos du Nord-Pas-de-Calais, logeant dans des caravanes et des appartements miteux sans chauffage. «Après 68, je ne pouvais plus faire de la philo comme avant. Je voulais mettre mes actes en cohérence avec mes idées», explique-t-il. Mais les théories de Marx ne correspondent pas à la réalité des ouvriers. Pour ces derniers, les Maos ne sont que des «fils à papa» ou des «casseurs privilégiés». Et la société de consommation, loin d'être vécue comme une aliénation, est, au contraire, ressentie comme un progrès, un mieux-être. «J'ai fait des enquêtes sur les logements ouvriers, il y avait des fissures partout, mais c'était toujours mieux que les corons.» Le Goff sait tirer les leçons de cette désillusion. Plus jamais il ne sera prisonnier d'une idéologie. Désormais, sa pensée découlera de l'observation du réel et non plus de théories abstraites. Il reprend ses études et se plonge dans l'œuvre des penseurs libéraux: Constant, Tocqueville et Aron, ou celle des antitotalitaires: Camus, Arendt et Orwell.
Pour les ouvriers, les Maos ne sont que des «fils à papa» ou des «casseurs privilégiés». Et la société de consommation, loin d'être vécue comme une aliénation, est, au contraire, ressentie comme un progrès, un mieux-être»
Les retrouvailles du trio ont lieu quelque temps plus tard, au début des années 1980, à Paris, avec la naissance duDébat , fondé par Pierre Nora, dont Marcel Gauchet devient rédacteur en chef. Dès le premier numéro, la revue marque une rupture avec Michel Foucault et ses thèses structuralistes. S'il faut déconstruire un mythe, c'est celui de Mai 68. Gauchet, Yonnet et Le Goff ont pour point commun d'être des francs-tireurs. Loin du «pot d'araignées» parisien et universitaire, ils ont puisé leurs analyses dans l'expérience de la vie. Spécialiste du rock et du sport, Yonnet va au concert et pratique jogging et alpinisme. Chacun d'entre eux va opérer à sa manière une relecture critique des événements de Mai et de leurs conséquences. En 1989, à l'heure de la reconversion d'anciens gauchistes au sein du PS et du mitterrandisme triomphant, Gauchet, dans La Révolution des droits de l'homme (1989), met en garde contre l'extension à l'infini des droits individuels qui pousse à la guerre du tous contre tous. Pour lui, la révolution soixante-huitarde a débouché sur un individualisme radical et fait exploser les repères traditionnels (famille, Église, nation).
Dans Voyage au centre du malaise français (1993), Paul Yonnet voit le nouvel antiracisme incarné par SOS racisme et le rejet du «roman national»comme l'aboutissement d'une évolution armée par la «génération 1968». Celle-ci conduira, selon lui, tôt ou tard, à transformer la société française en nouvelle tour de Babel. «Visionnaire», il souligne le paradoxe à vouloir éteindre le racisme en exacerbant les identités. Avec Mai 68, l'héritage impossible (1998), Le Goff montre la rupture générationnelle qu'a constituée Mai 68 et fustige le gauchisme culturel et l'idéologie managériale qui a découlé de l'injonction à l'autonomie soixante-huitarde.
L'épreuve de la «mort sociale» 
Pour leur ancien professeur Alain Caillé, «ils ont basculé d'une position très à gauche à une position plus libérale, voire carrément à droite». Ce n'est pas l'avis de Michel Onfray qui loue au contraire la cohérence de leur trajectoire idéologique: «De la même manière qu'ils refusaient la dictature du marxisme soviétique il y a un demi-siècle, ils refusent aujourd'hui la “dictature” du libéralisme étatique qui compose avec tout ce qui décompose l'ancien monde», analyse le fondateur de l'Université populaire de Caen. «La vérité et la morale n'appartiennent pas à un camp intellectuel. Un intellectuel qui se demande s'il est de gauche ou de droite lorsqu'il travaille sur un sujet n'est pas un intellectuel libre», résume Jean-Pierre Le Goff.
Paul Yonnet a payé son intégrité au prix fort. Pour avoir prédit, bien avant les tragiques années 2015-2016 et leur cortège d'attentats sanglants, une décomposition identitaire aux effets délétères, il devient la première cible de la chasse aux «réacs» qui devait miner la vie intellectuelle française jusqu'à aujourd'hui. Accusé par Laurent Joffrin d'être «l'allié objectif de Le Pen», il connaît l'épreuve de la «mort sociale». Les sujets de son essai polémique lui sont désormais interdits. Il se réfugie dans la littérature. Son cancer le rattrape et Yonnet commence sa descente aux enfers. Dans son livre testament, Zone de mort (Stock), paru de manière posthume l'année dernière, il raconte son chemin vers l'abîme qui croise celui d'une France en voie de désintégration. Ce voyage au bout de la nuit intime et bouleversant fait écho à son Voyage au centre du malaise français. Comme le note Jean-Pierre Le Goff dans la préface, ce dernier livre est aussi un ultime «coup de poing contre le nouveau monde aseptisé, l'envers du décor de l'optimisme enjoué des bien-pensants de la postmodernité».
La mort de Yonnet en 2011 vient mettre fin à un compagnonnage amical et intellectuel de quatre décennies. L'école de Caen est orpheline. Selon ses dernières volontés, le repenti de 68, l'éternel révolté, est inhumé au cimetière d'Agon-Coutainville. Dans le village de son enfance, après une cérémonie religieuse à l'église. Sur sa tombe, figurent ces deux mots en latin «Gaudium veritatis»: La joie de la vérité…

La rédaction vous conseille :

GAFA: le projet européen de taxation des géants du web divise (21.03.2018)
Par AFP agence et Le figaro.frPublié le 21/03/2018 à 17h13
L'exécutif européen propose de taxer à 3% les revenus générés par l'exploitation des activités numériques. Les États-Unis ont déjà prévenu, ils s'opposeront fermement aux manœuvres initiées, quels que soient les pays dont elles émanent.
L'UE passe à l'offensive. Ce mercredi, la Commission européenne a dévoilé son projet pour mieux taxer les titans du numérique, communément désignés sous l'appellation GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Sur fond de menace de guerre de l'acier entre les États-Unis et l'Europe, le projet européen préconise notamment de taxer le chiffre d'affaires des géants du net, dont les quatre principaux représentants sont américains. «Nos règles mises en place avant l'existence d'internet ne permettent pas (...) d'imposer les entreprises numériques opérant en Europe», a martelé le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, pointant un «trou noir» fiscal «qui s'agrandit toujours plus», lors d'une conférence de presse mercredi à Bruxelles. La taxation des GAFA est un dossier ardemment défendu par le président français Emmanuel Macron.
Considéré comme prioritaire, le projet de la Commission européenne est au menu, jeudi soir, du sommet européen des chefs d'État et de gouvernement de l'UE à Bruxelles. Dans un premier temps, l'exécutif européen préconise de taxer à 3% les revenus (et non les bénéfices, comme le veut l'usage) générés par l'exploitation d'activités numériques. Cette taxe ne visera que les groupes dont le chiffre d'affaires annuel mondial dépasse 750 millions d'euros, et dont les revenus dans l'UE excèdent 50 millions d'euros. En clair, les petites start-up européennes, qui peinent déjà à rivaliser avec les mastodontes américains, ne seront pas concernées par cet impôt indirect.
Dans le collimateur de la Commission, les recettes publicitaires des groupes tirées des données de leurs utilisateurs (le modèle de Facebook, Google ou Twitter), ou les revenus provenant de la mise en relation d'internautes pour un service donné (comme pour Airbnb ou Uber). En revanche, les entreprises dont le «business model» repose sur les abonnements, comme Netflix, ne seront pas touchées, ni celles qui gagnent de l'argent grâce au commerce électronique, du type Amazon. Au total, entre 120 et 150 entreprises devraient être affectées par ce nouvel impôt: la moitié seront américaines, un bon tiers européennes et les autres, asiatiques, essentiellement chinoises, précise-t-on à la Commission. Cette taxe pourrait rapporter environ 5 milliards d'euros par an.
Pas une mesure antiaméricaine
«Il ne s'agit pas de taxer uniquement les GAFA ou les entreprises américaines», avait assuré Pierre Moscovici dans un entretien au Figaromardi. Il n'empêche, avant même que Bruxelles ne dévoile ses projets, le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, avait lancé vendredi cette mise en garde: «Les États-Unis s'opposent fermement aux propositions de quelque pays que ce soit de cibler les compagnies numériques» par une taxation spéciale. Outre cette mesure «ciblée», Pierre Moscovici a proposé une réforme de fond des règles relatives à l'imposition des sociétés, qui prendrait le relais de la première proposition de «court terme».
Celle-ci permettrait aux pays de l'UE de taxer les bénéfices qui sont réalisés sur leur territoire, même si une entreprise n'y est pas présente physiquement. Il s'agit d'établir un standard européen définissant la présence numérique des sociétés, pour mieux les imposer. Et ce à l'aide de trois critères: revenus, nombre d'utilisateurs et contrats (publicitaires par exemple) signés avec une autre entreprise.
Pour la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni (les cinq membres du G20 appartenant à l'UE), les choses ne vont pas assez vite au niveau international. Ils poussent donc pour une solution d'abord européenne, afin de donner l'exemple au reste du monde. Reste à savoir si ces grands pays de l'UE parviendront à convaincre les plus petits États tels que l'Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg, connus pour leur fiscalité bénéfique vis-à-vis des entreprises étrangères. Car dans l'Union, toute réforme sur la fiscalité requiert l'unanimité.
L'Irlande, qui a réussi à attirer le siège européen de Facebook avec ses taux d'imposition avantageux, ou le Luxembourg, pays d'accueil d'Amazon, plaident quant à eux pour privilégier une solution internationale, coordonnée par l'OCDE... De quoi gagner du temps.
La rédaction vous conseille :

Facebook : le géant du numérique tombe de son piédestal (21.03.2018)
Par Lucie Ronfaut et Caroline SalléMis à jour le 22/03/2018 à 18h48 | Publié le 21/03/2018 à 20h14
RÉCIT - Embourbé dans l'affaire Cambridge Analytica, le réseau social traverse l'une des plus graves crises de son histoire. Dans le collimateur, son patron-fondateur, Mark Zuckerberg, s'est exprimé mercredi, reconnaissant «des erreurs».
Après plusieurs jours de silence, Mark Zuckerberg a enfin pris la parole. «Nous avons la responsabilité de protéger vos données. Quand nous le faisons mal, nous ne méritons pas de vous servir», a expliqué le PDG via, évidemment, un statut Facebook. «J'ai débuté Facebook, et je suis responsable de ce qui se passe sur cette plateforme. Je prends cette responsabilité très au sérieux. Même si le problème spécifique avec Cambridge Analytica ne peut pas se reproduire aujourd'hui[du fait de nouvelles règles dans les applications, NLDR], cela n'efface pas le passé.» Le PDG de Facebook en a profité pour annoncer un audit de sécurité de toutes applications «avec des activités suspicieuses». Les développeurs verront aussi leurs droits restreints, notamment dans l'exploitation des données d'utilisateurs sur le long-terme. Mercredi soir, dans une interview sur la chaîne CNN, Mark Zuckerberg a également indiqué qu'il «serait heureux» de venir témoigner devant le Congrès américain.
Malgré ces explications, Mark Zuckerberg n'est pas encore tiré d'affaires. Son carnet de bal risque fort d'afficher complet dans les prochaines semaines. Le fondateur de Facebook croule sous les invitations. Depuis les révélations autour de l'affaire Cambridge Analytica, une société britannique accusée d'avoir collecté sans leur consentement les données de 50 millions d'utilisateurs de Facebook au profit de la campagne présidentielle de Donald Trump, tout le monde convoque le jeune patron star de la Silicon Valley.
Coup sur coup, cette semaine, celui qui dirige le réseau social le plus puissant du monde a été convoqué à Londres par une commission parlementaire britannique, sommé de s'expliquer devant le Parlement européen à Bruxelles et fortement incité à témoigner devant le Congrès des États-Unis. Preuve que le dossier est pris très au sérieux, Facebook se retrouve sous le coup de plusieurs enquêtes diligentées par les autorités américaines. Des actions de groupe en justice ont déjà été déposées au nom de citoyens et d'actionnaires. À croire que Mark Zuckerberg, hier idole des jeunes et de la tech, est devenu l'ennemi public numéro un.

Subitement, Facebook a déboulé dans l'arène politique. Il est devenu aux yeux des élus une arme de désinformation massive pouvant nuire gravement à la démocratie. - Crédits photo : Dado Ruvic/REUTERS
Plus qu'une simple averse passagère, il faut voir dans le tumulte actuel les prémices d'un orage durable. Si la tension vient subitement de monter, elle était en réalité palpable depuis plusieurs mois. La campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis, encore elle, a fait figure d'élément déclencheur. L'ingérence de la Russie et la diffusion à grande échelle de fake news, en faveur de Donald Trump, ont amené à une prise de conscience brutale. Jusqu'ici, Facebook, Twitter, YouTube n'étaient rien d'autres que de simples gadgets technologiques destinés à divertir ou converser entre amis. Subitement, Facebook a déboulé dans l'arène politique. Il est devenu aux yeux des élus une arme de désinformation massive pouvant nuire gravement à la démocratie. «C'est lorsque Facebook a commencé à impacter la sphère publique et politique que les choses se sont mises à coincer. Dès lors, le politique est remonté au créneau. Il est en train de siffler la fin de la récréation», analyse Louis Morales-Chanard, directeur de la stratégie de Blue 449 (Publicis).
En novembre 2017, le Congrès américain avait décidé d'auditionner les grands patrons de ces fleurons de la tech. Au lieu de faire le déplacement, tous ont envoyé leurs seconds couteaux, qui n'ont nullement fait acte de contrition. La sénatrice démocrate Dianne Feinstein s'est alors fendue d'un premier coup de semonce. «Vous avez un énorme problème entre les mains. (…) Vous avez créé ces plateformes, elles sont détournées de leur but. C'est à vous de les réparer! Si vous n'agissez pas, nous nous en chargerons.» À bon entendeur…
Pour montrer qu'il n'avait pas fait la sourde oreille, Mark Zuckerberg annonçait en janvier que son défi pour 2018 consisterait à «réparer Facebook»… Ce qui n'a pas empêché les instances politiques de durcir le ton ces derniers jours, aux États-Unis comme en Europe. La crise des fake news comme les révélations sur la fuite des données dans l'affaire Cambridge le démontrent: «Facebook n'a qu'un contrôle partiel de son immense pouvoir», résume un expert du secteur. En somme, la machine infernale serait en train d'échapper à son créateur.
La brèche est ouverte
La critique ne porte plus seulement sur le détournement du réseau social à des fins de propagande. Mais aussi sur son influence grandissante, son recours un peu trop systématique à l'évasion fiscale et son poids économique gigantesque. Facebook affichait la semaine dernière une valorisation de près de 540 milliards de dollars, soit 50 milliards de plus que le PIB de la Belgique. Son modèle économique, l'exploitation des données personnelles à des fins publicitaires, est critiqué, bien qu'il soit extrêmement lucratif et copié par beaucoup d'autres.
C'est d'ailleurs toute la difficulté de l'affaire Cambridge Analytica: les données ont été récupérées d'une manière classique, grâce à une API, un programme pour que des entreprises et des chercheurs exploitent, légalement, les informations des utilisateurs. Cambridge Analytica et Facebook affirment tous les deux avoir été trompés. Reste la découverte choquante, pour beaucoup, l'exploitation des données personnelles à l'insu de leurs propriétaires, y compris à des fins politiques.
«Vous avez un énorme problème entre les mains. Vous avez créé ces plateformes, elles sont détournées de leur but. C'est à vous de les réparer. Si vous n'agissez pas, nous nous en chargerons»
Dianne Feinstein, sénatrice américaine
La brèche, ouverte par la sphère politique, est en train d'être creusée par les marchés financiers. Depuis le début de la semaine, la valorisation boursière de Facebook a perdu 60 milliards de dollars à Wall Street. Les investisseurs craignent une régulation plus contraignante, voire une fuite des annonceurs et des utilisateurs, déjà échaudés par des polémiques à répétition autour de la modération des contenus. Même dans la Silicon Valley, le berceau de Facebook, des voix s'élèvent contre ses dérives. Les critiques les plus audibles sont celles provenant des anciens employés du réseau social. Mercredi, Brian Acton, cofondateur de l'application WhatsApp, rachetée par le réseau social en 2014, a appelé à la suppression de Facebook. Il n'est pas le premier.
Justin Rosenstein, un ingénieur qui a participé au développement du bouton «J'aime», a critiqué le «pseudo-plaisir» provoqué par sa propre invention. Un mois plus tard, Sean Parker, ancien président de Facebook, a avoué qu'il n'avait pas prévu «les conséquences d'un réseau, lorsqu'il grandit à 2 milliards d'utilisateurs (…). Seul Dieu peut savoir ses conséquences sur le cerveau de nos enfants».
En décembre, Chamath Palihapitiya, ancien vice-président du réseau social, a carrément fait part de son «immense culpabilité». «Nous avons créé des outils qui déchirent le réseau social», a-t-il avoué. Ces dernières déclarations, très médiatisées, ont finalement poussé Facebook à réagir. «Chamath a quitté Facebook il y a plus de six ans, s'est défendue l'entreprise. À l'époque, c'était une entreprise différente.»
Malgré ces attaques, rien ne semble atteindre la toute-puissance de Facebook. Le réseau social compte plus de 2 milliards d'utilisateurs actifs mensuels, dont 66 % s'y connectent tous les jours. Il possède une galaxie de filiales, elles aussi très populaires: Messenger (1,3 milliard d'utilisateurs actifs par mois), WhatsApp (1,5 milliard) et Instagram (800 millions). Le réseau social détient enfin l'entreprise Oculus, spécialisée dans la réalité virtuelle. Beaucoup de personnes utilisent les services de Facebook. Mais, de plus en plus, elles s'en inquiètent.
Beaucoup de personnes utilisent les services de Facebook. Mais, de plus en plus, elles s'en inquiètent
Près de 20 % des Américains pensent que le réseau social a un impact «très négatif» ou «négatif» sur la société, d'après une étude publiée par le site The Verge. C'est presque autant que Twitter, mais plus que pour Apple, Google ou Microsoft. Dans la même étude, ils sont pourtant 70 % à «aimer» les produits de Facebook. Les internautes sont confrontés à un paradoxe. Ils apprécient le réseau social car il est pratique pour rester en contact avec leurs proches. Mais ils en ont découvert les effets négatifs. Ils lui ont cédé volontairement des bouts de leur vie privée, sans avoir conscience de la manière dont ils pouvaient être exploités. Le modèle économique de Facebook n'est pas nouveau. La prise de conscience générale sur son étendue et ses conséquences, elle, débute à peine.
Facebook est attentif à ces inquiétudes. Il met régulièrement en avant ses paramètres de confidentialité qui permettent de contrôler, jusqu'à un certain point, l'exploitation des données personnelles. Fin 2017, une équipe de chercheurs employée par le réseau social a même publié un long article portant sur les effets néfastes des réseaux sociaux. Dans un curieux exercice d'équilibriste, ils y admettent que «la consommation passive d'informations» peut rendre les utilisateurs malheureux, mais qu'«interagir avec d'autres personnes est lié à l'amélioration du bien-être».

Le message est en phase avec les intérêts de Facebook, qui observe depuis des années une baisse du partage des contenus personnels de ses utilisateurs. Les internautes parlent moins de leur vie sur le réseau social. C'est une mauvaise nouvelle pour lui, car son modèle économique repose sur l'attention et l'engagement. Depuis le début de l'année, Facebook met plus en avant les contenus provenant d'amis ou de groupes personnels dans le fil d'actualité.
«Nous voulons que les internautes utilisent bien leur temps sur Facebook», a assuré Mark Zuckerberg. Les mots ne sont pas innocents. «Time well spent», en anglais, est aussi le nom d'une organisation luttant contre l'addiction aux nouvelles technologies, fondée par un ancien employé de Google.
Maître de sa communication, Mark Zuckerberg s'est même réjoui que le temps moyen passé sur Facebook ait chuté de 5 % au quatrième trimestre 2017. La baisse est modeste: deux minutes par jour par utilisateur. Elle permet pourtant à Facebook de s'affirmer comme une entreprise humble, préférant privilégier la qualité à la quantité. Néanmoins, il y a d'autres chiffres dont le réseau social ne parle pas. Sa population vieillit. Pour la première fois en 2018, Facebook devrait perdre des utilisateurs aux États-Unis. Près de deux millions d'internautes américains de moins de 24 ans vont quitter le réseau social cette année, d'après les estimations du cabinet eMarketer. Facebook cherche à séduire ces jeunes, notamment avec Instagram ou Messenger. De peur qu'ils ne partent utiliser d'autres réseaux sociaux concurrents. Ou, pire, qu'ils n'en utilisent aucun.

Mark Zuckerberg s'excuse et défend Facebook (22.03.2018)
Par Lucie Ronfaut
Mis à jour le 22/03/2018 à 19h20 | Publié le 22/03/2018 à 18h09
Le PDG a pris la parole pour la première fois depuis le début de la crise.
Mark Zuckerberg n'emploie pas le mot «désolé» à la légère. D'ailleurs, on ne le trouve pas dans le message publié mercredi soir sur le compte personnel du PDG de Facebook, sa première réaction au scandale Cambridge Analytica. «Notre responsabilité est de protéger vos données, et si nous échouons nous ne méritons pas de vous servir», y écrit le dirigeant. Quelques heures plus tard, Mark Zuckerberg, habituellement très discret dans les médias, a accordé pas moins de quatre interviews: au New York Times, à CNN, au magazine Wiredet au site spécialisé Recode. Là, le PDG de Facebook s'est montré plus contrit. «Ce qui s'est passé a affecté la confiance de nos utilisateurs et j'en suis vraiment désolé», a-t-il expliqué au micro de CNN.«Nous avons déçu notre communauté et je me sens mal», a-t-il ajouté chez Recode.
À l'origine de ces excuses, un scandale vieux de deux ans, mais qui a éclaté au grand jour le week-end dernier. La société britannique Cambridge Analytica est accusée d'avoir exploité illégalement les données d'au moins 50 millions d'utilisateurs de Facebook dans le monde. Ces informations avaient été recueillies à des fins de recherches universitaires, au travers d'un test de personnalité. Facebook, alerté de cette affaire en 2015, s'est contenté de demander à Cambridge Analytica de supprimer les données, sans vérifier que cela avait été bien fait. Or, d'après plusieurs médias, elles ont été conservées par la société britannique. Cette dernière est soupçonnée de les avoir exploitées lors de l'élection présidentielle américaine, durant laquelle elle a travaillé pour les candidats Ted Cruz et Donald Trump.
Modèle économique
Face à l'ampleur du scandale, Mark Zuckerberg a annoncé une série de mesures. Facebook va organiser un vaste audit de sécurité pour des «milliers» d'applications «avec des activités suspicieuses» ayant eu accès aux données d'utilisateurs avant 2015, date d'un changement de confidentialité du réseau social. Les développeurs verront aussi leurs droits restreints, notamment dans l'exploitation des données d'utilisateurs sur le long terme. Une application qui n'a pas été utilisée par un internaute après trois mois n'aura plus accès à ses données. Enfin, Facebook va mettre plus en évidence des options permettant de contrôle les services tiers qui exploitent certaines informations personnelles. Même si Mark Zuckerberg s'excuse, il n'en garde pas moins en tête les intérêts de son entreprise. Le PDG se dit ainsi favorable à une plus grande régulation législative. Il se garde bien, néanmoins, de donner des idées précises, se contentant de mettre en avant les efforts de Facebook pour rendre plus transparents les achats de publicité.
«Notre responsabilité est de protéger vos données et, si nous échouons nous ne méritons pas de vous servir»Mark Zuckerberg, PDG de Facebook
Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook
Plus étonnant, Mark Zuckerberg suggère dans ses différentes interviews que le public réclame que ses données soient enfermées au sein du réseau social. «Je pense qu'à nos débuts nous avions cette vision idéale: la portabilité des données nous permettrait d'avoir de nouvelles expériences, explique le dirigeant à Wired. Au final, je pense que nos utilisateurs estiment qu'un accès restreint à leurs données est plus important que le fait de pouvoir les transporter dans d'autres services.» La portabilité des données est pourtant le cheval de bataille de nombreux défenseurs des libertés en ligne, qui y voient la garantie pour que des utilisateurs puissent quitter facilement Facebook pour d'autres services. Il est aussi l'un des objets du RGPD, le règlement européen de la protection des données en Europe, qui doit entrer en vigueur le 25 mai. Mark Zuckerberg n'a pas fini de s'excuser.

La rédaction vous conseille :

Égypte : Moussa, un opposant très discret (22.03.2018)

Par Jenna Le Bras
Mis à jour le 22/03/2018 à 20h57 | Publié le 22/03/2018 à 18h34
Unique candidat face au président sortant lors des élections du 26 mars, Moussa Mostafa Moussa est un ancien soutien d'al-Sissi.
Le Caire
De son propre aveu, sa candidature a pris de court ses proches: «Tout le monde était choqué dans mon parti, même ma famille!» plaisante Moussa Mostafa Moussa. Seul opposant au président sortant, Abdel Fatah al-Sissi, lors de l'élection présidentielle qui se tiendra du 26 au 28 mars prochain en Égypte, il raconte que son équipe «a terminé les papiers deux heures avant la clôture. On a couru partout!»
En atteste une photographie, prise quelques minutes avant la fermeture du bureau de dépôts des candidatures, montrant l'un de ses assistants engagé dans une course folle dans les rues du Caire pour arriver à temps à la commission électorale pour déposer son dossier.
Car, avant cette vocation présidentielle épiphanique, l'architecte et homme d'affaires de 66 ans, diplômé de l'école de Versailles et président du parti centriste et libéral al-Ghad, mettait surtout son énergie dans le soutien à la campagne du président al-Sissi pour sa réélection.
Sa page Facebook est encore illustrée des slogans de campagne du président sortant
Le revirement a été si soudain qu'il n'a d'ailleurs pas eu le temps de changer la bannière de sa page Facebook, encore illustrée des slogans de campagne de l'ex-maréchal, après l'annonce de sa candidature. «On se préparait depuis dix-huit mois, se défend-il pourtant. J'ai un programme ; sans ça, je n'y serais pas allé.» Sa feuille de route, tournée vers l'économie et baptisée «capitalisme national», promet de poursuivre les grands projets qui ont participé à la popularité d'Abdel Fatah al-Sissi en accélérant toutefois les cadences de réalisations pour en obtenir des bénéfices plus rapidement, grâce notamment à la mise en place d'un système d'actionnariat populaire.
Dans ses bureaux de campagne, situés en plein centre-ville du Caire, l'homme assure d'ailleurs s'être concerté avec plusieurs partis politiques «et le président lui-même, pour leur exposer ses idées et la manière de s'organiser», il y a un an et demi. Mais, face à l'intention de l'ancien ministre Ahmed Chafik de se porter candidat en novembre dernier, le politicien aurait décidé de se retirer.
«Le référendum n'est pas souhaitable dans le contexte actuel, ce n'est pas bon pour notre image, j'ai donc décidé de reprendre la course présidentielle»
Moussa Mostafa Moussa
«Il y avait deux grands pôles d'influence, je ne souhaitais pas que ma candidature fragmente les votes», explique-t-il. En début d'année, une vague d'arrestations et de défections de tous les candidats challengers laisse pourtant le président sortant seul candidat de ce scrutin.
«Le référendum n'est pas souhaitable dans le contexte actuel, ce n'est pas bon pour notre image, j'ai donc décidé de reprendre la course présidentielle», explique Moussa Mostafa Moussa, se défendant de toute collusion. «C'est vrai, j'ai toujours soutenu le président. Ça ne veut pas dire que je ne peux pas être en compétition avec lui aujourd'hui. Nous ne sommes pas ennemis, je l'ai soutenu au maximum jusqu'au bout, mais, quand j'ai vu qu'il n'y avait personne face à lui, je me suis dit qu'il fallait que j'entre dans la course. C'est mon devoir patriotique de participer à cette élection, il faut jouer le jeu démocratique», assène-t-il.
«Je ne veux pas des votes des anti-Sissi»
Face à une élection qualifiée de référendum déguisé par un certain nombre d'observateurs, celui qui est présenté comme un candidat «fantoche» par les détracteurs de Sissi assure que les pressions et menaces dénoncées par certains candidats écartés sont orchestrées par les Frères musulmans et des agents de l'étranger pour «décrédibiliser cette élection». Il précise aussi: «Si on me demandait d'être un faire-valoir, je refuserais. Je me respecte, je connais ma vision pour mon pays, donc personne ne peut me téléguider.»
Moussa Mostafa Moussa admet néanmoins que la victoire sera difficile. «J'ai en face de moi un président avec beaucoup de réalisations, énormément de soutiens, qui est connu. Moi, les gens ne me connaissent pas, donc j'ai un impact limité.»
Il insiste toutefois: «Je ne veux pas des votes qui ont pour but de pénaliser al-Sissi, je ne veux pas des votes des anti-Sissi, je ne veux pas des votes des Frères musulmans, ce sont mes ennemis, et je ne veux pas des votes des gens qui sont contre le système démocratique du pays, qui veulent briser le système militaire ou le président», en précisant d'ailleurs que lui apporter son soutien «ne veut pas dire être contre le gouvernement actuel».
Si la commission électorale égyptienne a assuré que le scrutin serait honnête et transparent, quatorze organisations de défense des droits humains ont déjà qualifié l'élection de «ni libre ni équitable».

La rédaction vous conseille :
Allemagne : perpétuité pour le réfugié meurtrier (22.03.2018)

Par Nicolas Barotte
Mis à jour le 22/03/2018 à 21h31 | Publié le 22/03/2018 à 18h39
Le meurtre d'une étudiante par un jeune Iranien à Fribourg fin 2016 avait suscité l'émoi et nourri les doutes sur la politique d'asile.
L'histoire appartient au versant noir de la politique d'asile. À la fin de l'année 2016, le meurtre de Maria Ladenburger par un demandeur d'asile avait définitivement fait douter l'Allemagne de sa politique en faveur des réfugiés. Jeudi, le tribunal de Fribourg a condamné Hussein Khavari à la peine maximale, la perpétuité, comme si la justice allemande voulait signifier qu'elle n'aurait aucune indulgence envers ceux qui abusent de l'accueil dont ils ont bénéficié. «C'est un criminel qui comparait, pas une politique d'asile», avait pourtant averti, durant le procès, le procureur, Eckart Berger.
«C'est un criminel qui comparait, pas une politique d'asile»
Le procureur, Eckart Berger
Cette nuit du 15 au 16 octobre 2016, à Fribourg, Maria revient à vélo d'une soirée étudiante. La jeune femme de 19 ans croise le chemin d'Hussein, qui vit en tant que «mineur réfugié» dans une famille d'accueil non loin. Pour minimiser son acte, le jeune homme a déclaré qu'il était alors sous l'emprise de l'alcool et qu'il a été pris «d'une pulsion». Il agresse Maria, l'étrangle, la viole et la laisse inconsciente dans la rivière en contrebas du chemin. Elle meurt en se noyant. Les faits sont «extrêmement graves», a souligné la juge Kathrin Schenk en n'accordant aucune circonstance atténuante à l'accusé, pas même son âge sur lequel il avait menti. Hussein Khavari «s'est comporté de manière très méthodique et il n'a pas agi sous le coup d'émotions», a-t-elle notifié en rendant son jugement. Il a décidé de faire appel.
Fin 2016, l'extrême droite s'était emparée du fait divers. Hussein incarne à la perfection tout ce que les opposants à la politique d'asile d'Angela Merkel peuvent dénoncer. Le jeune homme est arrivé en Allemagne en novembre 2015, au plus fort de la crise. Il a traversé la frontière avec l'Autriche sans papiers. Devant les services débordés de l'Office des migrations, il a prétendu avoir 16 ans pour bénéficier du traitement plus favorable réservé aux mineurs non accompagnés. Les inspecteurs ont déterminé qu'il avait au moins 21 ans. Ils ont aussi mis en doute sa nationalité. En se déclarant Afghan et non Iranien, il avait encore augmenté ses chances d'obtenir un titre de séjour.
Un garçon «calme et aimable»
En réalité, il n'aurait jamais dû atteindre Fribourg. En octobre 2015, Hussein venait de sortir de prison en Grèce. Il y avait été condamné en 2014 à dix ans de réclusion. En mai 2013, quatre mois après son arrivée en Europe, le jeune homme avait tenté d'assassiner une étudiante en la poussant du haut d'une falaise à Corfou. Elle avait survécu miraculeusement. Face à la police grecque, il n'avait pas semblé comprendre la gravité de ses actes: «Ce n'est qu'une femme!», aurait-il dit. Malgré son profil, il est libéré pour bonne conduite. Il a aussi profité d'une mesure d'amnistie visant à soulager les prisons grecques surpeuplées.
En mai 2013, quatre mois après son arrivée en Europe, le jeune homme avait tenté d'assassiner une étudiante en la poussant du haut d'une falaise à Corfou
Hussein poursuit son périple. Sa demande d'asile a été rejetée en Grèce, mais il n'a aucune difficulté à disparaître des écrans radars et à traverser les frontières européennes. Il dépose une demande d'asile en février 2016 à Fribourg. Discret, il passe pour un garçon «calme et aimable», selon les mots de ses tuteurs. Il ne travaille pas, s'ennuie probablement. Quelques jours après le meurtre de Maria, il a participé à une fête «des cultures du monde». Incarcéré après son arrestation, il a tenté de se suicider.

La rédaction vous conseille :
Correspondant du Figaro à Berlin
Ses derniers articles

Sans majorité absolue, le Parlement italien se réunit pour élire ses présidents (23.03.2018)
Par Guillaume Descours et AFP agencePublié le 23/03/2018 à 08h44
Le nom du président du Sénat pourrait être connu samedi. Pour la Chambre des députés, il devrait être annoncé la semaine prochaine, un élu devant obtenir une majorité absolue. Les tractations entre le Mouvement 5 étoiles, la coalition de droite-extrême droite ou encore le parti démocrate devraient être mouvementées.
Le Parlement italien se réunit ce vendredi, première convocation en date alors que les députés et sénateurs doivent élire les nouveaux présidents des deux chambres, après les élections législatives du 4 mars qui n'ont pas dégagé de majorité absolue. Les sénateurs sont convoqués à 10H30 et les députés à 11H. Cependant, à moins d'hypothétiques accords dès les premiers tours, le président du Sénat devrait être désigné samedi et celui de la Chambre des députés pourrait devoir attendre la semaine prochaine.
Le règlement du Sénat prévoit deux votes par jour avec des majorités requises qui s'abaissent progressivement jusqu'à un quatrième tour - probablement samedi après-midi - pour départager les deux candidats arrivés en tête au troisième tour. À la Chambre des députés, il faudra voter jusqu'à ce qu'un élu obtienne la majorité absolue.
Après le scrutin de mars, la coalition de droite-extrême droite, en tête avec 37% des voix, et le Mouvement 5 Étoiles (M5S), premier parti du pays avec 33%, ont revendiqué tous deux la victoire sans qu'aucune force ne dispose d'une majorité lui permettant de gouverner. Même s'il reste encore une poignée de sièges à attribuer, la coalition de droite compte 260 députés et le M5S 229 alors que la majorité absolue à la chambre basse est de 316. Au Sénat, où celle-ci est de 159 sièges, la coalition de droite a 135 élus et le M5S 112. «Le scrutin du 4 mars a accouché d'un Parlement composé de minorités», a expliqué le Corriere della Sera , estimant que les forces politiques auront besoin d'«un bain d'humilité politique» pour sortir de l'impasse.
Ces tractations politiques pour choisir les présidents des deux chambres ne devraient cependant être qu'un échauffement avant celles qui conduiront à la formation d'un gouvernement. Le président de la République, Sergio Mattarella, doit entamer ses consultations début avril.
Le Sénat pour la coalition de droite?
En attendant, un équilibre a semblé se dessiner dans la semaine pour les présidences du Parlement: la Chambre des députés pour le M5S, le Sénat pour la coalition de droite. Mais la lutte est rude, y compris au sein de cette coalition, où Forza Italia (FI), le parti de Silvio Berlusconi qui a dominé la droite italienne pendant 25 ans, n'a obtenu que 14% des voix, contre 17% pour la Ligue de Matteo Salvini (extrême droite).
À contrecœur, le milliardaire s'est rangé derrière son jeune allié dans la course pour diriger le gouvernement, tout en exigeant la présidence d'une chambre, plus particulièrement le Sénat pour son ancien ministre de l'Économie Paolo Romani. «Nous ne pouvons pas voter pour lui», a répliqué Luigi Di Maio, chef de file du M5S, opposé à l'élection de toute personne condamnée par la justice. Paolo Romani a en effet écopé de 16 mois de prison avec sursis, peine confirmée en appel en octobre, pour avoir laissé sa fille de 15 ans cumuler 12.000 euros de facture en un an sur son téléphone de fonction de conseiller municipal de Monza, près de Milan, en 2011.
Le Parti démocrate (PD, centre gauche), sorti laminé du scrutin avec moins de 20% des voix mais potentiel arbitre avec ses 108 députés et 53 sénateurs, refuse pour l'instant de servir de «béquille» à qui que ce soit. Boudé par le PD, le M5S rechigne à discuter avec Silvio Berlusconi, qu'il accuse depuis des années d'une grande partie des maux de l'Italie, mais ne peut pas se permettre de couper tous les ponts avec la coalition de droite sous peine de se retrouver isolé au Parlement. Autre complication pour les états-majors: les votes sont secrets, et il est déjà arrivé que les troupes se rebellent, parfois même en nombre, contre les consignes.
La rédaction vous conseille :

Les dossiers secrets du KGB sur la mort d'Adolf Hitler (23.03.2018)

Par Jean-Louis Tremblais
Publié le 23/03/2018 à 06h00
Après deux ans de négociations, Jean-Christophe Brisard a pu accéder à ces documents classés sur la mort d'Adolf Hitler et mener sa contre-enquête.
Le 30 avril 1945, à Berlin, Adolf Hitler se suicide avec Eva Braun (devenue Mme Hitler la veille) dans son bunker et leurs corps sont brûlés dans les jardins de la chancellerie. Telle est la version officielle: affaire classée. Sauf que, contrairement à ceux des époux Goebbels, leurs cadavres n'ont jamais été retrouvés, photographiés, authentifiés. De quoi alimenter fantasmes et rumeurs sur une fuite éventuelle. Pendant cinquante-cinq ans, on ne saura rien de plus. Les seuls à détenir une parcelle de vérité sont les Russes, entrés les premiers dans la capitale du Reich. Or, ils ne lâchent rien, même après la chute de l'URSS. Sujet tabou. Il faudra attendre l'an 2000 pour que Moscou daigne ouvrir ses archives. Lors de l'exposition «Agonie du IIIe Reich. Le châtiment», devant la presse internationale, on exhibe un fragment crânien, calciné et troué d'une balle. Celui de Hitler, affirme le directeur de l'événement, en reconnaissant qu'aucun test ADN n'a été effectué! Insuffisant pour convaincre. De quoi réveiller et exciter les curiosités.

La Mort d'Hitler, de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina, Fayard, 359 p., 23 €. - Crédits photo : ,
Pendant deux longues années, Jean-Christophe Brisard, réalisateur de documentaires et auteur d'Enfants de dictateurs (First Histoire, 2014), va remuer ciel et terre pour accéder à la pseudo-relique. A ses côtés, indispensable et infatigable soutien, la journaliste russo-américaine Lana Parshina. De 2016 à 2017, ils ont joué à cache-cache avec une administration russe demeurée stalinienne dans sa mentalité et son fonctionnement. Autorisations accordées puis retirées, promesses non tenues, «niet» à répétition: vingt-quatre mois avant d'obtenir le précieux sésame, c'est-à-dire un rendez-vous au Garf (Archives d'Etat) afin d'expertiser la fameuse calotte crânienne. Les deux enquêteurs ne viennent pas seuls. Philippe Charlier, médecin légiste, connu pour ses travaux sur les morts non résolues (Richard Cœur de Lion et Henri IV, notamment), les accompagne. On leur laisse entendre que le feu vert vient «du plus haut niveau de l'Etat», à savoir du Kremlin. Il s'agit de faire savoir au monde entier que les Russes sont les seuls vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, preuve à l'appui. Le hic, c'est que l'autorisation n'est valable qu'un seul jour et le temps d'examen limité à trois heures!
Mission sensible
Conscient de vivre la mission la plus sensible de sa carrière, Philippe Charlier, jubile malgré tout lorsqu'on lui présente le vestige crânien, conservé dans… une boîte à disquettes. Mais rien ne se passe comme prévu: il n'a pas le droit d'y toucher et les fonctionnaires du Garf, suspicieux et paranos, interrompent brutalement la séance. Il reste néanmoins une chance au trio: la mâchoire supposée du dictateur allemand, qui se trouve à la Loubianka, ex-siège du KGB, aujourd'hui celui du FSB. C'est là, sous la surveillance d'une dizaine d'agents, que Philippe Charlier va enfin pouvoir commencer son travail: examen à loupe binoculaire, prise de clichés, comparaison avec des radios dentaires pratiquées sur Hitler en 1944, etc. Les détails de ces observations médico-légales (forcément incomplètes vu les circonstances), enrichies par la reconstitution des ultimes journées dans le bunker et les témoignages des derniers SS présents autour de leur chef, figurent dans l'ouvrage de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina. Conclusion du scientifique: «Les restes examinés sont bien ceux d'Adolf Hitler, mort à Berlin en 1945. Et tout ceci détruit l'ensemble des théories d'une survie de cet individu.» Dont acte. En revanche, impossible de déterminer comment le chancelier s'est supprimé: par balle ou avec du cyanure?
L'enquête révèle aussi que Staline savait dès mai 1945 que les dépouilles des Hitler avaient été récupérées par le contre-espionnage soviétique et inhumées secrètement dans la ville allemande de Rathenow. Pourtant, lors de la conférence de Potsdam (juillet-août 1945), le «petit père des peuples» laisse entendre à Churchill et à Truman que le Führer a très bien pu s'enfuir en Argentine ou au Japon. Un pied de nez à ces Alliés qu'il sait déjà être ses futurs ennemis de la guerre froide. Et une façon d'envoyer les barbouzes américano-britanniques courir le monde pour attraper un fantôme! L'humour russe, comme la vodka, se consomme glacé…

Le livre a également donné lieu à un documentaire de France 2 dans la collection «Infrarouge»: «Le Mystère de la mort d'Hitler».
La rédaction vous conseille :


Chantal Delsol : «Trier la mémoire au nom de la morale ou le retour de l'obscurantisme» (23.03.2018)
Par Chantal Delsol
Publié le 23/03/2018 à 09h51
FIGAROVOX/TRIBUNE - Après la suppression de la mention de Charles Maurras des commémorations, dix membres du Haut Comité ont démissionné. Pour la philosophe, la ministre de la Culture a eu tort de céder à une pression militante anachronique.

- Crédits photo : Illustration Fabien Clairefond
La France, pays centralisé et formaliste, s'honore de publier chaque année un «Livre des commémorations nationales» qui rappelle les événements marquants de son histoire. Elle commémore ainsi les grands acteurs ou écrivains du pays, et les anniversaires de toutes sortes, depuis ceux des grandes batailles jusqu'à ceux des grandes constructions. Sous la houlette du ministre de la Culture, un comité a été mis en place, composé de membres de l'Institut, de politiques ou d'historiens, pour dresser chaque année la liste des anniversaires. Il s'agit de mettre à la portée du public la mémoire nationale en la manifestant par des événements concrets.
Récemment Mme Nyssen, ministre de la Culture, sous la pression de plusieurs associations d'extrême gauche ou apparentés, a décidé de retirer de la liste annuelle le nom de Charles Maurras, dont c'était l'anniversaire de la naissance. Et de renoncer à la publication du Livre de cette année. Cette décision est vivement critiquée par les membres du Comité des commémorations, dont dix membres ont démissionné. Leur argument est clair: ils voient venir dans les années prochaines une grande sélection obligatoire, imposée par les hurlements de quelques extrémistes. En 2019, ce sera l'anniversaire de Colbert: mais le rédacteur du Code noir sera interdit de présence lui aussi. Dans quelques années, Maurice Barrès: nul besoin de préciser que ce chantre de la nation n'a plus droit à l'existence. La litanie de l'exclusion sera longue. Chaque établissement de la liste sera l'occasion de choisir entre les bons et les mauvais, ou plutôt de laisser quelques haineux imposer par pression leur choix entre les bons et les mauvais.
L'histoire et la mémoire
Cette affaire est pleine de significations et d'enseignements. Elle concerne la question des rapports entre l'histoire et la mémoire. Les sociétés anciennes connaissaient seulement la mémoire, que les puissants dressaient à leur guise. Le roi en place racontait et agrandissait ses batailles gagnées et avait tendance à oublier les autres. Hérodote inaugure l'histoire quand il annonce son intention de décrire les événements au plus près possible de la réalité - autrement dit, sans considération des gloires ou des hontes. Émergeant de la mémoire subjective, l'apparition de l'histoire est une victoire de l'intelligence, de la compréhension du monde. Et à ce titre, les groupes qui trient les événements, et la ministre qui les suit, se trouvent en plein retour vers des âges obscurs. Quoique d'une autre manière. Nous sommes aujourd'hui sous l'emprise d'un manichéisme imposé (partie prenante de ce que nous appelons le politiquement correct) qui nous enjoint de partager le passé entre ce qui nous dérange et ce qui nous agrée, au regard de la morale humanitaire officielle. Autrement dit, le Bien d'aujourd'hui juge le passé tout entier à son aune et devrait rejeter ce qui ne répond pas à ses attentes, par l'oubli. Manière idéologique, et même totalitaire - les Soviets avaient effacé Trotski et bien
«Le temps qui passe, pour les sociétés comme pour les individus, n'est pas rigoureusement partagé entre le bien et le mal»
d'autres des photos officielles, on s'en souvient. Profondément, nous autres Occidentaux sommes victimes d'une utopie du Bien qui nous fait cliver l'histoire en deux et détester sa part d'ombre au point de vouloir la supprimer. Les Canadiens appellent leur passé (celui de la colonisation des Indiens, de la domination des prêtres, de la soumission des femmes), d'un nom significatif: la Grande Noirceur. Il faut comprendre que nous sommes entrés dans la grande blancheur, chargés de fermer à double tour la porte derrière nous. Sottise. Le temps qui passe, pour les sociétés comme pour les individus, n'est pas rigoureusement partagé entre le bien et le mal, même si on peut ici ou là pointer sans discussion des épisodes franchement ignobles. Et pourtant, même ceux-là, il convient de les commémorer, pour que les jeunes générations sachent s'en garder. L'idée exaltée et démente de  la Grande Noirceur qu'il faudrait rayer de la photo renouvelle encore et encore la mentalité idéologique et utopique de l'ère nouvelle, sans tache, habitée par les anges qui ne colonisent plus et s'exemptent de toute discrimination. Après un siècle de dévastations de l'esprit, certains veulent encore nous faire croire que LEUR mémoire sélective, c'est l'histoire. On aurait voulu au moins qu'un ministre de la Culture ne tombe pas dans un piège aussi grossier.
L'artiste croate Sanja Ivekovic a exposé en 2012 au Mudam Luxembourg une sculpture en souvenir de la résistance antinazie, sculpture représentant une femme enceinte tenant une couronne de laurier et intitulée La Mémoire enceinte. Superbe image. Nul doute: la mémoire n'est pas composée d'objets qui traînent dans le corridor sombre du passé et qu'il faudrait balayer quand ils nous gênent. La mémoire est une matrice: non seulement elle engendre des souvenirs, mais elle inspire les actes et les pensées de l'avenir. Elle est grosse d'enseignements, de réflexions et même d'émotions bénéfiques. Le plus grand pouvoir est celui qu'on peut avoir sur le passé, et despotes et tyrans ne se privent pas de dominer le passé par le tri - ainsi faisaient les Perses de l'époque d'Hérodote, ainsi faisaient les totalitarismes du siècle dernier. Soyons modernes et soyons guéris de nos maladies fanatiques. Une commémoration n'est pas une célébration. Elle entretient la mémoire vive, c'est-à-dire la matrice de la mémoire, afin de nous laisser toujours en éveil en face de l'avenir.

Ivan Rioufol : «Macron attise la France inflammable» (22.03.2018)

Par Ivan Rioufol
Mis à jour le 22/03/2018 à 21h23 | Publié le 22/03/2018 à 21h17
CHRONIQUE - Le président fait preuve d'un «despotisme capricieux et immature» envers les plus faibles en France, sans s'attaquer aux problèmes essentiels comme l'islam radical.
Non, les Français ne se mobiliseront pas pour le statut des cheminots. Les syndicats, qui espèrent faire plier Emmanuel Macron dans ce combat, risquent de laisser le peu de plumes qui leur reste. Ces contestataires sont les meilleurs promoteurs de l'image réformiste que veut se donner le chef de l'État. Ceux qui veulent croire au symbolisme des dates, cinquante ans après le mouvement du 22-mars qui annonçait Mai 1968, s'accrochent à un monde disparu: la journée d'hier, 22 mars 2018, s'est réduite aux grèves et aux processions tonitruantes d'organisations de fonctionnaires issues du XXe siècle. Ces furibonds, à l'emploi garanti, n'expriment qu'un mince aspect de la révolte française. Une indignation permanente s'est installée au cœur de la société. Mais cette exaspération sourde n'a plus la lutte sociale comme ressort. Ce sont les fractures identitaires, générationnelles, territoriales et existentielles qui sont devenues inflammables. Or la politique de Macron, qui dit ne pas «sentir la colère dans notre pays», attise ces tensions.
L'autorité du président est une facade
L'autorité du président est une façade. Certes, le chef d'État a bien revêtu l'habit présidentiel que Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient mal porté. La Constitution permet à Macron de s‘affirmer dans une personnalisation flatteuse. Toutefois, quand Dominique de Villepin prévient, dimanche, contre «le risque qu'on devienne isolé, solitaire, arrogant et coupé d'un certain nombre de réalités», l'ancien premier ministre pointe une faille déjà décelée ici chez Macron. Non content d'avoir à sa botte des députés godillots, un parti aux ordres, des médias bienveillants, le président exprime un autoritarisme qui l'éloigne de ceux qu'il méprise. Derrière son désir de limiter les amendements parlementaires, d'agir par ordonnances ou de mettre l'Internet sous surveillance au nom de l'antiracisme s'esquisse un despotisme capricieux et immature. Macron, qui se voit comme «un défenseur conquérant et ambitieux», s'aime trop pour être à l'écoute de la société.
L'autoritarisme du chef de l'État est celui des faux durs. En s'en prenant aux faibles plutôt qu'aux forts, il crée des injustices, des déceptions, des rancunes
Un caractère dominateur et péremptoire ne suffit pas à faire d'un homme, même talentueux comme l'est Macron, le symbole d'un État fort. La pluie de «big bang» que Jupiter jette sur la France du haut de son empyrée donne le tournis et étourdit l'opinion. Mais les experts et technocrates ne produisent que des solutions complexes et déshumanisées. Le projet (suspendu mercredi) de suppression du quotient familial, qui a fait bondir la droite, voulait répondre à une «transformation structurelle globale pour une politique familiale universelle qui garantit réellement la dignité des familles» (député LaREM Guillaume Chiche). Ces verbiages pontifiants font corps avec le «bougisme». Toutefois, dans cette marche forcée, Macron sait-il où il va? Un manque de cohérence se dégage des réformes et des mesures qui tombent comme à Gravelotte. Les impasses en deviennent préoccupantes.
En fait, la méthode présidentielle est hasardeuse. D'autant que la société civile n'a plus voix au chapitre. L'autoritarisme du chef de l'État est celui des faux durs. En s'en prenant aux faibles plutôt qu'aux forts, il crée des injustices, des déceptions, des rancunes. Au-delà des cheminots, elles s'expriment chez les retraités, les ruraux, la classe moyenne, les automobilistes, les chômeurs. Parallèlement, le chef de l'État se montre conciliant avec l'islam radical, quand cette idéologie totalitaire exige sa place spéciale dans la République. C'est notamment pour dénoncer cette passivité que cent intellectuels venus d'horizons différents, dont votre serviteur, ont cosigné, mardi dans Le Figaroune tribune: «Non au séparatisme islamique». L'alerte lancée n'est pas vaine: le nouveau Conseil des villes, mis en place parle président, accueille parmi ses membres des militants de l'islam victimaire, comme l'humoriste Yassine Belattar qui accuse ses contradicteurs de vouloir «la mort des musulmans». À quoi joue Macron?
Poutine, faux ennemi
La transgressivité dont se flatte le chef de l'État masque son enracinement dans le conformisme. Rien n'est plus convenu, par exemple, que de diaboliser Vladimir Poutine. Macron ne s'en prive pas. L'empoisonnement, à Salisbury (Angleterre), d'un agent double russe a immédiatement été attribué par la Grande-Bretagne, soutenue par la France, au «Kremlin de Poutine», sans que les preuves soient apportées. Résultat: les leçons du camp occidental ont contribué au plébiscite de Poutine, réélu dimanche pour un 4e mandat avec 76 % des voixMardi, dans Le Figaro , la veuve d'Alexandre Soljenitsyne, Natalia, a qualifié de «très décevante et même plutôt pathétique» la décision de Macron de boycotter les écrivains russes au Salon du livre de Paris. De fait, beaucoup d'entre eux s'opposentà l'homme fort de la Russie et à ses méthodes, peu démocratiques en effet. Mais désigner Poutine comme un danger pousse la Russie dans les bras de la Chine, de l'Iran, de la Turquie.
L'Occident se trompe d'ennemi : seul l'islam conquérant est à combattre. C'est Poutine qui est venu en aide aux chrétiens d'Orient persécutés par l'État islamique
L'Occident se trompe d'ennemi: seul l'islam conquérant est à combattre. C'est Poutine qui est venu en aide aux chrétiens d'Orient persécutés par l'État islamique. C'est l'Europe et les États-Unis qui ont lâché leurs alliés kurdes de l'enclave d'Afrine (Syrie): l'îlot a été investi, dimanche, par les troupes turques de Recep Tayyip Erdogan. Le nouveau sultan, un islamiste au cœur de l'Otan, entend poursuivre sa conquête syrienne avec l'appui de djihadistes que combattaient les Kurdes, dont ces femmes admirables. Mais qui, dans le camp occidental si prompt à morigéner Poutine, ose dénoncer Erdogan et son double jeu? Seul François Hollande a relevé la traîtrise, l'autre jour dansLe Monde: «Quel est cet allié turc qui frappe nos propres alliés avec le soutien au sol des groupes djihadistes?» Devant le félon Erdogan, ce Ganelon exotique, l'Europe s'est soumise.
Présomption de partialité
La France est-elle d'ailleurs si exemplaire? Il est de bon ton de saluer l'indépendance de la justice, après la mise en examen de Nicolas Sarkozy, mercredi, pour des soupçons de financement libyen de la campagne de 2007. Son inutile mise en garde à vue préalable a eu pour effet d'accentuer sa présomption de culpabilité. Or une présomption de partialité pèse en retour sur ces juges d'instruction qui se rêvent en justiciers. Elle pèse aussi sur le parquet national financier qui reste sous l'autorité du pouvoir politique. Bruxelles reproche à la Pologne d'avoir pris des mesures menaçant l'indépendance de la justice. Mais la Commission européenne ferait bien de jeter un œil sur cette instance sous influence, qui a déjà ouvert le feu sur François Fillon en 2017.

Éric Zemmour : «Comment et pourquoi Anne Hidalgo fait toujours payer la gratuité aux autres…» (23.03.2018)

Par Eric Zemmour
Publié le 23/03/2018 à 06h00
CHRONIQUE - En proposant d'instaurer la gratuité du métro pour tous, la maire de Paris tente un énième coup de communication. Payant ?
C'est la dernière trouvaille de la Mairie de Paris. Le dernier truc d'une Anne Hidalgo aux abois. Le dernier contre-feu d'un service de communication parisien qui sort transi d'un déluge médiatique: la gratuité du métro parisien. L'idée n'est pas nouvelle. On voit bien pourquoi Hidalgo la ressort ici et maintenant: manière de soigner ses profils écologique et de gauche. Regardez bien: je suis de gauche puisque je prends une mesure sociale à l'intention des plus défavorisés qui vivent souvent en banlieue et viennent à Paris pour travailler ; on voit bien que je ne pense pas qu'à mes électeurs bobos du centre parisien ; je persiste, en dépit des décisions du tribunal administratif, à interdire la voie rive droite aux automobilistes, mais je trouve une solution de remplacement. Je protège l'environnement et agis pour la justice sociale!
Politiquement, la manœuvre est habile. Elle repose sur les ressorts habituels de la démagogie et de la désinvolture budgétaire. La mesure coûte, paraît-il, 700 millions d'euros au budget de la Mairie. Mais Hidalgo n'est pas seule à décider: que va faire Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, concernée au premier chef par le RER? Une des premières mesures qu'elle avait prise aussitôt après son élection fut justement de supprimer la gratuité des transports pour les étrangers clandestins, décidée par son prédécesseur.
«Quand le produit est gratuit, c'est que vous êtes le produit»
Car au-delà des coups de communicant et des manœuvres politiciennes, ce sont deux philosophies qui se révèlent et s'affrontent. Celle d'un monde où tout a un prix ; où chacun paie selon ses moyens et ses besoins ; où la réalité des coûts s'impose à chacun ; où le droit ne va pas sans devoir. Où la fraude n'est pas légitimée a posteriori. Le monde ancien. Et puis le monde de la gratuité, où tout est accessible en libre-service, le monde en forme de supermarché. La gratuité, c'est le principe moderne par excellence, celui d'internet, des réseaux sociaux. On l'a vu à l'œuvre dans la musique, les journaux, etc. On l'a vu ruiner l'industrie du disque et aggraver l'état chancelant de la presse.
Derrière la générosité se cache la prise en main de notre destin par des géants qui nous donnent tout pour mieux nous posséder. Les Californiens, où siègent les fameux Gafa, ont une expression qui résume tout: «Quand le produit est gratuit, c'est que vous êtes le produit.»
Quand le métro est gratuit, c'est que les taxes et impôts vont augmenter. Quand le métro est gratuit, c'est qu'il y a encore plus de monde dans des rames déjà bondées. Encore plus de racaille qui se déverse dans la capitale grâce au RER. C'est qu'on ne règle pas la question des parkings aux portes de Paris pour les automobilistes qu'on cherche à dissuader d'entrer. C'est qu'on aggrave les déficits de la RATP. C'est qu'on va se retourner contre les avantages sociaux de ses personnels. La gratuité se paye. D'une manière ou d'une autre. La gratuité n'est jamais gratuite. Elle n'est qu'un paiement transféré. A d'autres.
La rédaction vous conseille :
Journaliste, chroniqueur
Ses derniers articles

Mgr Gollnisch: «Les questions que se posent les chrétiens en Syrie» (23.03.2018)

Par Pascal Gollnisch
Publié le 23/03/2018 à 10h02
FIGAROVOX/TRIBUNE - En pleine offensive sur la Goutha, le directeur général de l'Œuvre d'Orient s'interroge sur un discours officiel qui passe sous silence la complexité extrême sur le terrain.
Cela fait désormais sept années que la Syrie martyrisée est en guerre. Les horreurs de cette tragédie sont bien connues: morts, blessés, déplacés, réfugiés, ainsi que les villes détruites, une économie à bout de souffle, la fragilisation considérable des structures sociales de base. Les chrétiens de Syrie partagent les souffrances de la population dans son ensemble, mais ils voient de surcroît leur communauté menacée en tant que telle, malgré un début de retour et un effort de reconstruction.
Les chrétiens de Syrie veulent des réponses
Ils entendent l'information occidentale condamnant l'attitude du gouvernement syrien, les bombardements des quartiers urbains, les prisons surchargées, les services secrets, etc. Mais ils aimeraient des réponses à leurs questions. Est-il vrai qu'avant le début de la crise les slogans des Frères musulmans étaient: «Les Alaouites au cimetière, les chrétiens au Liban»? Est-il vrai que, lors des premières manifestations considérées comme pacifiques, des armes étaient entassées dans certaines mosquées? Est-il vrai que les rebelles, en particulier dans la Ghouta orientale, ont retenu la population civile comme bouclier humain, exécutant sommairement ceux qui essayaient de fuir, tandis que des missiles étaient tirés vers la ville de Damas, en particulier sur les écoles chrétiennes? Est-il vrai que, durant les premières années de crise, les combattants djihadistes, les armes, les munitions, le pétrole et le coton vendus par Daech ont transité librement par la Turquie? De quels soutiens ont bénéficié les groupes proches de Daech mais aussi d'al-Qaida? Qui leur a livré des armes? Quelle est la situation des prisonniers et de la justice dans les zones rebelles, même en dehors des territoires de Daech? Est-ce que vraiment les Kurdes syriens représentent un danger pour la Turquie, au point de justifier l'entrée de l'armée turque en Syrie et en Irak? Est-il vrai que l'Observatoire syrien des droits de l'homme, considéré par beaucoup comme source exclusive d'information, est cofinancé par le Qatar?
Chacun se sent autorisé à intervenir selon ses intérêts
Je sais qu'en relayant ces questions on m'accusera de prendre parti pour un camp, alors que je souhaite seulement exposer la complexité extrême sur le terrain. Je m'y attends, j'y suis prêt. Pourtant, parce que prêtre et français - et donc non syrien -, je considère que je n'ai pas à m'immiscer dans la politique syrienne. Non que je n'aurais rien à dire, mais parce qu'il faut donner priorité à ce qui peut favoriser la paix. Parce qu'aujourd'hui la Syrie devient le terrain d'un jeu guerrier où chacun se sent autorisé à intervenir selon ses intérêts: l'Iran, la Russie, les pays du Golfe, les États-Unis, l'Europe, le Hezbollah. La Syrie et ses habitants ont le droit d'être entendus sur leur avenir.
Les rebelles doivent avoir le courage des concessions
Les chancelleries occidentales, il y a sept ans, ont misé sur la chute rapide du président Assad, sur le ralliement de la Russie au point de vue occidental, à la capacité des rebelles de former un gouvernement alternatif, laïque et démocratique. Sept ans plus tard, la réalité est tout autre ; il faudrait donc réévaluer les actions diplomatiques possibles.
Les rebelles doivent avoir le courage des concessions. Le gouvernement de Syrie ne doit pas se limiter à la victoire militaire. Il doit s'interroger sur les conditions de l'avenir et de la paix en Syrie.
La Syrie a besoin de prophètes qui lui redonnent confiance et espérance.

Ce que révèle la censure de la lettre de Benoît XVI (22.03.2018)

Par Jean-Marie Guénois
Publié le 23/03/2018 à 11h51
FIGAROVOX/ANALYSE - Le scandale qui a conduit à la démission de Mgr Dario Edoardo Viganò, ministre de la Communication du Saint-Siège brise un tabou.
La démission de Mgr Dario Edoardo Viganò, ministre de la Communication du Saint-Siège, met au jour une affaire de manipulation de l'opinion mais elle brise aussi un tabou: François et Benoît XVI n'ont jamais eu la même vision de la mise en œuvre du concile Vatican II. Un rappel des faits, tout d'abord. Pour célébrer le 5e anniversaire de l'élection du pape François, le 13 mars, la maison d'édition du Vatican a demandé à 11 théologiens de décrypter «la théologie du pape François». Mgr Vigano, «dircom» du Vatican, nommé par François, a l'idée de solliciter le pape émérite Benoît XVI pour la préface. Ce dernier lui dit devoir «refuser» pour deux raisons: il n'écrit jamais de préface sans avoir lu l'ensemble de l'œuvre. Et, il y a parmi les théologiens de la série, Peter Hünermann. Cet Allemand, avec Hans Küng, fut le principal opposant théologique de Jean-Paul II et du cardinal Joseph Ratzinger. Cette lettre de réponse est aussi introduite par deux remarques de Benoît XVI: l'une fustige «le préjugé stupide» qui affirme que le pape François ne serait pas un théologien. L'autre assure de «la continuité intérieure entre les deux pontificats».
Le 12 mars, lors de la présentation publique de la collection, Mgr Vigano ne fait toutefois état que des seules remarques positives de Benoît XVI sur François. Il cache le refus du pape émérite de préfacer cet ensemble et sa raison, la présence de Hünermann. Mgr Vigano va jusqu'à publier une photo de la collection des livres, posées à côté de la lettre de Benoît XVI où n'apparaissent visibles que les paragraphes élogieux… Le reste est volontairement flouté. Quant au passage sur Hünermann, il est caché: de la deuxième page n'apparaît que la signature de Benoît XVI. La formule de politesse où le pape émérite dit explicitement son «refus» de participer est totalement occultée. Cette présentation permet d'obtenir l'effet de com recherché: alors que le 5e anniversaire du pontificat de François est marqué par un débat sur la «confusion» théologique dans l'Église, ce document coupe court puisque ce blanc-seing du théologien Benoît XVI assure de la «continuité intérieure» entre eux. Quasiment toute la presse internationale tombe dans le panneau. Seuls deux journalistes découvrent la supercherie. Benoît XVI avait pourtant demandé que toute sa lettre reste confidentielle mais il doit alors exiger du Vatican qu'elle soit publiée intégralement. Double scandale donc - instrumentalisation d'une phrase de Benoît XVI et manipulation de l'opinion publique internationale - qui conduit à la démission de Mgr Vigano acceptée, avec difficulté, par le pape François.
Débat interne
Ce pitoyable montage de communication révèle surtout la permanence du débat interne sur l'orientation de l'Église que certains veulent éteindre à tout prix. Car, interrogé en 2013 à propos du bilan de Benoît XVI, Peter Hünnermann ne retenait qu'une chose: «sa démission». Depuis toujours ce théologien actif est le promoteur d'une Église ouverte aux femmes prêtres, au mariage des prêtres, aux divorcés-remariés, à l'abolition d'Humanae Vitae, à la transmission du pouvoir du Saint-Siège aux conférences épiscopales, à la réduction du pouvoir papal contrôlé par le Synode des évêques. Tel est, selon lui, la véritable «mise en œuvre» du «concile Vatican II».
La collection des 11 livres publiés par le Vatican ne va d'ailleurs que dans ce sens. Et non dans celui des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Le coordinateur de cette publication, Roberto Repole, qualifie d'ailleurs Benoît XVI dans sa préface de «théologien du XIXe siècle» et il l'oppose à François, pasteur de la modernité.
Il est ridicule d'opposer les deux personnalités de François et de Benoît XVI mais cette affaire démontre que le débat sur l'orientation de l'Église à propos du concile Vatican II reste ouvert et qu'il n'est pas épuisé avec François. Benoît XVI, bientôt 91 ans, avait certes promis de garder le silence sur son successeur. Mais sa lettre d'abord manipulée, puis publiée contre sa volonté, rappelle la respectabilité, et la pertinence, elle aussi, de sa vision de l'Église.
La rédaction vous conseille :


L'éditorial du Figaro Magazine : «La République perdue» (23.03.2018)
Par Guillaume Roquette
Publié le 23/03/2018 à 08h00
Selon Guillaume Roquette, après des années de déni, nos gouvernements actuels ne peuvent plus ignorer la montée de l'islamisme dans les banlieues.
Longtemps, on n'a pas voulu les entendre. Ceux qui décrivaient courageusement l'émergence d'une contre-société, où la loi de la charia s'était substituée à celle de la République, étaient marginalisés, dénigrés, stigmatisés. Au nom du vivre-ensemble et d'une laïcité apaisée, on préférait renvoyer les Finkielkraut, Zemmour et autres Rioufol à leurs supposées «phobies», parce que la réalité dérangeait trop.
Aujourd'hui, on ne peut plus la nier. Dans Le Figaro de cette semaine, cent intellectuels de tout bord dénoncent à l'unisson un totalitarisme islamiste qui s'érige en victime de l'intolérance pour mieux faire sécession avec la communauté nationale, instaurant un apartheid d'un nouveau genre. Le constat étant - enfin - partagé, c'est maintenant aux politiques d'agir.
Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron se bat avec vigueur contre le terrorisme islamique. Depuis le drame de Nice, à l'été 2016, la France est parvenue à déjouer avant qu'il ne soit trop tard toutes les tentatives d'attentats de masse ; on n'en sera jamais assez reconnaissant à nos forces de sécurité. Mais pendant ce temps, le séparatisme communautaire progresse chaque jour, dans l'indifférence des pouvoirs publics. Pourtant, notre société n'est pas seulement défiée par la violence djihadiste, elle est d'abordminée de l'intérieur par la véritable partition que l'on observe au quotidien dans les territoires perdus de la République.
Les islamistes organisent la sécession avec la communauté nationale
Face à cette réalité, le pouvoir est comme une poule devant un couteau. Il bombarde les médias de «discours sur la politique de la ville» (Macron) ou de «plan national de prévention de la radicalisation» (Philippe) qui sont aussi incontestables dans leurs intentions que dépourvus de portée pratique. Qui peut croire qu'on combattra l'islamisation des banlieues avec un «conseil des villes» qui se réunit une fois par trimestre à l'Elysée (surtout avec des membres aussi contestés que l'humoriste Yassine Belattar), ou en «mobilisant l'expertise de la recherche-action dans l'évaluation de la prévention de la radicalisation pour capitaliser les expériences locales et répertorier les bonnes pratiques» (sic), comme s'y engage sans rire le plan du Premier ministre? Mais soyons honnêtes: les prédécesseurs de nos gouvernants actuels n'ont pas fait mieux. Au pouvoir, la droite a regardé ailleurs, tandis que la gauche, elle, baissait carrément pavillon. On se souvient, et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education nationale, autorisant les mères voilées à accompagner les sorties scolaires.
Régulièrement, Le Figaro Magazine décrit l'islamisation des banlieues. En 2016, notre couverture consacrée à la ville de Saint-Denis, «Molenbeek-sur-Seine», nous avait valu des menaces de poursuites en diffamation par la municipalité. Nous les attendons toujours… Et pour cause: nous ne faisions que décrire la réalité. Cette semaine, nous vous plongeons dans la vie quotidienne d'une autre ville de banlieue parisienne où communautarisme et délinquance font meilleur ménage que jamais. Mais où est passée la République?
Directeur de la rédaction du Figaro Magazine
Ses derniers articles


Alain Besançon: «Au milieu du vide métaphysique prospère une vague religiosité humanitaire» (23.03.2018)
Publié le 23/03/2018 à 07h30
FIGAROVOX/ENTRETIEN - C'est un événement éditorial. Contagions regroupe en un recueil, publié aux Belles Lettres, dix œuvres majeures d'Alain Besançon. Dix œuvres étalées sur près de cinquante ans, à travers lesquelles l'historien, membre de l'Institut, directeur d'études à l'EHESS et spécialiste des religions, démonte les confusions idéologiques et religieuses de notre temps.
«Tout ce temps que j'ai passé sur l'histoire russe et le communisme soviétique, à l'étudier et à l'analyser, j'espère qu'il me sera compté à pénitence», écrit Alain Besançon dans son autobiographie Une Génération (1987). L'historien ne s'est pas pardonné. Membre du parti communiste de 1951 à 1956, il rompt avec lui après la diffusion du rapport de Nikita Khrouchtchev qui révèle les crimes du stalinisme. «Honteux» et «en colère», Alain Besançon décide alors d'explorer l'histoire de la Russie et de l'URSS, et plus largement de démonter les mécanismes des totalitarismes, pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé. Ce sera l'œuvre de sa vie. Revenu au catholicisme, celui qui est aussi un spécialiste de la religion, voit dans le communisme une forme de gnose. Une idéologie qui se présente comme «scientifique», mais qui «emprunte au religieux l'espérance et obtient ainsi un profond dévouement des partisans qui en sont en quelque sorte les “fidèles”». Contagions (Les Belles Lettres), volume imposant qui vient de paraître et regroupe dix de ses écrits, sonne comme une mise en garde contrece qu'il appelle la «contagion intellectuelle»: la confusion entre la foi et la science, l'idéologie et la théologie, la religion et l'humanitaire. Dans l'islam, où «les lois civiles sont sanctifiées par Dieu lui-même dans le Coran», ce brouillage des repères explique beaucoup du chaos actuel.
LE FIGARO MAGAZINE -. Vos préfaciers décrivent votre œuvre comme traversée par une longue question, à la manière d'un fil d'Ariane: «Comment a-t-on pu être communiste? Et comment si nombreux ont-ils pu l'être?»
Alain BESANÇON -. Il y a beaucoup de raisons. Voici les trois qui me paraissent principales. Le «marxisme-léninisme» se présente comme une explication totale du monde, dans tous ses aspects et garantie par la science. C'est faux, c'est une illusion, mais tentante auprès des jeunes gens. C'est la tentation d'un raccourci vers le savoir total. Ensuite, il contient un fort élan révolutionnaire. C'était l'humeur au lendemain de la guerre. La France avait connu la Révolution avec la tentative jacobine qui avait tourné court après la chute de Robespierre en I794. Le communisme bolchevique semblait prendre le relais, recommencer la révolution et la conduire à son but idéal. Ensuite peu de gens savaient ce qui s'était passé en Russie. La mer de sang était soigneusement cachée. Le pays des soviets paraissait l'utopie au pouvoir, l'utopie réalisée. L'Union soviétique venait de mener une guerre héroïque et avait participé à la grande victoire sur l'utopie nazie, utopie jumelle dont tout le monde connaissait les horreurs. Les horreurs communistes étaient connues de peu de gens, peu crues, marginalisées. Dans les années 1950, le monde intellectuel français pensait beaucoup de bien de la Russie soviétique. A l'université, à Sciences-Po, on en parlait avec respect et admiration.
Vous insistez sur le fait que le régime soviétique n'était pas une dictature comme les autres. Quelle est la spécificité du totalitarisme soviétique?
En 1950, bien du monde croit que le régime de Franco est pire que celui de Staline! L'Espagne de Franco est une dictature pure et simple: un leader a pris le pouvoir et ne l'a rendu qu'à sa mort. La Russie, pour beaucoup de Français, n'avait rien connu de pareil, elle n'était qu'une forme différente et authentique de démocratie. Là est le mensonge qui met à part le communisme et le différencie des dictatures classiques. On sait combien de morts a fait la guerre civile espagnole: 200.000 de chaque côté. Cela n'a rien à voir avec les 30 ou 40 millions du régime soviétique! D'autant que le communisme chinois, vietnamien, cubain, éthiopien a continué d'étendre ses ravages. D'une certaine façon, la vérité sur le régime marxiste-léniniste n'a atteint les masses françaises que dans le courant des années 1970, avec Soljenitsyne dont les livres ont déchiré le rideau d'imposture. C'est-à-dire très tard.
«Pour ce qui est de la France, je crois vraiment que c'est toujours ce désir, très fermement ancré chez de nombreux intellectuels, de recommencer la Révolution. Et puis, chez nombre d'entre eux, il existe aussi un goût du sang !»
Alain Besançon
Mais même dans les années 1970, beaucoup d'intellectuels français refusent de regarder la réalité en face… Comment expliquer cette cécité?
Pour ce qui est de la France, je crois vraiment que c'est toujours ce désir, très fermement ancré chez de nombreux intellectuels, de recommencer la Révolution. Et puis, chez nombre d'entre eux, il existe aussi un goût du sang! Ce n'est pas toujours sympathique, un intellectuel français! Certains d'entre eux peuvent même être parfois fascinés par la violence. Alain Badiou, qui était alors professeur à l'Ecole normale supérieure, a salué avec beaucoup de joie les massacres commis au Cambodge… Le rêve d'une société idéale, égalitaire, juste, existe depuis toujours. Depuis Platon. Cela vaut bien de se résigner à la violence. Pas d'omelette sans casser des œufs…
La différence, dites-vous, entre une dictature comme celle de l'Espagne franquiste et le système soviétique, c'est l'idéologie. Sur quoi repose celle du marxisme-léninisme?
C'est une doctrine fondée - croyait-on - sur la science, et embrassant tous les aspects de la vie. Elle synthétisait une connaissance prétendument complète de l'homme, de la société et de leur destin. En Russie, la censure et la propagande persuadaient que le régime apportait une promesse de salut. Cette matrice religieuse, qui peut paraître paradoxale car l'idéologie est en même temps profondément antireligieuse, fait descendre sur terre les clés du salut, et c'est le parti qui en est le garant. L'idéologie emprunte au religieux l'espérance, et obtient ainsi un profond dévouement des partisans qui en sont en quelque sorte les «fidèles». Mais c'est un système positiviste, qui s'appuie sur des théories «scientifiques», et pratique, dans la mesure où l'on en connaît les recettes: la suppression de la propriété permettant la création d'une société d'un type nouveau. C'est une forme de nouvelle gnose, et c'est ce que j'essaie de démontrer dans mon livre,Les Origines intellectuelles du léninisme. La gnose est une doctrine qui parasite les religions de la Bible depuis leurs débuts: une forme de «do it yourself», l'idée que dès l'instant où l'on connaît les principes secrets de fonctionnement du monde, on peut se débrouiller sans Dieu pour les appliquer et se sauver soi-même. Il y a eu des gnoses très puissantes dans l'Antiquité: le manichéisme, le marcionisme… au travers desquelles le christianisme a tâché de se frayer un chemin. Puis au XIXe siècle, la gnose a cessé d'être religieuse pour devenir prétendument scientifique, ce qui était nouveau. Le léninisme se veut prouvable, et il apporte des garanties de scientificité: en somme, il croit qu'il sait, tandis que les vieux gnostiques savaient qu'ils ne faisaient que croire, bien qu'ils crussent en une foi différente de l'orthodoxie chrétienne ou juive. Mais Lénine s'appuyait sur un corpus résolument scientifique, qui ne voulait rien envier aux découvertes mathématiques ou aux percées de la physique: une forme de connaissance sociologique absolue de l'homme. Il vaut mieux savoir que croire! La Russie de la fin du XIXe siècle était en proie à une très grande confusion d'esprit: il y avait des marxistes, des symbolistes, des eschatologies assez variées, des chrétiens et des parachrétiens… Tous ces courants ont été balayés par le matérialisme historique et dialectique, qui a imposé son hégémonie.
Aujourd'hui, diriez-vous que l'islamisme est un nouveau totalitarisme? Y a-t-il des points communs avec le léninisme?
C'est un fanatisme religieux, ce n'est pas la même chose. Le fondamentalisme se développe aujourd'hui dans l'islam comme il s'était jadis manifesté à plusieurs reprises dans de nombreuses religions, y compris dans le christianisme ; mais il se sait religieux, et ne se prétend pas scientifique.
«L'islam est antérieur à tout : les gens ne se convertissent pas à l'islam, ils se « déconvertissent » à des religions antérieures, qui se sont superposées à l'islam, l'ont déformé, pour redevenir les musulmans qu'ils étaient à leur naissance»
Alain Besançon
Comment expliquez-vous cette montée en puissance de l'islam radical?
Peut-être parce que c'est une religion plus rationnelle, selon son dire, et moins exigeante que le christianisme. Si l'on est en règle avec les «cinq piliers» on est assuré d'aller au Ciel. Il n'y a pas de libre arbitre. Le croyant n'a pas à se poser les questions qui tourmentent indéfiniment le juif et le chrétien. Pas de lutte intérieure à mener. C'est aussi une religion qui s'est débarrassée de la complexité et du tragique de l'histoire. Dans la perspective biblique, vous avez un début, un milieu et une fin: la révélation les définit. L'islam est antérieur à tout: les gens ne se convertissent pas à l'islam, ils se «déconvertissent» à des religions antérieures, qui se sont superposées à l'islam, l'ont déformé, pour redevenir les musulmans qu'ils étaient à leur naissance. Le monde sesépare en deux zones: le Dar al-Islam, où règne l'islam, et le Dar al-Harb, le monde des incroyants destinés à se convertir.
Sur le long terme, l'islam ne paraît pas soluble dans quoi que ce soit d'autre. La notion décisive est l'«alliance». Au pied du Sinaï, Dieu fait alliance avec le peuple hébreu, et les chrétiens fondent une nouvelle alliance qui en prend la suite. Cette alliance délimite le peuple juif et le peuple chrétien. On fait partie du peuple chrétien moyennant la foi, adhésion de confiance au Dieu caché. L'alliance n'existe pas dans l'islam, qui est fondé sur une soumission générale à la loi qui ne distingue pas entre les peuples. Dieu dans l'islam est une évidence à laquelle tous les hommes sensés ne peuvent se dérober. Les écritures juives et chrétiennes sont falsifiées et dissimulent la vérité du Coran. Telle est peut-être la différence la plus insurmontable. La cohabitation a pourtant longtemps été possible, en Espagne ou à Malte par exemple. Mais cette cohabitation ne dure pas. Les chrétiens d'Orient se font expulser aujourd'hui, comme les musulmans d'Espagne ont eux-mêmes été expulsés.
Vous ne croyez pas à la compatibilité entre l'islam et la République. Pourtant, avec le christianisme aussi les rapports ont longtemps été compliqués…
Le monde catholique était endogène, il faisait corps avec la civilisation française. Les catholiques ont fini par accepter de bon gré ou de mauvais gré la civilisation moderne, et c'est ce qu'on espère de la part des musulmans aujourd'hui. Il n'est pas certain que les musulmans se prêtent à une telle évolution.
Marcel Gauchet avait prophétisé la sortie de l'ère des religions: n'assiste-t-on pas, plutôt, à l'effacement du christianisme et à l'essor de l'islam?
J'ai lu dans une encyclopédie de 1880 que l'islam était en train de mourir. C'est dire si on se trompait! Il y avait alors, selon l'encyclopédie, 80 millions de musulmans. Ils sont un milliard et demi aujourd'hui, plus nombreux encore que les catholiques. Un coup d'œil sur le passé montre qu'une Eglise malade passe facilement à l'islam. On peut estimer que le succès initial de cette religion est venu de la massive hémorragie des chrétiens séduits par la nouvelle doctrine ou peu enclins, à cause de la faiblesse de leur foi, à résister à la technique efficace de conversion, à la pression fiscale, aux humiliations et aux misères du statut de dhimmi. L'Eglise d'aujourd'hui ne souffre pas de la même maladie que l'Egypte byzantine. Pour autant, on hésiterait à lui remettre un certificat de bonne santé. A en juger par les sondages, beaucoup de fidèles ne savent pas bien ce qu'ils croient ni pourquoi ils le croient. Ils doutent en grand nombre d'articles fondamentaux, comme du péché originel, de la vie éternelle, de la résurrection des corps. La catéchèse des enfants est, depuis une génération, troublée et incertaine. Elle ne vise plus à leur mettre dans la tête des formules dogmatiques stables, apprises par cœur, mais à leur insuffler un état d'âme, vague, affectueux et gentil pour tout le monde.
«En Occident, au XXe siècle, l'idéologie a fini par remplacer la foi : d'abord le communiste de type léniniste, puis ce darwinisme dégénéré qui a abouti au nazisme»
Alain Besançon
Comment expliquez-vous le basculement de l'Eglise actuelle dans ce que vous appelez «une foi humanitaire»?
La déchristianisation actuelle vient probablement d'un décrochement de la foi, au sein même du clergé. Depuis 1960, la pratique religieuse s'est effondrée. Dès l'instant où on ne croit plus aux fins dernières, qu'on n'a plus la peur d'aller en enfer ni même le désir d'aller au paradis, la foi chrétienne est en danger. En Occident, au XXe siècle, l'idéologie a fini par remplacer la foi: d'abord le communiste de type léniniste, puis ce darwinisme dégénéré qui a abouti au nazisme dans les pays germaniques. Aujourd'hui, on se plaint d'un vide métaphysique au milieu duquel prospère une vague religiosité humanitaire.
Pour finir, pourquoi avez-vous choisi ce titre pour l'édition d'une partie importante de vos œuvres, Contagions?
Parce que je rejette viscéralement les mélanges. Je suis par tempérament prévenu contre les confusions qui oblitèrent la distinction réelle entre les objets, les mélanges qui brouillent les frontières, les contagions qui répandent les désordres dans les esprits. Je n'aime pas que le nationalisme se mélange avec le christianisme si intimement qu'on ne sait plus si l'encens s'élève vers Dieu, ou vers la nation qui devient son double idolâtrique. C'est ce qui est en train de se produire en Russie. Et dans une certaine mesure aussi dans l'islam, où les lois civiles sont sanctifiées par Dieu lui-même dans le Coran. Je n'aime pas qu'une doctrine fausse (le marxisme-léninisme) se prenne pour une science exacte, ce qui a engendré une pandémie psychique à l'échelle du monde entier. Je n'aime pas que les religions perdent leur contour et se noient dans un humanitaire qui prétend les contenir toutes. Ces mélanges, ces confusions, engendrent des produits vénéneux et hautement contagieux. D'où mon titre.
La rédaction vous conseille :


Lam Wing-kee, le libraire hongkongais qui défie la Chine (22.03.2018)
Par Patrick Saint-Paul
Mis à jour le 22/03/2018 à 20h14 | Publié le 22/03/2018 à 19h28
RÉCIT - Enlevé fin 2015 par les autorités chinoises, le libraire de Hongkong avait été détenu pendant huit mois, dont cinq au secret. À sa sortie, il avait dénoncé les pratiques des services de sécurité chinois. Et il n'a pas renoncé à diffuser des ouvrages critiques sur le pouvoir chinois. Il s'apprête à ouvrir une nouvelle librairie sur «l'île rebelle» de Taïwan.
Sa paisible vie de libraire s'est transformée en roman d'espionnage. Lam Wing-kee ne sort plus de son appartement de Hongkong sans prendre ses précautions. Il sait dérisoire la protection offerte par la police de l'ancienne colonie britannique, rétrocédée à la Chine en 1997. Alors cet homme âgé de 63 ans se déguise avant de sortir dans les rues. Il varie ses itinéraires, prend des détours pour s'assurer qu'il n'est pas suivi. Cela aussi lui paraît un peu ridicule. Car il le sait mieux que quiconque, rien ne peut le protéger contre le long bras de Pékin.
«La Chine ne commettra pas l'erreur de me faire disparaître de nouveau, veut-il croire. Ce serait un désastre pour son image…»
Lam Wing-kee
«La police ne peut pas vraiment me défendre, alors je compte sur moi-même», dit-il, un peu désemparé. Sa «meilleure garantie» est bien fragile. «La Chine ne commettra pas l'erreur de me faire disparaître de nouveau, veut-il croire. Ce serait un désastre pour son image…» Mais, visiblement, le nouvel empereur rouge, Xi Jinping, qui vient de se faire couronner à vie par le Parti communiste chinois(PCC), se soucie peu des convenances constitutionnelles ou humanistes. D'autant que Lam Wing-kee est accusé d'un crime de lèse-majesté: il diffusait les ouvrages de Mighty Current, une maison d'édition hongkongaise spécialisée dans les titres salaces sur la vie privée des dirigeants chinois et les intrigues politiques au sommet du pouvoir. Et pourtant, Lam dit ne pas avoir peur d'être «kidnappé de nouveau».
Enlevé dans un hôtel thaïlandais
Sa vie a basculé fin 2015. L'ancien patron de la librairie Causeway Bay Books s'était volatilisé alors qu'il se rendait à Shenzhen. Il a été interpellé à son arrivée à la frontière avec le continent chinois, menotté à une chaise et interrogé toute une nuit. Le lendemain, les policiers en civil lui ont bandé les yeux et l'ont emmené en train jusqu'à la ville portuaire de Ningbo, où il a été placé dans une cellule de confinement solitaire aux meubles capitonnés afin qu'il ne les utilise pas pour se blesser. Pendant cinq mois, les gardes le surveillaient 24 heures sur 24. Sa brosse à dents était reliée à un fil pour qu'il ne tente pas de se suicider en l'avalant. «Ils m'ont fait signer une lettre dans laquelle je renonçais à mon droit à un avocat et à celui de communiquer avec ma famille», raconte Lam Wing-kee à Genève, où il participait cette année au Geneva Summit for Human Rights and Democracy.
Ses proches ignorent tout, ou presque, de son sort. Comme les quatre autres libraires de Mighty Current, Lam Wing-kee disparaît. «Les policiers m'interrogeaient jour et nuit, dit-il. Ils voulaient savoir qui étaient mes clients, mais surtout quelles étaient mes relations avec les autres libraires et en particulier Gui Minhai.» Cet éditeur résident à Hongkong est détenteur de la nationalité suédoise. La police chinoise l'interpelle et l'enlève en Thaïlande, où il était parti en vacances. Porté disparu de son hôtel de Pattaya depuis la fin octobre 2015, Gui fait un retour surprise à la télévision publique chinoise en janvier 2016. Il apparaît en larmes sur la chaîne officielle CCTV. Filmé dans un centre de détention, Gui raconte être allé en Chine de son propre chef pour se rendre à la police, onze ans après un délit de fuite. Il dit avoir quitté la Chine après avoir été condamné pour la mort d'un étudiant dans un accident de voiture alors qu'il était ivre… bien qu'il n'ait été condamné qu'à deux ans de prison avec sursis. «C'était lui la véritable cible des enquêteurs chinois», dit Lam à propos du dernier des libraires de Hongkong toujours en détention.
Un ouvrage sulfureux sur Xi Jinping
Le passeport étranger n'est pas une «amulette» protégeant ses détenteurs contre la «justice chinoise», a prévenu le tabloïd Global Times, porte-voix du régime, le mois dernier… Celle-ci est d'autant plus implacable qu'elle est aux ordres du Parti. «Bien que j'aie la nationalité suédoise, au fond je me sens profondément chinois», déclarait Gui à la télévision d'État. «J'espère que les autorités suédoises respecteront mes choix, mes droits et ma vie privée, et me laisseront m'occuper de mes affaires», avait-il ajouté, sous-entendant qu'il renonçait à ses droits consulaires.
Cofondateur de Mighty Current, Gui s'apprêtait à publier un ouvrage sulfureux sur une liaison amoureuse qu'aurait entretenue Xi Jinping en marge de son premier mariage, alors qu'il était un haut cadre du PCC dans la province du Fujian. «Le livre rend Xi nerveux parce que l'“empereur” ne tolère pas la critique, juge Lam Wing-kee. Il tient à son mariage avec Peng Liyuan. Et ces révélations pourraient nuire à sa relation de couple. Les policiers n'avaient de cesse de me demander ce que contenait l'ouvrage. Mais je ne savais pas grand-chose, si ce n'est que l'auteur est généralement bien informé et vit aux États-Unis.» Lam affirme qu'il ne vendait pas les livres édités par Gui Minhai sur le continent chinois. «Ses livres sont de piètre qualité. Généralement, ils colportent des rumeurs, dit-il. Moi, je me contentais d'envoyer à mes clients chinois des ouvrages plus académiques sur les luttes de pouvoir au sommet de la République populaire. Tout le monde est friand de ces livres en Chine, les activistes, les gens normaux et jusqu'aux plus hauts dirigeants du pays.»
Lam Wing-kee aura, lui aussi, droit à sa confession télévisée… prélude incontournable à sa relaxe
Lam Wing-kee aura, lui aussi, droit à sa confession télévisée… prélude incontournable à sa relaxe. Il y dira s'être rendu de son plein gré en Chine et avouera avoir violé les lois de la République populaire en faisant le commerce d'ouvrages salaces sur des dirigeants chinois. «Au départ, j'ai répété à plusieurs reprises une autre version dans laquelle je disais que j'avais violé la loi constitutionnelle chinoise, mais sans savoir ce que j'avais fait de mal, raconte-t-il. Les policiers m'ont fait réenregistrer la confession jusqu'à ce que je m'en tienne strictement à la version qu'ils m'avaient dictée. Ils avaient fini par me menacer sérieusement. Si je ne donnais pas leur version, je pouvais être accusé de sédition…» Une accusation passible de la prison à perpétuité. En échange de sa confession et de l'engagement qu'il reviendrait en Chine livrer à la police les disques durs de ses fichiers clients deux jours plus tard, Lam est autorisé à retourner à Hongkong au bout de huit mois de détention. Ses révélations lèvent un coin de voile sur les méthodes de l'appareil sécuritaire chinois. Celui-ci utilise régulièrement les confessions forcées de dissidents, d'avocats, de célébrités ou de défenseurs des droits de l'homme pour justifier la détention aux yeux de l'opinion publique de ceux qui ont osé défier le Parti.
«Poil à gratter» du régime
Cette affaire a semé l'effroi à Hongkong alors que de nombreux habitants ont le sentiment que la Chine durcit son contrôle sur l'île, qui lui a été rétrocédée en 1997. Hongkong est une région semi-autonome sous administration spéciale. Elle possède son propre système judiciaire, sa propre police, tandis que les autorités chinoises comme hongkongaises contrôlent strictement leurs frontières. L'ancienne colonie britannique est censée jouir de libertés inconnues ailleurs en Chine continentale, en vertu du principe «un pays, deux systèmes», en théorie jusqu'en 2047. Des cinq disparitions, celle de Lee Bo, détenteur d'un passeport britannique, est celle qui avait le plus choqué. Elle avait eu lieu alors qu'il se trouvait encore à Hongkong, territoire sur lequel les services de sécurité chinois n'ont pas le droit d'intervenir. Londres avait protesté, affirmant que Lee avait été «conduit contre son gré sur le continent», ajoutant que cette affaire constituait une «grave violation» de l'accord de rétrocession de Hongkong à la Chine.
De nombreux Hongkongais s'inquiètent de la mainmise de plus en plus grande de Pékin sur la région semi-autonome
L'affaire des libraires avait déclenché une vague de manifestations à Hongkong pour leur libération. De nombreux Hongkongais s'inquiètent de la mainmise de plus en plus grande de Pékin sur la région semi-autonome. «Notre affaire est révélatrice de la volonté de contrôle total de la Chine sur Hongkong, estime Lam. Contrairement aux engagements qui avaient été pris vis-à-vis des Britanniques, nous ne pouvons pas élire librement nos représentants, qui sont choisis par Pékin. Les Hongkongais sont habitués à une autre culture, héritée de l'époque britannique. Nous avons un système différent de celui de la Chine. Mais maintenant, Pékin veut gouverner Hongkong comme le reste de la Chine, en s'attaquant à nos libertés. Au premier chef, la liberté d'expression. L'indépendance de la justice aussi est en ligne de mire. Les Chinois ont déjà gagné. Hongkong est sous le contrôle de Pékin.»
Pourtant Lam Wing-kee a choisi de rester à Hongkong malgré la fragilité de la liberté dont il y jouit. En revanche, il n'y exercera plus son métier de libraire. Il ouvrira prochainement une nouvelle libraire sur «l'île rebelle» de Taïwan, qui bénéficie d'une plus grande liberté de mouvement mais sur laquelle Pékin revendique de plus en plus fermement sa souveraineté. Depuis sa boutique de Taïpeh, il exportera de nouveau ses ouvrages, véritable «poil à gratter» pour le régime, vers la Chine continentale. Comme s'il pouvait désamorcer les ennuis potentiels avec le pouvoir chinois, il tient à préciser qu'il respectera «toutes les lois en vigueur en République populaire»… Comme si cela pouvait faire une différence au regard de la justice chinoise

La rédaction vous conseille :

Scènes de violence à Paris et à Nantes lors des manifestations (22.03.2018)
Par Christophe Cornevin
Publié le 22/03/2018 à 20h03
À Paris et à Nantes, des casseurs se sont très vite livrés à des dégradations lors des manifestations contre la politique d'Emmanuel Macron.
Policiers cibles de jets de projectiles, équipements publics vandalisés et symboles de la finance mis à sac… À Paris comme à Nantes, les manifestations hostiles à la politique sociale d'Emmanuel Macron ont été émaillées d'incidents. Dans la capitale, les débordements ont commencé tôt: «Après un rassemblement place de la Nation, un cortège de 500 jeunes, dont une centaine de militants de la mouvance contestataire radicale, a fait mouvement en direction de la place de la République, explique la Préfecture de police. La centaine de casseurs s'est très vite livrée à des dégradations de mobilier urbain ou de vitrines, notamment de banques. Les forces de l'ordre ont en conséquence dispersé ce groupe aux alentours de midi.»
Si la manifestation «Fonction publique», qui a réuni 34 .700 personnes selon le cabinet Occurence, s'est déroulée dans le calme, celle des cheminots, qui a fédéré 13 .100 participants de la gare de l'Est à la Bastille, s'est quant à elle soldée par des violences qui ne sont pas sans rappeler les débordements du printemps dernier en marge de la loi travail. Les mêmes protagonistes sont à la manœuvre: postés en début du cortège, 300 inconnus cagoulés, masqués et vêtus de noir se déploient vers 14 h 30 en formation de type «black bloc» avec la manifeste envie d'en découdre.
Groupes mobiles et organisés
S'emparant de barrières de chantier, des individus harcèlent les forces mobiles, qui essuient une pluie de projectiles à hauteur du boulevard Beaumarchais. Non loin, une voiture est enflammée tandis que des vitrines volent en éclats. Par groupes mobiles et organisés, les casseurs s'en prennent aux bureaux d'un assureur aux cris d'«anticapitalistes!». Pour endiguer la violence qui montait aux abords de la Bastille, le préfet de police Michel Delpuech a donné l'instruction d'utiliser les grenades lacrymogènes et le lanceur d'eau, considéré comme l'ultima ratio en termes d'ordre public.
«Arrivés sur la place de la Bastille, les deux cortèges se sont rejoints et les manifestants se sont dispersés sans incident»
La Préfecture de police
«Arrivés sur la place de la Bastille, les deux cortèges se sont rejoints et les manifestants se sont dispersés sans incident», précise la Préfecture de police, qui fait état de «dégradations de vitrines de plusieurs agences bancaires», «dégradations de panneaux publicitaires», d'un véhicule «partiellement incendié» et de «divers tags sur du mobilier urbain». Le bilan policier fait état de «trois interpellations, dont celle d'un militant violent déjà connu des services».
À Nantes, où le cortège a réuni près de 8500 manifestants, des heurts analogues ont éclaté entre des manifestants et des policiers. Un «groupe hostile cagoulé» a lancé des projectiles sur les policiers, qui ont là encore répliqué par des tirs de lacrymogènes et des lances à eau. Huit interpellations ont eu lieu et quatre gendarmes ainsi que deux CRS ont été légèrement blessés. Des tags sur un monument en mémoire des Français tombés pendant la Seconde Guerre mondiale sont également à déplorer.

La rédaction vous conseille :


Islamisation, délinquance, trafics : ce qui se passe vraiment dans les banlieues (23.03.2018)

Par Manon Quérouil-Bruneel
Mis à jour le 23/03/2018 à 08h13 | Publié le 23/03/2018 à 06h30
EXCLUSIF - Pendant un an, Manon Quérouil-Bruneel, grand reporter, est allée à la rencontre des habitants d'une cité de Seine-Saint-Denis. Religion, drogue, prostitution, petits trafics et grand banditisme : son livre choc, La Part du ghetto, raconte le quotidien méconnu d'une France en marge de la République. Récit de son enquête et extraits exclusifs.
«Il suffit de passer le pont, c'est tout de suite l'aventure!» chantait Brassens. Ça marche aussi avec le périphérique. A moins d'une dizaine de kilomètres de la capitale se trouve un autre monde, à la fois proche et lointain. Avec ses codes, ses règles et ses valeurs. Pendant un an, j'ai tenté d'en comprendre le fonctionnement en m'immergeant dans une cité de Seine-Saint-Denis. Pour pousser des portes qui me seraient restées closes, je me suis appuyée sur l'un de ses habitants, Malek Dehoune, que je connais depuis une dizaine d'années. Ensemble, nous avons eu envie de raconter cette vie de l'autre côté du périph, loin des clichés. Grâce à sa solide réputation dans la cité, la méfiance qu'inspirent généralement les journalistes s'est progressivement estompée. Au fil des mois, j'ai obtenu les confidences de dealers, de mères de famille, de prostituées, de retraités, de grands voyous, de commerçants, de musulmans laïcs et de salafistes. Je les ai écoutés en m'appliquant à ne jamais les juger.
Ces tranches de vie racontent un quotidien très éloigné de celui que peignait La Haine - film culte sur le malaise des banlieues françaises et de cette deuxième génération d'immigrés, née en France dans les années 1970, qui a grandi la rage au ventre en ne se trouvant nulle part à sa place. En plongeant dans la cité, je pensais naïvement côtoyer leurs dignes héritiers. Mais vingt ans après, les choses ont bien changé. Les jeunes ne brûlent plus de voitures, ils font du fric sans esclandre, conscients que les émeutes nuisent au business. Pragmatiques, avant tout. «On est des bourgeois, pas des révolutionnaires, comme le résume l'un d'entre eux, surnommé «Chocolat», en référence au shit qu'il vend. On sait qu'on fait pas longtemps dans ce métier. On mène une vie normale, comme un type qui travaille dans un bureau, quoi.»

Le trafic de cannabis reste un grand classique en cité. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
En l'occurrence, plutôt comme un patron d'une petite PME. A 22 ans, «Chocolat» est le gérant de ce qu'on appelle un «terrain», c'est-à-dire un territoire de deal, qui se vend et s'achète comme un bien immobilier: entre 100.000 et 2 millions d'euros - selon la taille et la localisation. Mais ce n'est pas qu'une question d'argent: un terrain se mérite et se gagne aussi à la réputation. Quand les «anciens» décident qu'ils n'ont plus l'âge de dealer au pied des tours, ils choisissent avec soin ceux à qui ils passent la main. «Choco» a été désigné à 19 ans. Son terrain se trouve à côté de celui de football, dans le parc pelé au cœur de la cité. Avant midi, il est généralement désert. Les «petits», comme les surnomment les «anciens», vivent la nuit et se lèvent tard. Sur son terrain, «Chocolat» écoule en moyenne 350 grammes de cannabis par jour. Un emplacement «moyen», comparé à d'autres, comme celui de Bagnolet, qui débite un kilo par jour. Mais il lui permet de gagner «un smic tous les deux jours», et de s'offrir les services d'un vendeur et de deux «choufs» - des guetteurs chargés de donner l'alerte en cas de descente policière. «Chocolat» se contente de passer quelques heures, pour vérifier que tout va bien et verser les salaires de ses employés, payés 50 euros par jour. Le reste du temps, il s'occupe de l'approvisionnement, la clé d'un business prospère.
«Nous, on vend pas la mort. Le shit, c'est naturel. Ça sort de la terre, comme un légume. »
«Chocolat», dealer de shit
Le shit, c'est comme le cours de l'or: le prix au kilo peut varier de plus ou moins 1000 euros sur un an. Comme un trader, un bon trafiquant doit anticiper les variations, avoir du stock en réserve et être placé au plus proche de la source, pour avoir le meilleur tarif possible et dégager un maximum de bénéfices. La pièce d'un kilo de cannabis «se touche» autour de 1200 euros au Maroc ; elle passe à 2300 euros en Espagne et peut être revendue jusqu'à 3500 euros en France. Entre chaque pays, il y a des intermédiaires, des «apporteurs d'affaires», qui se rémunèrent au pourcentage en fonction du volume de la transaction. J'ai découvert avec surprise que, dans ce monde de truands, la marchandise s'achète presque toujours à crédit. Une chaîne de crédits, même, qui court du Maroc jusqu'au 93 et qui débouche sur des règlements de comptes sanglants, quand la drogue est saisie et que l'acheteur se retrouve dans l'incapacité de rembourser. Ou qu'il décide finalement de ne pas payer et de disparaître dans la nature… Pour se prémunir de ce genre de déconvenues, de plus en plus fréquentes selon mes interlocuteurs dans la cité, les fournisseurs exigent de leurs clients d'être recommandés par des amis communs ou de fournir l'adresse de leurs parents afin d'avoir un moyen de pression. C'est également pour cette raison qu'ils préfèrent vendre au propriétaire d'un terrain: comme dans un commerce, il y a toujours du cash en circulation.
Dans la cité où j'ai mené mon immersion, il n'y a pas de terrain de cocaïne ou d'héroïne. «Pas notre culture, explique «Chocolat». Nous, on vend pas la mort. Le shit, c'est naturel. Ça sort de la terre, comme un légume.» Ceux qui se lancent dans la blanche le font loin du quartier, à bord d'une «coke-mobile» qui livre les clients à domicile. Il arrive que le véhicule en question fasse également VTC.

La cité est un monde d'hommes. Les aînés font respecter leur loi et veillent sur la tranquillité des habitants comme une police de proximité parallèle. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
La double casquette chauffeur Uber/dealer de coke fonctionne bien, les courses offrant une bonne couverture aux livraisons. Il y a quelques années, un jeune a tenté d'enfreindre cette loi tacite, qui proscrit la vente de drogue dure dans l'enceinte de la cité. Il a ouvert un terrain de crack au pied des tours. Le parc s'est retrouvé envahi de zombies, qui se shootaient au milieu des enfants. Les policiers ont multiplié les descentes, mais ce sont finalement les «anciens» qui l'ont délogé. Ce sont eux qui se chargent de maintenir l'ordre et de veiller à la tranquillité des habitants, comme une police de quartier parallèle.
C'est parce qu'ils se sentent investis de cette même mission de protection que les jeunes livrent aujourd'hui une guerre sans merci à ceux qu'ils appellent les «Lampédouz» - les clandestins maghrébins arrivés en masse ces dernières années dans la foulée des printemps arabes. Alors que les guerres entre bandes rivales sont devenues plus rares, se réglant le plus souvent par les réseaux sociaux, la nouvelle violence qui agite régulièrement la cité est celle qui oppose ces jeunes issus de l'immigration aux nouveaux arrivants: souvent des hommes seuls, qui dorment dans des squats à l'ombre des barres HLM ou s'entassent dans des appartements insalubres loués par des marchands de sommeil. Ils vivotent en travaillant au black sur des chantiers, en vendant des cigarettes à la sauvette, en arrachant des sacs et des portables, aussi. Les vols commis dans la cité déclenchent systématiquement des représailles, à coups de batte de baseball et de barre de fer. Les jeunes débarquent alors en bande et tabassent tous les migrants qui se trouvent sur leur passage. Les comportements «inappropriés» sont également sévèrement sanctionnés. Un jour, un «Lampédouz» aviné s'est déshabillé dans la rue. Il s'est retrouvé à l'hôpital, le crâne fracassé par la bouteille qu'il venait d'écluser…
Cette violence à l'encontre de nouveaux immigrés ne choque pas les habitants «historiques» du quartier. Ils considèrent que cette vague de clandestins a accéléré leur descente dans les abîmes de la ghettoïsation. Malek le résume ainsi: «On est déjà tous en galère, on peut pas accueillir toute la misère du monde.»
«On est déjà tous en galère, on peut pas accueillir toute la misère du monde.»
Malek, habitant du quartier

Ceux que les habitants de la cité appellent les «Lampédouz» les clandestins maghrébins arrivés en masse dans la foulée des printemps arabes survivent dans des squats insalubres au pied des tours. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Dans la cité, tout le monde est unanime: le quartier a beaucoup changé ces dernières années. En mal. Il ne brûle plus, mais il se consume à petit feu. Les voyants sont au rouge, mais le reste du pays s'obstine à regarder ailleurs - d'autant plus facilement que les scènes de guérilla urbaine sont devenues plus rares au JT. Un sentiment d'abandon prédomine, particulièrement au sein de la première génération arrivée dans les années 1970. Omar, le père de Malek débarqué d'Algérie pour travailler comme couvreur à l'âge de 19 ans, se souvient avec nostalgie de la mixité d'antan, «des boulangeries traditionnelles, des boucheries chevalines, des filles en minijupe dans les rues». Il m'explique que, à l'époque, personne ne se souciait de manger halal ou de porter le voile. «On était là pour bosser dur. Moi, mon identité, c'était pas Français ou Algérien, c'était ouvrier.» Omar voulait s'intégrer avant tout. Il a toujours refusé de parler arabe ou kabyle à ses fils, mangeait des rillettes au petit déjeuner, a fait la guerre à sa femme qui s'accrochait à sa djellaba quand il l'emmenait à la plage. «Je lui ai dit: soit tu mets un maillot comme tout le monde, soit tu te casses. La religion, c'est privé, ça s'affiche pas.»
Et puis, il y a eu un tournant dans les années 1990. Le mythe du bon immigré a fait long feu. La religion est progressivement devenue un étendard, une cuirasse identitaire qui a fait voler en éclats le «vivre-ensemble» auquel beaucoup sont pourtant attachés. Dans le salon de coiffure où je me suis souvent rendue pour prendre la température du quartier, les conversations tournent beaucoup autour de ce repli communautaire. «La dernière fois, raconte l'un des clients, j'ai livré un barbu. Le type, il enferme sa femme à clé. Mais rentre au bled, frère! On est où, là? Sarko, il avait raison: si t'es pas content, casse-toi. Le quartier est perdu, ce n'est plus la France, ici. Forcément que les Blancs, ils sont partis. Qui veut vivre avec des burqas, des gosses qui dealent en bas de l'immeuble et des clandos qui volent des sacs? Les bobos peuvent bien hurler, c'est pas eux qui vivent dans ce merdier!»

Le communautarisme s'est renforcé depuis les années 1990. Dans le quartier, beaucoup regrettent cependant le repli sur soi et dénoncent un abandon des services publics. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Les burqas et les kamis, qui n'existaient pas il y a une vingtaine d'années, ont essaimé dans la cité. Manger «halal» est devenu une préoccupation pour la nouvelle génération, qui revendique de vivre «plus près de Dieu que ses aînés». Plutôt qu'un mariage à la mairie, les jeunes préfèrent désormais sceller leur union devant l'imam, selon la tradition musulmane.
Autre manifestation de la religion devenue une ressource culturelle: le succès de la médecine prophétique, qui consiste à soigner les maux qui résistent à la médecine traditionnelle par des méthodes inspirées du temps du Prophète, comme la «hijama» (un traitement à base de saignées) ou la «roqya» (une séance de désenvoûtement par le Coran). La «omra», le «petit pèlerinage» à La Mecque effectué hors saison, rencontre également un franc succès dans les quartiers, notamment parmi les jeunes. D'abord pour d'évidentes raisons financières, puisque le voyage, organisé par des tour-opérateurs, est accessible à partir de 900 euros, contre 4000 minimum en période officielle de hadj. Mais cet engouement pour la omra est également révélateur d'une certaine mentalité, de cette génération du «tout, tout de suite». «Avant, explique Abdel, on attendait des années pour pouvoir se payer le hadj. C'est un pilier de l'islam qui se mérite. Après, tu es censé avoir un comportement exemplaire à vie. Ne plus dealer, ne plus tiser (boire de l'alcool, Ndlr). La omra, c'est moins engageant. Souvent, elle est même financée avec l'argent de la drogue. L'hypocrisie va jusque-là.»
Dans une même tour, des prostituées et des salafistes

On joue beaucoup en cité. La pauvreté pousse à tenter sa chance. Ici, une partie de poker clandestine organisée dans un appartement vide. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Je l'ai souvent constaté au cours de mon immersion: la vie en cité pousse ses habitants à une certaine forme de schizophrénie. Il y a d'un côté le poids du regard des autres, l'injonction tacite à se conformer aux attentes de la communauté. Et de l'autre, l'envie de vivre sa vie comme on l'entend. Un assemblage compliqué, qui donne parfois naissance à de surprenants phénomènes de société. Comme le boom de la prostitution parmi les jeunes filles de banlieue, dans un environnement où on les enjoint pourtant plus qu'ailleurs à la «décence». Des «wannabe Zahia», la Pretty Woman des cités, qui voient dans l'escorting un moyen rapide de s'affranchir du ghetto, de s'offrir un joli sac ou de partir en vacances. Karima, l'une des jeunes femmes que j'ai rencontrées, dans le secteur depuis quelques années déjà, le résume ainsi: «Tout commence quand tu découvres que tu peux monnayer un rapport.»
De leur côté, les garçons ont vite flairé le bon filon, proposant leurs services contre la moitié des gains. Il s'agit souvent d'anciens dealers reconvertis dans le proxénétisme - moins risqué et parfois plus lucratif que le stup -, qui se chargent de mettre en ligne une annonce sur des sites spécialisés, louent un appartement pour recevoir les clients et assurent la sécurité des filles. L'un d'entre eux, Ryan, m'a confié gagner jusqu'à «1500 euros les bons jours», en faisant travailler trois filles qui enchaînent une dizaine de clients chacune…
Au cours de mon reportage au long cours, j'ai rencontré dans une même tour d'immeuble des prostituées et des convertis au salafisme ; des jeunes femmes qui gagnent plus d'argent que leur père, mais doivent faire un halal pour avoir le droit de quitter le domicile familial ; des jeunes qui partent s'encanailler à Pattaya et font des selfies à La Mecque le mois suivant. La cité est un monde d'équilibristes, où se cache derrière chaque paradoxe apparent une ambition cohérente: parvenir, coûte que coûte, à arracher sa part du ghetto.
Une cité de Seine-Saint-Denis. - Crédits photo : Veronique de Viguerie

EXTRAITS
«L'arnaque des open»

- Crédits photo : _CYR
Il y a quelques années, l'aristocratie de la voyouterie, c'était le braquage. Sauf qu'il y a de moins en moins de liquide dans les banques. L'avenir, c'est le virtuel. Avec le darknet (le cryptage sur internet où l'anonymat est garanti, ndlr), le piratage de carte Bleue est devenu un jeu d'enfant, tout comme l'usurpation d'identité ou la création de faux comptes bancaires. Elias s'est livré à une étude de marché attentive de la délinquance financière: «Si je t'explique tout, t'as mal à la tête», plaisante-t-il un soir, alors que nous sommes installés à notre table habituelle du café. Il vient de sortir de cours, sa sacoche sous le bras: «En fait, j'exploite les failles du système. Et il y en a plein.»
Sa spécialité, ce sont les «open», les ouvertures de comptes avec des cartes d'identité volées, puis «flashées»: «Pour 1000 euros, y a des types qui te mettent la gueule de qui tu veux dessus. Moi, je choisis un petit qui présente bien, qui a un casier vierge et qui va travailler la conseillère à la banque avec un beau dossier tout bidon. En dix jours, t'as un compte. Et la beauté du truc, c'est que, avec une même identité, tu peux ouvrir dix comptes dans dix banques différentes. Ensuite, il n'y a plus qu'à enfoncer (endosser, ndlr) des chèques. Soit j'achète tout un carnet sous le manteau, soit j'en fais laver un.» Laver, c'est-à-dire effacer le nom du bénéficiaire d'origine pour le remplacer.
Un travail d'orfèvre, le boulot des «Zaïrois», comme les appelle Madoff - «De vrais magiciens! Si je savais comment ils font, je serais millionnaire!» Elias commence par enfoncer un «petit chèque, genre 1500 euros. Dès qu'il passe, j'en enfonce un max, tous les deux jours, jusqu'à ce que ça bloque.» Bon, le système a ses limites, me dit-il. Il y a de la déperdition, des comptes qui ne sortent pas, des chèques qui ne passent pas. «C'est parfois beaucoup de boulot pour rien.» Le mieux, c'est encore d'enfoncer des chèques lavés d'un gros montant sur un compte existant. Le propriétaire (du compte, ndlr) prend 30 % de la somme, par conséquent, m'assure Elias, il se moque d'être convoqué par sa banque pour rembourser la somme encaissée. «Le gars se barre au bled pendant cinq ans, le temps que dure l'interdiction à la Banque de France. Puis il revient, ouvre un nouveau compte, et recommence. C'est ballot, hein?»
Faire profil bas
Alice a une trentaine d'années, deux enfants en bas âge, et crée des bijoux fantaisie qu'elle vend en ligne. Avant, avec son compagnon, ils vivaient dans le XIe arrondissement. En 2011, ils décident d'acheter. Avec leurs petits salaires d'autoentrepreneurs, ils se tournent logiquement vers la proche banlieue et font l'acquisition d'un 90 mètres carrés à 375.000 euros, dans ce quartier qu'on annonce comme un futur Brooklyn dès qu'une fromagerie, preuve irréfutable de gentrification, ouvre miraculeusement de l'autre côté du pont…
«Le jour de l'emménagement, me raconte Alice, on est allés à la boulangerie en bas de chez nous. J'ai demandé un jambon-beurre, le mec m'a regardée comme si j'étais une extraterrestre.» […] Elle a, aussi, dû se plier à l'injonction tacite d'un vestiaire «spécial 93». «Dès que je mettais une jupe, je me faisais emmerder. On me demandait: “C'est combien?”, “Tu me fais un petit truc?” J'ai rangé jupe, rouge à lèvres, et décolleté. Oui, ça fait chier de se conformer à un ordre moral. Mais c'est le prix de la tranquillité.» […]
Cette année, le ramadan s'est bien passé. «Les premières fois, on ne dormait pas. Les gens étaient dehors toute la nuit, ils jouaient aux cartes dans la rue, se bastonnaient, faisaient des roues arrière sur des quads… On passait notre temps à appeler les flics» - qui ne venaient pas. «De façon générale, remarque Alice, la présence policière ici, c'est service minimum. On se demande même si ce n'est pas fait exprès. Ils laissent le trafic proliférer, comme ça le réseau est identifié et contenu, et ne s'étend pas de l'autre côté du pont [où le quartier est en cours de réfection]. La municipalité a mis un spot devant l'école, il a tenu quinze jours. La plupart des rues du quartier sont plongées dans le noir. Dès que la nuit tombe, les mecs peuvent faire leur petit business tranquille.»
A un moment, avec son mari, ils ont failli plier bagage. Abdiquer. «Je ne peux pas me mettre seule à une terrasse de café. Il y a peu de parcs, peu de commerces. A la sortie du métro, il faut se cramponner à son sac à cause des vols à l'arraché.» […] En attendant, Alice s'est fait une raison. Au fil des ans, elle a arrêté d'écrire au maire pour faire remplacer les éclairages publics, ou demander l'installation de brumisateurs pour que les gosses arrêtent de s'arroser avec les extincteurs en été. Elle fait un détour pour éviter les coins où ça trafique - les «no-go zones» - et ne se balade jamais dans le quartier. Elle va d'un point A à un point B, se fait la plus discrète possible. «La règle est simple, me dit-elle: c'est nous, les étrangers ici.» L'entraide et la solidarité, ce sentiment d'appartenir à une grande famille que décrivent les habitants historiques de la cité, semblent hors de sa portée.
Norane revendique son appartenance à une double culture. Elle prie, porte des talons hauts, et s'est mariée religieusement pour faire plaisir à ses parents. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Islamisation
Quelque chose a ripé au sein de cette génération bercée dans le giron français, qu'on espérait laïque, comme un dédommagement ou une reconnaissance envers la République qui avait accueilli leurs parents, mais qui s'est révélée plus pratiquante que la précédente.
Selon Abdel, les premières secousses remontent au milieu des années 1990, avec ce qu'on appelle dans les banlieues, non sans humour, la BAC - «la Brigade anti-sheitan» (diable, ndlr). Des tablighis, des prédicateurs fondamentalistes, ont commencé à tourner dans le quartier pour porter la bonne parole auprès des jeunes: «Ils venaient nous faire chier pendant qu'on jouait au foot aux heures de la prière pour nous envoyer à la mosquée, me raconte Abdel. Ensuite, la BAC a été remplacée par les salafistes et les Frères muz'. Rien de nouveau: juste, aujourd'hui, ils ont un public.»
Selon lui, le jilbab (voile long qui couvre l'intégralité du corps mais pas le visage), la barbe longue, le kamis, ce n'est pas de la conviction, mais de l'ostentation. Un bras d'honneur à la société française. A la fois un étendard et une cuirasse identitaire. «Aujourd'hui, les jeunes ne savent même pas écrire leur prénom en arabe, ils ne connaissent aucun verset du Coran, mais se disent musulmans plutôt que Français. Ils vont à la mosquée à la salat de 14 heures pour se montrer, mais tu peux y aller: à celle de 5 heures du matin, y a personne. Ils font des mariages halal pour niquer dans la religion mais dealent leur saloperie sans se poser de questions. C'est des petits cons qui n'ont jamais écouté Brassens, qui ne connaissent que Booba et Scarface. Ils veulent aller à La Mecque parce que ça fait bien, et que ça rachète une virginité au passage. Hop, un petit selfie devant la pierre sacrée, et retour à leur vie d'embrouilles.»
Prostitution de banlieue

Depuis deux ans, la prostitution explose en banlieue. Karima loue ses services sur des sites spécialisés et gagne jusqu'à 8 000 € les bons mois. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Avec le temps, Karima s'est forgé la conviction selon laquelle il n'y aurait au pied des barres que deux chemins de vie possibles: se marier ou se prostituer. Elle a commencé par la première option. Il fallait se «faire valider», comme elle dit. Marcher dans les rangs, faire ce que sa famille et sa «culture» lui commandaient. A 18 ans, elle se marie donc avec son premier amour. Mais l'homme se révèle violent. La validation est une seconde prison. «Dans notre communauté, refuser de se faire sucer par une meuf, c'est une preuve de respect. Lui parler comme à une merde, par contre, ça pose pas de problème. C'est le grand n'importe quoi. Le mien, il voulait que je me teigne en blonde et que je foute le voile dessus. C'est ça, le paradoxe des mecs de banlieue. Ils sont “matrixés”. Ils veulent à la fois une chienne et une fille bien.» Je lui dis que, en y réfléchissant, c'est une variante orientale de la maman et de la putain: un fantasme masculin universel, qui dépasse largement le périphérique. Elle m'objecte que si, dans la culture occidentale, c'est idéalement la même femme qui est censée endosser ce double rôle en alternance, pour les Arabes, il faut en réalité au moins deux femmes. Une pour chaque fonction: une fille «respectable», avec laquelle ils entretiennent une relation sérieuse et qu'ils finissent en général par épouser, et une ou plusieurs filles «inavouables», denrées à la fois périssables et interchangeables, dont ils montrent les photos dénudées aux copains en gloussant.
Karima a divorcé deux ans après s'être mariée, sans parvenir à rompre complètement le lien. Habituée, finalement, à ce type de relation qu'elle a intégré comme la norme. «Matrixée», elle aussi. De ces réconciliations épisodiques est né il y a quatre ans un fils, qu'elle élève seule, comme elle peut, aménageant ses rendez-vous clients en fonction des horaires d'école et des vacances scolaires. Le gosse est un garde-fou, qui la préserve de l'abattage et l'oblige à travailler avec méthode. Karima a mis son annonce sur deux sites - Wannonce et Allo-escorte - et paie 400 euros tous les mois pour qu'elle reste bien référencée. Elle reçoit plus de 150 appels par jour sur ses trois téléphones - un pour chaque site, plus un perso. «La Maghrébine avec des formes, c'est à la mode, y a une mouvance depuis Zahia.»
Ça marche tellement bien qu'elle monnaie ses prestations dans toute la France. «En été, je fais des tournées sur la Côte d'Azur. Je modifie ma localisation sur mon profil, je me pose trois jours à l'hôtel, et ça défile. Mais j'ai des limites. Faut que ça reste humain. Trois clients maxi par jour, à 300 euros de l'heure. Ça écrème. Plus t'es chère, plus t'as des clients classe.» Ses préférés, ce sont les «babtous», des «petits Blancs» traders, dans l'immobilier ou dans le cinéma. Depuis qu'elle a commencé, Karima gagne environ 4000 euros par mois «en étant feignante», 8000 quand elle s'«arrache». Plus la CAF.
La Part du ghetto, de Manon Quérouil-Bruneel et Malek Dehoune, Fayard, 218 p., 17 € .

À Sarcelles, l'islamisme a finalement réussi à s'implanter, malgré la vigilance des habitants (19.03.2018)
Par Jean Chichizola
Mis à jour le 19/03/2018 à 19h17 | Publié le 19/03/2018 à 18h29
REPORTAGE - Depuis cinq ans, les habitants de cette ville du Val d'Oise assistent à la montée en puissance de l'islam radical.
À Sarcelles, la scène est devenue presque quotidienne. Devant l'école Jean-Jaurès, avenue du Maréchal-Koenig, les parents d'élèves sont invités à converser avec des fidèles venus de la mosquée voisine, contrôlée par des salafistes. À l'ombre du père du socialisme français et du héros de la France libre, quelques tréteaux sont même parfois installés. Au menu des discussions, la religion mais aussi des offres de service (soutien scolaire, aide matérielle…).
Dans cette Sarcelles longtemps connue pour ses communautés juive («La Petite Jérusalem» traumatisée par une émeute antisémite en 2014 et l'agression de trois jeunes Juifs depuis janvier), chrétienne chaldéenne et pour son islam divers venu du Maghreb, d'Afrique noire ou d'Asie du Sud, les discussions de l'avenue Koenig témoignent d'une activité accrue des tenants de l'islam radical.
«Avant il n'y avait pas de “barbus”, il y avait des musulmans»
Un habitant
Pendant longtemps, la ville a été plutôt à l'abri d'un islamisme qui gagnait les alentours. Jusqu'aux années 2012-2013, quand des radicaux venus de Seine-Saint-Denis sont apparus à Goussainville, à Garges-lès-Gonesse puis à Sarcelles. «Avant il n'y avait pas de “barbus”, remarque un habitant, il y avait des musulmans.»
La stratégie suivie par les radicaux est des plus classiques: entrisme dans les mosquées, politique tournée vers la jeunesse, investissement des champs associatifs et politiques. Un beau jour, un groupe radical issu de la communauté turque de Goussainville arrive ainsi pour louer un local dans le quartier Chantepie. Situé à deux pas d'un grand centre commercial, l'endroit ressemble au reste de la ville: des barres d'immeubles sans âme. Des musulmans du quartier ne tardent pas à dénoncer ces nouveaux venus qui cherchent à attirer leurs enfants dans leur nouveau lieu de prière. Le site est finalement fermé pour non-respect des règles de l'urbanisme.
Le groupe cherche ensuite à faire de l'entrisme dans la principale mosquée de la ville, Foi et Unicité. «Ils ont tenté un coup de force, explique son secrétaire général, Hammadi Kaddouri, ils ont même squatté mais nous les avons repoussés. Aujourd'hui, nous assistons encore à des coups tordus mais les gens le savent: nous ne sommes pas salafistes. Nous sommes très vigilants et nous n'hésitons pas à licencier ceux qui dérapent.»
Un islam politique
Une récente affaire démontre d'ailleurs qu'il est parfois difficile d'éviter de tels dérapages. Ayant ouvert il y a trois ans une école coranique sauvage dans un appartement de la ville, un jeune radicalisé avait été prié de rejoindre les locaux de la mosquée, pour être mieux surveillé par la communauté. L'homme vient d'être condamné à douze mois de prison pour avoir frappé et rasé un élève de 12 ans à la coiffure (teinte) «interdite par les règles coraniques».
Après deux échecs, les vrais «barbus» se sont quant à eux finalement installés dans le quartier de l'école Jean-Jaurès où ils attirent 50 à 60 fidèles chaque jour, 100 à 150 pendant le ramadan (contre 300 à 400 fidèles pour Foi et Unicité, 1500 le vendredi).
La jeunesse est particulièrement courtisée par la mouvance. La rue de l'Escouvrier, dans une triste zone industrielle aux marges de la ville, abrite deux écoles confessionnelles, l'une hors contrat, l'autre au statut incertain. Sans oublier la création d'associations de parents d'élèves «indépendants» qui intègrent les conseils des écoles publics. Très actives, on y compte nombre de mamans voilées.
«Nous assistons aux prémices d'une implantation, assumée, identifiée par tous et par les services de renseignement. Mais l'État ne fait rien pour éviter la catastrophe annoncée»
François Pupponi, ancien maire de Sarcelles
Un autre acteur, l'association «le Complexe éducatif européen», prônant le soutien scolaire, est également apparu. Fort soigné, son site Internet se garde de tout prosélytisme mais des femmes, dont des enseignantes, y sont voilées, parfois des pieds à la tête (sans aller jusqu'au niqab). Et sur les réseaux sociaux, son directeur semble beaucoup s'intéresser au «sionisme» et aux pays du Golfe. La MJC locale accuse en outre ce «Complexe éducatif» d'avoir tenté en 2016 une prise de contrôle, ratée, en usant de méthodes musclées.
Dans la continuité de cette montée en puissance, 2017 fut enfin l'apparition au grand jour d'un islam politique avec la candidature aux législatives du candidat «indépendant» Samy Debah qui, soutenu de facto par La France insoumise, a été battu au second tour. Tout en étant majoritaire dans sa ville de Garges-lès-Gonesse, ce qui annonce d'autres combats.
Se revendiquant comme un candidat comme les autres, Samy Debah est surtout le fondateur du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Et, selon son adversaire victorieux, François Pupponi, bête noire des islamistes et de l'extrême gauche, il a bien été soutenu par l'ensemble de la mouvance islamiste. Pour le député socialiste et ancien maire de Sarcelles, «nous assistons aux prémices d'une implantation, assumée, identifiée par tous et par les services de renseignement. Mais l'État ne fait rien pour éviter la catastrophe annoncée».
La rédaction vous conseille :
Rédacteur en chef adjoint, service Société
Ses derniers articles


Islam de France : les pratiques très procédurières du CCIF (19.03.2018)
Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 19/03/2018 à 21h07 | Publié le 19/03/2018 à 20h41
Agissant essentiellement sur le plan juridique, le Collectif contre l'islamophobie en France incite les mères voilées interdites d'accompagnement de sortie scolaire à contester ces décisions.
L'islam et l'islamisme font deux. Il suffit de comptabiliser toutes les initiatives du Conseil français du culte musulman (CFCM) depuis 2003 - dont «la charte de l'imam» lancée en mars 2017 - pour tenter d'endiguer le phénomène de radicalisation de la jeunesse musulmane pour s'en faire une idée. Mais en février dernier, l'actuel président du CFCM, Ahmet Ogras, confessait au Figaro: «Les radicaux ont quitté depuis longtemps les rangs des mosquées, qu'ils trouvent justement… pas assez radicales. Ces musulmans-là nous échappent, il faut le reconnaître. Ils forment des groupuscules marginaux et suivent des pseudo-enseignements sur Internet que nous ne contrôlons pas.»
Pas question, donc, d'enfermer l'islam dans un amalgame où tous les musulmans seraient des intégristes. Pour autant, il existe une voie non violente, subtile, lente et intelligente visant à légitimer et normaliser un islam rigoriste en France. Cette tendance de l'islam exige même un respect scrupuleux de la laïcité… Mais elle attend en échange - au nom d'une séparation étanche - le respect d'un islam plutôt intransigeant. Où l'État n'aurait pas à son mot à dire…
Normalisaton du rigorisme islamique
C'est toute la stratégie de l'ancienne UOIF, Union des organisations islamiques de France, rebaptisée, en 2017, Musulmans de France. Année après année, cette organisation invitait par exemple Tariq Ramadan à son rassemblement du Bourget. Cet orateur hors pair et très écouté plaidait devant des foules la voie du respect des lois de la République - donc de respect de la laïcité - tout en prônant la promotion d'un islam traditionnel, fidèle à ses racines selon l'esprit typique des Frères musulmans.
Cette tentative de normalisaton du rigorisme islamique en France a aussi son volet grand public. Avec une officine très efficace, dont il ne faut surtout pas écrire qu'elle aurait des liens avec les Frères musulmans sous peine d'essuyer un droit de réponse. Car le CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France) agit essentiellement sur le plan juridique et n'hésite pas à attaquer la presse pour diffamation.
«Même si un règlement intérieur indiquant une interdiction du voile pour les mamans voilées vous est remis, il faut le contester»
Le CCIF
Ce mois-ci, son site donne ainsi trois conseils aux mères de famille voilées qui se verraient interdire d'accompagner une sortie scolaire: «Je demande une preuve écrite de l'interdiction que l'on m'oppose. Peu importe le motif invoqué par votre interlocuteur, il est primordial que vous demandiez une preuve écrite de ce qui est avancé.» Et cette précision: «Même si un règlement intérieur indiquant une interdiction du voile pour les mamans voilées vous est remis, il faut le contester. En effet, aucun règlement intérieur ne peut se soustraire à la loi en vigueur. Un tel document sera donc jugé illégal.»
Deuxième conseil: «Aucun texte de loi ne pourra être produit, car la loi est de votre côté. J'informe mon interlocuteur qu'en tant qu'usagère du service public, je ne suis pas soumise au devoir de neutralité, contrairement aux agents de l'État, conformément à la loi de 1905.»
Et ce troisième conseil: «Je mets en avant le fait que je propose de donner de mon temps à titre gracieux et que mon éviction ou bien l'annulation de la sortie scolaire ne palliera pas le vrai problème qui est le manque d'effectifs. (…) Au contraire, en cas d'annulation, les enfants seront déstabilisés, car incapables de comprendre ces pratiques discriminatoires et se forgeront l'image d'une école autoritaire et qui leur aura injustement interdit d'aller au musée…»
Dans cet esprit, le CCIF vient d'écrire le 13 mars une lettre ouverte au président de la République pour lui demander - en vue de garantir l'indépendance du champ religieux - sa protection contre «les attaques des radicalisés de la laïcité» et contre toute «ingérence laïciste».
La rédaction vous conseille :

EN DIRECT - Au moins un mort dans une prise d'otages à Trèbes près de Carcassonne (23.03.2018)
Par Le figaro.fr
Mis à jour le 23/03/2018 à 13h43 | Publié le 23/03/2018 à 11h52
Vendredi matin, un homme a pris en otages plusieurs personnes dans un supermarché de Trèbes dans l'Aude. Plus tôt, un policier a été blessé non loin de là. Tout laisse «à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste», selon le premier ministre Edouard Philippe.
TOUT LE LIVELES ESSENTIELS
ORDRE DES POSTS
EN COURS : Mis à jour à 16:49
à 15:49
Le preneur d'otage serait un Marocain suivi pour radicalisation
Selon une source proche de l'enquête citée par l'AFP, l'homme soupçonné d'être le preneur d'otage à Trèbes serait un marocain suivi pour radicalisation.
à 15:49
Les élèves de Trèbes confinés mais «en sécurité» dans les établissements
Les élèves sont "en sécurité à l'intérieur" des écoles et du collège de Trèbes (Aude) et "y resteront" pendant la durée de la prise d'otages en cours dans le supermarché de la ville, a affirmé vendredi l'académie de Montpellier.

"Les élèves des (quatre) écoles et du collège de la ville de Trèbes dans l'Aude sont en sécurité à l'intérieur des établissements. Ils y resteront jusqu'à nouvel ordre. Un repas sera servi aux externes. Il est demandé aux familles de ne pas se rendre sur place", a indiqué l'académie dans un communiqué, sans préciser le nombre d'élèves concernés.

Tous les accès à la ville de Trèbes étaient bouclés par des forces de l'ordre fortement armées, a constaté un journaliste de l'AFP.
à 15:27
Le point de situation à 13H30
http://assets-picto.lefigaro.fr/live_actu/Picto-generaux/Attention.jpg
• Deux attaques dans l’Aude, dont une prise d’otage toujours en cours
En fin de matinée, un groupe de CRS faisant de la course à pied a été visé par un individu armé qui les suivait en voiture. L’un d’entre eux a été blessé à l’épaule, sans que son pronostic vital ne soit engagé. L’assaillant a pris la fuite.
Dans la foulée, un individu a pris en otages des clients et des employés dans un supermarché de Trèbes, à 15 minutes de Carcassonne. Très vite, les forces de sécurité sont intervenues et des clients du magasin ont pu être évacués. Selon la gendarmerie, il y aurait deux morts à déplorer, au moins un selon nos informations. À 13H, la prise d’otages était toujours en cours et le forcené était toujours retranché dans le magasin.
Le lien entre les deux événements n’a pas encore été officiellement établi. Les enquêteurs travaillent sur l'hypothèse que les deux attaques soient le fait d'une seule et même personne. 
• Le preneur d’otages se revendique de Daech
C’est ce qu’affirme le parquet de Carcassonne. Pour l’heure, le groupe terroriste Etat islamique n’a rien revendiqué.
• La section antiterroriste du parquet de Paris a ouvert une enquête
Le parquet de Carcassonne s'est dessaisi de l'affaire au profit de la section antiterroriste du parquet de Paris, qui a ouvert une enquête pour assassinat, tentative d'assassinat et séquestrations sous conditions, le tout en relation avec une entreprise terroriste, et associations de malfaiteurs terroristes criminelle, indique le parquet de Paris au Figaro
• Philippe évoque une «situation sérieuse», Collomb se rend sur les lieux
Très vite, le premier ministre a écourté sa visite à Mulhouse où il était en déplacement pour rejoindre Matignon et suivre la situation. Son homologue de l’intérieur, Gérard Collomb, a déclaré se rendre sur les lieux.
à 15:25
La voiture de l'homme qui a tiré sur des CRS retrouvée sur le parking du supermarché de Trèbes
La voiture de l'homme qui a tiré sur les quatre CRS ce matin à Carcassonne a été retrouvée sur le parking du supermarché de Trèbes, ce qui indique que les deux affaires pourraient être liées.
à 15:22
80 pompiers et membres d'équipes médicales sont sur place
Au sein de la zone de prise d'otage bouclée par la gendarmerie, où le PSIG (Peloton de sécurité et d'intervention de la gendarmerie) intervient avec le GIGN, la Sécurité civile est également mobilisée. 80 pompiers et équipes médicales sont sur place, avec deux hélicoptères pour les évacuations médicales éventuelles.
à 15:14
«J'ai vu une porte de frigo, j'ai demandé aux gens de venir se mettre à l'abri»
Une cliente du supermarché témoigne sur France info : «Un homme a crié et a tiré des coups de feu à plusieurs reprises. J'ai vu une porte de frigo, j'ai demandé aux gens de venir se mettre à l'abri. Nous étions dix et nous sommes restés une heure. Il y a eu encore des coups de feu et on est sorti par la porte de secours derrière. (...) Il a crié "Allah je ne sais pas quoi", je ne l'ai pas vu.»
à 15:06
La préfecture de l'Aude met en place une cellule d'information
http://assets-picto.lefigaro.fr/live_actu/Picto-generaux/Twitter.jpg
Toute personne «impactée par les événements en cours» peut appeler cette cellule au 04.68.10.29.00, a indiqué la préfecture de l'Aude sur Twitter.


à 15:03
Édouard Philippe : «Tout laisse à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste»
Selon le premier ministre Édouard Philippe, «tout laisse à penser qu'il s'agirait d'un acte terroriste.»

En déplacement à Mulhouse, où il était présent pour «discuter avec les acteurs de la politique de la Ville», Édouard Philippe a écourté sa visite et retourne à Matignon pour suivre la situation.


à 14:53
Le CRS blessé par balle «va bien»
Selon nos informations, le CRS blessé par balle à l'épaule ce matin n'est pas dans un état grave. Son pronostic vital n'est pas engagé selon plusieurs sources concordantes. 
à 14:49
L'homme serait armé de couteaux, d'une arme de poing et de grenades
Selon une source citée par l'AFP, un témoin présent sur place a vu que l'homme entré dans le supermarché autour de 11h15 au cri d'«Allah Akbar» était armé de couteaux, d'une arme de poing et de grenades.
à 14:40
Un mort confirmé, selon nos informations
Selon nos informations, un employé du supermarché a été tué. Par ailleurs, il n'y aurait plus d'otage dans le supermarché.

Selon le maire de Trèbes, Éric Ménassi, le preneur d'otages serait désormais seul dans le bâtiment avec un officier de gendarmerie.
à 14:26
Une à deux personnes seraient décédées par balle
Une à deux personnes ont été touchées par balles et seraient décédées à Trèbes selon le commandant de gendarmerie.

«On a malheureusement une présomption de décès, mais on ne peut pas faire venir de médecin sur place pour le vérifier», a déclaré à l'AFP le général Jean-Valéry Letterman, qui commande l'ex-région de Languedoc-Roussillon.
à 14:25
Mise en place d'un périmètre de sécurité
Par ailleurs, un périmètre de sécurité a été mis en place autour des lieux de la prise d'otage. Le ministère de l'Intérieur conseille d'éviter le secteur et de rester à l'écoute des consignes de sécurité.

à 14:23
Nos informations sur le dispositif en place
Selon nos informations, trois hélicoptères de gendarmerie sont mobilisés, ainsi que l'antenne GIGN de Toulouse, l'office central Satory et le peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie nationale - Sabre (psign-Sabre) de Narbonne.

(Christophe Cornevin)

» LIRE AUSSI: Sécurité: le plan de Beauvau pour riposter à une attaque en province
Sécurité: le défi du renseignement à la campagne
à 14:21
Le ministre de l'Intérieur se rend sur les lieux de la prise d'otages
http://assets-picto.lefigaro.fr/live_actu/Picto-generaux/Twitter.jpg
Le ministre de l'Intérieur a déclaré faire «un point de situation» avec les «forces de sécurité» depuis l'École nationale Supérieure de Police où il était en déplacement ce vendredi matin.


Dans la foulée, Gérard Collomb a annoncé qu'il se rendait sur place.

à 14:18
La section antiterroriste du parquet de Paris ouvre une enquête
Le parquet de Carcassonne s'est dessaisi de l'affaire au profit de la section antiterroriste du parquet de Paris, qui a ouvert une enquête pour assassinat, tentative d'assassinat et séquestrations sous conditions, le tout en relation avec une entreprise terroriste, et associations de malfaiteurs terroristes criminelle, indique le parquet de Paris au Figaro.

L'enquête est confiée à la Sous direction antiterroriste (SDAT), la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la Direction interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) de Montpellier. 
à 14:12
Édouard Philippe évoque une situation «sérieuse»
Le premier ministre évoque une situation «sérieuse», alors qu'une prise d'otages est en cours dans un supermarché à Trèbes, dans l'Aude. Un homme se réclamant de Daech, selon le parquet de Carcassonne, y est retranché. Les policiers sont en cours d'intervention sur la prise d'otages, dit le ministère de l'Intérieur.

à 14:04
L'individu preneur d'otages se réclame de Daech
L'homme qui s'est retranché vendredi matin dans un supermarché de Trèbes, à 10 kilomètres de Carcassonne, dans le sud de la France, se réclame du groupe terroriste État islamique, selon le parquet de Carcassonne.
à 13:57
Les éléments connus à 11h55
Un CRS a été blessé par balles vendredi matin par un individu à Carcassonne, dans l'Aude. Alors qu'il rentrait d'un footing avec trois collègues, son groupe a été visé par un individu qui les suivait en voiture. L'homme a tiré au moins cinq coups de feu avant de prendre la fuite. Le CRS, blessé à l'épaule, a reçu les premiers soins par ses collègues avant d'être transporté à l'hôpital.
Dans le même temps, nous avons appris qu'une prise d'otages était en cours dans un supermarché de Trèbes, à 15 minutes de Carcassonne. Selon les premiers éléments de l'enquête, un homme «a pénétré vers 11h15 dans ce supermarché Super U et des coups de feu ont été entendus», a précisé une source proche du dossier. La préfecture de l'Aude a annoncé sur Twitter que ce secteur «était interdit», demandant à la population de «faciliter l'accès aux forces de l'ordre». Selon le parquet, l'homme s'est revendiqué de l'État islamique.

Gauchet, Le Goff, Yonnet: les désenchantés de Mai 68 (21.03.2018)

Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 21/03/2018 à 21h18 | Publié le 21/03/2018 à 20h02
RÉCIT- En mai 1968, Marcel Gauchet, Jean-Pierre Le Goff et Paul Yonnet font régner la pagaille dans la faculté des lettres de Caen. La période marque durablement leur vie et leur œuvre. Mais le trio va évoluer du gauchisme à l'antitotalitarisme. Chacun d'entre eux va opérer une relecture critique des événements de Mai et de leurs conséquences.
«Dans la plus complète insouciance, nous étions devenus une bande de “terroristes intellectuels” et de “petits voyous” fiers de l'être, trouvant plaisir à contester le contenu des cours et à effrayer les “mandarins”», se souvient Jean-Pierre Le Goff dans la préface de Zone de mort, le livre posthume de Paul Yonnet. À cette époque, le sociologue n'a pas encore l'allure et la gouaille d'un tonton flingueur. Comme ses «camarades», Marcel Gauchet et Paul Yonnet, il a les cheveux longs, la barbe mal taillée et porte des Clarks. Qui aurait pu imaginer alors que ces jeunes «rebelles» deviendraient quelques décennies plus tard des penseurs parmi les plus lucides et critiques de la postmodernité?
Nous sommes en 1968 à la faculté des lettres de Caen et le trio - mi-anar, mi-aristo ; mi-bohème, mi-intello - rêve d'en finir avec la France de papa. Le Goff et Yonnet ont été exclus de leurs «bahuts» respectifs pour avoir publié des écrits jugés provocateurs dans le bulletin de leur établissement. Gauchet, l'aîné de la bande, après deux ans à enseigner dans un collège de campagne, a pris une disponibilité pour entreprendre des études supérieures. L'entrée à l'université d'une grande ville est pour ces jeunes Normands issus d'un milieu modeste une aventure. Loin de l'ennui et du conformisme des villages de province encore marqués par le poids des traditions et de la religion catholique. Le campus, inauguré en 1957 et construit sur le modèle des universités anglo-saxonnes, symbolise l'aube d'une ère nouvelle.
C'est le temps des copains, de la révolte adolescente et de la rupture radicale avec le «vieux monde»
C'est le temps des copains, de la révolte adolescente et de la rupture radicale avec le «vieux monde». La «déconnante», les surprises-parties et les virées nocturnes rythment le quotidien des étudiants. La légèreté le dispute à l'esprit de sérieux. Au bar L'Équipe, avec son flipper et son baby-foot, ou à la Lorraine, réputée pour sa bière, on refait le monde autour d'un verre. On palabre pendant des heures autour de l'existentialisme de Sartre et du cinéma de Jean-Luc Godard. On écoute en boucleSympathy for the Devil. Yonnet et Le Goff préfèrent les Stones aux Beatles car «ils ont la rage». C'est cette rage désordonnée et sans but qui va conduire toute une génération à rejouer 1789.
À Caen, Mai 68 commence en janvier. C'est la visite d'Alain Peyrefitte qui provoque la mutinerie. Dans la cour d'honneur de l'université, le nouveau ministre de l'Éducation est accueilli par des jets d'œufs. «J'ai raté Peyrefitte de dix centimètres, mais je peux dire que j'ai presque fait mouche», raconte Gauchet. Le plan Fouchet, contre lequel l'Unef mène campagne, n'est qu'un prétexte. Les contestataires sont avant tout guidés par le goût de la transgression.
«Une forme de nihilisme»
Plus sérieuse et violente est la fronde des ouvriers de l'usine Saviem quelques jours plus tard. Dans la nuit du 26 au 27 janvier, la manifestation tourne à l'émeute avec barres de fer, bouteilles d'essence et boulons. Les vitrines du centre-ville sont brisées, les blessés se comptent par centaines. Le Goff se souvient avoir été, comme beaucoup d'étudiants, fasciné par l'insurrection des jeunes ouvriers et avoir projeté sur eux ses propres préoccupations. Comparativement, les débordements de mai seront moins spectaculaires. Le 10 mai, Le Goff, qui n'avait jamais participé à une manifestation, se retrouve à crier comme des milliers d'autres le fameux: «CRS = SS!». Cependant, Caen n'est pas le Quartier latin. Plus d'ouvriers, moins d'étudiants cravatés. Mai 68 est accueilli comme une «divine surprise». La France qui semblait endormie se réveille soudain. C'est dans ce bouillonnement que Gauchet, Le Goff et Yonnet se croisent pour la première fois.
Mai 68 est accueilli comme une «divine surprise». La France qui semblait endormie se réveille soudain. C'est dans ce bouillonnement que Gauchet, Le Goff et Yonnet se croisent pour la première fois
Ce n'est qu'à la rentrée que se scelle leur amitié. Marcel Gauchet a créé un petit groupe informel d'étudiants, rassemblés par un même goût pour les provocations. On y trouve Yonnet et Le Goff. Même s'il s'en défend humblement aujourd'hui, le futur rédacteur en chef du Débat apparaît d'emblée comme le «théoricien» du groupe. «C'était un maître à penser. Il avait une influence considérable sur les autres étudiants», analyse le sociologue Alain Caillé, professeur de sociologie à Caen à l'époque. Bagarreur, bientôt expert en arts martiaux, Le Goff est autant passionné par les idées que par l'action. Quant à Yonnet, il est l'un des principaux animateurs du Comité d'action de l'institut de sociologie. La petite bande «anarcho-situationniste» fait régner la pagaille dans la faculté des lettres, multipliant les interventions intempestives en plein milieu des cours. Gauchet, orateur, prend la parole pendant que les autres tracent des slogans sur les murs des amphithéâtres devant des profs médusés et des étudiants souvent admiratifs. «C'était un désordre sympathique et pas méchant: un mouvement insurrectionnel sans volonté de couper des têtes», se souvient-il amusé. Le Goff se montre plus sévère et regrette «un comportement indéfendable, une forme de nihilisme». Leur mentor intellectuel n'est autre que Claude Lefort qui a enseigné la sociologie à Caen de 1966 à 1971. À la fois marxiste et antistalinien, le fondateur, avec Cornelius Castoriadis, de Socialisme ou Barbarie, est un véritable défricheur de la pensée antitotalitaire. Sa conception non économiste de la société influencera durablement le trio.
Marcel Gauchet, Paul Yonnet et Jean-Pierre Le Goff. - Crédits photo : Vincent Boisot/Le Figaro, Jacques Sassier/Gallimard/Leemage, Jean-Christophe Marmara/Le Figaro
Au début des années 70, après le temps de l'utopie vient celui des lendemains qui déchantent. La révolution a échoué. Le trio se disperse. Gauchet multiplie les articles dans les revues et les petits boulots. Il lui faudra attendre 1977 pour que le grand historien François Furet le repère lors d'une conférence et l'embauche à l'École des hautes études de sciences sociales.
À l'âge de 22 ans, Yonnet tombe malade et est soigné pour une maladie de Hodgkin. Ce cancer qu'il parvient à vaincre une première fois lui fait comprendre que son temps est compté. Ce sentiment d'urgence lui permet de s'affranchir des conventions, de se débarrasser des faux-semblants, pour aller à l'essentiel: la recherche de la vérité. Il est le premier à pressentir que la révolte de Mai va déboucher sur un nouveau conformisme.
Retrouvailles au «Débat»
À l'inverse, Le Goff, dans une sorte de surenchère, n'en finit plus d'en découdre avec la police et l'ancien monde. Il abandonne ses études pour rejoindre un groupuscule marxiste-léniniste. Et part à la rencontre des mineurs et des métallos du Nord-Pas-de-Calais, logeant dans des caravanes et des appartements miteux sans chauffage. «Après 68, je ne pouvais plus faire de la philo comme avant. Je voulais mettre mes actes en cohérence avec mes idées», explique-t-il. Mais les théories de Marx ne correspondent pas à la réalité des ouvriers. Pour ces derniers, les Maos ne sont que des «fils à papa» ou des «casseurs privilégiés». Et la société de consommation, loin d'être vécue comme une aliénation, est, au contraire, ressentie comme un progrès, un mieux-être. «J'ai fait des enquêtes sur les logements ouvriers, il y avait des fissures partout, mais c'était toujours mieux que les corons.» Le Goff sait tirer les leçons de cette désillusion. Plus jamais il ne sera prisonnier d'une idéologie. Désormais, sa pensée découlera de l'observation du réel et non plus de théories abstraites. Il reprend ses études et se plonge dans l'œuvre des penseurs libéraux: Constant, Tocqueville et Aron, ou celle des antitotalitaires: Camus, Arendt et Orwell.
Pour les ouvriers, les Maos ne sont que des «fils à papa» ou des «casseurs privilégiés». Et la société de consommation, loin d'être vécue comme une aliénation, est, au contraire, ressentie comme un progrès, un mieux-être»
Les retrouvailles du trio ont lieu quelque temps plus tard, au début des années 1980, à Paris, avec la naissance duDébat , fondé par Pierre Nora, dont Marcel Gauchet devient rédacteur en chef. Dès le premier numéro, la revue marque une rupture avec Michel Foucault et ses thèses structuralistes. S'il faut déconstruire un mythe, c'est celui de Mai 68. Gauchet, Yonnet et Le Goff ont pour point commun d'être des francs-tireurs. Loin du «pot d'araignées» parisien et universitaire, ils ont puisé leurs analyses dans l'expérience de la vie. Spécialiste du rock et du sport, Yonnet va au concert et pratique jogging et alpinisme. Chacun d'entre eux va opérer à sa manière une relecture critique des événements de Mai et de leurs conséquences. En 1989, à l'heure de la reconversion d'anciens gauchistes au sein du PS et du mitterrandisme triomphant, Gauchet, dans La Révolution des droits de l'homme (1989), met en garde contre l'extension à l'infini des droits individuels qui pousse à la guerre du tous contre tous. Pour lui, la révolution soixante-huitarde a débouché sur un individualisme radical et fait exploser les repères traditionnels (famille, Église, nation).
Dans Voyage au centre du malaise français (1993), Paul Yonnet voit le nouvel antiracisme incarné par SOS racisme et le rejet du «roman national»comme l'aboutissement d'une évolution armée par la «génération 1968». Celle-ci conduira, selon lui, tôt ou tard, à transformer la société française en nouvelle tour de Babel. «Visionnaire», il souligne le paradoxe à vouloir éteindre le racisme en exacerbant les identités. Avec Mai 68, l'héritage impossible (1998), Le Goff montre la rupture générationnelle qu'a constituée Mai 68 et fustige le gauchisme culturel et l'idéologie managériale qui a découlé de l'injonction à l'autonomie soixante-huitarde.
L'épreuve de la «mort sociale» 
Pour leur ancien professeur Alain Caillé, «ils ont basculé d'une position très à gauche à une position plus libérale, voire carrément à droite». Ce n'est pas l'avis de Michel Onfray qui loue au contraire la cohérence de leur trajectoire idéologique: «De la même manière qu'ils refusaient la dictature du marxisme soviétique il y a un demi-siècle, ils refusent aujourd'hui la “dictature” du libéralisme étatique qui compose avec tout ce qui décompose l'ancien monde», analyse le fondateur de l'Université populaire de Caen. «La vérité et la morale n'appartiennent pas à un camp intellectuel. Un intellectuel qui se demande s'il est de gauche ou de droite lorsqu'il travaille sur un sujet n'est pas un intellectuel libre», résume Jean-Pierre Le Goff.
Paul Yonnet a payé son intégrité au prix fort. Pour avoir prédit, bien avant les tragiques années 2015-2016 et leur cortège d'attentats sanglants, une décomposition identitaire aux effets délétères, il devient la première cible de la chasse aux «réacs» qui devait miner la vie intellectuelle française jusqu'à aujourd'hui. Accusé par Laurent Joffrin d'être «l'allié objectif de Le Pen», il connaît l'épreuve de la «mort sociale». Les sujets de son essai polémique lui sont désormais interdits. Il se réfugie dans la littérature. Son cancer le rattrape et Yonnet commence sa descente aux enfers. Dans son livre testament, Zone de mort (Stock), paru de manière posthume l'année dernière, il raconte son chemin vers l'abîme qui croise celui d'une France en voie de désintégration. Ce voyage au bout de la nuit intime et bouleversant fait écho à son Voyage au centre du malaise français. Comme le note Jean-Pierre Le Goff dans la préface, ce dernier livre est aussi un ultime «coup de poing contre le nouveau monde aseptisé, l'envers du décor de l'optimisme enjoué des bien-pensants de la postmodernité».
La mort de Yonnet en 2011 vient mettre fin à un compagnonnage amical et intellectuel de quatre décennies. L'école de Caen est orpheline. Selon ses dernières volontés, le repenti de 68, l'éternel révolté, est inhumé au cimetière d'Agon-Coutainville. Dans le village de son enfance, après une cérémonie religieuse à l'église. Sur sa tombe, figurent ces deux mots en latin «Gaudium veritatis»: La joie de la vérité…

La rédaction vous conseille :

GAFA: le projet européen de taxation des géants du web divise (21.03.2018)
Par AFP agence et Le figaro.frPublié le 21/03/2018 à 17h13
L'exécutif européen propose de taxer à 3% les revenus générés par l'exploitation des activités numériques. Les États-Unis ont déjà prévenu, ils s'opposeront fermement aux manœuvres initiées, quels que soient les pays dont elles émanent.
L'UE passe à l'offensive. Ce mercredi, la Commission européenne a dévoilé son projet pour mieux taxer les titans du numérique, communément désignés sous l'appellation GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Sur fond de menace de guerre de l'acier entre les États-Unis et l'Europe, le projet européen préconise notamment de taxer le chiffre d'affaires des géants du net, dont les quatre principaux représentants sont américains. «Nos règles mises en place avant l'existence d'internet ne permettent pas (...) d'imposer les entreprises numériques opérant en Europe», a martelé le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, pointant un «trou noir» fiscal «qui s'agrandit toujours plus», lors d'une conférence de presse mercredi à Bruxelles. La taxation des GAFA est un dossier ardemment défendu par le président français Emmanuel Macron.
Considéré comme prioritaire, le projet de la Commission européenne est au menu, jeudi soir, du sommet européen des chefs d'État et de gouvernement de l'UE à Bruxelles. Dans un premier temps, l'exécutif européen préconise de taxer à 3% les revenus (et non les bénéfices, comme le veut l'usage) générés par l'exploitation d'activités numériques. Cette taxe ne visera que les groupes dont le chiffre d'affaires annuel mondial dépasse 750 millions d'euros, et dont les revenus dans l'UE excèdent 50 millions d'euros. En clair, les petites start-up européennes, qui peinent déjà à rivaliser avec les mastodontes américains, ne seront pas concernées par cet impôt indirect.
Dans le collimateur de la Commission, les recettes publicitaires des groupes tirées des données de leurs utilisateurs (le modèle de Facebook, Google ou Twitter), ou les revenus provenant de la mise en relation d'internautes pour un service donné (comme pour Airbnb ou Uber). En revanche, les entreprises dont le «business model» repose sur les abonnements, comme Netflix, ne seront pas touchées, ni celles qui gagnent de l'argent grâce au commerce électronique, du type Amazon. Au total, entre 120 et 150 entreprises devraient être affectées par ce nouvel impôt: la moitié seront américaines, un bon tiers européennes et les autres, asiatiques, essentiellement chinoises, précise-t-on à la Commission. Cette taxe pourrait rapporter environ 5 milliards d'euros par an.
Pas une mesure antiaméricaine
«Il ne s'agit pas de taxer uniquement les GAFA ou les entreprises américaines», avait assuré Pierre Moscovici dans un entretien au Figaromardi. Il n'empêche, avant même que Bruxelles ne dévoile ses projets, le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, avait lancé vendredi cette mise en garde: «Les États-Unis s'opposent fermement aux propositions de quelque pays que ce soit de cibler les compagnies numériques» par une taxation spéciale. Outre cette mesure «ciblée», Pierre Moscovici a proposé une réforme de fond des règles relatives à l'imposition des sociétés, qui prendrait le relais de la première proposition de «court terme».
Celle-ci permettrait aux pays de l'UE de taxer les bénéfices qui sont réalisés sur leur territoire, même si une entreprise n'y est pas présente physiquement. Il s'agit d'établir un standard européen définissant la présence numérique des sociétés, pour mieux les imposer. Et ce à l'aide de trois critères: revenus, nombre d'utilisateurs et contrats (publicitaires par exemple) signés avec une autre entreprise.
Pour la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni (les cinq membres du G20 appartenant à l'UE), les choses ne vont pas assez vite au niveau international. Ils poussent donc pour une solution d'abord européenne, afin de donner l'exemple au reste du monde. Reste à savoir si ces grands pays de l'UE parviendront à convaincre les plus petits États tels que l'Irlande, les Pays-Bas ou le Luxembourg, connus pour leur fiscalité bénéfique vis-à-vis des entreprises étrangères. Car dans l'Union, toute réforme sur la fiscalité requiert l'unanimité.
L'Irlande, qui a réussi à attirer le siège européen de Facebook avec ses taux d'imposition avantageux, ou le Luxembourg, pays d'accueil d'Amazon, plaident quant à eux pour privilégier une solution internationale, coordonnée par l'OCDE... De quoi gagner du temps.
La rédaction vous conseille :

Facebook : le géant du numérique tombe de son piédestal (21.03.2018)
Par Lucie Ronfaut et Caroline SalléMis à jour le 22/03/2018 à 18h48 | Publié le 21/03/2018 à 20h14
RÉCIT - Embourbé dans l'affaire Cambridge Analytica, le réseau social traverse l'une des plus graves crises de son histoire. Dans le collimateur, son patron-fondateur, Mark Zuckerberg, s'est exprimé mercredi, reconnaissant «des erreurs».
Après plusieurs jours de silence, Mark Zuckerberg a enfin pris la parole. «Nous avons la responsabilité de protéger vos données. Quand nous le faisons mal, nous ne méritons pas de vous servir», a expliqué le PDG via, évidemment, un statut Facebook. «J'ai débuté Facebook, et je suis responsable de ce qui se passe sur cette plateforme. Je prends cette responsabilité très au sérieux. Même si le problème spécifique avec Cambridge Analytica ne peut pas se reproduire aujourd'hui[du fait de nouvelles règles dans les applications, NLDR], cela n'efface pas le passé.» Le PDG de Facebook en a profité pour annoncer un audit de sécurité de toutes applications «avec des activités suspicieuses». Les développeurs verront aussi leurs droits restreints, notamment dans l'exploitation des données d'utilisateurs sur le long-terme. Mercredi soir, dans une interview sur la chaîne CNN, Mark Zuckerberg a également indiqué qu'il «serait heureux» de venir témoigner devant le Congrès américain.
Malgré ces explications, Mark Zuckerberg n'est pas encore tiré d'affaires. Son carnet de bal risque fort d'afficher complet dans les prochaines semaines. Le fondateur de Facebook croule sous les invitations. Depuis les révélations autour de l'affaire Cambridge Analytica, une société britannique accusée d'avoir collecté sans leur consentement les données de 50 millions d'utilisateurs de Facebook au profit de la campagne présidentielle de Donald Trump, tout le monde convoque le jeune patron star de la Silicon Valley.
Coup sur coup, cette semaine, celui qui dirige le réseau social le plus puissant du monde a été convoqué à Londres par une commission parlementaire britannique, sommé de s'expliquer devant le Parlement européen à Bruxelles et fortement incité à témoigner devant le Congrès des États-Unis. Preuve que le dossier est pris très au sérieux, Facebook se retrouve sous le coup de plusieurs enquêtes diligentées par les autorités américaines. Des actions de groupe en justice ont déjà été déposées au nom de citoyens et d'actionnaires. À croire que Mark Zuckerberg, hier idole des jeunes et de la tech, est devenu l'ennemi public numéro un.

Subitement, Facebook a déboulé dans l'arène politique. Il est devenu aux yeux des élus une arme de désinformation massive pouvant nuire gravement à la démocratie. - Crédits photo : Dado Ruvic/REUTERS
Plus qu'une simple averse passagère, il faut voir dans le tumulte actuel les prémices d'un orage durable. Si la tension vient subitement de monter, elle était en réalité palpable depuis plusieurs mois. La campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis, encore elle, a fait figure d'élément déclencheur. L'ingérence de la Russie et la diffusion à grande échelle de fake news, en faveur de Donald Trump, ont amené à une prise de conscience brutale. Jusqu'ici, Facebook, Twitter, YouTube n'étaient rien d'autres que de simples gadgets technologiques destinés à divertir ou converser entre amis. Subitement, Facebook a déboulé dans l'arène politique. Il est devenu aux yeux des élus une arme de désinformation massive pouvant nuire gravement à la démocratie. «C'est lorsque Facebook a commencé à impacter la sphère publique et politique que les choses se sont mises à coincer. Dès lors, le politique est remonté au créneau. Il est en train de siffler la fin de la récréation», analyse Louis Morales-Chanard, directeur de la stratégie de Blue 449 (Publicis).
En novembre 2017, le Congrès américain avait décidé d'auditionner les grands patrons de ces fleurons de la tech. Au lieu de faire le déplacement, tous ont envoyé leurs seconds couteaux, qui n'ont nullement fait acte de contrition. La sénatrice démocrate Dianne Feinstein s'est alors fendue d'un premier coup de semonce. «Vous avez un énorme problème entre les mains. (…) Vous avez créé ces plateformes, elles sont détournées de leur but. C'est à vous de les réparer! Si vous n'agissez pas, nous nous en chargerons.» À bon entendeur…
Pour montrer qu'il n'avait pas fait la sourde oreille, Mark Zuckerberg annonçait en janvier que son défi pour 2018 consisterait à «réparer Facebook»… Ce qui n'a pas empêché les instances politiques de durcir le ton ces derniers jours, aux États-Unis comme en Europe. La crise des fake news comme les révélations sur la fuite des données dans l'affaire Cambridge le démontrent: «Facebook n'a qu'un contrôle partiel de son immense pouvoir», résume un expert du secteur. En somme, la machine infernale serait en train d'échapper à son créateur.
La brèche est ouverte
La critique ne porte plus seulement sur le détournement du réseau social à des fins de propagande. Mais aussi sur son influence grandissante, son recours un peu trop systématique à l'évasion fiscale et son poids économique gigantesque. Facebook affichait la semaine dernière une valorisation de près de 540 milliards de dollars, soit 50 milliards de plus que le PIB de la Belgique. Son modèle économique, l'exploitation des données personnelles à des fins publicitaires, est critiqué, bien qu'il soit extrêmement lucratif et copié par beaucoup d'autres.
C'est d'ailleurs toute la difficulté de l'affaire Cambridge Analytica: les données ont été récupérées d'une manière classique, grâce à une API, un programme pour que des entreprises et des chercheurs exploitent, légalement, les informations des utilisateurs. Cambridge Analytica et Facebook affirment tous les deux avoir été trompés. Reste la découverte choquante, pour beaucoup, l'exploitation des données personnelles à l'insu de leurs propriétaires, y compris à des fins politiques.
«Vous avez un énorme problème entre les mains. Vous avez créé ces plateformes, elles sont détournées de leur but. C'est à vous de les réparer. Si vous n'agissez pas, nous nous en chargerons»
Dianne Feinstein, sénatrice américaine
La brèche, ouverte par la sphère politique, est en train d'être creusée par les marchés financiers. Depuis le début de la semaine, la valorisation boursière de Facebook a perdu 60 milliards de dollars à Wall Street. Les investisseurs craignent une régulation plus contraignante, voire une fuite des annonceurs et des utilisateurs, déjà échaudés par des polémiques à répétition autour de la modération des contenus. Même dans la Silicon Valley, le berceau de Facebook, des voix s'élèvent contre ses dérives. Les critiques les plus audibles sont celles provenant des anciens employés du réseau social. Mercredi, Brian Acton, cofondateur de l'application WhatsApp, rachetée par le réseau social en 2014, a appelé à la suppression de Facebook. Il n'est pas le premier.
Justin Rosenstein, un ingénieur qui a participé au développement du bouton «J'aime», a critiqué le «pseudo-plaisir» provoqué par sa propre invention. Un mois plus tard, Sean Parker, ancien président de Facebook, a avoué qu'il n'avait pas prévu «les conséquences d'un réseau, lorsqu'il grandit à 2 milliards d'utilisateurs (…). Seul Dieu peut savoir ses conséquences sur le cerveau de nos enfants».
En décembre, Chamath Palihapitiya, ancien vice-président du réseau social, a carrément fait part de son «immense culpabilité». «Nous avons créé des outils qui déchirent le réseau social», a-t-il avoué. Ces dernières déclarations, très médiatisées, ont finalement poussé Facebook à réagir. «Chamath a quitté Facebook il y a plus de six ans, s'est défendue l'entreprise. À l'époque, c'était une entreprise différente.»
Malgré ces attaques, rien ne semble atteindre la toute-puissance de Facebook. Le réseau social compte plus de 2 milliards d'utilisateurs actifs mensuels, dont 66 % s'y connectent tous les jours. Il possède une galaxie de filiales, elles aussi très populaires: Messenger (1,3 milliard d'utilisateurs actifs par mois), WhatsApp (1,5 milliard) et Instagram (800 millions). Le réseau social détient enfin l'entreprise Oculus, spécialisée dans la réalité virtuelle. Beaucoup de personnes utilisent les services de Facebook. Mais, de plus en plus, elles s'en inquiètent.
Beaucoup de personnes utilisent les services de Facebook. Mais, de plus en plus, elles s'en inquiètent
Près de 20 % des Américains pensent que le réseau social a un impact «très négatif» ou «négatif» sur la société, d'après une étude publiée par le site The Verge. C'est presque autant que Twitter, mais plus que pour Apple, Google ou Microsoft. Dans la même étude, ils sont pourtant 70 % à «aimer» les produits de Facebook. Les internautes sont confrontés à un paradoxe. Ils apprécient le réseau social car il est pratique pour rester en contact avec leurs proches. Mais ils en ont découvert les effets négatifs. Ils lui ont cédé volontairement des bouts de leur vie privée, sans avoir conscience de la manière dont ils pouvaient être exploités. Le modèle économique de Facebook n'est pas nouveau. La prise de conscience générale sur son étendue et ses conséquences, elle, débute à peine.
Facebook est attentif à ces inquiétudes. Il met régulièrement en avant ses paramètres de confidentialité qui permettent de contrôler, jusqu'à un certain point, l'exploitation des données personnelles. Fin 2017, une équipe de chercheurs employée par le réseau social a même publié un long article portant sur les effets néfastes des réseaux sociaux. Dans un curieux exercice d'équilibriste, ils y admettent que «la consommation passive d'informations» peut rendre les utilisateurs malheureux, mais qu'«interagir avec d'autres personnes est lié à l'amélioration du bien-être».

Le message est en phase avec les intérêts de Facebook, qui observe depuis des années une baisse du partage des contenus personnels de ses utilisateurs. Les internautes parlent moins de leur vie sur le réseau social. C'est une mauvaise nouvelle pour lui, car son modèle économique repose sur l'attention et l'engagement. Depuis le début de l'année, Facebook met plus en avant les contenus provenant d'amis ou de groupes personnels dans le fil d'actualité.
«Nous voulons que les internautes utilisent bien leur temps sur Facebook», a assuré Mark Zuckerberg. Les mots ne sont pas innocents. «Time well spent», en anglais, est aussi le nom d'une organisation luttant contre l'addiction aux nouvelles technologies, fondée par un ancien employé de Google.
Maître de sa communication, Mark Zuckerberg s'est même réjoui que le temps moyen passé sur Facebook ait chuté de 5 % au quatrième trimestre 2017. La baisse est modeste: deux minutes par jour par utilisateur. Elle permet pourtant à Facebook de s'affirmer comme une entreprise humble, préférant privilégier la qualité à la quantité. Néanmoins, il y a d'autres chiffres dont le réseau social ne parle pas. Sa population vieillit. Pour la première fois en 2018, Facebook devrait perdre des utilisateurs aux États-Unis. Près de deux millions d'internautes américains de moins de 24 ans vont quitter le réseau social cette année, d'après les estimations du cabinet eMarketer. Facebook cherche à séduire ces jeunes, notamment avec Instagram ou Messenger. De peur qu'ils ne partent utiliser d'autres réseaux sociaux concurrents. Ou, pire, qu'ils n'en utilisent aucun.

Mark Zuckerberg s'excuse et défend Facebook (22.03.2018)
Par Lucie Ronfaut
Mis à jour le 22/03/2018 à 19h20 | Publié le 22/03/2018 à 18h09
Le PDG a pris la parole pour la première fois depuis le début de la crise.
Mark Zuckerberg n'emploie pas le mot «désolé» à la légère. D'ailleurs, on ne le trouve pas dans le message publié mercredi soir sur le compte personnel du PDG de Facebook, sa première réaction au scandale Cambridge Analytica. «Notre responsabilité est de protéger vos données, et si nous échouons nous ne méritons pas de vous servir», y écrit le dirigeant. Quelques heures plus tard, Mark Zuckerberg, habituellement très discret dans les médias, a accordé pas moins de quatre interviews: au New York Times, à CNN, au magazine Wiredet au site spécialisé Recode. Là, le PDG de Facebook s'est montré plus contrit. «Ce qui s'est passé a affecté la confiance de nos utilisateurs et j'en suis vraiment désolé», a-t-il expliqué au micro de CNN.«Nous avons déçu notre communauté et je me sens mal», a-t-il ajouté chez Recode.
À l'origine de ces excuses, un scandale vieux de deux ans, mais qui a éclaté au grand jour le week-end dernier. La société britannique Cambridge Analytica est accusée d'avoir exploité illégalement les données d'au moins 50 millions d'utilisateurs de Facebook dans le monde. Ces informations avaient été recueillies à des fins de recherches universitaires, au travers d'un test de personnalité. Facebook, alerté de cette affaire en 2015, s'est contenté de demander à Cambridge Analytica de supprimer les données, sans vérifier que cela avait été bien fait. Or, d'après plusieurs médias, elles ont été conservées par la société britannique. Cette dernière est soupçonnée de les avoir exploitées lors de l'élection présidentielle américaine, durant laquelle elle a travaillé pour les candidats Ted Cruz et Donald Trump.
Modèle économique
Face à l'ampleur du scandale, Mark Zuckerberg a annoncé une série de mesures. Facebook va organiser un vaste audit de sécurité pour des «milliers» d'applications «avec des activités suspicieuses» ayant eu accès aux données d'utilisateurs avant 2015, date d'un changement de confidentialité du réseau social. Les développeurs verront aussi leurs droits restreints, notamment dans l'exploitation des données d'utilisateurs sur le long terme. Une application qui n'a pas été utilisée par un internaute après trois mois n'aura plus accès à ses données. Enfin, Facebook va mettre plus en évidence des options permettant de contrôle les services tiers qui exploitent certaines informations personnelles. Même si Mark Zuckerberg s'excuse, il n'en garde pas moins en tête les intérêts de son entreprise. Le PDG se dit ainsi favorable à une plus grande régulation législative. Il se garde bien, néanmoins, de donner des idées précises, se contentant de mettre en avant les efforts de Facebook pour rendre plus transparents les achats de publicité.
«Notre responsabilité est de protéger vos données et, si nous échouons nous ne méritons pas de vous servir»Mark Zuckerberg, PDG de Facebook
Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook
Plus étonnant, Mark Zuckerberg suggère dans ses différentes interviews que le public réclame que ses données soient enfermées au sein du réseau social. «Je pense qu'à nos débuts nous avions cette vision idéale: la portabilité des données nous permettrait d'avoir de nouvelles expériences, explique le dirigeant à Wired. Au final, je pense que nos utilisateurs estiment qu'un accès restreint à leurs données est plus important que le fait de pouvoir les transporter dans d'autres services.» La portabilité des données est pourtant le cheval de bataille de nombreux défenseurs des libertés en ligne, qui y voient la garantie pour que des utilisateurs puissent quitter facilement Facebook pour d'autres services. Il est aussi l'un des objets du RGPD, le règlement européen de la protection des données en Europe, qui doit entrer en vigueur le 25 mai. Mark Zuckerberg n'a pas fini de s'excuser.

La rédaction vous conseille :

Égypte : Moussa, un opposant très discret (22.03.2018)

Par Jenna Le Bras
Mis à jour le 22/03/2018 à 20h57 | Publié le 22/03/2018 à 18h34
Unique candidat face au président sortant lors des élections du 26 mars, Moussa Mostafa Moussa est un ancien soutien d'al-Sissi.
Le Caire
De son propre aveu, sa candidature a pris de court ses proches: «Tout le monde était choqué dans mon parti, même ma famille!» plaisante Moussa Mostafa Moussa. Seul opposant au président sortant, Abdel Fatah al-Sissi, lors de l'élection présidentielle qui se tiendra du 26 au 28 mars prochain en Égypte, il raconte que son équipe «a terminé les papiers deux heures avant la clôture. On a couru partout!»
En atteste une photographie, prise quelques minutes avant la fermeture du bureau de dépôts des candidatures, montrant l'un de ses assistants engagé dans une course folle dans les rues du Caire pour arriver à temps à la commission électorale pour déposer son dossier.
Car, avant cette vocation présidentielle épiphanique, l'architecte et homme d'affaires de 66 ans, diplômé de l'école de Versailles et président du parti centriste et libéral al-Ghad, mettait surtout son énergie dans le soutien à la campagne du président al-Sissi pour sa réélection.
Sa page Facebook est encore illustrée des slogans de campagne du président sortant
Le revirement a été si soudain qu'il n'a d'ailleurs pas eu le temps de changer la bannière de sa page Facebook, encore illustrée des slogans de campagne de l'ex-maréchal, après l'annonce de sa candidature. «On se préparait depuis dix-huit mois, se défend-il pourtant. J'ai un programme ; sans ça, je n'y serais pas allé.» Sa feuille de route, tournée vers l'économie et baptisée «capitalisme national», promet de poursuivre les grands projets qui ont participé à la popularité d'Abdel Fatah al-Sissi en accélérant toutefois les cadences de réalisations pour en obtenir des bénéfices plus rapidement, grâce notamment à la mise en place d'un système d'actionnariat populaire.
Dans ses bureaux de campagne, situés en plein centre-ville du Caire, l'homme assure d'ailleurs s'être concerté avec plusieurs partis politiques «et le président lui-même, pour leur exposer ses idées et la manière de s'organiser», il y a un an et demi. Mais, face à l'intention de l'ancien ministre Ahmed Chafik de se porter candidat en novembre dernier, le politicien aurait décidé de se retirer.
«Le référendum n'est pas souhaitable dans le contexte actuel, ce n'est pas bon pour notre image, j'ai donc décidé de reprendre la course présidentielle»
Moussa Mostafa Moussa
«Il y avait deux grands pôles d'influence, je ne souhaitais pas que ma candidature fragmente les votes», explique-t-il. En début d'année, une vague d'arrestations et de défections de tous les candidats challengers laisse pourtant le président sortant seul candidat de ce scrutin.
«Le référendum n'est pas souhaitable dans le contexte actuel, ce n'est pas bon pour notre image, j'ai donc décidé de reprendre la course présidentielle», explique Moussa Mostafa Moussa, se défendant de toute collusion. «C'est vrai, j'ai toujours soutenu le président. Ça ne veut pas dire que je ne peux pas être en compétition avec lui aujourd'hui. Nous ne sommes pas ennemis, je l'ai soutenu au maximum jusqu'au bout, mais, quand j'ai vu qu'il n'y avait personne face à lui, je me suis dit qu'il fallait que j'entre dans la course. C'est mon devoir patriotique de participer à cette élection, il faut jouer le jeu démocratique», assène-t-il.
«Je ne veux pas des votes des anti-Sissi»
Face à une élection qualifiée de référendum déguisé par un certain nombre d'observateurs, celui qui est présenté comme un candidat «fantoche» par les détracteurs de Sissi assure que les pressions et menaces dénoncées par certains candidats écartés sont orchestrées par les Frères musulmans et des agents de l'étranger pour «décrédibiliser cette élection». Il précise aussi: «Si on me demandait d'être un faire-valoir, je refuserais. Je me respecte, je connais ma vision pour mon pays, donc personne ne peut me téléguider.»
Moussa Mostafa Moussa admet néanmoins que la victoire sera difficile. «J'ai en face de moi un président avec beaucoup de réalisations, énormément de soutiens, qui est connu. Moi, les gens ne me connaissent pas, donc j'ai un impact limité.»
Il insiste toutefois: «Je ne veux pas des votes qui ont pour but de pénaliser al-Sissi, je ne veux pas des votes des anti-Sissi, je ne veux pas des votes des Frères musulmans, ce sont mes ennemis, et je ne veux pas des votes des gens qui sont contre le système démocratique du pays, qui veulent briser le système militaire ou le président», en précisant d'ailleurs que lui apporter son soutien «ne veut pas dire être contre le gouvernement actuel».
Si la commission électorale égyptienne a assuré que le scrutin serait honnête et transparent, quatorze organisations de défense des droits humains ont déjà qualifié l'élection de «ni libre ni équitable».

La rédaction vous conseille :
Allemagne : perpétuité pour le réfugié meurtrier (22.03.2018)

Par Nicolas Barotte
Mis à jour le 22/03/2018 à 21h31 | Publié le 22/03/2018 à 18h39
Le meurtre d'une étudiante par un jeune Iranien à Fribourg fin 2016 avait suscité l'émoi et nourri les doutes sur la politique d'asile.
L'histoire appartient au versant noir de la politique d'asile. À la fin de l'année 2016, le meurtre de Maria Ladenburger par un demandeur d'asile avait définitivement fait douter l'Allemagne de sa politique en faveur des réfugiés. Jeudi, le tribunal de Fribourg a condamné Hussein Khavari à la peine maximale, la perpétuité, comme si la justice allemande voulait signifier qu'elle n'aurait aucune indulgence envers ceux qui abusent de l'accueil dont ils ont bénéficié. «C'est un criminel qui comparait, pas une politique d'asile», avait pourtant averti, durant le procès, le procureur, Eckart Berger.
«C'est un criminel qui comparait, pas une politique d'asile»
Le procureur, Eckart Berger
Cette nuit du 15 au 16 octobre 2016, à Fribourg, Maria revient à vélo d'une soirée étudiante. La jeune femme de 19 ans croise le chemin d'Hussein, qui vit en tant que «mineur réfugié» dans une famille d'accueil non loin. Pour minimiser son acte, le jeune homme a déclaré qu'il était alors sous l'emprise de l'alcool et qu'il a été pris «d'une pulsion». Il agresse Maria, l'étrangle, la viole et la laisse inconsciente dans la rivière en contrebas du chemin. Elle meurt en se noyant. Les faits sont «extrêmement graves», a souligné la juge Kathrin Schenk en n'accordant aucune circonstance atténuante à l'accusé, pas même son âge sur lequel il avait menti. Hussein Khavari «s'est comporté de manière très méthodique et il n'a pas agi sous le coup d'émotions», a-t-elle notifié en rendant son jugement. Il a décidé de faire appel.
Fin 2016, l'extrême droite s'était emparée du fait divers. Hussein incarne à la perfection tout ce que les opposants à la politique d'asile d'Angela Merkel peuvent dénoncer. Le jeune homme est arrivé en Allemagne en novembre 2015, au plus fort de la crise. Il a traversé la frontière avec l'Autriche sans papiers. Devant les services débordés de l'Office des migrations, il a prétendu avoir 16 ans pour bénéficier du traitement plus favorable réservé aux mineurs non accompagnés. Les inspecteurs ont déterminé qu'il avait au moins 21 ans. Ils ont aussi mis en doute sa nationalité. En se déclarant Afghan et non Iranien, il avait encore augmenté ses chances d'obtenir un titre de séjour.
Un garçon «calme et aimable»
En réalité, il n'aurait jamais dû atteindre Fribourg. En octobre 2015, Hussein venait de sortir de prison en Grèce. Il y avait été condamné en 2014 à dix ans de réclusion. En mai 2013, quatre mois après son arrivée en Europe, le jeune homme avait tenté d'assassiner une étudiante en la poussant du haut d'une falaise à Corfou. Elle avait survécu miraculeusement. Face à la police grecque, il n'avait pas semblé comprendre la gravité de ses actes: «Ce n'est qu'une femme!», aurait-il dit. Malgré son profil, il est libéré pour bonne conduite. Il a aussi profité d'une mesure d'amnistie visant à soulager les prisons grecques surpeuplées.
En mai 2013, quatre mois après son arrivée en Europe, le jeune homme avait tenté d'assassiner une étudiante en la poussant du haut d'une falaise à Corfou
Hussein poursuit son périple. Sa demande d'asile a été rejetée en Grèce, mais il n'a aucune difficulté à disparaître des écrans radars et à traverser les frontières européennes. Il dépose une demande d'asile en février 2016 à Fribourg. Discret, il passe pour un garçon «calme et aimable», selon les mots de ses tuteurs. Il ne travaille pas, s'ennuie probablement. Quelques jours après le meurtre de Maria, il a participé à une fête «des cultures du monde». Incarcéré après son arrestation, il a tenté de se suicider.

La rédaction vous conseille :
Correspondant du Figaro à Berlin
Ses derniers articles

Sans majorité absolue, le Parlement italien se réunit pour élire ses présidents (23.03.2018)
Par Guillaume Descours et AFP agencePublié le 23/03/2018 à 08h44
Le nom du président du Sénat pourrait être connu samedi. Pour la Chambre des députés, il devrait être annoncé la semaine prochaine, un élu devant obtenir une majorité absolue. Les tractations entre le Mouvement 5 étoiles, la coalition de droite-extrême droite ou encore le parti démocrate devraient être mouvementées.
Le Parlement italien se réunit ce vendredi, première convocation en date alors que les députés et sénateurs doivent élire les nouveaux présidents des deux chambres, après les élections législatives du 4 mars qui n'ont pas dégagé de majorité absolue. Les sénateurs sont convoqués à 10H30 et les députés à 11H. Cependant, à moins d'hypothétiques accords dès les premiers tours, le président du Sénat devrait être désigné samedi et celui de la Chambre des députés pourrait devoir attendre la semaine prochaine.
Le règlement du Sénat prévoit deux votes par jour avec des majorités requises qui s'abaissent progressivement jusqu'à un quatrième tour - probablement samedi après-midi - pour départager les deux candidats arrivés en tête au troisième tour. À la Chambre des députés, il faudra voter jusqu'à ce qu'un élu obtienne la majorité absolue.
Après le scrutin de mars, la coalition de droite-extrême droite, en tête avec 37% des voix, et le Mouvement 5 Étoiles (M5S), premier parti du pays avec 33%, ont revendiqué tous deux la victoire sans qu'aucune force ne dispose d'une majorité lui permettant de gouverner. Même s'il reste encore une poignée de sièges à attribuer, la coalition de droite compte 260 députés et le M5S 229 alors que la majorité absolue à la chambre basse est de 316. Au Sénat, où celle-ci est de 159 sièges, la coalition de droite a 135 élus et le M5S 112. «Le scrutin du 4 mars a accouché d'un Parlement composé de minorités», a expliqué le Corriere della Sera , estimant que les forces politiques auront besoin d'«un bain d'humilité politique» pour sortir de l'impasse.
Ces tractations politiques pour choisir les présidents des deux chambres ne devraient cependant être qu'un échauffement avant celles qui conduiront à la formation d'un gouvernement. Le président de la République, Sergio Mattarella, doit entamer ses consultations début avril.
Le Sénat pour la coalition de droite?
En attendant, un équilibre a semblé se dessiner dans la semaine pour les présidences du Parlement: la Chambre des députés pour le M5S, le Sénat pour la coalition de droite. Mais la lutte est rude, y compris au sein de cette coalition, où Forza Italia (FI), le parti de Silvio Berlusconi qui a dominé la droite italienne pendant 25 ans, n'a obtenu que 14% des voix, contre 17% pour la Ligue de Matteo Salvini (extrême droite).
À contrecœur, le milliardaire s'est rangé derrière son jeune allié dans la course pour diriger le gouvernement, tout en exigeant la présidence d'une chambre, plus particulièrement le Sénat pour son ancien ministre de l'Économie Paolo Romani. «Nous ne pouvons pas voter pour lui», a répliqué Luigi Di Maio, chef de file du M5S, opposé à l'élection de toute personne condamnée par la justice. Paolo Romani a en effet écopé de 16 mois de prison avec sursis, peine confirmée en appel en octobre, pour avoir laissé sa fille de 15 ans cumuler 12.000 euros de facture en un an sur son téléphone de fonction de conseiller municipal de Monza, près de Milan, en 2011.
Le Parti démocrate (PD, centre gauche), sorti laminé du scrutin avec moins de 20% des voix mais potentiel arbitre avec ses 108 députés et 53 sénateurs, refuse pour l'instant de servir de «béquille» à qui que ce soit. Boudé par le PD, le M5S rechigne à discuter avec Silvio Berlusconi, qu'il accuse depuis des années d'une grande partie des maux de l'Italie, mais ne peut pas se permettre de couper tous les ponts avec la coalition de droite sous peine de se retrouver isolé au Parlement. Autre complication pour les états-majors: les votes sont secrets, et il est déjà arrivé que les troupes se rebellent, parfois même en nombre, contre les consignes.
La rédaction vous conseille :

Les dossiers secrets du KGB sur la mort d'Adolf Hitler (23.03.2018)

Par Jean-Louis Tremblais
Publié le 23/03/2018 à 06h00
Après deux ans de négociations, Jean-Christophe Brisard a pu accéder à ces documents classés sur la mort d'Adolf Hitler et mener sa contre-enquête.
Le 30 avril 1945, à Berlin, Adolf Hitler se suicide avec Eva Braun (devenue Mme Hitler la veille) dans son bunker et leurs corps sont brûlés dans les jardins de la chancellerie. Telle est la version officielle: affaire classée. Sauf que, contrairement à ceux des époux Goebbels, leurs cadavres n'ont jamais été retrouvés, photographiés, authentifiés. De quoi alimenter fantasmes et rumeurs sur une fuite éventuelle. Pendant cinquante-cinq ans, on ne saura rien de plus. Les seuls à détenir une parcelle de vérité sont les Russes, entrés les premiers dans la capitale du Reich. Or, ils ne lâchent rien, même après la chute de l'URSS. Sujet tabou. Il faudra attendre l'an 2000 pour que Moscou daigne ouvrir ses archives. Lors de l'exposition «Agonie du IIIe Reich. Le châtiment», devant la presse internationale, on exhibe un fragment crânien, calciné et troué d'une balle. Celui de Hitler, affirme le directeur de l'événement, en reconnaissant qu'aucun test ADN n'a été effectué! Insuffisant pour convaincre. De quoi réveiller et exciter les curiosités.

La Mort d'Hitler, de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina, Fayard, 359 p., 23 €. - Crédits photo : ,
Pendant deux longues années, Jean-Christophe Brisard, réalisateur de documentaires et auteur d'Enfants de dictateurs (First Histoire, 2014), va remuer ciel et terre pour accéder à la pseudo-relique. A ses côtés, indispensable et infatigable soutien, la journaliste russo-américaine Lana Parshina. De 2016 à 2017, ils ont joué à cache-cache avec une administration russe demeurée stalinienne dans sa mentalité et son fonctionnement. Autorisations accordées puis retirées, promesses non tenues, «niet» à répétition: vingt-quatre mois avant d'obtenir le précieux sésame, c'est-à-dire un rendez-vous au Garf (Archives d'Etat) afin d'expertiser la fameuse calotte crânienne. Les deux enquêteurs ne viennent pas seuls. Philippe Charlier, médecin légiste, connu pour ses travaux sur les morts non résolues (Richard Cœur de Lion et Henri IV, notamment), les accompagne. On leur laisse entendre que le feu vert vient «du plus haut niveau de l'Etat», à savoir du Kremlin. Il s'agit de faire savoir au monde entier que les Russes sont les seuls vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, preuve à l'appui. Le hic, c'est que l'autorisation n'est valable qu'un seul jour et le temps d'examen limité à trois heures!
Mission sensible
Conscient de vivre la mission la plus sensible de sa carrière, Philippe Charlier, jubile malgré tout lorsqu'on lui présente le vestige crânien, conservé dans… une boîte à disquettes. Mais rien ne se passe comme prévu: il n'a pas le droit d'y toucher et les fonctionnaires du Garf, suspicieux et paranos, interrompent brutalement la séance. Il reste néanmoins une chance au trio: la mâchoire supposée du dictateur allemand, qui se trouve à la Loubianka, ex-siège du KGB, aujourd'hui celui du FSB. C'est là, sous la surveillance d'une dizaine d'agents, que Philippe Charlier va enfin pouvoir commencer son travail: examen à loupe binoculaire, prise de clichés, comparaison avec des radios dentaires pratiquées sur Hitler en 1944, etc. Les détails de ces observations médico-légales (forcément incomplètes vu les circonstances), enrichies par la reconstitution des ultimes journées dans le bunker et les témoignages des derniers SS présents autour de leur chef, figurent dans l'ouvrage de Jean-Christophe Brisard et Lana Parshina. Conclusion du scientifique: «Les restes examinés sont bien ceux d'Adolf Hitler, mort à Berlin en 1945. Et tout ceci détruit l'ensemble des théories d'une survie de cet individu.» Dont acte. En revanche, impossible de déterminer comment le chancelier s'est supprimé: par balle ou avec du cyanure?
L'enquête révèle aussi que Staline savait dès mai 1945 que les dépouilles des Hitler avaient été récupérées par le contre-espionnage soviétique et inhumées secrètement dans la ville allemande de Rathenow. Pourtant, lors de la conférence de Potsdam (juillet-août 1945), le «petit père des peuples» laisse entendre à Churchill et à Truman que le Führer a très bien pu s'enfuir en Argentine ou au Japon. Un pied de nez à ces Alliés qu'il sait déjà être ses futurs ennemis de la guerre froide. Et une façon d'envoyer les barbouzes américano-britanniques courir le monde pour attraper un fantôme! L'humour russe, comme la vodka, se consomme glacé…

Le livre a également donné lieu à un documentaire de France 2 dans la collection «Infrarouge»: «Le Mystère de la mort d'Hitler».
La rédaction vous conseille :


Chantal Delsol : «Trier la mémoire au nom de la morale ou le retour de l'obscurantisme» (23.03.2018)
Par Chantal Delsol
Publié le 23/03/2018 à 09h51
FIGAROVOX/TRIBUNE - Après la suppression de la mention de Charles Maurras des commémorations, dix membres du Haut Comité ont démissionné. Pour la philosophe, la ministre de la Culture a eu tort de céder à une pression militante anachronique.

- Crédits photo : Illustration Fabien Clairefond
La France, pays centralisé et formaliste, s'honore de publier chaque année un «Livre des commémorations nationales» qui rappelle les événements marquants de son histoire. Elle commémore ainsi les grands acteurs ou écrivains du pays, et les anniversaires de toutes sortes, depuis ceux des grandes batailles jusqu'à ceux des grandes constructions. Sous la houlette du ministre de la Culture, un comité a été mis en place, composé de membres de l'Institut, de politiques ou d'historiens, pour dresser chaque année la liste des anniversaires. Il s'agit de mettre à la portée du public la mémoire nationale en la manifestant par des événements concrets.
Récemment Mme Nyssen, ministre de la Culture, sous la pression de plusieurs associations d'extrême gauche ou apparentés, a décidé de retirer de la liste annuelle le nom de Charles Maurras, dont c'était l'anniversaire de la naissance. Et de renoncer à la publication du Livre de cette année. Cette décision est vivement critiquée par les membres du Comité des commémorations, dont dix membres ont démissionné. Leur argument est clair: ils voient venir dans les années prochaines une grande sélection obligatoire, imposée par les hurlements de quelques extrémistes. En 2019, ce sera l'anniversaire de Colbert: mais le rédacteur du Code noir sera interdit de présence lui aussi. Dans quelques années, Maurice Barrès: nul besoin de préciser que ce chantre de la nation n'a plus droit à l'existence. La litanie de l'exclusion sera longue. Chaque établissement de la liste sera l'occasion de choisir entre les bons et les mauvais, ou plutôt de laisser quelques haineux imposer par pression leur choix entre les bons et les mauvais.
L'histoire et la mémoire
Cette affaire est pleine de significations et d'enseignements. Elle concerne la question des rapports entre l'histoire et la mémoire. Les sociétés anciennes connaissaient seulement la mémoire, que les puissants dressaient à leur guise. Le roi en place racontait et agrandissait ses batailles gagnées et avait tendance à oublier les autres. Hérodote inaugure l'histoire quand il annonce son intention de décrire les événements au plus près possible de la réalité - autrement dit, sans considération des gloires ou des hontes. Émergeant de la mémoire subjective, l'apparition de l'histoire est une victoire de l'intelligence, de la compréhension du monde. Et à ce titre, les groupes qui trient les événements, et la ministre qui les suit, se trouvent en plein retour vers des âges obscurs. Quoique d'une autre manière. Nous sommes aujourd'hui sous l'emprise d'un manichéisme imposé (partie prenante de ce que nous appelons le politiquement correct) qui nous enjoint de partager le passé entre ce qui nous dérange et ce qui nous agrée, au regard de la morale humanitaire officielle. Autrement dit, le Bien d'aujourd'hui juge le passé tout entier à son aune et devrait rejeter ce qui ne répond pas à ses attentes, par l'oubli. Manière idéologique, et même totalitaire - les Soviets avaient effacé Trotski et bien
«Le temps qui passe, pour les sociétés comme pour les individus, n'est pas rigoureusement partagé entre le bien et le mal»
d'autres des photos officielles, on s'en souvient. Profondément, nous autres Occidentaux sommes victimes d'une utopie du Bien qui nous fait cliver l'histoire en deux et détester sa part d'ombre au point de vouloir la supprimer. Les Canadiens appellent leur passé (celui de la colonisation des Indiens, de la domination des prêtres, de la soumission des femmes), d'un nom significatif: la Grande Noirceur. Il faut comprendre que nous sommes entrés dans la grande blancheur, chargés de fermer à double tour la porte derrière nous. Sottise. Le temps qui passe, pour les sociétés comme pour les individus, n'est pas rigoureusement partagé entre le bien et le mal, même si on peut ici ou là pointer sans discussion des épisodes franchement ignobles. Et pourtant, même ceux-là, il convient de les commémorer, pour que les jeunes générations sachent s'en garder. L'idée exaltée et démente de  la Grande Noirceur qu'il faudrait rayer de la photo renouvelle encore et encore la mentalité idéologique et utopique de l'ère nouvelle, sans tache, habitée par les anges qui ne colonisent plus et s'exemptent de toute discrimination. Après un siècle de dévastations de l'esprit, certains veulent encore nous faire croire que LEUR mémoire sélective, c'est l'histoire. On aurait voulu au moins qu'un ministre de la Culture ne tombe pas dans un piège aussi grossier.
L'artiste croate Sanja Ivekovic a exposé en 2012 au Mudam Luxembourg une sculpture en souvenir de la résistance antinazie, sculpture représentant une femme enceinte tenant une couronne de laurier et intitulée La Mémoire enceinte. Superbe image. Nul doute: la mémoire n'est pas composée d'objets qui traînent dans le corridor sombre du passé et qu'il faudrait balayer quand ils nous gênent. La mémoire est une matrice: non seulement elle engendre des souvenirs, mais elle inspire les actes et les pensées de l'avenir. Elle est grosse d'enseignements, de réflexions et même d'émotions bénéfiques. Le plus grand pouvoir est celui qu'on peut avoir sur le passé, et despotes et tyrans ne se privent pas de dominer le passé par le tri - ainsi faisaient les Perses de l'époque d'Hérodote, ainsi faisaient les totalitarismes du siècle dernier. Soyons modernes et soyons guéris de nos maladies fanatiques. Une commémoration n'est pas une célébration. Elle entretient la mémoire vive, c'est-à-dire la matrice de la mémoire, afin de nous laisser toujours en éveil en face de l'avenir.

Ivan Rioufol : «Macron attise la France inflammable» (22.03.2018)

Par Ivan Rioufol
Mis à jour le 22/03/2018 à 21h23 | Publié le 22/03/2018 à 21h17
CHRONIQUE - Le président fait preuve d'un «despotisme capricieux et immature» envers les plus faibles en France, sans s'attaquer aux problèmes essentiels comme l'islam radical.
Non, les Français ne se mobiliseront pas pour le statut des cheminots. Les syndicats, qui espèrent faire plier Emmanuel Macron dans ce combat, risquent de laisser le peu de plumes qui leur reste. Ces contestataires sont les meilleurs promoteurs de l'image réformiste que veut se donner le chef de l'État. Ceux qui veulent croire au symbolisme des dates, cinquante ans après le mouvement du 22-mars qui annonçait Mai 1968, s'accrochent à un monde disparu: la journée d'hier, 22 mars 2018, s'est réduite aux grèves et aux processions tonitruantes d'organisations de fonctionnaires issues du XXe siècle. Ces furibonds, à l'emploi garanti, n'expriment qu'un mince aspect de la révolte française. Une indignation permanente s'est installée au cœur de la société. Mais cette exaspération sourde n'a plus la lutte sociale comme ressort. Ce sont les fractures identitaires, générationnelles, territoriales et existentielles qui sont devenues inflammables. Or la politique de Macron, qui dit ne pas «sentir la colère dans notre pays», attise ces tensions.
L'autorité du président est une facade
L'autorité du président est une façade. Certes, le chef d'État a bien revêtu l'habit présidentiel que Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient mal porté. La Constitution permet à Macron de s‘affirmer dans une personnalisation flatteuse. Toutefois, quand Dominique de Villepin prévient, dimanche, contre «le risque qu'on devienne isolé, solitaire, arrogant et coupé d'un certain nombre de réalités», l'ancien premier ministre pointe une faille déjà décelée ici chez Macron. Non content d'avoir à sa botte des députés godillots, un parti aux ordres, des médias bienveillants, le président exprime un autoritarisme qui l'éloigne de ceux qu'il méprise. Derrière son désir de limiter les amendements parlementaires, d'agir par ordonnances ou de mettre l'Internet sous surveillance au nom de l'antiracisme s'esquisse un despotisme capricieux et immature. Macron, qui se voit comme «un défenseur conquérant et ambitieux», s'aime trop pour être à l'écoute de la société.
L'autoritarisme du chef de l'État est celui des faux durs. En s'en prenant aux faibles plutôt qu'aux forts, il crée des injustices, des déceptions, des rancunes
Un caractère dominateur et péremptoire ne suffit pas à faire d'un homme, même talentueux comme l'est Macron, le symbole d'un État fort. La pluie de «big bang» que Jupiter jette sur la France du haut de son empyrée donne le tournis et étourdit l'opinion. Mais les experts et technocrates ne produisent que des solutions complexes et déshumanisées. Le projet (suspendu mercredi) de suppression du quotient familial, qui a fait bondir la droite, voulait répondre à une «transformation structurelle globale pour une politique familiale universelle qui garantit réellement la dignité des familles» (député LaREM Guillaume Chiche). Ces verbiages pontifiants font corps avec le «bougisme». Toutefois, dans cette marche forcée, Macron sait-il où il va? Un manque de cohérence se dégage des réformes et des mesures qui tombent comme à Gravelotte. Les impasses en deviennent préoccupantes.
En fait, la méthode présidentielle est hasardeuse. D'autant que la société civile n'a plus voix au chapitre. L'autoritarisme du chef de l'État est celui des faux durs. En s'en prenant aux faibles plutôt qu'aux forts, il crée des injustices, des déceptions, des rancunes. Au-delà des cheminots, elles s'expriment chez les retraités, les ruraux, la classe moyenne, les automobilistes, les chômeurs. Parallèlement, le chef de l'État se montre conciliant avec l'islam radical, quand cette idéologie totalitaire exige sa place spéciale dans la République. C'est notamment pour dénoncer cette passivité que cent intellectuels venus d'horizons différents, dont votre serviteur, ont cosigné, mardi dans Le Figaroune tribune: «Non au séparatisme islamique». L'alerte lancée n'est pas vaine: le nouveau Conseil des villes, mis en place parle président, accueille parmi ses membres des militants de l'islam victimaire, comme l'humoriste Yassine Belattar qui accuse ses contradicteurs de vouloir «la mort des musulmans». À quoi joue Macron?
Poutine, faux ennemi
La transgressivité dont se flatte le chef de l'État masque son enracinement dans le conformisme. Rien n'est plus convenu, par exemple, que de diaboliser Vladimir Poutine. Macron ne s'en prive pas. L'empoisonnement, à Salisbury (Angleterre), d'un agent double russe a immédiatement été attribué par la Grande-Bretagne, soutenue par la France, au «Kremlin de Poutine», sans que les preuves soient apportées. Résultat: les leçons du camp occidental ont contribué au plébiscite de Poutine, réélu dimanche pour un 4e mandat avec 76 % des voixMardi, dans Le Figaro , la veuve d'Alexandre Soljenitsyne, Natalia, a qualifié de «très décevante et même plutôt pathétique» la décision de Macron de boycotter les écrivains russes au Salon du livre de Paris. De fait, beaucoup d'entre eux s'opposentà l'homme fort de la Russie et à ses méthodes, peu démocratiques en effet. Mais désigner Poutine comme un danger pousse la Russie dans les bras de la Chine, de l'Iran, de la Turquie.
L'Occident se trompe d'ennemi : seul l'islam conquérant est à combattre. C'est Poutine qui est venu en aide aux chrétiens d'Orient persécutés par l'État islamique
L'Occident se trompe d'ennemi: seul l'islam conquérant est à combattre. C'est Poutine qui est venu en aide aux chrétiens d'Orient persécutés par l'État islamique. C'est l'Europe et les États-Unis qui ont lâché leurs alliés kurdes de l'enclave d'Afrine (Syrie): l'îlot a été investi, dimanche, par les troupes turques de Recep Tayyip Erdogan. Le nouveau sultan, un islamiste au cœur de l'Otan, entend poursuivre sa conquête syrienne avec l'appui de djihadistes que combattaient les Kurdes, dont ces femmes admirables. Mais qui, dans le camp occidental si prompt à morigéner Poutine, ose dénoncer Erdogan et son double jeu? Seul François Hollande a relevé la traîtrise, l'autre jour dansLe Monde: «Quel est cet allié turc qui frappe nos propres alliés avec le soutien au sol des groupes djihadistes?» Devant le félon Erdogan, ce Ganelon exotique, l'Europe s'est soumise.
Présomption de partialité
La France est-elle d'ailleurs si exemplaire? Il est de bon ton de saluer l'indépendance de la justice, après la mise en examen de Nicolas Sarkozy, mercredi, pour des soupçons de financement libyen de la campagne de 2007. Son inutile mise en garde à vue préalable a eu pour effet d'accentuer sa présomption de culpabilité. Or une présomption de partialité pèse en retour sur ces juges d'instruction qui se rêvent en justiciers. Elle pèse aussi sur le parquet national financier qui reste sous l'autorité du pouvoir politique. Bruxelles reproche à la Pologne d'avoir pris des mesures menaçant l'indépendance de la justice. Mais la Commission européenne ferait bien de jeter un œil sur cette instance sous influence, qui a déjà ouvert le feu sur François Fillon en 2017.

Éric Zemmour : «Comment et pourquoi Anne Hidalgo fait toujours payer la gratuité aux autres…» (23.03.2018)

Par Eric Zemmour
Publié le 23/03/2018 à 06h00
CHRONIQUE - En proposant d'instaurer la gratuité du métro pour tous, la maire de Paris tente un énième coup de communication. Payant ?
C'est la dernière trouvaille de la Mairie de Paris. Le dernier truc d'une Anne Hidalgo aux abois. Le dernier contre-feu d'un service de communication parisien qui sort transi d'un déluge médiatique: la gratuité du métro parisien. L'idée n'est pas nouvelle. On voit bien pourquoi Hidalgo la ressort ici et maintenant: manière de soigner ses profils écologique et de gauche. Regardez bien: je suis de gauche puisque je prends une mesure sociale à l'intention des plus défavorisés qui vivent souvent en banlieue et viennent à Paris pour travailler ; on voit bien que je ne pense pas qu'à mes électeurs bobos du centre parisien ; je persiste, en dépit des décisions du tribunal administratif, à interdire la voie rive droite aux automobilistes, mais je trouve une solution de remplacement. Je protège l'environnement et agis pour la justice sociale!
Politiquement, la manœuvre est habile. Elle repose sur les ressorts habituels de la démagogie et de la désinvolture budgétaire. La mesure coûte, paraît-il, 700 millions d'euros au budget de la Mairie. Mais Hidalgo n'est pas seule à décider: que va faire Valérie Pécresse, présidente de la Région Ile-de-France, concernée au premier chef par le RER? Une des premières mesures qu'elle avait prise aussitôt après son élection fut justement de supprimer la gratuité des transports pour les étrangers clandestins, décidée par son prédécesseur.
«Quand le produit est gratuit, c'est que vous êtes le produit»
Car au-delà des coups de communicant et des manœuvres politiciennes, ce sont deux philosophies qui se révèlent et s'affrontent. Celle d'un monde où tout a un prix ; où chacun paie selon ses moyens et ses besoins ; où la réalité des coûts s'impose à chacun ; où le droit ne va pas sans devoir. Où la fraude n'est pas légitimée a posteriori. Le monde ancien. Et puis le monde de la gratuité, où tout est accessible en libre-service, le monde en forme de supermarché. La gratuité, c'est le principe moderne par excellence, celui d'internet, des réseaux sociaux. On l'a vu à l'œuvre dans la musique, les journaux, etc. On l'a vu ruiner l'industrie du disque et aggraver l'état chancelant de la presse.
Derrière la générosité se cache la prise en main de notre destin par des géants qui nous donnent tout pour mieux nous posséder. Les Californiens, où siègent les fameux Gafa, ont une expression qui résume tout: «Quand le produit est gratuit, c'est que vous êtes le produit.»
Quand le métro est gratuit, c'est que les taxes et impôts vont augmenter. Quand le métro est gratuit, c'est qu'il y a encore plus de monde dans des rames déjà bondées. Encore plus de racaille qui se déverse dans la capitale grâce au RER. C'est qu'on ne règle pas la question des parkings aux portes de Paris pour les automobilistes qu'on cherche à dissuader d'entrer. C'est qu'on aggrave les déficits de la RATP. C'est qu'on va se retourner contre les avantages sociaux de ses personnels. La gratuité se paye. D'une manière ou d'une autre. La gratuité n'est jamais gratuite. Elle n'est qu'un paiement transféré. A d'autres.
La rédaction vous conseille :
Journaliste, chroniqueur
Ses derniers articles

Mgr Gollnisch: «Les questions que se posent les chrétiens en Syrie» (23.03.2018)

Par Pascal Gollnisch
Publié le 23/03/2018 à 10h02
FIGAROVOX/TRIBUNE - En pleine offensive sur la Goutha, le directeur général de l'Œuvre d'Orient s'interroge sur un discours officiel qui passe sous silence la complexité extrême sur le terrain.
Cela fait désormais sept années que la Syrie martyrisée est en guerre. Les horreurs de cette tragédie sont bien connues: morts, blessés, déplacés, réfugiés, ainsi que les villes détruites, une économie à bout de souffle, la fragilisation considérable des structures sociales de base. Les chrétiens de Syrie partagent les souffrances de la population dans son ensemble, mais ils voient de surcroît leur communauté menacée en tant que telle, malgré un début de retour et un effort de reconstruction.
Les chrétiens de Syrie veulent des réponses
Ils entendent l'information occidentale condamnant l'attitude du gouvernement syrien, les bombardements des quartiers urbains, les prisons surchargées, les services secrets, etc. Mais ils aimeraient des réponses à leurs questions. Est-il vrai qu'avant le début de la crise les slogans des Frères musulmans étaient: «Les Alaouites au cimetière, les chrétiens au Liban»? Est-il vrai que, lors des premières manifestations considérées comme pacifiques, des armes étaient entassées dans certaines mosquées? Est-il vrai que les rebelles, en particulier dans la Ghouta orientale, ont retenu la population civile comme bouclier humain, exécutant sommairement ceux qui essayaient de fuir, tandis que des missiles étaient tirés vers la ville de Damas, en particulier sur les écoles chrétiennes? Est-il vrai que, durant les premières années de crise, les combattants djihadistes, les armes, les munitions, le pétrole et le coton vendus par Daech ont transité librement par la Turquie? De quels soutiens ont bénéficié les groupes proches de Daech mais aussi d'al-Qaida? Qui leur a livré des armes? Quelle est la situation des prisonniers et de la justice dans les zones rebelles, même en dehors des territoires de Daech? Est-ce que vraiment les Kurdes syriens représentent un danger pour la Turquie, au point de justifier l'entrée de l'armée turque en Syrie et en Irak? Est-il vrai que l'Observatoire syrien des droits de l'homme, considéré par beaucoup comme source exclusive d'information, est cofinancé par le Qatar?
Chacun se sent autorisé à intervenir selon ses intérêts
Je sais qu'en relayant ces questions on m'accusera de prendre parti pour un camp, alors que je souhaite seulement exposer la complexité extrême sur le terrain. Je m'y attends, j'y suis prêt. Pourtant, parce que prêtre et français - et donc non syrien -, je considère que je n'ai pas à m'immiscer dans la politique syrienne. Non que je n'aurais rien à dire, mais parce qu'il faut donner priorité à ce qui peut favoriser la paix. Parce qu'aujourd'hui la Syrie devient le terrain d'un jeu guerrier où chacun se sent autorisé à intervenir selon ses intérêts: l'Iran, la Russie, les pays du Golfe, les États-Unis, l'Europe, le Hezbollah. La Syrie et ses habitants ont le droit d'être entendus sur leur avenir.
Les rebelles doivent avoir le courage des concessions
Les chancelleries occidentales, il y a sept ans, ont misé sur la chute rapide du président Assad, sur le ralliement de la Russie au point de vue occidental, à la capacité des rebelles de former un gouvernement alternatif, laïque et démocratique. Sept ans plus tard, la réalité est tout autre ; il faudrait donc réévaluer les actions diplomatiques possibles.
Les rebelles doivent avoir le courage des concessions. Le gouvernement de Syrie ne doit pas se limiter à la victoire militaire. Il doit s'interroger sur les conditions de l'avenir et de la paix en Syrie.
La Syrie a besoin de prophètes qui lui redonnent confiance et espérance.

Ce que révèle la censure de la lettre de Benoît XVI (22.03.2018)

Par Jean-Marie Guénois
Publié le 23/03/2018 à 11h51
FIGAROVOX/ANALYSE - Le scandale qui a conduit à la démission de Mgr Dario Edoardo Viganò, ministre de la Communication du Saint-Siège brise un tabou.
La démission de Mgr Dario Edoardo Viganò, ministre de la Communication du Saint-Siège, met au jour une affaire de manipulation de l'opinion mais elle brise aussi un tabou: François et Benoît XVI n'ont jamais eu la même vision de la mise en œuvre du concile Vatican II. Un rappel des faits, tout d'abord. Pour célébrer le 5e anniversaire de l'élection du pape François, le 13 mars, la maison d'édition du Vatican a demandé à 11 théologiens de décrypter «la théologie du pape François». Mgr Vigano, «dircom» du Vatican, nommé par François, a l'idée de solliciter le pape émérite Benoît XVI pour la préface. Ce dernier lui dit devoir «refuser» pour deux raisons: il n'écrit jamais de préface sans avoir lu l'ensemble de l'œuvre. Et, il y a parmi les théologiens de la série, Peter Hünermann. Cet Allemand, avec Hans Küng, fut le principal opposant théologique de Jean-Paul II et du cardinal Joseph Ratzinger. Cette lettre de réponse est aussi introduite par deux remarques de Benoît XVI: l'une fustige «le préjugé stupide» qui affirme que le pape François ne serait pas un théologien. L'autre assure de «la continuité intérieure entre les deux pontificats».
Le 12 mars, lors de la présentation publique de la collection, Mgr Vigano ne fait toutefois état que des seules remarques positives de Benoît XVI sur François. Il cache le refus du pape émérite de préfacer cet ensemble et sa raison, la présence de Hünermann. Mgr Vigano va jusqu'à publier une photo de la collection des livres, posées à côté de la lettre de Benoît XVI où n'apparaissent visibles que les paragraphes élogieux… Le reste est volontairement flouté. Quant au passage sur Hünermann, il est caché: de la deuxième page n'apparaît que la signature de Benoît XVI. La formule de politesse où le pape émérite dit explicitement son «refus» de participer est totalement occultée. Cette présentation permet d'obtenir l'effet de com recherché: alors que le 5e anniversaire du pontificat de François est marqué par un débat sur la «confusion» théologique dans l'Église, ce document coupe court puisque ce blanc-seing du théologien Benoît XVI assure de la «continuité intérieure» entre eux. Quasiment toute la presse internationale tombe dans le panneau. Seuls deux journalistes découvrent la supercherie. Benoît XVI avait pourtant demandé que toute sa lettre reste confidentielle mais il doit alors exiger du Vatican qu'elle soit publiée intégralement. Double scandale donc - instrumentalisation d'une phrase de Benoît XVI et manipulation de l'opinion publique internationale - qui conduit à la démission de Mgr Vigano acceptée, avec difficulté, par le pape François.
Débat interne
Ce pitoyable montage de communication révèle surtout la permanence du débat interne sur l'orientation de l'Église que certains veulent éteindre à tout prix. Car, interrogé en 2013 à propos du bilan de Benoît XVI, Peter Hünnermann ne retenait qu'une chose: «sa démission». Depuis toujours ce théologien actif est le promoteur d'une Église ouverte aux femmes prêtres, au mariage des prêtres, aux divorcés-remariés, à l'abolition d'Humanae Vitae, à la transmission du pouvoir du Saint-Siège aux conférences épiscopales, à la réduction du pouvoir papal contrôlé par le Synode des évêques. Tel est, selon lui, la véritable «mise en œuvre» du «concile Vatican II».
La collection des 11 livres publiés par le Vatican ne va d'ailleurs que dans ce sens. Et non dans celui des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Le coordinateur de cette publication, Roberto Repole, qualifie d'ailleurs Benoît XVI dans sa préface de «théologien du XIXe siècle» et il l'oppose à François, pasteur de la modernité.
Il est ridicule d'opposer les deux personnalités de François et de Benoît XVI mais cette affaire démontre que le débat sur l'orientation de l'Église à propos du concile Vatican II reste ouvert et qu'il n'est pas épuisé avec François. Benoît XVI, bientôt 91 ans, avait certes promis de garder le silence sur son successeur. Mais sa lettre d'abord manipulée, puis publiée contre sa volonté, rappelle la respectabilité, et la pertinence, elle aussi, de sa vision de l'Église.
La rédaction vous conseille :


L'éditorial du Figaro Magazine : «La République perdue» (23.03.2018)
Par Guillaume Roquette
Publié le 23/03/2018 à 08h00
Selon Guillaume Roquette, après des années de déni, nos gouvernements actuels ne peuvent plus ignorer la montée de l'islamisme dans les banlieues.
Longtemps, on n'a pas voulu les entendre. Ceux qui décrivaient courageusement l'émergence d'une contre-société, où la loi de la charia s'était substituée à celle de la République, étaient marginalisés, dénigrés, stigmatisés. Au nom du vivre-ensemble et d'une laïcité apaisée, on préférait renvoyer les Finkielkraut, Zemmour et autres Rioufol à leurs supposées «phobies», parce que la réalité dérangeait trop.
Aujourd'hui, on ne peut plus la nier. Dans Le Figaro de cette semaine, cent intellectuels de tout bord dénoncent à l'unisson un totalitarisme islamiste qui s'érige en victime de l'intolérance pour mieux faire sécession avec la communauté nationale, instaurant un apartheid d'un nouveau genre. Le constat étant - enfin - partagé, c'est maintenant aux politiques d'agir.
Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron se bat avec vigueur contre le terrorisme islamique. Depuis le drame de Nice, à l'été 2016, la France est parvenue à déjouer avant qu'il ne soit trop tard toutes les tentatives d'attentats de masse ; on n'en sera jamais assez reconnaissant à nos forces de sécurité. Mais pendant ce temps, le séparatisme communautaire progresse chaque jour, dans l'indifférence des pouvoirs publics. Pourtant, notre société n'est pas seulement défiée par la violence djihadiste, elle est d'abordminée de l'intérieur par la véritable partition que l'on observe au quotidien dans les territoires perdus de la République.
Les islamistes organisent la sécession avec la communauté nationale
Face à cette réalité, le pouvoir est comme une poule devant un couteau. Il bombarde les médias de «discours sur la politique de la ville» (Macron) ou de «plan national de prévention de la radicalisation» (Philippe) qui sont aussi incontestables dans leurs intentions que dépourvus de portée pratique. Qui peut croire qu'on combattra l'islamisation des banlieues avec un «conseil des villes» qui se réunit une fois par trimestre à l'Elysée (surtout avec des membres aussi contestés que l'humoriste Yassine Belattar), ou en «mobilisant l'expertise de la recherche-action dans l'évaluation de la prévention de la radicalisation pour capitaliser les expériences locales et répertorier les bonnes pratiques» (sic), comme s'y engage sans rire le plan du Premier ministre? Mais soyons honnêtes: les prédécesseurs de nos gouvernants actuels n'ont pas fait mieux. Au pouvoir, la droite a regardé ailleurs, tandis que la gauche, elle, baissait carrément pavillon. On se souvient, et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education nationale, autorisant les mères voilées à accompagner les sorties scolaires.
Régulièrement, Le Figaro Magazine décrit l'islamisation des banlieues. En 2016, notre couverture consacrée à la ville de Saint-Denis, «Molenbeek-sur-Seine», nous avait valu des menaces de poursuites en diffamation par la municipalité. Nous les attendons toujours… Et pour cause: nous ne faisions que décrire la réalité. Cette semaine, nous vous plongeons dans la vie quotidienne d'une autre ville de banlieue parisienne où communautarisme et délinquance font meilleur ménage que jamais. Mais où est passée la République?
Directeur de la rédaction du Figaro Magazine
Ses derniers articles


Alain Besançon: «Au milieu du vide métaphysique prospère une vague religiosité humanitaire» (23.03.2018)
Publié le 23/03/2018 à 07h30
FIGAROVOX/ENTRETIEN - C'est un événement éditorial. Contagions regroupe en un recueil, publié aux Belles Lettres, dix œuvres majeures d'Alain Besançon. Dix œuvres étalées sur près de cinquante ans, à travers lesquelles l'historien, membre de l'Institut, directeur d'études à l'EHESS et spécialiste des religions, démonte les confusions idéologiques et religieuses de notre temps.
«Tout ce temps que j'ai passé sur l'histoire russe et le communisme soviétique, à l'étudier et à l'analyser, j'espère qu'il me sera compté à pénitence», écrit Alain Besançon dans son autobiographie Une Génération (1987). L'historien ne s'est pas pardonné. Membre du parti communiste de 1951 à 1956, il rompt avec lui après la diffusion du rapport de Nikita Khrouchtchev qui révèle les crimes du stalinisme. «Honteux» et «en colère», Alain Besançon décide alors d'explorer l'histoire de la Russie et de l'URSS, et plus largement de démonter les mécanismes des totalitarismes, pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé. Ce sera l'œuvre de sa vie. Revenu au catholicisme, celui qui est aussi un spécialiste de la religion, voit dans le communisme une forme de gnose. Une idéologie qui se présente comme «scientifique», mais qui «emprunte au religieux l'espérance et obtient ainsi un profond dévouement des partisans qui en sont en quelque sorte les “fidèles”». Contagions (Les Belles Lettres), volume imposant qui vient de paraître et regroupe dix de ses écrits, sonne comme une mise en garde contrece qu'il appelle la «contagion intellectuelle»: la confusion entre la foi et la science, l'idéologie et la théologie, la religion et l'humanitaire. Dans l'islam, où «les lois civiles sont sanctifiées par Dieu lui-même dans le Coran», ce brouillage des repères explique beaucoup du chaos actuel.
LE FIGARO MAGAZINE -. Vos préfaciers décrivent votre œuvre comme traversée par une longue question, à la manière d'un fil d'Ariane: «Comment a-t-on pu être communiste? Et comment si nombreux ont-ils pu l'être?»
Alain BESANÇON -. Il y a beaucoup de raisons. Voici les trois qui me paraissent principales. Le «marxisme-léninisme» se présente comme une explication totale du monde, dans tous ses aspects et garantie par la science. C'est faux, c'est une illusion, mais tentante auprès des jeunes gens. C'est la tentation d'un raccourci vers le savoir total. Ensuite, il contient un fort élan révolutionnaire. C'était l'humeur au lendemain de la guerre. La France avait connu la Révolution avec la tentative jacobine qui avait tourné court après la chute de Robespierre en I794. Le communisme bolchevique semblait prendre le relais, recommencer la révolution et la conduire à son but idéal. Ensuite peu de gens savaient ce qui s'était passé en Russie. La mer de sang était soigneusement cachée. Le pays des soviets paraissait l'utopie au pouvoir, l'utopie réalisée. L'Union soviétique venait de mener une guerre héroïque et avait participé à la grande victoire sur l'utopie nazie, utopie jumelle dont tout le monde connaissait les horreurs. Les horreurs communistes étaient connues de peu de gens, peu crues, marginalisées. Dans les années 1950, le monde intellectuel français pensait beaucoup de bien de la Russie soviétique. A l'université, à Sciences-Po, on en parlait avec respect et admiration.
Vous insistez sur le fait que le régime soviétique n'était pas une dictature comme les autres. Quelle est la spécificité du totalitarisme soviétique?
En 1950, bien du monde croit que le régime de Franco est pire que celui de Staline! L'Espagne de Franco est une dictature pure et simple: un leader a pris le pouvoir et ne l'a rendu qu'à sa mort. La Russie, pour beaucoup de Français, n'avait rien connu de pareil, elle n'était qu'une forme différente et authentique de démocratie. Là est le mensonge qui met à part le communisme et le différencie des dictatures classiques. On sait combien de morts a fait la guerre civile espagnole: 200.000 de chaque côté. Cela n'a rien à voir avec les 30 ou 40 millions du régime soviétique! D'autant que le communisme chinois, vietnamien, cubain, éthiopien a continué d'étendre ses ravages. D'une certaine façon, la vérité sur le régime marxiste-léniniste n'a atteint les masses françaises que dans le courant des années 1970, avec Soljenitsyne dont les livres ont déchiré le rideau d'imposture. C'est-à-dire très tard.
«Pour ce qui est de la France, je crois vraiment que c'est toujours ce désir, très fermement ancré chez de nombreux intellectuels, de recommencer la Révolution. Et puis, chez nombre d'entre eux, il existe aussi un goût du sang !»
Alain Besançon
Mais même dans les années 1970, beaucoup d'intellectuels français refusent de regarder la réalité en face… Comment expliquer cette cécité?
Pour ce qui est de la France, je crois vraiment que c'est toujours ce désir, très fermement ancré chez de nombreux intellectuels, de recommencer la Révolution. Et puis, chez nombre d'entre eux, il existe aussi un goût du sang! Ce n'est pas toujours sympathique, un intellectuel français! Certains d'entre eux peuvent même être parfois fascinés par la violence. Alain Badiou, qui était alors professeur à l'Ecole normale supérieure, a salué avec beaucoup de joie les massacres commis au Cambodge… Le rêve d'une société idéale, égalitaire, juste, existe depuis toujours. Depuis Platon. Cela vaut bien de se résigner à la violence. Pas d'omelette sans casser des œufs…
La différence, dites-vous, entre une dictature comme celle de l'Espagne franquiste et le système soviétique, c'est l'idéologie. Sur quoi repose celle du marxisme-léninisme?
C'est une doctrine fondée - croyait-on - sur la science, et embrassant tous les aspects de la vie. Elle synthétisait une connaissance prétendument complète de l'homme, de la société et de leur destin. En Russie, la censure et la propagande persuadaient que le régime apportait une promesse de salut. Cette matrice religieuse, qui peut paraître paradoxale car l'idéologie est en même temps profondément antireligieuse, fait descendre sur terre les clés du salut, et c'est le parti qui en est le garant. L'idéologie emprunte au religieux l'espérance, et obtient ainsi un profond dévouement des partisans qui en sont en quelque sorte les «fidèles». Mais c'est un système positiviste, qui s'appuie sur des théories «scientifiques», et pratique, dans la mesure où l'on en connaît les recettes: la suppression de la propriété permettant la création d'une société d'un type nouveau. C'est une forme de nouvelle gnose, et c'est ce que j'essaie de démontrer dans mon livre,Les Origines intellectuelles du léninisme. La gnose est une doctrine qui parasite les religions de la Bible depuis leurs débuts: une forme de «do it yourself», l'idée que dès l'instant où l'on connaît les principes secrets de fonctionnement du monde, on peut se débrouiller sans Dieu pour les appliquer et se sauver soi-même. Il y a eu des gnoses très puissantes dans l'Antiquité: le manichéisme, le marcionisme… au travers desquelles le christianisme a tâché de se frayer un chemin. Puis au XIXe siècle, la gnose a cessé d'être religieuse pour devenir prétendument scientifique, ce qui était nouveau. Le léninisme se veut prouvable, et il apporte des garanties de scientificité: en somme, il croit qu'il sait, tandis que les vieux gnostiques savaient qu'ils ne faisaient que croire, bien qu'ils crussent en une foi différente de l'orthodoxie chrétienne ou juive. Mais Lénine s'appuyait sur un corpus résolument scientifique, qui ne voulait rien envier aux découvertes mathématiques ou aux percées de la physique: une forme de connaissance sociologique absolue de l'homme. Il vaut mieux savoir que croire! La Russie de la fin du XIXe siècle était en proie à une très grande confusion d'esprit: il y avait des marxistes, des symbolistes, des eschatologies assez variées, des chrétiens et des parachrétiens… Tous ces courants ont été balayés par le matérialisme historique et dialectique, qui a imposé son hégémonie.
Aujourd'hui, diriez-vous que l'islamisme est un nouveau totalitarisme? Y a-t-il des points communs avec le léninisme?
C'est un fanatisme religieux, ce n'est pas la même chose. Le fondamentalisme se développe aujourd'hui dans l'islam comme il s'était jadis manifesté à plusieurs reprises dans de nombreuses religions, y compris dans le christianisme ; mais il se sait religieux, et ne se prétend pas scientifique.
«L'islam est antérieur à tout : les gens ne se convertissent pas à l'islam, ils se « déconvertissent » à des religions antérieures, qui se sont superposées à l'islam, l'ont déformé, pour redevenir les musulmans qu'ils étaient à leur naissance»
Alain Besançon
Comment expliquez-vous cette montée en puissance de l'islam radical?
Peut-être parce que c'est une religion plus rationnelle, selon son dire, et moins exigeante que le christianisme. Si l'on est en règle avec les «cinq piliers» on est assuré d'aller au Ciel. Il n'y a pas de libre arbitre. Le croyant n'a pas à se poser les questions qui tourmentent indéfiniment le juif et le chrétien. Pas de lutte intérieure à mener. C'est aussi une religion qui s'est débarrassée de la complexité et du tragique de l'histoire. Dans la perspective biblique, vous avez un début, un milieu et une fin: la révélation les définit. L'islam est antérieur à tout: les gens ne se convertissent pas à l'islam, ils se «déconvertissent» à des religions antérieures, qui se sont superposées à l'islam, l'ont déformé, pour redevenir les musulmans qu'ils étaient à leur naissance. Le monde sesépare en deux zones: le Dar al-Islam, où règne l'islam, et le Dar al-Harb, le monde des incroyants destinés à se convertir.
Sur le long terme, l'islam ne paraît pas soluble dans quoi que ce soit d'autre. La notion décisive est l'«alliance». Au pied du Sinaï, Dieu fait alliance avec le peuple hébreu, et les chrétiens fondent une nouvelle alliance qui en prend la suite. Cette alliance délimite le peuple juif et le peuple chrétien. On fait partie du peuple chrétien moyennant la foi, adhésion de confiance au Dieu caché. L'alliance n'existe pas dans l'islam, qui est fondé sur une soumission générale à la loi qui ne distingue pas entre les peuples. Dieu dans l'islam est une évidence à laquelle tous les hommes sensés ne peuvent se dérober. Les écritures juives et chrétiennes sont falsifiées et dissimulent la vérité du Coran. Telle est peut-être la différence la plus insurmontable. La cohabitation a pourtant longtemps été possible, en Espagne ou à Malte par exemple. Mais cette cohabitation ne dure pas. Les chrétiens d'Orient se font expulser aujourd'hui, comme les musulmans d'Espagne ont eux-mêmes été expulsés.
Vous ne croyez pas à la compatibilité entre l'islam et la République. Pourtant, avec le christianisme aussi les rapports ont longtemps été compliqués…
Le monde catholique était endogène, il faisait corps avec la civilisation française. Les catholiques ont fini par accepter de bon gré ou de mauvais gré la civilisation moderne, et c'est ce qu'on espère de la part des musulmans aujourd'hui. Il n'est pas certain que les musulmans se prêtent à une telle évolution.
Marcel Gauchet avait prophétisé la sortie de l'ère des religions: n'assiste-t-on pas, plutôt, à l'effacement du christianisme et à l'essor de l'islam?
J'ai lu dans une encyclopédie de 1880 que l'islam était en train de mourir. C'est dire si on se trompait! Il y avait alors, selon l'encyclopédie, 80 millions de musulmans. Ils sont un milliard et demi aujourd'hui, plus nombreux encore que les catholiques. Un coup d'œil sur le passé montre qu'une Eglise malade passe facilement à l'islam. On peut estimer que le succès initial de cette religion est venu de la massive hémorragie des chrétiens séduits par la nouvelle doctrine ou peu enclins, à cause de la faiblesse de leur foi, à résister à la technique efficace de conversion, à la pression fiscale, aux humiliations et aux misères du statut de dhimmi. L'Eglise d'aujourd'hui ne souffre pas de la même maladie que l'Egypte byzantine. Pour autant, on hésiterait à lui remettre un certificat de bonne santé. A en juger par les sondages, beaucoup de fidèles ne savent pas bien ce qu'ils croient ni pourquoi ils le croient. Ils doutent en grand nombre d'articles fondamentaux, comme du péché originel, de la vie éternelle, de la résurrection des corps. La catéchèse des enfants est, depuis une génération, troublée et incertaine. Elle ne vise plus à leur mettre dans la tête des formules dogmatiques stables, apprises par cœur, mais à leur insuffler un état d'âme, vague, affectueux et gentil pour tout le monde.
«En Occident, au XXe siècle, l'idéologie a fini par remplacer la foi : d'abord le communiste de type léniniste, puis ce darwinisme dégénéré qui a abouti au nazisme»
Alain Besançon
Comment expliquez-vous le basculement de l'Eglise actuelle dans ce que vous appelez «une foi humanitaire»?
La déchristianisation actuelle vient probablement d'un décrochement de la foi, au sein même du clergé. Depuis 1960, la pratique religieuse s'est effondrée. Dès l'instant où on ne croit plus aux fins dernières, qu'on n'a plus la peur d'aller en enfer ni même le désir d'aller au paradis, la foi chrétienne est en danger. En Occident, au XXe siècle, l'idéologie a fini par remplacer la foi: d'abord le communiste de type léniniste, puis ce darwinisme dégénéré qui a abouti au nazisme dans les pays germaniques. Aujourd'hui, on se plaint d'un vide métaphysique au milieu duquel prospère une vague religiosité humanitaire.
Pour finir, pourquoi avez-vous choisi ce titre pour l'édition d'une partie importante de vos œuvres, Contagions?
Parce que je rejette viscéralement les mélanges. Je suis par tempérament prévenu contre les confusions qui oblitèrent la distinction réelle entre les objets, les mélanges qui brouillent les frontières, les contagions qui répandent les désordres dans les esprits. Je n'aime pas que le nationalisme se mélange avec le christianisme si intimement qu'on ne sait plus si l'encens s'élève vers Dieu, ou vers la nation qui devient son double idolâtrique. C'est ce qui est en train de se produire en Russie. Et dans une certaine mesure aussi dans l'islam, où les lois civiles sont sanctifiées par Dieu lui-même dans le Coran. Je n'aime pas qu'une doctrine fausse (le marxisme-léninisme) se prenne pour une science exacte, ce qui a engendré une pandémie psychique à l'échelle du monde entier. Je n'aime pas que les religions perdent leur contour et se noient dans un humanitaire qui prétend les contenir toutes. Ces mélanges, ces confusions, engendrent des produits vénéneux et hautement contagieux. D'où mon titre.
La rédaction vous conseille :


Lam Wing-kee, le libraire hongkongais qui défie la Chine (22.03.2018)
Par Patrick Saint-Paul
Mis à jour le 22/03/2018 à 20h14 | Publié le 22/03/2018 à 19h28
RÉCIT - Enlevé fin 2015 par les autorités chinoises, le libraire de Hongkong avait été détenu pendant huit mois, dont cinq au secret. À sa sortie, il avait dénoncé les pratiques des services de sécurité chinois. Et il n'a pas renoncé à diffuser des ouvrages critiques sur le pouvoir chinois. Il s'apprête à ouvrir une nouvelle librairie sur «l'île rebelle» de Taïwan.
Sa paisible vie de libraire s'est transformée en roman d'espionnage. Lam Wing-kee ne sort plus de son appartement de Hongkong sans prendre ses précautions. Il sait dérisoire la protection offerte par la police de l'ancienne colonie britannique, rétrocédée à la Chine en 1997. Alors cet homme âgé de 63 ans se déguise avant de sortir dans les rues. Il varie ses itinéraires, prend des détours pour s'assurer qu'il n'est pas suivi. Cela aussi lui paraît un peu ridicule. Car il le sait mieux que quiconque, rien ne peut le protéger contre le long bras de Pékin.
«La Chine ne commettra pas l'erreur de me faire disparaître de nouveau, veut-il croire. Ce serait un désastre pour son image…»
Lam Wing-kee
«La police ne peut pas vraiment me défendre, alors je compte sur moi-même», dit-il, un peu désemparé. Sa «meilleure garantie» est bien fragile. «La Chine ne commettra pas l'erreur de me faire disparaître de nouveau, veut-il croire. Ce serait un désastre pour son image…» Mais, visiblement, le nouvel empereur rouge, Xi Jinping, qui vient de se faire couronner à vie par le Parti communiste chinois(PCC), se soucie peu des convenances constitutionnelles ou humanistes. D'autant que Lam Wing-kee est accusé d'un crime de lèse-majesté: il diffusait les ouvrages de Mighty Current, une maison d'édition hongkongaise spécialisée dans les titres salaces sur la vie privée des dirigeants chinois et les intrigues politiques au sommet du pouvoir. Et pourtant, Lam dit ne pas avoir peur d'être «kidnappé de nouveau».
Enlevé dans un hôtel thaïlandais
Sa vie a basculé fin 2015. L'ancien patron de la librairie Causeway Bay Books s'était volatilisé alors qu'il se rendait à Shenzhen. Il a été interpellé à son arrivée à la frontière avec le continent chinois, menotté à une chaise et interrogé toute une nuit. Le lendemain, les policiers en civil lui ont bandé les yeux et l'ont emmené en train jusqu'à la ville portuaire de Ningbo, où il a été placé dans une cellule de confinement solitaire aux meubles capitonnés afin qu'il ne les utilise pas pour se blesser. Pendant cinq mois, les gardes le surveillaient 24 heures sur 24. Sa brosse à dents était reliée à un fil pour qu'il ne tente pas de se suicider en l'avalant. «Ils m'ont fait signer une lettre dans laquelle je renonçais à mon droit à un avocat et à celui de communiquer avec ma famille», raconte Lam Wing-kee à Genève, où il participait cette année au Geneva Summit for Human Rights and Democracy.
Ses proches ignorent tout, ou presque, de son sort. Comme les quatre autres libraires de Mighty Current, Lam Wing-kee disparaît. «Les policiers m'interrogeaient jour et nuit, dit-il. Ils voulaient savoir qui étaient mes clients, mais surtout quelles étaient mes relations avec les autres libraires et en particulier Gui Minhai.» Cet éditeur résident à Hongkong est détenteur de la nationalité suédoise. La police chinoise l'interpelle et l'enlève en Thaïlande, où il était parti en vacances. Porté disparu de son hôtel de Pattaya depuis la fin octobre 2015, Gui fait un retour surprise à la télévision publique chinoise en janvier 2016. Il apparaît en larmes sur la chaîne officielle CCTV. Filmé dans un centre de détention, Gui raconte être allé en Chine de son propre chef pour se rendre à la police, onze ans après un délit de fuite. Il dit avoir quitté la Chine après avoir été condamné pour la mort d'un étudiant dans un accident de voiture alors qu'il était ivre… bien qu'il n'ait été condamné qu'à deux ans de prison avec sursis. «C'était lui la véritable cible des enquêteurs chinois», dit Lam à propos du dernier des libraires de Hongkong toujours en détention.
Un ouvrage sulfureux sur Xi Jinping
Le passeport étranger n'est pas une «amulette» protégeant ses détenteurs contre la «justice chinoise», a prévenu le tabloïd Global Times, porte-voix du régime, le mois dernier… Celle-ci est d'autant plus implacable qu'elle est aux ordres du Parti. «Bien que j'aie la nationalité suédoise, au fond je me sens profondément chinois», déclarait Gui à la télévision d'État. «J'espère que les autorités suédoises respecteront mes choix, mes droits et ma vie privée, et me laisseront m'occuper de mes affaires», avait-il ajouté, sous-entendant qu'il renonçait à ses droits consulaires.
Cofondateur de Mighty Current, Gui s'apprêtait à publier un ouvrage sulfureux sur une liaison amoureuse qu'aurait entretenue Xi Jinping en marge de son premier mariage, alors qu'il était un haut cadre du PCC dans la province du Fujian. «Le livre rend Xi nerveux parce que l'“empereur” ne tolère pas la critique, juge Lam Wing-kee. Il tient à son mariage avec Peng Liyuan. Et ces révélations pourraient nuire à sa relation de couple. Les policiers n'avaient de cesse de me demander ce que contenait l'ouvrage. Mais je ne savais pas grand-chose, si ce n'est que l'auteur est généralement bien informé et vit aux États-Unis.» Lam affirme qu'il ne vendait pas les livres édités par Gui Minhai sur le continent chinois. «Ses livres sont de piètre qualité. Généralement, ils colportent des rumeurs, dit-il. Moi, je me contentais d'envoyer à mes clients chinois des ouvrages plus académiques sur les luttes de pouvoir au sommet de la République populaire. Tout le monde est friand de ces livres en Chine, les activistes, les gens normaux et jusqu'aux plus hauts dirigeants du pays.»
Lam Wing-kee aura, lui aussi, droit à sa confession télévisée… prélude incontournable à sa relaxe
Lam Wing-kee aura, lui aussi, droit à sa confession télévisée… prélude incontournable à sa relaxe. Il y dira s'être rendu de son plein gré en Chine et avouera avoir violé les lois de la République populaire en faisant le commerce d'ouvrages salaces sur des dirigeants chinois. «Au départ, j'ai répété à plusieurs reprises une autre version dans laquelle je disais que j'avais violé la loi constitutionnelle chinoise, mais sans savoir ce que j'avais fait de mal, raconte-t-il. Les policiers m'ont fait réenregistrer la confession jusqu'à ce que je m'en tienne strictement à la version qu'ils m'avaient dictée. Ils avaient fini par me menacer sérieusement. Si je ne donnais pas leur version, je pouvais être accusé de sédition…» Une accusation passible de la prison à perpétuité. En échange de sa confession et de l'engagement qu'il reviendrait en Chine livrer à la police les disques durs de ses fichiers clients deux jours plus tard, Lam est autorisé à retourner à Hongkong au bout de huit mois de détention. Ses révélations lèvent un coin de voile sur les méthodes de l'appareil sécuritaire chinois. Celui-ci utilise régulièrement les confessions forcées de dissidents, d'avocats, de célébrités ou de défenseurs des droits de l'homme pour justifier la détention aux yeux de l'opinion publique de ceux qui ont osé défier le Parti.
«Poil à gratter» du régime
Cette affaire a semé l'effroi à Hongkong alors que de nombreux habitants ont le sentiment que la Chine durcit son contrôle sur l'île, qui lui a été rétrocédée en 1997. Hongkong est une région semi-autonome sous administration spéciale. Elle possède son propre système judiciaire, sa propre police, tandis que les autorités chinoises comme hongkongaises contrôlent strictement leurs frontières. L'ancienne colonie britannique est censée jouir de libertés inconnues ailleurs en Chine continentale, en vertu du principe «un pays, deux systèmes», en théorie jusqu'en 2047. Des cinq disparitions, celle de Lee Bo, détenteur d'un passeport britannique, est celle qui avait le plus choqué. Elle avait eu lieu alors qu'il se trouvait encore à Hongkong, territoire sur lequel les services de sécurité chinois n'ont pas le droit d'intervenir. Londres avait protesté, affirmant que Lee avait été «conduit contre son gré sur le continent», ajoutant que cette affaire constituait une «grave violation» de l'accord de rétrocession de Hongkong à la Chine.
De nombreux Hongkongais s'inquiètent de la mainmise de plus en plus grande de Pékin sur la région semi-autonome
L'affaire des libraires avait déclenché une vague de manifestations à Hongkong pour leur libération. De nombreux Hongkongais s'inquiètent de la mainmise de plus en plus grande de Pékin sur la région semi-autonome. «Notre affaire est révélatrice de la volonté de contrôle total de la Chine sur Hongkong, estime Lam. Contrairement aux engagements qui avaient été pris vis-à-vis des Britanniques, nous ne pouvons pas élire librement nos représentants, qui sont choisis par Pékin. Les Hongkongais sont habitués à une autre culture, héritée de l'époque britannique. Nous avons un système différent de celui de la Chine. Mais maintenant, Pékin veut gouverner Hongkong comme le reste de la Chine, en s'attaquant à nos libertés. Au premier chef, la liberté d'expression. L'indépendance de la justice aussi est en ligne de mire. Les Chinois ont déjà gagné. Hongkong est sous le contrôle de Pékin.»
Pourtant Lam Wing-kee a choisi de rester à Hongkong malgré la fragilité de la liberté dont il y jouit. En revanche, il n'y exercera plus son métier de libraire. Il ouvrira prochainement une nouvelle libraire sur «l'île rebelle» de Taïwan, qui bénéficie d'une plus grande liberté de mouvement mais sur laquelle Pékin revendique de plus en plus fermement sa souveraineté. Depuis sa boutique de Taïpeh, il exportera de nouveau ses ouvrages, véritable «poil à gratter» pour le régime, vers la Chine continentale. Comme s'il pouvait désamorcer les ennuis potentiels avec le pouvoir chinois, il tient à préciser qu'il respectera «toutes les lois en vigueur en République populaire»… Comme si cela pouvait faire une différence au regard de la justice chinoise

La rédaction vous conseille :

Scènes de violence à Paris et à Nantes lors des manifestations (22.03.2018)
Par Christophe Cornevin
Publié le 22/03/2018 à 20h03
À Paris et à Nantes, des casseurs se sont très vite livrés à des dégradations lors des manifestations contre la politique d'Emmanuel Macron.
Policiers cibles de jets de projectiles, équipements publics vandalisés et symboles de la finance mis à sac… À Paris comme à Nantes, les manifestations hostiles à la politique sociale d'Emmanuel Macron ont été émaillées d'incidents. Dans la capitale, les débordements ont commencé tôt: «Après un rassemblement place de la Nation, un cortège de 500 jeunes, dont une centaine de militants de la mouvance contestataire radicale, a fait mouvement en direction de la place de la République, explique la Préfecture de police. La centaine de casseurs s'est très vite livrée à des dégradations de mobilier urbain ou de vitrines, notamment de banques. Les forces de l'ordre ont en conséquence dispersé ce groupe aux alentours de midi.»
Si la manifestation «Fonction publique», qui a réuni 34 .700 personnes selon le cabinet Occurence, s'est déroulée dans le calme, celle des cheminots, qui a fédéré 13 .100 participants de la gare de l'Est à la Bastille, s'est quant à elle soldée par des violences qui ne sont pas sans rappeler les débordements du printemps dernier en marge de la loi travail. Les mêmes protagonistes sont à la manœuvre: postés en début du cortège, 300 inconnus cagoulés, masqués et vêtus de noir se déploient vers 14 h 30 en formation de type «black bloc» avec la manifeste envie d'en découdre.
Groupes mobiles et organisés
S'emparant de barrières de chantier, des individus harcèlent les forces mobiles, qui essuient une pluie de projectiles à hauteur du boulevard Beaumarchais. Non loin, une voiture est enflammée tandis que des vitrines volent en éclats. Par groupes mobiles et organisés, les casseurs s'en prennent aux bureaux d'un assureur aux cris d'«anticapitalistes!». Pour endiguer la violence qui montait aux abords de la Bastille, le préfet de police Michel Delpuech a donné l'instruction d'utiliser les grenades lacrymogènes et le lanceur d'eau, considéré comme l'ultima ratio en termes d'ordre public.
«Arrivés sur la place de la Bastille, les deux cortèges se sont rejoints et les manifestants se sont dispersés sans incident»
La Préfecture de police
«Arrivés sur la place de la Bastille, les deux cortèges se sont rejoints et les manifestants se sont dispersés sans incident», précise la Préfecture de police, qui fait état de «dégradations de vitrines de plusieurs agences bancaires», «dégradations de panneaux publicitaires», d'un véhicule «partiellement incendié» et de «divers tags sur du mobilier urbain». Le bilan policier fait état de «trois interpellations, dont celle d'un militant violent déjà connu des services».
À Nantes, où le cortège a réuni près de 8500 manifestants, des heurts analogues ont éclaté entre des manifestants et des policiers. Un «groupe hostile cagoulé» a lancé des projectiles sur les policiers, qui ont là encore répliqué par des tirs de lacrymogènes et des lances à eau. Huit interpellations ont eu lieu et quatre gendarmes ainsi que deux CRS ont été légèrement blessés. Des tags sur un monument en mémoire des Français tombés pendant la Seconde Guerre mondiale sont également à déplorer.

La rédaction vous conseille :


Islamisation, délinquance, trafics : ce qui se passe vraiment dans les banlieues (23.03.2018)

Par Manon Quérouil-Bruneel
Mis à jour le 23/03/2018 à 08h13 | Publié le 23/03/2018 à 06h30
EXCLUSIF - Pendant un an, Manon Quérouil-Bruneel, grand reporter, est allée à la rencontre des habitants d'une cité de Seine-Saint-Denis. Religion, drogue, prostitution, petits trafics et grand banditisme : son livre choc, La Part du ghetto, raconte le quotidien méconnu d'une France en marge de la République. Récit de son enquête et extraits exclusifs.
«Il suffit de passer le pont, c'est tout de suite l'aventure!» chantait Brassens. Ça marche aussi avec le périphérique. A moins d'une dizaine de kilomètres de la capitale se trouve un autre monde, à la fois proche et lointain. Avec ses codes, ses règles et ses valeurs. Pendant un an, j'ai tenté d'en comprendre le fonctionnement en m'immergeant dans une cité de Seine-Saint-Denis. Pour pousser des portes qui me seraient restées closes, je me suis appuyée sur l'un de ses habitants, Malek Dehoune, que je connais depuis une dizaine d'années. Ensemble, nous avons eu envie de raconter cette vie de l'autre côté du périph, loin des clichés. Grâce à sa solide réputation dans la cité, la méfiance qu'inspirent généralement les journalistes s'est progressivement estompée. Au fil des mois, j'ai obtenu les confidences de dealers, de mères de famille, de prostituées, de retraités, de grands voyous, de commerçants, de musulmans laïcs et de salafistes. Je les ai écoutés en m'appliquant à ne jamais les juger.
Ces tranches de vie racontent un quotidien très éloigné de celui que peignait La Haine - film culte sur le malaise des banlieues françaises et de cette deuxième génération d'immigrés, née en France dans les années 1970, qui a grandi la rage au ventre en ne se trouvant nulle part à sa place. En plongeant dans la cité, je pensais naïvement côtoyer leurs dignes héritiers. Mais vingt ans après, les choses ont bien changé. Les jeunes ne brûlent plus de voitures, ils font du fric sans esclandre, conscients que les émeutes nuisent au business. Pragmatiques, avant tout. «On est des bourgeois, pas des révolutionnaires, comme le résume l'un d'entre eux, surnommé «Chocolat», en référence au shit qu'il vend. On sait qu'on fait pas longtemps dans ce métier. On mène une vie normale, comme un type qui travaille dans un bureau, quoi.»

Le trafic de cannabis reste un grand classique en cité. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
En l'occurrence, plutôt comme un patron d'une petite PME. A 22 ans, «Chocolat» est le gérant de ce qu'on appelle un «terrain», c'est-à-dire un territoire de deal, qui se vend et s'achète comme un bien immobilier: entre 100.000 et 2 millions d'euros - selon la taille et la localisation. Mais ce n'est pas qu'une question d'argent: un terrain se mérite et se gagne aussi à la réputation. Quand les «anciens» décident qu'ils n'ont plus l'âge de dealer au pied des tours, ils choisissent avec soin ceux à qui ils passent la main. «Choco» a été désigné à 19 ans. Son terrain se trouve à côté de celui de football, dans le parc pelé au cœur de la cité. Avant midi, il est généralement désert. Les «petits», comme les surnomment les «anciens», vivent la nuit et se lèvent tard. Sur son terrain, «Chocolat» écoule en moyenne 350 grammes de cannabis par jour. Un emplacement «moyen», comparé à d'autres, comme celui de Bagnolet, qui débite un kilo par jour. Mais il lui permet de gagner «un smic tous les deux jours», et de s'offrir les services d'un vendeur et de deux «choufs» - des guetteurs chargés de donner l'alerte en cas de descente policière. «Chocolat» se contente de passer quelques heures, pour vérifier que tout va bien et verser les salaires de ses employés, payés 50 euros par jour. Le reste du temps, il s'occupe de l'approvisionnement, la clé d'un business prospère.
«Nous, on vend pas la mort. Le shit, c'est naturel. Ça sort de la terre, comme un légume. »
«Chocolat», dealer de shit
Le shit, c'est comme le cours de l'or: le prix au kilo peut varier de plus ou moins 1000 euros sur un an. Comme un trader, un bon trafiquant doit anticiper les variations, avoir du stock en réserve et être placé au plus proche de la source, pour avoir le meilleur tarif possible et dégager un maximum de bénéfices. La pièce d'un kilo de cannabis «se touche» autour de 1200 euros au Maroc ; elle passe à 2300 euros en Espagne et peut être revendue jusqu'à 3500 euros en France. Entre chaque pays, il y a des intermédiaires, des «apporteurs d'affaires», qui se rémunèrent au pourcentage en fonction du volume de la transaction. J'ai découvert avec surprise que, dans ce monde de truands, la marchandise s'achète presque toujours à crédit. Une chaîne de crédits, même, qui court du Maroc jusqu'au 93 et qui débouche sur des règlements de comptes sanglants, quand la drogue est saisie et que l'acheteur se retrouve dans l'incapacité de rembourser. Ou qu'il décide finalement de ne pas payer et de disparaître dans la nature… Pour se prémunir de ce genre de déconvenues, de plus en plus fréquentes selon mes interlocuteurs dans la cité, les fournisseurs exigent de leurs clients d'être recommandés par des amis communs ou de fournir l'adresse de leurs parents afin d'avoir un moyen de pression. C'est également pour cette raison qu'ils préfèrent vendre au propriétaire d'un terrain: comme dans un commerce, il y a toujours du cash en circulation.
Dans la cité où j'ai mené mon immersion, il n'y a pas de terrain de cocaïne ou d'héroïne. «Pas notre culture, explique «Chocolat». Nous, on vend pas la mort. Le shit, c'est naturel. Ça sort de la terre, comme un légume.» Ceux qui se lancent dans la blanche le font loin du quartier, à bord d'une «coke-mobile» qui livre les clients à domicile. Il arrive que le véhicule en question fasse également VTC.

La cité est un monde d'hommes. Les aînés font respecter leur loi et veillent sur la tranquillité des habitants comme une police de proximité parallèle. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
La double casquette chauffeur Uber/dealer de coke fonctionne bien, les courses offrant une bonne couverture aux livraisons. Il y a quelques années, un jeune a tenté d'enfreindre cette loi tacite, qui proscrit la vente de drogue dure dans l'enceinte de la cité. Il a ouvert un terrain de crack au pied des tours. Le parc s'est retrouvé envahi de zombies, qui se shootaient au milieu des enfants. Les policiers ont multiplié les descentes, mais ce sont finalement les «anciens» qui l'ont délogé. Ce sont eux qui se chargent de maintenir l'ordre et de veiller à la tranquillité des habitants, comme une police de quartier parallèle.
C'est parce qu'ils se sentent investis de cette même mission de protection que les jeunes livrent aujourd'hui une guerre sans merci à ceux qu'ils appellent les «Lampédouz» - les clandestins maghrébins arrivés en masse ces dernières années dans la foulée des printemps arabes. Alors que les guerres entre bandes rivales sont devenues plus rares, se réglant le plus souvent par les réseaux sociaux, la nouvelle violence qui agite régulièrement la cité est celle qui oppose ces jeunes issus de l'immigration aux nouveaux arrivants: souvent des hommes seuls, qui dorment dans des squats à l'ombre des barres HLM ou s'entassent dans des appartements insalubres loués par des marchands de sommeil. Ils vivotent en travaillant au black sur des chantiers, en vendant des cigarettes à la sauvette, en arrachant des sacs et des portables, aussi. Les vols commis dans la cité déclenchent systématiquement des représailles, à coups de batte de baseball et de barre de fer. Les jeunes débarquent alors en bande et tabassent tous les migrants qui se trouvent sur leur passage. Les comportements «inappropriés» sont également sévèrement sanctionnés. Un jour, un «Lampédouz» aviné s'est déshabillé dans la rue. Il s'est retrouvé à l'hôpital, le crâne fracassé par la bouteille qu'il venait d'écluser…
Cette violence à l'encontre de nouveaux immigrés ne choque pas les habitants «historiques» du quartier. Ils considèrent que cette vague de clandestins a accéléré leur descente dans les abîmes de la ghettoïsation. Malek le résume ainsi: «On est déjà tous en galère, on peut pas accueillir toute la misère du monde.»
«On est déjà tous en galère, on peut pas accueillir toute la misère du monde.»
Malek, habitant du quartier

Ceux que les habitants de la cité appellent les «Lampédouz» les clandestins maghrébins arrivés en masse dans la foulée des printemps arabes survivent dans des squats insalubres au pied des tours. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Dans la cité, tout le monde est unanime: le quartier a beaucoup changé ces dernières années. En mal. Il ne brûle plus, mais il se consume à petit feu. Les voyants sont au rouge, mais le reste du pays s'obstine à regarder ailleurs - d'autant plus facilement que les scènes de guérilla urbaine sont devenues plus rares au JT. Un sentiment d'abandon prédomine, particulièrement au sein de la première génération arrivée dans les années 1970. Omar, le père de Malek débarqué d'Algérie pour travailler comme couvreur à l'âge de 19 ans, se souvient avec nostalgie de la mixité d'antan, «des boulangeries traditionnelles, des boucheries chevalines, des filles en minijupe dans les rues». Il m'explique que, à l'époque, personne ne se souciait de manger halal ou de porter le voile. «On était là pour bosser dur. Moi, mon identité, c'était pas Français ou Algérien, c'était ouvrier.» Omar voulait s'intégrer avant tout. Il a toujours refusé de parler arabe ou kabyle à ses fils, mangeait des rillettes au petit déjeuner, a fait la guerre à sa femme qui s'accrochait à sa djellaba quand il l'emmenait à la plage. «Je lui ai dit: soit tu mets un maillot comme tout le monde, soit tu te casses. La religion, c'est privé, ça s'affiche pas.»
Et puis, il y a eu un tournant dans les années 1990. Le mythe du bon immigré a fait long feu. La religion est progressivement devenue un étendard, une cuirasse identitaire qui a fait voler en éclats le «vivre-ensemble» auquel beaucoup sont pourtant attachés. Dans le salon de coiffure où je me suis souvent rendue pour prendre la température du quartier, les conversations tournent beaucoup autour de ce repli communautaire. «La dernière fois, raconte l'un des clients, j'ai livré un barbu. Le type, il enferme sa femme à clé. Mais rentre au bled, frère! On est où, là? Sarko, il avait raison: si t'es pas content, casse-toi. Le quartier est perdu, ce n'est plus la France, ici. Forcément que les Blancs, ils sont partis. Qui veut vivre avec des burqas, des gosses qui dealent en bas de l'immeuble et des clandos qui volent des sacs? Les bobos peuvent bien hurler, c'est pas eux qui vivent dans ce merdier!»

Le communautarisme s'est renforcé depuis les années 1990. Dans le quartier, beaucoup regrettent cependant le repli sur soi et dénoncent un abandon des services publics. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Les burqas et les kamis, qui n'existaient pas il y a une vingtaine d'années, ont essaimé dans la cité. Manger «halal» est devenu une préoccupation pour la nouvelle génération, qui revendique de vivre «plus près de Dieu que ses aînés». Plutôt qu'un mariage à la mairie, les jeunes préfèrent désormais sceller leur union devant l'imam, selon la tradition musulmane.
Autre manifestation de la religion devenue une ressource culturelle: le succès de la médecine prophétique, qui consiste à soigner les maux qui résistent à la médecine traditionnelle par des méthodes inspirées du temps du Prophète, comme la «hijama» (un traitement à base de saignées) ou la «roqya» (une séance de désenvoûtement par le Coran). La «omra», le «petit pèlerinage» à La Mecque effectué hors saison, rencontre également un franc succès dans les quartiers, notamment parmi les jeunes. D'abord pour d'évidentes raisons financières, puisque le voyage, organisé par des tour-opérateurs, est accessible à partir de 900 euros, contre 4000 minimum en période officielle de hadj. Mais cet engouement pour la omra est également révélateur d'une certaine mentalité, de cette génération du «tout, tout de suite». «Avant, explique Abdel, on attendait des années pour pouvoir se payer le hadj. C'est un pilier de l'islam qui se mérite. Après, tu es censé avoir un comportement exemplaire à vie. Ne plus dealer, ne plus tiser (boire de l'alcool, Ndlr). La omra, c'est moins engageant. Souvent, elle est même financée avec l'argent de la drogue. L'hypocrisie va jusque-là.»
Dans une même tour, des prostituées et des salafistes

On joue beaucoup en cité. La pauvreté pousse à tenter sa chance. Ici, une partie de poker clandestine organisée dans un appartement vide. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Je l'ai souvent constaté au cours de mon immersion: la vie en cité pousse ses habitants à une certaine forme de schizophrénie. Il y a d'un côté le poids du regard des autres, l'injonction tacite à se conformer aux attentes de la communauté. Et de l'autre, l'envie de vivre sa vie comme on l'entend. Un assemblage compliqué, qui donne parfois naissance à de surprenants phénomènes de société. Comme le boom de la prostitution parmi les jeunes filles de banlieue, dans un environnement où on les enjoint pourtant plus qu'ailleurs à la «décence». Des «wannabe Zahia», la Pretty Woman des cités, qui voient dans l'escorting un moyen rapide de s'affranchir du ghetto, de s'offrir un joli sac ou de partir en vacances. Karima, l'une des jeunes femmes que j'ai rencontrées, dans le secteur depuis quelques années déjà, le résume ainsi: «Tout commence quand tu découvres que tu peux monnayer un rapport.»
De leur côté, les garçons ont vite flairé le bon filon, proposant leurs services contre la moitié des gains. Il s'agit souvent d'anciens dealers reconvertis dans le proxénétisme - moins risqué et parfois plus lucratif que le stup -, qui se chargent de mettre en ligne une annonce sur des sites spécialisés, louent un appartement pour recevoir les clients et assurent la sécurité des filles. L'un d'entre eux, Ryan, m'a confié gagner jusqu'à «1500 euros les bons jours», en faisant travailler trois filles qui enchaînent une dizaine de clients chacune…
Au cours de mon reportage au long cours, j'ai rencontré dans une même tour d'immeuble des prostituées et des convertis au salafisme ; des jeunes femmes qui gagnent plus d'argent que leur père, mais doivent faire un halal pour avoir le droit de quitter le domicile familial ; des jeunes qui partent s'encanailler à Pattaya et font des selfies à La Mecque le mois suivant. La cité est un monde d'équilibristes, où se cache derrière chaque paradoxe apparent une ambition cohérente: parvenir, coûte que coûte, à arracher sa part du ghetto.
Une cité de Seine-Saint-Denis. - Crédits photo : Veronique de Viguerie

EXTRAITS
«L'arnaque des open»

- Crédits photo : _CYR
Il y a quelques années, l'aristocratie de la voyouterie, c'était le braquage. Sauf qu'il y a de moins en moins de liquide dans les banques. L'avenir, c'est le virtuel. Avec le darknet (le cryptage sur internet où l'anonymat est garanti, ndlr), le piratage de carte Bleue est devenu un jeu d'enfant, tout comme l'usurpation d'identité ou la création de faux comptes bancaires. Elias s'est livré à une étude de marché attentive de la délinquance financière: «Si je t'explique tout, t'as mal à la tête», plaisante-t-il un soir, alors que nous sommes installés à notre table habituelle du café. Il vient de sortir de cours, sa sacoche sous le bras: «En fait, j'exploite les failles du système. Et il y en a plein.»
Sa spécialité, ce sont les «open», les ouvertures de comptes avec des cartes d'identité volées, puis «flashées»: «Pour 1000 euros, y a des types qui te mettent la gueule de qui tu veux dessus. Moi, je choisis un petit qui présente bien, qui a un casier vierge et qui va travailler la conseillère à la banque avec un beau dossier tout bidon. En dix jours, t'as un compte. Et la beauté du truc, c'est que, avec une même identité, tu peux ouvrir dix comptes dans dix banques différentes. Ensuite, il n'y a plus qu'à enfoncer (endosser, ndlr) des chèques. Soit j'achète tout un carnet sous le manteau, soit j'en fais laver un.» Laver, c'est-à-dire effacer le nom du bénéficiaire d'origine pour le remplacer.
Un travail d'orfèvre, le boulot des «Zaïrois», comme les appelle Madoff - «De vrais magiciens! Si je savais comment ils font, je serais millionnaire!» Elias commence par enfoncer un «petit chèque, genre 1500 euros. Dès qu'il passe, j'en enfonce un max, tous les deux jours, jusqu'à ce que ça bloque.» Bon, le système a ses limites, me dit-il. Il y a de la déperdition, des comptes qui ne sortent pas, des chèques qui ne passent pas. «C'est parfois beaucoup de boulot pour rien.» Le mieux, c'est encore d'enfoncer des chèques lavés d'un gros montant sur un compte existant. Le propriétaire (du compte, ndlr) prend 30 % de la somme, par conséquent, m'assure Elias, il se moque d'être convoqué par sa banque pour rembourser la somme encaissée. «Le gars se barre au bled pendant cinq ans, le temps que dure l'interdiction à la Banque de France. Puis il revient, ouvre un nouveau compte, et recommence. C'est ballot, hein?»
Faire profil bas
Alice a une trentaine d'années, deux enfants en bas âge, et crée des bijoux fantaisie qu'elle vend en ligne. Avant, avec son compagnon, ils vivaient dans le XIe arrondissement. En 2011, ils décident d'acheter. Avec leurs petits salaires d'autoentrepreneurs, ils se tournent logiquement vers la proche banlieue et font l'acquisition d'un 90 mètres carrés à 375.000 euros, dans ce quartier qu'on annonce comme un futur Brooklyn dès qu'une fromagerie, preuve irréfutable de gentrification, ouvre miraculeusement de l'autre côté du pont…
«Le jour de l'emménagement, me raconte Alice, on est allés à la boulangerie en bas de chez nous. J'ai demandé un jambon-beurre, le mec m'a regardée comme si j'étais une extraterrestre.» […] Elle a, aussi, dû se plier à l'injonction tacite d'un vestiaire «spécial 93». «Dès que je mettais une jupe, je me faisais emmerder. On me demandait: “C'est combien?”, “Tu me fais un petit truc?” J'ai rangé jupe, rouge à lèvres, et décolleté. Oui, ça fait chier de se conformer à un ordre moral. Mais c'est le prix de la tranquillité.» […]
Cette année, le ramadan s'est bien passé. «Les premières fois, on ne dormait pas. Les gens étaient dehors toute la nuit, ils jouaient aux cartes dans la rue, se bastonnaient, faisaient des roues arrière sur des quads… On passait notre temps à appeler les flics» - qui ne venaient pas. «De façon générale, remarque Alice, la présence policière ici, c'est service minimum. On se demande même si ce n'est pas fait exprès. Ils laissent le trafic proliférer, comme ça le réseau est identifié et contenu, et ne s'étend pas de l'autre côté du pont [où le quartier est en cours de réfection]. La municipalité a mis un spot devant l'école, il a tenu quinze jours. La plupart des rues du quartier sont plongées dans le noir. Dès que la nuit tombe, les mecs peuvent faire leur petit business tranquille.»
A un moment, avec son mari, ils ont failli plier bagage. Abdiquer. «Je ne peux pas me mettre seule à une terrasse de café. Il y a peu de parcs, peu de commerces. A la sortie du métro, il faut se cramponner à son sac à cause des vols à l'arraché.» […] En attendant, Alice s'est fait une raison. Au fil des ans, elle a arrêté d'écrire au maire pour faire remplacer les éclairages publics, ou demander l'installation de brumisateurs pour que les gosses arrêtent de s'arroser avec les extincteurs en été. Elle fait un détour pour éviter les coins où ça trafique - les «no-go zones» - et ne se balade jamais dans le quartier. Elle va d'un point A à un point B, se fait la plus discrète possible. «La règle est simple, me dit-elle: c'est nous, les étrangers ici.» L'entraide et la solidarité, ce sentiment d'appartenir à une grande famille que décrivent les habitants historiques de la cité, semblent hors de sa portée.
Norane revendique son appartenance à une double culture. Elle prie, porte des talons hauts, et s'est mariée religieusement pour faire plaisir à ses parents. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Islamisation
Quelque chose a ripé au sein de cette génération bercée dans le giron français, qu'on espérait laïque, comme un dédommagement ou une reconnaissance envers la République qui avait accueilli leurs parents, mais qui s'est révélée plus pratiquante que la précédente.
Selon Abdel, les premières secousses remontent au milieu des années 1990, avec ce qu'on appelle dans les banlieues, non sans humour, la BAC - «la Brigade anti-sheitan» (diable, ndlr). Des tablighis, des prédicateurs fondamentalistes, ont commencé à tourner dans le quartier pour porter la bonne parole auprès des jeunes: «Ils venaient nous faire chier pendant qu'on jouait au foot aux heures de la prière pour nous envoyer à la mosquée, me raconte Abdel. Ensuite, la BAC a été remplacée par les salafistes et les Frères muz'. Rien de nouveau: juste, aujourd'hui, ils ont un public.»
Selon lui, le jilbab (voile long qui couvre l'intégralité du corps mais pas le visage), la barbe longue, le kamis, ce n'est pas de la conviction, mais de l'ostentation. Un bras d'honneur à la société française. A la fois un étendard et une cuirasse identitaire. «Aujourd'hui, les jeunes ne savent même pas écrire leur prénom en arabe, ils ne connaissent aucun verset du Coran, mais se disent musulmans plutôt que Français. Ils vont à la mosquée à la salat de 14 heures pour se montrer, mais tu peux y aller: à celle de 5 heures du matin, y a personne. Ils font des mariages halal pour niquer dans la religion mais dealent leur saloperie sans se poser de questions. C'est des petits cons qui n'ont jamais écouté Brassens, qui ne connaissent que Booba et Scarface. Ils veulent aller à La Mecque parce que ça fait bien, et que ça rachète une virginité au passage. Hop, un petit selfie devant la pierre sacrée, et retour à leur vie d'embrouilles.»
Prostitution de banlieue

Depuis deux ans, la prostitution explose en banlieue. Karima loue ses services sur des sites spécialisés et gagne jusqu'à 8 000 € les bons mois. - Crédits photo : Veronique de Viguerie
Avec le temps, Karima s'est forgé la conviction selon laquelle il n'y aurait au pied des barres que deux chemins de vie possibles: se marier ou se prostituer. Elle a commencé par la première option. Il fallait se «faire valider», comme elle dit. Marcher dans les rangs, faire ce que sa famille et sa «culture» lui commandaient. A 18 ans, elle se marie donc avec son premier amour. Mais l'homme se révèle violent. La validation est une seconde prison. «Dans notre communauté, refuser de se faire sucer par une meuf, c'est une preuve de respect. Lui parler comme à une merde, par contre, ça pose pas de problème. C'est le grand n'importe quoi. Le mien, il voulait que je me teigne en blonde et que je foute le voile dessus. C'est ça, le paradoxe des mecs de banlieue. Ils sont “matrixés”. Ils veulent à la fois une chienne et une fille bien.» Je lui dis que, en y réfléchissant, c'est une variante orientale de la maman et de la putain: un fantasme masculin universel, qui dépasse largement le périphérique. Elle m'objecte que si, dans la culture occidentale, c'est idéalement la même femme qui est censée endosser ce double rôle en alternance, pour les Arabes, il faut en réalité au moins deux femmes. Une pour chaque fonction: une fille «respectable», avec laquelle ils entretiennent une relation sérieuse et qu'ils finissent en général par épouser, et une ou plusieurs filles «inavouables», denrées à la fois périssables et interchangeables, dont ils montrent les photos dénudées aux copains en gloussant.
Karima a divorcé deux ans après s'être mariée, sans parvenir à rompre complètement le lien. Habituée, finalement, à ce type de relation qu'elle a intégré comme la norme. «Matrixée», elle aussi. De ces réconciliations épisodiques est né il y a quatre ans un fils, qu'elle élève seule, comme elle peut, aménageant ses rendez-vous clients en fonction des horaires d'école et des vacances scolaires. Le gosse est un garde-fou, qui la préserve de l'abattage et l'oblige à travailler avec méthode. Karima a mis son annonce sur deux sites - Wannonce et Allo-escorte - et paie 400 euros tous les mois pour qu'elle reste bien référencée. Elle reçoit plus de 150 appels par jour sur ses trois téléphones - un pour chaque site, plus un perso. «La Maghrébine avec des formes, c'est à la mode, y a une mouvance depuis Zahia.»
Ça marche tellement bien qu'elle monnaie ses prestations dans toute la France. «En été, je fais des tournées sur la Côte d'Azur. Je modifie ma localisation sur mon profil, je me pose trois jours à l'hôtel, et ça défile. Mais j'ai des limites. Faut que ça reste humain. Trois clients maxi par jour, à 300 euros de l'heure. Ça écrème. Plus t'es chère, plus t'as des clients classe.» Ses préférés, ce sont les «babtous», des «petits Blancs» traders, dans l'immobilier ou dans le cinéma. Depuis qu'elle a commencé, Karima gagne environ 4000 euros par mois «en étant feignante», 8000 quand elle s'«arrache». Plus la CAF.
La Part du ghetto, de Manon Quérouil-Bruneel et Malek Dehoune, Fayard, 218 p., 17 € .

À Sarcelles, l'islamisme a finalement réussi à s'implanter, malgré la vigilance des habitants (19.03.2018)
Par Jean Chichizola
Mis à jour le 19/03/2018 à 19h17 | Publié le 19/03/2018 à 18h29
REPORTAGE - Depuis cinq ans, les habitants de cette ville du Val d'Oise assistent à la montée en puissance de l'islam radical.
À Sarcelles, la scène est devenue presque quotidienne. Devant l'école Jean-Jaurès, avenue du Maréchal-Koenig, les parents d'élèves sont invités à converser avec des fidèles venus de la mosquée voisine, contrôlée par des salafistes. À l'ombre du père du socialisme français et du héros de la France libre, quelques tréteaux sont même parfois installés. Au menu des discussions, la religion mais aussi des offres de service (soutien scolaire, aide matérielle…).
Dans cette Sarcelles longtemps connue pour ses communautés juive («La Petite Jérusalem» traumatisée par une émeute antisémite en 2014 et l'agression de trois jeunes Juifs depuis janvier), chrétienne chaldéenne et pour son islam divers venu du Maghreb, d'Afrique noire ou d'Asie du Sud, les discussions de l'avenue Koenig témoignent d'une activité accrue des tenants de l'islam radical.
«Avant il n'y avait pas de “barbus”, il y avait des musulmans»
Un habitant
Pendant longtemps, la ville a été plutôt à l'abri d'un islamisme qui gagnait les alentours. Jusqu'aux années 2012-2013, quand des radicaux venus de Seine-Saint-Denis sont apparus à Goussainville, à Garges-lès-Gonesse puis à Sarcelles. «Avant il n'y avait pas de “barbus”, remarque un habitant, il y avait des musulmans.»
La stratégie suivie par les radicaux est des plus classiques: entrisme dans les mosquées, politique tournée vers la jeunesse, investissement des champs associatifs et politiques. Un beau jour, un groupe radical issu de la communauté turque de Goussainville arrive ainsi pour louer un local dans le quartier Chantepie. Situé à deux pas d'un grand centre commercial, l'endroit ressemble au reste de la ville: des barres d'immeubles sans âme. Des musulmans du quartier ne tardent pas à dénoncer ces nouveaux venus qui cherchent à attirer leurs enfants dans leur nouveau lieu de prière. Le site est finalement fermé pour non-respect des règles de l'urbanisme.
Le groupe cherche ensuite à faire de l'entrisme dans la principale mosquée de la ville, Foi et Unicité. «Ils ont tenté un coup de force, explique son secrétaire général, Hammadi Kaddouri, ils ont même squatté mais nous les avons repoussés. Aujourd'hui, nous assistons encore à des coups tordus mais les gens le savent: nous ne sommes pas salafistes. Nous sommes très vigilants et nous n'hésitons pas à licencier ceux qui dérapent.»
Un islam politique
Une récente affaire démontre d'ailleurs qu'il est parfois difficile d'éviter de tels dérapages. Ayant ouvert il y a trois ans une école coranique sauvage dans un appartement de la ville, un jeune radicalisé avait été prié de rejoindre les locaux de la mosquée, pour être mieux surveillé par la communauté. L'homme vient d'être condamné à douze mois de prison pour avoir frappé et rasé un élève de 12 ans à la coiffure (teinte) «interdite par les règles coraniques».
Après deux échecs, les vrais «barbus» se sont quant à eux finalement installés dans le quartier de l'école Jean-Jaurès où ils attirent 50 à 60 fidèles chaque jour, 100 à 150 pendant le ramadan (contre 300 à 400 fidèles pour Foi et Unicité, 1500 le vendredi).
La jeunesse est particulièrement courtisée par la mouvance. La rue de l'Escouvrier, dans une triste zone industrielle aux marges de la ville, abrite deux écoles confessionnelles, l'une hors contrat, l'autre au statut incertain. Sans oublier la création d'associations de parents d'élèves «indépendants» qui intègrent les conseils des écoles publics. Très actives, on y compte nombre de mamans voilées.
«Nous assistons aux prémices d'une implantation, assumée, identifiée par tous et par les services de renseignement. Mais l'État ne fait rien pour éviter la catastrophe annoncée»
François Pupponi, ancien maire de Sarcelles
Un autre acteur, l'association «le Complexe éducatif européen», prônant le soutien scolaire, est également apparu. Fort soigné, son site Internet se garde de tout prosélytisme mais des femmes, dont des enseignantes, y sont voilées, parfois des pieds à la tête (sans aller jusqu'au niqab). Et sur les réseaux sociaux, son directeur semble beaucoup s'intéresser au «sionisme» et aux pays du Golfe. La MJC locale accuse en outre ce «Complexe éducatif» d'avoir tenté en 2016 une prise de contrôle, ratée, en usant de méthodes musclées.
Dans la continuité de cette montée en puissance, 2017 fut enfin l'apparition au grand jour d'un islam politique avec la candidature aux législatives du candidat «indépendant» Samy Debah qui, soutenu de facto par La France insoumise, a été battu au second tour. Tout en étant majoritaire dans sa ville de Garges-lès-Gonesse, ce qui annonce d'autres combats.
Se revendiquant comme un candidat comme les autres, Samy Debah est surtout le fondateur du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Et, selon son adversaire victorieux, François Pupponi, bête noire des islamistes et de l'extrême gauche, il a bien été soutenu par l'ensemble de la mouvance islamiste. Pour le député socialiste et ancien maire de Sarcelles, «nous assistons aux prémices d'une implantation, assumée, identifiée par tous et par les services de renseignement. Mais l'État ne fait rien pour éviter la catastrophe annoncée».
La rédaction vous conseille :
Rédacteur en chef adjoint, service Société
Ses derniers articles


Islam de France : les pratiques très procédurières du CCIF (19.03.2018)
Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 19/03/2018 à 21h07 | Publié le 19/03/2018 à 20h41
Agissant essentiellement sur le plan juridique, le Collectif contre l'islamophobie en France incite les mères voilées interdites d'accompagnement de sortie scolaire à contester ces décisions.
L'islam et l'islamisme font deux. Il suffit de comptabiliser toutes les initiatives du Conseil français du culte musulman (CFCM) depuis 2003 - dont «la charte de l'imam» lancée en mars 2017 - pour tenter d'endiguer le phénomène de radicalisation de la jeunesse musulmane pour s'en faire une idée. Mais en février dernier, l'actuel président du CFCM, Ahmet Ogras, confessait au Figaro: «Les radicaux ont quitté depuis longtemps les rangs des mosquées, qu'ils trouvent justement… pas assez radicales. Ces musulmans-là nous échappent, il faut le reconnaître. Ils forment des groupuscules marginaux et suivent des pseudo-enseignements sur Internet que nous ne contrôlons pas.»
Pas question, donc, d'enfermer l'islam dans un amalgame où tous les musulmans seraient des intégristes. Pour autant, il existe une voie non violente, subtile, lente et intelligente visant à légitimer et normaliser un islam rigoriste en France. Cette tendance de l'islam exige même un respect scrupuleux de la laïcité… Mais elle attend en échange - au nom d'une séparation étanche - le respect d'un islam plutôt intransigeant. Où l'État n'aurait pas à son mot à dire…
Normalisaton du rigorisme islamique
C'est toute la stratégie de l'ancienne UOIF, Union des organisations islamiques de France, rebaptisée, en 2017, Musulmans de France. Année après année, cette organisation invitait par exemple Tariq Ramadan à son rassemblement du Bourget. Cet orateur hors pair et très écouté plaidait devant des foules la voie du respect des lois de la République - donc de respect de la laïcité - tout en prônant la promotion d'un islam traditionnel, fidèle à ses racines selon l'esprit typique des Frères musulmans.
Cette tentative de normalisaton du rigorisme islamique en France a aussi son volet grand public. Avec une officine très efficace, dont il ne faut surtout pas écrire qu'elle aurait des liens avec les Frères musulmans sous peine d'essuyer un droit de réponse. Car le CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France) agit essentiellement sur le plan juridique et n'hésite pas à attaquer la presse pour diffamation.
«Même si un règlement intérieur indiquant une interdiction du voile pour les mamans voilées vous est remis, il faut le contester»
Le CCIF
Ce mois-ci, son site donne ainsi trois conseils aux mères de famille voilées qui se verraient interdire d'accompagner une sortie scolaire: «Je demande une preuve écrite de l'interdiction que l'on m'oppose. Peu importe le motif invoqué par votre interlocuteur, il est primordial que vous demandiez une preuve écrite de ce qui est avancé.» Et cette précision: «Même si un règlement intérieur indiquant une interdiction du voile pour les mamans voilées vous est remis, il faut le contester. En effet, aucun règlement intérieur ne peut se soustraire à la loi en vigueur. Un tel document sera donc jugé illégal.»
Deuxième conseil: «Aucun texte de loi ne pourra être produit, car la loi est de votre côté. J'informe mon interlocuteur qu'en tant qu'usagère du service public, je ne suis pas soumise au devoir de neutralité, contrairement aux agents de l'État, conformément à la loi de 1905.»
Et ce troisième conseil: «Je mets en avant le fait que je propose de donner de mon temps à titre gracieux et que mon éviction ou bien l'annulation de la sortie scolaire ne palliera pas le vrai problème qui est le manque d'effectifs. (…) Au contraire, en cas d'annulation, les enfants seront déstabilisés, car incapables de comprendre ces pratiques discriminatoires et se forgeront l'image d'une école autoritaire et qui leur aura injustement interdit d'aller au musée…»
Dans cet esprit, le CCIF vient d'écrire le 13 mars une lettre ouverte au président de la République pour lui demander - en vue de garantir l'indépendance du champ religieux - sa protection contre «les attaques des radicalisés de la laïcité» et contre toute «ingérence laïciste».
La rédaction vous conseille :


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Articles riposte laïque à faire

- reprendre une à une les règles de soumission de l'islam (faire un chapitre pour chacune) - invasion islamique de l'inde à reman...