jeudi 22 mars 2018

Réformer l'islam de France, ou réformer l'islam tout court ? (Razika Adnani, 28.02.2018)



FIGAROVOX/TRIBUNE - Razika Adnani dresse un état des lieux des enjeux et des modalités d'une réforme efficace de l'islam en France : une telle entreprise est intellectuelle bien plus que politique, et ne devra pas se limiter à une réforme de surface.

Razika Adnani est une écrivaine, philosophe et islamologue algérienne, fondatrice des Journées philosophiques d'Alger. Elle a contribué aux travaux du séminaire «Laïcité et fondamentalismes» organisés par le Collège des Bernardins.

Emmanuel Macron a annoncé, il y a quelques jours, une série de mesures concernant l'islam en France. Ces décisions portent sur la formation des imams et le financement du culte musulman. L'objectif de ces réformes est de rompre avec la tutelle de certains pays et leur mainmise sur l'islam et les musulmans de France. Ce qu'il était temps de faire car, si la France est un pays laïc où l'État ne doit pas s'occuper des affaires du religieux, ce n'est pas une raison pour que la gestion du culte des citoyens français soit sous le contrôle de pays étrangers. Cependant cette mesure est loin d'être la solution contre le salafisme et le radicalisme car, d'une part, ces phénomènes sont aujourd'hui confortablement installés en France et, d'autre part, la révolution numérique et les moyens de communication ont aboli les frontières.

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On ne peut évoquer une réforme de l'islam que si l'on interroge l'islam

Autre élément important à préciser: ces décisions ne constituent en aucun cas une réforme de l'islam, mais seulement une réforme de la gestion de l'islam de France, c'est-à-dire de son organisation. On ne peut évoquer une réforme de l'islam que si l'on interroge l'islam en tant que religion. Interrogation qui concerne non seulement la manière de comprendre et de pratiquer l'islam, mais aussi la relation que les musulmans entretiennent avec les textes. Cela passera nécessairement par un travail sur l'histoire de l'islam et de la pensée musulmane dans l'objectif d'une révision des théories et des concepts qui ont entouré l'islam et en ont fait ce qu'il est aujourd'hui. La réforme de l'islam, que l'époque actuelle exige, ne peut donc pas se contenter d'une réinterprétation de certains textes coraniques ou de remettre en cause l'authenticité des certains hadiths. Elle doit être une réforme qui remue en profondeur les idées installées contre lesquelles la pensée se heurte dès lors qu'il faut penser ou repenser l'islam.

La réforme de l'islam n'est pas une question de décision politique

Une telle tâche n'est assurément pas une question de décision politique. Il s'agit d'un travail intellectuel qui ne peut émaner que d'une prise de conscience de l'existence d'un problème et du désir d'y apporter des solutions. Il doit être fait par ceux qui portent cette religion: les musulmans de confession ou de culture. Nouer le dialogue et l'échange avec les adeptes des autres religions et avec d'autres cultures est certainement louable, mais c'est aux musulmans que revient le rôle de réformer leur religion. Tout discours, concernant la question de la réforme de l'islam, venant des non musulmans et notamment des Occidentaux sera vu par la grande majorité des musulmans comme une intrusion étrangère dans les affaires de leur religion et une nouvelle offensive de l'Occident contre l'islam. Cela sera un alibi pour les conservateurs pour riposter et précipitera ainsi l'échec du projet de réforme que certains intellectuels musulmans, qui ne vivent pas forcément en France, veulent porter aujourd'hui.

La réforme de l'islam ne peut se faire que par les intellectuels : des islamologues, autrement dit ceux qui pensent l'islam avec rationalité et objectivité.

Si la réforme de l'islam dépend étroitement de la volonté politique, le rôle de cette dernière consiste à protéger et à faire entendre la voix de ces penseurs qui proposent une nouvelle manière de comprendre et de pratiquer l'islam, un autre islam qui n'est pas celui des anciens, mais celui des musulmans d'aujourd'hui et de demain.

Former les imams aux valeurs de la République ne fera pas d'eux forcément des islamologues

La réforme de l'islam ne peut se faire que par les intellectuels: des islamologues, autrement dit ceux qui pensent l'islam avec rationalité et objectivité ; tous ceux qui parlent de l'islam ne sont pas des islamologues tout comme tous ceux qui parlent des phénomènes naturels ne sont pas des physiciens. La formation des imams aux valeurs de la République, la laïcité et la démocratie, est certainement indispensable. Elle n'est cependant pas une garantie de faire d'eux des islamologues, autrement dit les artisans de cette réforme réelle et profonde dont a besoin l'islam. Tout d'abord, les imams sont des religieux gardiens de leur paroisse. Ensuite, comme beaucoup de ceux qui défendent les valeurs de la modernité, ils se contentent souvent d'affirmer que l'islam n'est pas incompatible avec ces valeurs sans que ce discours n'entraîne un désir de rectification ou de rénovation.

La réforme de l'islam ne peut se faire indépendamment des autres pays musulmans

Évoquer «la réforme de l'islam de France», dans le sens de s'occuper de ne réformer que l'islam qui existe en France et en faire un islam distinct, comporte une arrogance teintée d'une ignorance. Si les problèmes qu'engendre la présence de l'islam en France posent la question de sa réforme, celle-ci ne peut se faire en France ou en Occident indépendamment des autres pays musulmans. Envisager un islam en France réformé et moderne, alors que dans les autres pays musulmans il continue d'être figé et pratiqué dans sa version traditionnelle, est impossible sauf si cela ne touche qu'aux apparences et c'est ce que veulent justement les conservateurs. Les musulmans de France vivent certes en France, mais lorsqu'il s'agit de leur religion, c'est vers les pays musulmans, pour la grande majorité leur pays d'origine, qu'ils se tournent ; cela ne fera qu'accroître leur sentiment, lorsqu'ils veulent être pratiquants, qu'ils vivent dans un pays qui ne leur permet pas d'être de bons musulmans.

L'idée d'un islam spécifique à la France accentuera la crispation et le rejet de la réforme
La réforme de l'islam n'est pas celle de l'islam de France ou d'Occident, mais celle de l'islam tout court.

L'idée d'un islam de France, ou d'un islam français comme certains préfèrent traduire cette expression, autrement dit d'un islam spécifique à la France, est une utopie. Si l'islam se divise en plusieurs islams, ces derniers ne se caractérisent pas selon leurs zones géographiques mais selon leurs doctrines. Certaines spécificités culturelles, relatives à la manière de le pratiquer dans les différents pays, ont été éliminées par le projet de réislamisation des musulmans mené par les wahhabites et mis au point grâce à l'argent du pétrole et aux moyens numériques. Jadis, lors des premiers siècles de l'islam, les Médinois avaient également riposté contre l'école de l'Irak notamment qui voulait son propre islam. L'idée d'un islam spécifique à la France ne fera que renforcer les attaques de ceux qui croient détenir le vrai islam. Ils s'appuieront sur l'argument que l'Occident veut la fin de l'islam, ce qui accentuera la crispation et le rejet de cette réforme.

La réforme de l'islam, qui n'est plus aujourd'hui une question de choix mais de responsabilité, n'est pas celle de l'islam de France ou d'Occident, mais celle de l'islam tout court. Elle n'est pas non plus une exclusivité pour les musulmans de France ou d'Occident, car ceux qui vivent dans les pays à majorité musulmane ne sont pas à l'abri des bouleversements que connaît le monde et ne sont pas insensibles aux problèmes que rencontre l'islam dans les sociétés actuelles. Cependant, les problèmes que rencontre l'islam en Occident et les débats à son sujet que permet la France sont très importants. Ils invitent les musulmans, y compris ceux qui ne vivent pas en Occident, à interroger leur religion ; à poser les questions qui étaient jusque-là taboues. Ils sont contraints de le faire s'ils veulent affronter les défis de l'époque actuelle et de l'avenir.

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Par Razika Adnani Publié le 28/02/2018 à 11h33


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