FIGAROVOX/TRIBUNE
- Razika Adnani dresse un état des lieux des enjeux et des modalités d'une
réforme efficace de l'islam en France : une telle entreprise est intellectuelle
bien plus que politique, et ne devra pas se limiter à une réforme de surface.
Razika
Adnani est une écrivaine, philosophe et islamologue algérienne, fondatrice des
Journées philosophiques d'Alger. Elle a contribué aux travaux du séminaire
«Laïcité et fondamentalismes» organisés par le Collège des Bernardins.
Emmanuel
Macron a annoncé, il y a quelques jours, une série de mesures concernant
l'islam en France. Ces décisions portent sur la formation des imams et le
financement du culte musulman. L'objectif de ces réformes est de rompre avec la
tutelle de certains pays et leur mainmise sur l'islam et les musulmans de
France. Ce qu'il était temps de faire car, si la France est un pays laïc où
l'État ne doit pas s'occuper des affaires du religieux, ce n'est pas une raison
pour que la gestion du culte des citoyens français soit sous le contrôle de
pays étrangers. Cependant cette mesure est loin d'être la solution contre le
salafisme et le radicalisme car, d'une part, ces phénomènes sont aujourd'hui
confortablement installés en France et, d'autre part, la révolution numérique
et les moyens de communication ont aboli les frontières.
Lire la suite :
On
ne peut évoquer une réforme de l'islam que si l'on interroge l'islam
Autre
élément important à préciser: ces décisions ne constituent en aucun cas une
réforme de l'islam, mais seulement une réforme de la gestion de l'islam de
France, c'est-à-dire de son organisation. On ne peut évoquer une réforme de
l'islam que si l'on interroge l'islam en tant que religion. Interrogation qui
concerne non seulement la manière de comprendre et de pratiquer l'islam, mais
aussi la relation que les musulmans entretiennent avec les textes. Cela passera
nécessairement par un travail sur l'histoire de l'islam et de la pensée
musulmane dans l'objectif d'une révision des théories et des concepts qui ont
entouré l'islam et en ont fait ce qu'il est aujourd'hui. La réforme de l'islam,
que l'époque actuelle exige, ne peut donc pas se contenter d'une réinterprétation
de certains textes coraniques ou de remettre en cause l'authenticité des
certains hadiths. Elle doit être une réforme qui remue en profondeur les idées
installées contre lesquelles la pensée se heurte dès lors qu'il faut penser ou
repenser l'islam.
La
réforme de l'islam n'est pas une question de décision politique
Une
telle tâche n'est assurément pas une question de décision politique. Il s'agit
d'un travail intellectuel qui ne peut émaner que d'une prise de conscience de
l'existence d'un problème et du désir d'y apporter des solutions. Il doit être
fait par ceux qui portent cette religion: les musulmans de confession ou de
culture. Nouer le dialogue et l'échange avec les adeptes des autres religions
et avec d'autres cultures est certainement louable, mais c'est aux musulmans
que revient le rôle de réformer leur religion. Tout discours, concernant la
question de la réforme de l'islam, venant des non musulmans et notamment des
Occidentaux sera vu par la grande majorité des musulmans comme une intrusion
étrangère dans les affaires de leur religion et une nouvelle offensive de
l'Occident contre l'islam. Cela sera un alibi pour les conservateurs pour
riposter et précipitera ainsi l'échec du projet de réforme que certains
intellectuels musulmans, qui ne vivent pas forcément en France, veulent porter
aujourd'hui.
La
réforme de l'islam ne peut se faire que par les intellectuels : des
islamologues, autrement dit ceux qui pensent l'islam avec rationalité et
objectivité.
Si
la réforme de l'islam dépend étroitement de la volonté politique, le rôle de
cette dernière consiste à protéger et à faire entendre la voix de ces penseurs
qui proposent une nouvelle manière de comprendre et de pratiquer l'islam, un
autre islam qui n'est pas celui des anciens, mais celui des musulmans
d'aujourd'hui et de demain.
Former
les imams aux valeurs de la République ne fera pas d'eux forcément des
islamologues
La
réforme de l'islam ne peut se faire que par les intellectuels: des
islamologues, autrement dit ceux qui pensent l'islam avec rationalité et
objectivité ; tous ceux qui parlent de l'islam ne sont pas des islamologues
tout comme tous ceux qui parlent des phénomènes naturels ne sont pas des
physiciens. La formation des imams aux valeurs de la République, la laïcité et
la démocratie, est certainement indispensable. Elle n'est cependant pas une
garantie de faire d'eux des islamologues, autrement dit les artisans de cette
réforme réelle et profonde dont a besoin l'islam. Tout d'abord, les imams sont
des religieux gardiens de leur paroisse. Ensuite, comme beaucoup de ceux qui
défendent les valeurs de la modernité, ils se contentent souvent d'affirmer que
l'islam n'est pas incompatible avec ces valeurs sans que ce discours n'entraîne
un désir de rectification ou de rénovation.
La
réforme de l'islam ne peut se faire indépendamment des autres pays musulmans
Évoquer
«la réforme de l'islam de France», dans le sens de s'occuper de ne réformer que
l'islam qui existe en France et en faire un islam distinct, comporte une
arrogance teintée d'une ignorance. Si les problèmes qu'engendre la présence de
l'islam en France posent la question de sa réforme, celle-ci ne peut se faire
en France ou en Occident indépendamment des autres pays musulmans. Envisager un
islam en France réformé et moderne, alors que dans les autres pays musulmans il
continue d'être figé et pratiqué dans sa version traditionnelle, est impossible
sauf si cela ne touche qu'aux apparences et c'est ce que veulent justement les
conservateurs. Les musulmans de France vivent certes en France, mais lorsqu'il
s'agit de leur religion, c'est vers les pays musulmans, pour la grande majorité
leur pays d'origine, qu'ils se tournent ; cela ne fera qu'accroître leur
sentiment, lorsqu'ils veulent être pratiquants, qu'ils vivent dans un pays qui
ne leur permet pas d'être de bons musulmans.
L'idée
d'un islam spécifique à la France accentuera la crispation et le rejet de la
réforme
La
réforme de l'islam n'est pas celle de l'islam de France ou d'Occident, mais
celle de l'islam tout court.
L'idée
d'un islam de France, ou d'un islam français comme certains préfèrent traduire
cette expression, autrement dit d'un islam spécifique à la France, est une
utopie. Si l'islam se divise en plusieurs islams, ces derniers ne se
caractérisent pas selon leurs zones géographiques mais selon leurs doctrines.
Certaines spécificités culturelles, relatives à la manière de le pratiquer dans
les différents pays, ont été éliminées par le projet de réislamisation des
musulmans mené par les wahhabites et mis au point grâce à l'argent du pétrole
et aux moyens numériques. Jadis, lors des premiers siècles de l'islam, les
Médinois avaient également riposté contre l'école de l'Irak notamment qui
voulait son propre islam. L'idée d'un islam spécifique à la France ne fera que
renforcer les attaques de ceux qui croient détenir le vrai islam. Ils
s'appuieront sur l'argument que l'Occident veut la fin de l'islam, ce qui
accentuera la crispation et le rejet de cette réforme.
La
réforme de l'islam, qui n'est plus aujourd'hui une question de choix mais de
responsabilité, n'est pas celle de l'islam de France ou d'Occident, mais celle
de l'islam tout court. Elle n'est pas non plus une exclusivité pour les
musulmans de France ou d'Occident, car ceux qui vivent dans les pays à majorité
musulmane ne sont pas à l'abri des bouleversements que connaît le monde et ne
sont pas insensibles aux problèmes que rencontre l'islam dans les sociétés
actuelles. Cependant, les problèmes que rencontre l'islam en Occident et les
débats à son sujet que permet la France sont très importants. Ils invitent les
musulmans, y compris ceux qui ne vivent pas en Occident, à interroger leur
religion ; à poser les questions qui étaient jusque-là taboues. Ils sont
contraints de le faire s'ils veulent affronter les défis de l'époque actuelle
et de l'avenir.
La
rédaction vous conseille :
- Du
11 septembre 2001 à Barcelone: retour sur 15 ans de djihadisme
- Ce
que révèle le discours de Tariq Ramadan sur l'excision
- Éric
Zemmour- Hakim El Karoui: quelle place pour l'islam en France?
- Gilles
Kepel: «L'islam de France peut l'emporter sur le cyberdjihadisme»
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire