samedi 1 décembre 2018

Islamisme et politique 01.12.2018




Tolle Demo gegen UN-Migrationspakt in Berlin mit knapp 5000 Teilnehmern, tollen Rednern und dem @COMPACTMagazin !#AfD #Poggenburg

(…) Interrogé sur la revendication du pouvoir d’achat mise en avant par les gilets jaunes, Griveaux a répondu : «On ne parle pas du pouvoir d’achat des gilets jaunes, on parle du pouvoir d’achat des Français. Le pouvoir d’achat des Français, depuis le début de l’année, il a pris 3%, parce que nous avons supprimé […]
La CGT a « beaucoup de revendications communes » avec les « gilets jaunes », qui manifestent également samedi, a déclaré Philippe Martinez. « Droit au travail et à un revenu de remplacement pour tous les privés d’emploi », proclame la banderole en tête du cortège. A Paris, plus d’un millier de manifestants se sont […]
En ce jour de Sainte-Barbe, les pompiers de Cholet ont exprimé leur mécontentement. En cause, des problèmes d’effectif. La cérémonie de la Sainte-Barbe a tourné court à Cholet ce samedi 1er décembre. Il est 10 h 30 à la caserne de Cholet, lorsque celle-ci doit commencer. Des sapeurs pompiers tournent alors le dos aux élus, […]

Les migrants, comment en parler aux enfants ? Enquête au salon du livre de Montreuil Des ombres dans la ville, des images choquantes à la télévision, des discours politiques, des questions qui surgissent à l’école, dans la rue, à la maison… Comment parler des migrants aux enfants et aux ados ? Quel rôle le livre […]
Fdesouche est cité à 32:30 par Daniel Schneidermann (et encore à 36:30 par Alain Finkielkraut). On entend dire de tous côtés que l’époque que nous vivons a un air de déjà vu, un air d’entre deux guerres et de montée du fascisme. Qu’en est-il réellement ? Répliques aborde le sujet sans tabou. De nombreux livres […]


#GiletsJaunes #1erDécembre #Auvergne
Situation tendue au Puy-en-Velay où des manifestants sont parvenus à forcer les grilles de la préfecture, à pénétrer dans la cour et à déverser des pneus avant d'être évacués par les forces de l'ordre

Plusieurs axes autoroutiers sont bloqués et des manifestations sont organisées dans toute la France. Alors que des scènes de guérilla urbaine sont observées dans le centre de Paris ce samedi, la mobilisation des Gilets jaunes se poursuit aussi en région, où plus de 30000 d’entre eux ont été comptabilisés par les forces de l’ordre. Les […]

Le gouvernement danois de centre-droit continue de durcir son orientation anti-réfugiés et il a l’intention de loger à l’avenir sur une île les demandeurs d’asile déboutés ainsi que les étrangers tombés dans la délinquance. Un centre pour personnes tenues de quitter le pays doit être créé à partir de 2021 sur la petite île de […]


#LaurentNunez : "C'est l'image que je veux retenir, des gens qui sont extrêmement violents venus pour casser" #SoldatInconnu#GiletsJaunes #BFMTV #1erDecembre #ChampsElysees #ArcDeTriomphe #Paris #Marseillaise

Des «gilets jaunes» protègent la flamme du soldat inconnu https://bit.ly/2rclIF2 

FIGAROVOX.- Votre livre «Délivrez-nous du bien», évoque le titre L’empire du Bien de Muray. Est-ce voulu? Natacha POLONY.- Totalement. Philippe Muray faisait de l’anticipation mais aujourd’hui, tout ce qu’il décrivait prend vie. C’est un étonnant cauchemar. Comme dans les récits de Philippe Muray, des gens qui se croyaient jusqu’à présent à peu près corrects, dans […]

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« Les minorités et leurs dogmes étouffent nos libertés !»
Par Alexandre Devecchio
Publié le 30/11/2018 à 21h05
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Natacha Polony a publié avec Jean-Michel Quatrepoint un livre dénonçant la tyrannie de minorités de plus en plus autoritaires. La culpabilisation qu'elles exercent menace selon elle les libertés démocratiques.

Natacha Polony est journaliste et essayiste et directrice de la rédaction de Marianne. Elle est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Nous sommes la France(Plon, 2015) et Changer la vie: pour une reconquête démocratique (Éditions de l'Observatoire, 2017). Son dernier livre,Délivrez-nous du Bien! Halte aux nouveaux inquisiteurs, coécrit avec Jean-Michel Quatrepoint, vient de paraître aux Éditions de l'Observatoire.

FIGAROVOX.- Votre livre «Délivrez-nous du bien», évoque le titre L'empire du Bien de Muray. Est-ce voulu?
Natacha POLONY.- Totalement. Philippe Muray faisait de l'anticipation mais aujourd'hui, tout ce qu'il décrivait prend vie. C'est un étonnant cauchemar.
Comme dans les récits de Philippe Muray, des gens qui se croyaient jusqu'à présent à peu près corrects, dans les clous, pas des héros mais des gens bien, se retrouvent mis en accusation pour une blague, une attitude… Vous ne considérez pas que la France impose un racisme d'État? Vous êtes un blanc dominant aux réflexes postcoloniaux. Vous mangez de la viande? Vous êtes un nazi. Vous plaisantez sur les femmes battues? Vous êtes viré du service public audiovisuel… Ce qui nous a rassemblés, Jean-Michel Quatrepoint et moi-même, est ce constat d'une nouvelle forme d'oppression utilisant la culpabilisation des citoyens. Les restrictions de nos libertés se multiplient mais, comme c'est au nom d'une «juste cause», on doit l'accepter. Résister devient extrêmement délicat et difficile.
Une nouvelle forme d'oppression utilise la culpabilisation des citoyens.
Le titre du livre veut donc rendre compte du piège qui s'abat sur les citoyens et qui pourrait être résumé comme suit: «si vous ne partagez pas nos luttes, c'est que vous êtes des salauds, vous soutenez les morts sur les routes, le fait de frapper les enfants, les femmes etc.».
Nous cherchons dans le livre à sortir de cette fausse alternative manichéenne. Ni Jean-Michel ni moi ne sommes là pour expliquer que c'est très bien d'être racistes ou homophobes, vous l'avez bien compris, ce n'est vraiment pas notre tasse de thé. Simplement nous aimerions rappeler que la vie en démocratie c'est la recherche de la juste mesure, du consensus, de la possibilité de trouver une position majoritaire. Or la logique contemporaine est minoritaire et empêche l'avènement d'un compromis démocratique.
Je pense toutefois que l'absurdité finira par tuer certains de ces mouvements. Je cite ce tweet dans le livre, dans lequel l'auteur explique que les white vegan choisissent cette lutte, le véganisme, parce qu'ils peuvent pratiquer l'appropriation, confisquer la lutte des moutons, sans que ceux-ci puissent protester. Ils chercheraient à se sentir des héros… Et les vegans «racisés», au contraire, auraient conscience de ce biais. L'intersectionnalité ça devient très compliqué…
Le titre semble également faire référence au Notre Père et à son célèbre «délivrez-nous du mal». Ces nouvelles luttes menées par les minorités revêtent-elles une dimension religieuse?
Comme ces mouvements se battent au nom du « Bien », ils rendent la discussion impossible.
Tous ces mouvements participent d'une logique inquisitoriale. Comme ils se battent au nom du «Bien», ils rendent la discussion impossible. Ils quittent l'ordre du politique pour rejoindre l'ordre religieux. Il ne s'agit pas, pour eux, de déboucher sur un compromis, d'écouter des points de vue, de débattre, mais de lutter contre le mal. Or le mal, on ne transige pas avec, on l'éradique, c'est normal. C'est ce qui nourrit leur aspect autoritaire.
Cette dimension religieuse est particulièrement perceptible au sein des mouvements vegan. Ils sont la quintessence de cette recherche de purification - recherche caractéristique de tout cheminement spirituel. Leur vision est la suivante: nous sommes mauvais, et en reconnaissant les torts de l'homme, en devenant vegan, l'individu se purifie. Cela joue le rôle d'une conversion, d'un changement radical découlant d'une prise de conscience. En revanche ceux qui persévèrent dans le «carnisme», choisissent de demeurer mauvais, ce sont des «assassins», des «pécheurs».
C'est quand même très délicat de discuter avec quelqu'un qui estime que lorsque vous mangez une côtelette vous rouvrez les camps de concentration. La base de la discussion est problématique.
L'appel à la raison semble avoir disparu…
On note cette incapacité à raisonner dans la manipulation du langage qui est à l'œuvre. Nous n'avons plus de langage commun. Au sein de tous ces mouvements militants, il y a un usage spécifique des mots, une distorsion du langage commun. Comment discuter après? C'est quasi-impossible.
Quand on s'intéresse à la manière dont les féministes inventent de nouveaux usages sémantiques, on ne peut qu'être frappés. Je songe au cas de cette femme qui avait déclaré avoir été agressée sexuellement par Philippe Caubère - femme qui depuis milite activement pour le véganisme et que l'on a vue sur plusieurs plateaux, presque en larmes, récemment, parler de «camps d'extermination» et de «trains de la mort».
Nous n'avons plus de langage commun.
Dans une interview - modifiée depuis - elle se plaignait du fait que Philippe Caubère lui avait dit qu'il ne pouvait vivre sans elle. Selon elle, ce genre de propos est typique des pervers qui font preuve de manipulation mentale pour essayer de forcer une victime à accepter une relation avec eux. Chez les féministes, disait-elle, on appelle cela du «Grooming». Dans ce cas, il faut bien admettre que beaucoup d'hommes pratiquent. Et des femmes aussi. Parce que le «si tu me quittes je vais me tuer» est assez répandu.
Cette histoire est révélatrice de cette propension à créer des concepts pour décrire une réalité, en la tordant dans le sens qui arrange, et qui a particulièrement cours dans les mouvements féministes. Notons que c'est toujours mieux quand le concept est en anglais.
C'est une façon de conditionner l'esprit de l'autre pour l'amener à ne penser que comme vous le souhaitez préalablement.
Encore une fois, je ne dis pas ici que les violences faites aux femmes ne sont pas une véritable et grave question. Mais je doute que ce soit par ce procédé qu'on le résolve, ou que l'on aide vraiment les femmes en difficulté. Le but de cette manipulation du langage n'est autre que celui de désigner des coupables systématiques, les hommes.
Mais si nous assistons à l'émergence d'une nouvelle religion, qui sont les nouveaux curés et quelle est la nouvelle morale?
Les nouveaux curés, nous les subissons en permanence. Pour ma part, je suis foncièrement laïque et je crois que ce qui permet de vivre dans une société apaisée est l'existence d'un espace politique neutre au sein duquel on peut débattre librement entre citoyens. Dès que des intérêts privés s'accaparent ce domaine, on s'éloigne de la concorde. Or nous assistons en ce moment à ce phénomène: des minorités s'approprient le bien commun en le tordant dans le sens de leurs intérêts idéologiques et en abandonnant toute possibilité de mettre tout le monde d'accord, de déboucher sur un consensus.
Des minorités s'approprient le bien commun en le tordant dans le sens de leurs intérêts idéologiques.
Ces associations instrumentalisent un combat ; car des associations qui œuvrent au bien commun, la France en compte beaucoup. Des associations féministes, anti-racistes qui font un formidable travail il en existe plein. Le problème naît quand des militants utilisent une cause pour désigner des coupables faciles et réduire l'analyse à une vision de la société totalement binaire, scindée entre bien et mal. Leur militantisme leur permet de se sentir appartenir au camp du Bien, ce qui est toujours plus agréable, convenons-en.
Pour imposer leur vision du monde, ces associations recourent à la culpabilisation permanente. Cette instrumentalisation de la culpabilité est très dérangeante. Le principe politique de la démocratie est de s'appuyer sur la raison humaine. Ainsi les vrais progressistes doivent croire dans un progrès de l'humanité par les progrès de la raison et de l'éducation. En éduquant les citoyens, on les rend moins bêtes et on diminue les occasions de violence ou d'agressivité. Mais si au lieu de faire appel à l'intelligence on préfère faire appel à la culpabilité, on sort du politique pour entrer dans le religieux.
Dans votre livre, vous parlez de l'origine des communautarismes. Vous citez Tocqueville qui recommandait de faire valoir ses intérêts minoritaires pour amoindrir la tyrannie de la majorité. Ce développement des aspirations minoritaires aujourd'hui en France n'est-elle pas une illustration de notre américanisation?
Nous vivons actuellement une globalisation culturelle en provenance des États-Unis.
En effet. Mais nous oublions que l'organisation de la société américaine est en contradiction avec notre système politique. Elle repose sur un modèle libéral dans lequel le droit et le marché organisent le libre-jeu des minorités, de telle sorte que de cette confrontation émerge le bien commun. Or la République et son principe d'universalisme sont le contraire absolu de cette logique.
Nous vivons actuellement une globalisation culturelle en provenance des États-Unis. Une vision du monde est en train de s'imposer au détriment des systèmes politiques locaux. On l'a très bien vu dans le débat autour de #MeToo. Le féminisme à la française était encore audible il y a 20 ans, aujourd'hui, ce n'est plus le cas, les tenantes de ce mouvement se font insulter par des jeunes militantes féministes intersectionnelles ou différentialistes. Le recul de la notion d'universel est patent chez les plus jeunes.
Cette américanisation est en train de gagner. Et cette globalisation culturelle va bientôt remettre en cause toute notre organisation politique.
Si on prolonge la tendance, à quoi aboutit-on?
Cela donne le merveilleux des facultés américaines où avant un cours, on vous prévient qu'«attention, le contenu de ce cours peut choquer», parce qu'il traite de la théorie de l'évolution. Ou bien encore un monde où des étudiantes réclament un nombre égal d'auteurs hommes et femmes pour étudier une période, quand bien même il n'y a que trois femmes pour 10 hommes qui ont écrit dessus.
A vous entendre, on s'achemine vers une société des «susceptibles» …
Oui ; c'est le modèle de l'individu-roi qui impose sa vision des choses au reste du monde. Le respect n'est considéré comme obtenu que lorsque le point de vue individuel est reconnu et apprécié.
Il n'y a aucune limite à ce processus. On ne peut pas deviner quand et où cela s'arrêtera. L'individu obsédé par le rejet de tout déterminisme est entré dans une course sans fin. Ce qui est certain c'est que cette attitude produit une société de lutte, où les citoyens sont constamment en guerre les uns avec les autres. Le culte de l'offense est au centre de notre société et ne produit que de la division.
C'est le modèle de l'individu-roi qui impose sa vision des choses au reste du monde.
Ajoutons que derrière ces mouvements, il y a une détestation de l'homme tel qu'il est. Un rejet du désir, du plaisir, de tout ce qui relève de la faiblesse, de la finitude, de la limite. C'est le règne de l'individu tout-puissant et du fantasme de la rédemption par la perfection. Mais une perfection que l'on recherche seul.
Il y a aussi ce refus d'accepter que nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes ; ce constat est pourtant au fondement du désir. Croire que l'on puisse toujours savoir ce que nous désirons à l'instant présent est un leurre, n'en déplaise à #MeToo et aux contractualistes effrénés. Nous savons tous qu'une personne peut désirer, sans se l'avouer, et envoyer des signaux contradictoires à l'autre. C'est la base de toute relation humaine. J'exclus bien sûr l'agression en tant que telle, le viol, qui sont des violences objectives injustifiables. Je fais plutôt référence au débat qu'il y a eu sur la drague, et le supposé consentement à la drague. À partir de quand sommes-nous capables de dire que nous consentons à être dragués? Pouvons-nous être totalement au clair avec cela? Je ne crois pas, non.
Le but de la société est justement de mettre des limites à ces parts d'ombres, d'inconnu, en interdisant l'agression physique ou tout ce qui va porter atteinte à l'autonomie de l'individu, à son émancipation. L'individu doit pouvoir choisir au maximum son destin et ce qui va lui arriver. Mais en gardant à l'esprit qu'on ne peut sonder les âmes. On ne peut pas pénétrer jusqu'au tréfond d'un être humain. C'est notamment le problème de la prostitution. Certaines féministes assignent aux prostituées des déterminismes qui ne sont peut-être pas les leurs. Cette intrusion dans la psyché personnelle n'est pas politique. Elle relève d'autre chose.
Derrière tout cela, il y a le refus d'admettre que l'individu est complexe et parfois sombre. Un refus du plaisir en tant qu'expérience de sortie de nous-même, de perte de contrôle.
Pourtant l'industrie pornographique n'a jamais été aussi florissante…
Tout ne devient que transactions par le droit et le marché.
C'est là que c'est intéressant ; ce boom de la pornographie nous prouve que la promotion de l'individu-roi ne fait que renforcer l'ultra-libéralisme. La destruction des solidarités classiques ne fait que renforcer des intérêts financiers qui nous dépassent. L'organisation économique correspond à une organisation culturelle.
À partir du moment où l'on atomise la société en laissant de plus en plus de places aux revendications minoritaires, on sert le libéralisme. Le cas de la pornographie participe de cette logique. Atomiser les individus sert la marchandisation de ces mêmes individus. La façon dont fonctionne l'industrie du porno est révélatrice: en exaltant le libre-arbitre, la liberté, la transgression individuelle elle laisse de côté l'idée que le bien commun doit être pris en charge par le politique, par le «commun» justement. Tout ne devient que transactions par le droit et le marché. Or, quand il ne reste que ces deux éléments, le droit et le marché, supposés neutres, le vide moral invite les individus à forger de nouveaux dogmes et à s'affronter.
Aujourd'hui, l'un de nos maux principaux n'est-il pas que nous sommes privés de «morale commune»?
Si. Nous constatons cette absence de morale commune, dans les débats bioéthiques. Ce que nous appelons morale commune ce n'est qu'une vision partagée de ce qui fait la dignité humaine. De là, une société peut se construire, en ayant pour but de conserver et protéger cette dignité. Ces bases sont aujourd'hui laïcisées. Notre objectif doit être de définir les conditions qui vont faire que la dignité de chacun soit respectée.
Si on détruit cette morale commune, en ne considérant qu'il n'y a que le droit et le marché qui régule la vie en commun, chacun porte sa propre vision morale et tente de la faire valoir dans ce jeu - très libéral - des intérêts personnels. La pression devient partout présente. On appelle cela le lobbying.
Face à la tyrannie des minorités, ne risquons-nous pas de basculer dans l'excès inverse, à savoir la tyrannie de la majorité? Les populismes sont-ils les symptômes de ce basculement, de cet effet de balancier?
Dans le cas des populismes il ne s'agit pas de la tyrannie de la majorité. C'est plutôt une radicalisation des positions de chacun, qui s'exerce. Des groupes antagonistes se construisent, et qui sont incapables de discuter les uns avec les autres ; l'essence de la démocratie, c'est-à-dire le consensus, est menacée. On voit petit à petit la société se fracturer, les individus devenant incapables de se remettre en cause et campant résolument sur leurs positions. Finalement, il n'y a plus de société, plus de vie en commun possible.
Le vide moral invite les individus à forger de nouveaux dogmes.
Je crains que nous n'ayons du mal à trouver le juste milieu, pris en étau par des mouvements de balanciers extrêmes.
Je comprends pourquoi Trump est là. Cela ne veut pas dire que je me réjouis d'avoir un tel président des États-Unis, mais je crois que l'enjeu n'est pas de déplorer que le peuple vote mal. Il est de répondre aux aspirations démocratiques, à l'envie d'émancipation et de souveraineté des citoyens. Que chacun soit intégré à la société, avec l'impression de pouvoir décider de son destin sans se voir rappeler à l'ordre par des ligues de vertu, voilà la seule façon d'éviter de creuser les fractures et d'amplifier les haines.
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Fatiha Boudjahlat : «Les néo-féministes sont les idiotes utiles des indigénistes»
Par Alexandre Devecchio
Publié le 27/10/2017 à 21h31
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans un premier livre salutaire, Le Grand détournement, Fatiha Boudjahlat montre comment les communautaristes de toutes obédiences ont dévoyé les idéaux du féminisme, de la tolérance ou de la République. En exclusivité, la jeune essayiste répond aux questions du FigaroVox.


- Crédits photo : Le Cerf
Fatiha Boudjahlat est cofondatrice avec Céline Pina du mouvement Viv(r)e la République. Elle est aussi l'auteur de l'essai à paraître le 3 novembre aux éditions du Cerf: Féminisme, tolérance, culture: Le grand détournement.

Le 8e numéro de “La Revue du crieur” dresse un portrait sans concession d'Elisabeth Badinter, l'accusant de faire la promotion d' «un universalisme blanc pour le riches»?Que cela vous inspire-t-il?
Fatiha Boudjahlat: Je serai curieuse de voir la photo de la rédaction de ce média d'opinion. Je ne serais guère surprise d'y voir à l'œuvre des blancs refusant l'universalisme aux non blancs au nom d'une prétendue générosité pleine de misérabilisme et condescendance. Il me semble qu'Elisabeth Badinter défend des valeurs universelles avec la même exigence pour toutes et tous, quelque soit le revenu, et quelque soit l'épiderme. Je me sens plus respectée par elle en tant que son égale, que par des militants comme ceux de la Revue du Crieur qui dans les faits entérinent le fait que ce qui est bon pour eux, pour leurs sœurs, leurs femmes, leurs filles ne l'est pas pour moi.
Le féminisme est-il en train d'être dévoyé?
Sans aucun doute. Et c'est autant le résultat d'activistes politiques que d'universitaires dogmatiques. Quand Judith Butler explique que les femmes afghanes ne doivent pas se délester de leurs burqas grillagées, pour ne pas prêter leur concours à l'impérialisme américain, je vois une grande bourgeoise blanche américaine dans le confort de son bureau, qui livre pieds et poings liés ces femmes à leur sort. Ce nouveau féminisme racialiste combat le patriarcat blanc, mais valide son pendant oriental. Il se réduit alors à un combat pour que les femmes non-blanches, puisque l'ethnie est déterminante, puissent obtenir le maximum de ce qu'elles peuvent espérer dans les limites du cadre mental, culturel, juridique que les hommes de leur communauté religieuse auront fixées. Ce féminisme est parfaitement décrit par Houria Bouteldja quand elle écrit: «J'appartiens, à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l'Algérie, à l'islam. J'appartiens à mon histoire et si Dieu veut, j'appartiendrai à ma descendance.» Elle écrivait avant: «Nous [les femmes] appartenons à notre communauté et nous l'assurons de notre loyauté.». En tant que femme et en tant que féministe, je n'appartiens à personne. C'est le B-A BA du féminisme. Celui-ci est détourné de façon à ce que les femmes non-blanches occupent la place que les hommes de la communauté leur assignent. Interrogeons nous sur cette indignation à géométrie variable. De tels propos tenus par des blancs feraient hurler ces féministes relativistes qui pourtant restent bien silencieuses quand ils sont tenus par des femmes non-blanches. Par respect de la diversité? Par grandeur d'âme? Par esprit de tolérance? Ou parce que trotte dans leurs esprits une conception misérabiliste du bon sauvage: «C'est comme cela que ces gens-là fonctionnent. C'est un passage obligé pour ces gens-là qui ne sont pas encore entrés dans la modernité.» Ce sont pourtant des femmes nées et scolarisées en France.
La cause des femmes est au cœur de l'actualité depuis l'affaire Weinstein et la polémique #BalanceTonPorc. Pourtant, la question de la violence qui touche les femmes dans certaines cités ainsi que celle de la pression exercée par l'islam est éludée du débat …
Il y a en effet un deux poids deux mesures. Ce féminisme dévoyé valorise les intérêts de la communauté religieuse, c'est-à-dire de ses leaders masculins aux dépens de la dignité des femmes. C'est ainsi que l'opposition de ces néoféministes à la pénalisation du harcèlement de rue s'entend: la souffrance des femmes est secondaire face au confort de ces hommes-là. La parole des femmes doit s'effacer devant l'impunité des hommes. Et les mêmes s'activent à balancer leurs porcs? Aussi longtemps et seulement si ceux-ci sont blancs? Toute religion a une structure patriarcale. C'est celle-ci qu'il faut combattre quand on se dit féministe. Quel que soit la religion. Mais avec les phénomènes de ghettoisation et la prime aux leaders les plus orthodoxes, c'est la forme la plus rétrograde de l'islam qui est valorisée. C'est une forme parmi d'autres. D'autres formes toutes aussi légitimes et authentiques existent.
Les twitteuses les plus intraitables sont aussi celles qui proposait pour régler la question du harcèlement de rue à la Chapelle «d'élargir les trottoirs» …
C'est une proposition aussi outrancière que celle qui a récemment fleuri dans la presse britannique et sur les réseaux sociaux proposant d'appliquer les commandements religieux juifs ou musulmans interdisant aux hommes de se retrouver seuls avec une femme dans une pièce. On externalise le contrôle des pulsions au BTP, en élargissant les trottoirs, au lieu de responsabiliser les hommes. Quelle différence avec les hommes qui justifient le viol par la tenue de leurs victimes? C'est aux ingénieurs de mieux concevoir la ville et les modalités de circulation. C'est aux femmes de ne pas se mettre en position d'être désirables. Quand donc allons nous exiger de ces hommes qu'ils s'empêchent? Qu'ils se contrôlent? Ces néo-féministes ont-elles suggéré d'élargir les couloirs de l'Assemblée après l'affaire Denis Baupin? D'élargir les chambres d'hôtels avec l'affaire Weinstein? Cela revient à dire que ce que l'on exige des hommes blancs ne peut être exigé des hommes non-blancs. Et que donc leur comportement est lié à leurs origines et non à leur volonté propre. C'est dans leurs mœurs? C'est plus fort qu'eux? Parce que c'est culturel? Qui est alors dans le racisme? Dans l'association d'un comportement avec une origine ethnique ou religieuse?
Dans votre livre, Le Grand détournement, vous écrivez que certaines féministes «trahissent la cause des femmes … orientales.» Que répondez-vous à celles qui présentent l'universalisme comme un impérialisme et rappellent, parfois à juste titre, que certaines femmes choisissent délibérément de se voiler?
L'universalisme ne consiste pas à exporter notre modèle de civilisation dans les autres pays. Il consiste d'abord à appliquer le Droit sur tout le territoire de la France. Nulle coutume, nulle norme religieuse, nulle tradition n'est supérieure aux lois qu'une Nation de citoyens éclairés s'est donnée.
Je récuse la vision qui consiste à faire des femmes voilées des victimes. C'est un choix, mais la liberté de se voiler n'exclut pas la notion de contrainte. Ainsi, pour le voile, on ne pourrait parler de choix libre que s'il y avait une équivalence morale entre les deux termes de l'alternative. Or celle-ci se résume à ce choix: la vertu avec le voile, le vice sans le voile. Ces femmes ne portent pas le voile sous la menace d'une arme, mais sous la contrainte intégrée du triptyque propre à tous les patriarcats: virginité, pudeur, modestie. Le fichu se fait fétiche de ces exigences masculines qui font toujours du corps de la femme le récipiendaire de l'honneur de la famille. Le féminisme est un combat politique pour l'émancipation individuelle et collective des femmes. Il n'y a pas de choix libre sans éducation au choix. Enfin, que dire du voilement des petites filles? Comme tous les enfants, elles veulent plaire et faire plaisir à leurs parents en se conformant à leurs attentes. Laquelle d'entre elles acceptera-t-elle de se dévoiler adolescente ou adulte et de provoquer la déception de ses parents?
La culpabilité de classe et de race des néo-féministes sert de levier à l'offensive universitaire, médiatique, associative des indigénistes.
Quelles sont les origines de ce féminisme différentialiste. Peut-on parler de rupture avec la tradition française et d'américanisation de la société française?
La matrice et le logiciel de ce féministe différentialiste sont indubitablement nord-américains et liés au multiculturalisme. Rappelons que la multiculturalité des sociétés est un fait empirique, que seuls les identitaires combattent et regrettent. Le multiculturalisme fait de cette réalité un facteur de partition et de différentiation du droit. Ce n'est en rien moderne. Sous Clovis la justice était rendue en fonction des lois propres de la tribu à laquelle le justiciable appartenait. La centralisation puis surtout l'installation de la République a mis en avant une Nation, c'est-à-dire une organisation politique du peuple basée sur la contractualisation réciproque de droits et de devoirs. Le modèle d'intégration à la Française est plus respectueux et généreux que ce modèle communautariste. Dans le premier, je forge mon opinion et je me rassemble avec les autres habitants. Dans le second, je suis sommée d'être dans la loyauté et l'hyperconformité vis-à-vis de ceux qui me ressemblent. Enfin, le libéralisme et le refus d'un Etat interventionniste interviennent aussi.
Quels sont les points communs entre ce néo-féminisme et le «néo-antiracisme indigéniste»?
Ils partagent la même vision racialisée des rapports sociaux. Ils ont le même ennemi: le mâle blanc occidental. Ils dénoncent la structure patriarcale de la République, mais s'accommodent fort bien voire célèbrent le patriarcat oriental. La culpabilité de classe et de race des néo-féministes sert de levier à l'offensive universitaire, médiatique, associative des indigénistes. Les deux courants idéologiques revendiquent une appartenance à la gauche, et pourtant les deux privilégient en toute circonstance l'hypothèse ethnique à l'analyse sociale de la lutte des classes. Ils portent une vision libertaire très libérale, qui vise à réduire la sphère d'intervention de l'Etat au bénéfice de la régulation sociale des leaders communautaires. Les premières sont les idiotes utiles, pardon les idiot.e.s utiles des seconds. Qui sont dans un racisme tout aussi révoltant que les identitaires.
Ces militants appellent cela «la convergence des luttes». Que signifie ce glissement intersectionnel?
Les indigénistes sont dans la même logique que les identitaires et les tenants du grand remplacement. Ils veulent grand-remplacer, à titre de dédommagement historique et ontologique quand les autres craignent d'être grand-remplacés. Dans les faits, la convergence des luttes favorise seulement le facteur ethnique. Vous êtes femme, noire, lesbienne. Cela fait partie de l'identité reçue. Et pourtant, c'est ce qui va commander votre mobilisation politique et vous donner de la valeur: vous comptez pour ce que vous êtes, et ce que vous êtes commande ce que vous pensez. A la fin, c'est toujours la couleur de peau qui est déterminante. C'est le règne de l'AOC-AOP appliqué aux humains, la partition raciale de l'espace revendiquée dans les espaces de non-mixité va de pair avec une traçabilité ethnique de ses occupants. Ce qui permet de voir les indigénistes et les islamistes dont l'orthodoxie condamne et l'homosexualité et les homosexuels, devenir des compagnons de manifestations de militants homosexuels adeptes de l'intersectionnalité.
L'expression outrancière de « nègre de maison » devient l'acceptable concept de « native informant ». Mais le sens est le même.
Celle-ci relève du verbiage et de l'ingénierie sémantique qui conduit surtout à détruire toute notion d'intérêt général et toute réalité d'un corps politique national et populaire. La communauté d'assignation et ses intérêts prévalent. Et ce logiciel conduit à valider une terminologie raciste en la parant d'un vernis universitaire. L'expression outrancière de «nègre de maison» devient l'acceptable concept de «native informant». Mais le sens est le même: si vous ne pensez pas comme votre épiderme et vos intérêts de «race» commandent de penser, vous êtes un traître. Le plus cocasse apparait quand des bourgeois-pénitents blancs multi privilégiés somment une femme «racisée» comme moi de penser comme eux décident qu'il est bon et juste de penser: ils sont dans la parole blanche experte, même quand ils prétendent la dénoncer. S'ils étaient cohérents, je pense qu'ils devraient s'autodétruire ou être atteints de combustion spontanée.
Le grand détournement débute par une référence à la novlangue d'Orwell et se présente comme une réflexion sur le sens des mots. Quels sont les mots qui sont détournés aujourd'hui? Certains mots, comme le mot République», ne sont-ils pas tout simplement épuisés à force d'être vidés de leur sens?
Les mots de tolérance, de culture, de féminisme ont été détournés de leur sens politique universel pour devenir des facteurs et des prétextes à la partition ethnique. Mais c'est vrai: nous sommes épuisés. Les offensives sont multiples. Et efficaces. Et à grande échelle. Les mots, eux, ne le sont pas, épuisés. Ils n'existent que par nous, que par nos ambitions, que par nos exigences. Il faut vraiment s'être juste donné la peine de naître pour renoncer à voir dans la République ce qu'elle est: une promesse de l'aube de plus en plus ténue mais aussi sans cesse à tenir, qui nous oblige. Ce n'est pas un état de béatitude. C'est un horizon commun. Son modus vivendi est moins le patriotisme que le compatriotisme, qui consiste à reconnaître à l'autre la qualité de compatriote et de cosouverain, c'est-à-dire notre égal en droits et en devoirs, et dont la nation nous rend responsable. L'empathie ne repose pas alors sur la ressemblance physique, épidermique, patronymique: c'est l'identification à des valeurs, à un patrimoine qui créent cette communauté nationale. C'est un effort en effet. Qui fait de nous des citoyens cosouverains, et non des consommateurs.
Vous vous présentez comme une militante de la laïcité. Ce concept est-il compatible avec celui d'héritage? Pour le dire autrement, peut-on vraiment mettre en France sur le même plan l'islam et le christianisme?
Je défends la laïcité comme modus vivendi du pacte républicain. Mais je ne la fétichise pas. Elle a été réduite à une loi, celle de 1905. Comme toutes les lois, l'interprétation de celle-ci est évolutive. L'actuel Observatoire de la laïcité privilégie une lecture minimaliste. Je la récuse et ne suis pas moins légitime qu'eux dans la vision que j'en ai.
La laïcité peut s'entendre comme principe, plus haute norme juridique depuis les constitutions de 1946 et de 1958. Elle peut aussi s'entendre comme valeur, c'est-à-dire comme idéal moral. Elle ne contredit en rien la notion d'héritage ou de filiation historique. Il y a des jours fériés chrétiens qui profitent à toutes et à tous. Mais la loi prévoit aussi des absences aux examens pour les grandes fêtes religieuses des autres cultes. L'idéal moral n'interdit pas le pragmatisme ni la prise en compte de la réalité multiculturelle de la France. On a le droit d'être croyant et pratiquant en France. On a le droit d'être dans l'orthodoxie. Et même dans la radicalité. Mais le Droit prime au final.
Avec une grande hypocrisie qu'il faut dénoncer : les mêmes qui crient au nationalisme mortifère quand il s'agit de la France, le célèbrent quand il concerne le pays d'origine.
Mettre sur le même plan l'islam et la chrétienté serait une erreur historique, mais l'un et l'autre ont toute leur place en France. Factuellement il y a une antériorité chrétienne en France. Mais je ne m'égare pas dans la botanique, les souches sont pour moi des arbres morts. Rester dans le registre politique et historique est plus pertinent que de basculer dans celui de l'horticulture, qui sert ici à naturaliser l'identité. La prise en compte de cette antériorité ne fait pas de toutes et de tous les Français des chrétiens. Par la laïcité et les vertus républicaines d'une nation, par cette filiation politique, étanche à toute considération ethnique et biologique, souhaitée par les identitaires de l'extrême droite et des indigénistes de l'extrême gauche, nous embrassons cet héritage pour ce qu'il est: le signe que le monde existait avant nous, et que l'histoire ne commence pas avec nos revendications individuelles ou communautaires. C'est aussi le gage de notre liberté. Comme l'écrivait Rabaut Saint-Etienne: «On s'appuie sur l'histoire ; mais l'histoire n'est pas notre code.» Assumer cette histoire ne revient pas à la cautionner dans son intégralité, ni à vouloir la perpétuer.
«De culture arabo-musulmane, je n'ai jamais vu les compatriotes comme des ennemis héréditaires. Je n' ai pas grandi dans cette haine des autres et dans cette culture des miens. Mon pays est la France», écrivez-vous. Comment expliquez-vous la détestation que voue une partie de la jeunesse à la France?
Pour la majorité des descendants d'immigrés, c'est une détestation de façade. Leurs parents, enfants d'immigrés de la première génération ont tendance à entretenir leurs enfants dans un conflit de loyauté: le bled ou la France. Il suffit de discuter avec eux en évacuant toute sommation et toute alternative, pour qu'ils reconnaissent très vite qu'ils sont heureux de vivre en France. Heureux d'aller en vacances au bled, avec un pouvoir d'achat européen et le statut de touriste, mais heureux de vivre en France. Il faut faire verbaliser cet attachement à la France, sans quoi celle-ci apparait comme un guichet de prestations. Ce qui se traduit par un ultra-consumérisme antinomique avec l'identité de citoyens. L'attachement au pays s'apprend s'il s'enseigne. Avec une grande hypocrisie qu'il faut dénoncer: les mêmes qui crient au nationalisme mortifère quand il s'agit de la France, le célèbrent quand il concerne le pays d'origine.
Restons dans le registre politique: La haine de la France est d'abord la haine de la République. Elle existe et motive les gauchistes multiprivilégiés, les indigénistes et les islamistes, parce qu'elle les prive de leur ascendant sur la communauté. Ce sont des promoteurs de haine. Et la haine s'enseigne très bien. Ils restent en France, tout en la conspuant. Les frontières sont pourtant ouvertes. C'est bien le régime politique et ses valeurs d'émancipation de fraternité nationale qui sont leur cible. L'Etat doit cesser d'organiser son impuissance au nom d'une prétendue culpabilité. Je ne reproche pas aux Français d'ici et de maintenant ce qu'ils ont fait aux parents de mes parents durant la guerre d'Algérie. Et je ne reproche pas aux Arabes d'ici et de maintenant la traite négrière, plus longue et plus importante que la traite occidentale. Et enfin, j'invite les bourgeois multiprivilégiés à cesser de profiter de leurs privilèges médiatiques et politiques, tout en se berçant de la chaleur réconfortante de la pénitence. Ils ne servent que leurs intérêts de classe.



Trudeau, le Canada et l'excision: derrière la polémique, le paradoxe du multiculturalisme
Par Caroline Valentin
Mis à jour le 01/08/2017 à 15h58 | Publié le 01/08/2017 à 12h36
FIGAROVOX/ANALYSE - Alors qu'un document officiel canadien a été modifié par le gouvernement de Justin Trudeau, qui a supprimé le qualificatif «barbare» désignant certaines pratiques, notamment l'excision des femmes, une polémique est née qui révèle pour Caroline Valentin les limites du multiculturalisme d'État.


Caroline Valentin est coauteur d'Une France soumise, Les voix du refus (éd. Albin Michel, 2017).

Sarah, en Egypte: «J'avais huit ans. Je me souviens de la violence, de ces femmes qui m'ont attrapée et écarté les jambes. Il y a eu cette douleur atroce et du sang, partout. (…) J'ai vu les autres se faire couper devant moi, je ne comprenais rien, j'avais peur. J'ai essayé de m'enfuir, on m'a rattrapée, frappée. Et puis on me l'a fait. (…) Après l'excision en forêt, nous avons toutes été conduites dans une maison où nous sommes restées une bonne semaine. (…) Il manquait une de nos amies. Nous avons appris que la petite était morte à la suite d'une hémorragie. A la fin de la semaine, une fête a été organisée pour célébrer notre excision. Quand j'y pense …».
Leyla, Egyptienne, 13 ans à l'époque, déjà mariée, vendue à un homme de 65 ans pour deux vaches, un poulailler et l'accès à un puits …: «On ne m'a pas dit que j'allais perdre l'organe qui me donnerait du plaisir, on ne m'a pas dit que j'allais subir des souffrances atroces, on ne m'a pas dit que j'allais être traumatisée à vie, physiquement et psychologiquement. On ne m'a pas dit que les rapports sexuels deviendraient extrêmement douloureux. On ne m'a pas dit que Samiha, mon amie d'enfance, développa des abcès et décéda suite à des hémorragies à l'âge de 13 ans aussi. On ne m'a pas dit que ma cousine Bibi devint stérile et que ma deuxième cousine Malaki fut contaminée par le virus du sida».
Leyla encore: «Vingt ans plus tard, les séquelles de la violence subie en étant enfant et adolescente n'ont pas disparu. Les cauchemars sont fréquents, les douleurs physiques, et la douleur de l'âme encore plus.»
Mariétou: «Je ne serai jamais une fille «normale» je dirai même jamais une fille tout simplement. Car on m'a enlevé ce qui pour moi me faisais être une vraie fille. J'en voulais à ma famille qui m'a fait subir cela, à la société et même au bon Dieu qui m'a donné cette famille avec ces traditions bêtes, animales et inhumaines.»
Internet regorge de ces témoignages. La sauvagerie et la brutalité des faits rapportés vous prennent à la gorge. Sans parler des vidéos, encore plus insoutenables. Témoignages nombreux, témoignages de pratiques d'un autre âge mais témoignages d'aujourd'hui. Car ces témoins sont souvent, aujourd'hui encore, des femmes jeunes.
Il faut dorénavant compter avec le zèle des multiculturalistes au pouvoir au Canada.
Devant la violence et la douleur qui émanent de ces récits tragiques, la moindre des choses que nous aurions pu espérer aurait été un condamnation absolue, spontanée et sans équivoque de ces pratiques barbares, et le mot est important. Par respect pour ces femmes, victimes, alors qu'elles n'étaient que des enfants, d'un crime de sang demeuré impuni. Par respect pour nous, pour ce en quoi nous croyons et ce que nous avons la prétention d'incarner: le respect de l'individu, de ses droits, de ses libertés, de sa dignité, de son intégrité physique.
On aurait pu l'espérer et c'est fort heureusement le cas dans la plupart des grandes démocraties libérales occidentales. La plupart mais pas nécessairement durablement. Il faut en effet dorénavant compter avec le zèle des multiculturalistes au pouvoir au Canada, engagés dans une révolution culturelle si radicale qu'on peut se demander si elle n'est pas susceptible d'affecter certains des repères les plus familiers de notre décence occidentale commune.
Une précision sémantique s'impose. Certaines sociétés sont multiculturelles de fait, en ce sens qu'elles accueillent depuis longtemps et comptent en leur sein des individus qui sont issus de cultures différentes de la culture majoritaire. C'est le cas de la plupart des pays occidentaux, et c'est le cas de la France, encore plus d'ailleurs qu'au Canada. Sociétés multiculturelles donc, mais pas nécessairement sociétés multiculturalistes comme le Canada pour autant. Car il y a deux manières d'envisager la cohabitation de cultures différentes au sein d'une même société: le modèle français traditionnel d'intégration, appliqué pendant des décennies, demandait aux immigrés d'apprendre à connaître et de respecter la culture française, et, en cas de conflit avec leur culture d'origine, de faire prévaloir les normes et valeurs françaises. Ce modèle n'entrave ni n'interdit l'évolution de l'identité culturelle de la population majoritaire, évolution qui dépend naturellement aussi de l'influence des cultures importées, mais cette influence ne peut affecter certaines valeurs qui font consensus dans la société et qui sont jugées indépassables et inaltérables, telles l'égalité des droits des citoyens ou le respect de l'intégrité physique des individus.
Le Canada a décidé il y a quarante-six ans que ce qui le caractérisait ne serait plus sa culture propre, celle de ses peuples fondateurs, mais son ouverture à la diversité.
A l'opposé, le Canada a décidé il y a quarante-six ans que ce qui le caractérisait ne serait plus sa culture propre, celle de ses peuples fondateurs (Canadiens-Anglais et Canadiens-Français) mais son ouverture à la diversité. Les conflits culturels ne se résolvent pas par un principe hiérarchique de la prééminence de la culture de l'accueillant sur celle de l'accueilli mais par l'accommodement que l'accueillant mettra à disposition de l'accueilli pour lui permettre de vivre sa culture comme il la vivait dans son pays d'origine. Toutes les cultures représentées sur son territoire peuvent coexister, car elles sont toutes aussi légitimes les unes que les autres, toutes aussi valables les unes que les autres. Dès lors, comme l'explique très bien le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté, le modèle multiculturaliste canadien se caractérise par «l'inversion du devoir d'intégration. Ce n'est plus aux immigrants de prendre le pli identitaire de la société d'accueil. C'est à cette dernière de se reconstruire pour accommoder la diversité».
Générosité, tolérance, ouverture d'esprit, le modèle multiculturaliste a une esthétique certaine. Quel humaniste resterait insensible à cette déclaration d'amour au monde? Et après tout, changer, progresser, s'adapter, n'est-ce pas finalement dans l'ordre des choses? Sauf que quand il s'agit de passer à l'application concrète de ces belles idées, les compromis faustiens qu'elles impliquent apparaissent petit à petit. C'est ce qu'illustre précisément la controverse sur ce sujet des mutilations sexuelles féminines qui a récemment éclaté au Canada.
L'histoire est la suivante: le gouvernement du sémillant Justin Trudeau, premier ministre du Canada, prépare une refonte du guide Découvrir le Canada: les droits et responsabilités liés à la citoyenneté, remis à chaque nouvel arrivant. Pourquoi cette réforme? Notamment car la version initiale, élaborée en 2011 par le gouvernement des méchants conservateurs rétrogrades, prévenait les futurs immigrés que le Canada ne saurait accepter «les pratiques culturelles barbares qui tolèrent la violence conjugale, les «meurtres d'honneur», la mutilation sexuelle des femmes, les mariages forcés ou d'autres actes de violence fondée sur le sexe.» Justin avait tiqué: «barbares», c'était trop pour lui ; il aurait préféré que le guide employât l'expression plus neutre de «totalement inacceptables»«Dans une publication officielle du Canada, s'était-il insurgé, il faut faire un petit effort de neutralité responsable». Pour le dire autrement, qualifier ce qui était arrivé à Sarah, Leyla, Samiha, Malika, Mariétou et tant d'autres fillettes de «barbare», c'était, selon Justin, la preuve de l'irresponsabilité du gouvernement conservateur, ni plus ni moins.
Or il y a cinq ans, Justin Trudeau n'était qu'un simple député ; être le fils de Pierre Elliott Trudeau, ancien premier ministre et grand timonier du multiculturalisme canadien, ne suffisait pas à en imposer. La pluie de critiques qui s'était abattue sur lui l'avait alors contraint à faire marche arrière et à s'excuser des propos qu'il avait tenus, en des termes à première vue assez clairs: «Je crois que les actes décrits sont haineux, que ce sont des actes barbares qui sont complètement inacceptables dans notre société. Je retire mes commentaires et je m'excuse s'ils ont été interprétés comme minimisant la nature cruelle et sérieuse des meurtres d'honneur ou tout autre acte violent».
Mais il n'avait malheureusement pas résisté à la tentation de justifier sa déclaration initiale, dans des termes cette fois beaucoup plus confus: «Mon problème avec l'utilisation du mot «barbare», c'est qu'il a été choisi pour rassurer les Canadiens plutôt que pour changer réellement des comportements inacceptables. La valeur subjective de ce mot fait en sorte qu'il est facile de le voir comme une insulte plutôt que comme une déclaration officielle», en laissant entendre que les sociétés culturelles issues des pays où ces pratiques sont tolérées sont «moins civilisés que nous».
Pour Justin Trudeau, l'incitation à l'abandon de ces pratiques serait d'autant plus convaincante que la condamnation dont elles font l'objet est moins brutale.
Pour Justin Trudeau, dire «barbare» rassure et ne sert à rien. Dire «inacceptable» serait plus efficace pour inciter à l'abandon de ces pratiques car les personnes concernées ne se sentiraient pas insultées. En d'autres termes, pour Justin Trudeau, l'incitation à l'abandon de ces pratiques serait d'autant plus convaincante que la condamnation dont elles font l'objet est moins brutale. Il admet cependant que la subjectivité de la condamnation est un problème, mais, étrangement, il voit de la subjectivité dans l'adjectif «barbare» et non dans l'adjectif «inacceptable».
Or, «inacceptable», c'est ce qu'une société n'accepte pas à un certain moment de son histoire, et à un moment où cette société partage certaines idées, qui sont fluctuantes dans le temps ; au contraire, le qualificatif «barbare», lui, rejette de manière absolue et permanente ce type de pratiques en dehors du monde des possibles. Or, si aujourd'hui, juger que ces pratiques sont «inacceptables» plutôt que «barbares» aboutit à une même condamnation de celles-ci, ce changement de paradigme risque en revanche d'avoir des conséquences importantes au fur et à mesure de l'évolution des mœurs du Canada, évolution d'autant plus rapide qu'elle se fait là-bas sous l'égide du multiculturalisme. Et si demain, une majorité des membres de la société venait à ne plus être révoltée par ses actes, il faudrait alors les considérer comme acceptables.
En réalité, cette intervention de Justin Trudeau est loin d'être anecdotique. Passer de la notion de barbarie à celle d'acceptabilité relève d'un changement radical d'orientation du jugement dans la mesure où l'on ne se base plus sur un critère de nature mais sur un critère de degré. A travers cette déclaration, Justin Trudeau manifeste son hostilité à l'opposition classique entre civilisation et barbarie et à l'intransigeance que cette opposition suppose. Le grand philosophe polonais Leszek Kolakowski analyse très judicieusement l'implication très profonde de ce changement de paradigme quand il écrit que l'universalisme culturel «se contredit si sa générosité va jusqu'à ignorer les différences entre universalisme et exclusivisme, tolérance et intolérance, lui-même et la barbarie. ; et il se contredit lui-même si, dans l'idée d'éviter la tentation d'être barbare, il concède aux autres un droit à la barbarie.»
Or les conséquences de ce renoncement sont susceptibles d'être à terme d'autant plus considérables pour le Canada qu'il n'a pas forcément les moyens juridiques pour se protéger des dérives de ce parti pris idéologique, nous y reviendrons.
Reprenons le cours de notre épisode politique. La sincérité des excuses formulées en 2011 par Justin Trudeau parlementaire a pris un sérieux coup dans l'aile début 2017, quand son ancien ministre de l'immigration, John McCallum, a annoncé cette refonte du guide de citoyenneté, mentionnant expressément la suppression de cette qualification de «barbares», jugée un peu trop «lourde».
Le gouvernement Trudeau et les autres premiers ministres libéraux tiennent dur comme fer à ce que le Canada reste aux yeux du monde le « laboratoire admiré de l'expérience multiculturaliste ».
Et de fait, dans le document de travail que la presse canadienne s'est procuré il y a quelques jours, toute référence à ces pratiques de violence exercée à l'encontre des femmes et des fillettes a pour le moment disparu. Ce document n'est que provisoire, certes, mais compte tenu des déclarations antérieures de Justin Trudeau et de John McCallum, on peut être sûr d'une chose: le mot «barbare» ne figurera pas dans la prochaine version. Le gouvernement Trudeau et les autres premiers ministres libéraux tiennent dur comme fer à ce que le Canada reste aux yeux du monde le «laboratoire admiré de l'expérience multiculturaliste», pour reprendre la formule percutante de Mathieu Bock-Côté.
Evolution ou plutôt révolution, et au forceps: le modèle multiculturaliste a été introduit au Canada en 1971 sous l'impulsion du gouvernement libéral de Trudeau père. Le projet multiculturaliste a été consacré par une loi constitutionnelle de 1982, aujourd'hui irréformable. Une loi de 1988 est venue la préciser et en élargir la portée. Depuis lors, les identités culturelles des peuples fondateurs du Canada, Canadiens-Français et Canadiens-Anglais, et en particulier l'identité québécoise qui est censurée, n'ont plus voix au chapitre. Le multiculturalisme est devenu, par la force du droit et contre l'entêtement de la réalité - notamment l'existence d'une très grande majorité de Québécois qui lui sont hostiles - une «caractéristique fondamentale de l'identité et du patrimoine canadiens» qualifiée de «ressource inestimable pour l'avenir du pays». Il s'agit désormais de «préserver et valoriser le patrimoine multiculturel des Canadiens» - car ce patrimoine ne peut plus être que «multiculturel», bien entendu - et, dans cette veine, de «favoriser la reconnaissance et l'estime réciproques des diverses cultures du pays», et de «promouvoir l'expression et les manifestations progressives de ces cultures dans la société canadienne.» Encore une fois, ces phrases ne sont pas des déclarations d'intention, ce sont des textes de lois: ils ont valeur contraignante, les citoyens doivent s'y plier.
Si l'on reprend le texte suscité, qu'est ce qui protège encore le Canada de l'obligation d'accepter ces mutilations sexuelles comme une «manifestation culturelle» que la loi de 1988 impose, en tant que telle, de «reconnaître», d'«estimer» (!) , dont il convient de «promouvoir l'expression»?
La situation est donc plus grave qu'il n'y paraît. La réforme annoncée du Guide de citoyennetén'a peut-être qu'une valeur symbolique, mais elle révèle surtout la fragilité juridique des valeurs canadiennes depuis la constitutionnalisation du multiculturalisme. Guillaume Rousseau, professeur de droit public à l'Université de Sherbrooke, confirme qu'il y a là un réel sujet d'inquiétude. Le multiculturalisme a une prééminence juridique telle que tous les autres droits et libertés doivent être interprétés à son aune. Tous sont susceptibles d'être étendus pour certains individus et restreints pour d'autres. Ainsi, par exemple, au Canada, on peut avoir, pour des motifs religieux, plus de jours de congé que ses collègues.
Certes, la formulation timide de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés permet encore de conserver quelque espoir de contenir l'expansion débridée des revendications multiculturalistes «dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». Mais si une revendication communautariste est acceptée par la Cour suprême au motif que la refuser serait discriminatoire, et la protection de la liberté religieuse favorisera cette reconnaissance, il appartiendra au procureur général, fédéral ou provincial, de prouver que refuser cette revendication est «raisonnable» et «justifiable dans le cadre d'une société libre et démocratique».
Sauf que la liberté et la démocratie ne sont malheureusement plus des concepts opérants pour freiner les ambitions des communautarismes religieux: l'islam politique a démontré à quel point il lui est facile d'utiliser ces valeurs typiquement occidentales pour imposer petit à petit une culture qui les nie. Le Canada a ainsi accepté sans broncher de considérer le niqab comme un symbole religieux et non comme le marqueur communautariste radical qu'il est pourtant.
Est-il raisonnable de laisser aller un collégien avec un poignard à l'école, au motif que ce poignard est symbolique dans la religion de ce collégien ?
Quant à savoir si une revendication communautariste est «raisonnable» … Etant donné la vision du monde qui sous-tend la politique du gouvernement Trudeau en général, et la réforme de ce guide citoyen en particulier, y a-t-il encore un consensus aujourd'hui au Canada sur ce qui est «raisonnable»? Est-il raisonnable de laisser aller un collégien avec un poignard à l'école, au motif que ce poignard est symbolique dans la religion de ce collégien? Les juges canadiens l'ont autorisé. Est-il raisonnable de laisser témoigner devant une cour de justice une femme qui refuse d'enlever son niqab et sur l'identité de laquelle on n'a donc aucune certitude? Les juges canadiens l'ont également autorisé. Est-il raisonnable, pour une ministre d'une nation occidentale professant aussi l'égalité des sexes et pas uniquement celles des races, religions, couleur, âge etc., de se voiler pour s'adresser à la communauté musulmane ou pour se rendre dans une mosquée, et d'accepter à cette occasion un traitement différent de celui réservé aux hommes? Cela a été fait, notamment par la première ministre de l'Alberta et par celle de l'Ontario, ainsi que par les femmes du cortège de Justin Trudeau qui l'accompagnaient en visite dans une mosquée l'an dernier.
D'autant que concernant les mutilations sexuelles féminines, certaines voix commencent à évoquer ici et là l'enjeu éthique de la médicalisation de l'excision, voire de suggérer des opérations d'altération génitale féminine symboliques - une petite entaille qui guérirait sans laisser de traces ni avoir de conséquence physiologique - et qui s'apparenterait donc à la circoncision masculine.
Cette pratique médicale permettrait, selon ses promoteurs, de mettre fin à des politiques générales d'interdiction des pratiques de mutilations sexuelles, qui ont cours dans les sociétés et que certains jugent «culturellement suprématistes» (lire: une manifestation condescendante de ce que la culture majoritaire se voit comme supérieure aux cultures immigrées). Or, contrairement à la circoncision masculine, cette opération, si inoffensive médicalement puisse-t-elle devenir un jour, permettrait, par la perpétuation de ces pratiques, la légitimation, dans notre univers occidental, d'une philosophie qui repose sur des préjugés profondément négatifs, insultants et irrespectueux vis-à-vis des femmes. Cette philosophie, c'est ce qu'a encore récemment illustré le discours tenu en juin dernier par l'imam Shaker Elsayed du centre islamique de Falls Church ; c'est également ce qui ressort du témoignage de Mariétou quand elle explique que «dans ma famille, quand tu n'es pas excisée, tu deviens la risée de tout le monde. Les femmes ainsi que les jeunes filles se moquent de toi et il y a même un nom spécial qui t'est attribué: «bilakoro». C'est un terme bambara que l'on utilise pour désigner une personne souillée, un garçon manqué ou une personne sans pudeur. C'est un qualificatif très péjoratif ; il n'y a rien de pire que de traiter une jeune fille de «bilakoro».»
Son projet multiculturaliste privilégie systématiquement et sans états d'âme les religions au détriment des droits des femmes.
Ces arguments seront-ils jugés suffisants dans le Canada multiculturaliste de Justin Trudeau pour fermer la porte à une revendication communautariste quant à l'autorisation de pratiquer des excisions «éthiques»? Rien n'est moins sûr. Si la question est un jour soulevée, il s'agira alors de résoudre un conflit entre revendications religieuses et revendications féministes. Cette situation ne sera pas nouvelle, le Canada y a déjà été confronté à travers toutes les revendications liées au port du voile islamique et sa jurisprudence en la matière est constante: son projet multiculturaliste privilégie systématiquement et sans états d'âme les religions au détriment des droits des femmes.
Apparaît alors clairement la signification profonde de cet épisode politique consternant. En intronisant le multiculturalisme comme super-religion d'Etat, le Canada a pris la décision grave de soumettre tout son corpus de valeurs culturelles, civilisationnelles, historiques et politiques, à d'autres valeurs, appréciées non pas pour ce qu'elles sont mais pour d'où elles viennent, et ce, sans les connaître. En réduisant le champ de sa morale à la morale de conviction, à la générosité, à la gentillesse, à la tolérance, sans se soucier de la morale de responsabilité, des conséquences en somme qui en constitue le «cœur intelligent» (pour reprendre l'expression d'Alain Finkielkraut), le modèle multiculturaliste révèle sa nature totalement utopique. Cela explique sans doute son hermétisme total aux réalités susceptibles de le désavouer. Ainsi, l'expérience catastrophique du multiculturalisme britannique et les tensions sécessionnistes, certes encore assez locales mais de plus en plus nombreuses et virulentes, auxquelles la France est confrontée depuis qu'elle a renoncé en catimini à son modèle d'intégration, restent absolument sans impact sur la foi inébranlable des partisans du multiculturalisme dans les prétendues vertus pacifiantes de leur modèle.
Le Canada, et toute l'élite internationale qui soutient et encourage son projet multiculturaliste, manifestent là une naïveté aussi arrogante que confondante. Le monde a pourtant suffisamment souffert de ces expériences de savants cosinus désireux de faire le bonheur des hommes contre leur gré pour qu'on ait pu espérer s'en épargner de nouvelles. D'autant que cette fois, parce que ces inégalités infra-culturelles de considération et de traitement les concernent au premier chef, ce sont les femmes qui sont au centre des enjeux civilisationnels posés par le multiculturalisme. Ce sont elles qui s'apprêtent encore à payer le tribut le plus lourd à un choix de société qui n'a fait ses preuves nulle part.
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Corine Pelluchon : «L'économisme, qui n'a rien à voir avec le libéralisme, a quelque chose de totalitaire»

Par Eugénie Bastié
Mis à jour le 19/01/2018 à 17h52 | Publié le 19/01/2018 à 17h22
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Contre l'hégémonie de «l'économisme» qui dégrade les personnes et asservit le politique à la recherche du profit, la philosophe prône une «éthique de la considération». Pour Corine Pelluchon, chaque être humain doit s'engager en faveur du monde commun.

Corine Pelluchon est philosophe et professeur à l'Université Paris-Est-Marne-La-Vallée. Elle est l'auteur d'Éthique de la considération (éd. du Seuil, 2018). Ses publications et ses livres sont à retrouver sur son site personnel.


- Crédits photo : éd. du SeuilFIGAROVOX.- Vous développez dans votre livre une «éthique de la considération» s'appuyant sur certaines intuitions du moine cistercien Bernard de Clairvaux. Pourquoi ce mot de considération? En quoi cette éthique est-elle nouvelle?
Corine PELLUCHON.- Dans la considération, il y a l'idée d'un regard bienveillant envers autrui et d'égards témoignant de la valeur propre des êtres que l'on considère. La considération, à la différence du respect, individualise celle ou celui que je regarde et dont les besoins spécifiques sont pris en compte. Au contraire, dans les morales du devoir, comme chez Kant, l'universel écrase le singulier: on voit chez la personne le sujet de la loi, et non l'individu, et l'éthique et la justice consistent à appliquer les mêmes principes pour tous, alors que la considération suppose un discernement intérieur permettant de répondre aux situations particulières, comme dans les approches de la morale qui, à la suite d'Aristote, insistent sur les dispositions morales qui sont requises pour bien se conduire dans les circonstances imprévisibles et contingentes de la vie, en médecine, en politique. En outre, la considération, dans mon livre, concerne aussi les animaux et la nature et elle a une dimension esthétique qu'on ne retrouve pas dans les morales du devoir.
La considération commence par soi : le rapport à soi est la clef du rapport au monde et aux autres.
Ce qui fait la spécificité de cette éthique est que la considération commence par soi: le rapport à soi est la clef du rapport au monde et aux autres. Il n'y a pas une éthique des vertus propre à l'environnement et aux animaux et une autre qui ne concernerait que les relations intersubjectives. L'idée est d'insister sur la transformation intérieure qui est indispensable pour que le sujet change son rapport global à lui-même, au monde, à la nature, à la politique.
Que tirez-vous de l'enseignement de Bernard de Clairvaux?
Je suis allée chercher dans les lettres que Bernard de Clairvaux a envoyées au pape Eugène III alors en exil l'inspiration première de ce livre. Il souligne l'importance d'une réforme intérieure aidant les individus à rechercher et à garder la mesure en échappant à la tentation de la domination. La première étape est l'humilité, dont les morales antiques ne parlent pas et qui est liée au rappel de sa condition d'être engendré. Enfin, alors que pour Aristote le critère de l'action bonne est l'homme prudent, pour Bernard de Clairvaux le rapport à soi qui fonde l'unité des vertus traditionnelles (prudence, courage, tempérance, justice) passe par un rapport à l'incommensurable qu'il identifie à Dieu et que, pour ma part, j'identifie au monde commun. Ce dernier est composé des générations passées, présentes et futures, et du patrimoine naturel et culturel ; il constitue une transcendance dans l'immanence et donne une épaisseur à mon existence. La considération est l'expérience de l'incommensurable et, dans mon livre, elle ne désigne pas un mouvement ascendant vers Dieu, une transcendance, mais une transdescendance. C'est, en effet, en approfondissant la connaissance de moi comme d'un être charnel que j'éprouve réellement mon appartenance au monde commun et que la conscience du lien m'unissant aux autres, humains et non humains, devient un savoir vécu. Ma manière de me percevoir et de percevoir le monde change. La considération est le fait d'avoir le monde commun comme horizon de ses pensées et de ses actes. Je passe alors du «vivre de» au «vivre avec» et au «vivre pour» et à l'engagement en faveur du monde commun. Loin de conduire au mépris du monde présent, elle permet au sujet qui la pratique de prêter attention à chaque chose.
On assiste à un retour de l'éthique des vertus en philosophie morale. Comment expliquez-vous ce retour?
Je ne sais pas si l'on assiste à un retour de l'éthique des vertus. On entend beaucoup parler de morale, mais on réduit souvent la morale à des injonctions ou à des prescriptions. Or l'éthique des vertus ne parle pas ce langage ni celui des obligations et des interdictions, et elle ne se résume pas à des recettes pour bien se conduire. Par ailleurs, les rares éthiques des vertus qui existent, comme celles de Philippa Foot ou d'Alasdair MacIntyre, se réfèrent à une notion de nature humaine et à une vision figée de ce qu'est une vie bonne, ce qui n'est pas satisfaisant. Bien sûr, parler d'éthique des vertus et de vie bonne revient à réintroduire un certain universalisme, mais je remplace la notion de nature ou d'essence de l'homme par celle de condition humaine. C'est pourquoi ce livre s'inscrit dans le prolongement des précédents, dans lesquels une phénoménologie de la corporéité soulignant la vulnérabilité et la matérialité de notre existence est articulée à une théorie politique. Cette dernière est plus substantielle que les théories qui réduisent le politique à la réflexion sur les institutions et le pouvoir, c'est-à-dire à la politique, mais il ne s'agit pas de visions morales du monde.
Comment est-il encore possible de parler de «vertu» dans une époque aussi relativiste que la nôtre?
Je propose un universalisme en contexte en adossant une philosophie politique à une réflexion sur la condition humaine qui doit beaucoup à la méthode phénoménologique: en mettant au jour la corporéité du sujet et sa dimension relationnelle, on est amené à enrichir le libéralisme politique qui vise surtout la coexistence des libertés individuelles ; puisque la préservation de la biosphère, la justice envers les autres vivants et les générations futures deviennent de nouveaux devoirs de l'État. On sort du relativisme sans fonder l'éthique et la politique sur de simples valeurs. Deux écueils sont évités: d'un côté, le relativisme et la maigreur des philosophies morales et politiques contemporaines, qui ne pensent pas le politique et ont décidé que la spiritualité était taboue, que l'être humain n'était qu'un être de besoins et un vaniteux ; de l'autre, la fondation du politique sur la vision du monde d'un groupe, ce qui mène au triomphe du «nous contre vous». L'objectif est de proposer des outils de réflexion nous aidant à préparer la transition vers un modèle de développement écologiquement soutenable, plus juste et qui ne soit pas déshumanisant. Pour cela, il faut une théorie politique plus substantielle que celle que l'on trouve chez les héritiers de Rawls. Il est aussi nécessaire de compléter l'héritage des Lumières car la limite de ma liberté n'est pas seulement l'autre humain, mais également les conditions de vie des générations futures et des animaux. Enfin, il faut équiper psychiquement les individus afin qu'ils modifient leurs styles de vie et aient du plaisir à consommer autrement. Ils doivent être suffisamment forts pour résister à un ordre du monde qui contient une menace à la fois écologique, sociale, politique et morale, voire spirituelle.
L'économisme déshumanise les êtres, les convainc qu'ils sont superflus et interchangeables.
C'est pourquoi, à la différence des morales existantes, je décris le processus de transformation du sujet qui mène à la considération. Celle-ci suppose d'abord l'identification par chacun des biens qui structurent sa vie, ce que l'on peut appeler l'ipséité morale: quels sont les biens, nous dirions aujourd'hui les valeurs, auxquels tu tiens et dont tu te portes garant? La personne doit affirmer son autonomie morale, mais cela ne suffit pas, puisque, comme on l'a vu avec la transdescendance, il y a aussi un mouvement d'élargissement du sujet: celui-ci intègre à son bien propre le bien des autres ; il a le souci et même l'amour du monde. Cela ne veut pas dire que l'on soit dans une pensée holiste où le moi est dissous dans le tout, mais ses centres d'intérêt ne sont pas seulement privés et il n'a pas uniquement le désir de consommer ou d'être célèbre. La transformation du sujet s'opère à un niveau global, qui concerne les représentations, les évaluations et les affects, voire les couches archaïques du vécu.
Vous dénoncez dans votre livre «l'économisme» qui sous-tend aujourd'hui toute conception du monde. Comment définir cet «économisme» et de quelle manière pouvons-nous renverser cette vision hégémonique du monde?
L'économisme désigne la mainmise de l'économie ou plutôt du profit sur toutes les sphères d'activité et la disparition du politique, sa destruction qui s'opère à un double niveau: d'abord parce que les gouvernements sont à genoux devant des groupes privés qui imposent leurs règles dans les échanges et la production et dans la manière d'organiser le travail au détriment de la valeur des êtres impliqués, du sens des activités et de leur impact sur l'écosystème ; ensuite parce que cette manière de voir imprègne toute l'existence, conduisant à la marchandisation des vivants et à la dégradation des personnes. On peut dire, en prenant toutes les précautions nécessaires, que l'économisme, qui n'a rien à voir avec le libéralisme de John Locke ou d'Adam Smith, a quelque chose de totalitaire, le totalitarisme étant, chez Hannah Arendt, un système fondé sur la domination totale: il déshumanise les êtres, les convainc qu'ils sont superflus et interchangeables et cette expérience de la désubjectivation les rend vulnérables au mal politique. Ils ont perdu la capacité de penser le bien commun, ce qui conduit chacun à se replier sur soi et à voir l'autre comme un ennemi. Cela donne des sociétés où les individus sont atomisés et où certains tombent dans le fanatisme et l'extrémisme. Il est important aujourd'hui de proposer une éthique permettant aux individus de trouver leur autonomie morale et de s'engager en faveur du monde commun, afin d'inciter les gouvernants à réaffirmer la place du politique et à mettre l'économie au service de la vie. Tel est le sens d'une éthique et d'une politique de la considération.
Vous défendez la cause animale depuis longtemps. En quoi l'éthique de la considération peut-elle renouveler notre approche des animaux? Ne craignez-vous pas qu'un certain militantisme animaliste ne se retourne en anti-humanisme?
Dès que l'on comprend que la prise en compte des intérêts des animaux n'implique pas de penser que les animaux et les hommes sont identiques ni de les traiter de la même manière, bref dès qu'on connaît la définition précise de l'antispécisme, on ne tombe pas dans l'anti-humanisme. De plus, la cause animale est l'un des chapitres de ce nouvel humanisme de l'altérité et de la responsabilité que je cherche à développer. On peut même abandonner la référence à l'antispécisme, parce qu'aujourd'hui, la question animale, le réchauffement climatique, les problèmes de santé et les conditions de travail des éleveurs sont liés ; ils exigent que nous mettions en place un autre modèle de développement. Nous pouvons le faire. Chaque fois que je participe à des ateliers avec des éleveurs ou des personnes travaillant dans l'industrie de la mode, je vois que nous sommes d'accord sur des points importants qui permettraient de gagner sur tous les tableaux, y compris sur le volet animal. Il faut que, dans les années qui viennent, nous arrivions à certains résultats. Parce que les souffrances que nous infligeons aux animaux sont intolérables et qu'il y a dans cette cause un enjeu de civilisation.
Mettre l'économie au service de la vie, tel est le sens d'une éthique et d'une politique de la considération.
Les progrès de la technique encouragés par le transhumanisme mettent en péril les limites qui ont toujours servi à penser la condition humaine. Cette nouvelle philosophie est-elle une menace réelle ou bien un phantasme de bio-conservateurs?
C'est surtout la simplification de l'être humain qui est le danger du transhumanisme. C'est moins le désir de supprimer la mort que la haine du corps et la volonté d'en finir avec la naissance qui le caractérise. Au contraire, le nouveau-né, cet être imprévisible et singulier qui incarne la promesse de renouvellement du monde, est le visage de la considération. Il est le porte-drapeau d'un Âge du vivant, qui est l'exact opposé du nihilisme dont le transhumanisme est une forme contemporaine.
«Au lieu de se focaliser sur l'émancipation des femmes en réclamant surtout l'égalité des droits et des salaires, les éco-féministes montrent que la vie familiale peut être l'angle à partir duquel on peut réellement mesurer les limites de l'action de l'État». Qu'est-ce que l'éco-féminisme? Peut-il éclairer les débats en cours sur le féminisme, accusé tantôt d'être trop puritain, tantôt trop libertaire?
Les éco-féministes qui, au départ, n'étaient pas des intellectuelles, mais rassemblaient des femmes préoccupées par la santé de leurs enfants, ont compris que l'État avait une gestion atomiste des problèmes: il n'intégrait pas les enjeux de santé et maintenait un discours productiviste, tout en externalisant les déchets radioactifs dans les zones où habitaient les plus pauvres. La place de mères de famille à laquelle elles ont été assignées traditionnellement devenait le lieu à partir duquel elles constataient les limites de l'État et le caractère aberrant d'un modèle de développement présenté comme le seul réaliste. En partageant leur peur pour leurs enfants et pour la planète et en la portant sur l'espace public, elles ont fait une force de ce qui, d'ordinaire, est considéré comme une faiblesse ; elles ont affirmé leurs capacités d'agir.
C'est en assumant leur statut de mère que les éco-féministes ont redéfini les frontières du politique.
Le fait de traverser ses émotions négatives, au lieu de les refouler, et d'utiliser son expérience subjective du monde comme point de départ pour adopter une position critique sur le monde est un enseignement intéressant pour tout le monde. Enfin, c'est en assumant leur statut de mère que les éco-féministes ont redéfini les frontières du politique, en y intégrant la santé et l'écologie, et en invitant à plus de synergie. Cela sort le féminisme de la focalisation sur l'égalité entre les sexes.
Vous évoquez dans votre livre la «littérature comme aventure morale». Il semble que dans le relativisme culturel ambiant, on juge de plus en plus les œuvres d'art à l'aune de critères moraux contemporains. George Steiner, répondant à Jean-Paul Satre qui affirmait qu'on ne pouvait écrire un bon roman antisémite, disait qu'on pouvait très bien lire Pouchkine et aller accomplir son sale boulot à Auschwitz le lendemain. Quel est donc l'apport de la littérature à la morale? Est-elle censée nous rendre plus vertueux?
La littérature ne peut pas nous rendre plus vertueux, mais elle développe notre sensibilité au contexte et aux situations singulières. En ce sens, elle est précieuse pour former le jugement moral, pour éduquer aussi à la complexité, au lieu de se satisfaire de slogans. Elle joue un rôle essentiel dans une éducation morale visant à enrichir et à affiner notre perception du monde, ce qui passe aussi par l'accès au symbolique et le travail sur le langage. Elle nous montre également des personnages déchirés par des pulsions violentes. Toutefois, une éducation visant à combler l'écart entre la théorie et la pratique ne peut être seulement intellectuelle ni même émotionnelle, mais elle doit passer aussi par le corps et les sensations. Le processus d'individuation dont il est question dans la considération est plus global que ce qui se joue en se confrontant aux personnages d'un roman ; c'est tout son rapport au monde qui change.
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« La France insoumise est sous influence indigéniste »
Par Yves Mamou
Publié le 30/11/2018 à 21h01
FIGAROVOX/TRIBUNE - Yves Mamou dénonce les stratégies d'entrisme des militants indigénistes au sein de plusieurs institutions partisanes, étatiques, ou universitaires. La France insoumise est particulièrement concernée, estime-t-il.

Yves Mamou est un ancien journaliste du Monde. Il a également collaboré au Canard Enchaîné, à Libération et à La Tribune. Collaborateur régulier du site américain The Gatestone Institute, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Hezbollah, dernier acte (éd. Plein jour, 2013) et Le Grand abandon. Les élites françaises et l'islamisme (éd. L'Artilleur), paru le 25 septembre 2018.

Le mouvement Attac a été le premier à passer de la lutte des classes à la lutte des races. Mais à l'époque, dans le courant des années 2000, nul n'y a prêté attention. Pourtant cette subversion de l'intérieur d'une association politique de gauche par un mouvement politique totalitaire de type indigéniste mérite que l'on s'y arrête. Attac représente en effet, la matrice d'une subversion qui touche aujourd'hui des pans entiers de la société et des institutions françaises (partis politiques, syndicats, associations, institutions culturelles ou sociétales). Une subversion qui contamine aujourd'hui jusqu'au gouvernement.
Il fut un temps ou Attac (mouvement pour la taxation des transactions financières), créé en 1998 sur une base altermondialiste et néo marxiste, se donnait pour but de mondialiser les luttes sociales pour mieux s'opposer à la mondialisation du capital. Mais en quelques années, influence du Parti des indigènes de la République (PIR) oblige, ce mouvement d'idées est passé de l'altermondialisme au racialisme. En quelques années, Attac est passé de la solidarité entre classes populaires des pays développées et des pays en voie de développement à la supériorité politique et idéologique des personnes de couleur et des musulmans (des pays développés et des pays en développement) sur les Blancs et les non-musulmans (des pays développés).
Très vite, les organisations de victimes se sont multipliées au sein d'Attac.
Denise Mendez , membre encore aujourd'hui d'Attac, attribue cette évolution au fait que les syndicats et les altermondialistes qui ont été aux origines du mouvement, ont accepté d'intégrer au sein d'Attac, des organisations dédiées à la défense d'intérêts particuliers. Cette «horizontalité» ou «intersectionnalité» des luttes a abouti à la neutralisation progressive du concept de lutte des classes et à son remplacement par la notion de «victime». Très vite, les organisations de victimes se sont multipliées au sein d'Attac et la plus dynamique d'entre elle, le Parti des indigènes de la République, a imposé ses pratiques et son idéologie.
Qu'est-ce que le Parti des Indigènes de la République? Une organisation de lutte contre le «pouvoir blanc»: un pouvoir qui utiliserait tout un arsenal idéologique -la «laïcité», la «cohésion nationale», «l'identité nationale»- contre les «indigènes», descendants de colonisés, habitants des quartiers populaires qui sont «l'épicentre de la lutte des races sociales».?
Cette subversion d'Attac par les indigénistes est en passe de se reproduire avec succès au sein de la France Insoumise. Les «victimes» très organisées du Parti des indigènes de la République font aujourd'hui le ménage au sein du mouvement LFI incarné par Jean-Luc Mélenchon et se débarrassent sans vergogne des militants et des cadres laïcs et républicains qui les gênent. À la fin du mois de novembre, le Groupe d'Appui parisien «JR Hébert» de la France insoumise, très engagé dans la défense de la laïcité, a ainsi récemment disparu sans explication de la plateforme numérique du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Il semble que la volonté du Groupe d'Appui JR Hébert d'organiser un débat sur «l'entrisme islamiste» dans le mouvement syndical soit la cause de cette éradication. Presque simultanément, Djordje Kuzmanovic, qui était conseiller aux affaires internationales de Jean-Luc Mélenchon, a été exclu de la liste des Insoumis pour les élections européennes.
Qu'est-ce que le Parti des Indigènes de la République ? Une organisation de lutte contre le « pouvoir blanc ».
Dans une lettre ouverte («Pourquoi je quitte la France insoumise», Marianne, le 28 novembre 2018) Djordje Kuzmanovic explique son éviction et sa décision de démissionner par le choix d'une ligne politique «insistant sur l'intersectionnalité et la non-hiérarchisation des luttes, c'est-à-dire le refus de faire primer le social sur le sociétal» au sein de la France Insoumise. Djordje Kuzmanovic ne le dit pas aussi clairement que Denis Mendez, mais la primauté de la «victime» au sein de LFI a amené le mouvement à «ne s'appuyer, parmi les classes populaires, que sur «les quartiers», ce qui a «amené la FI à laisser s'installer une approche quasi communautariste (..) profondément contraire au républicanisme français. La complaisance des segments gauchistes de la FI à l'égard des thèses indigénistes, le mépris affiché pour les forces de l'ordre, la négation du problème posé par l'islamisme et le refus de regarder en face les défis posés par l'immigration ont produit des ravages dans notre électorat potentiel, faisant apparaître la FI comme la vieille gauche à peine repeinte, coupable du même angélisme, incapable de réalisme et de fermeté.»
Une récente pétition signée par 80 intellectuels dans Le Point (Le «décolonialisme», une stratégie hégémonique: l'appel de 80 intellectuels, 29 novembre 2018) a aussi récemment mis en lumière le caractère invasif du mouvement indigéniste jusque «dans les plus prestigieux établissements universitaires, salles de spectacle et musées», bien au-delà de la France insoumise et des groupuscules d'extrême gauche. «Tout en se présentant comme progressistes (antiracistes, décolonisateurs, féministes…), ces mouvances (indigénistes) se livrent depuis plusieurs années à un détournement des combats pour l'émancipation individuelle et la liberté, au profit d'objectifs qui leur sont opposés et qui attaquent frontalement l'universalisme républicain: racialisme, différentialisme, ségrégationnisme (selon la couleur de la peau, le sexe, la pratique religieuse). Ils vont ainsi jusqu'à invoquer le féminisme pour légitimer le port du voile, la laïcité pour légitimer leurs revendications religieuses et l'universalisme pour légitimer le communautarisme» disent les intellectuels signataires.
Ces quelques exemples montrent qu'une authentique subversion, de type racial, est à l'œuvre au cœur des institutions de la République. Comme si le personnel de ces mêmes institutions (politiques, universitaires, culturelles, syndicales ou associatives…) avait abdiqué volontairement le discours laïc et républicain qu'il est payé pour tenir au profit du discours et des pratiques politiques d'un ennemi de la République.
Une authentique subversion, de type racial, est à l'œuvre au cœur des institutions de la République.
Il serait toutefois faux de présenter ces dirigeants politiques, universitaires ou culturels qui abdiquent et se rendent sans combattre, comme des «victimes» naïves ou aveugles. La contamination des institutions de la République par le vocabulaire et les pratiques politiques de l'indigénisme est volontaire et s'affiche même sans vergogne depuis 2015 jusqu'au cœur du pouvoir politique. Rappelons-nous, Claude Bartolone, candidat socialiste aux élections régionales en Ile-de-France accusant dans l'Obs, son adversaire Valérie Pécresse de défendre: «Versailles, Neuilly et la race blanche». Une accusation qu'il a réitérée sans vergogne dans un autre média, quelques jours plus tard. Rappelons-nous, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions déclarant en mai 2015, «On a une télévision d'hommes blancs de plus de 50 ans, et ça, il va falloir que cela change». Une déclaration qui, en juin 2018, a reçu le soutien tonitruant de Françoise Nyssen, ministre de la culture à l'époque, s'exclamant: «Delphine, tu as dû te sentir bien seule lorsque tu portais un constat, à la fois évident et courageux. Tu sais: ‘l'homme blanc de plus de 50 ans'. Vous vous en souvenez?». Rappelons-nous aussi, la petite phrase d'Emmanuel Macron, président de la République, rejetant en mai 2018, le plan Borloo sur les banlieues au prétexte que «deux males blancs ne vivant pas dans ces quartiers, s'échangent l'un un rapport et l'autre» ne sauraient rien décider sur ces mêmes banlieues.
Cette désignation du « mâle blanc » comme ennemi se traduit aujourd'hui par la création de nouvelles « no go zones » institutionnelles.
Cette désignation du «mâle blanc» comme ennemi se traduit aujourd'hui par la création de nouvelles «no go zones» institutionnelles. Après les universités et les théâtres passés sans coup férir entre les mains des indigénistes, les clés de la politique de la ville ont aussi été remises aux militants associatifs - ou œuvrent de nombreux musulmans - du Conseil présidentiel de la ville créé par Emmanuel Macron au printemps 2018. Comme s'il devenait malséant que des «mâles blancs» s'insèrent dans le processus de décision sur les banlieues, alors que le payeur, ce même mâle Blanc, se revêt aujourd'hui d'un Gilet Jaune pour crier «pouce» et crier qu'il n'en peut plus d'une taxation protéiforme qui attente à sa capacité de survie.
L'indigénisme et l'islamisme à la manœuvre aujourd'hui en France nous révèlent qu'il est possible de subvertir de l'intérieur l'ensemble des institutions de la République, sans tirer un seul coup de feu. N'oublions pas que c'est au bénéfice de la «victime» musulmane, mal à l'aise parait-il dans le cadre de l'Hexagone ou elle a pourtant librement choisi de s'installer, qu'Emmanuel Macron s'apprête aujourd'hui à larguer la loi de 1905 sur la laïcité, à autoriser le financement de mosquées et à faire peut-être salarier les imams par le contribuable tricolore.
C'est au nom de ce même universalisme de la «victime» qu'Emmanuel Macron va signer à Marrrakech ce fameux pacte de l'ONU qui fait du droit à émigrer un nouveau droit de l'homme.
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Mathieu Bock-Côté: «Non au pacte mondial sur les migrations»
Par Mathieu Bock-Côté
Publié le 30/11/2018 à 19h53
FIGAROVOX/CHRONIQUE - La crise migratoire frappe toutes les sociétés occidentales et même la propagande la plus sophistiquée ne convaincra pas les peuples qu'elle porte en elle un avenir radieux. Mieux vaudrait parler un langage de vérité.
Il aura fallu un certain temps avant que le pacte mondial sur les migrations de l'ONU, qui doit être adopté à Marrakech les 10 et 11 décembre, trouve sa place dans le débat public. Sans trop de surprise, pourrait-on dire. Le droit international s'élabore rarement, pour ne pas dire jamais, dans les paramètres de la souveraineté populaire et nationale, mais il s'impose ensuite aux peuples, qu'on morigène sans gêne lorsqu'ils rechignent à se soumettre aux «engagements internationaux»pris en leur nom. On leur explique qu'ils ne sauraient s'y soustraire, d'autant que les grandes migrations seraient fondamentalement positives et contribueraient à l'enrichissement matériel et moral de l'humanité, ce qu'affirme aussi sans rire le pacte. Il ne serait plus possible, aujourd'hui, de stopper les grandes migrations, ni même de les contenir: on pourrait au mieux les encadrer. C'est dans cet univers mental qu'il faudrait impérativement évoluer.
Concrètement, avec ce pacte, il s'agit de jeter les bases normatives d'un futur droit à la migration. Il s'agit aussi, et cela n'est pas un détail, d'encadrer le plus possible les termes du débat public en le soumettant à une pédagogie diversitaire de plus en plus contraignante. Le pacte sur les migrations invite ainsi les gouvernements à cesser d'«allouer des fonds publics ou d'apporter un soutien matériel aux médias qui propagent systématiquement l'intolérance, la xénophobie, le racisme et les autres formes de discrimination envers les migrants, dans le plein respect de la liberté de la presse». Quand on sait que, du point de vue des théoriciens du multiculturalisme, il suffit souvent de critiquer leur doctrine pour se rendre coupable de racisme ou de xénophobie, il y a de quoi s'inquiéter. L'ONU plaide ici pour un langage médiatique formaté par l'idéologie diversitaire - par exemple en remplaçant la figure de l'immigrant illégal par celle du migrant irrégulier.
«C'est un thème récurrent de la pensée progressiste du dernier siècle : le réel serait une machination réactionnaire.»
Mathieu Bock-Côté
Pourtant, le parti immigrationniste avance sans assumer son projet, en prétendant que ce texte est strictement symbolique et n'a aucune portée pratique. Pris de panique devant les critiques qui se multiplient contre le pacte, ses défenseurs nous expliquent que chacun pourra l'interpréter à sa guise dans le plein respect de sa souveraineté. C'est ce que faisait la Canadienne Louise Arbour jeudi dans les pages du Figaro. D'ailleurs, certains exégètes autoproclamés du vrai et du faux présentent l'éventualité d'une perte de souveraineté comme une rumeur relevant des fausses nouvelles. C'est à se demander pourquoi la nomenklatura diversitaire se mobilise autant pour un texte aussi désincarné. Dans les faits, elle travaille sans l'avouer à vider de sa substance la souveraineté nationale, pour ensuite placer les peuples devant le fait accompli.
Mieux vaudrait parler un langage de vérité. La crise migratoire frappe toutes les sociétés occidentales et même la propagande la plus sophistiquée ne convaincra pas les peuples qu'elle porte en elle un avenir radieux. La caravane de migrants qui s'est levée au Honduras, a traversé le Mexique et campe actuellement à la frontière américaine donne un exemple convaincant des effets anxiogènes d'une immigration de masse non désirée. Il suffirait que l'Amérique consente à l'ouverture même partielle de ses frontières dans les circonstances présentes pour provoquer un appel d'air qui deviendra vite incontrôlable, d'autant que nous sommes témoins d'un détournement à grande échelle du droit d'asile, qui n'a pas été pensé pour réguler de tels flux migratoires. Dans les faits, le droit d'asile a surtout pour fonction de disqualifier moralement le concept de frontière, comme si celui-ci avait seulement vocation à s'effacer - il serait même inhumain de penser le contraire. À terme, il faudrait vider de tout contenu la différence entre le citoyen et celui qui ne l'est pas pour que naisse une humanité nouvelle.
Les migrations de masse sont en train d'atteindre des proportions telles qu'elles relèveront de la submersion démographique, quoi qu'en disent certains statisticiens militants qui jouent avec les mots et les chiffres pour nous convaincre que cette grande révolution qui se déroule sous nos yeux n'a pas lieu. C'est un thème récurrent de la pensée progressiste du dernier siècle: le réel serait une machination réactionnaire. Mais les États sont en droit de vouloir reprendre un contrôle politique sur le fait migratoire. De ce point de vue, on ne peut qu'applaudir les gouvernements occidentaux qui, depuis quelques semaines, annoncent qu'ils ne signeront pas ce traité. Ils montrent ainsi que le «sens de l'histoire» n'est qu'une illusion idéologique dont peuvent se déprendre ceux qui désirent orienter autrement leur destin. Et, pour le dire franchement, Emmanuel Macron ne devrait pas être un des rares à se sentir obligé de signer ce pacte. C'est en se délivrant des filets d'un «droit international» instrumentalisé idéologiquement que les nations retrouvent la substance de la démocratie.

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Mathieu Bock-Côté



Ran Halévi : «Il n'y a pas de dictateur modéré en Orient»
Par Ran Halévi
Publié le 30/11/2018 à 17h20
TRIBUNE - Les efforts des Occidentaux pour distinguer colombes et faucons parmi les dirigeants en Irak, en Syrie, en Égypte ou en Arabie saoudite n'a pas de sens, si l'on entend porter par là une appréciation sur le régime de ces pays, argumente l'historien.
C'est un trait propre aux gouvernements démocratiques que de se méprendre sur la nature des régimes autoritaires ; d'imaginer pouvoir les modérer, les réformer, par le dialogue, les bienfaits économiques, ou l'emploi de la force. Le «wilsonisme botté» de l'Administration Bush, comme l'a nommé Pierre Hassner, n'a avancé la démocratie nulle part. En Irak, les Américains ont soutenu un gouvernement présenté comme modéré à coup de milliards de dollars en assistance matérielle et militaire. Sauf que ce gouvernement à dominante chiite n'avait rien de très modéré: son autoritarisme sectaire allait générer une violente opposition sunnite et bientôt le djihadisme.
En Syrie non plus, les différentes factions rebelles qui combattent le régime Assad ne paraissent guère disposées à embrasser la démocratie ; alors que les vrais modérés ont quitté la scène depuis longtemps.
Les élections organisées en Égypte après la chute du président Moubarak ont amené au pouvoir les Frères musulmans qui s'empressaient d'étouffer les balbutiements démocratiques du pays. Avant d'être balayés à leur tour par un coup d'État militaire, célébré par le secrétaire d'État américain d'alors John Kerry comme une «victoire de la démocratie» ; curieuse dénomination d'une dictature plébiscitaire implacable, mais qui se veut — et l'est en effet — un bouclier contre l'extrémisme: pour le maréchal al-Sissi, la démocratie représente plutôt un obstacle à son ambition de remettre l'Égypte sur la voie de la modernisation, garantir la paix civile et préserver la stabilité régionale. Disons que son succès n'est pas acquis d'avance.
Les États arabes que nous avons pris l'habitude d'appeler « modérés » devaient ce titre moins à leur système de gouvernement qu'à leur plus ou moins bonne intelligence avec les démocraties occidentales
Les États arabes que nous avons pris l'habitude d'appeler «modérés» devaient ce titre moins à leur système de gouvernement qu'à leur plus ou moins bonne intelligence avec les démocraties occidentales. De fait, aucun autocrate ne peut sérieusement envisager de libéraliser son régime sans le mettre aussitôt en péril: il ne peut réformer qu'au prix de sa propre perte. Et, réciproquement, toutes les incitations, les concessions, les bonnes intentions que les démocraties peuvent prodiguer à une dictature ont peu de chances de la faire évoluer.
Voyez l'accord sur le nucléaire iranien. Même rétrospectivement, il y avait de très bonnes raisons de le soutenir, parce qu'il suspendait pour de longues années l'accession de Téhéran à la bombe. Cependant, le même John Kerry en espérait bien davantage, expliquant que l'accord allait renforcer les modérés du régime, accroître l'influence des classes moyennes et libérer de vastes ressources, grâce à la levée des sanctions, pour soulager l'économie. C'est l'inverse qui s'est produit. L'accord a surtout permis aux gardiens de la révolution de vaquer, avec des moyens redoublés, à leurs agissements subversifs à travers le Moyen-Orient, au développement de leur programme balistique et à leur implantation militaire en Syrie.
La chimère de l'«autocrate réformateur» a pourtant beaucoup servi. La tragédie syrienne a fait oublier le portrait engageant fabriqué autrefois du jeune Bachar el-Assad, ouvert, modernisateur, féru d'Internet et de haute technologie, et de sa gracieuse épouse toute vouée à des causes humanitaires. On a pu mesurer depuis les réserves inépuisables de férocité que cet homme impassible savait déployer pour se maintenir au pouvoir, y compris par le recours aux armes chimiques.
Le prince héritier Mohammed Ben Salman d'Arabie saoudite aura mis, lui, beaucoup moins de temps à dilapider le crédit démesuré qu'il s'était acquis. Nous lui avons prêté l'étoffe d'un réformateur: il a ramené la police religieuse dans les casernes, accordé aux femmes le droit de conduire, autorisé l'ouverture des cinémas et l'organisation de concerts publics. Décidé à contrer l'influence iranienne dans la région, il a resserré les relations avec les États-Unis, entamé un rapprochement avec Israël et œuvré à une reprise du processus de paix avec les Palestiniens. Du coup, le Tout-Washington l'a adoubé sans réserve.
Le libéralisme de Mohammed Ben Salman n'a freiné ni la cadence des exécutions capitales, ni la persécution des militantes saoudiennes, ni les arrestations et la torture d'hommes d'affaires jugés réfractaires
Seulement, cet homme de 33 ans a cru pouvoir exécuter ces grands desseins avec une brutalité hasardeuse qui en fait une calamité internationale: enlèvement du premier ministre libanais dans l'espoir, improbable, d'affaiblir le Hezbollah ; bombardement massif au Yémen pour défaire — sans succès — des rebelles soutenus par l'Iran, en provoquant un désastre humanitaire ; isolement forcé du Qatar, qui l'aura poussé du coup à se rapprocher des Iraniens.
Le libéralisme du prince héritier n'a freiné ni la cadence des exécutions capitales, ni la persécution des militantes saoudiennes, ni les arrestations et la torture d'hommes d'affaires jugés réfractaires, ni enfin la contribution hautement toxique de l'Arabie saoudite à l'exportation et au financement du salafisme à travers le monde.
L'assassinat de Jamal Khashoggi à Istanbul, étranglé, démembré, ses restes dissous dans l'acide, vient d'ajouter une touche d'horreur au palmarès déjà bien garni des mécomptes et des inepties du prince. M. Khashoggi ne représentait pourtant aucune menace pour le régime saoudien. Mais le sens de la mesure n'est pas la vertu première des dictateurs. Ce meurtre dessine en miroir le portrait de son commanditaire: soupçonneux, implacable, malavisé.
L'Arabie saoudite joue un rôle capital pour l'islam comme pour la stabilité du Moyen-Orient. Mais ce crime doit être sanctionné. Et pas seulement pour des raisons morales. Un régime qui s'abandonne aux méthodes d'un État voyou risque de mettre en péril les intérêts de ses alliés. Certes, la réalité internationale oblige les démocraties à ménager réalisme et idéalisme, le droit et les intérêts. Tout l'art politique consiste précisément à savoir contenir, et prévenir, avec toute la fermeté requise, les errements de nos partenaires intempestifs, même quand ils se mettent sous la bannière de la modération.
Directeur de recherche au CNRS. Professeur au Centre de recherches politiques Raymond-Aron.

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Éric Ciotti : «Le “pacte sur les migrations” de l'ONU, vers un droit à l'immigration opposable»
Par Eric Ciotti
Mis à jour le 29/11/2018 à 18h50 | Publié le 29/11/2018 à 17h43
TRIBUNE - De nombreux dirigeants occidentaux s'opposent au «pacte sur les migrations» de l'ONU, qu'ils jugent à bon droit très dangereux. Pourquoi le président français s'obstine-t-il à l'approuver ?, s'alarme le député LR des Alpes-Maritimes.
Les 10 et 11 décembre prochain à Marrakech, les États membres des Nations unies seront invités à signer le «pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières». Ce texte prétend apporter une réponse globale au phénomène migratoire, qui devrait être en forte augmentation dansles prochaines décennies. Mais derrière son apparente bienveillance, le «pacte» est animé par une idéologie dangereuse qui réduit les États à de simples gestionnaires de flux forcés. L'immigration de masse ne serait plus un phénomène à gérer au mieux de l'intérêt des nations, mais une fatalité à laquelle chacun aurait obligation à se soumettre.
Le parti pris idéologique apparaît dès le préambule. Il affirme en effet que les États signataires «reconnaissent qu'à l'heure de la mondialisation les migrations sont facteurs de prospérité, d'innovation et de développement durable». L'immigration n'est appréhendée qu'à travers ses bienfaits potentiels, sans aucune référence aux risques qu'elle fait courir aux populations, ni aux dégâts causés aux pays d'origine par la fuite des cerveaux. Les difficultés d'intégration, les problèmes de logement ou d'emploi dans les pays d'accueil, pour leur part, sont tout simplement ignorés.
Doit-on garantir au nom de ce principe la promotion des cultures de pays où le voile intégral est légal, tout comme l'excision, la polygamie ou les mariages forcés ?
C'est ainsi que l'objectif 5 du «pacte» fait obligation aux États d'organiser le regroupement familial et de fournir aux migrants «les mêmes droits à la sécurité sociale et aux services sociaux». La notion de clandestinité est vouée à disparaître avec le vœu que «le placement en rétention administrative des migrants soit utilisé en dernier ressort [afin de] chercher des solutions de rechange». L'objectif 13 du «pacte» impose une marche forcée vers le communautarisme, en fixant pour norme la «promotion des cultures, traditions et coutumes des populations des migrants» ainsi que «l'acceptation de la diversité» qui irait de pair avec la volonté de «faciliter la cohésion et l'inclusion sociales». Doit-on garantir au nom de ce principe la promotion des cultures de pays où le voile intégral est légal, tout comme l'excision, la polygamie ou les mariages forcés?
Ce «pacte» va jusqu'à dessiner une historiographie officielle soumise à une idéologie unique. Les États signataires s'emploieront à lutter contre les «récits trompeurs générant une perception négative des migrants» et à «priver de subventions ou d'aide matérielles tous les médias qui promeuvent des formes de discrimination à l'égard des migrants». Comment tolérer que l'on puisse confier une telle arme permettant à tous les dictateurs de la planète de censurer la presse au nom des nations unies?
L'ONU tente de rassurer en précisant qu'il ne s'agit pas d'un traité contraignant. On y trouve pourtant 87 fois l'impératif d'engagement. Le représentant de la Suisse aux Nations unies l'a d'ailleurs souligné pour s'en inquiéter: «Ce document constituera un point de référence pour les années à venir et induira un réel changement sur le terrain.» En réalité, l'ONU ne fait pas ici de la diplomatie, mais de l'idéologie. Ce n'est pas sa mission.
Quel aveuglement peut conduire Emmanuel Macron à soutenir sans retenue un texte aussi dangereux pour l'équilibre de la France, mais aussi du monde ?
Pareil «pacte» représente la pire réponse aux crises migratoires. C'est une boîte de Pandore qui instaurera un appel d'air mondial et une forme de droit à l'immigration. De nombreuses démocraties s'en alarment. En Europe, outre la Suisse, l'Italie, la Hongrie, la République tchèque, l'Autriche, la Slovaquie et l'Estonie refusent de signer ce «pacte». La Pologne, la Bulgarie, la Belgique et l'Allemagne s'interrogent. Au sein de la famille des démocraties occidentales, les États-Unis, Israëlet même l'Australie disent, eux aussi, non!
Pourtant, de façon incompréhensible, le président Macron s'entête. Il entend signer ce «pacte» au nom de notre pays et le juge «conforme aux valeurs et aux intérêts de la France et de l'Europe». Quel aveuglement peut le conduire à soutenir sans retenue un texte aussi dangereux pour l'équilibre de la France, mais aussi du monde? Alors que tant de démocraties libérales européennes s'apprêtent à le rejeter, la France signerait les yeux fermés au risque de se retrouver bien seule lorsque sera mise à nouveau sur la table la question du partage des flux migratoires entre membres de l'Union européenne. C'est folie que de s'engager dans cette voie. Au nom de l'intérêt de l'État, de sa souveraineté, pour le peuple français, Emmanuel Macron doit refuser de signer ce «pacte». La liste des pays réfractaires s'allonge de jour en jour. Il n'y manque plus que la France. Ressaisissons-nous.

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Eric Ciotti

Ivan Rioufol: «Comment Emmanuel Macron s'est isolé des Français»
Par Ivan Rioufol
Publié le 29/11/2018 à 20h18
CHRONIQUE - Démuni face à la colère des «gilets jaunes», le chef de l'État paie son incapacité à comprendre les plaintes d'une société abandonnée. Et des mots d'apaisement ne suffiront pas à le réconcilier avec ceux qu'il a tant méprisés.
Emmanuel Macron aura été jupitérien dix-huit mois. Depuis quinze jours, son pouvoir est sous surveillance directe de citoyens en ébullition. En marche! est à l'arrêt. Dans son bras de fer imprudemment engagé avec les «gilets jaunes», le président a négligé son propre isolement. Son choix d'attiser les braises en diabolisant les protestataires a rendu leur cause plus populaire encore. Les sondés sont 84 % à soutenir le mouvement (sondage Odoxa-Dentsu Consulting du 28 novembre), en dépit des violences commises samedi sur les Champs-Élysées. Mardi, le chef de l'État a d'ailleurs pris acte de la victoire des révoltés. «Les solutions viendront de la base», a-t-il déclaré. En un ultime orgueil, il a néanmoins promis de ne changer ni d'avis ni de cap. Reste qu'en légitimant cette «colère sourde», il s'oblige désormais à la respecter. Il est peu probable qu'il puisse imposer, sans dommages, sa loi sur la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes. Sa réforme de la loi de 1905, destinée à satisfaire l'islam, s'annonce inflammable. Idem pour son intention de signer le pacte de l'ONU qui facilitera l'immigration.
Rien n'est sincère dans son ouverture, contrainte, au monde de demain qui émerge derrière les «gilets jaunes»
Le chef de l'État s'est donné trois mois pour «co-construire des solutions pragmatiques» autour de la fiscalité environnementale. Les élus et associations locales, dont les «gilets jaunes», sont appelés à la concertation. Macron invite les décideurs à une «conversion mentale», censée écarter l'expert au profit du citoyen. Mais le président est-il disposé à donner l'exemple? Son dogmatisme sur le risque d'une prochaine fin du monde pour cause d'utilisation de la voiture à la campagne est semblable aux visions farfelues des gourous de sectes apocalyptiques. À quoi bon faire participer les gens à un choix si ce dernier est arrêté? Or c'est ce que propose Macron quand il prévient qu'il ne renoncera pas à taxer le carburant, au nom de la transition énergétique. En fait, rien n'est sincère dans son ouverture, contrainte, au monde de demain qui émerge derrière les «gilets jaunes». La nouvelle révolution française, qu'il semble pourtant percevoir quand il appelle à «bâtir un nouveau contrat social pour le XXIe siècle», ne supporte pas les vieilles manœuvres dilatoires de la politicaillerie.
Le rejet de Macron est ce qui fédère les colères : au palmarès des slogans, «Macron démission!» vient en tête. Il y a de l'injustice à faire porter sur lui seul quarante ans de décisions contestables. Cependant, le chef de l'État paie son incapacité à comprendre les plaintes d'une société abandonnée. Certes, mardi, il a su mettre les mots sur le désarroi des Oubliés et leur «vie empêchée». L'exercice littéraire a été, comme souvent, réussi. Mais il ne suffira pas à réconcilier le président avec ceux qu'il a méprisés. Le pouvoir ne peut impunément insulter un peuple durant des mois pour lui découvrir des qualités quand la tempête s'est levée. La volonté du gouvernement de rabaisser les «gilets jaunes» avait pour objectif de rendre leurs revendications indéfendables. En les accusant d'indifférence au sort de la planète et de proximité avec les extrêmes, l'État a longtemps voulu faire passer des braves gens pour des nuisibles: cette démarche fascistoïde a déconsidéré l'État moralisateur.
Oui, c'est une haine que le pouvoir a exprimée contre les «gilets jaunes», avant de se ressaisir. Samedi, Christophe Castaner a laissé les manifestants rejoindre les Champs-Élysées avant de les bloquer à mi-chemin pour les arroser, dès la fin de matinée, de gaz lacrymogènes et de canons à eau (votre serviteur a eu sa dose). Avant même que des casseurs, faussement réduits à l'ultradroite par la propagande d'État, ne passent à l'acte, le ministre de l'Intérieur a traité les manifestants de «séditieux», tentant une analogie grossière avec les affrontements mortels du 6 février 1934 place de la Concorde. Dans un tweet, le chef de l'État a rappelé sa «honte» devant les débordements, sans un mot pour le peuple en colère. Quand, dimanche, Gérald Darmanin a déclaré : «Ce ne sont pas les “gilets jaunes” qui ont manifesté (sur les Champs-Élysées), c'est la peste brune qui a manifesté», le ministre de l'Économie n'a fait qu'appliquer les outrances du pouvoir. Depuis, le chef de l'État n'a pas cherché à corriger les «fake news» officielles.
Erreur de stratégie
Durant dix-huit mois, Macron a pu aisément se grandir sur le dos d'une opposition exténuée. L'aubaine a pris fin. Le chef de l'État va devoir compter avec la force de la société civile. Elle s'est imposée comme interlocuteur impatient. Il est peu probable que ce partenaire brouillon, indifférent aux codes de la politique, laisse le président conduire à sa guise ses transformations. Le chef de l'État aurait pu, pourtant, devenir le leader de cette France en ébullition : elle rejette la lourdeur des corps intermédiaires, mobilise les réseaux sociaux dans l'élaboration de ses doléances, jette les bases d'une démocratie plus proche des gens et des réalités. Le macronisme n'avait-il pas promis d'instaurer pareillement un pouvoir horizontal, participatif, pragmatique? Macron ne peut être surpris par ce réveil qu'il avait pressenti durant sa campagne. Cependant, sa conversion égotique à la verticalité d'un Jupiter technocrate l'a éloigné, sans doute irrémédiablement, du nouveau monde qu'il voulait incarner. Pour les «gilets jaunes», Macron est l'enfant gâté du vieux monde dépassé.
Les progressistes ont sous leurs yeux une crise sociale dont ils sont en partie responsables
Le chef de l'État s'est trompé en opposant «progressistes et nationalistes». Les progressistes ont sous leurs yeux une crise sociale dont ils sont en partie responsables. Ils ont d'ailleurs longtemps rechigné à la prendre en considération, au prétexte qu'elle provenait de la vieille France enracinée dans les provinces de métropole ou de l'outre-mer. C'est le laboratoire d'idées Terra Nova qui a incité le PS, en 2012, à abandonner le «petit Blanc» à la droite et au FN. Le socialisme a préféré draguer le nouvel électorat constitué de jeunes et de femmes, mais surtout des populations immigrées et des minorités ethniques ou sexuelles. Les Oubliés ont été notamment les victimes de ce progressisme qui tente de récupérer le mouvement. Mais rien n'indique que la gauche prolophobe soit disposée à abandonner la préférence étrangère, qui contribue à marginaliser la France populaire.
Crise démocratique
Reste que la crise n'est pas seulement sociale, ni fiscale. Les «gilets jaunes» réclament des «référendums populaires» et la création d'une «assemblée citoyenne». Ils invitent à résoudre la crise de la démocratie représentative. Ce n'est pas le vide mais le trop-plein qui habite les contestataires. Ils appellent à manifester à nouveau à Paris, samedi.

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Par Jean-Philippe Vincent
Publié le 30/11/2018 à 17h25
TRIBUNE - Même dans notre pays, le conservatisme peut devenir la doctrine assumée d'un grand parti de droite, pourvu que disparaissent enfin les idées reçues qui entourent ce mot très noble, plaide l'essayiste*.
Le mouvement Sens commun a décidé d'adopter une ligne politique conservatrice. C'est une évolution qui peut contribuer à faire sortir le conservatisme politique de l'ostracisme dans lequel il était maintenu depuis plus de cent ans. Mais il y a une différence considérable entre le fait de reconnaître le conservatisme comme une doctrine politique qui compte et son émergence comme un élément partisan permettant de structurer le débat politique. Existe-t-il un véritable espace politique en France aujourd'hui pour un parti qui se dirait conservateur?
L'opposant naturel d'un progressiste n'est ni un populiste, ni un nationaliste, ni un extrémiste, mais un conservateur.
La conjoncture politique dans notre pays est, à la vérité, assez favorable à l'émergence d'un tel parti. Emmanuel Macron est résolument un progressiste et s'affiche comme tel. Or l'opposant naturel d'un progressiste n'est ni un populiste, ni un nationaliste, ni un extrémiste, mais un conservateur. Du moins si les mots ont un sens. Politiquement, donc, les difficultés actuelles des progressistes au pouvoir devraient servir le camp conservateur.
Pour autant, la constitution d'un pôle conservateur dynamique et conquérant n'est pas acquise. Certes, le tabou intellectuel qui entourait jusqu'à peu le conservatisme est tombé suite à la publication, en un court espace de temps, de livres d'auteurs français ou étrangers (on pense à ceux de Roger Scruton) explicitant le conservatisme. En outre, ces ouvrages ont rencontré un réel succès auprès du public français.
D'autre part, il existe un potentiel d'électeurs conservateurs que l'on peut considérer comme substantiel. Au premier tour de la présidentielle de 2017 et alors qu'il était au sommet du discrédit, François Fillon a malgré tout rassemblé sur son nom près de 20 % des votants. Ces électeurs n'étaient peut-être pas tous conservateurs, car il y avait aussi des libéraux parmi eux, mais la sensibilité de l'électorat filloniste était majoritairement conservatrice. Depuis, ces électeurs se sont découragés, démobilisés et dispersés. Mais ce réservoir électoral n'a pas disparu. Il peut se remobiliser si une ligne politique claire, conservatrice et libérale, correspondant aux attentes de ces électeurs de droite est adoptée.
Le programme conservateur tient en trois verbes : hériter, enrichir, transmettre.
À côté de ces éléments favorables, que de difficultés prévisibles, néanmoins, pour créer un parti conservateur susceptible de compter! Il faut d'abord surmonter les préjugés de nombreux politiques de droite qui, intoxiqués par la rhétorique progressiste, assimilent le conservatisme à l'immobilisme, à la réaction, au traditionalisme ou à la contre-révolution. Tout enseignant sait que, face aux incompréhensions des élèves, la bonne pédagogie repose sur la répétition. Donc, répétons-le: les conservateurs ne prônent pas l'immobilisme, tout au contraire, car ils sont favorables aux réformes. Historiquement, l'action des grands politiques conservateurs comme André Tardieu et Georges Pompidou l'atteste. Le programme conservateur tient en trois verbes: hériter, enrichir, transmettre. Les conservateurs se reconnaissent ouvertement comme des héritiers. De quoi? D'une tradition sociale, intellectuelle, économique, philosophique, spirituelle et culturelle. Cet héritage, les conservateurs veulent l'enrichir et non le laisser végéter ou dépérir. C'est pourquoi ils sont favorables aux ajustements nécessaires. Et, surtout, les conservateurs veulent transmettre aux générations futures les patrimoines de tous ordres qu'ils ont reçus, y compris d'ailleurs le patrimoine écologique. Ce programme est parfaitement décent et pertinent. Il faut en persuader les hommes politiques dits de droite.
Un des meilleurs premiers ministres de la Monarchie de Juillet, Casimir Perier, avait fort bien résumé un autre axe majeur de la politique conservatrice dans un discours à la Chambre des députés en 1832: «À l'intérieur l'ordre, sans sacrifice pour la liberté. À l'extérieur la paix, sans qu'il en coûte à l'honneur.» Pour un conservateur, les préoccupations d'ordre et d'autorité viennent en premier parce qu'elles sont la condition essentielle d'une vie en société dans l'amitié civile et la paix. Ce primat de l'autorité bien comprise, par exemple dans le domaine de l'immigration, les penseurs et les électeurs conservateurs doivent là encore en faire la pédagogie auprès d'hommes politiques de droite dont l'orientation fait parfois penser à ces panneaux indicateurs qu'on voit à la sortie des villes: «Toutes directions».
Mais le principal obstacle à l'émergence d'un parti conservateur étoffé et solide vient des conservateurs eux-mêmes. À force d'être cantonnés dans un rôle politique marginal, certains conservateurs de nuance traditionaliste ont développé un esprit parfois étroit qui peut les vouer à une opposition sans nuance. C'est le «syndrome de l'Action française», ce parti politique (fondé par Charles Maurras) ultraroyaliste et autoritaire, influent dans l'entre-deux-guerres et qui a égaré dans des voies sans issue une partie de l'électorat conservateur, quelle que soit, par ailleurs, la valeur de certains intellectuels de cette famille de pensée, comme Jacques Bainville. Dans l'arène politique, la posture à la fois défensive et agressive de l'Action française a voué une telle force à une opposition stérile.
Dans la France de 2018, il n'est pas certain qu'il soit judicieux d'ériger l'opposition frontale à la PMA pour les couples homosexuels et à la GPA, si légitime soit-elle, en priorité politique absolue.
Un mouvement politique majeur et mature se caractérise par sa capacité à hiérarchiser ses priorités. Dans la France de 2018, il n'est pas certain, par exemple, qu'il soit judicieux d'ériger l'opposition frontale à la PMA pour les couples homosexuels et à la GPA, si légitime soit-elle, en priorité politique absolue. Il serait plus efficace de raisonner de façon politique en insistant sur la défense des droits naturels et en particulier du droit de tout enfant à connaître son père et sa filiation. C'est seulement s'il y a un accord global sur le projet politique d'une société conservatrice que des aspects éthiques comme l'encadrement rigoureux ou l'interdiction de la PMA et de la GPA seront compris et acceptés.
La politique consiste aussi à faire des compromis tout en gardant un cap doctrinal clair. Des compromis avec les libéraux - par exemple dans le domaine économique -, il faudra en faire, car un parti conservateur ne peut pas avoir vocation à avoir raison tout seul, dans son coin, avec 1 % des voix. Tout sera possible aux conservateurs s'ils se montrent capables de cerner l'essentiel et de faire des compromis sur l'accessoire.
* Ancien élève de l'ENA, maître de conférences à Sciences Po, où il enseigne l'économie des grandes questions démocratiques, Jean-Philippe Vincent a publié, parmi plusieurs ouvrages remarqués, «Qu'est-ce que le conservatisme? Histoire intellectuelle d'une idée politique» (Les Belles Lettres, 2016).

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