jeudi 1 novembre 2018

Oui, l’islam a joué un rôle dans la guerre d’Algérie

Même si les historiens ne se bousculent pas pour en parler
Par Jean-Pierre Lledo  - 1 novembre 2018

Manifestations du 1er novembre 1961 dans les rues d'Alger. SIPA. 00418369_000007

Les historiens, algériens ou non, ne se bousculent pas pour aborder le sujet. La guerre d’Algérie a pourtant bien eu une dimension religieuse.

Il avait fallu que l’Algérie mit fin au monopartisme, avec la nouvelle Constitution de 1989, pour que l’islamisme devienne visible. Très vite agressivement totalitaire, il préféra la plonger dans une effroyable guerre civile qui fit plus de 200 000 morts selon le président de la République lui-même. En Algérie et plus encore ailleurs, beaucoup s’étonnèrent : mais d’où sortaient donc ces centaines de milliers de barbus en gandoura blanche bien décidés à imposer leur nouvel ordre, d’abord aux femmes et aux intellectuels, et ensuite au reste, par la carotte, le bâton et enfin par la kalachnikov ?!


Voir aussi :
















































Pas l’islamisme, l’islam

Les premières réponses furent du registre de la paresse de la pensée. C’était la faute, bien sûr, de l’Iran qui voulait exporter sa révolution khomeyniste. C’était la faute des « Afghans » (plus de 3000 jeunes algériens ayant combattu les Soviétiques dans les années 80 venaient d’en revenir…) ; la faute enfin des Frères musulmans qu’on appelait familièrement « les frérots » : en arabisant totalement son système d’éducation, l’Algérie avait dû importer des milliers d’enseignants, pourchassés dans leurs pays par les nasséristes et les baathistes pour leur activisme islamiste (Egyptiens, Irakiens, Syriens, etc.). Comme il est fréquent dans le monde arabo-musulman, la faute c’est toujours celle des autres. Le mal vient toujours d’ailleurs.

Depuis, des chercheurs algériens ont certes rectifié cette idée en évoquant l’origine religieuse de la violence durant la guerre d’Algérie. Mais ils n’en ont jamais fait l’objet d’une étude spécifique. Ni Mohamed Harbi, pourtant le plus contestataire des historiens algériens de cette période, ni les autres grands historiens français spécialistes de cette période, Guy Pervillé et Gilbert Meynier. Personne n’avait osé mettre les pieds dans le plat, tant la question est tabou, et démontrer que déjà la guerre d’Algérie (1954-1962) avait eu une « dimension » religieuse.


Ce mérite revient à Roger Vétillard, fortement encouragé d’ailleurs par Gilbert Meynier dans cette délicate entreprise. Peut-être parce que cet ancien médecin spécialiste qui a attendu la retraite pour se lancer dans l’étude de la guerre d’Algérie a su profiter de cette liberté de n’être pas historien de profession. Ce qui en retour lui faisait obligation de redoubler de scrupules quant aux sources et à leur traitement. Fort de son savoir médical, il va, tel le sémiologue, aller du symptôme (discours, prises de positions, programmes, etc.) vers la matrice, celle dont il ne faudrait pas montrer le sein, l’islam. Pas l’islamisme, non, simplement l’islam, qui imprègne conscience et inconscient, paroles, gestes et actes. Or  la société algérienne, profondément islamisée depuis 16 siècles est naturellement sculptée par les concepts-clés de la doctrine, et notamment par celui qui règle le rapport à l’autre, le djihad. Il reviendra aux dirigeants nationalistes de l’ALN-FLN, y compris ceux connus pour être des « laïcs », de puiser sans vergogne dans ce fonds sans fond, que ce soit par volonté de manipuler facilement les collectifs ou par opportunisme politique.

L’ennemi est « l’infidèle », la guerre est un « djihad »

Ne dit-on pas « moudjahid », alors que le mot arabe pour « combattant » existe ? « Fidaï » (« fidayine » au pluriel), qui évoque le « sacrifice », pour désigner le terroriste (celui qui en tuant y compris des civils est chargé de provoquer de la terreur) et « chahid »(au pluriel « chouhada ») pour le combattant tué, mais dont la signification littérale est « martyr » (de la religion)…

Des preuves, Roger Vétillard va en convoquer 45. Pas une de moins ! « Précises et vérifiables », comme insiste l’auteur. La déclaration d’indépendance du 1er Novembre 1954 a pour but un Etat souverain, mais « dans le cadre des principes islamiques ». On se jure fidélité sur le Coran. On coupe le nez des déviants pris en flagrant délit. L’homosexuel est puni de la peine de mort, quel que soit son grade (le chef militaire Bachir Chihani en fera l’expérience). L’égorgement n’est pas un acte sauvage pour le combattant, puisque sanctifié par l’islam1. L’ennemi est « l’infidèle », la guerre est un « djihad ». On la mène au cri d’ « Allahou akbar » (Allah est le plus grand). Et ceux qui la font sont des « frères » (« khawa », c’est-à-dire des frères… musulmans). Dans les zones qu’il contrôle, le FLN remplace la juridiction française laïque par la charia.

« L’islam a été le ciment qui nous permit de sceller notre union »

Un des grands dirigeants de la lutte armée, et particulièrement du massacre du 20 août 1955 dans l’est-algérien, Lakhdar Ben Tobbal, avoue dans ses mémoires avoir fait la guerre aux non-musulmans : « Bons ou mauvais, je ne faisais pas de différence ». Un autre dirigeant, Si Abdallah, témoigne : « Nous n’arrivions pas dans une mechta en soldats révolutionnaires mais en combattants de la foi et il est certain que l’islam a été le ciment qui nous permit de sceller notre union… » Même un des dirigeants souvent présenté comme le Saint Just laïque de la révolution et qui sera assassiné par les siens, le Kabyle Abane Ramdane, ne dérogera jamais à l’idéologie dominante qui se veut « arabo-musulmane », et à ce titre signera un texte contre « les berbéristes », destiné à la Fédération de France du FLN. Quant à l’autre chef kabyle, le Colonel Amirouche, très peu savent qu’il adhéra à l’Association des Oulémas (d’où sortiront plus tard les cadres de l’islamisme), qu’il défendit la langue arabe contre le berbère, qu’il s’opposa radicalement aux « berbéristes » (nationalistes qui ne voulaient pas d’une Algérie fondée sur des critères ethniques ou religieux) et qu’il imposa les prières quotidiennes à ses subordonnés dans les maquis.

Aussi, le résultat d’une telle orientation pouvait-il être autre que celui qui s’imposa au moment de l’indépendance et que révéla clairement le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Ben Khedda, trente ans plus tard dans ses mémoires : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale »2 ? Les accords d’Evian du 18 mars 1962 (qui ne furent jamais ratifiés par l’organe suprême du congrès de Tripoli) se refusaient à considérer les non-musulmans comme des Algériens. Diktat imposé par le FLN à la France, en échange de l’autorisation à exploiter le pétrole durant 10 ans. Les non-musulmans ne pouvaient devenir Algériens qu’en en faisant la demande, souvent refusée à des militants de la cause indépendantiste.

L’effacement des non-musulmans

Dans le très officiel Mémorial des Martyrs d’Alger, aucun nom de combattants non-musulmans ne figure. Bien plus, à Ténès on débaptisera la rue Ghenassia en rue de Palestine : cet infirmier juif avait pourtant préféré mourir que fuir l’encerclement de l’armée française, afin de rester près de ses blessés. En 1962, le million de chrétiens et de juifs n’eut d’autre choix que de quitter précipitamment ce qu’ils considéraient comme leur pays. Et pour ceux qui, malgré tout, continuaient à espérer pouvoir rester, on commandita l’assassinat du musicien juif Raymond Leyris, le 22 Juin 1961, puis une année plus tard le massacre de centaines de non-musulmans à Oran, le 5 Juillet 1962, méfait à ce jour non-revendiqué par ses auteurs, et à propos duquel aucun historien algérien n’a encore osé entreprendre une recherche, comme on peut s’en douter.

Des preuves de « la dimension religieuse de la guerre d’Algérie », on pourrait encore en trouver de très nombreuses. Ce qui ne manque pas d’étonner, c’est plutôt le refus des élites algériennes comme européennes d’admettre l’évidence. Et si cela pouvait se comprendre durant la guerre d’indépendance, de leur point de vue (ne pas affaiblir « la révolution »), que dire aujourd’hui, 56 ans plus tard ? Ne serait-ce pas parce que cette stratégie de l’aveuglement rend encore quelques services aux élites dhimmisées en cette époque où les violences de l’islamisme, confinées jusque-là aux pays musulmans, sont en train, depuis plus de deux décennies, de s’exporter, notamment en Europe ?


Le livre de Roger Vétillard, qu’aurait aussi bien pu écrire La Palice, est donc une nouvelle invitation à ôter ses ornières et à nommer les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on souhaiterait les voir. La lecture d’un monde en plein remodelage y gagnerait en lucidité.

Je lui ferai néanmoins une objection : pourquoi avoir repris la thèse de Mohammed Harbi qui attribue aux « ruraux » la responsabilité de l’imprégnation de la religiosité dans le combat libérateur ? Thèse doublement contredite par le fait que l’Association des Oulémas, d’où émergèrent de nombreux dirigeants, fut toujours dirigée par des citadins, à commencer par Ben Badis, et surtout par le fait que la société algérienne profonde, paysanne, resta fidèle à l’islam confrérique3, et ce malgré la stigmatisation et les attaques des nationalistes et de l’Association des Oulémas avant l’indépendance, et des islamistes du FIS-GIA dans les années 90, pour tenter de s’imposer comme unique représentant dans le champ du religieux. Sans succès jusqu’à aujourd’hui. Et à tel point que Bouteflika, changeant le fusil d’épaule, fut contraint de s’en faire des alliés…

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est cinéaste, essayiste, fils d’un communiste pied-noir du Parti communiste algérien.


Éric Zemmour-Marc Weitzmann : quelles leçons tirer de notre histoire coloniale ?

Par Alexandre Devecchio et Eléonore de NoüelMis à jour le 12/11/2018 à 10h55 | Publié le 11/11/2018 à 17h58

GRAND ENTRETIEN - Les deux intellectuels partagent un constat : la France de ce début de XXIe siècle est un «brasier», une nation déchirée par la montée de la violence. Ils voient tous deux dans notre passé colonial, en particulier en Algérie, l'une des sources des désordres actuels. Cependant, leur lecture de l'histoire et les enseignements qu'ils en tirent diffèrent.
Pour Marc Weitzmann, auteur d'Un temps pour haïr  (Grasset), les blessures mal cicatrisées de la colonisation expliquent en partie le ressentiment de certains enfants de l'immigration maghrébine et leur basculement dans une logique identitaire. Logique qui converge, selon lui, avec celle des populistes. Pour Éric Zemmour au contraire, lui qui vient d'écrire Destin français (Albin Michel), un affrontement entre deux visions du monde se poursuit. Un choc des civilisations qui serait exacerbé par une modernité occidentale destructrice des cultures traditionnelles.

LE FIGARO. - Vos livres montrent chacun à leur manière une France profondément divisée. Mais nous avons d'un côté Marc Weitzmann, qui se propose de faire une «archéologie de la haine», et de l'autre Éric Zemmour, qui plaide pour une histoire débarrassée du moralisme de notre époque.

Éric ZEMMOUR. - Les titres respectifs de nos ouvrages disent tout de la différence de nos projets. Un temps pour haïrse situe ainsi d'emblée dans le registre des émotions et des sentiments, ce qui est un réflexe très contemporain. À l'inverse, je choisis pour mon livreDestin français la froide réalité des rapports de forces. Je suis également frappé par le fait que le livre de Weitzmann mette de côté la démographie. La démographie a fait la grandeur de la France au XVIIIe siècle, et sa chute au XIXe siècle a ensuite annoncé son déclin. L'incapacité des Français à peupler leurs colonies - le Canada, la Louisiane, puis l'Algérie - signe la fin des empires coloniaux français. Or Weitzmann préfère nous parler de sentiments. Personne ne hait personne en vérité. L'histoire ne se fait pas par l'amour et la haine. Weitzmann est l'illustration d'une phrase d'André Suarès qui résume le mal français: «Un peuple comme la France peut n'aller jamais à l'Église: il est chrétien dans ses moelles. Ses erreurs même sont chrétiennes et ses excès, quand il veut introduire la politique dans l'ordre du sentiment.»

Marc WEITZMANN. - C'est amusant de se faire traiter de sentimental par quelqu'un qui confie avoir pleuré en visitant le site de la Berezina. D'abord, ce qui nous sépare profondément, Éric Zemmour, au-delà des idées politiques, c'est la conception de l'histoire. Là où les gens de gauche passent leur temps à déconstruire le roman national parce qu'ils ne croient pas au «roman», ni à la fiction, vous, vous faites le contraire avec des résultats similaires: vous prenez les thuriféraires du roman national au pied de la lettre, y compris quand ils s'appellent Pétain. En d'autres termes, vous avez vis-à-vis de l'Histoire et de sa «gloire» la même crédulité qu'Emma Bovary envers la littérature.
J'ai emprunté le titre d'Un temps pour haïr à une citation très célèbre de l'Ecclésiaste - le «Kohélet» de la Bible juive - qui n'est pas exactement un roman Harlequin, mais l'un des textes les plus profonds de la Bible concernant la condition humaine.

Par ailleurs, si je ne tire pas de la démographie les conclusions à l'emporte-pièce auxquelles vous vous livrez, Éric Zemmour, c'est d'abord parce que je ne veux pas jouer à l'historien que je ne suis pas. Un temps pour haïr trouve sa source dans une démarche bien plus pragmatique et humble, même si, au final, plus ambitieuse: à l'été 2014, j'ai écrit pour la presse américaine une série de reportages sur la montée d'actes de violences spontanées antijuives en France, dont la plupart des auteurs étaient musulmans. Parallèlement, des slogans antisémites avaient retenti dans une manifestation d'extrême droite en janvier de la même année. Le livre est né de la confrontation de ces éléments disparates avec la vague des grands attentats à partir de janvier 2015. Quel était le lien? Cette question m'a conduit à remonter le cours de l'histoire en parallèle à l'enquête contemporaine. Mais le livre ne donne aucune réponse définitive aux questions qu'il pose ; je m'en sens bien incapable.

É. Z. - Il est amusant de constater à quel point votre absence de réponse est pleine de réponses toutes faites. À quel point votre prétendu pragmatisme est idéologique. Vous êtes le M. Jourdain de l'idéologie, vous en faites sans le savoir. Vous faites référence à un texte des Évangiles. Qu'est-ce que le christianisme? C'est la loi juive plus la pensée grecque, plus l'amour qui domine la loi. Quand on ne garde du message chrétien que l'amour mal compris, cela donne à mon sens des catastrophes. Or, c'est la ligne idéologique de votre livre, et celle de la France depuis quarante ans face aux problématiques telles que l'immigration ou l'islam.

Je n'ai pas essayé, contrairement à ce que vous dites, d'écrire un «roman national». Je ne fais pas de fiction, pas de mythologie, même française ; mais j'assume l'approche «nationale». Sur tous les sujets, je revendique le point de vue de la France quand elle agit. C'est au fond ce que l'on me reproche: d'adopter le point de vue français. Quand je pleure devant la Berezina, je pleure sur la grandeur française passée. Dans votre livre, vous pleurez en réalité sur vos illusions, vos illusions de militant antiraciste des années 80, qui croyait au vivre-ensemble, qui criait avec SOS-Racisme «qui touche un Arabe, touche un juif», et qui se retrouve à se lamenter sur des meurtres de juifs par des musulmans. Dans les années 80, quand en banlieue eurent lieu les premières agressions, qui ne concernaient pas les juifs, vos amis antiracistes traitaient les Français qui tentaient de se défendre de «racistes» et de «pétainistes». Il est bien temps aujourd'hui de vous lamenter.


Vous insistez tous les deux sur notre passé colonial, en particulier en Algérie, et évoquez l'un comme l'autre la question du «statut personnel musulman». Mais sans forcément en tirer les mêmes enseignements…

É. Z. -L'histoire du statut personnel est très intéressante, mais Marc Weitzmann fait d'énormes confusions à ce propos. D'abord, une définition rapide: le statut personnel des musulmans est le fait pour les musulmans d'être régi par les codes juridico-religieux de leur religion, ce qu'on appelle la charia. C'est la première des confusions, qu'entretient à dessein Weitzmann. Le statut personnel n'est pas une invention des Français mais un mode de gestion classique dans l'Empire ottoman que les Français ont respecté. Vous présentez la création de ce statut comme une invention de Napoléon III pour préserver l'identité musulmane. Dans l'idée de Napoléon III, un musulman, s'il veut rejoindre la pleine citoyenneté française, peut le faire à condition de renoncer à son statut personnel et respecter ainsi le Code civil. C'est l'un ou l'autre, mais la possibilité de devenir pleinement citoyen français reste ouverte.

La IIIe République continue en ce sens, en vantant, elle, la notion d'assimilation. Non seulement vous confondez nationalité et citoyenneté françaises - les Arabes d'Algérie ont la nationalité française -, mais vous omettez de dire que ce statut personnel n'était pas réservé aux musulmans, mais concernait aussi les juifs. Simplement, les juifs ont abandonné leur statut personnel pour acquérir la citoyenneté française avec le fameux décret Crémieux, ce que les musulmans ont obstinément refusé, à chaque fois que la France le leur a proposé.

Ainsi votre procédé, qui consiste à associer ce statut à une perversité française voulant cantonner les musulmans dans leur rang d'inférieurs, n'est plus probant quand on prend en compte l'histoire parallèle des juifs, soumis au même régime juridique. Mais vous ne traitez pas du cas juif… Vous privez les musulmans de toute autonomie. Vous pensez que les Français sont responsables de tout, coupables de tout. Votre livre est révélateur de cette arrogance occidentale faussement compassionnelle.

M. W. - Pour partie, vous avez lu le contraire de ce que j'ai écrit et, pour une autre, vous simplifiez ce que vous avez cru comprendre. Pour nous, aujourd'hui, la colonisation de l'Algérie est intéressante à étudier, notamment parce que c'est là que s'y trouve, à mon avis, l'une des sources des débats actuels sur la prétendue «islamophobie». Je montre dans le livre comment le «statut personnel musulman», qui, dans les faits, a condamné la population musulmane en Algérie à une absence totale de citoyenneté politique, était en fait inspiré des visions utopistes d'un saint-simonien socialiste lui-même converti à l'islam sous le nom d'Ismaÿl Urbain et devenu conseiller de Napoléon III pour les affaires orientales. Urbain avait l'oreille des imams et il n'était pas le seul. Beaucoup de fonctionnaires de l'Empire se convertissaient à l'islam pour bénéficier de la polygamie, par exemple, ou du mariage avec des mineures avec la bénédiction des clercs locaux.
Loin de prétendre que «tout vient de nous», donc, je raconte au contraire comment les imams eux-mêmes et les classes supérieures musulmanes ont inspiré, avec Ismaÿl Urbain, le statut personnel qui allait finir par discriminer les musulmans des classes inférieures. Dans leur esprit, il s'agissait de préserver leurs traditions «authentiques» de la «modernité corruptrice» et du Code civil. Aujourd'hui, on appellerait cette politique «identitaire» et on aurait raison. On ne comprend rien aux confusions actuelles sur l'islam en France sans cette toile de fond où tout se joue à front renversé et où par souci de «pureté» et d'«authenticité» les dignitaires musulmans aident eux-mêmes à la marginalisation des citoyens musulmans. Quant aux juifs algériens, c'est faux, je les mentionne dans le livre, quoique incidemment.

Pour vous, Éric Zemmour, les racines chrétiennes de l'Europe sont le meilleur antidote à la montée en puissance de l'islam tandis que, pour Marc Weitzmann, il y aurait une forme de «convergence» entre les «identitaires», qui revendiquent l'héritage chrétien de l'Europe, et les islamistes…

M. W. - Tout d'abord, un constat: la folie identitaire touche tout le spectre politique aujourd'hui. De l'extrême gauche à l'extrême droite, de Houria Bouteldja à Éric Zemmour, chacun se veut «fier» de ce dont il vient, comme s'il avait eu le choix. D'autre part, sur la religion: il faut partir du fait que le monde technologique dans lequel nous vivons est dominé par la notion d'information. C'est-à-dire que tout se pense au travers d'un flux statistique régulier où l'événement est toujours un accident. Cette notion d'accident et même de catastrophe comme seul événement possible a plusieurs conséquences, déjà en partie analysées par Jean-Pierre Dupuy.

L'une est évidemment de faire de l'attentat terroriste le moment par excellence où quelque chose arrive «enfin», comme on l'a si souvent dit lors du 11 septembre 2001, y compris d'ailleurs dans les cercles proches du FN, surtout lorsqu'on a vu le bénéfice politique que Le Pen père retirait quelques mois plus tard, en avril 2002, de l'angoisse générée par l'attaque. Mais une autre conséquence, plus intéressante, pourrait bien être d'ordre métaphysique. Après tout, qu'est-ce que l'événement par excellence pour les monothéismes, sinon l'Apocalypse? En d'autres termes, on ne peut pas exclure que, dans un monde gouverné par l'information, la seule manière pour le fait religieux d'exister de façon dynamique, c'est de réveiller ses tendances apocalyptiques.

É. Z. -L'islam est une religion qui refuse la soumission à la modernité occidentale. C'est une évidence, et c'est d'ailleurs ce qui alimente son attractivité et lui vaut des conversions de jeunes Européens. C'est Djihad contre McDonald's. Mais là où je ne vous suis plus, c'est quand vous psychiatrisez le phénomène - sociopathie des terroristes, etc. Si l'on suit cette logique, Saint-Just, Staline, Hitler, tout le monde est psychopathe, et on s'arrête là. Vous occultez la question de l'invasion migratoire et de l'instauration par la force d'un système de valeurs étranger à l'Europe. C'est ça, le djihadisme. C'est le stade ultime de la délinquance des «quartiers». Il n'y a pas de convergence des identitarismes ; il y a d'un côté une contre-société qui s'est installée et qui veut s'étendre, et de l'autre des gens qui la refusent et qui veulent défendre leur culture. Nous assistons à un affrontement plus qu'à une convergence.

M. W. - Je sais que ça tache les images d'Épinal avec lesquelles Zemmour essaie d'écrire l'Histoire, mais oui: si le XXe siècle a montré quelque chose, c'est que l'Histoire est aux mains des sociopathes et des médiocres: Hitler, Staline, Mao, Pétain. Après eux, nous ne vivons plus dans le monde de Napoléon mais dans celui de Samuel Beckett. C'est cela, la tragédie européenne. Et dans ce monde-là, sociopathie et sexualité déréglée sont des données de base. Cela ne veut bien sûr pas dire que la psychiatrie doit être la seule grille d'analyse. Dans Un temps pour haïr, je montre au contraire comment la pathologie de la famille Merah s'est imbriquée dans l'histoire politique du djihadisme algérien avant de venir frapper en France. Les deux vont de pair.

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