Entretien avec Laurent Bouvet,
fondateur du Printemps républicain (2/3)
Par Franck Crudo - 24
juillet 2018
Universitaire et républicain
de gauche membre du Parti socialiste jusqu’en 2007, Laurent Bouvet a créé en
2016 le Printemps républicain, un mouvement en pointe dans la défense de la
laïcité et le combat contre l’islamisme et l’antisémitisme. Entretien
(2/3).
Franck Crudo. En plus d’être
contestable, le discours victimaire et repentant n’est-il pas
déresponsabilisant et contre-productif ? A force de pointer les discriminations
ou les prétendues fautes de notre République, n’enferme-t-on pas des millions
de gens dans la rancœur, voire la haine à notre égard ? La France est pourtant
l’un des pays les plus généreux au monde à l’égard de tous ses citoyens, y
compris ceux issus de l’immigration…
Laurent Bouvet. Oui,
tout à fait. J’irais même plus loin en disant que les entrepreneurs
identitaires, ceux qui vivent de l’agitation des haines et des rancœurs,
entretiennent ce discours victimaire à dessein. Leur existence est liée à cette
destruction du commun, à la réduction des uns et des autres à tel ou tel
critère de leur identité.
Surtout, ce discours victimaire,
de renvoi de chacun à une identité qui enferme plutôt qu’elle émancipe, peut
conduire au refus de l’intégration, au rejet du commun. Ce qui débouche sur une
forme de séparatisme, voire d’hostilité à la France. On trouve cela notamment
dans les phénomènes de radicalisation pour des raisons religieuses, comme on
l’a vu dans le discours de djihadistes ou de terroristes ces dernières années.
Lire la suite :
« La principale menace, ce sont les dérives identitaires. Pas l’identité. »
Entretien avec Laurent Bouvet, fondateur du Printemps républicain (2/3)
Par Franck Crudo - 24 juillet 2018
Universitaire et républicain de gauche membre du Parti socialiste jusqu’en 2007, Laurent Bouvet a créé en 2016 le Printemps républicain, un mouvement en pointe dans la défense de la laïcité et le combat contre l’islamisme et l’antisémitisme. Entretien (2/3).
Franck Crudo. En plus d’être contestable, le discours victimaire et repentant n’est-il pas déresponsabilisant et contre-productif ? A force de pointer les discriminations ou les prétendues fautes de notre République, n’enferme-t-on pas des millions de gens dans la rancœur, voire la haine à notre égard ? La France est pourtant l’un des pays les plus généreux au monde à l’égard de tous ses citoyens, y compris ceux issus de l’immigration…
Laurent Bouvet. Oui, tout à fait. J’irais même plus loin en disant que les entrepreneurs identitaires, ceux qui vivent de l’agitation des haines et des rancœurs, entretiennent ce discours victimaire à dessein. Leur existence est liée à cette destruction du commun, à la réduction des uns et des autres à tel ou tel critère de leur identité.
Surtout, ce discours victimaire, de renvoi de chacun à une identité qui enferme plutôt qu’elle émancipe, peut conduire au refus de l’intégration, au rejet du commun. Ce qui débouche sur une forme de séparatisme, voire d’hostilité à la France. On trouve cela notamment dans les phénomènes de radicalisation pour des raisons religieuses, comme on l’a vu dans le discours de djihadistes ou de terroristes ces dernières années.
André Comte-Sponville estime
que « le politiquement correct, qui dénie les problèmes,
fait le jeu du populisme, qui les hystérise ». Ce déni est-il
la première explication des succès de Trump et Salvini, du Brexit ou encore de
la montée quasi continue du FN (aujourd’hui RN) ? Sacrifier la vérité afin de
ne pas nourrir la bête ne revient-il pas à nourrir la bête en lui faisant
cadeau de la vérité ?
Comte-Sponville a tout à fait
raison. C’est un phénomène que j’ai décrit longuement, pour ce qui est de la
gauche française, dans mon livre Le Sens du peuple (Gallimard,
2012). En dehors même de toute contextualisation, la simple idée qu’en
n’abordant pas certains sujets, en mettant selon l’expression consacrée la
poussière sous le tapis, on empêcherait la montée des populismes, on ne ferait
pas « le jeu du… », est aberrante. C’est pourtant une idée très
répandue dans certains milieux, je pense d’abord au mien, à l’université. Le
simple fait par exemple d’intituler un livre L’Insécurité culturelle (Fayard
2015) m’a valu des condamnations définitives, avant même que les collègues qui
les ont prononcées aient ouvert l’ouvrage !
Après, évidemment, le déni n’est
pas la seule explication de la montée des populismes, ni même sans doute la
première. C’est très difficile à mesurer. Mais il joue un rôle,
incontestablement.
Horace écrivait déjà en son
temps que « pour fuir un défaut, les maladroits tombent dans le
défaut opposé ». On a le sentiment qu’à notre époque, on combat
très souvent un extrémisme en basculant dans l’extrémisme opposé : le
politiquement correct contre le politiquement abject, l’antiracisme face au
racisme, Balance ton porc après l’affaire Weinstein, etc. C’est un
peu tard pour le bac philo mais : la vertu est-elle le contraire d’un vice
ou un juste milieu entre deux vices opposés ?
C’est une question que devrait se
poser toute personne engagée dans un combat politique. Et je peux au moins vous
donner la réponse que j’essaie, chaque jour, d’y apporter, souvent avec
difficulté, en n’étant pas toujours bien compris… Cette réponse, c’est celle de
la « ligne de crête » que nous appliquons, par exemple, avec mes amis
du Printemps républicain, dans notre combat pour la laïcité, contre l’islamisme
et contre l’antisémitisme.
Comment peut-on savoir que l’on
est sur le chemin de crête, étroit certes mais qui est le bon et le seul
praticable, si l’on ne veut pas tomber dans la terrible dualité que vous
décrivez ? Eh bien on le sait quand on reçoit des critiques et des insultes des
deux côtés. Quand on vous traite, par exemple, à la fois d’
« islamophobe » parce que vous combattez les islamistes et que vous
dénoncez l’incohérence d’une certaine gauche dans ses compromissions, dont on parlait plus haut. Et de pro-islamiste ou de
« laïcard » parce que vous ne vous en prenez pas aux musulmans ou
parce que vous ne faites pas d’exception à la laïcité quand il s’agit de
catholiques notamment.
La ligne de crête républicaine,
celle du laïque universaliste et humaniste, c’est d’être attaqué en même temps
par les identitaires et les bigots de tous bords, d’extrême gauche et d’extrême
droite, par les islamistes comme par Riposte laïque.
Le nationalisme, c’est la
guerre… mais on se rend compte en ouvrant un journal ou un livre d’histoire que
le multiculturalisme aussi (Ex-Yougoslavie, Rwanda, Liban, etc.). Régis Debray
affirme même que « la mondialisation heureuse, c’est au final la
balkanisation furieuse ». Certains n’ont-ils pas une vision idéalisée
du modèle multiculturel ? Ceux qui oublient que l’histoire est tragique et
dénient la conflictualité du monde et de la nature humaine ne sont-ils pas in
fine aussi dangereux que ceux qui l’exacerbent ?
Toute dérive identitaire, qu’elle
soit nationaliste ou multiculturaliste, est porteuse de lourdes menaces pour
les sociétés et les individus. Et le déni est aussi dangereux que
l’exacerbation des antagonismes identitaires, vous avez tout à fait raison. Je dirais
là encore que la seule voie possible et souhaitable c’est celle, dans le cas
français, de la ligne de crête républicaine, de la laïcité et de l’attention
toujours portée au commun.
L’extrême droite est-elle
toujours, en 2018, la principale menace pour notre République ?
La principale menace pour la
République, pour chacun d’entre nous, pour notre monde dans son ensemble, ce
sont les dérives identitaires. Pas l’identité en tant que telle. Politiquement,
l’extrême droite française au sens classique du terme est rentrée dans le rang
démocratique et républicain ces dernières années à travers l’acceptation par le
Front national (FN) des résultats des élections, au niveau national comme
local. On n’a plus à faire aux ligues de 1934. Même s’il faut continuer de
combattre le FN et son programme, encore très largement identitaire, pied à
pied. On doit néanmoins rappeler que, ces dernières années, les attentats
terroristes ont été commis par des islamistes, et non par l’extrême droite.
Même si l’exacerbation identitaire conduit visiblement à l’organisation de
réseaux prêts à en découdre, comme l’a montré récemment le démantèlement de
l’un d’entre eux.
Donc, menace identitaire, d’abord
et avant tout islamiste. Et surtout, menace pour ce que cela risque d’entraîner
comme réactions chez nos compatriotes, qui ont été jusqu’ici remarquablement
calmes et qui n’ont pas cédé aux provocations. La brutalisation terroriste de
la société française depuis 2015 au moins, n’a pas été suivie de représailles
massives et organisées contre les musulmans. Nos compatriotes n’ont pas fait,
eux, l’amalgame. Les actes anti-musulmans existent bien évidemment mais ils
sont restés limités. Et aucun musulman, contrairement aux juifs et aux
catholiques (à travers la figure du père Hamel), n’a été tué parce qu’il est
musulman en France, sinon par un autre musulman dans le cadre des attentats
précisément.
Au-delà du fait que ce n’est
pas l’extrême droite qui aujourd’hui écrase, mitraille ou égorge nos femmes,
nos enfants, nos juifs, nos policiers, nos prêtres, nos journalistes… ce ne
sont pas non plus des « fascistes » qui brûlent des voitures de
police, des McDo ou l’effigie du président de la République en place publique.
Ce ne sont pas des militants d’extrême droite qui occupent illégalement la
place de la République ou mettent à terre un élu, Robert Ménard en
l’occurrence. Ce n’est pas non plus un ex-candidat du FN qui se réjouit sur
Twitter de la mort du colonel Beltrame… Si l’extrême droite semble être
« rentrée dans le rang démocratique et républicain » comme vous le
soulignez, a contrario l’extrême gauche n’est-elle pas en train de se
radicaliser de façon inquiétante ?
Il faut, me semble-t-il, séparer
deux choses ici. D’une part, le fait qu’il y a toujours eu, au sein de
l’extrême gauche, de manière très minoritaire, une forme d’attraction pour la
violence politique. Cette violence, contre les institutions, contre le
patronat, contre le capitalisme, etc. étant légitimée par la violence sociale
imposée à la classe ouvrière ou aux plus faibles. Elle ressurgit régulièrement.
Elle peut prendre différentes formes, dont le terrorisme comme on l’a connu
dans les années 1970 par exemple.
D’autre part, ces dernières
années, on a assisté à une forme particulière de radicalisation, autour de la
question identitaire, avec l’indigénisme, le décolonialisme… en lien en partie
avec l’islamisme sous sa forme politique, comme on le disait plus haut. Cette
radicalisation a conduit à des pratiques (les réunions non mixtes notamment) et
à des discours (à l’égard des « non racisés » notamment) très
agressifs. Les occupations d’établissements universitaires au printemps 2018
l’ont bien montré.
C’est inquiétant non en soi, car
il s’agit d’un phénomène très minoritaire, mais parce que c’est bien relayé et
considéré comme tout à fait acceptable sinon normal par toute une partie de la
gauche « installée » : partis, syndicats, associations, médias…
N’avez-vous
pas parfois l’impression qu’une partie de nos élites médiatiques et
politiques continuent de crier « au loup, au loup », alors qu’un
crocodile est à nos pieds… ?
Il y a sans doute le poids des
habitudes. Dire aujourd’hui qu’on trouve du racisme et de l’antisémitisme hors
de l’extrême droite apparaît tout simplement comme impossible à certains. Et
dire que ce racisme et cet antisémitisme sont le fait de personnes qui sont par
ailleurs, depuis des décennies, en raison de la lutte anticoloniale et de la
lutte antiraciste, vues comme des victimes, comme des « damnés de la
terre », c’est doublement impossible. Alors non seulement ceux qui
devraient le dire, je pense ici à la gauche en particulier, ne le disent pas
mais ils accusent ceux qui le font d’être d’extrême droite, d’être racistes,
« islamophobes », etc. La boucle est bouclée, le piège identitaire se
referme.
Que signifie en effet cette
impossibilité de dire les choses telles qu’elles sont, sinon qu’il s’agit d’une
assignation identitaire et victimaire ? Pourquoi un croyant, musulman, ou un
immigré de tel ou tel pays africain ne pourrait pas être raciste ou antisémite
? Est-ce que le racisme dépend d’une identité spécifique de l’individu ou bien
de ses idées, actes et comportements, ou encore de son éducation ? Comment la
pensée humaniste, attachée aux droits de l’Homme et à la Raison peut-elle avoir
autant dérivé pour aboutir à définir la qualité de tel ou tel individu en
fonction de ce qu’il est (religion, couleur de peau, origine…) et non de ce
qu’il pense, dit ou fait ? On est là au cœur du sujet identitaire. On est là
aussi au cœur du sujet de la définition de la gauche aujourd’hui.
A suivre…
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