La Une du Parisien d’hier veut absolument nous faire croire que « les Anglais se mordent les doigts » d’avoir voté pour le Brexit. Mais à l’intérieur du journal, la vérité est tout autre…
Quand « Le Parisien » veut faire regretter le
Brexit aux Anglais
Apparemment, "les Anglais s'en mordent les
doigts"
Par Gabrielle
Périer
- 28 juillet 2018
Des manifestants anti-Brexit n'acceptent pas le verdict des
urnes à Londres, octobre 2016. SIPA. SIPAUSA30160648_000004
Quand « Le Parisien » veut faire regretter le Brexit aux Anglais
Apparemment, "les Anglais s'en mordent les doigts"
Par Gabrielle Périer
- 28 juillet 2018
Des manifestants anti-Brexit n'acceptent pas le verdict des urnes à Londres, octobre 2016. SIPA. SIPAUSA30160648_000004
La Une du Parisien d’hier veut absolument nous faire croire que « les Anglais se mordent les doigts » d’avoir voté pour le Brexit. Mais à l’intérieur du journal, la vérité est tout autre…
Hier, 26 juillet, Le Parisien nous a offert
une analyse de qualité sur un sujet brûlant. Reportage inédit, point de vue
innovant, observations inspirées : tout y était pour que le lecteur sorte
édifié et grandi du dossier « Brexit, les Anglais s’en mordent les
doigts », auxquelles sont consacrées la une et les pages 2 et 3 du
quotidien.
En une @le_Parisien.
Pas surprenant mais avec des dirigeants politiques irresponsables et
démagogues, il ne fallait pas s'attendre à un autre scénario ... #Brexit #géopolitique
Celui-ci a en effet décidé de mander un envoyé spécial à
Londres et à Boston pour couvrir l’actualité de ces derniers jours, lesquels
ont vu des événements et des conflits importants se produire dans le cadre des
négociations sur le Brexit. Démission de David Davis et Boris Johnson, reprise
en main des négociations par Theresa May, renouveau de l’idée d’un Brexit
« no-deal » (sans accord avec l’Union européenne) : tout cela
agite en effet beaucoup la presse et le monde politique britanniques, tout
comme les technocrates bruxellois.
Mon Royaume pour douze anglais
Cependant, le journaliste et la rédaction du Parisien avaient
décidé que ces informations ne valaient pas la peine d’être disséquées pour le
public français, ou si peu. Non, ce qui est intéressant, c’est de savoir que,
après avoir voté pour le Brexit, les Anglais – redisons-le – « s’en
mordent les doigts ». Et cela nous est démontré par une série d’articles.
Se pose tout d’abord la question des Français installés
outre-manche. L’article commence ainsi : « Les Anglais ont
le blues, mais le Brexit va-t-il faire revenir les Bleus
expatriés ? » Et au vu des réponses – ce qui a certainement surpris
l’auteur – une partie d’entre eux est décidée à rester, et même à demander la
nationalité britannique pour cela. Il ne manque pas cependant d’insister sur
les start-uppers qui décident de rentrer, grâce à la « politique
plus accommodante » – nous dit l’un d’entre eux – menée par
Emmanuel Macron.
Sans doute déçu, le journaliste s’est ensuite baladé dans
les rues de Londres et de Boston, et a tendu le micro à des personnes
rencontrées au hasard dans la rue, méthode privilégiée pour « prendre la
température » (expression consacrée) de ces deux villes. Et ainsi de
titrer : « A Boston, le ‘‘Brexitland’’ en proie au
doute », et « A Hackney [quartier londonien], les anti-Brexit
résignés ». Douze personnes en tout ont été interrogées, ce qui ne
constitue pas exactement une force collective gigantesque. Mais même sur la foi
de ces douze personnes, on n’arrive toujours pas à comprendre en quoi
« les Anglais s’en mordent les doigts ». Dans le reportage sur
Boston, sur les cinq personnes interrogées ayant voté pour le Brexit, seules
deux disent qu’elles hésiteraient si c’était à refaire, les autres sont
catégoriques et pestent seulement contre l’indécision du gouvernement. Il
semblerait que le journaliste n’ait pas réussi à en trouver d’autre pour
illustrer son postulat ; c’est sans importance, celui-ci est quand même
considéré comme validé. Ainsi, l’édito du dossier peut se conclure par ces
mots : « Et les Britanniques s’inquiètent, réalisant peu à peu que ce
vote était un saut dans le vide… sans parachute ». Le Royaume-Uni, comme
chacun sait, va s’écraser au sol, ayant capricieusement quitté le vaisseau
bienheureux de l’Union européenne.
Vous êtes bien sûrs que vous ne voulez pas d’un deuxième
référendum ?
De plus, dans le reportage sur Hackney, où les personnes interrogées ont
toutes voté contre la sortie de l’Union européenne, seule une se déclare
favorable à un nouveau référendum. Nouvelle déception pour le journaliste
du Parisien, qui sous-titre « Les électeurs
anti-Brexit ont du mal à se ranger à l’idée d’un second référendum ». Tiens
donc, les électeurs devaient ainsi « se ranger » à
cette idée ? Etait-ce le commandement de la loi, du gouvernement, d’une
autorité morale ? Non, seulement celui du Parisien. Car on
perçoit l’espoir à peine voilé du journaliste à la fin de l’article principal. Après le seul sous-titre auquel il
semble que celui-ci ait droit, « L’idée d’un deuxième
référendum », on lit : « Depuis peu resurgit l’idée d’un
deuxième référendum. […] Réponse ferme du 10 Downing Street qui a affirmé que
cela n’arriverait ‘en aucune circonstance’. Mais prudence. ‘La situation n’a
jamais été aussi volatile’, prévient Christian Lequesne ». La
plus grande partie de la classe politique et des personnes interrogées est
contre un nouveau référendum ? Qu’importe : Le Parisien en
fait un sujet central de son papier. Et pour renforcer la vigueur du propos, le
maquettiste n’a pas oublié de faire figurer, à cheval sur les deux pages du
quotidien, une grande photo d’un militant anti-Brexit brandissant les drapeaux
britannique et européen entremêlés et une pancarte où on lit : « Brexit :
is it worth it ? » (c’est-à-dire : « Le
Brexit : est-ce que ça en vaut la peine ? »).
Contrairement au Parisien, « les
Anglais » veulent passer à autre chose
En réalité, ce qui ressort des courtes phrases des Anglais
cités par ce reportage, c’est que presque tous, à la fois pro et anti-Brexit,
veulent tout sauf remettre en question le vote de 2016. Ce qui est aujourd’hui
problématique, c’est l’incertitude quant à la façon dont va se dérouler la
sortie de l’Union européenne. Les Anglais n’ont qu’une envie : être fixés
pour pouvoir passer à autre chose, et retourner à leurs propres affaires.
Pas de quoi s’étonner de cette tentative poussive du Parisien de
présenter les résultats du référendum comme sujets à remise en question. Déjà,
juste avant le vote de 2016, le quotidien mettait cette photo peu équivoque à
la une :
La Une du « Parisien », 23 juin 2016.
Cette dérisoire velléité d’autopersuasion exprime, avec la
même fraîcheur qu’il y a deux ans, la dissonance cognitive impossible à
surmonter pour les européistes, les empêchant de croire à une « démocratie contre les traités européens ».
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