Islam politique ou islam religion
Par Michel RENARD — 2
octobre 2001 à 01:08
Deux dangers guettent la conscience musulmane française après
le 11 septembre: la dénégation de toute implication musulmane dans les
attentats-suicides et un jugement se restreignant au rejet attendu de
l'«amalgame» entre terrorisme et Islam.
La première réaction s'exprime sur les forums de quelques
sites Internet ou aux alentours de certains lieux de culte, où l'on fustige de
chimériques instigateurs («les Russes... ou les sionistes... ou les Américains
eux-mêmes») sans vraiment susciter de désapprobation argumentée. La seconde est
légitime, mais elle ne peut feindre longtemps d'ignorer que les auteurs des
attentats sont bien des musulmans et non... des animistes du Monomotapa! Une
expression musulmane qui réduirait sa réaction à ce pathos négationniste et à
cette ligne de défense un peu courte faillirait à ses responsabilités.
Si l'islam de France est autre chose qu'une formule creuse,
il ne peut s'exonérer d'une nécessaire clarification théologique. Les leaders
musulmans qui n'ont cessé de répéter: «Il n'y a qu'un islam» ont trompé les
gens. Cette formule a autorisé, par glissements successifs, une identification
aux formes les plus extrémistes et perverties de la religion. Elle a fait
paraître l'islam modéré ou tolérant pour un contretemps fade, une tactique
sémantique passant pour un aveu de faiblesse devant le défi d'avoir à défendre
le «vrai islam».
La vérité, c'est qu'il existe plusieurs interprétations du
message du Prophète. Le temps est venu de choisir entre l'islam religion,
enraciné dans une séculaire sagesse musulmane, et l'islam politique apparu au
début du XXe siècle. La formulation des termes d'une confrontation avec
l'Occident dans les catégories du religieux islamique a une histoire. Elle
débute en 1927, en Egypte, chez les Frères musulmans et leur fondateur Hassan
al-Bannâ. Celui-ci préconise un Etat islamique comme seule modalité de fidélité
à la loi religieuse. Cette version, dont l'application finit par générer un
contrôle totalitaire de la société, s'est appuyée sur le fondamentalisme du mouvement
salafi dit «réformiste» et sur l'obscurantisme wahhabite opposé à la raison.
Elle s'est développée avec le Pakistanais Mawdûdî et l'aberrante thèse de la
«souveraineté de Dieu» à l'origine de la réduction de la charia à un code pénal
tyrannique.
Après le 11 septembre, la question cruciale n'est pas de
s'acharner à démontrer que l'islam est, par nature, étranger au massacre des
innocents, mais bien de savoir quelle interprétation de l'islam n'a pas su
empêcher certains musulmans de le provoquer!
Que sont donc les GIA, taliban et autres Ben Laden sinon le
produit de la décomposition de cet islam politique parvenu à une
déspiritualisation du message coranique? Les musulmans n'ont pas besoin de cet
islam idéologisé. Or, une fois publiée la condamnation des attentats par les
représentants officiels de l'islam dans notre pays, aucune argumentation de
fond n'est venue contrebalancer les effets désastreux de cette vulgate
jihadiste. Et ce silence dure depuis des années, laissant proliférer des
dérives extrémistes, une vision grossièrement clivée du monde, une lecture
littéraliste du Coran, une misogynie théorisée, une idée agressive de la
«supériorité» de l'islam, un racisme antijuif, etc.
Dans leur masse, les musulmans de France sont gênés par
cette rhétorique réactionnaire et belliqueuse qui ne correspond pas à la
quiétude d'une observance et d'une spiritualité héritée de leurs ancêtres. Ils
ne partagent pas cette occidentalophobie identitaire qui contrevient à
l'intégration culturelle à laquelle ils sont parvenus tout en assumant leur
foi. Et s'ils ressentent douloureusement un universalisme à géométrie variable
qui ne consentirait à s'exprimer que dans le cadre d'une solidarité
intra-«occidentale», ils sont prêts à témoigner que l'humanisme de leur religion
participe à l'universalisme des valeurs morales. Ils attendent donc des
responsables religieux et des intellectuels une clarification de la théologie
musulmane recentrée sur la verticalité du rapport à Dieu et le rejet des
utopies meurtrières recourant au vocabulaire islamique.